COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL

DE LA COUR DES COMPTES

M. le président. L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, nous sommes heureux de vous accueillir et nous souhaitons que vous garderez un bon souvenir de votre passage au Sénat. Si vous souhaitez y revenir, nous serons toujours heureux de vous accueillir, mais pas comme sénateur : le compte y est ! (Sourires.)

Vous avez la parole, monsieur le Premier président.

M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau du Sénat le rapport public annuel de la Cour des comptes, que j'ai remis hier à M. le Président de la République. (M. le Premier président de la Cour des comptes remet à M. le président du Sénat le rapport annuel de la Cour des comptes.)

Je suis sensible à l'honneur que me fait le Sénat en me permettant de lui présenter, dans cet hémicycle, les travaux que la Cour des comptes a effectués en 2003.

Depuis plus de dix ans, le rapport public n'est plus la seule publication de la Cour. Il est l'un de ses dix rapports pour l'année 2003. Outre la préparation du présent rapport, ses communications sur l'exécution de la loi de finances et sur la sécurité sociale, la Cour a consacré sept rapports thématiques à des sujets dont l'actualité n'a pas besoin d'être soulignée. Qu'il s'agisse des pensions des fonctionnaires, de la gestion du système éducatif ou encore de La Poste, les constats et les recommandations de la Cour ont été délivrés aux pouvoirs publics et à l'opinion au moment où ces sujets étaient en débat et où des décisions étaient en préparation.

C'est dire que nous avons essayé d'anticiper, au moment où nous avions programmé ces travaux, pour être le moment venu en phase avec l'événement. La Cour entend ainsi apporter sa contribution à la modernisation de la gestion de l'Etat et à l'évaluation des politiques publiques, en étant pleinement de son temps.

Mais le rapport public annuel reste spécifique. Tout d'abord, il est l'occasion de communiquer sur l'activité des juridictions financières.

Le rapport d'activité, publié depuis trois ans dans un fascicule distinct, est en effet un moyen de répondre aux questions qui nous sont de plus en plus souvent posées. Qui êtes-vous ? Comment travaillez-vous ? Qui décide de vos thèmes de contrôle ? Etes-vous efficaces ?

Cette curiosité est parfaitement légitime puisque nous critiquons, parfois durement, l'administration nationale ou territoriale, les entreprises publiques, et quelquefois même les associations.

Notre rapport d'activité de cette année tente de répondre à ces questions de manière plus concrète encore que les années précédentes. Nous y abordons, avec des exemples, le contenu même de notre travail. Nous décrivons ce qu'est le contrôle de la gestion, en restituant cette notion par rapport aux principes utilisés par nos homologues étrangers, en expliquant par la même occasion ce que pourra être le contrôle de la « performance », terme consacré par la nouvelle loi organique relative aux lois de finances.

Communiquer sur notre propre activité, c'est enfin montrer que, nous aussi, nous devons rendre compte.

Le rapport d'activité est aussi un vecteur de communication sur les effets des interventions de la Cour et des chambres régionales des comptes. Notre pouvoir est de dire les choses, en l'occurrence de les écrire aux ministres, au Parlement, ou de les publier par la voie des rapports publics. Les suites qui peuvent être données à nos communications sont donc aux mains d'autres que nous. Elles sont, notamment, entre vos mains.

Quant aux observations figurant dans le présent rapport annuel, elles pourront vous surprendre par la diversité des champs qu'elles abordent. Vous en connaissez la raison : nos compétences sont très variées puisque rien de ce qui concerne l'argent public ne nous est étranger. Elles le sont parfois trop, même, si l'on considère que nos compétences traditionnelles ont tendance à s'accroître, alors même que la Cour des comptes devra, à brève échéance, analyser l'exécution des missions et des programmes des administrations et certifier les comptes de l'Etat.

Le rapport est aussi très divers par la teneur de ses observations. Je distinguerai trois catégories qui me semblent pouvoir rendre compte des objectifs de contrôle de la Cour.

Certaines insertions contiennent des contributions à l'évaluation de certaines politiques publiques.

Il en va ainsi de l'insertion sur la professionnalisation des armées, qui établit un premier bilan de la manière dont le ministère de la défense a opéré une transformation radicale des armées en un minimum de temps et dans un cadre financier contraint.

Dans le même registre, la Cour dresse aussi un premier bilan de la réforme intervenue dans le secteur ferroviaire, avec la création en 1997 de Réseau ferré de France, RFF. Si le financement des infrastructures a été assaini, la croissance de la dette n'est pas encore arrêtée à ce jour.

On pourra aussi mettre dans cette catégorie les insertions relatives à la lutte contre l'alcoolisme, où nous soulignons les atermoiements, voire la défaillance de l'Etat qui s'est déchargé sur la Caisse nationale d'assurance maladie du poids de cette politique, et à la politique d'aide à la petite enfance, dont les effets positifs sont quasiment certains au regard des évolutions démographiques mais dont la Cour relève certaines contradictions internes.

D'autres insertions comportent une analyse et une appréciation sur des organisations et des systèmes.

C'est le cas de l'observation relative au rôle du ministère de la recherche, qui clôt une série de travaux sur ce secteur, engagés en 1999 par l'analyse des relations entre les établissements publics de recherche et leur ministère de tutelle. Elle tend à cerner les difficultés auxquelles se heurte la recherche en France, qu'il s'agisse de la question des crédits, de celle du renouvellement du personnel et des modes de recrutement, ou encore de celle des stratégies de recherche.

C'est aussi le cas d'autres insertions comme « l'Etat et le mouvement sportif national », qui analyse la difficile mutation des interventions traditionnelles du ministère à l'égard des fédérations sportives marquées, pour certaines d'entre elles au moins, par les effets de la médiatisation des résultats sportifs.

Enfin, figurent dans le rapport des insertions relevant du contrôle de la performance.

Je citerai l'analyse de la Cour sur le projet TGV Méditerranée, qui souligne les progrès de la SNCF et de RFF par rapport aux projets antérieurs, notamment le TGV Nord, dont la réalisation avait donné lieu, dans le rapport public de 1996, à de graves critiques de la Cour.

Je citerai également celle de grands programmes civils du Commissariat à l'énergie atomique, qui montre en fait une certaine difficulté à réagir rapidement et à arbitrer l'allocation de moyens désormais comptés.

Je citerai, enfin, l'insertion consacrée aux agences de l'eau, qui s'attache à analyser les résultats du septième programme des agences, achevé en 2002 : il s'agit d'un élément essentiel de la préservation de la ressource en eau, au coeur des débats actuels sur la politique de l'eau.

Je ne mentionnerai pas chacune des vingt-quatre insertions du rapport, qui sont, à mes yeux, toutes représentatives soit de difficultés juridiques ou financières que rencontrent l'action de l'Etat ou celle des collectivités territoriales, soit de dérives nées de choix inappropriés ou de contrôles internes insuffisants.

Leur diversité montre aussi que la Cour a changé : elle ne livre plus seulement la litanie des « incidents », qu'il s'agisse des erreurs d'appréciation ou des irrégularités commises par les gestionnaires ; elle souhaite contribuer au débat sur des questions complexes qui sont le lot des décideurs, gouvernants ou parlementaires.

Mais je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer le chantier que représente la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances.

Dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 2002 qu'elle vous a remis en juin dernier, la Cour s'est inquiétée du retard pris par certaines administrations à se préparer à cette nouvelle Constitution budgétaire. Nous continuerons d'apporter au Sénat toute l'assistance souhaitée dans l'analyse de la maquette des missions et des programmes de l'Etat. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, si cette réforme devait se limiter à une présentation nouvelle, certes plus attrayante, des dépenses et des recettes de l'Etat, une occasion unique de rénover en profondeur la gestion publique aurait été manquée.

Pour ce qui la concerne, la Cour accordera une priorité particulière à cette partie de ses missions, dans laquelle elle voit à la fois une puissante incitation et un point d'application privilégié de sa propre modernisation. Pour ce faire, je forme le voeu que le Sénat veuille bien soutenir la Cour dans ses demandes de renforcement de ses moyens, indispensables à ses nouvelles missions.

Enfin, je me permets de me féliciter des relations particulièrement fructueuses qui se sont nouées entre votre Haute Assemblée et la Cour des comptes. Depuis bientôt trois années, la commission des finances et la Cour ont su faire vivre les dispositions de la nouvelle loi organique, et particulièrement celles de son article 58 : au total, pas moins de douze rapports auront été remis par la Cour à la commission entre 2002 et la fin de 2004, et la Cour se félicite que votre commission des finances, sur l'impulsion du président Arthuis, organise une audition des ministres ou hauts fonctionnaires compétents pour débattre des conclusions de chacun de ces rapports.

La Cour est aussi particulièrement sensible au vif intérêt que portent la commission des affaires sociales et son président, M. About, au rapport annuel sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Merci !

M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes. J'espère qu'à l'avenir la Cour saura toujours mieux éclairer le débat public et faire prévaloir les principes de la bonne gestion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt de ce rapport.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, mes chers collègues, comme à son accoutumée, M. le Premier président de la Cour des comptes a brillamment résumé le rapport public annuel qu'il vient de déposer au Sénat, après l'avoir remis hier à M. le Président de la République, puis à l'Assemblée nationale.

Je vous prie d'ailleurs de bien vouloir excuser ce décalage inhabituel d'une journée entre la présentation de ce rapport à l'Assemblée nationale et son dépôt au Sénat, décalage dû au fait que la commission des finances était réunie lundi et mardi à Compiègne, sur l'invitation de notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, pour un séminaire de réflexion de deux jours sur l'organisation de ses missions de contrôle et sur la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Cela explique, mes chers collègues, que le rapport annuel de la Cour des comptes ne soit distribué qu'aujourd'hui à l'ensemble des parlementaires, alors que ses principales conclusions ont été évoquées hier à l'Assemblée nationale.

Je souhaite d'ailleurs remercier M. le Premier président de la Cour des comptes de ce calendrier accommodant, qui soumet la Cour à une forte pression de la part des médias.

Cette pression est légitime, car le « cru 2003 » des observations des juridictions financières est particulièrement intéressant.

En effet, outre le faisceau d'études ponctuelles qui illustrent les carences récurrentes de l'Etat en matière de politique immobilière, de gestion des ressources humaines et de réflexion stratégique, justifiant a contrario, s'il en était encore besoin, la démarche de modernisation de la gestion budgétaire engagée avec la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, la Cour des comptes propose cette année de nombreux éclairages sur des politiques transversales, comme l'aide à la petite enfance, la professionnalisation des armées ou la lutte contre l'alcoolisme.

Intitulée Le Rôle du ministère de la recherche et ses moyens d'action, l'une de ces études présente notamment une analyse d'une brûlante actualité sur « la crise de confiance entre les acteurs de la recherche », dont la Cour souligne que l'origine « remonte à plusieurs années ».

Quoi qu'il en soit, ce rapport public annuel ne constitue que la figure de proue de la mission d'assistance au Parlement que l'article 47 de la Constitution a confiée à la Cour des comptes, mission dont je souhaiterais, à mon tour, souligner les récents développements et les résultats fructueux.

Tout d'abord, comme l'expose de manière détaillée le rapport d'activité des juridictions financières, la Cour des comptes transmet en temps utile au Parlement une part croissante du produit de ses investigations. Ainsi, les référés du Premier président de la Cour aux ministres et les réponses desdits ministres sont désormais transmis de droit aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Ces procédures sont extrêmement précieuses, et je tiens à vous dire, monsieur le Premier président, et, à travers vous, à l'ensemble des magistrats de la Cour des comptes, que les documents qui nous sont ainsi transmis sont lus avec la plus grande attention à la commission des finances du Sénat, au point que nous souhaiterions parfois que la Cour formule des dignostics moins précautionneux et des recommandations plus précises. (Sourires.)

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, la commission des finances du Sénat a d'ailleurs défendu, non sans succès, des amendements courageux directement issus des recommandations de la Cour, comme celles qui sont relatives au coût et à l'absence de contrôle de « l'indemnité temporaire » majorant depuis 1952 les pensions des fonctionnaires de l'Etat qui choisissent de passer leur retraite dans un territoire d'outre-mer ou à la Réunion.

Plus généralement, je tiens à souligner que près des trois quarts des cinquante-huit rapports publiés cet automne par la commission des finances s'appuient sur des travaux de la Cour des comptes, citée à plus de cinq cents reprises.

Au-delà du succès de ces procédures d'information du Parlement, je voudrais aussi me féliciter du climat fructueux qui préside aux relations entre la Cour des comptes et la commission des finances du Sénat pour la mise en oeuvre des dispositions des deux premiers alinéas de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001. Jusqu'à présent, nous avions surtout eu recours au deuxième alinéa de cet article ; l'année 2004 s'annonce prometteuse s'agissant du premier alinéa !

L'année 2003 aura ainsi permis de définir les modalités d'exploitation par la commission des finances des enquêtes demandées à la Cour des comptes dans le cadre de l'article 58, 2°, de la loi organique, neuf de ces enquêtes ayant été reçues à ce jour.

L'une d'entre elles a fait l'objet d'une audition de la commission des finances du Sénat, mais elle n'a pas été rendue publique afin de préserver la confidentialité d'éléments relatifs à la stratégie d'une entreprise. Quatre enquêtes ont donné lieu à des rapports d'information de la commission des finances et les quatre autres seront exploitées dans les semaines à venir.

Aussi, je crois pouvoir affirmer que les modalités retenues - audition conjointe par la commission des finances des magistrats de la Cour ayant conduit l'enquête ainsi que des responsables de l'organisme contrôlé ou du ministre concerné puis, sauf circonstances exceptionnelles, publication, dans un rapport d'information de la commission, du procès-verbal de cette audition, de l'enquête de la Cour et des réponses de l'organisme concerné ou du ministère - fonctionnent désormais à la satisfaction de l'ensemble des parties. Par cela, j'entends la satisfaction non seulement de la commission des finances, ainsi éclairée, mais aussi, d'une part, des magistats de la Cour, qui trouvent un débouché tangible à leurs investigations, et, d'autre part, des responsables des organismes contrôlés, qui ont l'occasion de s'expliquer publiquement.

Quant à 2004, nous sommes convenus que cette année serait l'occasion d'expérimenter la procédure de l'article 58, 1°, de la loi organique, qui permet à des magistrats de la Cour des comptes d'apporter concrètement leur concours à des contrôles de la commission des finances. Cette aide précieuse sera mise à la disposition des rapporteurs spéciaux, mais la Cour n'engagera pas son autorité, elle apportera son expertise.

Ce faisant, j'ai bien conscience que nous accroissons la charge de travail de la Cour des comptes. Or la Cour est également confrontée au défi majeur que constitue la mise en place de la certification des comptes de l'Etat.

Enfin, rançon de la confiance que le législateur attache à la Cour des comptes, celle-ci se voit sans cesse confier de nouvelles responsabilités, comme ce fut le cas en 2003, puisque la loi du 1er août 2003 relative au mécénat a étendu la compétence de la Cour au contrôle des dépenses financées par des dons ouvrant droit à avantage fiscal, et que la loi du 30 juillet 2003 a prévu le recours aux juridictions financières pour résoudre certaines questions relatives aux fédérations de chasse.

Ces évolutions soulèvent évidemment la question des moyens des juridictions financières. Certes, si ceux des chambres régionales des comptes sont stables, ceux de la Cour des comptes s'inscrivent en légère augmentation depuis 2001. En outre, je connais, monsieur le Premier président, les efforts que vous déployez pour accroître l'efficience de vos services, et je ne doute pas que les magistrats financiers aient à coeur de faire du futur programme « Juridictions financières », dont je salue la création, un modèle en matière de gestion publique.

Cela étant, je crains, comme vous, monsieur le Premier président, que ces efforts ne suffisent pas, conscient que je suis de l'ampleur de la tâche.

Mais je puis vous l'assurer, monsieur le Premier président, la commission des finances du Sénat s'attachera à ce que la Cour des comptes dispose des moyens nécessaires à la mise en oeuvre des nouvelles missions que lui a confiées le Parlement, notamment sous la forme de crédits d'études et de postes d'assistants techniques.

Nous nous interrogeons, d'ailleurs, sur l'opportunité de ranger le programme « Juridictions financières » au sein de la mission ministérielle « Gestion et contrôle des finances publiques ». En effet, l'obligation de certifier la régularité et la sincérité des comptes de l'Etat suppose une déontologie et une indépendance qui requièrent elles-mêmes des garanties quant à vos moyens, monsieur le Premier président.

Nous aurons, dans les prochaines semaines, l'occasion d'en débattre avec le Gouvernement et, s'agissant de vos moyens et de votre statut, mais aussi de votre place par rapport à ces missions et à ces programmes, je suis convaincu que nous rencontrerons l'assentiment de notre ancien collègue Alain Lambert qui, à l'occasion du dépôt au Sénat du rapport annuel de la Cour pour 2001, estimait déjà indispensable que la Cour des comptes soit le maillon fort de la mise en oeuvre de la loi organique, et donc de la nouvelle Constitution financière de la République. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mes chers collègues, permettez au président de la commission des affaires sociales de s'associer aux propos du président de la commission des finances, mon ami Jean Arthuis.

Je tiens simplement à remercier M. le Premier président de la Cour des comptes de sa disponibilité et de ses conseils, ainsi que des analyses de la Cour, auxquelles la commission des affaires sociales attache la plus grande importance et dont elle tire toujours des enseignements de qualité.

Monsieur le Premier président, merci ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est reconduit selon le même cérémonial qu'à son entrée dans l'hémicycle.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

3

FORMATION PROFESSIONNELLE

ET DIALOGUE SOCIAL

Suite de la discussion

d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 133, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. [Rapport n° 179 (2003-2004).]

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux amendements tendant à insérer un article additionnel après l'article 8.

Articles additionnels après l'article 8

Art. 8 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social
Art. 9

M. le président. L'amendement n° 93, présenté par M. Chabroux, Mme Printz, MM. Sueur, Weber et Plancade, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :

« Après l'article 8, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Dans un délai de deux ans à compter de la date de promulgation de la présente loi, un accord national interprofessionnel étendu ou une convention de branche ou un accord collectif étendu fixe les conditions de transfert du droit individuel de formation du salarié visé à l'article L. 933-1 du code du travail, en cas de mutation d'un établissement à un autre ou dans une filiale du même groupe et les conditions de transfert de ce droit d'une entreprise à une autre dans le cadre d'un reclassement, d'un licenciement ou de la démission du salarié. »

La parole est à M. Gilbert Chabroux.

M. Gilbert Chabroux. Il s'agit d'un amendement de précision qui porte sur la transférabilité du DIF, le droit individuel de formation. Nous ne pouvons pas en effet aborder ce principe sans en évoquer les modalités.

Nous savons tous que nombre de salariés changent fréquemment d'emploi. Environ 25 % d'entre eux changent d'emploi au moins une fois tous les cinq ans. Il est donc essentiel que la transférabilité devienne effective, y compris pour ces personnes qui changent d'entreprise.

Nous proposons donc que les partenaires sociaux poursuivent le travail qu'ils ont bien engagé mais qui doit se prolonger, le législateur leur donnant, en quelque sorte, l'impulsion. Cela permettrait de donner suite à l'échange fructueux que nous avons eu jusqu'à présent sur le thème de la formation.

J'ajoute que cette disposition devrait concerner toutes les formes de travail, ce qui impliquerait une sorte de péréquation, au moins par branche.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Annick Bocandé, rapporteur de la commission des affaires sociales. Je partage votre souhait, mon cher collègue, d'une plus grande transférabilité du droit individuel de formation. Toutefois, le système retenu par les partenaires sociaux étant le résultat d'un compromis, il n'est que la première étape d'une réforme qu'ils sont convenus d'améliorer, de telle sorte que, si nous prenions l'initiative de la compléter, nous risquerions de bouleverser l'architecture financière du droit individuel de formation tel qu'il est présenté dans cet article.

Je vous rappelle que les entreprises ont déjà consenti un effort financier exceptionnel pour faire du droit individuel de formation un droit réel pour les salariés. Il ne faut pas que nous découragions cet effort.

Enfin, les partenaires sociaux ont déjà décidé de se réunir d'ici à 2006 pour évaluer les effets des mesures qu'ils ont instaurées.

Dans ces conditions, je souhaiterais connaître l'avis du Gouvernement sur ce point.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes tous soucieux de donner au droit individuel à la formation une véritable transférabilité.

Il est clair que ce nouveau droit individuel à la formation tout au long de la vie ne sera complet que lorsqu'il sera parfaitement transférable. Pour le moment, nous n'en sommes pas encore tout à fait là.

Les partenaires sociaux sont parvenus à un accord qui représente une avancée considérable par rapport au passé mais qui n'est pas l'aboutissement du processus que nous souhaitons.

Actuellement, une certaine inquiétude existe chez les responsables d'entreprise qui craignent d'avoir à former des salariés qui les quitteront immédiatement après pour aller travailler dans l'entreprise concurrente.

Il faut donc que le système se mette en place pour que l'on puisse démontrer que ce danger n'existe pas et que la généralisation de son application apaise les craintes qu'éprouvent les responsables des entreprises.

Je souhaite donc que tous les amendements concernant la transférabilité soient repoussés de façon à laisser aux partenaires sociaux la pleine responsabilité de l'évolution de l'accord qu'ils ont signé.

M. le président. Monsieur Chabroux, l'amendement est-il maintenu ?

M. Gilbert Chabroux. Je comprends bien qu'il faille laisser un peu de temps, mais ce que nous proposons ne constitue qu'une incitation. Nous demandons que soit confiée à une négociation nationale interprofessionnelle la mise en oeuvre, dans un délai de deux ans, d'une transférabilité plus large du droit individuel à la formation acquis par le salarié d'un établissement à un autre ou d'une filiale à une autre d'un même groupe et d'une entreprise à l'autre, quelle que soit la nature de la rupture du contrat de travail, qu'elle soit à l'initiative de l'employeur ou à celle du salarié.

Il nous semble qu'il serait naturel d'aller dans ce sens ; c'est pourquoi nous maintenons cet amendement !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 93.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 197, présenté par MM. Mercier, J. Boyer et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :

« Après l'article 8, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Pour les professions agricoles définies aux 1° à 4° de l'article L. 722-1 du code rural, un accord de branche étendu peut déroger aux dispositions prévues par les articles L. 933-1 à L. 933-6 du code du travail, dès lors qu'il serait mis en place un droit individuel de formation en agriculture avec obligation pour les employeurs agricoles d'en mutualiser le financement par le versement d'une partie, fixée par l'accord, des contributions formation prévues aux articles L. 951-1 et L. 952-1 du code du travail à l'organisme paritaire agréé pour ces professions. »

L'amendement n° 216 rectifié, présenté par M. César, Mme Rozier et M. Fouché, est ainsi libellé :

« Après l'article 8, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Pour les professions agricoles définies aux 1° à 4° de l'article L. 722-1 du code rural et pour les coopératives d'utilisation de machines agricoles, des accords de branche étendus, conclus avant le 30 juin 2004, peuvent prévoir une mutualisation du financement du droit individuel à la formation par l'affectation d'une partie des contributions formation et avec obligation de versement à l'organisme paritaire agréé. Les accords pourront adapter les dispositions prévues par les articles L. 933-1 à L. 933-6 du code du travail pour permettre la mise en oeuvre et la gestion de cette mutualisation. »

La parole est à M. Jean Boyer, pour présenter l'amendement n° 197.

M. Jean Boyer. Les secteurs agricoles composés à plus de 80 % d'entreprises de moins de dix salariés, employant 600 000 saisonniers par an, nécessitent que soient définies des politiques de formation spécifiques et adaptées à leurs contextes particuliers.

Dès lors, il est indispensable de permettre aux partenaires sociaux agricoles de construire un droit individuel à la formation en agriculture répondant à la situation particulière de ce secteur agricole. La mutualisation en matière d'emploi et de formation constitue souvent une base du dialogue social en agriculture.

L'amendement que nous proposons permettrait à ce dialogue social de pouvoir s'exprimer. La possibilité de déroger aux dispositions prévues pour les autres secteurs par le projet de loi favoriserait l'élaboration par les partenaires sociaux agricoles d'un système adapté aux besoins, aux spécificités et aux mutations à venir du monde agricole.

La mutualisation prévue par l'amendement a pour objet de donner une garantie supplémentaire à ce nouveau droit dans des secteurs composés de petites entreprises et d'en favoriser le développement.

La mutualisation permet par ailleurs une simplification de la gestion et du suivi pour les employeurs de ces secteurs.

M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier, pour défendre l'amendement n° 216 rectifié.

Mme Janine Rozier. Cet amendement concerne également la mutualisation de la profession agricole.

En effet, la mutualisation en matière d'emploi et de formation est souvent utilisée dans le dialogue social en agriculture pour garantir les droits individuels des salariés tout en simplifiant la gestion et le suivi pour les petites entreprises agricoles.

Il est indispensable que les professions agricoles, composées à plus de 80 % d'entreprises de moins de dix salariés, puissent construire leur politique de formation dans le contexte qui est le leur : incidences de la réforme de la PAC, crises successives - marchés, conditions climatiques, crises sanitaires -, augmentation du coût du travail, commerce international.

Dès lors, il est nécessaire de permettre aux partenaires sociaux agricoles de construire un droit individuel à la formation en agriculture adapté à ces professions et s'appuyant sur les dispositifs souhaités par ces partenaires sociaux.

L'amendement que nous proposons favoriserait le dialogue social en agriculture. La mutualisation prévue par l'amendement a pour objet de donner une garantie supplémentaire à ce nouveau droit dans des secteurs composés de petites entreprises et d'en favoriser le développement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Annick Bocandé, rapporteur. L'article 32 bis du projet de loi tient déjà compte des spécificités agricoles en mettant en place une mutualisation renforcée des fonds de formation. La dérogation ainsi instituée se justifie pleinement en raison des difficultés financières des métiers agricoles.

S'agissant plus particulièrement du DIF, je vous rappelle, mes chers collègues, qu'il est déjà ouvert aux professions agricoles dans le cadre du droit commun. La dérogation proposée me semble donc prématurée ; il serait sans doute préférable d'ouvrir une réelle concertation avant d'aller plus avant.

C'est pourquoi je demande aux auteurs de ces deux amendements de bien vouloir les retirer.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Fillon, ministre. L'Assemblée nationale a déjà adopté un amendement à l'article 32 bis qui constitue une dérogation pour les professions agricoles en matière financière. Cet amendement fait d'ailleurs l'objet des critiques les plus vives de la part des confédérations syndicales, qui considèrent que cette disposition n'est pas parfaitement conforme à l'équilibre qu'ils avaient trouvé.

Aller au-delà, c'est-à-dire décider aujourd'hui à la place des partenaires sociaux d'un dispositif de mutualisation, ce serait rompre complètement avec l'équilibre qui a été trouvé. Les arguments que j'employais tout à l'heure à l'égard de l'opposition, qui salue l'accord historique mais n'a de cesse de vouloir le modifier,...

M. Gilbert Chabroux. L'enrichir !

M. Roland Muzeau. L'améliorer !

M. François Fillon, ministre ... sont également valables sur ce point pour la majorité.

Parler de l'enrichir, c'est une imposture (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), parce que cela implique de modifier l'équilibre (Protestations sur les mêmes travées)...

M. le président. Messieurs de l'opposition, vous avez été écoutés dans le silence, veuillez avoir l'élégance de faire preuve de la même courtoisie à l'égard de M. le ministre.

Poursuivez, monsieur le ministre.

M. François Fillon, ministre. Ce que l'opposition appelle enrichir l'accord, c'est seulement rompre l'équilibre en faveur d'une des parties à l'accord.

M. Gilbert Chabroux. Non, c'est ajouter quelque chose !

M. François Fillon, ministre. Il est clair que c'est en raison d'attitudes comme celle-là que vous avez obtenu si peu d'accords interprofessionnels quand vous étiez au pouvoir ! Comment voulez-vous que des partenaires sociaux s'engagent dans des négociations s'ils savent qu'à la suite de ces négociations, de toute façon, le Parlement remettra en cause les équilibres !

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. François Fillon, ministre. Le dialogue social demande beaucoup d'efforts et d'humilité.

C'est pourquoi, en l'occurrence, je demande à leurs auteurs de retirer ces deux amendements.

M. le président. Monsieur Boyer, maintenez-vous votre amendement ?

M. Jean Boyer. Compte tenu des éléments qui viennent de nous être apportés, j'ai conscience que ma proposition est un peu prématurée ; je retire donc cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 197 est retiré.

Madame Rozier, maintenez-vous votre amendement ?

Mme Janine Rozier. Monsieur le ministre, ce n'est pas très aimable d'avoir comparé mes arguments à ceux de l'opposition ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Néanmoins, je retire mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 216 rectifié est retiré.