SEANCE DU 17 DECEMBRE 2002


M. le président. « Art. 5. - I. - Le premier alinéa de l'article L. 122-54 du code du travail est ainsi rédigé :
« Une procédure de médiation peut être engagée par toute personne de l'entreprise s'estimant victime de harcèlement moral. Elle peut être également mise en oeuvre par la personne mise en cause. Le choix du médiateur fait l'objet d'un accord entre les parties. »
« II. - Les deuxième, troisième et dernier alinéas du même article sont supprimés. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 17 est présenté par MM. Chabroux et Godefroy, Mme Printz et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.
L'amendement n° 52 est présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer cet article. »
La parole est à M. Gilbert Chabroux, pour défendre l'amendement n° 17.
M. Gilbert Chabroux. Il s'agit encore ici du harcèlement moral au travail.
Tout à l'heure, au cours de la discussion générale, j'ai dit que le harcèlement moral au travail était, hélas ! un phénomène très répandu. J'ai cité le Bureau international du travail, selon lequel la France est en tête des pays avancés pour la violence au travail. Quant à l'INSEE, il estime à sept millions le nombre de Français concernés et la médecine du travail évalue à plus de 90 % le nombre de médecins ayant eu connaissance d'au moins un cas de harcèlement au travail, et 21 % d'entre eux jugent ce phénomène fréquent.
Compte tenu des dispositions que vous envisagez de prendre, monsieur le ministre, nous verrons combien de cas seront jugés - sans doute très peu par rapport à ce nombre considérable que j'ai cité : sept millions de Français concernés - et vous pourrez alors constater que vous avez remis en cause une avancée sociale majeure.
De la même façon, vous remettez en cause également la rédaction du code du travail quant à la médiation en cas de harcèlement moral. Vous aggravez donc ces dispositions. Alors qu'un texte précis, qui procédait à une description détaillée de la procédure à suivre, avait été mis en place, vous poursuivez votre oeuvre de destruction en faisant, dans les faits, disparaître les garanties dues au salarié. Vous développez l'imprécision sur certains aspects, par exemple la procédure, et vous créez en même temps des dispositions qui rendront inévitablement la médiation inutilisable pour le salarié.
Il est ainsi tout à fait inopérant, dans un cas de conflit de personnes - avec ce que cela suppose de souffrance, peut-être ici ou là de mauvaise foi ou de rancoeur -, de demander que le médiateur soit choisi par accord entre les parties. C'est un véritable non-sens, et c'est en tenant compte de cela que nous avions pris la décision, d'ailleurs parfaitement classique, d'établir une liste de personnes qualifiées et présentant toutes les garanties morales nécessaires. Pour quelle raison ce qui est valable dans le cas du conseiller du salarié ne s'appliquerait-il pas ici ?
Au passage, vous profitez de ce texte pour faire disparaître toutes les garanties dont doit bénéficier le médiateur pour exercer sa difficile fonction. A l'inverse du conseiller du salarié, le médiateur ne bénéficiera plus ni de crédits d'heures, ni d'une protection spécifique contre le licenciement abusif, ni d'une formation. De fait, il ne pourra donc plus être un salarié en activité. Il s'agit sans doute, dans votre esprit, d'une sorte de sage dégagé de tout souci matériel.
La procédure, qui est encore encadrée, devient beaucoup plus aléatoire. Le médiateur n'aura plus à entendre les parties dans le délai d'un mois, puis à dresser un constat écrit de ce qu'il aura entendu. L'affaire pourra donc traîner et faire l'objet d'une vague conciliation orale. La médiation perdra ainsi de son utilité. C'est une erreur !
A ne vouloir ni voir les conflits portés devant le juge ni les résoudre par la conciliation, en empêchant que ne viennent au jour ces pratiques de harcèlement, vous risquez de laisser pourrir et s'aggraver des situations de désespoir qui aboutiront à des drames. Nous sommes absolument contre ce procédé et nous demandons la suppression de cette disposition.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour défendre l'amendement n° 52.
M. Guy Fischer. Notre collègue Gilbert Chabroux a déjà dit beaucoup de choses. Pas plus que l'aménagement de la charge de la preuve en matière de harcèlement nous n'acceptons l'aménagement voté par l'Assemblée nationale au sujet du statut du médiateur.
Il est nécessaire que le médiateur soit un tiers à l'entreprise, surtout dans les petites et moyennes entreprises.
Par ailleurs, nous ne voyons pas très bien comment il pourrait y avoir accord entre les deux parties sur la personne du médiateur.
De plus, il est très dommageable que le médiateur ne puisse formuler des propositions en vue de mettre fin au harcèlement moral.
La question de la santé mentale au travail semble vous gêner. Dès cet été, votre ministère a bloqué la diffusion de circulaires, alors que les textes d'application sur le médiateur étaient déjà pris. A ma connaissance, une quinzaine de départements ont tout de même mis en place les listes de ces intervenants extérieurs à l'entreprise.
Nous n'entendons pas participer à ce sabordage et nous souhaitons que les progrès déjà accomplis puissent se poursuivre. C'est pourquoi nous sommes attachés au maintient de la législation actuelle.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? M. Alain Gournac, rapporteur. Le dispositif que vous défendez était une usine à gaz ! Ce n'était pas simple : il fallait quand même y regarder plusieurs fois avant de comprendre.
Ces deux amendements identiques tendent à revenir sur l'aménagement réalisé à l'Assemblée nationale en ce qui concerne la procédure de médiation en cas de harcèlement.
Pour ma part, je considère que cet amendement est tout particulièrement opportun. Il prévoit l'exclusion du harcèlement sexuel du champ de cette médiation, à la demande, d'ailleurs, d'un député socialiste. Il ramène la procédure au sein de l'entreprise ; cette question ne peut être réglée efficacement que dans ce cadre. Il introduit la nécessité d'un accord entre les parties sur le choix du médiateur.
Toutes ces évolutions constituent, selon moi, autant de conditions indispensables pour que la procédure de médiation, en rapprochant les parties, prévienne toute procédure judiciaire. C'est pratiquement mot pour mot ce que je disais ici voilà un an !
La commission est donc défavorable à ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Je suis effaré par le déséquilibre du dispositif que vous défendez ! Je n'arrive pas à comprendre comment, en droit, on peut accepter qu'un médiateur, qui est là pour essayer de mettre d'accord deux parties, soit choisi par l'une d'entre elles. Cela s'appelle non pas un médiateur, mais un avocat à charge !
Dans ces conditions, ce n'est pas une usine à gaz, et le dispositif est assez simple : ou bien il y a médiation - c'est une bonne formule, mais cela suppose que les deux parties aient confiance dans le médiateur - ou bien on a recours au juge.
Pour notre part, nous n'excluons absolument pas le fait que la personne qui s'estime victime de harcèlement moral saisisse le juge. Maintenant, il existe un texte en la matière et je reconnais, de ce point de vue, l'avancée que représente la loi de modernisation sociale : elle donne une définition du harcèlement moral, avec une charge de la preuve qui n'est nullement déséquilibrée ; elle est conforme au droit français. Si la médiation peut fonctionner, c'est parfait. Sinon, on va devant le juge.
Mais une médiation qui consiste à aller chercher un intervenant extérieur contre l'avis de la personne qui est accusée, sans que celle-ci ait la possibilité de se défendre réellement, c'est un système très déséquilibré et qui est contraire, me semble-t-il, aux droits les plus élémentaires de chacun.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 17 et 52.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

Article 6