Art. 1er
Dossier législatif : proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple  ou commises contre les mineurs
Art. 2

Articles additionnels après l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Courteau et  Bel, Mmes M. André et  Alquier, MM. Assouline et  Bodin, Mmes Boumediene-Thiery,  Y. Boyer,  Bricq,  Cerisier-ben Guiga et  Demontes, MM. Guérini et  Lagauche, Mme Le Texier, M. Mauroy, Mmes Printz,  Schillinger et  Voynet, MM. Angels et  Auban, Mme Bergé-Lavigne, M. Besson, Mme Blandin, MM. Bockel,  Boulaud et  Caffet, Mme Campion, MM. Carrère,  Cazeau,  Charasse,  Collomb,  Collombat,  Courrière,  Dauge,  Demerliat,  Desessard,  Domeizel et  Dreyfus-Schmidt, Mme Durrieu, MM. Dussaut,  Frimat,  Frécon,  C. Gautier,  Gillot,  Godefroy et  Haut, Mmes Herviaux et  Hurel, M. Journet, Mme Khiari, MM. Krattinger,  Labarrère,  Labeyrie,  S. Larcher,  Lejeune,  Le Pensec,  Lise,  Madec,  Madrelle,  Mahéas,  Marc,  Masseret,  Massion,  Mélenchon,  Mermaz,  Michel,  Miquel,  Moreigne,  Pastor,  Percheron,  Peyronnet,  Picheral,  Piras,  Plancade,  Raoul,  Raoult,  Reiner,  Repentin,  Ries,  Roujas et  Rouvière, Mme San Vicente, MM. Saunier,  Sergent,  Siffre,  Signé,  Sueur et  Sutour, Mme Tasca, MM. Teston,  Todeschini,  Trémel,  Vantomme,  Vidal,  Vézinhet et  Yung, est ainsi libellé :

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le troisième alinéa (2°) de l'article 41-1 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ... - Demander à l'auteur des faits de se présenter dans une antenne de psychiatrie et de psychologie légales afin qu'il soit établi un diagnostic. Ce diagnostic pourra conduire le procureur de la République à obliger l'auteur violent à se soumettre à un suivi psychologique spécifique ».

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. En vertu de l'article 41-1 du code de procédure pénale, « s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, [...] le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, procéder à un certain nombre de mesures.

Parmi ces mesures figure la possibilité de « procéder au rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant de la loi », de « demander à l'auteur des faits de réparer le dommage résultant de ceux-ci, et de « faire procéder [...] à une mission de médiation entre l'auteur des faits et la victime ». Le procureur de la République peut également « orienter l'auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle ».

L'amendement n° 6 rectifié vise à compléter la liste des mesures qui sont à la disposition du procureur de la République. Il prévoit, pour ce dernier, la possibilité de proposer à l'auteur des violences « de se présenter dans une antenne de psychiatrie et de psychologie légales afin qu'il soit établi un diagnostic » permettant d'écarter les personnes les plus dangereuses. Le procureur de la République aura la possibilité d'imposer aux personnes les moins dangereuses un suivi psychologique spécifique. C'est une sorte de « classement sous condition ».

Toutefois, il est essentiel que ce suivi soit effectif. Dans le cas contraire, comme le prévoit le dernier alinéa de l'article 41-1 du code de procédure légale, le procureur de la République pourra engager des poursuites.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Henri de Richemont, rapporteur. Cet amendement vise à compléter l'article 41-1 du code de procédure pénale, afin de donner au procureur de la République la possibilité d'obliger l'auteur de violences à se soumettre à un suivi psychologique spécifique.

Or l'article 41-1 prévoit d'ores et déjà que le procureur de la République peut, avant la mise en mouvement d'actions publiques, orienter l'auteur des faits vers une structure sanitaire. Cet amendement me paraît donc inutile puisqu'il est satisfait par cet article.

Dans ces conditions, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Ameline, ministre. Je ne reprendrai pas l'argumentation que M. le rapporteur vient excellemment de développer.

La loi confère déjà au parquet la possibilité d'orienter l'auteur des faits violents vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle. Cette personne devra donc se présenter dans une antenne de psychiatrie et de psychologie légales.

J'ajoute - c'est important - que cette pratique est déjà utilisée par nombre de parquets. Elle est d'ailleurs préconisée dans le guide de l'action publique relatif à la lutte contre les violences au sein du couple. Elle est même très précisément décrite aux pages 76 et 77 de ce rapport qui indiquent notamment que l'auteur des violences doit faire l'objet d'une prise en charge pluridisciplinaire associant notamment psychologues, conseillers conjugaux et infirmiers psychiatriques.

Je suis personnellement très sensible au développement de tels soins. Nous accompagnons sur le territoire une dizaine d'associations qui prennent en charge les hommes violents. Je mesure l'effort à poursuivre ; ces structures sanitaires, sociales ou professionnelles constituent une réponse parmi d'autres - mais une réponse importante -, à ces situations.

En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 28, présenté par Mmes Dini et  G. Gautier, est ainsi libellé :

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 222-33-2 du code pénal, est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Est puni des mêmes peines, le fait pour une personne de harceler son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, par des agissements répétés ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale. »

La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Cet amendement a pour objet d'incriminer le fait pour une personne de harceler moralement son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, au même titre que les violences physiques.

Les violences psychologiques au sein du couple, notamment envers les femmes, sont quelquefois difficiles à prouver.

Cet amendement vise à faire en sorte que le harcèlement sexuel ou psychologique au sein du couple soit considéré comme une violence, et soit donc puni des mêmes peines que les autres formes de harcèlement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Henri de Richemont, rapporteur. Cet amendement vise à incriminer spécifiquement les violences psychologiques commises au sein du couple. Il est indéniable que les violences peuvent avoir une dimension psychologique, mais le principe d'une telle incrimination n'a pas été retenu par la commission, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, il est souvent difficile d'établir un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice.

Ensuite, il est important de souligner que la jurisprudence considère que l'infraction de violence concerne aussi bien les violences psychologiques que les violences physiques. Sous le vocable « violences » sont regroupés ces deux éléments.

A plusieurs reprises, la Cour de cassation a rappelé que la seule condition requise tient à l'existence d'un acte sciemment commis dans l'intention d'atteindre la personne d'autrui. Par conséquent, à partir du moment où un acte, qu'il soit physique ou psychologique, est sciemment commis à cet effet, il tombe sous le coup de la loi. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Il n'est pas nécessaire de faire de la violence psychologique un fait distinctif alors, d'une part, qu'il est très difficile de définir cette notion et, d'autre part, que la jurisprudence considère sous le vocable « violences » toutes les violences physiques et psychologiques.

Il serait tout à fait dommageable, me semble-t-il, qu'un amendement de cette nature, une fois voté, aille à l'encontre d'une jurisprudence absolument constante permettant au juge de retenir, à partir des faits qui lui sont soumis, la notion de violences, qu'elles soient physiques ou psychologiques.

Il est donc inutile de préciser les diverses catégories de violences.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Ameline, ministre. Madame Dini, vous avez parfaitement raison de mettre en exergue les violences psychologiques, qui sont importantes et doivent être prises en compte.

Je confirme, à la suite de M. le rapporteur, que les violences, qu'elles donnent ou non lieu à une ITT, peuvent faire l'objet d'une condamnation. Effectivement, la jurisprudence reconnaît les violences psychologiques.

La difficulté réside plutôt dans la détection et la preuve de telles violences.

De ce point de vue, je relève la préoccupation qui est exprimée. Je peux ainsi vous répondre que nous entreprenons actuellement, avec l'ordre des médecins, une action de sensibilisation particulière du corps médical, notamment sur la rédaction des certificats médicaux et sur le retentissement psychologique qu'il convient de décrire lorsque ces violences existent.

Au nom du Gouvernement, j'émets, comme la commission, un avis défavorable ; toutefois, madame Dini, je voulais vous rassurer pleinement sur le fait que, grâce aux certificats médicaux, la détection de ces violences sera renforcée.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier, pour explication de vote.

Mme Gisèle Gautier. Je souhaiterais simplement poser une question qui relève du bon sens : sur quels critères convient-il de s'appuyer pour détecter les harcèlements psychologiques ou moraux qui détruisent les femmes ou les hommes qui en sont les victimes ? Je vous le demande à vous, les uns et les autres, que vous soyez médecin ou magistrat. J'attends simplement une réponse.

A l'occasion de mon intervention lors de la discussion générale, j'ai précisé que les violences morales ou psychologiques faites aux femmes ne laissent aucune trace physique. Cela relève du virtuel, allais-je dire - c'est un mot dans l'air du temps ! Sur quels critères peut-on alors s'appuyer pour affirmer que le harcèlement qu'exerce une personne sur son conjoint, son concubin, son partenaire par des agissements répétés est puni des mêmes peines que celles qui sont prévues pour les violences physiques ?

Encore une fois, je suis très étonnée de notre discussion de ce soir. Monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, vous n'avez procédé à aucune audition ! C'est impossible !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si ! Je vais vous expliquer...

Mme Gisèle Gautier. Laissez-moi parler ! Pardonnez mon ire, mais le fait que nous n'allions pas au fond des choses me met en colère !

Après avoir auditionné des femmes, des hommes aussi - il ne faut pas sexuer les violences perpétrées à l'égard de l'être humain -, on ne peut pas délibérément admettre que le harcèlement moral n'est ni répété ni patent. Il faut aller jusqu'au fond des choses. En effet, le sujet abordé ce soir est extrêmement grave, nous avons l'occasion d'en discuter en profondeur, et ce même s'il faut y passer du temps.

C'est la raison pour laquelle je pose encore une fois la question : sur quels critères s'appuie-t-on pour reconnaître les violences de harcèlement moral ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Henri de Richemont, rapporteur. J'ai précédemment affirmé que cet amendement me paraissait inutile compte tenu de la jurisprudence ; à ce titre, je voudrais faire référence à un arrêt de principe de la Cour de cassation : « la cour d'appel qui, pour retenir la culpabilité du prévenu, relève que la victime [...] a subi des perturbations du sommeil et des manifestations anxieuses entraînant un traumatisme psychologique, et ajoute que ces faits caractérisent l'infraction de violences avec préméditation, s'agissant d'un "comportement persécutoire" à l'égard de la victime ». Voilà la jurisprudence de la Cour de cassation qui fait autorité.

Ainsi, comme l'a indiqué tout à l'heure Mme la ministre, les tribunaux, sur la base de certificats médicaux, peuvent retenir les violences psychologiques comme fondement d'une infraction. Il n'est donc pas nécessaire d'ajouter une incrimination particulière dans la mesure où la violence peut être physique comme psychologique.

Les tribunaux condamnant les faits qui leur sont soumis lorsqu'ils ont pour conséquence un traumatisme psychologique tel que ceux que je viens de rappeler, je ne vois pas ce que votre amendement apporterait de plus par rapport à la jurisprudence de la Cour de cassation, déjà très claire !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, je suis confus d'avoir provoqué votre ire.

J'ai la chance, comme d'autres ici, d'avoir participé à l'élaboration du code pénal. D'ailleurs, j'aurais souhaité qu'on ne touche pas à ce code pendant dix ans, car, à force de le modifier, on entre trop dans le détail alors qu'il convient d'avoir une vision globale.

Chère madame, vous confondez à mon avis deux choses : le fait d'incriminer les violences morales - le rapporteur vous a très bien expliqué que ces violences morales étaient parfaitement incriminées, au même titre que les violences physiques, dans l'article que vous citez -, et la difficulté de produire la preuve des violences morales, constat qui ressort des auditions. Ce qui soulève un problème, c'est non pas l'incrimination en tant que telle, mais la preuve.

Il est vrai que la preuve n'est pas toujours facile à apporter. Le magistrat saisi d'une plainte doit bien entendu disposer d'éléments de preuve pour pouvoir prononcer une condamnation. Il peut éventuellement s'agir d'un examen psychologique ou psychiatrique, des faits que la victime peut relater, des témoignages qu'elle peut recueillir. Tous ces éléments peuvent permettre la sanction des violences morales, qui sont parfois très graves et sont d'ailleurs susceptibles d'entraîner des conséquences extrêmement sérieuses.

Madame Gautier, le droit pénal, tel qu'il est, permet de poursuivre ces violences morales.

La difficulté - et madame le ministre, peut-être faudrait-il faire un appel à tous les parquets à cet égard - réside dans le fait qu'on a parfois l'impression, lorsque certains agissements ne font l'objet d'aucune poursuite, qu'il n'y a pas de politique pénale dans ce domaine.

Mme Nicole Ameline, ministre. Mais si !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Une telle politique pénale existe certes, mais elle n'est pas suffisante ! Il y a encore des efforts à faire, des instructions précises à donner afin qu'il y ait des politiques de parquet, que l'on ne classe pas sans suite, comme cela arrive encore, des agissements qui ne paraissent pas trop graves...

Madame Gautier, voilà ce que je souhaitais simplement rappeler.

C'est pourquoi, pour conserver la structure à peu près équilibrée du code pénal, cet amendement ne me paraît ni indispensable ni même utile. Alors que la jurisprudence est tout à fait claire, on va se demander pourquoi une nouvelle incrimination a été inscrite dans le code pénal. Ce n'est franchement pas nécessaire !

Reconnaissez-moi au moins le droit d'exprimer parfois mon souci de simplifier et de clarifier le droit plutôt que de le compliquer ! Légiférer en permanence pour chaque cas particulier n'est pas une bonne méthode, d'autant que, demain, cet effort sera considéré comme insuffisant et que l'on fera encore autre chose !

La jurisprudence me paraît claire. Le problème des preuves est posé. Restons-en là, s'il vous plaît !

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, pour explication de vote.

Mme Dominique Voynet. Voilà au moins un constat sur lequel nous serons d'accord : on légifère trop et trop mal ! Cela dit, nous sommes réunis ici pour traiter d'un problème grave, et nous allons essayer de le faire du mieux possible.

Je comprends l'agacement de Mme Gautier, car bien des phrases ont été prononcées ici qui donnent à penser qu'il est décidément assez difficile de regarder la réalité en face. Je n'accuse personne en particulier, car je crois que, collectivement, nous avons un peu de mal avec ce sujet.

Les violences conjugales, pourtant communes dans tous les pays européens, ont été longtemps sous-estimées ; le sujet était tabou ; il a longtemps été traité sur le mode du rire graveleux, des blagues abjectes, du désastreux « bats ta femme tous les jours, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait ! », ou sur le mode de l'incrédulité horrifiée.

La prise de conscience a été lente et incomplète. En effet, il est difficile de s'avouer que la plupart des viols à l'encontre des enfants sont exercés dans le cadre familial. Il est difficile de reconnaître que l'essentiel des violences à l'encontre des femmes sont commises par des gens avec lesquels elles avaient une relation affective - leur père, leur frère, leur mari, leur compagnon, leur concubin. Il est également difficile d'admettre que tous les groupes sociaux, toutes les classes d'âges sont concernés, même si les inégalités socioéconomiques sont évidemment des facteurs aggravants, ne serait-ce que parce qu'il est très difficile, en situation de précarité, de surmonter ce handicap pour fuir une vie de terreur et d'humiliation, notamment lorsqu'il y a des enfants.

Il faut donc affronter la réalité. M. le président de la commission des lois a certes raison de souligner que, juridiquement, le terme « violences » inclut toutes les violences, y compris celles qui ne laissent pas de cocard sur l'oeil. Mais, politiquement, je crois qu'il a tort ! En effet, le premier réflexe de l'homme violent sera de dire : « mais je ne lui ai pas fait de marques, mais je ne l'ai pas frappée ! ». Le premier réflexe de la femme battue sera de se sentir dévalorisée, culpabilisée, humiliée. Ainsi, afin de reconnaître qu'elle fait bien l'objet de violences, peut-être a-t-elle besoin de savoir que les humiliations du quotidien, les vexations, la dévalorisation devant les enfants, le sentiment d'être niée dans son identité de femme constituent bien de la violence, et que cela figure noir sur blanc dans un code.

Cela mérite vraiment d'être inscrit, même si, pour une fois, c'est un peu redondant par rapport à d'autres dispositions du code. Monsieur Hyest, vous devez comprendre que, si ces choses vont de soi pour un juriste, elles vont encore mieux en le disant pour tous ceux qui ne le sont pas... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Ameline, ministre. Je souhaite ne pas laisser un instant le doute s'instaurer sur l'engagement du Gouvernement. Il ne faut pas confondre une rigueur juridique avec un engagement politique.

Je ne peux pas vous laisser dire qu'il y a des réserves, de près ou de loin. Il n'y en a pas, et vous le savez ! Nous sommes tous convaincus, dans cet hémicycle, à la fois de l'exigence et de l'urgence qu'il y a à faire avancer non seulement le droit, mais aussi les autres décisions, qu'elles soient réglementaires ou administratives.

Les violences psychologiques sont parfaitement intégrées dans notre droit, madame Dini, madame Gautier. Simplement, nous rencontrons parfois un souci dans la charge de la preuve, même si la jurisprudence est assez explicite. C'est pourquoi un travail doit être fait avec l'ordre des médecins quant au certificat médical. Et ce n'est pas parce que de telles dispositions ne figurent pas dans un texte législatif qu'elles n'existent pas.

Sachez que, avant le dépôt de ces propositions de loi, un certain nombre de mesures avaient déjà été prises, et que d'autres le seront encore après ; je souhaiterais que personne n'en doute. Cette question s'inscrit dans un processus évolutif qui distingue bien, toutefois, le droit et la vision politique.

M. le président. La parole est à M. le représentant de la délégation aux droits des femmes.

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le rapporteur de la commission des lois.

Pour m'être fait communiquer l'arrêt de la Cour de cassation, je dois reconnaître, monsieur le président de la commission des lois, que, sur le strict plan du droit, cet arrêt dit tout. L'on peut donc à juste titre penser, comme vous l'avez fait remarquer, madame la ministre, que cela suffit.

Mais cet amendement n'a pas été déposé par caprice ! Toutes les personnalités que la délégation aux droits des femmes a auditionnées, notamment les représentants des associations, ont évoqué les violences psychologiques et ont insisté sur le fait qu'elles n'étaient pratiquement jamais punies !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Ce n'est pas vrai !

Mme Hélène Luc. C'est vrai !

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Cela nous a été répété à chaque fois !

En tant qu'élus locaux - j'ai moi-même été maire pendant trente ans et membre d'un conseil général durant trente et un an -, nous avons tous entendu et vu des femmes dans la détresse !

« Tu es moche », citait Roland Courteau cet après-midi. Mon cher collègue, nous pourrions chacun ici énumérer les insultes qu'une femme entend ou peut entendre.

Mme Hélène Luc. C'est vrai !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Et un homme aussi !

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Elles sont d'ailleurs bien pires que cela !

Chacun s'accorde à le reconnaître : s'exprimer ainsi, non pas une fois de temps en temps mais quotidiennement, plusieurs fois par jour, la nuit même, c'est détruire l'autre !

M. Roland Courteau. Bien sûr !

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Nous avons tous un peu raison. J'ai d'ailleurs été le premier à reconnaître, monsieur le président de la commission des lois, que le droit disait vrai.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah oui !

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Cela me réjouit : le contraire m'eût étonné !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas parce que l'on changera le texte que la loi sera meilleure !

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. C'est la raison pour laquelle, monsieur le président de la commission des lois, cet amendement a été défendu : ses auteurs ont ainsi voulu montrer combien il était important de rappeler aux magistrats l'existence de cette incrimination.

Je ne fais pas de procès aux magistrats, loin s'en faut ! Mais tous les instruments qui existent ne sont pas mis en oeuvre pour souligner à la fois les dégâts que cela provoque chez la femme harcelée et insultée et les drames que cela engendre pour la famille tout entière, notamment pour les enfants.

Certes, on peut soutenir que l'arrêt de la Cour de cassation permet de donner satisfaction. Il n'en reste pas moins que, dans les faits, il n'est pas encore correctement appliqué.

En déposant cet amendement, nous manifestons notre volonté que, demain, des procédures beaucoup plus pertinentes se développent afin que les femmes qui subissent ces violences soient réconfortées par la condamnation de ceux qui les leur infligent. Cela me paraît logique.

D'ailleurs, on parle évidemment beaucoup des femmes, mais les hommes aussi - 1 % d'entre eux - subissent des violences. A ce propos, je remercie la commission des lois de m'avoir invité à assister à l'audition d'un professeur célèbre. A cette occasion, j'ai pu constater qu'un éminent membre de la commission des lois avait souligné que les hommes aussi étaient parfois humiliés dans le milieu familial ou en public.

Certes, nous nous plaçons du point de vue de la femme, car c'est tout de même elle qui subit le plus grand nombre d'insultes. Mais, qu'il s'agisse de la femme ou de l'homme, il faut qu'il y ait matière à enclencher une procédure qui aujourd'hui fait défaut.

Je me réjouis que cet amendement ait été défendu et ne voterai pas contre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Henri de Richemont, rapporteur. J'ai écouté avec grand intérêt l'exposé passionné et passionnant de mon collègue et ami Jean-Guy Branger : j'ai retrouvé la passion qui nous caractérise sur le bord de notre Charente chérie, le plus beau fleuve de notre royaume ! (Rires.)

Les propos fougueux qu'il a tenus m'étonnent toutefois, et je pense qu'ils ont dépassé sa pensée. On ne peut pas soutenir que les conseillers à la Cour de cassation rendent les arrêts qu'ils veulent, mais qui, finalement, ne servent à rien, car ils ne sont pas suivis d'effet ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Je n'ai pas tout à fait dit cela !

M. Henri de Richemont, rapporteur. C'était ce que cela voulait dire !

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Non !

M. Henri de Richemont, rapporteur. A partir du moment où les jugements rendus par la Cour de cassation sont utiles, je ne vois pas à quoi sert l'amendement n° 28 ! (Mme Dominique Voynet proteste.)

Madame Dini, la Cour de cassation prévoit exactement ce que, par cet amendement, vous cherchez à inclure dans le droit, à savoir « des agissements répétés ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale ». Dans un arrêt de principe - il est suivi d'effet parce que les violences aussi bien physiques que morales sont poursuivies et condamnées ! -, elle précise en effet que la condition requise pour qu'il y ait incrimination et peine est l'existence d'un acte sciemment commis dans l'intention de porter atteinte à la personne d'autrui.

C'est quasiment la même chose ! Dès qu'il y a volonté de porter atteinte à la personne d'autrui, que ce soit par une violence physique ou par une violence psychologique, il y a répression. Cette jurisprudence donne lieu à une application par les tribunaux sur la base des certificats médicaux ou d'autres éléments de fait soumis à l'appréciation des magistrats.

Or l'amendement n° 28 vise à créer une incrimination nouvelle au motif que les arrêts rendus par la Cour de cassation ne serviraient strictement à rien ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

C'est ce que j'ai cru comprendre ! Mais je pense que Jean-Guy Branger ne voulait pas aller aussi loin !

Si, dans un pays comme le nôtre, on ne peut pas avoir confiance dans la loi telle qu'elle est interprétée par la Cour de cassation et appliquée par les tribunaux, cela ne sert strictement à rien ! Je répète que l'arrêt de la Cour de cassation est suivi par les tribunaux et que l'amendement n° 28 est donc inutile. Si ce dernier vise à créer des incriminations artificielles pour le plaisir, pour des raisons politiques ou pour un affichage politique, nous ne sommes plus dans un Etat de droit normal ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Michelle Demessine. N'exagérez pas ! Vous allez trop loin !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Faites plutôt confiance à l'arrêt de la Cour de cassation et à son application par les tribunaux, ce sera bonne justice ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

M. Jean-Guy Branger, représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. J'ai commencé mon propos en disant que je m'étais fait communiquer l'arrêt de la Cour de cassation, qu'il avait été remarquablement écrit et que, juridiquement, il suffisait. En aucun cas, je ne veux mettre les magistrats en cause ! Pour autant, nous avons tous constaté que la procédure n'était pas appliquée.

C'est la raison pour laquelle cet amendement a été déposé. Je maintiens que je ne voterai pas contre !

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.

M. Roland Courteau. Je me suis très largement exprimé sur le problème des violences psychologiques au cours de la discussion générale. Je n'y reviendrai donc pas, d'autant que Jean-Guy Branger a repris certains de mes propos.

Notre proposition de loi prévoit également, dans son article 1er, les actes de violence psychologique. Nous considérons en effet que les violences psychologiques sont aussi destructrices que certaines violences physiques et qu'elles ne sont jamais punies. C'est pourquoi je partage tout à fait les propos du représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Je terminerai par deux remarques, monsieur le président.

D'une part, en 2002, nous avons voté des dispositions contre le harcèlement moral au travail contenues dans la loi de modernisation. Pourtant, le problème de la preuve se pose également en cette matière.

D'autre part, la jurisprudence reconnaît le viol entre époux depuis l'arrêt de la Cour de cassation de 1990, confirmé en 1992. Pourtant, M. le rapporteur et la commission des lois, nous suivant d'ailleurs dans nos propositions, s'apprêtent à nous inviter à mentionner dans le code pénal le viol entre époux, concubins et pacsés.

Dominique Voynet l'a fait remarquer tout à l'heure : cela irait sans le dire, mais cela ira mieux en le disant !

C'est la raison pour laquelle nous voterons l'amendement n° 28.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Rappelez-vous les circonstances dans lesquelles a été instituée l'incrimination de harcèlement moral au travail. Il s'agit d'un cas très particulier, puisque ce type d'incrimination de violences au travail n'existait pas auparavant.

Si vous ajoutez l'incrimination particulière de violence psychologique au sein du couple à celle de harcèlement moral au travail, et non dans les violences énumérées après l'article 1er des conclusions de la commission des lois, cela signifie que l'ensemble de la jurisprudence de la Cour de cassation exclura le harcèlement des formes de violence morale entre époux. En effet, vous créerez une incrimination particulière qui ne pourra plus être retenue dans le cas général.

Je vous mets en garde : c'est comme cela que la Cour de cassation fait du droit !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 28.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 162 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages exprimés 160
Pour l'adoption 159
Contre 160

Le Sénat n'a pas adopté. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Michelle Demessine. A une voix près !