Rappel au règlement (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie
Art. additionnels avant l'art. 1er ou après l'art. 2 ou avant l'art. 3 ou avant l'art. 10

Article 1er (priorité)

Après le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. »

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, sur l'article.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d'abord dire mon étonnement devant l'organisation du débat.

Le bureau du Sénat a mal mesuré, ce me semble, l'exceptionnelle importance du sujet qui nous occupe : « les droits des malades en fin de vie ». Sinon, comment expliquer que la durée de la discussion ait été sévèrement limitée, obligeant un certain nombre de sénateurs, comme moi, à devoir prendre la parole à la sauvette, à l'occasion d'un titre ou d'un amendement, pour exposer leur point de vue ? Economise-t-on le temps de parole quand il est question de légiférer sur la mort ? Je ne le pense pas.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Gérard Delfau. Une seconde raison aurait dû conduire à une totale liberté d'intervention dans le débat. En effet, non seulement le sujet est unique et d'une extrême gravité, mais le texte nous arrive au terme d'une procédure trop rare au sein du Parlement sous la Ve République : une proposition de loi de l'Assemblée nationale, déposée par un groupe de députés après une année d'auditions, et votée à l'unanimité.

Il est bon de considérer que, sur un sujet aussi difficile, l'Assemblée nationale est arrivée à ce résultat pour encadrer, améliorer, humaniser les pratiques médicales qui accompagnent les fins de vie.

Disant cela, j'indique déjà mon orientation sur le vote final et ce qui m'a dissuadé de déposer des amendements. Non pas que ce texte soit parfait, loin de là ! Même s'il est de bonne facture et s'il comporte de nombreuses avancées significatives, il s'arrête en chemin, comme l'ont fort justement fait remarquer de nombreux sénateurs de gauche.

De fait, ce texte ne répond pas à la demande de mort volontaire adressée au corps médical par un patient gravement atteint et demeuré lucide, emmuré dans une survie inhumaine, mais dont le pronostic vital n'est pas défavorable à un horizon rapproché. Il n'apporte pas de solutions aux centaines de Vincent Humbert qui peuplent nos hôpitaux. Et pourtant, il est né de cette prise de conscience qu'a suscitée le geste du docteur Chaussoy et de Marie Humbert, la maman : donner la mort comme une délivrance... Donner la mort, après avoir donné la vie...

On dira que l'on touche ici à l'intime de l'être, et c'est vrai. On objectera surtout que l'interdit de donner la mort est le fondement de notre société. Evidemment ! Il n'empêche que les progrès fulgurants de la science médicale et, plus encore, l'évolution des esprits face à la souffrance indicible ont changé les mentalités.

L'idée chemine que le droit de choisir le moment de sa mort en cas de grande vieillesse ou d'altération profonde des facultés physiques et intellectuelles, et de bénéficier, si nécessaire, de l'aide médicale pour y parvenir, fait partie des nouveaux droits de l'homme, à condition, bien sûr, que la société sache codifier cette pratique pour exclure toute forme d'euthanasie généralisée.

J'ai conscience en disant cela qu'il s'agit d'une rupture profonde avec l'héritage des religions monothéistes ; il en irait autrement, d'ailleurs, s'il s'agissait des religions orientales. Et je pressens que c'est l'une des nouvelles frontières, l'une des nouvelles formes d'accomplissement du principe de laïcité, dont le sens ne se résume pas à la séparation des Eglises et de l'Etat.

Je mesure le poids de la tradition et le chemin qui reste à parcourir. Tel est mon choix. Je comprends cependant sans peine que d'autres, ayant des options philosophiques ou religieuses différentes, ne veuillent pas emprunter cette voie, pour le moment. C'est pourquoi, logique avec moi-même, je voterai ce texte en l'état, ce qui ne m'empêchera pas, à l'occasion de la discussion des amendements, de préciser ma pensée sur les améliorations substantielles qu'il apporte à l'accompagnement des malades en fin de vie et à l'exercice du si noble et si difficile métier de médecin et de personnel soignant.

Pour la suite, il restera à donner un contenu à la formule du comité consultatif national d'éthique : « inventer l'exception d'euthanasie ».

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la discussion générale, mon collègue et ami Jean-Pierre Godefroy a évoqué un certain nombre de législations étrangères. Je voudrais livrer quelques éléments d'information à la Haute Assemblée sur l'application de la loi belge.

La Belgique est un pays qui est très proche du nôtre, pas simplement par la géographie, mais aussi par la civilisation et par le droit, totalement calqué sur le nôtre. La Belgique a adopté, il y a un an et demi environ, une loi qui permet l'euthanasie, c'est-à-dire qui permet aux uns de demander la mort, aux autres de répondre à cette demande.

La loi a prévu une commission de trente-deux membres - c'est un peu lourd, mais, en Belgique, il faut toujours une moitié de Flamands et une moitié de Wallons -représentant les sensibilités, les religions, les professions dans leur diversité. Cette commission est chargée d'établir un rapport sur l'application de la loi et est saisie, en conséquence, de tous les cas dans lesquels il a été fait usage des nouvelles possibilités offertes. Ladite commission vient de rendre son premier rapport, après un peu plus d'une année de mise en oeuvre du texte.

Ce document est intéressant à plusieurs titres. On peut y lire, en effet, que, en un an, la commission a été saisie de 260 cas déclarés, avec une augmentation dans les derniers mois, très logique, d'ailleurs, car le texte était mieux connu. Plus intéressant encore, si l'on considère maintenant les personnes qui ont formulé la demande réparties par tranche d'âge, on constate qu'il s'agit pour à peine 20 % de personnes de plus de quatre-vingts ans ; pour 32 % de personnes entre quarante et soixante ans et pour 48 % de personnes entre soixante et quatre-vingts ans. La moitié des demandes émanait de personnes qui étaient en établissement hospitalier, l'autre moitié de personnes résidant à leur domicile ou, pour seulement 5 % d'entre elles, en maison de retraite. Pour un cas seulement, il y avait des directives anticipées, un testament de vie ; dans tous les autres cas, il n'y en avait pas.

Ces différents chiffres nous replacent dans la réalité et évacuent un certain nombre de fantasmes qui peuvent être dans la tête des uns ou des autres.

Si l'on examine maintenant les raisons qui sont avancées à l'appui de cette demande d'aide à mourir, on constate que la principale tient aux souffrances, insupportables, et ce malgré l'administration de médicaments anti-douleur.

Voilà quelques éléments qui devraient, je pense, nous rendre un peu plus sages, surtout après un début de séance qui pourrait faire désespérer de la sagesse de la Haute Assemblée !

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nombre de mes collègues, je me réjouis que la Haute Assemblée puisse débattre aujourd'hui de la fin de vie et de l'euthanasie. Cela n'a pas toujours été le cas, tant ce sujet était tabou, et ce malgré l'investissement et la ténacité de parlementaires tels que Henri Caillavet et, plus récemment, Pierre Biarnès.

On nous propose ici « une loi pour laisser mourir sans faire mourir », selon le propos de Jean Leonetti. Je reconnais volontiers que cette proposition de loi constitue une avancée : pour les médecins, d'abord, et, dans une moindre mesure, pour les malades. Elle est l'aboutissement d'un long travail parlementaire initié à la suite du geste d'amour d'une mère, Mme Humbert, puis d'un médecin, le docteur Chaussoy, qui a ému et bouleversé le pays tout entier. Car c'est une question de société qui s'est alors posée : était-il juste que nous laissions une personne seule face à la responsabilité de donner la mort à son fils, dans la plus totale illégalité, unique moyen pour elle de faire respecter sa volonté de mourir ? Etait-il juste que ce geste d'amour relève toujours, aux yeux de la loi, de l'assassinat ?

C'est tout à l'honneur du Parlement de s'être saisi de cette question, sauf qu'il n'y répond pas vraiment, puisqu'il laisse de côté le cas de Vincent Humbert.

Or le rapporteur de la commission des affaires sociales nous propose d'adopter le texte en l'état, au motif qu'il représenterait un point d'équilibre indépassable. Il ne me semble pas que la lecture à l'Assemblée nationale ait suffi à régler toutes les questions soulevées par ce dispositif législatif au point que celui-ci ne serait pas perfectible : ne serait-ce que sur le plan rédactionnel, des points sont à améliorer. C'est d'ailleurs ce que nous allons vous proposer, mes chers collègues.

Je regrette d'autant plus le positionnement de la commission qu'il aboutit à clore le débat au fond avant même qu'il ait commencé. Cette proposition de loi ne doit pas être une porte qui se ferme, ne serait-ce que parce qu'un tel sujet exige des garanties quant à son suivi et son évaluation.

Ce texte ne doit pas être une porte qui se ferme, en outre, parce que Vincent Humbert n'était pas un cas isolé. Il existe d'autres Vincent Humbert qui attendent la fin de leur calvaire dans un corps qui n'est plus vécu que comme un cercueil. Et il est de notre devoir de parlementaires d'éviter à d'autres Marie Humbert, à d'autres docteurs Chaussoy, de se mettre hors la loi pour faire cesser ce calvaire.

Je ne veux heurter la conscience de personne dans cet hémicycle, mais, je vous le dis comme je le pense dans mon for intérieur : si nous n'apportons aucune réponse à ces situations-là, nous prolongerons ce calvaire.

C'est également prolonger une hypocrisie et une inégalité flagrante car, comme l'a écrit le docteur Chaussoy : «ce que Vincent et Marie ont dû réclamer à cor et à cri, jusqu'au drame que l'on sait, tout enfant, mari ou femme de médecin l'aurait obtenu, sans être obligé d'en appeler au Président de la République, et de rameuter les médias de la France entière. »

Mais certains me diront que l'actuelle rédaction de la proposition de loi apporte une réponse. Ainsi, dans son rapport, notre collègue Gérard Dériot écrit-il que le texte « affirme clairement désormais, pour tous les malades, l'interdit de l'obstination déraisonnable qui s'apparente à l'acharnement thérapeutique ». Il poursuit en prévoyant que le cas de « personnes gravement handicapées dont le pronostic vital n'est pas engagé, mais qui estiment la qualité de leur vie humainement intolérable » sera vraisemblablement évité si l'on renonce, par exemple, « à réanimer une fois supplémentaire une personne lourdement handicapée, alors qu'elle ne l'aurait pas souhaité » ; et qu'enfin « en permettant formellement au malade, quel que soit son état de santé, d'exiger l'interruption des traitements ou d'obtenir du médecin qu'il y procède, dans le respect des procédures applicables » les articles 4 et 5 « apportent une réponse pertinente à ces souffrances particulières. »

Mais cette analyse ne correspond pas au vécu, et encore moins à la volonté de Vincent Humbert, qui ne voulait pas de cette mort-là, indigne et inhumaine de son point de vue.

Notre société n'aurait donc rien d'autre à offrir, comme solution ultime, que l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation, sachant que, pour des patients qui ne sont pas en fin de vie, la fin risque d'être longue et douloureuse, avant de relever, en dernier ressort, d'une prise en charge en soins palliatifs, les malades succombant peut-être alors du double effet induit par le traitement de la douleur ?

Tout le monde s'accorde à reconnaître que ce texte met fin à une hypocrisie, notamment avec la reconnaissance du « double effet », mais nous en créons une nouvelle à l'égard des autres Vincent Humbert.

C'est précisément, ce que, pour notre part, nous cherchons à éviter par nos différentes propositions. Permettez-moi de regretter que notre assemblée ne soit pas mûre pour nous suivre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle San Vicente.

Mme Michèle San Vicente. Bien qu'il soit déjà inscrit à l'article R. 4127-37 du code de déontologie médicale que, « en toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de son malade, l'assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique », nous ne voyons aucun inconvénient à réaffirmer le droit au « laisser mourir », afin de mettre fin à une certaine hypocrisie.

Toutefois, ce texte maintient l'impossibilité de fait d'exercer un autre droit : celui qu'a tout être humain de choisir sa fin de vie et d'être jusque dans la mort l'acteur de sa propre existence.

Nous regrettons, par exemple, que ne soit pas envisagée l'« exception d'euthanasie », comme l'avait suggéré le Comité national d'éthique. L'aide active à mourir qu'avait apportée Marie à son fils est toujours passible d'emprisonnement, alors que ce drame est à l'origine du débat qui nous réunit aujourd'hui.

Qu'en est-il, alors, pour ces patients qui souffrent de pathologies insupportables et incurables ? Quel comportement devons-nous adopter quand ils supplient de leur venir en aide face à un état qu'ils estiment indigne ? Il ne s'agit pas pour moi, en l'occurrence, de stigmatiser l'« obstination déraisonnable » dénoncée par le rapporteur de l'Assemblée nationale, Jean Leonetti, puisque lui-même précise qu'« un traitement dont le bénéfice est médiocre par rapport à sa lourdeur pour le malade ne doit pas être tenté ».

L'article 1er est inséré dans le chapitre intitulé « Droits de la personne » du code de la santé publique, mais les seules situations qui y sont évoquées concernent les personnes mourantes. Nous rejoignons ici la position du président de la commission des affaires sociales du Sénat, qui proposera ou plutôt avait proposé, dans son amendement n° 49 rectifié, de supprimer cette indication en réintégrant le mot « malade ».

Si l'on s'en tient à la rédaction actuelle, les malades en fin de vie verront, par l'arrêt du traitement, leur état de santé se dégrader, et c'est seulement cela qui, à terme, abrégera leur vie. En revanche, les malades n'étant pas en phase terminale continueront à vivre une agonie aussi inutile que douloureuse. Or l'« obstination déraisonnable » n'est-elle pas aussi en cause dans ces cas particuliers ?

Il s'agit là autant d'un problème de conscience que d'une question de société et il appartient au législateur d'apporter une réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 1er constitue en quelque sorte le point d'équilibre auquel sont parvenus les députés en rédigeant cette proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie.

Il tend à préciser, en effet, que les actes pratiqués par les médecins ne doivent pas « être poursuivis par une obstination déraisonnable ». C'est donc autour de cette idée que se situe le point d'équilibre du texte qui nous est soumis.

A cet égard, nous sommes sensibles à la qualité du travail qu'a réalisé l'Assemblée nationale et que notre rapporteur nous propose de retenir comme guide de ce qui pourrait devenir, demain, la loi dans notre pays.

Je dois dire que cette idée du refus de l' « obstination déraisonnable » m'apparaît juste. Elle va suffisamment loin dans le sens de ce qui peut être souhaitable, tout en respectant l'essentiel, à savoir la qualité de l'être humain, quelle que soit la situation dans laquelle l'individu considéré se trouve, et la dignité de la personne humaine, qui doit, selon nous, être la mesure de toute chose dans ce domaine.

La règle « guérir si possible, prendre toujours soin » doit sans aucun doute être mise en oeuvre par les médecins, par la famille, par tous ceux qui entourent la personne malade, étant entendu qu'il s'agit là, bien sûr, non d'une règle juridique, mais tout simplement d'un devoir d'humanité.

La valeur intrinsèque et la dignité personnelle de tout être humain restent intangibles, quelles que soient les conditions concrètes de sa vie. Un homme, une femme, même s'ils sont gravement malades ou empêchés dans l'exercice de leurs fonctions les plus hautes, sont et seront toujours un homme, une femme, et ne deviendront jamais un végétal ou un animal. Les médecins, la société ont donc envers ces personnes des obligations morales, nées de la solidarité humaine.

Nous pouvons faire nôtre l'idée de la suspension d'un traitement inutile, disproportionné, ou se limitant à permettre la survie artificielle du malade.

Néanmoins, cet article soulève, selon nous, un vrai problème, celui du traitement.

Nous considérons en effet que, quel que soit l'état de la personne concernée, le fait de lui administrer de l'eau et de la nourriture, même à travers des voies artificielles, représente encore et toujours un moyen naturel de maintien de la vie, et non pas un acte médical.

Par ailleurs, sans être médecin ni particulièrement savant dans ce domaine, je crois qu'on ne peut pas exclure a priori que le fait de priver le sujet malade d'hydratation ou d'alimentation puisse lui causer de profondes souffrances. (M. François Autain s'exclame.) Cela ne peut être exclu, c'est tout ce que je veux dire !

Par conséquent, je souhaite affirmer nettement que, si nous sommes d'accord pour rejeter l'obstination déraisonnable, le respect de la dignité de la personne humaine, quel que soit l'état dans lequel se trouve l'homme ou la femme concerné, nécessite que l'on continue à lui administrer de l'eau et de la nourriture, fût-ce de façon artificielle, à la seule condition de ne pas avoir recours à l'alimentation forcée.

En d'autres termes, si l'on peut utiliser des voies artificielles, il ne doit pas être permis de pratiquer, par exemple, de gastrectomie afin de nourrir de façon forcée une personne en fin de vie.

M. François Autain. Allons bon !

M. Michel Mercier. Monsieur Autain, je vous ai écouté sans vous interrompre et, si je ne suis pas, comme vous, spécialiste de ces questions, j'essaie de dire avec les mots qui sont les miens ce que je ressens. Or cela mérite, me semble-t-il, un respect égal à celui dont j'ai fait preuve à votre égard !

En résumé, je souhaite que nous insistions vraiment sur ce à quoi nous voulons mettre fin, à savoir l'obstination déraisonnable : il faut empêcher d'administrer des traitements qui n'ont pas d'utilité, mais il ne faut en aucun cas qu'il puisse être porté atteinte à la dignité de la personne humaine.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Sénat tout entier, j'en suis sûr, a trop le respect de lui-même pour accepter des textes qui lui viennent de l'Assemblée nationale et qui ne sont pas bons parce qu'il y manque des éléments importants.

Dans l'article 1er de la proposition de loi, il est dit que les « actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. » Nous sommes d'accord sur ce point.

Il est dit ensuite : « Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés et n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie,... » - mais à qui doivent-ils apparaître comme tels, sinon au médecin ? - « ... ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. » Or qui décide, sinon, là aussi, le médecin ?

Enfin, il est ajouté, dans la dernière phrase : « Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de la vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. ». Il s'agit des soins palliatifs.

Or cette disposition pouvant concerner une personne qui n'est pas en phase terminale, il conviendrait de remplacer le mot « mourant » par le mot « malade ». D'ailleurs, ce que je vous dis là n'est autre que l'objet même de l'amendement n° 49 rectifié que la commission des affaires sociales a adopté ce matin...

Plusieurs sénateurs du groupe CRC. A l'unanimité !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... à l'unanimité, en effet, et qui porte la signature de M. Nicolas About.

Si nous avions su que le président About serait empêché ce soir, nous aurions pu, avant que ne commence la discussion générale, contresigner cet amendement !

M. Roland Muzeau. Tout à fait !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Maintenant, nous n'en avons plus la possibilité !

En conséquence, c'est au nom du respect des droits les plus élémentaires des parlementaires que nous vous demandons, monsieur le président, de permettre à la commission de se réunir afin qu'elle puisse une nouvelle fois se prononcer sur cet amendement n° 49 rectifié. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Ainsi que sur les autres !

M. Josselin de Rohan. Ils sont supprimés !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Dériot, rapporteur. Effectivement, le président About ne pouvait être présent ce soir.

Toutefois, mes chers collègues, je voudrais vous rappeler qu'aucun amendement n'émanait de la commission. Des amendements ont été présentés, notamment par le président About, sur lesquels la commission a émis un avis, c'est tout. Or le président About ayant retiré ses amendements, ces derniers n'existent plus et l'on peut donc passer immédiatement à l'examen des amendements suivants. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Godefroy. C'est lamentable !

M. Gérard Dériot, rapporteur. C'est la réalité !

M. Guy Fischer. Ainsi, nous apprenons tout à trac que les amendements de M. About sont retirés !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, je tiens à dire à quel point nous sommes mécontents !

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. En effet, nous sommes victimes d'une tromperie...

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. ... et si des pressions ont été exercées pour qu'on en arrive là, nous ne pouvons que le regretter. S'il faut, pour que le texte soit voté conforme, que le Sénat reste muet, cela revient ni plus ni moins à bafouer les droits de notre assemblée et à rendre caduque une longue discussion qui a eu lieu ce matin même en commission des affaires sociales, et au cours de laquelle les membres de cette dernière, à l'unanimité, ont adopté les amendements nos 49 rectifié, 51, 53, 54, 55 et 56 rectifié, déposés par M. About.

Par conséquent, lorsque M. le rapporteur vient nous dire que la commission des affaires sociales n'a pas pris position, je me tourne vers les commissaires pour leur dire que le président About a présenté des amendements, que nous les avons adoptés à l'unanimité et qu'ils sont donc devenus des amendements de la commission ! Dès lors, s'ils sont retirés, monsieur le président, nous les reprendrons, mais, au préalable, nous souhaitons une suspension de séance et une réunion de la commission.

M. le président. Permettez-moi simplement, monsieur Godefroy, de reprendre les propos de M. le rapporteur.

Ce dernier a tenu à rappeler, non pas que ces amendements n'avaient pas été adoptés par la commission, mais qu'il s'agissait d'amendements n'émanant pas de la commission. En effet, ils étaient signés par un seul sénateur - qui, en l'occurrence, est effectivement le président de la commission, - et ont recueilli un avis favorable ; il ne s'agit de rien d'autre. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. C'est tiré par les cheveux !

M. le président. Par ailleurs, monsieur Godefroy, sans doute n'êtes-vous pas encore aussi averti que M. Dreyfus-Schmidt du règlement du Sénat. Aussi, je tiens à vous faire savoir qu'un amendement ne peut être repris que lorsque son auteur ou l'un de ses auteurs le retire en séance.

La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Nous sommes ici en présence, me semble-t-il, d'un véritable problème.

Certes, monsieur le président, votre mise au point était importante. Mais je crois qu'il faut revenir au fond : on ne peut accepter qu'un certain nombre d'amendements qui avaient reçu l'approbation unanime de la commission soient ainsi purement et simplement balayés, qu'ils disparaissent du fait d'un oukase du Gouvernement !

Tout à l'heure, monsieur Douste-Blazy, après avoir été interpellé par mes amis Guy Fischer et François Autain, vous avez choisi de vous murer dans le silence, ce qui, à mes yeux, est tout à fait inadmissible.

Oui ou non, avez-vous donné l'ordre à vos amis de la majorité parlementaire de procéder à un vote conforme ?

Vous pouvez, bien sûr, répondre par la négative, mais vous savez que c'est un péché de mentir ! Quoi qu'il en soit, je vous en laisse la liberté. (Sourires.)

Il me paraît tout de même important que, s'agissant d'un sujet aussi important que celui dont traite cette proposition de loi - qui ne doit d'ailleurs d'être une proposition de loi qu'au fait que le Gouvernement, une fois de plus, n'a pas eu le courage de déposer un projet de loi, et cela commence à devenir une habitude ! -, les nombreux membres de la commission qui sont présents ce soir reconnaissent au moins que celle-ci a retenu certains amendements à l'unanimité.

Par conséquent, monsieur le président, il paraît pour le moins normal - c'est, je crois, le minimum que vous puissiez faire, même si, ensuite, vous nous « renvoyez dans les cordes » - que vous suspendiez la séance afin que la commission puisse se réunir pour faire toute la lumière sur cette affaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 24 rectifié, présenté par MM. Autain,  Fischer et  Muzeau, Mmes Assassi et  Beaufils, MM. Biarnès et  Billout, Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Bret et  Coquelle, Mmes David,  Demessine et  Didier, M. Foucaud, Mme Hoarau, MM. Hue et  Le Cam, Mmes Luc et  Mathon, MM. Ralite,  Renar,  Vera et  Voguet, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour insérer un alinéa après le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique :

Lorsqu'ils apparaissent disproportionnés ou n'ayant pas d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être limités, suspendus, arrêtés.

 

La parole est à M. Guy Fischer.

Mme Annie David. Il n'y a même pas de réponse sur la demande de suspension de séance !

M. Guy Fischer. Nous n'avons, en effet, obtenu aucune réponse concernant nos demandes de réunion de la commission, et les huit amendements de M. About ont été retirés.

M. Guy Fischer. Les personnes qui assistent aujourd'hui à nos discussions et ceux qui vont lire le Journal officiel s'interrogeront certainement sur la qualité du débat. Nous pressentons qu'il va se dérouler exactement comme celui qui a eu lieu lors de l'examen du projet de loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui était pourtant très important et auquel une dizaine de personnes seulement ont participé ; trois ou quatre sénatrices représentant les Françaises et les Français de l'étranger étaient présentes, et la plupart des membres de la commission étaient absents.

Après des mois de travail approfondi et d'auditions, nous pensions, en notre âme et conscience, que ce texte pouvait être amélioré. Et ce matin encore, au sein de la commission, nous espérions qu'un certain nombre de points recueilleraient l'unanimité. Nous regrettons qu'il n'en soit pas ainsi.

Nous estimons notamment que certaines précisions auraient pu être apportées à l'article 1er. Par exemple, les mots : « ils peuvent être suspendus » pourraient être remplacés par les termes : « ils peuvent être limités, suspendus, arrêtés ». L'alinéa en question est trop restrictif en ce qu'il ne vise que les décisions de suspension de traitement ou le fait de ne pas les entreprendre. Or, ces deux situations ne sont pas les seules qui se posent en pratique : on doit également envisager le cas où il s'agit de limiter, voire d'arrêter les traitements en cours.

Premièrement, la notion de traitement inutile est trop ambiguë pour qu'il soit possible de la conserver en l'état. Elle peut même être à l'origine d'interprétations fâcheuses quand on recense les objectifs par rapport auxquels un traitement peut être jugé utile ou inutile. Est-ce en fonction de son coût, de son inefficacité thérapeutique ? Nous souhaitons obtenir des réponses à ces questions.

Deuxièmement, l'article 1er illustre l'une des contradictions de ce texte qui ne fait pourtant que développer, prolonger une disposition ancienne sur l'acharnement thérapeutique figurant déjà dans le code de déontologie médicale et qui viole le principe de la sacralité de la vie. Or, au nom de ce principe, l'acharnement thérapeutique devrait constituer un devoir médical. C'est d'ailleurs à ce titre que la dépénalisation de l'euthanasie est refusée.

Tels sont les éléments de précision que nous souhaitons apporter sur ce point.

M. le président. L'amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Mercier et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :

Dans la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour modifier l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, remplacer le mot :

apparaissent

par les mots :

sont devenus

La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Dans ses articles 1er et 9, la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie fait mention de traitements inutiles pour qualifier les soins susceptibles, sous certaines conditions, d'être suspendus ou interrompus.

Cette expression est plus qu'insatisfaisante. En effet, si un traitement est inutile dès sa mise en oeuvre, il n'a pas à être entrepris.

C'est la raison pour laquelle nous proposons de faire référence non pas aux « traitements inutiles », mais aux « traitements devenus inutiles ». Un traitement doit toujours paraître utile au moment où il est entrepris, sans quoi il n'a aucune raison d'être. En revanche, il peut devenir inutile compte tenu de l'évolution de l'état de santé du malade.

M. le président. L'amendement n° 12, présenté par Mme Payet, MM. Mercier,  Amoudry,  Badré,  Biwer,  J. Boyer,  A. Giraud et  Merceron, est ainsi libellé :

Dans la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour modifier l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, remplacer les mots :

inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie

par les mots :

disproportionnés par rapport au but attendu

La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Cet amendement a pour objet d'inscrire dans la loi le principe de proportionnalité des soins au but recherché pour apprécier leur suspension éventuelle. Il est donc souhaitable de le préciser.

La formulation actuellement retenue est peu claire et demeure une source d'imprécision : si l'on ne précise pas que les soins sont disproportionnés par rapport au but attendu, la notion de proportionnalité n'est pas clairement définie. Or la proportionnalité se définit toujours par rapport au but recherché.

S'agissant de l'expression « n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie », il convient de rappeler que la vie peut être maintenue artificiellement de multiples manières sans qu'il y ait obstination déraisonnable dans la thérapeutique.

Je citerai quelques exemples pour illustrer mon propos. La dialyse rénale ne peut être arrêtée sans provoquer le décès du patient. S'il est possible de l'interrompre quand le patient est en fin de vie du fait d'un autre problème de santé mettant ses jours en danger, il n'y a pas lieu de l'interrompre quand le patient n'est pas en fin de vie.

Par ailleurs, même s'il n'est pas en fin de vie, un malade soumis à un traitement cardiologique par comprimés, par exemple les bêtabloquants, qui stabilise artificiellement son état cardiaque, peut faire un infarctus et mourir s'il est mis fin aux soins. De nombreuses personnes âgées sont dans cette situation. Leur vie est maintenue artificiellement grâce à un traitement médical adapté, et il n'apparaît cependant pas légitime de l'arrêter.

La formulation actuelle ne convient donc pas, car elle peut ouvrir la porte à un défaut de soins appropriés. Si les traitements proportionnés sont interrompus, il y a maltraitance et non-assistance à personne en danger. Et si, à cet arrêt, est associée la volonté affichée de faire mourir le malade, on peut parler d'euthanasie par omission de soins proportionnés et légitimes. Or l'euthanasie est contraire à l'objectif de cette loi, qui exclut de faire mourir intentionnellement le malade.

M. le président. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Seillier, est ainsi libellé :

Dans la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour insérer un alinéa après le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, après le mot :

disproportionnés

insérer les mots :

par rapport au but attendu

La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Cet amendement ayant le même objet que le précédent, je le retire.

M. le président. L'amendement n° 7 rectifié est retiré.

L'amendement n° 57 rectifié, présenté par M. Etienne, Mme B. Dupont et M. Lardeux, est ainsi libellé :

Dans la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour modifier l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, après les mots :

artificiel de la vie,

insérer les mots :

alors même qu'il s'agit de malades en fin de vie,

La parole est à Mme Bernadette Dupont.

Mme Bernadette Dupont. Cet amendement vise à apporter une précision pour qu'il n'y ait aucune confusion avec des malades qui pourraient s'en sortir, comme je l'ai déjà dit lors de la discussion générale.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. La précision rédactionnelle que vise à apporter l'amendement n° 24 rectifié n'ajoute rien au texte, d'autant que le code de la santé publique prévoit déjà ces cas de figure dans d'autres articles. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

S'agissant de l'amendement n° 20 rectifié, il est évident que le terme « inutile », tel qu'il est placé dans ce texte, s'applique aux traitements dispensés à un moment donné, compte tenu de l'état physiologique du malade. Par conséquent, la commission est défavorable à cet amendement.

L'amendement n° 12 fait référence aux soins disproportionnés par rapport au but attendu. En fait, la précision sur la proportionnalité me paraît tout à fait inutile, car elle ajoute à la confusion. Le but visé est la guérison ; la proportionnalité doit donc s'apprécier par rapport à l'état de santé du malade. C'est pourquoi la commission estime que cet amendement n'a pas lieu d'être et émet un avis défavorable.

Pour ce qui est de l'amendement n° 57 rectifié, je ne vois pas bien l'intérêt d'ajouter l'expression « alors même qu'il s'agit de malades en fin de vie » aux termes « artificiel de la vie ». On le sait !

Mme Bernadette Dupont. Non, on ne le sait pas !

M. Gérard Dériot, rapporteur. L'obstination déraisonnable est un concept qui doit s'appliquer à tous les malades et toutes les pathologies, et pas seulement aux malades en fin de vie. De plus, ajouter une telle mention ferait double emploi avec les articles 6 et 9 de la proposition de loi. C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Concernant l'amendement n° 24 rectifié, à partir du moment où un traitement peut être suspendu, sans que la durée de suspension soit indiquée, il peut tout à fait être arrêté. De même, puisque, par définition, un traitement doit être adapté à la situation du malade, il peut être limité. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

S'agissant de l'amendement n° 20 rectifié, les médecins ayant pour mission de réévaluer en permanence les traitements en fonction des besoins du patient, le Gouvernement y est défavorable.

Il en est de même pour l'amendement n° 12 de Mme Payet. La précision relative à la disproportion d'un acte par rapport au but attendu n'apparaît pas utile. En outre, les éléments d'appréciation de la proportionnalité d'un acte médical relèvent, me semble-t-il, de la bonne pratique et de la déontologie, et non d'une définition légale forcément restrictive et incomplète.

Quant à l'amendement n° 57 rectifié, les mots proposés figurent déjà dans la suite de cet article, qui évoque la dignité du mourant. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement y est défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote sur l'amendement n° 24 rectifié.

M. François Autain. Je ne partage évidemment pas l'avis que vient d'exprimer M. le ministre. Les dispositions des articles 5 et 9 du texte font bien référence aux limitations ou aux arrêts de traitement en réanimation médicale. Dès lors, je ne vois pas pour quelle raison seule leur suspension devrait être envisagée à l'article 1er.

Le Sénat ne remplirait pas son rôle, contrairement à son habitude, s'il ne venait pas corriger les erreurs que nos collègues de l'Assemblée nationale, malgré leur meilleure volonté, laissent quelquefois se glisser dans les propositions ou les projets de loi qu'ils nous transmettent. Les députés sont sans doute soumis plus que nous à des délais d'examen raccourcis : ils ont moins de recul et peuvent consacrer moins de temps à l'étude des textes.

Sur une proposition de loi dont il n'est pas nécessaire de souligner l'importance -  M. le ministre et moi-même l'avons déjà fait -, il conviendrait que le Sénat n'abdique pas le rôle essentiel qui lui incombe. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que M. le ministre revoie son avis. Un texte adopté en l'état serait, me semble-t-il, incohérent et déséquilibré. D'ailleurs, si les amendements qui ont été déposés par certains d'entre nous ne sont pas retenus, le texte comportera de nombreuses contradictions qui rendront difficiles non seulement sa compréhension mais également son application.

Je regrette que le Sénat, par son attitude, semble fuir une nouvelle fois le débat sur les problèmes, tout de même importants, des droits des malades et de la fin de vie.

Lorsque nous avons essayé de porter le débat sur ces sujets - au moment de l'affaire Humbert, par exemple - et de demander - le groupe socialiste s'était joint à nous - la constitution d'une mission d'information, nous avons reçu une fin de non-recevoir.

Quelque temps après, à l'occasion de la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif à la bioéthique, lorsque je me suis permis, avec des collègues, de déposer des amendements qui préfiguraient un certain nombre d'articles contenus dans cette proposition de loi, j'ai eu la peine de constater que, manifestement, ceux à qui je m'adressais n'étaient absolument pas intéressés par cette question et il n'y a eu aucun débat. M. About était présent, vous l'étiez aussi, monsieur le ministre, et vous vous êtes contenté de désapprouver, sans commentaire, les amendements que j'avais présentés.

Vous ne pouvez pas m'empêcher de penser que, si le débat peut avoir lieu à l'Assemblée nationale, il est interdit dans cet hémicycle et je le regrette. Vous allez, si vous continuez ainsi, faire ressembler notre Haute Assemblée à une assemblée fantoche et donner raison à ceux qui veulent la supprimer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Francis Giraud, pour explication de vote.

M. Francis Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis médecin et je ne suis pas le seul dans cette assemblée.

En tant que sénateur, j'ai été, avec Gérard Dériot, rapporteur de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner. Le problème de la fin de la vie avait, alors, déjà été évoqué. Dans le texte de l'Assemblée nationale qui nous avait été transmis figurait la nécessité d'une morte digne. Nous avions fait remarquer que la mort n'était ni digne, ni indigne ; selon nous, c'est la vie qui doit être digne jusqu'à la fin, et c'est ce qui a été retenu par les deux assemblées.

En tant que pédiatre, j'ai été confronté à la mort des enfants. C'est différent, car la souffrance des parents et de l'entourage donne une connotation tout à fait particulière. S'agissant de l'accompagnement des enfants en fin de vie- je le dis, car il faut faire repentance dans le monde actuel -, nous n'avons pas tout mis en oeuvre pour lutter contrer leurs souffrances, car, si nous avions été formés à une certaine éthique, nous ne l'avions pas été sur ce problème particulier.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les orateurs pendant la discussion générale. Bien que respectueux des législateurs que vous êtes, mon âge et mon expérience me permettant d'être libre avec vous, je vous avoue que je suis quelque peu abasourdi par le nombre de vos certitudes. Personnellement, je n'ai aucune certitude sur ce qu'il convient très exactement de faire au moment de la mort de ceux qui nous sont confiés, à nous médecins.

La société, la médecine et le corps médical ont évolué. De nombreuses personnes sont aujourd'hui isolées, voire abandonnées. Nous aimerions être sûrs, pour chacun de nous, les membres de notre famille, les êtres qui nous sont chers, que nous serons entourés, au moment du passage, des nôtres, de nos enfants et petits-enfants, ainsi que de cette personne de confiance dont vous parliez dans vos discours et qui devrait être le médecin. C'est la seule certitude que j'ai : je voudrais être entouré des miens et de ce médecin en qui j'aurai confiance. Je n'aurai rien à lui demander, car il saura prescrire le bon dosage de morphine, par exemple. Très sincèrement, je crois que c'est l'essentiel.

Cette proposition de loi n'a pas philosophiquement de raison d'être. Elle nous est uniquement soumise en raison de l'évolution de notre société. Ce sont les cas très cruels, très médiatisés, évoqués par les uns et les autres, ainsi que les souffrances affreuses des jeunes, de leurs parents, du médecin, qui ont conduit l'Assemblée nationale d'abord, puis maintenant le Sénat, à se prononcer sur ces problèmes.

Ce texte, que je voterai, reprend - soyons clairs ! - le code de déontologie, des notions qui nous sont familières, ce que les médecins ont fait de tout temps ! Mais reconnaissons-le, l'évolution de la société a amené une notion inexistante pendant des décennies : la survenue de l'aspect judiciaire. En tant que législateurs, nous nous devons donc de protéger la société, c'est-à-dire à la fois le corps médical et la population.

M. Guy Fischer. Aucun médecin n'a été attaqué jusqu'à présent !

M. Francis Giraud. Le Dr Chaussoy a été accusé !

Moi, contrairement à tous ceux que j'ai entendus, je ne juge personne ; je ne me sens d'ailleurs pas le droit de porter un jugement sur les uns ou sur les autres !

Monsieur le ministre, permettez-moi de faire une remarque. Vous êtes aussi médecin et vous avez eu des responsabilités à l'hôpital. Vous savez que, lorsqu'un décès suspect intervient, la responsabilité pénale est en jeu. Je n'étais pas très favorable aux mandarins, qui décidaient de tout pour tout. Ce temps-là est révolu. En revanche, une responsabilité diluée dans des responsabilités collégiales mérite d'être examinée de près.

Enfin, j'ai entendu, dans cette assemblée, des discours sur les médicaments et les techniques médicales. Mais la loi n'a rien à voir avec l'enseignement de la médecine, ni avec les produits que l'on doit utiliser, lesquels, c'est tout à fait vrai, modifient l'état de conscience ! Dans ce débat, il faut en revenir à des notions simples, telles que la confiance envers la médecine.

Je suis d'accord pour que nous prenions des mesures en raison des changements intervenus dans la société ; elles sont d'ailleurs prévues par ce texte, auquel certains amendements peuvent apporter des précisions.

Voila, sur le fond, ce que j'ai ressenti en écoutant les législateurs que vous êtes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 20 rectifié.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement. - Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. J'ai procédé à un comptage sérieux. Vingt-quatre voix contre vingt-quatre : l'amendement n'est pas adopté ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)

M. Roland Muzeau. Il y aura une navette, on va pouvoir travailler sérieusement !

M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, on va enfin pouvoir travailler !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.

Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, je n'accepte pas que l'un de mes collègues ait dit que nous ne savions pas ce pour quoi nous votions !

Je demande officiellement des excuses ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. J'en prends acte, madame Desmarescaux. Cela étant, tout ce qui se dit pendant un scrutin n'a pas à figurer dans le compte rendu de la séance.

Mes chers collègues, il s'agit d'un sujet suffisamment important pour que le débat soit digne. Ce texte doit pouvoir être adopté à la fois dans la clarté et dans la sérénité. Il n'est pas bon que nous donnions l'image d'une assemblée dans laquelle certains profèrent vis-à-vis de leurs collègues, de façon un peu légère, un certain nombre d'appréciations !

La parole est à M. Josselin de Rohan.

M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, je vous demande une suspension de séance de dix minutes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, ainsi qu'à celle de M. Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous me l'avez refusée tout à l'heure !

M. le président. Vous l'avez, entre temps, reformulée, de façon plus confidentielle ! (Protestations sur les mêmes travées.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante-cinq, est reprise à vingt-trois heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Je vais mettre aux voix l'amendement n° 57 rectifié.

Mme Bernadette Dupont. Je le retire, monsieur le président. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. L'amendement n° 57 rectifié est retiré.

L'amendement n° 26, présenté par MM. Autain,  Fischer et  Muzeau, Mmes Assassi et  Beaufils, MM. Biarnès et  Billout, Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Bret et  Coquelle, Mmes David,  Demessine et  Didier, M. Foucaud, Mme Hoarau, MM. Hue et  Le Cam, Mmes Luc et  Mathon, MM. Ralite,  Renar,  Vera et  Voguet, est ainsi libellé :

Après la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour insérer un alinéa après le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, insérer une phrase ainsi rédigée :

Le médecin doit obtenir le consentement de la personne ; si elle est hors d'état d'exprimer sa volonté, il est fait application de la procédure visée à l'article L. 1111-4.

La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Cet amendement vise à rétablir un droit auquel une personne doit pouvoir prétendre, surtout si elle est malade.

De même qu'on ne peut pratiquer aucun acte médical ni entreprendre aucun traitement sans le consentement libre et éclairé du patient, un traitement ne peut être interrompu sans ce même consentement, pour des raisons qui tiennent elles aussi au respect des droits de la personne, quand bien même la justification en serait le refus de toute obstination déraisonnable. Si le médecin interrompait ce traitement de son propre chef, on pourrait considérer qu'il viole les droits des malades tels qu'ils ont été définis encore récemment par le Conseil de l'Europe. Le cas échéant, c'est même l'esprit du troisième alinéa de l'article L. 1111-4, article issu de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui ne serait pas respecté.

Si cet amendement devait être repoussé par notre assemblée, l'alinéa que vise à insérer l'article 1er du présent projet après le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique serait en contradiction avec le troisième alinéa de l'article L. 1111-4.

Notre assemblée a précisément pour objectif d'adopter des textes cohérents. A défaut d'adopter notre amendement, elle y contreviendrait.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. Défavorable. Une telle décision est du ressort du médecin.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.

M. François Autain. Je remarque simplement que tant les argumentations du rapporteur que celles du ministre en réponse à mes interventions sont toujours aussi nourries...

De fait, je ne suis ni surpris ni déçu. Les raisons sont connues : pour ne pas débattre, on émet un avis défavorable, sans autre explication. J'aurais préféré que le rapporteur et le ministre émettent un avis favorable, auquel cas ils auraient été obligés d'argumenter. Mais ils en sont absolument incapables ! (Protestations sur les travées de l'UMP. - M. François-Noël Buffet frappe son pupitre.)

Si vous avez des arguments, alors, exposez-les ! S'ils sont bons, je suis prêt à retirer mon amendement !

M. Guy Fischer. Bien sûr !

M. François Autain. Vous n'avez absolument pas répondu aux observations que j'ai faites. Vous fuyez le débat, vous n'en voulez pas ! C'est inacceptable et même scandaleux !

M. Guy Fischer. C'est une mascarade !

M. François Autain. J'ai honte pour la réputation du Sénat !

M. Josselin de Rohan. Maintenant, ça suffit ! (Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. François Autain. Qu'est-ce que cela signifie ? De quel droit vous permettez-vous ? Je ne vous ai pas interrompu quand vous êtes intervenu ! J'ai passé l'âge d'avoir un professeur !

Mme Michelle Demessine. On n'est pas à l'école !

M. le président. Monsieur Autain, j'avais le sentiment que vous aviez terminé. Je m'apprêtais à donner la parole à M. le rapporteur, qui avait été interpellé !

M. François Autain. Monsieur le président, quand on m'agresse, je réponds !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Dériot, rapporteur. Monsieur Autain, je vous ai répondu que ce choix relève de la responsabilité du médecin. Il n'y a pas lieu d'envisager autre chose, c'est le médecin qui décide. Il ne peut y avoir d'autre réponse.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 25, présenté par MM. Autain,  Fischer et  Muzeau, Mmes Assassi et  Beaufils, MM. Biarnès et  Billout, Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Bret et  Coquelle, Mmes David,  Demessine et  Didier, M. Foucaud, Mme Hoarau, MM. Hue et  Le Cam, Mmes Luc et  Mathon, MM. Ralite,  Renar,  Vera et  Voguet, est ainsi libellé :

Dans la dernière phrase du texte proposé par cet article pour insérer un nouvel alinéa après le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, remplacer les mots :

qualité de sa vie

par les mots :

qualité de sa fin de vie

La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Cet amendement vise à coordonner la rédaction de l'article 1er et celle des articles 4 et 6, en employant la même expression : « qualité de sa fin de vie ».

En effet, je ne comprends pas pourquoi l'article 1er prévoit d'assurer la « qualité de sa vie », expression différente de celle qui est employée aux articles 4 et 6. Dès lors qu'on parle d'un malade que l'on qualifie de mourant, il serait plus cohérent d'utiliser dans cet article l'expression : « qualité de sa fin de vie ».

M. François Autain. C'est un amendement de cohérence et de bon sens, qui ne devrait pas appeler de la part de la commission et du Gouvernement de longs commentaires, j'en conviens ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Je demande simplement une réponse de bon sens, et positive...

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. Monsieur Autain, vous avez sans doute raison de rapprocher la rédaction de ces différents articles. Cependant, je ne suis pas certain que la modification rédactionnelle que vous proposez apporte quoi que ce soit.

Le texte fait référence à la dignité du mourant et vise à assurer la qualité de sa vie. Je suis au regret de devoir vous dire que tant que vous n'êtes pas mort, vous êtes toujours en vie ! C'est donc bien de la vie qu'il est question.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur Autain, si un mourant est bien en situation de fin de vie - nous en sommes d'accord -, vous conviendrez qu'il est cependant question d'assurer la qualité du reste de sa vie, qu'elle qu'en soit la durée. Par conséquent, votre amendement est inutile.

M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.

M. François Autain. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, j'ai bien entendu vos explications. Je reconnais volontiers que quelqu'un qui est mourant n'est pas mort ; il est toujours vivant !

Prenons la question autrement : acceptez alors que, dans les autres articles, il soit question non plus de la « qualité de sa fin de vie » mais de la « qualité de sa vie ». Ainsi, ce texte conserverait toute sa cohérence. A défaut, je devrais considérer que vous êtes animés d'arrière-pensées et que vous voulez, contre toute évidence, imposer un texte en dépit de ses nombreuses contradictions et imperfections.

Or, loin de moi cette pensée, évidemment. Je crois que vous avez à coeur d'améliorer ce texte, qui en a grand besoin. C'est pourquoi, une fois encore, je ne comprends pas très bien la réponse que vous m'avez faite.

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. Notre assemblée a toujours aimé le travail bien fait. Cet amendement vise à rapprocher la rédaction de l'article 1er de celle de l'article 4.

La dernière phrase du texte présenté par l'article 1er pour insérer un nouvel alinéa après le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi rédigée : « Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. » Quant à la dernière phrase du texte présenté par l'article 4 pour compléter le deuxième alinéa de l'article L. 1111-4 du même code, elle est ainsi rédigée : « Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. »

L'objet visé est donc exactement le même, la formulation est exactement la même, sauf qu'on a, semble-t-il, oublié d'intégrer la précision prévue par cet amendement. Notre souci était d'apporter cette qualité qui fait la réputation du Sénat !

M. Roland Muzeau. C'est pertinent !

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je rappelle que cette proposition de loi telle qu'elle nous a été transmise par l'Assemblée nationale a pour intitulé : « Proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie ». Pourquoi ne pas l'avoir intitulée : « Proposition de loi relative aux droits des malades et à la vie » ?

M. François Autain. Ou « à la qualité de la vie » !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous sommes enfin arrivés à un accord général sur un point : ainsi que l'a dit M. de La Palice voilà fort longtemps, « un quart d'heure avant sa mort, il était encore en vie. » (Sourires.)

Il est évident, et cela vient d'être démontré d'une manière péremptoire, qu'en tout autre temps le rapporteur aurait qualifié cet amendement de simple amendement de forme. Il vise, en effet, à une coordination entre deux articles voisins où se retrouve une phrase totalement identique. Vous voulez absolument un vote conforme. Permettez-moi de vous faire remarquer que vous ne l'avez déjà plus en cet instant !

Mais, en tout état de cause, ce n'est pas sérieux, ce n'est pas digne du Sénat de laisser passer des incohérences comme celle-là. A quoi servons-nous ? Si un texte est mal rédigé, comporte des erreurs, le rôle du Sénat est d'y remédier.

On cite souvent, ici, Clemenceau pour rappeler que le Sénat est la « chambre de réflexion ». En l'occurrence, il n'y a même pas besoin de réflexion, cette modification tombe sous le sens !

En tout cas, nous voterons l'amendement n°25.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. Je voudrais apporter quelques précisions pour au moins tenter de sauver l'honneur de notre hémicycle. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Daniel Raoul. A l'impossible nul n'est tenu !

M. Gérard Longuet. Ne soyez pas trop ambitieux, mon cher collègue !

M. Roland Muzeau. En tout cas, il faut essayer. Qui ne tente rien n'a rien !

A l'article 9, il est précisé : « Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l'article L.1110-10. »

On est là dans l'incohérence et il suffit de voter l'amendement n° 25 pour redonner un brin de bon sens à cette proposition de loi.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 85, présenté par M. Seillier, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par cet article pour modifier l'article L. 1110-5 du code de la santé publique par une phrase ainsi rédigée :

La proportionnalité des soins est appréciée en mettant en rapport le genre de thérapeutique envisagée, son degré de complexité ou de risque, les possibilités de son emploi avec les résultats que l'on peut en attendre, compte tenu de l'état du malade et de ses ressources physiques et morales.

La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Je retire cet amendement et me rallie à l'amendement n° 14, qui est identique.

M. le président. L'amendement n° 85 est retiré.

L'amendement n° 14, présenté par Mme Payet, MM. Mercier,  Amoudry,  Badré,  Biwer,  J. Boyer,  A. Giraud et  Merceron, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par cet article pour modifier l'article L. 1110-5 du code de la santé publique par un alinéa ainsi rédigé :

« La proportionnalité des soins est appréciée en mettant en rapport le genre de thérapeutique envisagée, son degré de complexité ou de risque, son coût, les possibilités de son emploi avec les résultats que l'on peut en attendre, compte tenu de l'état du malade et de ses ressources physiques et morales. »

La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Aucun document juridique ne définit actuellement la notion de proportionnalité. Il s'agit donc de remédier à cette lacune.

La notion de proportionnalité est appréciée en conscience par l'équipe médicale et paramédicale en mettant en perspectives différents critères : le genre de thérapeutique envisagée ; son degré de complexité ou de risque ; les possibilités de son emploi, avec les résultats que l'on peut en attendre ; enfin, les ressources physiques ou morales du malade.

Dans cette évaluation de la proportionnalité des soins, on exclut de donner intentionnellement la mort par défaut de soins, mais on cherche simplement à supprimer les traitements devenus déraisonnables, disproportionnés et inadaptés à la situation.

Cela n'empêche pas d'utiliser raisonnablement tel ou tel traitement exceptionnel si le patient est prêt à en assumer les désagréments et si cela peut lui donner une chance supplémentaire de guérison ou d'amélioration de son état de santé, même si le résultat est aléatoire.

Cependant, ces thérapeutiques peuvent être arrêtées dès que le patient, ses représentants ou l'équipe médicale les considèrent comme devenues disproportionnés à la situation.

Définir ainsi le principe de proportionnalité des soins permet de se rapporter aisément à cette définition dès que ce principe est en cause. Cela concerne tous les autres articles se rapportant à ce sujet.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. Il s'agit de la proportionnalité d'un traitement, dont l'appréciation, là encore, relève du médecin et de son savoir-faire. On ne peut donc pas la mesurer de manière administrative.

Par conséquent, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. La précision relative à la proportionnalité d'un acte ne me paraît pas utile. D'abord, elle relève de la bonne pratique médicale et dépend de la déontologie. Par ailleurs, ce n'est pas une définition légale qu'il nous faut trouver. Encore une fois, je crois que c'est un problème de référence médicale, de bonne pratique et de déontologie.

M. le président. L'amendement est-il maintenu, madame Payet ?

Mme Anne-Marie Payet. Je le retire, monsieur le président. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 14 est retiré.

L'amendement n° 13 rectifié, présenté par Mme Payet, MM. Mercier,  Amoudry,  Badré,  Biwer,  J. Boyer,  A. Giraud,  Merceron,  Vallet,  About,  Nogrix,  Blin,  Pozzo di Borgo,  Kergueris et  Deneux, Mme Morin-Desailly et M. Zocchetto, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par cet article pour modifier l'article L. 1110-5 du code de la santé publique par un alinéa ainsi rédigé :

« De même que les soins d'hygiène et le maintien d'une température adéquate, l'alimentation et l'hydratation, même artificielles, sont des soins minimaux, ordinaires, proportionnés dus à la personne et ne peuvent être considérés comme des actes médicaux. La suspension de ces soins ordinaires peut être décidée si la personne bénéficiaire le demande avec insistance de manière libre et éclairée (selon la procédure prévue au deuxième alinéa de l'article L. 1111-4). La suspension de ces soins ordinaires peut être décidée par le médecin s'ils n'atteignent pas leur finalité propre, s'ils sont la source d'un danger pour la personne soignée ou si celle-ci est en phase terminale de son existence. »

La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Cet amendement a pour objet d'inscrire dans la loi le principe selon lequel la personne soignée a le droit d'être alimentée et hydratée, même de manière artificielle, ainsi que de recevoir des soins d'hygiène et de maintien de la température, selon que son état le requiert.

Il existe quatorze besoins fondamentaux de la personne humaine. Ils ont été présentés par Virginia Henderson devant l'Organisation mondiale de la santé en 1969 et sont enseignés dans toutes les écoles d'infirmières.

Parmi ces besoins, on trouve la nécessité physiologique de boire et de manger, mais aussi de recevoir des soins d'hygiène et de pouvoir bénéficier d'un maintien adéquat de la température.

Les soins qui répondent à ces besoins fondamentaux sont appelés des soins de base, qu'il est toujours légitime de proposer quand la personne ne peut les accomplir elle-même. Ne pas répondre à ces besoins fondamentaux par les soins de base est considéré comme de la maltraitance.

Il existe en France une jurisprudence. Elle concerne, notamment, des parents qui ont laissé mourir de faim et de soif leur enfant, handicapé ou non, des vieillards mal pris en charge par l'entourage, en institution ou à domicile.

Durant la canicule de l'été 2003, des personnes sont décédées faute d'hydratation ou de maintien d'une température correcte, et en raison d'un entourage insuffisant pour répondre à leurs besoins. La conscience de la nation française s'en est fortement émue.

L'alimentation artificielle n'est pas un traitement. L'alimentation en tant que telle est un ensemble de nutriments qui répond à des besoins énergétiques fondamentaux de l'organisme, qu'il soit malade ou bien-portant. L'alimentation administrée de manière artificielle n'est pas un traitement au sens d'un médicament qui soigne une maladie ; c'est une réponse à un besoin physiologique de base.

La disposition proposée légitimerait l'arrêt de l'alimentation artificielle, non seulement chez le patient qui le demande de manière consciente et éclairée, mais aussi chez le patient incapable de donner son avis, à condition de suivre la procédure collégiale proposée dans le texte. Cela signifierait que l'on pourrait arrêter l'alimentation artificielle de personnes gravement handicapées, qui ne sont pas particulièrement en fin de vie.

Mais que fait-on de la non-assistance à personne en danger ? Il y aurait là, très clairement, des situations d'euthanasie par omission des soins de base normalement dus au malade et indispensables au maintien physiologique de sa vie. Si la personne malade doit mourir, ce n'est pas de faim ou de soif, c'est de sa maladie !

Il existe cependant des situations où l'alimentation artificielle peut être légitimement interrompue, et cet amendement le précise.

L'alimentation artificielle peut être interrompue « si elle n'atteint pas sa finalité propre », c'est-à-dire si les nutriments ne peuvent être assimilés correctement, « si elle est la source d'un danger pour la personne soignée » ou « si la personne soignée est en phase terminale de son existence ». Mais en dehors de ces cas particuliers, l'alimentation est la réponse à un besoin physiologique de base.

C'est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, d'adopter cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. Elle souhaiterait connaître l'avis du Gouvernement.

M. François Autain. Quelle comédie !

M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Un traitement est défini comme une intervention ayant un but médical pour le patient. L'alimentation et l'hydratation dites artificielles sont, pour le malade, une intervention médicale. Elles sont donc assimilables à un traitement.

Ce traitement, conformément aux articles 3 et 6 de la proposition de loi, pourra être interrompu sur décision du malade ou, conformément à l'article 9, sur décision du médecin. L'amendement n°13 rectifié apparaît, dès lors, inutile et redondant.

Par ailleurs, les soins d'hygiène et de maintien d'une température adéquate sont des soins nécessaires à la dignité du malade. C'est une question qu'a d'ailleurs posée le rapporteur. Le médecin est donc garant de ces soins, qui ne peuvent pas être suspendus. Je réponds ainsi, madame Payet, aux questions que vous posez.

C'est la raison pour laquelle je vous demande de retirer votre amendement.

M. le président. L'amendement est-il maintenu, madame Payet ?

Mme Anne-Marie Payet. Je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous trouvons critiquable le fait d'interrompre éventuellement l'alimentation. C'est la raison pour laquelle nous proposons des méthodes plus franches.

Nous connaissons, pour avoir entendu tout à l'heure s'exprimer Mme Payet, son pouvoir de persuasion. C'est pourquoi je pense tout de même devoir présenter un sous-amendement.

Les textes doivent être cohérents. A la fin de cet amendement n°13 rectifié, il est précisé : « ou si celle-ci est en phase terminale de son existence ». Or, dans le texte de la proposition de loi, il est écrit : « si celle-ci est en fin de vie ». Pourquoi, dès lors, employer le mot « existence » ? C'est pourquoi il me paraît souhaitable, dans l'amendement n° 13 rectifié, de remplacer les mots « en phase terminale de son existence » par les mots « en fin de vie ».

Tel est l'objet de notre sous-amendement.

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 87, présenté par M. Dreyfus-Schmidt, et ainsi libellé :

A la fin du texte proposé par l'amendement n° 13 rectifié, remplacer les mots :

en phase terminale de son existence

par les mots :

en fin de vie

Quel est l'avis de la commission ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. La commission est défavorable à l'amendement n° 13 rectifié et au sous-amendement n° 87.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Je me suis déjà exprimé sur l'amendement. Quant au sous-amendement, je ne vois pas ce qu'il apporte de plus. J'y suis donc défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 87.

Mme Anne-Marie Payet. J'approuve le sous-amendement présenté par M. Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Alors, rectifiez votre amendement en ce sens !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 87.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur l'amendement n° 13 rectifié.

M. Jean-Pierre Michel. Nous avons discuté en commission de la question abordée dans cet amendement et évoquée, lors de son intervention sur l'article 1er, par M. Mercier.

Nos collègues qui ne sont pas membres de la commission des affaires sociales doivent savoir que cette dernière a travaillé, même si, à l'issue de ce débat, il n'en restera rien. Elle a procédé à des auditions, interrogé des sommités dans ce domaine, étudié les amendements et, enfin, elle a écouté la lecture du rapport. Il suffit, pour s'en rendre compte, de se reporter au compte rendu de nos réunions.

Un certain nombre de médecins ont dit très clairement devant notre commission que, selon eux, cesser d'alimenter et d'hydrater, même artificiellement, un patient ne constituait pas un acte médical. La position de M. le ministre n'est donc pas partagée par l'ensemble de ses collègues médecins !

M. Jean-Pierre Michel. C'est la raison pour laquelle nous voterons l'amendement de Mme Payet.

En effet, nous estimons que dire qu'il n'existe pas d'autre solution que l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles est la pire des hypocrisies, surtout au vu des souffrances qui seront endurées pendant plusieurs jours par le malade. Ne serait-ce que sur un plan purement humanitaire, il convient d'adopter l'amendement de Mme Payet.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. A titre personnel, je ne saurais voter un tel amendement, même s'il avait été sous-amendé.

Je déplore qu'un tel texte, portant sur une question aussi importante, voire taboue, notamment au sein des familles, donne lieu à ce type d'amendement. Celui-ci me semble, en effet, extrêmement dangereux, car il est porteur de la pire des idéologies ! (M. Gérard Delfau applaudit.)

M. Gérard Delfau. Très bien ! Enfin !

M. Roland Muzeau. Certes, personne n'est obligé de partager mon opinion, mais il me semble évident que cet amendement est directement inspiré par Rome.

Cela nous rappelle le feuilleton de ce drame vécu par une citoyenne américaine, que l'on nous a infligé tous les jours à la télévision, durant quelques semaines. A cette occasion, nous avons entendu tout et n'importe quoi, y compris le pire, en termes de commentaires idéologiques inspirés, notamment, par les débats virulents qui avaient lieu outre-Atlantique.

Je crois très sincèrement que ce débat ne doit pas être l'occasion d'un jeu sibyllin consistant à adopter un amendement particulier pour mettre en échec la majorité gouvernementale. Moi, ce soir, je ne joue pas ! Je souhaite combattre ce type de proposition. C'était déjà mon intention avant d'entrer en séance et pendant les travaux que nous avons menés avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, en rencontrant des médecins, des professionnels de la santé, des représentants des familles et des personnes atteintes par des drames personnels.

C'est à ce niveau que le débat doit se situer, pas à un autre ! Or, ce débat, la majorité présidentielle le refuse, ce qui nous désole profondément. Personne ne parle ! Comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, le Gouvernement a édicté un oukase : « silence dans les rangs ! ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et, en plus, sur une proposition de loi, monsieur le ministre !

M. Roland Muzeau. Effectivement, la règle du silence est respectée : M. de Rohan a fait le ménage !

Nous n'avons plus le droit ni de parler ni d'amender. Il nous est même interdit de corriger les erreurs contenues dans le texte de cette proposition de loi.

Je voterai donc, avec une forte conviction, résolument contre l'amendement défendu par Mme Payet, car celui-ci est extrêmement dangereux pour la République même !

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.

M. Gérard Delfau. Tout d'abord, je voudrais dire avec solennité aux membres du groupe socialiste que la fin ne justifie pas les moyens et que certaines alliances sont contre nature.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit d'une simple erreur !

M. Gérard Delfau. Je m'adresserai ensuite à l'ensemble des sénatrices et des sénateurs : mes chers collègues, en raison de la nature du sujet dont nous traitons aujourd'hui, nous ne pouvons pas poursuivre ce débat sur ce ton et sous cette forme.

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. Gérard Delfau. Nous sommes en train de nous déconsidérer ! Nous avons le devoir, sur ce sujet, d'être nous-mêmes, sans user de faux-fuyant et sans tenter de biaiser.

Enfin, je souhaite rappeler à certains membres du groupe de l'Union centriste-UDF - et non à l'ensemble de ce groupe - que l'idéologie de Bush n'a pas sa place en France ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Je respecte tout à fait la personne et les propos de M. Delfau, mais il n'a pas le droit de caricaturer ce que nous disons. Chacun a le droit de défendre ses opinions, c'est même l'un des fondements de la République, mais à condition de respecter l'autre. Et vous n'êtes pas exempt, monsieur Delfau, de cette obligation qui nous permet de vivre ensemble.

Par ailleurs, je respecte également les propos de M. Muzeau, même si nous n'avons pas la même vision que lui du problème.

M. Roland Muzeau. C'est grave !

M. Michel Mercier. Ce n'est pas la première fois que nous sommes en désaccord, et ce ne sera probablement pas la dernière !

Je souhaite expliquer notre position. Personne n'a, en effet, le monopole de la vérité dans ce type de débat et c'est le dialogue qui permet d'avancer.

Nous sommes tout à fait d'accord avec l'idée selon laquelle la suspension d'un traitement est nécessaire lorsque l'obstination devient déraisonnable. Nous souhaitons simplement que, dans ce cas-là, on respecte la dignité de la personne humaine et que l'on continue à hydrater le malade.

C'est la première fois que j'entends évoquer la possibilité d'un arrêt de l'hydratation, alors même, d'une part, que l'on nous a toujours assuré du contraire et, d'autre part, que cette procédure entraîne chez le malade des souffrances très particulières ! En revanche, j'ai dit tout à l'heure que nous étions opposés à l'alimentation forcée.

Telle est la position que nous défendons. Nous la soumettons à l'approbation de la Haute Assemblée, qui l'acceptera ou non. Mais, en tout état de cause, elle est aussi valable que celle de nos contradicteurs.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Certains de mes collègues du groupe socialiste ont commis une erreur d'appréciation sur cet amendement n° 13 rectifié, et ils le reconnaissent bien volontiers. Par ailleurs, les arguments de MM. Muzeau et Delfau sont d'une très grande force.

En ce qui nous concerne, nous n'avons pas non plus l'intention de jouer ! Si jeu il y a, celui-ci consiste, de la part du Gouvernement et de la commission, à refuser tous les amendements afin d'obtenir absolument un vote conforme sur cette proposition de loi. C'est pour cette raison que le débat se déroule dans de si mauvaises conditions !

Nous n'avons pas l'intention de susciter des contre- majorités, surtout sur un texte aussi important. Je pense, en effet, que la mesure préconisée par Mme Payet pourrait donner lieu à des situations tout à fait épouvantables, comme celle qu'a connue Terri Schiavo, aux Etats-Unis.

Mais, dans ce genre de situation, quelle solution reste-t-il pour faire face à la souffrance du malade ?

L'arrêt de l'hydratation et de l'alimentation est une mesure d'une hypocrisie absolue puisqu'elle consiste à créer une nouvelle souffrance, que l'on atténue avec des sédations. Puis, on administre de la morphine, dont l'effet est double : il s'agit alors d'une euthanasie passive, déguisée, bien pire que l'euthanasie active demandée par le patient.

Nous n'avons donc pas à transiger : nous ne devons pas voter l'amendement de Mme Payet qui, par ailleurs, présente souvent devant le Sénat des amendements très intéressants.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour explication de vote.

Mme Anne-Marie Payet. Lors des débats à l'Assemblée nationale, un député a clairement revendiqué la possibilité d'obtenir, par arrêt combiné de l'alimentation et de l'hydratation, la mort des malades. Il évoquait à ce titre l'application des protocoles euthanasiques étudiés dans l'Etat américain de l'Oregon, où l'euthanasie est légale.

Or la voie française, telle que l'a définie le ministre de la santé, vise à proposer d'autres solutions que l'euthanasie. Il est cependant contradictoire de défendre cette troisième voie tout en proposant des dispositions qui, pour certaines, permettraient de mettre en oeuvre une forme d'euthanasie délibérée qui ne dit pas son nom.

La proposition de loi étudiée actuellement, dans son exposé des motifs, assimile l'alimentation à un traitement. Or, cette assimilation abusive ouvre la porte à de telles interprétations, non voulues par les auteurs de ce texte. En effet, un soin est toujours dû, tandis qu'un traitement peut être inutile ou disproportionné.

Afin de marquer clairement notre refus des situations où, sur fond de conflit familial, comme nous l'avons vu récemment aux Etats-Unis, un patient pourrait se voir privé de nourriture ou d'eau, sans l'avoir d'ailleurs demandé, il nous faut sortir de cette confusion. Ce serait, d'une certaine façon, le moyen de répondre aux protestations de Marie Humbert, qui a reproché à cette proposition de loi de permettre une telle issue.

La troisième voie française est-elle celle du refus de l'euthanasie et de l'acharnement thérapeutique ou celle de l'acceptation d'une forme particulièrement insidieuse d'euthanasie dissimulée ? C'est la question qui nous est posée.

Par ailleurs, monsieur Delfau, s'il est vrai que les parlementaires ne doivent pas faire référence à leurs convictions religieuses, ils ne sont pas obligés non plus de les étouffer.

M. Gérard Delfau. Comme cela, c'est clair !

Mme Anne-Marie Payet. Il est normal que les parlementaires catholiques, en examinant cette proposition de loi, pensent, ce soir, à la mort du Pape. Nous ne pouvons pas nous en empêcher ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Roland Muzeau. C'est insupportable !

Mme Anne-Marie Payet. Par ailleurs, je n'ai pas non plus l'impression, ce soir, de jouer !

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. La volonté du Gouvernement d'obtenir un vote conforme et de museler le débat conduit au résultat auquel nous assistons. C'est très clair !

S'agissant de l'amendement n° 13 rectifié, je partage à 150 % les propos de Roland Muzeau. En effet, il ne faut pas s'y tromper : cet amendement est l'écho direct des évènements qui viennent de se produire aux Etats-Unis.

Mme Payet a également fait référence à la mort du pape Jean-Paul II : de toute évidence, il s'agit bien de la même configuration idéologique. Cet amendement, j'en suis certain, a été pensé, réfléchi, je n'ose pas dire à Rome ou au Vatican, comme Roland Muzeau, ...

M. Roland Muzeau. Parce que tu es moins bien informé que moi ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. ... mais tout au moins à Lyon. N'est-ce pas, monsieur Mercier ? (Sourires.)

M. François Autain. De façon collégiale !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que l'on espère collégiale !

M. Guy Fischer. Nous ne pouvons pas accepter cet amendement.

Je ne répondrai pas aux arguments qui ont été développés. Je me contenterai de citer les propos de certaines personnalités reçues lors des auditions que nous avons menées, notamment les représentants des diverses religions et de la franc-maçonnerie.

Bien entendu, ce débat, au coeur des données philosophiques et religieuses, a été très intéressant.

Le représentant de l'épiscopat français, Mgr Minnerath, a exprimé son point de vue : le rôle du médecin consiste à entretenir la vie sans toutefois se livrer à un acharnement thérapeutique. Là, les choses étaient claires. Pour lui, on ne peut considérer qu'un médecin commettrait un homicide en renonçant à des soins curatifs inutiles.

Il est revenu à plusieurs reprises sur ce problème et s'est interrogé sur les déclarations du rabbin Michel Guggenheim, représentant de la communauté juive, qui s'inquiétait des dispositions prévues par la loi instaurant la possibilité d'un arrêt de l'alimentation et de l'hydratation du malade.

Le rabbin Michel Guggenheim a été explicite : il a estimé que « les médecins devraient être libérés par une clause de conscience de l'obligation de déférer à la volonté du patient de ne pas s'alimenter. L'arrêt de toute alimentation constitue pour la religion juive la transgression d'un interdit, car elle provoque indirectement la mort. »

Cet amendement nous ramène à ce débat philosophique. Je respecte Michel Mercier, son auteur. Nous nous connaissons très bien. Pour vivre ensemble dans l'agglomération lyonnaise, nous savons comment les choses se passent. Et j'aurais pu parler des francs-maçons !

A partir de là, il faut être très clairs et le dire :c'est bien la version défendue par Roland Muzeau qui est conforme à la réalité.

Nous nous opposerons donc à cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Francis Giraud, pour explication de vote.

M. Francis Giraud. Je tiens à exprimer mon étonnement - et le mot est faible ! - au sujet de cet amendement.

Dans mon esprit, le rôle du législateur est de fixer des règles, une route à suivre. Il ne lui revient pas de transformer la loi en un registre de prescriptions médicales, lesquelles relèvent du médecin, sauf à admettre que, la population française n'ayant plus confiance dans le corps médical, c'est à la loi de décrire ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire face à chaque situation.

Et qu'on ne vienne pas me parler de corporatisme quand je qualifie de dérive le fait de tout décliner dans les moindres détails, y compris la température. Que n'avez-vous mentionné l'oxygène ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat approuve.)

Je comprends ce qui vous anime, mais je vous mets en garde : la loi ne doit pas devenir un registre de prescriptions ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. De prescriptions religieuses !

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le débat est utile. Cet amendement est en effet trompeur dans la mesure où son objet dit exactement le contraire du texte de l'article. Par conséquent, si certains s'y sont trompés, ils ont des excuses !

Le début de l'objet est ainsi rédigé : « Cet amendement a pour objet d'inscrire dans la loi le principe selon lequel la personne soignée a le droit d'être alimentée et hydratée même de manière artificielle... »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est la même chose que le droit à la vie !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Jean-Pierre Michel avait lu l'objet. Or, nous, nous avions lu l'article, qui dit exactement le contraire. C'est clair, net et précis.

Je tenais à apporter cette précision parce qu'on pouvait s'y tromper. Je ne dis pas que cela a été fait intentionnellement, mais le résultat est là. Nous disons, quant à nous, qu'il y a d'autres méthodes plus rapides, plus franches et meilleures que de condamner les gens à mourir de faim.

M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.

M. François Autain. En écoutant les uns et les autres, je constate que nous sommes tous d'accord pour reconnaître qu'il est particulièrement barbare de condamner une personne, qu'elle soit gravement souffrante ou en fin de vie, à mourir de faim, et ce d'autant plus lorsqu'il s'agit de prolonger cette vie artificiellement dans un corps parfois déserté par la personne.

Pour illustrer mon propos, je voudrais vous relater une anecdote empruntée à Flavius Josèphe dans Antiquités juives : Quatre individus que la lèpre obligeait ainsi à demeurer devant les portes de la ville, n'ayant plus personne pour leur apporter à manger tant la famine était grande et en voyant l'accès de la ville interdit par la loi, pensèrent que, même admis, ils périraient misérablement de faim et qu'ils auraient d'ailleurs le même sort en restant où ils étaient, faute de nourriture. Ils décidèrent donc de se rendre aux ennemis où on les égorgerait, où on les mettrait à mort, et ils auraient une mort plus douce.

Comprenez de mon propos que peu de médecins, à ma connaissance, laissent mourir une personne de faim ou d'inanition pendant des semaines. Ils utilisent d'autres moyens, que la loi actuelle réprouve. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous voudrions modifier cette dernière. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Presque personne ne l'a voté ! Cela devient plus normal !

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote sur l'article 1er.

M. Gérard Delfau. Après un moment difficile, le débat entre maintenant dans sa vitesse de croisière.

Tirant la conclusion de ce qui vient de se passer depuis le début de cette séance, je dirai que le texte tel qu'il est proposé, même s'il est insuffisant, constitue une avancée.

En même temps, les débats - et l'incapacité de la majorité sénatoriale à les mener ! - montrent que l'étape suivante est urgente. Si nous ne la franchissons pas en mettant très vite en forme l'exception d'euthanasie, nous retomberons dans les débats que nous venons d'avoir, et nous n'arriverons pas à arrêter une position commune ni au sein du Parlement ni devant l'opinion publique, ce qui serait dramatique pour ceux qui souffrent et qui attendent !

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir une proposition de loi qui touche à la conscience et à l'éthique de chacun d'entre nous. C'est donc en son âme et conscience, et non pas en fonction de consignes d'où qu'elles viennent, que chacun d'entre nous doit se prononcer.

Au terme de l'examen de cet article 1er, il n'est pas difficile de comprendre, monsieur le ministre, que vous avez décidé que ce texte serait adopté dans des termes conformes à ceux de l'Assemblée nationale.

Devant le mépris que vous affichez vis-à-vis des élus de la nation, mes collègues et moi-même sommes très en colère. C'est la démocratie qui est bafouée ! Il est scandaleux de traiter les sénateurs de cette façon !

Malgré ses imperfections et ses insuffisances, nous aurions voté ce texte. Devant un tel mépris, nous quitterons l'hémicycle et ne participerons pas au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.- Mmes et MM. les sénateurs du groupe de l'UC-UDF, ainsi que M. Bernard Seillier, quittent l'hémicycle.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous ne voterons évidemment pas cet article 1er. Et, comme notre collègue, nous estimons qu'il y a mépris pour le Sénat  dans cette volonté affichée, manifeste d'obtenir un vote conforme. On se demande bien pourquoi ! La navette est précisément faite pour cela.

Est-ce l'effet médiatique du vote unanime à l'Assemblée nationale qui vous est monté à la tête ? Certainement ! Mais un vote unanime n'est pas obligatoirement un bon vote. L'unanimité n'est pas obligatoirement source de réussite, et le Sénat a un rôle à jouer. Sinon, le bicamérisme est inutile, et il ne reste plus qu'à supprimer la seconde Chambre !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je peux vous le dire maintenant, la position que vient de défendre Mme Dini est celle que nous avions l'intention de prendre, mais un peu plus tard. Nous y viendrons certainement à notre tour.

Arrivent maintenant en discussion quatre amendements tendant à insérer des articles additionnels sur lesquels la commission et le Gouvernement vont donner leur avis.

Si ces amendements très importants pour nous ne sont pas adoptés, le reste du débat n'aura plus aucun sens. En effet, cela signifierait que, quels que soient les amendements, y compris les amendements techniques, vous voulez obtenir un vote conforme dans tous les cas de figure. Et je subodore, sans vous faire de procès d'intention, monsieur le ministre, que vous demanderez une seconde délibération sur l'article 1er , modifié par l'amendement n° 12, pour être certain d'obtenir ce vote conforme.

En conséquence, à l'issue de la discussion de ces quatre amendements tendant à insérer des articles additionnels, si nous n'obtenons pas un vote favorable, nous serons amenés, nous aussi, à quitter cet hémicycle, considérant que le débat ne peut pas avoir lieu puisque vous ne voulez retenir aucun amendement.

A moins, monsieur le ministre, que vous nous disiez que, parmi les amendements techniques que nous avons déposés et que vous avez eu le temps d'étudier, vous avez décidé d'en accepter quelques-uns. Si tel était le cas, peut-être pourrions-nous réfléchir. Mais encore faudrait-il être sûrs que cela n'est pas un leurre et que nos amendements seront adoptés.

Nous avons déposé, par exemple, un amendement reprenant une proposition qui avait été formulée à l'Assemblée nationale et qui n'avait pas réuni de consensus compte tenu de l'heure tardive de sa discussion : il s'agit de revoir la loi dans trois ans, évaluation à l'appui. Monsieur le ministre, accepteriez-vous cet amendement ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Eh bien, monsieur le ministre, vos collègues de la majorité sénatoriale ont déjà répondu. Ils se sacrifient eux-mêmes !

Dans ces conditions, après la discussion des quatre amendements tendant à insérer des articles additionnels, nous quitterons l'hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en cet instant, je me remémore toutes ces réunions et ces mois passés avec les présidents de tous les groupes - communiste, UMP, UDF et socialiste - de l'Assemblée nationale.

J'avoue que je n'aurais jamais cru qu'un jour, sur un sujet aussi passionnel - on le voit ce soir, et c'est bien normal -, on puisse trouver un compromis - je dis bien un compromis - entre, d'un côté, ceux qui, pour des raisons religieuses profondes que je respecte, ne peuvent accepter l'idée de normaliser le fait que 150 000 personnes soient débranchées chaque année et, de l'autre, ceux qui veulent que la loi reconnaisse l'euthanasie. C'est bien normal, et je respecte les convictions des uns et des autres.

Mais à un moment donné, dans un endroit, en France, des responsables politiques ont décidé de passer au-dessus de ces passions.

Je ne prétends pas qu'ils ont eu raison, je ne donne pas de leçon, n'ayant pas moi non plus de certitude. Je dis seulement que, à un moment donné, on a décidé, dans ce pays - le seul au monde, jusqu'à présent, qui se soit engagé dans cette voie -, d'aller au-delà des passions pour parvenir à un compromis, que ceux dont les convictions religieuses sont très fortes ne peuvent approuver pleinement et qui ne peut satisfaire complètement les partisans de l'euthanasie.

A l'instant où je parle, vous le savez aussi bien que moi, des patients sont sur le point d'être « débranchés », pour employer un mot vulgaire mais explicite, et cela dans une hypocrisie absolue, sans qu'aucune loi s'applique, sans que le médecin, le malade et sa famille puissent bénéficier d'un quelconque support juridique.

Sans que j'y sois pour rien, vos collègues de l'Assemblée nationale - nous sommes ce soir au Sénat, je le sais, mais il faut tenir compte de l'historique - ont essayé de progresser dans l'élaboration d'une conception française de la fin de vie dans la dignité. Je sais que cela ne suffit pas à certains, que cela va trop loin pour d'autres. Que l'on me permette simplement de souligner qu'il ne faut pas obligatoirement abîmer le travail qui a été accompli, même s'il est incomplet et imparfait, car il était déjà très difficile de parvenir au point où nous en sommes.

Je dis cela avec beaucoup d'humilité, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi. Croyant un peu savoir de quoi je parle, je vous invite à respecter le compromis obtenu : ce n'est pas quelque chose de neutre, c'est une chance historique pour notre pays, pour nos malades et pour la fin de vie dans la dignité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Ils veulent un vote conforme, ils ne répondent même pas sur les amendements !

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. Nous vous avons écouté avec attention, monsieur le ministre. Nous aurions préféré que vous vous adressiez au Sénat quand ce débat a été lancé, lorsque nous avons appris le retrait des huit amendements de M. About.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est cela, le problème !

M. Guy Fischer. La commission des affaires sociales avait travaillé en confiance, consacrant au moins cinq ou six demi-journées à une réflexion très approfondie, me semble-t-il - le rapport en fait d'ailleurs foi -, qui a permis d'aborder un certain nombre de problèmes. Tous les amendements qui ont été déposés méritaient d'être examinés en séance publique. En particulier, le président About, au travers de huit amendements, avait formulé des propositions qui nous paraissaient, pour l'essentiel, acceptables.

Il est vrai que, parmi les quatre amendements tendant à insérer des articles additionnels qui viendront en discussion, figure l'amendement « Humbert », ce qui permettra à un débat auquel nous tenions d'avoir lieu. En tout état de cause, les membres de mon groupe avaient la volonté d'oeuvrer utilement et dans la dignité, comme en témoignent, à mon sens, les comptes rendus des travaux de la commission.

A cet égard, l'ultime réunion de la commission des affaires sociales nous avait laissé espérer que nous pourrions encore améliorer le texte, dans le respect des travaux de l'Assemblée nationale et dans l'esprit qui a présidé à ces derniers. Nous avions d'ailleurs entendu M. Leonetti, à qui je crois même avoir demandé sur quels points auraient pu porter ces améliorations, quelques mois s'étant écoulés depuis le débat à l'Assemblée nationale.

Certes, nous avons conscience, monsieur le ministre, que l'objet principal de cette proposition de loi est d'apporter une sécurité juridique aux médecins.

Nous n'y sommes pas opposés, et nous vous avons d'ailleurs suivi dans cette voie.

M. Guy Fischer. Cependant, s'agissant de la codécision, sur la conservation des directives anticipées, de la question de la révision de la loi dans les trois ans, entre autres problèmes, il était à notre avis possible d'élaborer, comme sait le faire le Sénat, une rédaction qui, de toute évidence, n'aurait pas satisfait M. François Autain, lui-même auteur d'une proposition de loi portant sur le même thème, mais aurait permis de progresser dans la prise en compte de la souffrance des malades. A cet instant, je voudrais prendre un ton plus personnel pour évoquer, monsieur le ministre, un établissement lyonnais où l'on aide avec intelligence les gens à mourir. Demain, j'assisterai aux obsèques d'un ami très cher. Ne vous méprenez pas sur nos intentions.

Quoi qu'il en soit, nous considérons que le débat tournera court si la commission et le Gouvernement n'adoptent pas une attitude positive dans la discussion des quatre amendements tendant à insérer des articles additionnels. Le reste a peu d'importance, puisque vous venez de confirmer, monsieur le ministre, qu'aucun des autres amendements que nous avons déposés, fussent-ils de précision ou de coordination, ne serait accepté.

Ce débat ne pouvant apparemment se tenir avec la hauteur de vues, le sérieux et la dignité nécessaires, il sera sans doute clos pour nous aussi après l'examen des quatre amendements précités. Nous ne pourrons alors que nous retirer, car nous ne voyons pas ce que nous pourrions apporter de plus dans cette discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Dériot, rapporteur. Je remercie les différents intervenants d'avoir reconnu que le travail accompli en commission au cours de ces derniers mois avait été complet et de qualité, et avait permis de se faire une idée de la situation actuelle.

M. Bernard Frimat. Il a été inutile !

M. Gérard Dériot, rapporteur. Pas du tout ! La preuve en est que les uns et les autres peuvent s'exprimer, comme il est naturel dans une assemblée telle que la nôtre.

Cela étant, comme l'ont aussi admis tous les orateurs, il existe certaines pratiques qui doivent être légalisées : c'est pourquoi cette proposition de loi doit être adoptée le plus rapidement possible. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Son intérêt a été reconnu par l'Assemblée nationale, puisqu'elle y a fait l'objet d'un vote unanime, mais, pour l'instant, elle ne peut pas encore s'appliquer, faute d'avoir été définitivement adoptée. Il importe donc de remédier aussi vite que possible à cette situation.

Aujourd'hui, nous disposons d'un texte qui permet sans doute de trouver un moyen terme entre les aspirations des uns et des autres. N'est-ce pas ce qui convient pour l'heure, avant une poursuite ultérieure de la réflexion ? Je crois que nous honorerions notre assemblée en donnant déjà la possibilité à tous d'appliquer un texte comme celui-ci.

C'est pourquoi il est à mon avis nécessaire que nous nous montrions avant tout efficaces, forts de tous les éléments qui nous auront été apportés, au travers notamment des auditions auxquelles nous avons procédé, et qui sont parfaitement cohérents avec le texte présenté. Par la suite, le travail pourra bien sûr se poursuivre, et les choses évolueront sans doute.

Je crois donc que le travail qui a été accompli est extrêmement fructueux et que cette rédaction peut être votée par tous. Pourquoi d'ailleurs l'ensemble de nos collègues de l'Assemblée nationale, quels que soient les groupes politiques auxquels ils appartiennent, l'ont-ils votée voilà quelques mois ? Chacun d'entre eux y a trouvé ce qu'il recherchait.

M. le président. Mes chers collègues, je n'ai bien sûr pas de consignes à vous donner à cet égard, mais il serait bon que les dernières explications de vote sur l'article 1er soient concises, afin que nous puissions en arriver le plus rapidement possible à l'examen des quatre amendements tendant à insérer des articles additionnels qui ont été évoqués à diverses reprises.

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Que les choses soient bien claires : l'Assemblée nationale a travaillé sur cette proposition de loi pendant neuf mois et l'a votée voilà quatre mois et demi ; si nous devons maintenant impérativement voter le texte conforme, quel qu'il soit, quelles que soient les erreurs et les impropriétés qu'il comporte, ce n'était vraiment pas la peine que la commission des affaires sociales du Sénat procède à des auditions nombreuses et se réunisse si souvent ! Il fallait le dire tout de suite ! C'eût été plus clair et plus net.

Cela étant, la vérité est qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Vous avez de nombreuses occupations, monsieur le ministre ; si vous aviez pu entendre les orateurs du groupe socialiste qui se sont exprimés cette après-midi, vous auriez appris que nous n'avions rien à retrancher, sur le principe, aux dispositions qui avaient été adoptées à l'Assemblée nationale, mais que nous avions des éléments à ajouter. Les groupes de l'Assemblée nationale ont leur logique, nous avons la nôtre, et nous avons, évidemment, notre liberté d'appréciation. Vous ne pouvez pas nous enlever cela, et vous ne pouvez pas nous empêcher de trouver incroyable que vous puissiez nous dire qu'il faut aller très vite !

En effet, vous savez parfaitement que tous les décrets d'application prévus pour la loi Kouchner n'ont pas encore été pris !

M. Jean-Pierre Godefroy. S'agissant des ostéopathes, cela fait trois ans qu'on attend !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. La situation est la même pour bien d'autres textes. Par conséquent, nous n'acceptons pas que vous nous disiez qu'il faut voter cette proposition de loi telle qu'elle est. Une navette n'a jamais nui, au contraire ! C'est cela que nous demandions. Le président About lui-même avait estimé utile de déposer des amendements sur ce texte, que la commission des affaires sociales, les jugeant parfaitement fondés, a adoptés ce matin à l'unanimité.

En résumé, nos protestations, comme celles de nos collègues du groupe de l'Union centriste-UDF, résultent du fait que vous demandez au Sénat d'accomplir un travail indigne de lui. Dans ces conditions, je ne puis que reprendre à mon compte ce qui a été dit tout à l'heure par mon ami Jean-Pierre Godefroy.

M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.

M. François Autain. Monsieur le ministre, vous avez affirmé que l'absence de navette était nécessaire pour aboutir à un compromis. Pour ma part, je pense au contraire que la navette est un moyen de trouver un compromis encore meilleur que celui auquel vous voulez vous limiter en nous appelant à émettre un vote conforme.

Un certain nombre d'entre nous ont fait part de leur déception devant cette façon de procéder. Or, à la lecture du compte rendu du débat qui s'est tenu à l'Assemblée nationale, j'ai constaté, à ma grande surprise, que nous n'étions pas les seuls à être déçus, puisque M. Gaëtan Gorce, président de la commission spéciale, que je ne connais pas personnellement mais qui est, je crois, l'un de vos amis politiques, a déclaré, à l'occasion de l'adoption d'un amendement après l'article 14, s'adressant à un ministre - il s'adressait sans doute à vous, monsieur le ministre, à moins que vous ne fassiez à l'Assemblée nationale comme vous faites au Sénat... (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste) - : « Cet amendement, vous l'avez compris, monsieur le ministre, en appelle un autre. Des propositions pourraient être faites afin que soit mise en place une instance assurant le suivi de l'application de cette loi et son évaluation, soit en deuxième lecture, soit au Sénat. Il convient que le débat qui s'instaure à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi ne soit pas interrompu par le vote, mais que la loi fasse désormais l'objet d'une réflexion permanente ».

M. Guy Fischer. Très bien !

M. François Autain. J'imagine la surprise de M. Gorce lorsqu'il apprendra demain matin que le vote du Sénat a été conforme à celui de l'Assemblée nationale ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Nous assistons aujourd'hui à une espèce de suicide du Sénat, assisté juridiquement par le Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je souhaite exprimer l'opinion de la majorité de mon groupe, qui est également la mienne.

Nous avons rédigé des amendements, car le groupe CRC souhaitait améliorer le texte voté à l'Assemblée nationale, qui lui semblait incomplet. La majorité du groupe était, comme moi-même, favorable au vote d'une loi de compromis, ne serait-ce que pour apporter aux médecins la sécurité juridique qui leur fait défaut.

D'autres membres du groupe CRC souhaitaient s'abstenir si le texte n'allait pas plus loin.

On ne peut pas accepter que le Sénat soit en quelque sorte obligé de voter conforme une proposition de loi, c'est-à-dire un texte d'origine parlementaire.

M. François Autain. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je sais que c'est possible, mais ça ne devrait pas l'être ! Le Parlement a en effet le droit de modifier, d'améliorer, de triturer les textes pour en faire ce qu'il estime le meilleur.

Nous examinons non pas un projet de loi mais une proposition de loi, c'est-à-dire un texte d'origine parlementaire, et le Parlement doit jouer son rôle encore plus pleinement.

Tous les amendements qui ont été déposés n'avaient pas pour objet d'aller plus loin, c'est-à-dire de reconnaître l'euthanasie. Certains visaient simplement à rendre le texte plus efficace.

J'ajoute que cette proposition de loi est typiquement le texte méritant un suivi, un réexamen à la lumière de son efficacité ou de son inefficacité, voire des problèmes d'ordre philosophique ou éthique qu'il peut soulever.

Or, refuser au législateur de revoir son propre texte est une aberration. C'est incompréhensible, c'est - je le répète, après d'autres - faire fi du travail parlementaire.

Vous nous poussez à ne pas participer au vote sur l'ensemble, et ce n'est pas bien. La majorité des membres du groupe CRC, dont moi-même, était favorable au vote de la moindre mesure qui aurait permis d'améliorer la situation actuelle laquelle, comme chacun le sait, n'est absolument pas satisfaisante et parfaitement hypocrite.

C'est regrettable pour le Sénat ! Ce n'est en effet pas la peine que les commissions se réunissent, qu'elles procèdent à des auditions et qu'elles travaillent ! Autant dire, dès lors qu'un vote conforme est souhaité, qu'il est inutile de réunir le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

M. François Autain. Le groupe CRC s'abstient.

M. Jean-Pierre Godefroy. Le groupe socialiste s'abstient également.

(L'article 1er est adopté.)