SEANCE DU 17 DECEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 43, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article L. 321-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail, consécutives soit à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise, soit à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise. »
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Je suis conscient que le présent amendement, qui vise à définir de manière plus précise le licenciement pour motif économique, n'a aucune chance d'emporter la conviction de la majorité sénatoriale dans la mesure où toute la droite bataille ferme contre l'article 107 de la loi de modernisation sociale, que le Conseil constitutionnel a fini par invalider, faisant ainsi prévaloir la liberté d'entreprendre n'importe comment sur le droit à l'emploi, qui est pourtant un principe à valeur constitutionnelle.
Je ne m'étends pas sur cette décision qui a réjoui le MEDEF puisque cet article tendait à priver ceux qu'il représente de leur faculté arbitraire de licencier uniquement pour convenances boursières.
Je souhaite simplement, à travers cet amendement qui vise l'ensemble des salariés, quelle que soit la taille de l'entreprise, souligner à nouveau la nécessité de faire du licenciement l' ultima ratio, selon la formule de la Commission européenne, et de modifier les textes pour empêcher les licenciements de confort, notamment ceux qui sont imposés par les fonds de pension.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Cet amendement modifie la définition du licenciement économique.
J'observe que la rédaction proposée reprend mot pour mot des dispositions de la loi de modernisation sociale qui avait été censurées par le Conseil constitutionnel pour atteinte manifestement excessive à la liberté d'entreprendre.
Je ne peux donc que donner un avis défavorable sur un tel amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Même avis.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 43.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 42, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 321-1-1 du code du travail, après les mots : "ces critères prennent" le mot : "notamment" est supprimé. »
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 42.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 45, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A la fin de la première phrase de l'article L. 321-2-1 du code du travail, le mot : "irrégulier" est remplacé par les mots : "nul et de nul effet".
« II. - La seconde phrase du même article est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :
« Le tribunal ordonne, à la demande du salarié, la poursuite du contrat de travail. Cette décision est exécutoire de droit à titre provisoire. Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail, le tribunal octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis qui lui sont dues par ailleurs. »
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. La loi de modernisation sociale a permis d'intégrer dans le code du travail un certain nombre de principes tirés de jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation. Je pense non seulement à l'obligation de reclassement, mais également à la sanction pour nullité des licenciements réalisés en l'absence de plan social et à la réintégration des salariés abusivement licenciés.
Je rappelle que la jurisprudence « Samaritaine », que d'aucuns ici sont tentés d'évacuer, est le seul cas où, après la décision du juge annulant le licenciement, toutes les conséquences sont tirées et les principes généraux du droit appliqués, ce qui signifie que le salarié peut être réintégré et non pas seulement indemnisé.
La question de la sanction par le juge du défaut de forme ou de fond d'un licenciement économique n'est pas réglée si le salarié n'est pas rétabli dans ses droits, dans son emploi.
Je propose, par cet amendement, de tirer toutes les conséquences du caractère irrégulier du licenciement économique qui a été prononcé sans qu'aient été mis en place dans l'entreprise les organes représentatifs du personnel, après constat de carence, en prévoyant expressément la nullité d'un tel licenciement et la poursuite du contrat de travail à la demande du salarié.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Aux termes de l'article 110 de la loi de modernisation sociale, est considéré comme irrégulier tout licenciement économique dans une entreprise où les institutions représentatives du personnel n'ont pas été mises en place. Dans ce cas, il est prévu, pour le salarié licencié, une indemnité particulière au moins égale à un mois de salaire.
Le présent amendement modifie sensiblement l'économie de cet article. Il introduit en effet une judiciarisation de la procédure et prévoit la réintégration du salarié licencié. Or l'absence de désignation des institutions représentatives du personnel n'est pas toujours imputable, loin s'en faut, à l'employeur, même s'il n'a pas établi de procès-verbal de carence.
L'amendement conduirait donc à rendre le licenciement impossible dans certaines entreprises, alors même qu'il pourrait constituer le seul moyen de garantir leur survie.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. La démonstration de M. le rapporteur est imparable. Il est tout à fait disproportionné et inadapté de sanctionner par la nullité l'absence de mise en place des institutions représentatives du personnel.
L'indemnité pour irrégularité de procédure me paraît une incitation suffisante pour la constitution, par les employeurs, de ces institutions. Elle constitue, par ailleurs, une réparation adéquate du dommage qui en résulte pour le salarié.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement. M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Je souhaite simplement réagir aux propos de M. le ministre. Il me paraît inconcevable que le préjudice subi par le salarié licencié puisse être considéré comme réparé si le salarié est simplement indemnisé.
Quand on perd son emploi, c'est souvent pour longtemps !
Les amendements que le groupe socialiste et nous-mêmes avons présentés tout à l'heure sur l'article 1er visaient précisément à protéger les salariés les plus fragiles, ceux qui sont le plus exposés au licenciement. Nous dire que, dès lors qu'ils sont indemnisés, leur problème est réglé, c'est aller un peu vite en besogne.
Dans le passé, des textes ont été adoptés qui tendaient à protéger les personnes en difficulté. Je pense en particulier à la loi sur l'exclusion. Je pense aussi, à des dispositifs favorisant l'accès à l'emploi, pour les plus jeunes, ou le retour à l'emploi, pour de moins jeunes.
Par ailleurs, vous savez pertinemment que l'indemnisation ne représente au mieux que quelques dizaines de milliers de francs, c'est-à-dire une somme qui ne correpond absolument pas au préjudice très grave subi par les salariés licenciés.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 45.

(L'amendement n'est pas adopté.) M. le président. L'amendement n° 44, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 432-5 du code du travail, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L... - Lorsque l'employeur d'une entreprise sous-traitante a connaissance d'une décision d'une entreprise donneuse d'ordre dont il estime qu'elle engendre des difficultés économiques de nature à le contraindre à procéder à un licenciement collectif, il en informe et réunit immédiatement les représentants du personnel.
« Sur la demande de cet employeur, le comité d'entreprise de l'entreprise donneuse d'ordre est convoqué sans délai par l'employeur de cette dernière et se trouve élargi aux membres du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel de l'entreprise sous-traitante avec voix délibérative.
« Il en est de même, sur la demande des représentants du personnel de l'entreprise sous-traitante lorsque ceux-ci ont connaissance d'une décision telle que visée au premier alinéa du présent article.
« Le comité ainsi élargi, coprésidé par les deux employeurs ou leurs représentants, dispose des prérogatives prévues par les articles L. 434-6 et L. 321-4-1 du code du travail.
« La réunion des deux entreprises constitue le champ d'appréciation du motif économique et de l'effort de reclassement au sens de l'article L. 321-1.
« Le refus, par l'employeur de l'entreprise donneuse d'ordre, de convoquer le comité d'entreprise sur la demande de l'employeur ou des représentants du personnel de l'entreprise sous-traitante est sanctionné par les dispositions de l'article L. 483-1 du code du travail.
« Lorsque l'employeur de l'entreprise sous-traitante n'a pas fait usage de la procédure prévue par le présent article, la décision de l'entreprise donneuse d'ordre ne peut être invoquée, directement ou indirectement, comme motif de licenciement par l'entreprise sous-traitante. »
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Cet amendement est tiré de la proposition de loi relative à la prévention des licenciements que nous avons déposée sous la précédente législature.
Il concerne les entreprises sous-traitantes dont la dépendance vis-à-vis des entreprises donneuses d'ordre est telle qu'elles subissent immanquablement les conséquences des décisions de gestion de ces dernières.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 juin 1990, a considéré que la convergence d'intérêt était caractérisée du fait même de l'existence d'un lien de subordination existant entre les deux entreprises.
La loi de modernisation sociale a organisé l'information des entreprises sous-traitantes et de leurs comités d'entreprise lorsque le projet de restructuration de l'entreprise donneuse d'ordre est annoncé. Considérant déjà ces dispositions trop contraignantes, certains en avaient, à l'époque, demandé la suppression.
Pour éviter que les licenciements économiques prononcés à la suite de ces situations ne se fassent en l'absence de tout contrôle et pour faire en sorte que les salariés concernés bénéficient des mêmes procédures, des mêmes garanties en termes d'indemnités ou d'obligation de reclassement, nous proposons la mise en place d'un lien entre ces entités juridiques grâce à la mise en place d'un comité d'entreprise élargi, compétent pour examiner la motivation économique de la décision ainsi que le projet de plan social de l'entreprise donneuse d'ordre.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Cet amendement, s'il était adopté, créerait, si l'entreprise rencontre des difficultés économiques pouvant déboucher sur un licenciement collectif, une sorte de comité d'entreprise élargi qui comprendrait le comité d'entreprise de l'entreprise donneuse d'ordre et celui de l'entreprise sous-traitante ou ceux des entreprises sous-traitantes.
Je crains fort que la création d'une telle structure ne soulève d'importantes difficultés juridiques et ne soit guère adaptée dès lors qu'on se trouverait en présence d'un grand nombre d'entreprises sous-traitantes.
J'observe aussi que l'article 105 de la loi de modernisation sociale, dont l'application n'est pas supendue, prévoit déjà l'obligation pour les entreprises donneuses d'ordre de prévenir les entreprises sous-traitantes lorsque les restructurations peuvent avoir un impact sur le volume d'activité de ces dernières.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Tout d'abord, cet amendement concerne un article de la loi de modernisation sociale dont la suspension n'est pas prévue.
Ensuite, le dispositif qu'il vise à mettre en place ne me paraît pas cohérent avec les règles du droit du travail qui établissent la responsabilité de chaque chef d'entreprise.
Enfin, l'application de cet amendement serait extrêmement lourde pour des entreprises ayant de nombreux sous-traitants. La réunion d'un seul comité pour l'ensemble des entreprises concernées poserait des problèmes de compétence du comité et de confidentialité des informations.
Toutes ces raisons m'amènent à demander le rejet de cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 44.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 2