SEANCE DU 16 DECEMBRE 2002


M. le président. « Art. 18. - Il est inséré, dans le code des douanes, un article 265 bis A ainsi rédigé :
« Art. 265 bis A . - 1. Les produits désignés ci-après, élaborés sous contrôle fiscal en vue d'être utilisés comme carburant ou combustible, bénéficient, dans la limite des quantités fixées par agrément, d'une réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, dont les tarifs sont fixés au tableau B du I de l'article 265. Pour l'année 2003, cette réduction est fixée à :
« a) 35 EUR par hectolitre pour les esters méthyliques d'huile végétale incorporés au gazole ou au fioul domestique ;
« b) 38 EUR par hectolitre pour le contenu en alcool des dérivés de l'alcool éthylique incorporés aux supercarburants dont la composante alcool est d'origine agricole.
« 2. Supprimé.
« 3. Pour bénéficier de la réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, les unités de production des esters méthyliques d'huile végétale et dérivés de l'alcool éthylique doivent être agréées avant le 31 décembre 2003 par le ministre chargé du budget après avis du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de l'industrie, sur procédure d'appel à candidatures publiée au Journal officiel des Communautés européennes.
« 4. La durée de validité des agréments délivrés ne peut excéder six ans. Ces agréments ne sont pas renouvelables.
« 5. L'opérateur dont les unités sont agréées est tenu de mettre à la consommation en France ou de céder aux fins de mise à la consommation en France la quantité annuelle de biocarburants fixée par l'agrément qui lui a été accordé. Il est également tenu de mettre en place auprès d'une banque ou d'un établissement financier une caution égale à 20 % du montant total de la réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers correspondant à la quantité de biocarburants qu'il doit mettre à la consommation au cours de la même année en application de la décision d'agrément.
« En cas de mise à la consommation ou de cession aux fins de mise à la consommation en France d'une quantité inférieure à la quantité annuelle fixée par l'agrément, cette dernière peut être réduite dans les conditions fixées par décret.
« 6. La réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers est accordée lors de la mise à la consommation en France des carburants et combustibles mélangés dans des entrepôts fiscaux de production ou de stockage situés dans la Communauté européenne aux produits désignés au 1, sur présentation d'un certificat de production émis par l'autorité désignée par l'Etat membre de production et d'un certificat de mélange délivré par l'administration chargée du contrôle des accises sur les huiles minérales.
« 7. Un décret précise les modalités d'application de ces dispositions. Toutefois, les règles relatives au premier appel à candidatures devant intervenir en application du 3 sont fixées par le ministre chargé du budget. »
La parole est à M. Marcel Deneux, sur l'article.
M. Marcel Deneux. Je souhaite attirer l'attention du Sénat sur le sujet important qui est évoqué dans l'article 18. Je pense en effet qu'il mérite mieux que le non-débat que nous aurons sur ce sujet cet après-midi.
Lorsque je me suis aperçu, la semaine dernière, qu'une réduction des crédits sur les biocarburants était prévue, j'ai été étonné. L'Assemblée nationale a discuté de cette question, mais le problème n'est pas réglé pour autant. Bien sûr, je suis un jeune parlementaire - en durée de mandat ! (Sourires) - et sans doute suis-je encore plein de naïveté ; mais je voudrais vous faire partager mon inquiétude, voire ma stupéfaction, face à la situation dans laquelle nous sommes.
Il y a trois mois, j'ai été convié à accompagner M. le Président de la République au sommet mondial sur le développement durable qui s'est tenu à Johannesburg. J'ai pu constater comment l'ensemble des pays présents - ils étaient 104 - appréhendaient les problèmes du développement durable, les problèmes de pollution, notamment ceux qui sont liés au gaz à effet de serre.
J'ai écouté quatre discours prononcés par le Président de la République - ils ont, me semble-t-il, été peu diffusés en France. J'ai entendu que la France - je le savais - avait ratifié les accords de Kyoto, que le problème qui nous était posé était plus un problème de transport, auquel nous avons peu de réponse, et que nous avions pris des engagements quant aux énergies renouvelables. Il faut croire que ceux qui prennent les engagements ne sont pas forcément ceux qui prennent les décisions en découlant !
Nous nous sommes donc engagés à faire passer la part que représente l'énergie renouvelable dans le total de l'énergie que nous utilisons de 15 % à 21 % avant 2010. Ce n'est pas la filière éolienne qui nous permettra d'y parvenir ! Le vrai problème qui se pose est celui de la consommation d'énergie par les transports. Or, dans ce domaine, plusieurs pistes sont possibles. Certaines nous permettraient d'atteindre cet objectif d'ici à une ou deux décennies : je veux parler des véhicules hybrides, des véhicules à piles ou à carburant. Mais il existe déjà aujourd'hui une filière qui fonctionne, dont la technologie est maîtrisée, dont la production industrielle est bien organisée et dont le bilan énergétique est bon. Il faut donc l'encourager. C'est ce qu'a fortement préconisé l'Union européenne au cours des derniers mois.
Voilà trois semaines, un comité interministériel s'est réuni pendant cinq heures autour de sept ministres ; quatre-vingts fiches allant dans le même sens ont été rédigées ! Je les ai reçues ; vous aussi sans doute, mes chers collègues.
Je souhaite par mon intervention en appeler au Gouvernement pour qu'il se ressaisisse et redevienne cohérent.
La position qu'il prend en réduisant les crédits affectés aux biocarburants est un mauvais signal. C'est en tout cas un signal inadapté à la situation de la France par rapport aux gaz à effet de serre, inadapté à la politique de la France dans le monde, inadapté par rapport au développement et aux relations Nord-Sud et, plus grave, inadapté quant à l'avenir des générations qui vont nous succéder.
Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous conseille de prendre vos responsabilités et d'adopter les amendements que nous allons vous proposer.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 29 rectifié, présenté par MM. Deneux, Soulage, Amoudry, Arnaud, Badré, Biwer, Borotra, J. Boyer et Détraigne, Mme Férat, MM. Franchis et C. Gaudin, Mme Gourault, MM. Hyest et Kergueris, Mme Létard, MM. Moinard, Nogrix et Vanlerenberghe, est ainsi libellé :
« I. - Au début du b du I du texte proposé par cet article pour insérer un article 265 bis A dans le code des douanes, remplacer le nombre : "38" par le nombre : "42".
« II. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du I ci-dessus, compléter, in fine , cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... La perte de recettes résultant pour l'Etat de la fixation de la réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers appliqués à l'éthanol à 42 euros par hectolitre est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 30 rectifié est présenté par M. Détraigne, Mme Férat, MM. Badré, Adnot et Deneux, Mmes Gourault et Létard et M. Vanlerenberghe.
L'amendement n° 53 est présenté par MM. Bizet, Girod, P. André, Deneux, Détraigne et François.
Ces amendements sont ainsi libellés :
« I. - Au troisième alinéa b du texte proposé par cet article pour insérer un article 265 bis A dans le code des douanes, remplacer le nombre : "38" par le nombre : "41,7".
« II. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du I ci-dessus, compléter in fine cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... La perte de recettes résultant pour l'Etat de la fixation de la réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers appliqué à l'éthanol à 41,7 euros par hectolitre est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Deneux, pour défendre l'amendement n° 29 rectifié.
M. Marcel Deneux. Il s'agit, mes chers collègues, de modifier le chiffre fixé par l'Assemblée nationale et de porter de 38 à 42 euros la réduction de la TIPP applicable aux biocarburants.
Ce chiffre a été établi à partir des coûts de production réels et actuels de la filière compte tenu de son état d'amortissement. Il ne prend pas en compte les investissements nouveaux nécessaires pour répondre aux besoins de développement de composés oxygénés.
Après un large débat, l'Assemblée nationale a obtenu une substantielle amélioration du dispositif d'exonération de la TIPP sur les biocarburants. Ainsi, le texte transmis au Sénat prévoit, s'agissant de l'éthanol, une réduction de 38 euros par hectolitre. Néanmoins, cette réduction ne semble pas encore suffisante pour les professionnels de la filière dans la mesure où le niveau actuel est de 50,23 euros par hectolitre.
Afin de trouver un équilibre acceptable pour toutes les parties, nous proposons, par l'amendement n° 29 rectifié, de porter la réduction à 42 euros par hectolitre.
Cet équilibre ne vaudrait toutefois que dans l'hypothèse d'un maintien du prix du pétrole à 25 dollars le baril, ce qui n'est pas acquis. En effet, il est essentiel que, en dépit de la suppression par l'Assemblée nationale de la formule de calcul qui permettait de maintenir l'équilibre économique de la filière en calant l'exonération partielle sur l'évolution des cours des matières premières, le décret prévu au 7 du texte proposé pour l'article 265 bis A tienne compte de l'évolution des cours du pétrole.
Quant aux amendements n°s 30 rectifié et 53, qui sont identiques, ce sont des amendements de repli.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce sujet est à la fois important et difficile. J'y suis, personnellement, très sensible, me souvenant notamment de tous les combats menés par notre collègue Michel Souplet, ancien sénateur de l'Oise, qui fut, dans cette assemblée, à l'origine du groupe de travail sur les biocarburants et qui, en Picardie, cher Marcel Deneux, et plus particulièrement dans l'Oise, a inlassablement lutté en faveur de cette diversification agricole.
Dans les années 1980 et au début des années 1990, le contexte était assez différent. La grande crainte qu'exprimaient alors à juste titre un grand nombre d'exploitants agricoles et leurs représentants était inspirée par la mise en jachère de vastes superficies, du fait du fonctionnement des marchés agricoles au sein de l'Union. Dans un tel contexte, le fait de trouver de nouveaux débouchés grâce aux agro-industries était une idée extrêmement prometteuse au regard de la volonté de maintenir à la fois nos paysages et la capacité opérationnelle des exploitations.
Il était évident, dès cette époque-là, que les filières de biocarburants, qui présentaient un grand intérêt tant écologique qu'agricole, ne se développeraient au départ qu'avec une assez forte dépense fiscale.
Comme tout ce qui concerne la politique agricole, cette matière doit évidemment, à présent, être jugée à l'aune des règles communautaires. Nous savons, nous Français, ce que nous devons à la politique agricole commune : nous tenons d'autant plus à celle-ci que notre pays peut, dans l'ensemble, se prévaloir d'un bilan favorable, un bilan que nous défendons d'ailleurs bec et ongles vis-à-vis de l'ensemble de nos partenaires.
La question qui se pose par ailleurs est celle des progrès technologiques et économiques qu'a connus la filière des biocarburants issus de la betterave à sucre ou des céréales et la filière des biocarburants issus des oléagineux et protéagineux. Si l'amélioration des rendements de ces procédés avait été plus rapide, il est clair que la demande d'aides fiscales aurait décru en proportion. Or force est de reconnaître, en toute lucidité, que l'évolution du bilan économique de ces procédés n'a peut-être pas été aussi rapide qu'on l'imaginait il y a quinze ou dix ans.
Mais je reviens à la disposition qui nous occupe.
Le Gouvernement est contraint de modifier le régime fiscal de l'ETBE, pour des raisons d'harmonisation européenne et tout simplement pour respecter la décision du Conseil de l'Union européenne du 25 mars 2002 qui autorise la France, dans certaines conditions, à appliquer un taux différencié de droit d'accises sur les biocarburants, conformément à l'article 8 de la directive 92/81 CE. Ce qui importe, en la matière, c'est la combinaison de l'article 1er et de l'article 3 de cette décision.
Je rappelle les termes de cet article 3 : « Les réductions d'accises sont modulées en fonction de l'évolution des coûts des matières premières afin que lesdites réductions ne conduisent pas à une surcompensation des coûts additionnels liés à la production des biocarburants. »
Sans avoir évidemment la prétention de maîtriser tous les aspects de ce dossier très technique, j'ai le sentiment que le Gouvernement était allé à l'Assemblée nationale aussi loin qu'il lui était possible d'aller. En effet, il s'agit d'apprécier la limite de l'aide d'Etat : à partir de quel seuil passe-t-on dans le régime, critiquable au regard du droit communautaire, de l'aide d'Etat ?
En vérité, il est très difficile d'apprécier les paramètres de cette contrainte. Il faut tenir compte des termes de référence : par rapport à quelle référence économique évalue-t-on ces fameux coûts additionnels ? Il faut tenir compte également de l'existence de deux filières différentes qui sont visées par le texte issu de l'Assemblée nationale : celle des esters méthyliques d'huiles végétales, ou EMHV, d'une part, celle de l'éthyl-tertio-butyl-éther, ou ETBE, d'autre part.
La commission souhaite, bien entendu, entendre le Gouvernement sur ce sujet et, plus précisément, sur l'appréciation de la notion d'aide d'Etat, qui est au coeur de la question. Estimant que le système tel qu'il nous est proposé à l'issue de la discussion à l'Assemblée nationale est équilibré et plus favorable que le texte initial, estimant que l'on doit s'en tenir aux normes communautaires - étant entendu que la latitude d'interprétation est faible -, la commission est finalement conduite à solliciter le retrait de l'amendement n° 29 rectifié.
Toutefois, si le Gouvernement, après avoir revu tous les paramètres du calcul, nous expliquait qu'il y a encore une petite marge avant que soit atteint le seuil préoccupant de l'aide d'Etat, monsieur le ministre, nous nous laisserions volontiers convaincre. (Sourires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. J'ai beaucoup appris à l'Assemblée nationale sur le régime fiscal des biocarburants, et aussi en écoutant ici le rapporteur général, qui est un expert en la matière !
Je me permettrai de dire à Marcel Deneux que ses propos ont peut-être dépassé sa pensée ; il pourra en juger en relisant le compte rendu de ce débat.
En tout cas, je lui rappelle que l'article 18 adapte tout simplement le régime d'imposition des biocarburants à la TIPP, qu'il s'agisse des EMHV, de l'ETBE ou des dérivés d'alcool éthylique, c'est-à-dire les DAE. Comme l'a dit le rapporteur général, il s'agit de prendre en compte la décision du Conseil de l'Union européenne en date du 25 mars dernier.
Par souci de transparence, le Gouvernement a souhaité indiquer très clairement les montants de défiscalisation applicables aux biocarburants. Les niveaux de réduction qui sont désormais inscrits dans le texte sont issus de données fournies par les opérateurs des différentes filières de production de ces biocarburants.
S'agissant de la filière de l'ETBE, mes services se sont rapprochés des professionnels du secteur de la betterave et du blé. Des échanges fructueux ont ainsi eu lieu pendant plus d'un an, dans un esprit constructif, afin de déterminer, notamment, le coût des unités de fabrication existantes.
Comme l'a souligné le rapporteur général, nous sommes tenus de fixer des niveaux de réduction tels qu'ils ne conduisent pas à une surcompensation des coûts, laquelle constituerait en effet une aide d'Etat incompatible avec le bon fonctionnement du marché.
Cela étant, le Gouvernement a entendu les préoccupations des professionnels, et c'est ce qui l'a d'ailleurs amené à accepter à l'Assemblée nationale, après un très long débat, la proposition de M. Philippe Auberger et de plusieurs de ses collègues qui tendait à faire passer la réduction de TIPP, dans un cas, de 33 euros à 35 euros et, dans l'autre cas, de 34,2 euros à 38 euros, ce qui représente des hausses non négligeables puisqu'elles sont respectivement de 6 % et de 11 %.
Ces montants de 35 euros et de 38 euros correspondent à la juste compensation des coûts additionnels inhérents à la fabrication de ces biocarburants. Aller au-delà reviendrait à surcompenser ces coûts additionnels, ce qui est expressément proscrit par la décision du Conseil du 25 mars 2002.
L'article tel qu'il est actuellement rédigé ne me paraît donc pas justifier l'émoi que j'ai perçu tout à l'heure.
Nous sommes nombreux ici à ne pas nous contenter de prononcer des discours sur le sujet : quand nous exerçons des responsabilités locales, nous les traduisons dans les faits, en utilisant ces biocarburants le plus possible et chaque fois que c'est possible.
Je vous assure, monsieur Deneux, que le Gouvernement est allé aussi loin qu'il le pouvait eu égard à ce qui était « communautairement correct ». C'est ce qui me conduit à vous demander le retrait de ces amendements ; à défaut, je serai contraint d'émettre un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Deneux, les amendements n°s 29 rectifié, 30 rectifié et 53 sont-ils maintenus ?
M. Marcel Deneux. Je dirai à M. le ministre que son raisonnement n'est vrai que pour partie.
Sans vouloir donner une tournure trop technique à ce débat, je veux rappeler que, pour obtenir du diester, carburant détaxé destiné aux moteurs Diesel, on fabrique de l'huile dégommée à partir du colza. Quant à l'alcool, on l'obtient par un procédé de craquage de céréales et, selon la nature de la colonne de distillation, on obtient plus ou moins de « coproduits ». Or c'est le marché des « coproduits » qui fait la rentabilité de la filière.
Actuellement, le débat porte sur le prix de base des céréales. Nous sommes en divergence fondamentale avec M. Franz Fischler : nous souhaitons que le prix intérieur des céréales augmente, de manière à demander moins de crédits au titre de la politique agricole commune. Si le prix de départ est plus élevé, il est évident que la rentabilité ne sera pas de même nature.
C'est pourquoi on ne peut pas tenir le même raisonnement pour le diester et pour l'éthanol.
Sous le bénéfice de ces précisions, je maintiens mes amendements.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, sur ce sujet important, le Gouvernement souhaite que sa majorité tienne compte de son avis. Si des doutes subsistent, je préfère qu'ils soient clairement exprimés. Je demanderai alors au Sénat de prendre ses responsabilités et de se prononcer par scrutin public, afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté. C'est ce que je serai inévitablement conduit à faire si M. Deneux maintient sa position.
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le ministre, à ce stade, je souhaiterais que vous me disiez quel sort vous entendez réserver à l'amendement n° 31 rectifié, que j'ai également cosigné et qui porte sur la formule algébrique permettant de fixer le prix des matières premières ? Dans l'hypothèse où cet amendement serait retenu, mes craintes s'effaceraient pour partie.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Pour ma part, je ne défendrai pas la présence de cette formule algébrique dans la loi. Elle n'y figure d'ailleurs plus depuis le passage du texte à l'Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Par souci de clarté, je précise que, compte tenu des confirmations qui nous ont été apportées par M. le ministre, la commission exprime un avis défavorable sur les amendements présentés par M. Deneux.
Je rappelle que, si le Gouvernement est dans l'obligation de proposer à présent un nouveau régime fiscal pour ces productions, c'est parce que le précédent régime a été annulé par le juge communautaire.
En disant que, au-delà d'un certain point on entre dans l'aide d'Etat et que ce n'est pas conforme au traité, on décrit un risque qui n'a rien de théorique. Nous devons nous situer dans le monde tel qu'il est et non tel que nous voudrions qu'il soit : il nous faut donc tenir compte de cette réalité.
M. le président. Monsieur Deneux, que décidez-vous finalement ?
M. Marcel Deneux. Je retire les trois amendements, monsieur le président.
M. le président. Les amendements n°s 29 rectifié, 30 rectifié et 53 sont retirés.
L'amendement n° 67, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« I. - Dans le b du 1 du texte proposé par cet article pour insérer un article 265 bis A dans le code des douanes, après les mots : "dérivés de l'alcool éthylique", insérer les mots : "(éthyl-tertio-butyl-éther)".
« II. - En conséquence, dans le 3 du texte proposé par cet article pour insérer un article 265 bis A dans le code des douanes, remplacer les mots : "dérivés de l'alcool éthylique" par les mots : "d'éthyl-tertio-butyl-éther". »
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué. L'Assemblée nationale a adopté un amendement qui supprime la référence à l'ETBE dans l'article 18. Seule subsiste donc l'expression « dérivés de l'alcool éthylique », c'est-à-dire les DAE.
L'objectif des députés était de prévoir l'extension de l'exonération partielle de la TIPP à l'incorporation directe d'alcool éthylique d'origine agricole, ou bioéthanol, aux supercarburants.
Il est proposé de revenir sur ce point au texte initial du Gouvernement.
En effet, en ce qui concerne l'adjonction aux supercarburants, compte tenu des technologies actuelles, le produit le plus fiable issu de dérivés d'alcool éthylique est l'ETBE. En tout état de cause, l'ETBE étant le seul produit issu de DAE produit et utilisé en France, il est mentionné expressément dans le texte initial du Gouvernement.
Par elle-même, la suppression de la référence à l'ETBE dans le texte ne permet en aucun cas d'incorporer directement l'éthanol dans les supercarburants, comme le souhaitaient les députés auteurs de l'amendement.
Le Gouvernement souhaite, en tout cas, conserver les mécanismes actuels, qui présentent les garanties nécessaires en matière de contrôle.
Il convient de rappeler que les biocarburants ne peuvent bénéficier de l'exonération fiscale que s'ils sont élaborés dans une unité de production agréée par l'Etat et dans la limite d'un volume de production défini annuellement. Ces produits sont en effet placés sous le régime suspensif douanier de l'usine exercée. En d'autres termes, ils sont fabriqués sous surveillance douanière permanente. La défiscalisation s'applique lors de la sortie des biens dudit régime, pour mieux assurer un contrôle optimal de l'exonération, ce qui ne serait pas le cas si un opérateur pouvait incorporer directement l'éthanol aux supercarburants.
Telles sont les raisons pratiques, mesdames, messieurs les sénateurs, qui conduisent le Gouvernement à vous proposer d'adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement vise à revenir au texte initial du Gouvernement. L'Assemblée nationale avait adopté un amendement qui substitue, s'agissant de l'incorporation directe des biocarburants, l'ensemble des dérivés de l'alcool éthylique au seul ETBE, afin de favoriser le développement du bioéthanol.
Or ce texte est sans portée effective. En effet, l'ETBE est le seul dérivé de l'alcool éthylique produit et utilisé en France, l'utilisation de l'éthanol posant à la fois des problèmes techniques - présence d'eau dans les carburants et inexistence de pompes dédiées - et des problèmes juridiques : produire de l'éthanol nécessite en effet l'obtention du statut d'entrepositaire agréé qui comporte beaucoup de contraintes pour les producteurs ; il faut, en particulier, tenir une comptabilité matières, être soumis à des contrôles douaniers, etc.
Pour toutes ces raisons, il semble techniquement nécessaire d'en revenir au texte initial du Gouvernement. C'est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 67.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 31 rectifié, présenté par M. Détraigne, Mme Férat, MM. Badré, Adnot et Deneux, Mmes Gourault et Létard et M. Vanlerenberghe, est ainsi libellé :
« I. - Après le 1 du texte proposé par cet article pour insérer un article 265 bis A dans le code des douanes, insérer dix alinéas ainsi rédigés :
« La réduction R pour le contenu en alcool des dérivés de l'alcool éthylique incorporés au supercarburant dont la composante "alcool" est d'origine agricole est calculée selon la formule suivante :
« R = 0,84A + 7B + 384 + 1,99Y - 2,87C.
« Avec :
« - A : moyenne des cotations du blé tendre rendu Rouen, classe 2, majorations mensuelles incluses ;
« - B : prix d'opportunité de la betterave fixé à 22 euros/tonne ;
« - C : moyenne des cotations Franco Bord (FOB) du supercarburant sans plomb pour la zone Nord-Ouest/Europe ;
« - Y : moyenne des cotations du « Brent daté » sur le marché de Londres.
« Le montant annuel sera définitivement fixé à chaque fin d'année en fonction des évolutions des prix des produits pétroliers sur l'année écoulée.
« La réduction de taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers ne doit pas excéder 50,23 euros par hectolitre pour le contenu en alcool des dérivés de l'alcool éthylique incorporés aux supercarburants dont la composante "alcool" est d'origine agricole.
« Un décret précise les modalités d'application de ces dispositions. »
« II. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du I ci-dessus, compléter, in fine , cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... La perte de recettes résultant pour l'Etat des modifications apportées à la réduction de taxe intérieure sur les produits pétroliers pour le contenu en alcool des dérivés de l'alcool éthylique incorporés au supercarburant dont la composante "alcool" est d'origine agricole est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. La formule ci-dessus, certes complexe, a été proposée et discutée pour la filière bioéthanol et l'administration française dès mars 2002. Elle a été établie à partir des coûts de production réels de la filière. Il s'agit d'une innovation réclamée spécifiquement pour les biocarburants par l'administration française dans sa demande de dérogation fiscale satisfaite par la décision du Conseil de l'Union européenne du 25 mars 2002. Cette décision autorise la France à appliquer un taux différencié de droits d'accises sur les biocarburants à condition qu'il soit indexé sur les cours des matières premières. Ce mécanisme d'indexation a été également repris dans les projets de directives sur la fiscalité et la promotion des biocarburants, actuellement en deuxième lecture au Parlement européen.
La justification de cette formule est liée à la volatilité des cours des matières premières, notamment pétrolières. Son application sur la base des cours réellement constatés pendant la période mentionnée permet d'éviter tout effet retard potentiellement préjudiciable à la filière de bioéthanol comme au budget national. De plus, le principe du recours à une formule a fait l'objet d'une validation par le Conseil d'Etat.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement vise à réintroduire dans l'article 18 la formule de calcul qui intègre l'évolution du cours des matières premières entrant dans la composition de l'ETBE afin de définir le niveau des surcoûts additionnels évoqués par la décision communautaire que nous avons tous citée tout à l'heure.
Le texte initial comportait deux formules de calcul très complexes. Il nous faudrait, monsieur le président, disposer d'un écran pour pouvoir faire des simulations.
M. le président. Cela viendra...
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'espère vivement au nom de la commission que cela viendra un jour, pour que l'on puisse raisonner sur des chiffres plutôt que de manière littéraire sur des sujets arithmétiquement aussi complexes.
Il y avait dans l'article 18 d'origine deux formules de calcul extrêmement complexes, l'une pour les extraits d'huile végétale et l'autre pour l'ETBE, formules censées permettre la prise en compte, dans la fixation du montant de la réduction de TIPP dont bénéficient les biocarburants, du cours des matières premières, comme le blé, la betterave ou les produits oléagineux qui entrent dans leur composition.
L'Assemblée nationale ayant supprimé ces deux formules, différents problèmes peuvent se poser.
D'abord, comme le disait M. le ministre, sous l'oeil de Portalis, l'inclusion dans la loi de formules mathématiques ou arithmétiques de ce genre montre bien que l'on est arrivé aux bornes de la loi et qu'on les a même peut-être dépassées.
Par ailleurs, il faut s'interroger sur l'impact économique ou fiscal de ces formules. Les études qui ont été réalisées montrent - je parle sous le contrôle d'éminents spécialistes infiniment plus compétents que moi, notamment notre collègue Marcel Deneux - que la réintroduction des formules initiales serait nettement moins avantageuse que le dispositif voté par l'Assemblée nationale.
Quant à la formule qui figure dans l'amendement n° 31 rectifié, la question de sa compatibilité avec le droit communautaire se pose. Il s'agit donc du même problème que tout à l'heure, à savoir la marge de manoeuvre très étroite par rapport à ce droit européen. La formule suggérée par notre collègue Marcel Deneux et ses cosignataires aboutirait à des taux de réduction de TIPP trop élevés compte tenu du cours actuel des matières premières, et l'on entrerait dans le domaine des aides d'Etat.
Pour l'ensemble de ces raisons, et en vertu de cette analyse, la commission sollicite le retrait de l'amendement. Elle considère une nouvelle fois que, compte tenu des contraintes qui s'imposent à nous, on ne peut réellement faire mieux que l'équilibre atteint à l'Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Sur le fond, je pense que nous avons tranché cette question lors du débat précédent et que, excepté sur le plan juridique, cet amendement ne devrait pas venir en discussion maintenant.
Je suis heureux d'avoir répondu par avance à Marcel Deneux sans connaître son point de vue à propos de la présence d'une formule algébrique dans la loi.
Très franchement, monsieur Deneux, je fais amende honorable, puisque cette formule algébrique - la situation était fâcheuse - figurait dans le projet de loi. On peut toujours se tromper ! Il s'agit d'une question de démocratie, mesdames, messieurs les sénateurs. Si nous commençons à élaborer une norme législative qui ne reste pas intelligible pour nos concitoyens, la loi perd tout objet, nous devons en être conscients.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Alain Lambert, ministre délégué. En ce qui concerne la forme, puisque nous avons déjà discuté du fond, je souhaite que Marcel Deneux retire cet amendement. A défaut, je serai en effet contraint d'émettre un avis défavorable, ce que je ferai à regret, compte tenu de la haute considération que j'ai pour son travail.
M. le président. Monsieur Deneux, l'amendement est-il maintenu ?
M. Marcel Deneux. Monsieur le ministre, moi aussi, je peux faire amende honorable, mais je relève quand même que cette formule, qui ne semble pas avoir sa place dans un texte de loi, émanait du Gouvernement.
Par conséquent, pourquoi, étant parti sur une formule de cette nature, ne pas l'améliorer ?
Je souligne par ailleurs que, s'il est nécessaire d'introduire dans un texte de loi, c'est-à-dire dans ce qu'il y a de plus fort en matière de contrat, des formules de ce genre, c'est que le climat de confiance entre les partenaires n'est que moyen. Je souhaite donc, monsieur le ministre, lorsque j'aurai retiré cet amendement, que vous vous engagiez à veiller au comportement loyal des partenaires les uns envers les autres.
Enfin, monsieur le rapporteur général - c'est un détail qui a son importance dans une discussion aussi technique -, cette formule algébrique ne peut pas s'appliquer, telle qu'elle figure à l'article 18, pour les diesters, puisque les oléagineux ne sont pas concernés. Il s'agit simplement de la filière éthanol qui, elle, ne concerne que le sucre et les céréales.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je fais amende honorable !
M. Marcel Deneux. Cela étant, monsieur le président, je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 31 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 18, modifié.

(L'article 18 est adopté.)

Article 19