sommaire

présidence de Mme Michèle André

1. Procès-verbal

2. Dépôt d'un rapport du Gouvernement

3. Respect effectif des droits de l'homme en France. Discussion d'une question orale avec débat. (Ordre du jour réservé.)

M. Jacques Pelletier, auteur de la question ; Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Francis Grignon, Aymeri de Montesquiou, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. André Vallet, André Rouvière, Denis Badré.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice.

Clôture du débat.

4. Autopartage. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : MM. Roland Ries, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ; Francis Grignon, Michel Billout.

Suspension et reprise de la séance

MM. Roger Madec, Mme Dominique Voynet, M. Thierry Repentin.

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er à 5. - Adoption

Article additionnel après l'article 5

Amendement no 2 rectifié de M. Roland Ries. - Mme Bariza Khiari, MM. le rapporteur, Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 6. - Adoption

Vote sur l'ensemble

Mme Adeline Gousseau, M. Michel Dreyfus-Schmidt.

Adoption de la proposition de loi.

5. Politique de l'archéologie préventive. - Débat sur un rapport d'information. (Ordre du jour réservé.)

MM. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, auteur du rapport d'information ; Ivan Renar, Mme Anne-Marie Payet, MM. Yves Dauge, Éric Doligé, Jacques Legendre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication.

Clôture du débat.

6. Informatisation dans le secteur de la santé. - Débat sur un rapport d'information. (Ordre du jour réservé.)

MM. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial de la commission des finances, auteur du rapport d'information ; Guy Fischer, Mmes Anne-Marie Payet, Isabelle Debré.

MM. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités ; le rapporteur spécial.

Clôture du débat.

7. Majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : MM. Nicolas About, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Guy Fischer, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, Christiane Kammermann.

Clôture de la discussion générale.

MM. le rapporteur, la présidente.

Suspension et reprise de la séance

Article 1er - Adoption

Article 2

Amendement n° 2 du Gouvernement. - MM. le ministre délégué. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Article additionnel après l'article 2

Amendement no 1 de M. Guy Fischer. - M. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre délégué. - Retrait.

Adoption de la proposition de loi.

8. Dépôt d'une proposition de loi organique

9. Dépôt de propositions de loi

10. Dépôt d'une proposition de résolution

11. Dépôt d'un rapport d'information

12. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉPÔT D'UN RAPPORT du gouvernement

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre un rapport de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer portant, notamment, sur les conditions de fixation des taux bancaires dans les départements d'outre-mer et sur les raisons de leur écart par rapport aux taux pratiqués en métropole, en application de l'article 9 de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer.

Acte est donné de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances.

3

respect effectif des droits de l'homme en france

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 11 de M. Jacques Pelletier à M. le Premier ministre sur le respect effectif des droits de l'homme en France.

La parole est à M. Jacques Pelletier, auteur de la question.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le garde des sceaux, je veux d'abord vous remercier d'être présent dans cet hémicycle aujourd'hui. Je sais que votre emploi du temps est très chargé et que vous avez dû jongler avec des horaires d'avion afin de pouvoir venir répondre à cette question orale avec débat.

Le 15 février dernier était publié le rapport d'Álvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, sur le respect effectif des droits de l'homme dans notre pays.

Ses conclusions sont malheureusement peu flatteuses pour l'État qui a vu naître la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Il a paru souhaitable à notre intergroupe des droits de l'homme que notre assemblée débatte du diagnostic préoccupant que dresse ce rapport et du suivi qui pourrait être apporté aux recommandations du commissaire.

Historiquement, la France s'est toujours présentée à l'avant-garde de la protection des droits de l'homme. Elle s'est progressivement dotée d'une législation très protectrice des libertés publiques, droit complété par une jurisprudence très engagée dès la fin du XIXe siècle, notamment sous l'impulsion du Conseil d'État.

Aujourd'hui, notre pays jouit d'un degré élevé de protection des droits fondamentaux. Mais cet état de fait ne saurait occulter des réalités dérangeantes, voire inacceptables, dans un État de droit.

Le rapport d'Álvaro Gil-Robles pointe ainsi des domaines aussi variés que le traitement des primo-arrivants, des demandeurs d'asile, l'administration de la justice, la discrimination, la traite des êtres humains ou encore les conditions de détention.

Il existe ainsi un large fossé entre le droit, tel qu'il est conçu et promulgué, et sa pratique effective. Le poids de la tradition n'interfère que trop souvent avec l'impératif de garantie des libertés.

Il apparaît donc indispensable, monsieur le garde des sceaux, que le Gouvernement s'assure, avec célérité, que son administration ne considère pas les droits des citoyens comme une norme supplétive et qu'il donne à l'administration les moyens de ses obligations. Sur ce terrain plus que sur tout autre, ne cédons pas à la démagogie.

De façon plus générale, le commissaire aux droits de l'homme s'est étonné que certains instruments internationaux de protection des droits de l'homme n'aient toujours pas été intégrés au droit français. On peut ainsi citer la convention-cadre pour la protection des minorités nationales de 1995 et le protocole n° 12 de la Convention européenne des droits de l'homme sur l'interdiction générale de la discrimination qui date de 2000, textes qui n'ont même pas été signés. On peut encore citer le protocole n° 13, de 2002, de la même convention, qui prohibe la peine de mort en toutes circonstances, et le protocole n° 14 de 2004, qui renforce l'efficacité du système de contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le garde des sceaux, les raisons qui, jusqu'à présent, ont conduit les gouvernements à ne pas signer ou faire ratifier l'ensemble de ces textes ?

Il est aussi symptomatique qu'en 2002 la France ait été le second État le plus condamné par la Cour de Strasbourg et le troisième en 2003 et 2004. En 2005, cinquante et une violations étaient encore constatées par les juges européens. Notre pays connut même le piteux déshonneur d'être le second État, après la Turquie, à être condamné pour actes de torture en 1999 dans les termes que je vous lis : « La Cour est convaincue que les actes de violence physique et mentale commis sur la personne du requérant, pris dans leur ensemble, ont provoqué des douleurs et des souffrances aiguës et revêtent un caractère particulièrement grave et cruel. De tels agissements doivent être regardés comme des actes de torture au sens de l'article 3 de la Convention. »

Malgré notre rôle prééminent de promotion de la démocratie et des droits de l'homme sur la scène internationale, de sévères rappels à l'ordre nous montrent chaque année les difficultés récurrentes auxquelles nous devons faire face en notre sein même.

Les dysfonctionnements de la justice font partie des maux les plus patents de notre administration. Si les moyens alloués annuellement à la justice sont en hausse constante depuis plusieurs années, l'ensemble des crédits reste cependant insuffisant et représente seulement 1,79 % du budget général de l'État.

Nos concitoyens, qui sont tous de potentiels justiciables, sont en droit d'attendre que l'État leur garantisse une administration de la justice équitable et digne. Est-il normal que les 570 juges d'instruction aient eu à traiter 34 000 dossiers en 2004, soit 60 affaires nouvelles par magistrat ?

Sans anticiper les conclusions de nos collègues députés membres de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite « d'Outreau », force est de constater que ces dysfonctionnements évidents ont affaibli encore un peu plus la qualité, l'efficacité et l'image de notre justice. Par-delà cette affaire, la lenteur de la justice est patente et souligne les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles travaillent les juges. Ce n'est donc pas un hasard si l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui pose notamment le droit à être jugé dans un délai raisonnable, est le texte le plus fréquemment violé par la France. Ainsi, des justiciables ont parfois dû attendre sept ans avant de voir leur recours examiné.

Le rapport Gil-Robles recommande sur ce point une augmentation des moyens financiers et techniques de la justice, ainsi qu'une profonde réorganisation de la carte judiciaire, notamment des tribunaux de grande instance et des cours d'appel. Quel accueil et quelles suites entendez-vous donner à ces recommandations, monsieur le garde des sceaux ?

Parallèlement, tout aussi inacceptable est le traitement réservé aux étrangers arrivant sur notre territoire, qu'ils soient demandeurs d'asile ou non. À la précarité déjà patente de leur situation économique s'ajoute la très grande complexité des procédures et des pratiques policières parfois contestables, comme le relève une nouvelle fois le dernier rapport annuel de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

L'instabilité chronique du droit des étrangers, dont une nouvelle réforme va bientôt nous être présentée, renforce toujours un peu plus l'insécurité juridique de ces personnes le plus souvent en grande détresse. Les procédures se retrouvent parfois détournées de leur objet premier, comme c'est maintenant le cas de l'aide médicale d'État qui n'est plus reliée à la demande d'asile et dont ont bénéficié 178 000  personnes en 2005. Le cas est également flagrant pour ce qui concerne les zones d'attente, au statut ambigu, et qui sont toujours aujourd'hui inadaptées de façon scandaleuse.

Le rapport Gil-Robles met notamment en exergue la situation des demandeurs d'asile qui se heurtent à des procédures très lourdes mais avec une aide a minima de l'État. Si la France est le premier pays d'accueil de demandeurs d'asile dans le monde, elle ne peut faire l'économie d'une rationalisation du fonctionnement de l'Office national de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, et de la Commission de recours des réfugiés, dont les décisions apparaissent parfois imprévisibles.

Monsieur le garde des sceaux, à quelles améliorations du sort des étrangers et des réfugiés le Gouvernement entend-il procéder à court terme ?

Si certains dysfonctionnements ou carences stigmatisés dans le rapport du commissaire aux droits de l'homme sont marginaux, il n'en reste pas moins vrai que se pose en filigrane la question même du rôle et de la place de l'État dans la protection des personnes les plus vulnérables.

On peut observer que de plus en plus de domaines sont progressivement pris en charge par les associations, en raison de l'incapacité des pouvoirs publics, voulue ou non, à assumer leur mission. À défaut de créations d'emplois publics, ce monde associatif, dont le travail est remarquable, doit bénéficier de financements pérennes pour assumer ces tâches d'intérêt général.

Parmi les pratiques judicaires qui me semblent devoir être combattues et éradiquées, il en est une particulièrement incompatible avec une société respectueuse de l'individu et des valeurs humanistes, à savoir la dénonciation anonyme et son accréditation par les services policiers, judiciaires et fiscaux, de même nature attentatoire aux droits de l'homme que la dénonciation elle-même. Cela nous rappelle une époque difficile de notre histoire.

Mes chers collègues, en raison des fonctions politiques que vous exercez comme moi, vous avez dû recevoir un certain nombre de lettres anonymes, dont les auteurs, évidemment, nous voulaient du bien, mais quelquefois dénonçaient des faits plus ou moins imaginaires. J'espère que, comme moi, vous les avez jetées immédiatement à la corbeille à papier. Je souhaiterais que tout le monde en fasse de même.

Outre le placement abusif en garde à vue ou encore la fouille à corps injustifiée, je veux maintenant m'attarder davantage sur un autre manquement à la procédure pénale, dont on ne parle que trop rarement et qui est pourtant de plus en plus fréquent, si l'on en croit la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS. Je veux parler du menottage.

Dans son dernier rapport, ladite commission, présidée par l'éminent Pierre Truche, souligne que « le menottage est de plus en plus systématique, alors que l'article 803 du code de procédure pénale ne le prévoit que lorsque l'individu est " considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite " », une exigence reprise, précise la commission, par les instructions ministérielles du 11 mars 2003 et la note du directeur général de la police nationale du 13 septembre 2004 sur l'utilisation des menottes.

Ces deux textes rappellent également la stricte prohibition du menottage serré qui demeure toutefois pratiqué, comme en témoignent certaines des saisines de la commission en 2004 et en 2005.

Il faut donc souligner que ce qui peut sembler comme un geste simple et ordinaire de la part des policiers est loin d'être toujours indispensable. C'est une question de respect de la déontologie bien sûr, mais également de la dignité humaine et donc de respect des droits de l'homme.

Au final, la plus grande atteinte aux droits de l'homme dans la République reste l'intolérable situation de nos prisons. Ce n'est pas à vous, monsieur le garde des sceaux, que je m'en prends particulièrement, car cette situation perdure depuis des décennies.

Le constat dressé par le rapport Gil-Robles sur l'état de nos établissements pénitentiaires rejoint en grande partie les conclusions déjà rendues en 2000 par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale et par celle du Sénat, qui décrivaient nos prisons étant comme une humiliation pour la République. En cinq ans, rien ne semble avoir été fait pour inverser la donne. Pourquoi la proposition de loi issue des travaux de la commission d'enquête du Sénat en 2000, adoptée dans cet hémicycle en 2002, n'a-t-elle jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? De surcroît, où en est l'élaboration de la Charte pénitentiaire européenne dont on nous parle depuis déjà un certain temps ?

La hausse continue de la population carcérale depuis 1980 - 59 456 détenus au 1er avril 2006 - n'a pas été compensée par la construction d'établissements modernes et dignes d'un État de droit.

Elle n'est pas plus compensée par un redéploiement de la population carcérale : malades psychiatriques en établissements de soins spécialisés, détenus âgés en hospices spécialisés, détention provisoire redevenue l'exception, comme en dispose la loi, application du bracelet électronique pour la détention provisoire, développement important des peines alternatives à l'emprisonnement.

L'enfermement est toujours, depuis 1791, au centre du dispositif judiciaire. C'est la peine de référence, la peine majoritairement prononcée.

N'est-il pas temps, enfin, de revenir sur ces principes, au risque de décevoir nos électorats ?

Les centres d'éducation renforcée, le service civil à long terme, la prison à domicile et tant d'autres peines substitutives à l'emprisonnement doivent être expérimentés puis développés. C'est la seule réponse crédible à la surpopulation carcérale : construire toujours plus de places ne résoudra en définitive pas grand-chose.

Punir autrement, soigner, éduquer, former, réinsérer me semblent des réponses modernes à des maux trop anciens.

Le taux de densité carcérale atteint 118 % au 1er avril 2006. Dans de nombreux établissements pénitentiaires, la superficie de vie moyenne d'un détenu oscille entre 2,4 mètres carrés et 4 mètres carrés. Ce surpeuplement a inévitablement engendré une insalubrité inacceptable, qui bafoue le plus souvent les conditions élémentaires de la dignité de la personne humaine. Je salue néanmoins les premiers résultats du plan de construction de 13 200 places engagé en 2002 par votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux : cela va permettre aux détenus de disposer d'une superficie plus acceptable.

Comme le remarque l'Observatoire international des prisons, l'indignité des prisons françaises provient essentiellement du fait que les détenus sont privés de l'exercice de leurs droits les plus élémentaires : qu'en est-il de l'arbitraire des commissions de discipline ? Que dire de l'isolement de longue durée, de l'insuffisance drastique de l'offre de soins psychiatriques, alors que les pathologies mentales sont surreprésentées, de la quasi-absence de dispositifs de réinsertion pour les détenus libérés, de la transformation des centres de détention en hospices pour les détenus âgés, du manque d'intimité des détenus dans leur moindre geste du quotidien ? Pourquoi tolère-t-on le droit de cantiner avec des prix supérieurs à ceux de l'extérieur ? Pourquoi des détenus entrent-ils séronégatifs en prison et en ressortent-ils séropositifs ? Pourquoi près de 6 % des détenus, selon l'INSERM, sont-ils initiés à la consommation de stupéfiants derrière les barreaux ?

Monsieur le garde des sceaux, vous avez présenté la construction de nouvelles prisons comme une réponse aux problèmes carcéraux. C'en est une, mais je ne pense pas que ce soit la seule. Il ne peut s'agir que d'un préalable à une refonte totale de notre politique pénitentiaire et du dispositif judiciaire.

Certes, un détenu est retiré de la place publique pour protéger la société, mais cela ne lui ôte pas sa qualité intrinsèque de personne humaine, ni sa dignité. Le préparer à se réinsérer dans la société une fois sa peine purgée est indissociable du droit légal à la rédemption et à la réhabilitation de tous ceux qui, à un moment ou à un autre, ont enfreint les règles posées par la collectivité.

La réflexion doit être engagée sur les motifs même de l'incarcération : la détention provisoire, qui est juridiquement l'exception, est devenue la norme.

Rappelons les termes de l'article 137 du code de procédure pénale : « La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire. »

Au lieu d'être utilisée pour protéger l'ordre public, la détention provisoire sert souvent de moyen de pression physique et psychologique pour obtenir des aveux.

Le nombre de ces détentions ne cesse d'augmenter, alors que le nombre de condamnations finales reste stable.

En prison, des délinquants ordinaires se transforment en véritables criminels au contact de populations auxquelles ils ne devraient jamais être mélangés.

Je m'interroge donc sur la capacité expiatoire de nos prisons. Avec un taux de récidive légal supérieur à 33 % dans les cinq dernières années, la France ne peut continuer à entretenir des établissements où se fabrique légalement la désocialisation d'individus et où se renforce leur propension au crime.

Les dispositifs de surveillance alternatifs à la privation de liberté doivent être développés. C'est déjà le cas du bracelet électronique, qui est dû à l'initiative de M. Guy-Pierre Cabanel et dont le régime a été récemment renforcé. Cependant, il existe d'autres pistes, comme les travaux d'intérêt général ou les réductions et fractionnements de peines. Favoriser l'aménagement des peines, notamment par l'usage de la libération conditionnelle, me semble devoir être développé.

Pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, faire aujourd'hui un état des lieux de ces différents dispositifs ?

M. Jean-Jacques Hyest évoquait déjà, voilà six ans, la transformation des prisons en asiles. Aujourd'hui, près de 30 % de la population carcérale souffre de pathologies mentales et de 35 % à 40 % des détenus ont connu la psychiatrie avant la prison.

Des études ont montré qu'en prison les taux de pathologies psychiatriques sont jusqu'à vingt fois supérieurs à ce qu'ils sont dans la population générale.

Comment le Gouvernement compte-t-il développer l'offre de soins psychiatriques ?

Dans le même ordre d'idée, il est honteux que des trafics de drogues se développent dans nos établissements pénitentiaires. En tout état de cause, une personne dépendante de stupéfiants a sa place non pas en prison, mais dans un centre fermé spécialisé qui garantit une obligation effective de soins. Si le détenu est déjà drogué, il continuera à se droguer en prison et après sa sortie et il se retrouvera sous les verrous dans les six mois ou l'année à venir. Ce n'est pas très sérieux.

Par ailleurs, les personnels de probation et d'insertion représentent à peine 9 % des effectifs de l'administration pénitentiaire, qui n'y consacre que 11 % de son budget. Seul un quart des détenus bénéficie d'une formation, tandis que 22 % d'entre eux jouissent d'un projet de préparation à la sortie, que 5 % seulement se sont engagés, au moment de leur libération, dans une action concrète d'insertion professionnelle validée par l'ANPE, que 35 % sortent de prison sans moyens matériels ni formation, qu'un tiers est alcoolique ou drogué et, enfin, que 50 % d'entre eux sont illettrés ou analphabètes.

Il faut insister encore et toujours sur le fait que, selon l'article 137 du code de procédure pénale, la mise en détention provisoire est une exception.

À ce propos, je me félicite, monsieur le garde des sceaux, de la signature d'une convention entre vous-même et le médiateur de la République, plaçant ce dernier à l'écoute des personnes détenues pour faciliter le règlement amiable des différends dans leurs relations avec les administrations ainsi que leur réinsertion.

Faciliter l'intervention des délégués du médiateur me semble primordial ; poursuivre et pérenniser l'expérience est plus fondamental encore.

Quelles mesures d'accompagnement et de réinsertion des détenus le Gouvernement a-t-il l'intention de mettre en oeuvre ?

À propos de ce nécessaire accompagnement des détenus une fois leur peine de prison purgée, vos services et vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez certainement été alertés sur le cas du QIS, le « quartier intermédiaire sortant », de la maison d'arrêt de Fresnes.

L'équipe de six personnes du QIS joue un rôle indispensable pour les détenus les plus fragiles. Or, voilà que, faute de budget, cette structure d'accompagnement, qui existe depuis quinze ans à Fresnes, va probablement devoir fermer, alors qu'il faudrait développer et généraliser ce type de structure d'accompagnement à toutes les maisons d'arrêt. Que pouvez-vous nous dire, monsieur le garde des sceaux, concernant le QIS de Fresnes ?

S'agissant toujours de la prison de Fresnes, nous avons par ailleurs appris, ces derniers jours, que le médecin-chef du service médicopsychologique régional de cet établissement envisage très sérieusement de faire valoir son droit d'alerte le 30 juin, mettant une fois de plus en exergue le criant manque de moyens et de personnels médicaux.

À Fresnes, il y aura, à partir du mois de juin, 1,8 équivalent temps plein d'infirmier pour 2 000 détenus, ce qui est tout à fait inadmissible.

Il n'est pas acceptable que, dans notre pays, des médecins en soient réduits à user de ce droit d'alerte.

Le rapport Gil-Robles pointe suffisamment de problèmes pour que les efforts d'amélioration de l'effectivité des droits de l'homme dans notre pays soient redoublés.

Ces droits sont profondément ancrés dans notre histoire et dans notre inconscient collectif. Conquis de haute lutte, ils incarnent l'universalité de la dignité de la personne humaine.

Je me réjouis que puisse se tenir aujourd'hui ce débat dans notre Haute Assemblée, afin que nous puissions, tous ensemble, déterminer quelles sont les nécessaires améliorations devant être apportées à notre droit et à notre société.

Je souhaite enfin, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez apporter des réponses concrètes aux questions qui ne manqueront pas d'être soulevées tout au long de ce débat. Dans un pays qui se veut exemplaire dans le combat en faveur des droits de l'homme, mettons enfin en chantier une politique de modernisation et d'humanisation de la prison, favorisant les peines alternatives, le suivi et la réinsertion ! Parce qu'une société, aux dires d'Albert Camus, se juge aussi à l'état de ses prisons, préparons très vite une loi pénitentiaire qui mette enfin nos actes en accord avec nos principes ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens, tout d'abord, à remercier M. Jacques Pelletier, car c'est grâce à lui que se déroule au sein de cet hémicycle ce débat sur les droits humains en France rendu public et nécessaire par la conjoncture actuelle. À l'expression « droits de l'homme », permettez-moi de préférer celle de « droits humains », qui me semble moins restrictive et plus juste.

Je regrette, bien sûr, que M. le Premier ministre ne soit pas présent lors de ce débat essentiel, mais je suis certaine, monsieur le garde des sceaux, que vous saurez répondre à nos interrogations.

Mes questions s'axeront principalement autour de trois problèmes, s'agissant desquels nombre d'entre nous attendent de vous des réponses claires, justes et humaines.

Le premier est celui des établissements pénitentiaires et de la politique carcérale de la France, que M. Pelletier a déjà évoqué.

Vient ensuite celui des expulsions d'étrangers en général, des mineurs étrangers en particulier.

Enfin, se pose celui des droits politiques des résidents non nationaux et extra-communautaires.

Aborder l'effectivité des « droits humains » en France impose de se demander si certains droits sont fondamentaux pour les uns et moins fondamentaux pour les autres, en un mot, si les droits fondamentaux sont à géométrie variable.

S'agissant des personnes privées de liberté, la situation des personnes incarcérées en France est plus qu'alarmante.

En effet, l'effectivité de leurs droits est sans cesse remise en cause, comme l'a d'ailleurs fait remarquer avec justesse, dans son rapport, le commissaire européen aux droits humains, M. Álvaro Gil-Robles.

Dans le même sens, je vous rappelle que sept des avis, recommandations et décisions de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, contenus dans son dernier rapport 2005, concernent l'administration pénitentiaire, ce qui est révélateur.

Pourtant, la France est signataire de nombreux instruments juridiques internationaux et européens qui confèrent de nombreux droits à l'ensemble des citoyens.

Je citerai la charte des droits fondamentaux, signée à Nice en 2001, la charte sociale européenne de 1996, la convention européenne des droits humains de 1950, que notre pays a ratifiée en 1974, et, notamment, le protocole 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, ou son protocole 12, qui n'est d'ailleurs encore ni ratifié ni même signé par notre pays - quand, monsieur le garde des sceaux, cela sera-t-il enfin chose faite ? - sans oublier la convention des Nations unies relative aux tortures et traitements inhumains ou dégradants.

L'effectivité des droits conférés par ces textes, pourtant tous ratifiés par la France, semble trop souvent, malgré tout, s'arrêter aux portes des établissements pénitentiaires français.

Malheureusement, il convient de noter que la mise en oeuvre de la législation s'efface parfois devant les habitudes et que, souvent, les libertés publiques ou individuelles sont sacrifiées sur l'autel de la sacro-sainte sécurité.

Cette constatation est loin de relever d'une simple anecdote. Elle pose un évident problème d'effectivité du respect des droits humains. Je ne veux pas dire par là que les autorités françaises n'ont pas conscience des problèmes, mais on ne peut que regretter que les moyens mis en place ne soient peut-être pas toujours les meilleurs ou ne soient pas considérés comme urgents.

Ainsi, il semble exister, dans certains domaines, un fossé qui peut s'avérer très large entre ce qui est annoncé dans les textes et la pratique.

Un problème récurrent est celui de la surpopulation carcérale.

Ce douloureux constat est la conséquence des exigences de la société, ces dernières décennies, qui se caractérisent par un populisme pénal, favorisé par une certaine volonté politique.

Il est avant tout lié à une cause principale : une politique répressive qui prend le pas sur une politique préventive, entraînant une augmentation excessive du nombre de condamnations, notamment des longues peines, sur l'efficacité desquelles on peut d'ailleurs s'interroger.

Une politique pénale juste ne passe pas par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, qui ne sera jamais une solution. Seules des mesures alternatives, telles que les travaux d'intérêt général, les TIG, et les mesures d'aide à l'intégration des sortants, comme leur accompagnement par des agents de probation ou les suivis socio-judiciaires, peuvent répondre de façon positive au problème de la surpopulation des prisons et faire avancer les droits des personnes incarcérées.

Il n'est pas inutile de rappeler que trop de personnes se trouvent aujourd'hui derrière les barreaux alors qu'elles n'ont absolument rien à y faire, qu'il s'agisse d'étrangers en situation irrégulière, qui ne sont pas des délinquants, de personnes en fin de vie, très âgées, atteintes de maladies ou de déséquilibres psychiatriques - les prisons ne sont pas des asiles ! -, ou bien encore de suspects placés en détention provisoire, qui, selon notre droit, sont présumés innocents. Mais cette question sera abordée ultérieurement par M. André Rouvière.

La tendance à l'augmentation du nombre de détenus continue à se renforcer. Selon les statistiques fournies par les autorités françaises, au 1er novembre 2005, 58 082 personnes étaient incarcérées en France, ce qui représente une augmentation de 1,6 % par rapport au mois précédent. Dans le même temps, le nombre de places officiellement disponibles était de 51 195, ramenant le taux d'occupation moyen dans les établissements pénitentiaires à 113,5 %. À cette même date, les détenus provisoires représentaient 40 % de la population carcérale.

Ces chiffres témoignent de la crise patente des établissements pénitentiaires, qui accueillent 230 détenus de plus qu'ils ne peuvent en recevoir, et démontrent que les conditions réelles de détention sont très différentes de celles qui sont prévues par la loi.

La surpopulation carcérale empêche de mettre en pratique une véritable politique pénitentiaire et, pour les adultes comme pour les mineurs, de séparer les prévenus des condamnés. Elle ne permet pas de mettre en oeuvre un traitement social, psychologique ou médical ou une action spécifique pour chaque détenu, selon ses besoins.

Elle empêche également toute tentative de réinsertion ou de prévention, notamment contre les récidives. Si on ne met pas en avant le principe de l'intégration à la sortie, la politique pénale perd tout son sens et la privation de liberté devient vengeance. Ce n'est pas cela, la justice !

La réinsertion d'une personne détenue doit commencer dès le premier jour de son incarcération et continuer jusqu'à sa sortie effective. Il faut donc impérativement mettre un terme aux « sorties sèches », prévoir de réelles mesures d'accompagnement et de réinsertion, essentiellement par l'obtention d'un travail et de droits sociaux, et restreindre l'accès au casier judiciaire des employeurs dans certains domaines sensibles.

Se pose également la question des gardes à vue. Au-delà des conditions juridiques, il s'avère que les conditions matérielles des cellules dans lesquelles les gardes à vue se déroulent sont inacceptables. Dans de très nombreux commissariats, les personnes gardées à vue dorment à même le sol sans matelas ni linge. Il arrive qu'aucune nourriture, aucune boisson ne leur soient fournies. Parfois, ils ne peuvent même pas avoir l'assistance d'un médecin.

Le respect de la dignité humaine doit être effectif partout en France, y compris dans nos commissariats !

Les fonctionnaires de police demeurent soumis à l'obligation de respecter les règles de procédure et d'assurer la protection de la dignité des personnes placées en garde à vue. Les officiers de police judiciaire notamment semblent parfois méconnaître les textes régissant la procédure de garde à vue.

Le directeur général de la police nationale, répondant à une question de la CNDS, a avoué que la circulaire du 11 mars 2003 restait insuffisamment appliquée.

Dans son rapport, M. Gil-Robles recommande également de « combattre avec fermeté tous les cas de brutalités policières recensées » et évoque notamment le menottage excessif des jeunes ou des sans-papiers.

Monsieur le garde des sceaux, à la suite des rapports successifs du commissaire européen aux droits de l'homme et de la CNDS, souvent saisie à propos des pratiques de la police, quelles mesures concrètes votre gouvernement compte-t-il prendre pour uniformiser ces pratiques et mettre un terme à l'impunité de ceux qui violent la loi, notamment dans nos commissariats ?

De même, les établissements pénitentiaires ne doivent plus demeurer des territoires en dehors de la loi. Il ne peut y avoir d'effectivité des droits des détenus s'il n'y a pas un droit à la réinsertion, qui passe avant tout par une réelle politique de réinsertion, si ce n'est d'insertion, puisque, souvent, les personnes incarcérées ont presque toujours connu l'exclusion.

Cette politique doit être fondée sur des garanties claires et fermes pour les personnes incarcérées. Il ne saurait y avoir moins de droits dedans que dehors ! Ainsi, pourquoi ne pas poser la question de l'exercice des droits civiques des prévenus et des personnes condamnées, dès lors que la justice ne les en a pas privés ?

Tout cela pose le problème des investissements et des moyens, notamment humains. Pour ma part, il s'agit non pas forcément de construire de nouvelles prisons, mais plutôt de mettre en oeuvre une politique pénale et carcérale beaucoup plus ouverte, avec des moyens humains plus importants.

Ce qui compte, c'est de prévoir un renforcement massif du financement des structures d'éducation, de santé, d'insertion professionnelle et d'aide au maintien des liens familiaux. Le contact avec l'extérieur, à commencer avec les familles, constitue une première étape dans ce processus, car une démarche contraire mènerait vers une nouvelle exclusion.

Aujourd'hui, l'administration pénitentiaire, non contredite par la politique pénale, a développé une pratique d'éclatement des liens familiaux, ce qui est en totale contradiction avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Elle ne semble pas avoir pour objectif prioritaire de rapprocher le lieu de détention des personnes condamnées, notamment des « longues peines », du domicile de leurs proches, afin de faciliter le maintien des liens familiaux. Ainsi, on ne se contente pas de condamner le coupable, on condamne aussi sa famille et ses proches. C'est inacceptable !

Monsieur le garde des sceaux, que comptez-vous faire pour mettre un terme à cette pratique de l'éloignement des détenus, accentuée par la loi dite Perben II ?

En outre, aux pratiques discriminantes de l'administration pénitentiaire s'ajoute l'attentisme coupable du Gouvernement concernant le droit à la vie privée.

C'est en 2003 qu'a été ouverte la première unité expérimentale de vie familiale, UEVF. Malgré leurs lacunes, les UEVF offrent aux détenus et à leurs familles un moyen de maintenir une certaine continuité dans leurs liens familiaux et des conditions matérielles leur permettant de préserver un minimum de vie privée et des moments d'intimité.

Les sites pilotes de Rennes, Saint-Martin-de-Ré et Poissy ont montré tout l'intérêt des UEVF non seulement pour les personnes incarcérées et leurs familles, mais également pour le personnel de l'administration pénitentiaire. Or, aujourd'hui, cette expérimentation n'est toujours pas généralisée.

Il y a pire : les détenus de certains centres pénitentiaires, comme ceux de Liancourt, Toulon et Avignon, où sont déjà construites des UEVF, n'ont toujours pas accès à celles-ci. Pouvez-vous nous en expliquer la raison, monsieur le garde des sceaux ?

Où est l'effectivité de meilleures conditions de vie, de l'assouplissement de la dure privation de liberté lorsque des détenus ne peuvent même pas circuler librement à l'intérieur des blocs fermés ?

J'évoque ici la procédure dite de « fermeture des portes », mise en oeuvre à la suite de l'affaire de la prise d'otage de Moulins et qui marque un net recul par rapport à la précédente politique dite « d'ouverture des portes de cellules », inspirée de l'exemple de certains pays voisins. Depuis février 2003, une procédure d'interdiction de circuler pendant la journée à l'intérieur des blocs fermés s'est progressivement mise en place dans les cinq maisons centrales réservées aux longues peines.

D'autres pratiques de l'administration pénitentiaire portent également largement atteinte aux droits des personnes détenues.

La CNDS a notamment été saisie par mon collègue et ami Robert Bret du cas d'un « détenu particulièrement surveillé », dit DPS, de la prison d'Angers, qui a fait l'objet de mises en isolement successives pendant plus de deux ans. Vous rendez-vous compte, monsieur le garde des sceaux, de ce que représentent 737 jours en isolement. C'est inhumain !

Ces faits, et ils sont nombreux, ne sont pas en conformité avec les critères de légalité retenus par la jurisprudence et sont même susceptibles de constituer un traitement inhumain ou dégradant au regard de la réglementation européenne.

L'isolement pose d'autres problèmes, pouvoir saisir la justice et avoir le droit d'être assisté dans sa défense.

Trop souvent, des détenus qui ont engagé des procédures judiciaires se voient directement ou indirectement sanctionnés. Le détenu peut faire du « tourisme carcéral », il est déplacé de prison en prison et éloigné de sa famille, ou sanctionné par l'administration, parfois même violenté.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Ce n'est pas croyable ! On entend dire n'importe quoi !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Par ailleurs, les personnes incarcérées malades, qui vont consulter un médecin à l'extérieur, sont souvent privées du droit à la confidentialité lié au secret médical puisqu'il arrive que la consultation se fasse en présence de policiers. De plus, les conditions de cette consultation sont contraires à la circulaire gouvernementale et aux dispositions européennes en vigueur, car ces personnes sont entravées et menottées. Pour ma part, j'ai saisi la CNDS d'un cas récent qui m'avait été signalé.

Il convient donc d'oeuvrer à un renforcement des moyens de contrôle de l'administration pénitentiaire et du respect des droits à la confidentialité et à la dignité des personnes incarcérées, notamment des malades.

S'agissant de la situation des droits des mineurs étrangers, les règles de procédure pénale spécifiques aux droits des mineurs, qu'ils soient français ou étrangers, sont déterminées par l'ordonnance du 2 février 1945, modifiée.

La situation des mineurs en France s'est constamment dégradée, comme l'a rappelé la Défenseure des enfants dans son dernier rapport. Cette dégradation constante est d'autant plus flagrante et injuste dans les quartiers populaires dits « sensibles » que les manquements des policiers tendent à se systématiser.

Monsieur le garde des sceaux, allez-vous répondre favorablement à la demande de la CNDS, incluse dans son avis de décembre 2005, tendant à compléter l'instruction ministérielle du 11 mars 2003 par une directive spécifique relative aux mesures que les services de police peuvent être amenés à prendre à l'égard des mineurs ?

Enfin, je tiens à me faire l'écho dans cet hémicycle des cas humains déchirants d'enfants « accompagnants », ainsi que de mineurs et de jeunes majeurs scolarisés qui, à partir du 30 juin, pourront faire l'objet d'une mesure d'expulsion. Or la scolarité ne s'arrête pas à la fin du mois de juin !

Ces enfants sont aujourd'hui scolarisés avec nos enfants, et il serait dommage de les priver de leurs droits à l'éducation et à la scolarité. Aussi, je vous demande, monsieur le garde des sceaux, en vertu de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, de mettre fin immédiatement aux procédures d'expulsion à l'encontre de ces jeunes.

J'en viens à la question des droits politiques effectifs des résidents non communautaires.

Monsieur le garde des sceaux, on ne saurait aborder la question de l'effectivité des droits fondamentaux sans aborder celle des droits politiques des résidents non communautaires. Cette question est délicate, sensible, tout en étant fondamentale pour le débat politique, car elle touche à l'essence même de ce qui constitue notre démocratie, à ce qu'elle est, à ce qu'elle peut et doit devenir : une question de droit et de justice sociale, mais aussi d'égalité des droits et de citoyenneté.

Il en va aussi de la reconnaissance politique, notamment au regard de l'histoire et du devoir de mémoire que celle-ci nécessite.

Au moment où s'amorce la reconnaissance des responsabilités historiques de notre pays, notamment à travers les débats portant sur la commémoration de l'abolition de l'esclavage et sur la colonisation, il est important de rappeler que ces hommes et ces femmes, au nom de cette mémoire, doivent aussi avoir des droits.

C'est une question de justice sociale et politique, car ces non-nationaux paient les mêmes impôts, taxes et cotisations que les Français et participent pleinement à la solidarité nationale. De même, ils contribuent au financement des infrastructures que tous les Français utilisent.

Il est important de rappeler que le respect des droits fondamentaux des citoyens français passe par celui des droits politiques de ces résidents non européens. Reconnaître le droit de vote aux résidents extra-communautaires, c'est répondre à une exigence d'égalité des droits et de justice, mais c'est aussi participer au renforcement de la notion de citoyenneté.

Nous ne pouvons pas, en effet, exiger un comportement citoyen des plus jeunes lorsque leurs parents sont exclus de la citoyenneté.

Pour conclure, je rappellerai que la construction de la citoyenneté mais aussi de l'identité européenne passe par le droit de vote, notamment par le droit de vote pour les résidents de l'Union européenne.

Il est temps que la France, à l'instar d'autres pays d'Europe, accomplisse cet élargissement du corps électoral, condition sine qua non de la modernisation de notre démocratie.

Monsieur le garde des sceaux, alors que de nombreuses personnalités au sein même de votre famille politique se sont déclarées en faveur de ce droit de vote, nous pourrions peut-être aujourd'hui nous engager un peu plus avant.

D'ailleurs, face aux défis que lancent la révolte des banlieues, s'insurgeant contre les discriminations et les exclusions, y compris politiques, ainsi que les mouvements appelant à un vrai débat sur la mémoire, nous devrions cesser de reléguer la question de l'élargissement du corps électoral au rang de gadget électoral pour en faire une vraie question du droit, notamment des droits politiques.

N'oubliez pas qu'il s'agit non seulement d'un droit fondamental, mais aussi d'une arme efficace qui permettrait de lutter contre le racisme et de répondre à une urgence démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Jacques Pelletier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Grignon.

M. Francis Grignon. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la France, plus que tout autre pays, par sa tradition humaniste, par les valeurs du siècle des lumières qu'elle a transmises au-delà de ses frontières et parce qu'elle est à l'origine de la Déclaration universelle des droits de l'homme, se doit d'être exemplaire en matière de respect des droits de chacun.

Inspiratrice, avec René Cassin, et signataire de la Convention européenne des droits de l'homme en 1950, membre fondateur du Conseil de l'Europe à Strasbourg en 1949, avec un droit de recours individuel des citoyens français devant la Cour européenne des droits de l'homme, la France est considérée dans le monde comme le berceau et la patrie de ces droits humains universels.

Le rapport de l'ancien commissaire du Conseil de l'Europe aux droits de l'homme, M. Álvaro Gil-Robles, se fait l'écho de certains dysfonctionnements et de certaines lacunes relevés lors de ses visites en septembre 2005.

Prétendre que tout est parfait dans le meilleur des mondes possibles relèverait de la naïveté. La France, dans son histoire, a connu des zones d'ombre. Le manichéisme ne correspond malheureusement qu'à une réalité relevant d'une vision enfantine du monde. Nos sociétés sont de plus en plus complexes, et nul ne peut garantir des comportements individuels exemplaires. Il relève en revanche de notre responsabilité politique de tenter de canaliser collectivement ce facteur risque individuel.

Il est donc nécessaire de se saisir régulièrement de ces questions afin de dresser un bilan des actions qu'il reste à mener, et je tiens moi aussi à remercier M. Pelletier de nous donner l'occasion de le faire.

Sans avoir la prétention d'être exhaustif, je voudrais dans mon intervention apporter un autre éclairage et rappeler plutôt les éléments positifs mis en oeuvre dans notre pays en direction des droits de l'homme, tout en sachant, bien sûr, la limite de l'exercice, puisque chacun sait qu'en matière de communication, notamment de communication aussi sensible, il faut bien dix messages positifs pour contrecarrer un message négatif.

Néanmoins, nombre de réformes engagées par gouvernement dirigé jusqu'à l'année dernière par notre estimé collègue Jean-Pierre Raffarin ainsi que par l'actuel gouvernement ont déjà amélioré considérablement la situation.

En matière de prisons, par exemple, si la réalité constatée ne correspond pas à l'idéal que nous souhaiterions tous, des efforts importants sont consentis depuis 2002 et la situation devrait encore s'améliorer.

La surpopulation carcérale, qui est une réalité, a pour corollaire une dégradation des conditions de vie des détenus. C'est la raison pour laquelle une politique très ambitieuse de renouvellement du parc pénitentiaire a été engagée depuis 2002, prolongeant ainsi les efforts déjà consentis, chaque fois sous des gouvernements de droite, par M. Chalandon en 1987, avec la création de 13 000 places, et par M. Méhaignerie en 1994, avec la création de 4 000 places.

La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a ainsi prévu la construction de 13 200 places nouvelles de détention. Jamais un tel programme de construction n'avait été mis sur pied. Notre groupe se félicite ainsi, monsieur le garde des sceaux, que votre gouvernement ait prévu de construire seize nouveaux établissements pénitentiaires pour majeurs, sept établissements pénitentiaires pour mineurs, trois quartiers courtes peines et quatre centres de semi-liberté.

Le respect des droits humains dans les prisons passe aussi par une protection des mineurs : les structures construites seront adaptées pour les séparer des détenus majeurs. Plus largement, seront séparés les prévenus des condamnés et les primo-délinquants des multirécidivistes. Il s'agit d'une avancée fondamentale en matière pénitentiaire. Je note d'ailleurs que M. Gil-Robles considère que les centres fermés tant décriés ont été une réponse adaptée à la désocialisation de certains mineurs récidivistes.

Au-delà des bons sentiments et des leçons de morale, il s'agit d'un engagement concret pour l'amélioration des conditions de détention.

La construction de ces nouveaux centres pénitentiaires permettra également la fermeture des centres actuels les plus vétustes. D'autres centres, comme Fleury-Mérogis, Les Baumettes et la Santé, seront quant à eux rénovés. À terme, 6 000 places devraient avoir les normes retenues pour les constructions neuves. À Fleury-Mérogis, les travaux engagés répondent à cet objectif de rénovation grâce à un effort financier particulièrement important, puisque 100 000 euros sont investis par place de prison.

Enfin, un programme supplémentaire d'extension des capacités des établissements existants permettra de dégager, d'ici à 2007, 3 000 places d'hébergement sur l'ensemble du territoire, dont 500 places dédiées à la semi-liberté.

Cet effort en matière de programmes immobiliers pénitentiaires va indubitablement améliorer les conditions de vie des détenus, car il permettra de résoudre les problèmes essentiellement causés, selon M. Gil-Robles, par la surpopulation des établissements actuels.

Loin des caricatures, la politique pénale menée par le Gouvernement n'est pas fondée sur le « tout carcéral ». Notre pays a un nombre de détenus rapporté à sa population inférieur à celui de nos voisins européens : notre taux de détention pour 100 000 habitants est de 93, contre environ 97 en Allemagne et en Italie, voire 140 en Espagne ou en Grande-Bretagne.

Depuis 2002, le Gouvernement a favorisé les alternatives à l'incarcération et le suivi des détenus libérés. Plus de 19 000 mesures d'aménagement de peine ont été prononcées en 2005.

Par ailleurs, les garanties offertes aux détenus se sont améliorées par la mise en place de points d'accès au droit.

Des délégués du médiateur de la République sont présents dans dix établissements depuis 2005.

Par ailleurs, il y a désormais des aumôniers de toutes confessions dans les centres pénitentiaires.

Il faut enfin rappeler que, depuis 2002, près de 3 000 emplois de personnels de surveillance et de travailleurs sociaux ont été créés pour améliorer le fonctionnement des services pénitentiaires et, par conséquence directe, les conditions de détention.

D'une manière plus générale, si des problèmes matériels demeurent, l'effort budgétaire consenti par le Gouvernement pour le budget de la justice est sans précédent : le projet de budget pour 2006 de la justice progresse de 17,2 % en autorisations de programme et de 4,6 % en crédits de paiement, cela dans un contexte particulièrement contraint.

Certes, cela ne suffit pas encore et nous devons rester vigilants pour évaluer les besoins subsistants. Malgré tout, même en ayant conscience que, lorsqu'on engage un plan aussi important, il faut un peu de temps pour constater des résultats positifs, on peut estimer que ce qui était constatable en 2005 ne devrait plus l'être d'ici à quelques années.

Les efforts faits pour les populations carcérales ne sont, bien sûr, pas les seuls efforts faits pour améliorer en permanence l'approche des droits de l'homme dans notre pays.

Pour ce qui concerne l'immigration, le projet de loi à venir devrait permettre de mieux contrôler les flux pour que les immigrés qui arrivent en France puissent bénéficier de meilleures conditions pour s'intégrer.

Concernant la situation des gens du voyage, le Gouvernement a fortement incité les maires à mettre en application la loi relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dite loi Besson, qui vise à améliorer les conditions de vie des gens du voyage.

Concernant le problème des violences domestiques, je rappelle que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a mis en oeuvre une politique pénale humanisée sur l'ensemble du territoire national.

Il mit ainsi en place en octobre 2003 un groupe de travail associant des magistrats, des policiers et gendarmes, ainsi que des représentants du secteur associatif. Le fruit de leur travail prit la forme d'un guide de l'action publique intitulé La lutte contre les violences au sein du couple.

La toute récente loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, qui résulte de deux propositions de loi d'origine sénatoriale de nos collègues de l'opposition, va permettre de défendre les droits des hommes et des femmes victimes de violences exercées par leur époux, pacsé ou concubin, actuel ou passé, le fait que ces violences soient commises au sein d'un couple devenant une circonstance aggravante de l'infraction.

Grâce à un amendement de notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, l'âge nubile est porté de quinze à dix-huit ans pour les femmes et des mesures de lutte contre les mariages forcés, les mutilations sexuelles, le tourisme sexuel et la pédopornographie, qui constituent autant d'atteintes graves aux droits humains des femmes ou des enfants par exemple, ont été adoptées.

Ces réponses pénales s'articuleront avec les dispositions civiles votées dans la loi relative au divorce qui organisent l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal.

Cette politique publique, qui repose sur une démarche partenariale, témoigne de la volonté déterminée du Gouvernement d'agir en faveur du droit des victimes de violences conjugales.

Concernant l'action des forces de l'ordre, je tiens à mentionner ici le comportement exemplaire de nos gendarmes et policiers qui, confrontés sur le terrain à des situations extrêmement violentes, ont su, tant pendant les émeutes urbaines dans les cités sensibles que lors des manifestations anti-CPE, faire preuve d'un sang-froid exemplaire ainsi que les instructions fermes et précises du ministre de l'intérieur prônant la retenue des forces de l'ordre.

Je salue également la détermination constante du ministre de l'intérieur à sanctionner tout comportement répréhensible des agents du maintien de l'ordre. Je constate avec satisfaction que, à plusieurs reprises ces dernières années, lorsque de tels comportements ont été avérés, ils ont été très sévèrement sanctionnés.

Je me félicite aussi de la mise en place par le comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, créé par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, d'un guide pratique en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, qui a été diffusé aux policiers et aux gendarmes, ainsi que d'un fascicule à l'attention des victimes.

Concernant le racisme et l'antisémitisme, si beaucoup de nos compatriotes en sont encore aujourd'hui victimes, depuis 2002, notre action législative dans ce domaine a été des plus intenses. Ont ainsi été adoptées successivement la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, la loi « Perben II » du 9 mars 2004 dont le chapitre IV concerne la lutte contre les discriminations et, enfin, la loi du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

À cet arsenal répressif, il convient d'ajouter les nouveaux moyens de lutte contre les discriminations qui viennent d'être confiés à cette Haute autorité par la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances. Les agents de la Haute autorité pourront désormais constater par procès-verbal des délits de discrimination et des transactions pourront être proposées aux auteurs de ces délits.

Ainsi, l'année 2005 a été marquée par une très forte diminution des violences et des menaces : moins 47 % pour les actes antisémites et moins 22 % pour les autres actes racistes et xénophobes. Néanmoins, quelques évènements marquants du début de l'année 2006 nous incitent à ne pas baisser la garde.

Enfin, si la loi punit sévèrement les injures racistes proférées au sein d'une enceinte sportive, l'on ne peut que souscrire à la décision des ministres de la justice et de la jeunesse et des sports, de rencontrer très prochainement les dirigeants des grands clubs de football et de la Fédération française de football afin de travailler à la mise en place de mesures de prévention pour lutter contre le racisme dans les stades.

Si la France ne peut se prévaloir avec arrogance d'une quelconque supériorité pour donner aux autres pays des leçons en matière de droits de l'homme, la situation à l'intérieur de nos frontières n'étant pas toujours parfaite, j'en conviens, et des améliorations demeurant possibles dans plusieurs domaines, elle dispose néanmoins d'ores et déjà d'un arsenal législatif important qui garantit à nos concitoyens un respect assez satisfaisant de leurs droits humains, comparativement aux autres pays.

L'action entreprise sous le quinquennat du Président Jacques Chirac, qui a décidé de faire du 10 mai la journée commémorative de l'abolition de l'esclavage en France, étant ainsi le premier chef d'État français à reconnaître notre passé esclavagiste, et l'action entreprise par ses différents gouvernements, prouvent que la défense de ces droits universels est un combat qui nous rassemble tous, au-delà de nos clivages partisans, autour de ce qui fonde l'essence républicaine de notre nation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Jacques Pelletier d'avoir suscité en notre Haute Assemblée un débat sur un sujet aussi important que le respect des droits de l'homme dans notre pays.

La France peut s'enorgueillir d'avoir vu naître la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont les valeurs, nées de l'universalisme des Lumières, ont inspiré les hommes et les femmes dans leur conquête de la démocratie. Nous devons continuer à porter ce message de par le monde, en oeuvrant activement au respect de la dignité de la personne humaine.

Pourtant, l'image que nous retenions de notre pays vient d'être soudainement assombrie. La publication, le 15 février dernier, du rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe Alvaro Gil-Robles met en lumière des manquements incompatibles avec les droits de l'homme.

Malgré un droit et une jurisprudence qui se veulent toujours plus protecteurs des libertés publiques, la France est décrite par le commissaire comme « traversée de difficultés persistantes, voire récurrentes ». Cette situation a été stigmatisée par le nombre important de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l'homme.

Le rapport met en exergue les problèmes constatés dans des domaines aussi différents que la situation des étrangers, la discrimination et la xénophobie, l'action des forces de l'ordre, le traitement des mineurs délinquants, les gens du voyage, le système carcéral ou l'administration de la justice. Je ne reviendrai pas sur l'inacceptable situation de nos prisons, déjà longuement évoquée par M. Pelletier. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous apporterez des réponses précises et concrètes aux questions soulevées sur ce point.

Nous avons commémoré hier, dans le jardin du Luxembourg, l'abolition de l'esclavage. Néanmoins, la discrimination raciale reste d'actualité. L'année 2004 a été marquée par une hausse de plus de 132 % des actes de racisme et d'antisémitisme, soit 1 565 faits recensés.

Le législateur s'est pourtant engagé depuis de nombreuses années dans le renforcement de la répression de tels actes : loi Pleven en 1972, loi Gayssot en 1990, loi relative à la lutte contre les discriminations en 2001, loi Perben II et création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations, la HALDE, en 2004. Grâce à cette dernière, nous disposons désormais de statistiques fiables, véritable baromètre de la discrimination dans notre pays.

Cette Haute autorité a été saisie de 1 822 cas depuis sa création, soit près de dix réclamations par jour. Deux éléments émergent très nettement parmi les réclamations dont la HALDE est saisie : l'emploi est le champ d'activité dans lequel le plus grand nombre de réclamations se sont exprimées, soit 45 %, suivi par l'accès aux services publics, avec 18 % ; l'origine ethnique est le premier critère mis en avant par les réclamants, 40 %, loin derrière viennent la santé et le handicap, 14 %, puis le sexe, 6 %, et l'âge, 5 %. Cette liste n'est, bien sûr, pas exhaustive.

Mes chers collègues, les discriminations ébranlent les bases mêmes de notre société fondée sur la cohésion, l'égalité réelle des chances tout au long de la vie, le respect égal des droits et de la dignité de toutes les personnes, en toutes circonstances, le refus de toutes les exclusions.

Monsieur le garde des sceaux, cette situation plus que préoccupante nous interpelle sur la capacité de la France à faire coexister dans le modèle républicain des populations de toutes origines.

Encore plus préoccupante est l'augmentation très significative des violences contre les personnes et les biens, comme des profanations des lieux de culte.

Toutefois, il ne s'agit là que de la partie la plus visible des problèmes de racisme. Le rapport Gil-Robles dénonce, à juste titre, les discriminations plus insidieuses qui entravent l'accès à l'emploi, au logement, aux services ou aux loisirs des personnes dont le nom est à consonance étrangère. À diplôme égal, ces dernières sont deux fois plus exposées à un risque de chômage.

Le respect de la dignité humaine concerne, certes, la protection de l'intégrité physique. Mais elle renvoie surtout à une lutte quotidienne qui doit intégrer tous les aspects de la vie d'un citoyen. En filigrane se pose donc l'efficacité des politiques d'intégration menées depuis vingt ans, souvent de façon erratique et donc sans cohérence. L'État se doit de garantir l'égalité effective entre tous les individus afin que le modèle républicain auxquels nous sommes attachés ne soit pas vidé de sa substance.

Monsieur le ministre, si notre arsenal législatif est déjà très important en la matière, quelles mesures d'ordre social et éducatif le Gouvernement entend-il prendre pour faire cesser cette intolérable inégalité de traitement, qui n'est pas digne des traditions héritées du siècle des Lumières et de la tentative de leur mise en pratique en 1789 ?

Au travers de la discrimination se pose la question de la situation des étrangers en France. Notre assemblée aura prochainement l'occasion de débattre longuement de ce point à l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'immigration et l'intégration. Mais force est de constater que les zones d'attente, spécialement à l'aéroport de Roissy, constituent des lieux où le droit ne s'applique pas toujours conformément à la lettre.

Le commissaire Gil-Robles met également en exergue les allégations de violences lors des expulsions et des reconduites à la frontière. Si les agents de la police aux frontières doivent recourir à des moyens proportionnés lorsqu'ils escortent un individu devant quitter le territoire national, de nombreux certificats médicaux font état d'ecchymoses et autres traces de coup.

Je sais, monsieur le ministre, que votre collègue ministre d'État, ministre de l'intérieur, est particulièrement attentif à ce que les forces de l'ordre soient irréprochables sur ce point. Mais les difficultés de la reconduction génèrent des tensions et donc des violences explicables, quoique non excusables dans notre pays. Faudrait-il que des certificats médicaux soient transmis au procureur de la République ?

Par-delà la situation des étrangers, je ne peux passer sous silence l'existence alléguée de véritables traites des êtres humains sur notre sol : 75 % des victimes de telles pratiques sont d'origine étrangère, principalement en provenance d'Europe de l'Est et des Balkans, d'Afrique de l'Ouest et de Chine.

Nous savons malheureusement comment se manifeste cette traite : travail non rémunéré, exploitation domestique, parfois avec violence, et prostitution. Cette violation continue de la dignité humaine se retrouve dans tous les milieux, des moins nantis aux plus aisés.

En réaction à cette pratique honteuse, le législateur a créé en 2003 l'incrimination pénale de traite des êtres humains, doublée d'une protection accrue offerte aux victimes, le plus souvent réduites au silence et à la honte. C'est une mesure tout à fait positive.

C'est sur ce terreau malsain que se greffent des réseaux de criminalité organisée qui s'enrichissent à bon compte en bafouant les droits de ces hommes et de ces femmes, souvent venus de loin pour trouver chez nous une vie meilleure.

Depuis 2002, les pouvoirs publics ont considérablement consolidé les dispositifs de répression à l'égard de ce type de criminalité ; je pense surtout à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Pourtant, l'application de ce dispositif semble encore peu fréquente. À cela s'ajoute l'inexistence des dispositifs d'accompagnement et de réinsertion des victimes. Il est consternant que la Cour européenne des droits de l'homme ait estimé en 2005 que l'esclavage et la servitude ne sont pas « en tant que tels réprimés par le droit pénal français », cela malgré l'intervention du législateur que je viens de mentionner.

La Cour a exhorté la France à adapter rapidement la législation issue de la loi du 18 mars 2003. Le commissaire Gil-Robles abonde en ce sens. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le garde des sceaux, si votre ministère a d'ores et déjà amorcé cette démarche législative ?

Le constat du commissaire aux droits de l'homme est sans ambiguïté : la France doit mieux faire. L'intensification de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie doit être une priorité des pouvoirs publics. Cette politique passe par une application systématique des dispositifs de lutte contre les discriminations, mais aussi par une prise de conscience de l'ensemble de nos concitoyens.

Il est temps de mettre fin à des pratiques qui entachent l'image de la France à l'étranger et heurtent beaucoup de Français.

Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des réponses concrètes qui permettent de rendre effectif pour tous le respect des droits de l'homme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes irrité par le rapport de M. Gil-Robles, mais il n'a, hélas, surpris ni les professionnels, ni les associations, ni les citoyens qui dénoncent les atteintes aux droits en France et militent pour des avancées.

De rapport en rapport, notre pays est montré du doigt : par le Comité contre la torture de l'ONU, par Amnesty International pour de « graves violations des droits humains » commis par des policiers souvent contre des jeunes, ou encore par la Ligue des droits de l'homme ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

J'ai bien noté la promesse du Président Chirac de faire ratifier, après de nombreuses années, le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mais je déplore le peu d'empressement qui est mis à inscrire cette question à l'ordre du jour du Parlement ; il faut que les paroles et les actes concordent.

En ce qui nous concerne, nous ne saurions envisager les droits fondamentaux dont nous parlons aujourd'hui, ce dont je remercie notre collègue Jacques Pelletier, sans souligner qu'un grand nombre de nos concitoyens sont privés des droits élémentaires : avoir un toit, un travail, une protection sociale. Cela contribue évidemment à déliter le lien social, à accroître la crise sociale et le fossé entre ceux qui dirigent et la population, fossé dont nous mesurons, hélas, la profondeur.

Dire cela, c'est mettre en cause les politiques menées depuis des années et, pour mon groupe, pour nous qui avons une conception globale des droits, il est évident que le respect de ces droits élémentaires est essentiel et appelle des changements politiques pour lesquels nous agissons.

Quant aux violations des libertés, objet plus particulier de notre débat, notre collègue a pointé les rapports accusateurs à l'égard de notre pays et souligné le fossé entre le droit et sa pratique effective.

Je voudrais souligner que, s'il y a des pratiques éminemment contestables qui ne sont pas sanctionnées, nous avons affaire, au-delà, à une régression très préoccupante du droit lui-même dans notre pays.

Ces quatre dernières années, Gouvernement et majorité se sont livrés à une escalade sécuritaire. En effet, pas moins de six lois ont été votées par la majorité qui, toutes, ont contribué à la stigmatisation de telle ou telle catégorie de personnes et à la surenchère pénale, spirale sans fin désagrégeant la solidarité entre les personnes, exacerbant la violence des rapports sociaux et n'ayant aucun effet sur la baisse de la criminalité ; le modèle américain est là pour le prouver.

Et ce n'est pas fini ! J'en veux pour preuve, d'une part, le projet de loi sur l'immigration, modifiant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou projet CESEDA, qui tend tout simplement à nier les droits des étrangers, et, d'autre part, la nouvelle remise en cause de l'ordonnance de 1945, qui régit la justice des mineurs.

Le vote de l'état d'urgence a été, quant à lui, emblématique de l'idéologie dangereuse véhiculée par la droite et alimentée par les dérapages verbaux du ministre de l'intérieur avec le soutien du Gouvernement.

La crise sociale a été ethnicisée. Des boucs émissaires ont été désignés dont, en premier lieu les étrangers, avec le cortège de lieux communs que sont la polygamie, le rap ou les mariages mixtes ! Après les mendiants, les prostituées, hommes ou femmes, ou encore les gens du voyage, ce sont les habitants des quartiers populaires, les pauvres, les jeunes, ainsi, je le répète, que les étrangers, qui ont été stigmatisés.

Ces derniers sont, en effet, l'objet d'une traque grandissante. Ainsi les préfets sont-ils sommés de faire du chiffre en matière de reconduites à la frontière. Quant à la police, elle n'hésite pas à aller chercher les enfants d'immigrés à l'école pour les mener en centres de rétention, alors que l'expulsion de mineurs est interdite en droit français !

Contre ces pratiques honteuses, des associations, des enseignants, des parents d'élèves, des citoyens agissent au sein du Réseau éducation sans frontières, ou RESF, qu'ils ont créé tous ensemble.

Pour sa part, le groupe auquel j'appartiens a déposé une proposition de loi en faveur du respect du droit à l'éducation de ces jeunes, disposition qui empêcherait au couperet de l'année scolaire de fonctionner. Dès lors, monsieur le garde des sceaux, je souhaiterais savoir, comme la collègue qui m'a précédée à cette tribune, ce que vous comptez faire pour éviter que le 30 juin, date des vacances scolaires, les enfants ne soient reconduits à la frontière, car, que je sache, l'éducation est l'un des moyens les plus efficaces de cette intégration dont vous nous rebattez les oreilles.

De plus, dans une circulaire ministérielle du 21 février, il est prévu que les étrangers en situation irrégulière pourront être arrêtés même s'ils se trouvent dans un bloc opératoire. Voilà qui est pour le moins monstrueux !

S'agissant de la justice, sa lenteur, qui est surtout due à l'insuffisance de personnels, ne doit pas masquer la multiplication des procédures expéditives à l'encontre tant des jeunes des banlieues, en novembre dernier, que des manifestants anti-CPE ou encore des étrangers en zone d'attente, comme le confirme le rapport de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, l'ANAFE.

En revanche, monsieur le garde des sceaux, rien n'est fait pour favoriser le « vivre ensemble », qui repose avant tout sur l'intégration dont vous nous parlez sans cesse. Vous avez même refusé d'accorder le droit de vote aux étrangers lors des élections locales, alors que vous savez pertinemment combien ce droit est symbolique de l'intégration et du lien social ; dois-je rappeler que ce droit de vote est réclamé par la majorité de la population ?

S'agissant de la détention, je fais partie des quelques parlementaires, sénateurs ou députés, qui se rendent régulièrement dans les centres de détention. J'invite donc l'ensemble de mes collègues à faire de même.

La réalité, souvent insupportable, correspond tout à fait à celle qu'a décrite M. Gil-Robles. C'est ainsi que le centre de rétention de Paris, par exemple, est bien dans l'état immonde qu'il évoque. Or ce centre est toujours ouvert, alors qu'il aurait dû être fermé l'an dernier. On nous dit maintenant qu'il fermera ses portes au mois de juin prochain ; quoi qu'il en soit, nous serons très vigilants sur ce point.

Il est, par conséquent, inconcevable, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez considéré le rapport de M. Gil-Robles comme « injuste » et ne reflétant pas « la réalité des efforts menés par les gouvernements successifs depuis 2002 ».

Concernant les prisons, notre collègue a raison d'affirmer que le fait de continuer à en construire, loin d'apporter une solution à la surpopulation carcérale, participe, au contraire, d'une véritable fuite en avant.

À Liancourt, une nouvelle prison a été construite pour remplacer l'ancienne. Or le résultat est le suivant : les deux fonctionnent !

Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement quand les lois sécuritaires que j'ai évoquées ont pour effet direct l'augmentation constante du nombre des détenus ?

Pour ce qui est des mineurs, vous avez, monsieur le garde des sceaux, confirmé la création de vingt-neuf centres éducatifs fermés et de six nouveaux établissements pénitentiaires d'ici à 2007 : autant de « réponses » correspondant à l'abaissement de l'âge de la responsabilité pénale et à la primauté donnée à la sanction sur l'éducation et la prévention, cette dernière étant toujours absente des projets de ce Gouvernement et de sa majorité.

Parallèlement, j'ai dénoncé la fermeture programmée du quartier intermédiaire pour sortants, ou QIS, du centre pénitentiaire de Fresnes, l'une des rares structures participant à la réinsertion des détenus les plus vulnérables et à la lutte contre la récidive.

À cet égard, le médecin chef-psychiatre de Fresnes, Mme Christiane de Beaurepaire, envisage, comme cela a déjà été dit, d'user de son droit d'alerte pour obtenir des effectifs infirmiers. Pour avoir personnellement visité ce centre l'an dernier, je comprends vraiment son inquiétude. Quelle réponse allez-vous y apporter, monsieur le garde des sceaux ?

Il vous faut entendre cette personnalité, comme il vous faut être attentif à l'appel des associations et des personnalités qui déclarent, au sujet des prisons, que « trop c'est trop » ; par ailleurs, il vous faudra tenir compte des propositions des états généraux de la condition pénitentiaire, idée lancée par l'Observatoire international des prisons, l'OIP.

Pour l'heure, vous semblez rester sourd alors que vous devez agir : les discours ne suffisent pas !

En 2001, des sénateurs, dont certains sont présents aujourd'hui, avaient qualifié les prisons françaises « d'humiliation pour la République ».

Combien faudra-t-il de condamnations de la France, voire de suicides dans les prisons, pour que vous acceptiez de réfléchir réellement à une transformation des conceptions carcérales ? En effet, depuis 2001, je n'ai guère eu de soutien de votre part en faveur de tous ceux - professionnels, associations, détenus - qui tirent la sonnette d'alarme et se mobilisent pour que le rapport parlementaire de 2001 ait une suite.

Vous étiez même favorables à l'époque, mes chers collègues, à la mise en place d'un contrôleur général des prisons, extérieur à l'administration pénitentiaire. Or, depuis, rien ne s'est passé !

En outre, selon le rapport de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, il ressort que vous étiez hostiles à l'incarcération de ces derniers. Pourtant, depuis cette date, le Gouvernement n'a cessé de la promouvoir !

La lamentable affaire d'Outreau a amené certains à pousser des cris d'orfraie sur la détention provisoire. Or tout ce qui a été voté depuis quatre ans va précisément dans le sens de la détention provisoire !

Voilà plus de trente ans, Valéry Giscard d'Estaing avait eu le mérite de dire que la prison était la privation de liberté et rien d'autre. Hélas, les conditions de détention dans nos prisons entraînent non seulement la privation de liberté, mais aussi la dégradation à coup sûr de l'état social, sanitaire et psychique des détenus !

Aujourd'hui, la prison fait d'eux des personnes irresponsables, sans droits, sans avenir. Il est donc urgent d'améliorer les conditions matérielles de détention, en luttant contre l'oisiveté grâce au travail et à la formation, et en permettant aux détenus de participer à l'organisation de la vie en détention. Il convient de leur octroyer des droits - je pense, notamment, à un revenu minimum - et de leur donner les moyens de se réinsérer, comme nous y invite, d'ailleurs, le rapport du Conseil économique et social de février dernier. Il s'agit là d'un rapport très intéressant et que les parlementaires qui, en 2001, se sont insurgés contre les conditions de détention ont dû lire avec intérêt !

De la même manière, il faut accorder des droits supplémentaires aux personnels pénitentiaires, passant par une formation de qualité et une redéfinition de leurs statuts qui ne les excluent plus des droits généralement accordés aux citoyens. Il faut leur donner les moyens de travailler dans la dignité et de prendre en charge les personnes incarcérées dans le respect des droits de chacun.

En outre, il est urgent de lever le secret sur l'administration des prisons, grâce à la création du poste de contrôleur général des prisons, extérieur à l'administration pénitentiaire, rôle que ne peut remplir le Médiateur de la République, malgré les qualités de ce dernier.

Enfin, il est nécessaire d'engager un débat serein sur la perpétuité et les peines de sûreté. Vous qui aimez les comparaisons européennes, monsieur le garde des sceaux, ayez donc le courage de constater que la France est le seul pays à prévoir des peines de sûreté aussi longues. Aux dix condamnés à perpétuité de Clairvaux qui, l'an dernier, ont demandé « le rétablissement de la peine de mort » pour eux-mêmes, vous avez répondu en ironisant sur leur démarche et sur les conditions de détention dans cette prison. S'il n'y a rien de très étonnant dans cette prise de position de la part d'un ancien député ayant voté contre l'abolition de la peine de mort, elle n'en est pas moins proprement scandaleuse lorsqu'elle émane d'un ministre de la justice !

Il est grand temps d'entamer un débat national - certains parlent d'un projet de loi pénitentiaire que la gauche n'a pas eu le courage de présenter ni, a fortiori, de faire voter, ce que, personnellement, je regrette - qui porterait sur l'utilité et le sens de la peine ainsi que sur les missions de l'administration pénitentiaire.

Il est grand temps d'appliquer les préconisations européennes en matière de détention concernant, en particulier, les moyens que notre pays entend consacrer à la justice, alors qu'il se situe aujourd'hui au vingt-troisième rang des pays européens ; puisque vous aimez les comparaisons, monsieur le garde des sceaux, essayez donc de prendre en compte les besoins réels de la justice dans notre pays !

Notre collègue Jacques Pelletier a été bien inspiré en souhaitant qu'un tel débat ait lieu aujourd'hui. Pour ma part, j'émets le voeu que le groupe d'études sur les droits de l'homme du Sénat, qu'il préside et auquel je participe, soit en état de veille permanente pour dénoncer toute atteinte aux droits des personnes.

En effet, il nous faut tenir compte tout à la fois de certaines évolutions préoccupantes telles que le développement de la surveillance et du fichage, de différents textes actuellement en discussion ou en préparation concernant les migrants ou la justice des mineurs. Je n'aurai garde d'oublier le gigantesque « bordel » qui se produira à l'occasion de la prochaine Coupe du monde de football, si nous ne nous mobilisons pas. À cet égard, il me semble que les parlementaires devraient montrer l'exemple !

En conclusion, je dirai simplement que l'on ne saurait être sélectif en matière de droits de la personne. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à vous préoccuper constamment de la situation de notre pays dans tous les domaines que j'ai évoqués. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Vallet.

M. André Vallet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en matière de droits de l'homme comme, d'ailleurs, dans les domaines culturel ou économique, la France ne doit pas vivre sur ses acquis ni se cacher derrière son image.

Le 15 février dernier, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe Álvaro Gil-Robles rendait public son rapport « sur le respect effectif des droits de l'homme en France », rapport qui a souvent été évoqué au cours de ce débat.

Rédigé à la suite d'une série de visites dans des centres d'accueil et de rétention pour étrangers, dans des commissariats de police, dans des maisons d'arrêt et des prisons, dans un hôpital psychiatrique ainsi que dans des centres pour victimes de violences domestiques, ce rapport, très critique, dresse un bilan qui n'honore pas notre République, monsieur le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. André Vallet. Il met notamment l'accent sur d'importants dysfonctionnements et insuffisances de notre système policier, judiciaire ou carcéral. Il met également en relief le mauvais traitement réservé aux étrangers arrivant sur le territoire national ainsi que la persistance de nombreuses formes de discriminations raciales.

Pour remédier à cette situation, ce rapport formule plus de soixante-dix recommandations dans des domaines variés.

Ce faisant, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe n'a fait que constater une fois de plus ce que, hélas, un certain nombre de professionnels et d'acteurs de la société civile n'ont de cesse de dénoncer. C'est ainsi que les syndicats pénitentiaires ont déclaré ne « pas être surpris » par les conclusions de ce rapport qui est pourtant, à certains égards, accablant.

Le rapport Gil-Robles fait aussi écho au rapport parlementaire de nos collègues Hyest et Cabanel de 2000 portant sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, lesquelles constituaient, selon eux, « une humiliation pour la République » !

Or, à la lumière des conclusions de ce rapport et du constat fait par le commissaire européen aux droits de l'homme, il semble, hélas, que les choses aient très peu évolué en la matière dans notre pays depuis six ans. Je pense même qu'elles se sont aggravées, ce qui est pour le moins alarmant.

Parallèlement, la délégation de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, présidée par Jean-Marie Cavada, député de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, l'ADLE, a rejoint les observations faites par le commissaire aux droits de l'homme lors de sa visite de deux centres de rétention administrative en France il y a deux mois.

Les conclusions de M. Gil-Robles ne sont donc pas isolées. Dans ces conditions, tout porte à croire que l'effectivité du respect des droits de l'homme en France est plus que perfectible.

Or, à la suite de la publication du rapport Gil-Robles, vous avez, monsieur le garde des sceaux, violemment réagi, suscitant de ce fait une polémique. Si, selon vos propres termes, ce rapport contient des « éléments incontestables », relatifs, notamment, à « la modernisation et l'élargissement de notre parc pénitentiaire », vous en avez stigmatisé le caractère erroné ou obsolète sur de nombreux autres points d'importance.

Ce type de débat, qui est très utile et vivifiant pour notre démocratie, doit être prolongé, me semble-t-il.

Monsieur le garde des sceaux, il vous a donné l'occasion de communiquer sur les principaux axes de votre politique de réforme du fonctionnement de la justice et de l'administration pénitentiaire. Vous avez annoncé, parmi les mesures les plus notables, le lancement d'un plan de sûreté des juridictions, la création de 850 postes de greffiers ou encore la refonte partielle de la carte judiciaire.

En matière pénitentiaire, le Gouvernement s'est engagé à tout faire pour améliorer rapidement les conditions de vie des détenus, en luttant contre l'encombrement et la vétusté des prisons grâce à la construction de nouveaux établissements.

Monsieur le garde des sceaux, où en êtes-vous dans la mise en oeuvre de ces mesures ?

De manière plus fondamentale, nous pouvons nous interroger sur la cohérence de la politique judiciaire et pénitentiaire.

Les mesures que je viens d'évoquer, pour fondamentales et urgentes qu'elles puissent sembler à court terme, ne paraissent toutefois pas suffisantes. Elles ne signalent pas la mise en place d'une politique judiciaire et pénitentiaire globale.

Comme certains orateurs l'ont déjà souligné, la prison n'est pas un but en soi. Elle doit garantir que les condamnés, une fois leur peine purgée, pourront se réinsérer dans la société et ne récidiveront pas.

Le Gouvernement met-il l'accent sur la réinsertion ? Quelques mesures, telle la création d'unités expérimentales de visite familiale et de postes de travailleurs sociaux chargés d'accompagner les détenus, semblent l'attester. Toutefois, elles ne paraissent pas suffisantes.

L'amélioration des conditions de vie en prison va de pair avec le maintien de liens sociaux avec le monde extérieur, eux-mêmes garants du succès de la réinsertion des détenus.

Par ailleurs, le rapport Gil-Robles met l'accent sur les nombreuses entorses faites aux droits de l'homme, dont la plupart ne résultent pas des insuffisances de notre législation - nous ne pouvons tout demander à la loi ! - mais de sa mauvaise application.

C'est le cas en matière de « bavures policières », de racisme, d'antisémitisme, de xénophobie et de discriminations ou de conditions de vie des gens du voyage. Par définition, toutes ces questions ne nécessitent pas une réforme du droit, mais une prise de conscience collective et une volonté politique d'améliorer la situation. Or le Gouvernement ne s'est pas exprimé sur ces thèmes.

Monsieur le garde des sceaux, ces problèmes sortent sans doute de votre domaine de compétence, mais quelles leçons entendez-vous tirer du rapport de M. Gil-Robles pour tenter de les résoudre ?

Notre pays est le berceau et la patrie des droits de l'homme, mais notre histoire n'est pas une garantie. Au contraire, elle ne nous confère que des devoirs ! La France se doit d'être irréprochable en la matière.

La protection des droits et de la dignité de la personne humaine est un combat de chaque jour. C'est pourquoi je remercie notre collègue Jacques Pelletier d'avoir fait inscrire cette question à l'ordre du jour du Sénat. J'espère que ce débat se poursuivra, car la protection des droits de l'homme passe aussi par l'information de la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, de l'UMP et sur certaines travées du RDSE. - M. André Rouvière applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Rouvière.

M. André Rouvière. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne tenterai pas de définir ce que sont les droits de l'homme, car cela prendrait trop de temps, sinon pour affirmer qu'il s'agit du respect de l'homme et de ses droits tels qu'ils sont définis dans de très nombreux textes nationaux et internationaux.

En revanche, il est facile, hélas, de constater les infractions au respect de ces droits. En France, les exemples sont beaucoup trop nombreux. Je rappellerai, à la suite de nos collègues, les prisons surpeuplées, les contrôles et les arrestations parfois trop « musclées », la lutte contre les immigrés clandestins, les agressions racistes et autres, notamment en Corse.

Toutes ces affaires, que révèlent les médias, attestent que, même en France, le problème du respect des droits de l'homme se pose réellement et quotidiennement. Cette situation est inquiétante, mais l'évolution de notre société l'est plus encore, me semble-t-il, car elle rend plus difficile le respect des droits de l'homme.

Si, en disposant d'un temps de parole plus long, je pourrais évoquer bien d'autres domaines, je n'aborderai ici que trois secteurs, la justice, le travail et l'éducation, qui me suffiront pour lancer un cri d'alarme : en France, les droits de l'homme sont en danger !

La justice, tout d'abord, pour des raisons diverses, sur lesquelles je ne m'étendrai pas, a tendance à substituer à la présomption d'innocence la présomption de culpabilité.

Monsieur le garde des sceaux, on emprisonne d'abord, on juge après, parfois des mois ou des années plus tard ! La détention provisoire, qui devrait être l'exception, devient la règle, hélas. À la fin de l'année 2005, les prisons françaises comptaient plus de 21 000 prévenus, soit environ 35 % du total des personnes écrouées. Celles-ci sont enfermées dans des cellules exiguës, où prévenus et condamnés sont trop souvent entassés et mélangés.

L'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'a toutefois pas été abrogé ! Il dispose que « tout homme [est] présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».

La dérive qui consiste à sanctionner a priori s'insinue dans de nombreux domaines de notre vie quotidienne, malheureusement. Un exemple fréquent, dérisoire, bien sûr, au regard de l'emprisonnement, mais qui illustre, à mon sens, l'évolution des mentalités, peut être trouvé dans les procès-verbaux que nous inflige l'éclair d'un radar sur le bord d'une route.

Mes chers collègues, lorsque vous êtes persuadé qu'il y a erreur, que vous adressez une requête en exonération et utilisez le point 3 du procès-verbal, il vous est indiqué qu'en envoyant le formulaire de requête vous devez acquitter 135 euros de consignation. Certes, il est précisé que cette consignation n'est pas assimilable au paiement d'une amende, mais je note qu'avant d'être reconnus coupables nous subissons une sanction, même si celle-ci est dénommée consignation. La présomption d'innocence se trouve ainsi écartée.

Cette dérive se généralise, ce qui est grave au regard des droits de l'homme. Le rejet de la présomption d'innocence favorise la délation, l'accusation non vérifiée.

Hier, c'était Outreau, aujourd'hui, c'est la lamentable affaire Clearstream. Si nous n'arrêtons pas cette folie, demain, chacun d'entre nous risquera de devoir saisir la justice afin de prouver son innocence. Nous serons coupables a priori, potentiellement d'abord, réellement ensuite.

Il faut donc restaurer la présomption d'innocence et lui donner toute sa place. Monsieur le garde des sceaux, l'exemple - je parle du bon exemple - doit venir d'en haut. Or, je ne vois rien venir.

S'agissant à présent du travail, la recherche à tout prix d'une rentabilité toujours plus grande n'est pas compatible avec le respect des droits de l'homme. Une course folle à toujours plus de profit entraîne la disparition d'entreprises, des suppressions d'emploi et des réductions de salaires. Le chômage s'installe, même si les statistiques officielles s'efforcent de prouver le contraire. La précarité fragilise le travailleur.

Dans ce contexte, les droits du travail, qui font partie des droits de l'homme, sont trop souvent considérés par certains comme un obstacle au profit et à la rentabilité.

Une nouvelle donne économique s'abat sur la France. Elle ne frappe pas seulement notre pays, mais elle ne l'épargne pas. Les salaires doivent être sacrifiés aux profits, parfois aux superprofits.

Notre pays s'enrichit, certains groupes industriels accumulent des bénéfices faramineux, mais leurs employés s'appauvrissent, que la précarité menace et la colère habite. Parfois, les banlieues explosent.

Enfin, j'évoquerai l'éducation du citoyen, pour souligner que l'école n'a plus les moyens de l'assumer. L'école communique des savoirs, elle les transmet, souvent bien, voire très bien. Néanmoins - tout comme la famille désormais - elle n'éduque plus le citoyen. Le respect de l'autre et l'acceptation de la différence font partie d'une indispensable éducation, mais qui l'assume aujourd'hui ? Presque personne, car nous n'apprenons plus à respecter, nous cherchons à obliger à respecter.

La répression a remplacé la prévention, mais elle a ses limites. Elle est peut-être indispensable dans certains cas, mais en général elle est insuffisante. Le respect de l'autre ne s'impose pas, il s'apprend, par l'éducation et par l'exemple.

Le service militaire aurait pu contribuer à cette éducation citoyenne. En le supprimant, le président Chirac a commis une lourde faute. Un jour, j'en suis convaincu, il faudra rétablir le service national obligatoire pour toutes et pour tous.

En résumé, il n'y a plus d'éducation citoyenne, et l'exemple qui nous est donné en haut lieu n'est pas bon. Une rupture est effectivement nécessaire, afin de retrouver le sens des valeurs qui est indispensable au respect des droits de chacune et de chacun.

Je le répète, le bon exemple doit venir d'en haut, mais je ne vois rien venir. En France, les droits de l'homme sont en danger. Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement en est-il conscient ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le garde des sceaux, comme je suis le second orateur de l'UDF, ainsi que le dernier intervenant du débat avant vous-même, je ne peux que constater que tout a été dit, ou presque, sur l'état de nos centres de rétention et de nos prisons et sur ce que nous pouvons penser du rapport du commissaire au Conseil de l'Europe Gil-Robles. Je tenterai cependant, si c'est possible, d'aborder des questions qui n'ont pas encore été soulevées.

À mon tour, je remercie et félicite Jacques Pelletier d'avoir pris l'initiative de ce débat. Celui-ci vient à son heure, pour toutes les raisons qui ont été évoquées par les orateurs précédents, auxquelles j'ajouterai une autre considération.

Francis Grignon évoquait tout à l'heure le Conseil de l'Europe, en rappelant le rôle joué dans la genèse de cette institution par la France et par René Cassin, voilà près de soixante ans.

Je situerai mon propos dans le contexte de la panne - le mot est faible - que subit la construction européenne en ce moment. Aujourd'hui, il est urgent que l'Union européenne retrouve le sens de l'intérêt commun. Elle ne sortira de la crise qu'elle traverse que si elle s'efforce d'avancer dans cette direction.

Pour cela, elle doit se souvenir qu'elle a été créée pour construire la paix et, plus largement, pour défendre tous les droits de l'homme. Telle est la finalité profonde de la construction européenne.

Bien sûr, la « méthode Schuman », à laquelle je rends hommage tous les jours, nous a incités à construire la paix en apprenant aux hommes à travailler ensemble. Elle nous a encouragés à bâtir une grande oeuvre humaine et à la faire entrer dans notre vie quotidienne.

Malheureusement, le balancier est allé un peu loin du côté de la gestion du quotidien. Aujourd'hui, nous avons quelque peu perdu de vue la finalité profonde de la construction européenne, à savoir, je le répète, la défense de la paix et des droits de l'homme. Il revient à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe d'assumer un rôle central en nous rappelant cette finalité.

À cet égard, le rapport de l'ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Álvaro Gil-Robles, a eu le mérite de réveiller nos esprits et de nous ramener à l'essentiel en remettant en avant le rôle incombant à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui est de nous rappeler à temps et à contretemps qu'il n'y a pas d'entreprise et de prospérité sans liberté ni de développement sans respect des droits de l'homme.

Puisque la paix est la finalité de la construction européenne, je rappellerai ce qu'avait déclaré Paul VI au cours de son pontificat : « Le développement est le nouveau nom de la paix ».

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Populorum progressio !

M. Denis Badré. Absolument, monsieur le ministre ! Vous le voyez, je ne cite pas que Jean-Paul II ! (Sourires.)

Par développement, nous entendons celui de tous les hommes et de tous les peuples de notre planète. Il n'y aura pas de paix si nous ne prenons pas conscience de cette nécessité.

Dans un tel contexte, nous nous interrogeons régulièrement à Strasbourg pour savoir si certains pays ont toujours leur place au sein du Conseil de l'Europe et s'ils en respectent toujours la charte. Ainsi, certains, au cours des débats, demandent l'exclusion de tel ou tel pays pour non-respect des droits de l'homme. Récemment, c'est l'Azerbaïdjan qui a ainsi été stigmatisé pour des conditions de vote jugées incorrectes lors des dernières élections.

Pour ma part, je suis de ceux qui pensent qu'il ne faut pas exclure ces pays. En effet, il est souhaitable d'avoir une assemblée réunissant tous les peuples d'Europe, au sein de laquelle nous puissions pratiquer la « correction fraternelle », dans la réciprocité. Autrement dit, si nous voulons être crédibles quand nous jugeons les autres, nous devons accepter les regards extérieurs sur nous-mêmes.

En ce sens, il nous faut tenir compte des remarques de M. Gil-Robles, respecter ce qu'il a écrit. Personnalité à l'autorité incontestée, il ne peut que nous alerter dans sa manière de percevoir la situation de notre pays. Sur certains points, il a effectivement pointé du doigt de réels problèmes. Sur d'autres, il a quelque peu exagéré, n'évitant pas les excès ni les inexactitudes.

En tout cas, il faut lire son rapport sereinement et objectivement. Si nous voulons être crédibles lorsque nous participons à la condamnation des crimes des régimes communistes autoritaires, nous devons accepter que d'autres portent un regard sur nos propres pratiques. Tout est lié : nous devons admettre les critiques sereinement, si nous voulons garder une influence.

D'ailleurs, monsieur le ministre, notre participation au Conseil de l'Europe est à l'origine de bien des réformes dans notre pays, depuis l'acceptation du recours individuel jusqu'à l'institution de l'appel pour les verdicts de cour d'assises et l'organisation d'un nouveau procès lorsqu'une procédure a été jugée non conforme par la Cour européenne des droits de l'homme.

À ce titre, je me plais à relever dans le rapport de M. Gil-Robles la reconnaissance de nombre d'améliorations récentes, au profit, par exemple, des détenus, y compris des détenus étrangers en situation irrégulière.

Avant de conclure, monsieur le ministre, je voudrais moi aussi, après Jacques Pelletier, attirer votre attention sur la convention pénitentiaire européenne. Cette question, sur laquelle notre collègue député Michel Hunault s'est fortement impliqué, a fait l'objet d'un long débat lors d'une récente session à Strasbourg. Nous avons d'ailleurs insisté auprès de notre ambassadeur auprès du Conseil de l'Europe pour qu'il transmette à l'ensemble du Gouvernement les propos qui ont été tenus à cette occasion.

Monsieur le ministre, désormais, les temps sont mûrs pour que la France ratifie cette convention. Il s'agirait d'une décision symbolique et d'un signal fort : dans le contexte actuel, nous montrerions notre attachement à nous inscrire dans le monde réel et à contribuer, comme nous l'avons toujours fait, à la promotion des droits de l'homme, non seulement sur notre vieux continent, mais aussi dans le reste du monde.

Sur ce point, le débat d'aujourd'hui s'est révélé très précieux. Si nous arrivons à progresser dans un bon état d'esprit sur des sujets concrets comme la convention pénitentiaire européenne, alors la France honorera vraiment sa réputation de patrie des droits de l'homme : elle assumera mieux son rôle, sa responsabilité de pays fondateur de la communauté européenne. En ce sens, nous aurons contribué à relancer la construction européenne sur de bonnes bases, ces bases qui doivent permettre à l'Europe de renouer avec son histoire et avec son destin. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord rendre hommage à votre assemblée pour l'intérêt qu'elle porte aux questions pénitentiaires. En effet, je le rappelle, le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, publié en 2000, avait marqué le début d'une prise de conscience sur la situation trop souvent inacceptable dans nos établissements pénitentiaires. En outre, voilà quelques mois, j'avais répondu à l'invitation de la commission des finances de votre assemblée pour débattre de la détention et, d'une manière générale, du problème de nos prisons.

Aujourd'hui, je tiens à saluer le groupe d'études des droits de l'homme du Sénat et notamment son président, M. Jacques Pelletier, qui est à l'origine du débat qui nous réunit ce matin.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation est bien connue : le rapport de l'ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe M. Álvaro Gil-Robles, qui a été souvent cité, fait donc suite aux rapports des commissions d'enquête du Sénat et de l'Assemblée nationale, au livre du docteur Vasseur, mais aussi à d'autres avertissements que la société française n'avait pas manqué de lancer. Il a été publié après l'alternance politique que notre pays a connue en 2002, plus précisément après le vote de la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

Or les commentaires sur ce rapport ont laissé croire que nous n'avions rien fait depuis 2000, depuis le premier constat établi par la Haute Assemblée. Devant de telles inexactitudes, j'ai réagi fortement, m'exprimant au nom de la France, et pas seulement au nom d'un camp partisan, pour affirmer que nous avions pris toute la mesure du problème. Cette prise de conscience a d'ailleurs débouché sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice et sur la création de 13 200 places de prisons, qui sont actuellement en construction. Ainsi, dès 2007, nous disposerons de sept établissements pour mineurs, d'une capacité de soixante places chacun, ce qui constituera une bonne base de départ pour tenter de résoudre le problème de la délinquance des jeunes.

En définitive, le constat repris par tous exigeait une réponse vigoureuse du Gouvernement. C'est tout à l'honneur de la majorité actuelle d'avoir agi comme elle l'a fait.

Je tiens tout de suite à rectifier une erreur matérielle. Certains d'entre vous ont considéré qu'il n'était peut-être pas opportun d'être chicanier et de répondre point par point à toutes les assertions de M. Gil-Robles. Je ne vais certes pas faire un procès au commissaire du Conseil de l'Europe que j'ai eu l'occasion de rencontrer et à qui j'ai exprimé personnellement tout mon respect. D'ailleurs, dans cette affaire, il n'est pas le seul responsable : son travail n'aurait pas eu un tel écho s'il n'avait pas été suivi d'une quantité de commentaires plus ou moins objectifs.

Cela étant, je tiens à souligner, disais-je, une erreur qu'il a commise, car elle est tout de même fondamentale. En effet, M. Gil-Robles affirme que le budget de la justice représente, en France, 1 % du budget de l'État. Vous-même, monsieur Pelletier, vous vous êtes également trompé, quoique moins gravement, en déclarant que celui-ci s'établissait à 1,73 %. En réalité, le pourcentage exact est 2,16 %. (Mme Gisèle Printz s'exclame.) Madame la sénatrice, entre 1 % et 2,16 %, il y a plus que du simple au double ! Dans ces conditions, nous expliquer que la situation française n'aurait pas changé depuis l'an 2000 est véritablement malhonnête !

Serait-ce une simple faute de plume ? Si certains commentateurs ne s'étaient pas fondés sur ce taux pour démontrer que la situation française était calamiteuse, j'aurais volontiers oublié cette erreur, qui aurait effectivement pu alors être considérée comme une erreur matérielle. Tel n'est malheureusement pas le cas : sur cette fausse information, les commentateurs se sont appuyés pour en déduire des conséquences fallacieuses.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne s'agit pas pour moi d'affirmer que tout est bien dans le meilleur des mondes. Vous le savez, je ne le pense pas, je l'ai déjà dit ici. Pour autant, je n'accepte pas que ceux qui n'ont rien fait auparavant nous intentent un faux procès, en s'efforçant de faire oublier le formidable effort politique qui est réalisé depuis trois ans ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Ensemble, il nous faut poursuivre notre travail : l'amélioration de la situation prendra encore de nombreuses années, et Dieu sait que nous n'aurons pas fini à la fin de la législature ! J'appelle d'ailleurs de mes voeux une deuxième loi d'orientation et de programmation pour la justice. Je ne sais pas à qui ces voeux s'adressent : n'étant pas prophète, je ne connais pas la majorité de demain ! Cela étant, il est indispensable de continuer notre effort, non seulement en direction de l'administration pénitentiaire, mais aussi vers l'ensemble du ministère de la justice, qui est en train, depuis quatre ans, de retrouver un budget digne du grand service public qu'il gère. Partant de très loin, nous nous situons encore très au-dessous de ce qui est nécessaire.

J'en viens maintenant aux questions qui m'ont été posées. J'aborderai d'abord ma politique pénitentiaire, qui repose sur deux principes simples.

D'abord, il est inutile, et même stérile, d'opposer les deux missions qui incombent aux personnels pénitentiaires, à savoir la sécurité et la réinsertion. Ces deux objectifs sont, en réalité, intimement liés : la sécurité de la société est assurée lorsque la réinsertion d'un condamné est réussie et que disparaît la récidive.

Inversement, je n'envisage pas de véritable politique d'accompagnement des détenus, de développement des activités culturelles, sportives, de travail et d'enseignement au sein d'un établissement si la sécurité des personnes en détention n'est pas assurée.

Je veux le rappeler avec fermeté : la prison est le miroir de notre société, avec ses déconvenues, ses difficultés et, évidemment, ses échecs. Les personnels pénitentiaires exercent un métier d'une extraordinaire difficulté et ils ont droit à un hommage appuyé de la nation et de ses représentants. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que votre assemblée partage cette conviction. (MM. Jacques Pelletier, Michel Houel et Bernard Fournier applaudissent.) Je vous remercie, messieurs les sénateurs, d'appuyer mes propos !

Telles sont les raisons pour lesquelles je n'ai jamais cru à un quelconque « grand soir pénitentiaire ». Les pétitions de principe s'appuient souvent sur des réponses simplistes et, me semble-t-il, inefficaces.

Ainsi en est-il du projet de numerus clausus, si vague, mais si souvent avancé. Comme certains de ses promoteurs me l'ont expliqué, il ne faut pas tenir compte de l'étymologie ni de la signification première de cette expression. Lorsque je leur ai fait remarquer que le recours au numerus clausus serait en l'occurrence inconstitutionnel, ils m'ont répondu qu'il ne fallait pas l'entendre au sens habituel. Dans ce cas, qu'ils précisent clairement de quoi il retourne !

S'il s'agit de chercher des solutions de remplacement à l'incarcération, je suis au rendez-vous. Mais s'il s'agit de fixer un nombre maximum de détenus par prison, cela pose un problème. Imaginez, en effet, deux personnes condamnées pour des faits identiques : l'une, plus chanceuse, ne serait pas incarcérée au motif que la prison qui devait l'accueillir serait pleine, tandis que l'autre devrait normalement purger sa peine dans une prison voisine ! Je ne peux que m'élever contre une telle rupture d'égalité entre les citoyens, qui est évidemment inconstitutionnelle. Par conséquent, si ceux qui ont lancé cette thématique ont autre chose en tête, qu'ils veuillent bien m'en faire part !

D'une manière générale, la décision de libérer un délinquant est une solution envisageable uniquement dans les cas où cela correspond vraiment à une volonté politique, à l'image de la libération conditionnelle. Mais, en aucun cas, une telle décision ne doit être prise parce qu'un chiffre symbolique serait atteint.

Je souhaite humaniser davantage nos prisons. C'est pourquoi j'appuie et j'accompagne le programme de constructions d'établissements pénitentiaires dont j'ai parlé tout à l'heure.

Certains d'entre vous m'ont interrogé sur le devenir de la charte. Mesdames, messieurs les sénateurs, s'il ne s'agit simplement que de coucher quelques promesses sur le papier, rédigeons-la tout de suite ! Mais cela suffira-t-il à retrouver dans nos prisons le minimum d'humanisme que nous exigeons ? Bien sûr que non !

Ceux qui me réclament cette charte sont ceux qui n'ont pas mis un sou dans les prisons ! Je vous le promets, cette charte verra le jour. Mais, par décence, attachons-nous d'abord à humaniser les prisons ; nous pourrons ensuite réfléchir sur leur finalité. Si nous n'agissons pas dans cet ordre, cette charte n'est qu'une immense hypocrisie !

Puisque M. Badré a évoqué Paul VI et son encyclique Populorum progressio, je citerai saint Thomas d'Aquin (Sourires), selon lequel on ne peut pratiquer la vertu qu'avec un minimum de bien-être. Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, on ne peut pratiquer l'humanisme carcéral qu'avec un minimum de bien-être matériel, et la première chose à faire en la matière, c'est de réhabiliter nos prisons. (Mme Adeline Gousseau acquiesce.)

Comme vous l'avez rappelé, monsieur Grignon, la seule manière de lutter concrètement contre la vétusté et le surencombrement de nos prisons est d'en construire de nouvelles.

Vous avez mentionné l'action d'Albin Chalandon et de Pierre Méhaignerie, et rappelé la politique que nous conduisons actuellement en la matière. Vous savez que l'agence de maîtrise d'ouvrage de travaux du ministère de la justice a été créée à cet effet, en 2002. Cet effort devrait porter ses fruits dans les années qui viennent.

Cette politique de construction conduira à de réelles améliorations pour les détenus. Les cellules seront plus confortables, les douches individuelles, les équipements socio-éducatifs plus adaptés, les espaces de loisirs plus accueillants et les parloirs familiaux plus nombreux.

Les conditions de travail des personnels s'en trouveront améliorées.

Je rappelle, à cet égard, que la France n'a pas fait le choix du « tout carcéral », comme je l'entends dire parfois avec stupéfaction.

Le taux d'emprisonnement y est d'environ 93 pour 100 000 habitants. Ce taux est inférieur à celui de la plupart des pays européens voisins, surtout au taux enregistré par le Royaume-Uni, et je ne parle pas des États-Unis ou de la Moldavie. Dans ce dernier pays, le taux est de 303 pour 100 000 habitants, ce qui rend toute comparaison avec la France, non pas blessante mais insupportable.

Sachons donc raison garder et essayons de comparer, à partir des chiffres qui sont en notre possession, la situation française avec celle des autres pays. Soyons francs : cette situation, qui certes n'est pas en tous points brillante, est - et ce n'est pas une consolation - assez répandue dans l'Union européenne et je crains qu'en la matière peu de pays voisins puissent nous donner des leçons. Pour ce qui nous concerne, nous faisons de gros progrès et j'espère que, bientôt, la France méritera de nouveau son titre de pays des droits de l'homme. Si nous avons encore peu de motifs d'être fiers, disons simplement notre volonté de le devenir.

Il n'y a donc pas trop de détenus en France, mais il n'y a pas assez de places de prison dignes et modernes. C'est le constat qu'ont d'ailleurs fait, chez eux, nos voisins qui ont, eux aussi, engagé d'importants programmes immobiliers.

Certains s'élèvent avec vigueur contre l'augmentation du nombre des détenus. Malheureusement, ce « populisme pénal », comme l'appellent certains, est contredit par les chiffres. Je constate qu'il y avait 63 000 détenus en mai 2005 et qu'en mai 2006 ce chiffre a été ramené à 59 000, soit 4 000 de moins, ce qui est l'inverse de ce qui était dénoncé à cette tribune il y a moins d'une demi-heure...

Là encore, les chiffres contredisent des affirmations qui traduisent des idées toutes faites ! Ils sont le résultat d'une politique pénitentiaire qui est ferme et humaine et qui utilise toutes les alternatives possibles à l'incarcération.

Comme je vous l'ai indiqué, ce programme nous permettra en priorité de fermer les établissements les plus vétustes.

Je sais qu'il y a en ce domaine une grande impatience. Je la ressens fortement dans ma propre région : comment ne pas être honteux face à la situation des maisons d'arrêt Saint-Paul et Saint-Joseph de Lyon ? Elles pourront être fermées aussitôt que seront construits les établissements de Bourg-en Bresse, de Roanne et de Corbas, pour parler de cette région, étant entendu que d'autres fermetures seront également envisageables ailleurs. C'est notamment le cas des maisons d'arrêt de Basse-Terre en Guadeloupe, de Saint-Denis à la Réunion, de Papeete ou d'autres encore que j'ai visitées et qui se trouvent dans un tel état que je souhaite que soient très vite construits de nouveaux locaux pour pouvoir fermer les anciens.

Bientôt, nous verrons le fruit de ces quatre années de travail, ou plus exactement de ces cinq années de législature. Au reste, comme ces prisons ouvriront officiellement entre 2008 et 2010, elles ne seront pas inaugurées par ceux qui auront pris l'initiative de leur construction. Je souhaite donc que certains n'en profitent pas, alors, pour se parer des plumes du paon ; je n'en dirai pas plus...

Parallèlement, certains établissements anciens seront conservés, mais rénovés. C'est le cas d'établissements emblématiques et très symboliques, compte tenu de leur importance, comme La Santé, Fleury-Mérogis, qui est la plus grande prison d'Europe, ou les Baumettes.

L'investissement sera à la hauteur de l'enjeu puisque la rénovation de chaque place coûtera près de 100 000 euros. C'était également une des priorités de la commission d'enquête et je suis heureux de vous montrer, monsieur Pelletier, que ses orientations ont été suivies.

Nous avons en outre mis à profit ce programme de construction pour réformer les conditions de détention.

En effet, nous avons entrepris de diversifier les structures pénitentiaires afin de les adapter à tous les publics accueillis. C'est ainsi seulement que nous pourrons garantir la séparation des mineurs et des majeurs, des primo-délinquants et des récidivistes et enfin des prévenus et des condamnés. C'est en passant par la séparation de ces différentes catégories de détenus que notre pays sera respectueux des droits de l'homme.

Nous expérimentons en ce moment sur trois sites la mise en place de « quartiers courtes peines » au sein des maisons d'arrêt. Je suis très attaché à ce concept, pour l'instant expérimental.

C'est le moyen qui me semble le plus adéquat pour séparer de manière étanche les prévenus en détention provisoire des condamnés à une peine d'emprisonnement. L'affaire d'Outreau nous a montré qu'il n'était pas acceptable de faire coexister ceux qui sont présumés innocents et ceux qui ont été déclarés coupables. Nous pourrons ainsi rendre plus réel ce principe essentiel de séparation des détenus et des prévenus.

À ce titre, j'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises, monsieur Rouvière, que l'on recourait trop à la détention provisoire en France et qu'il fallait faire évoluer les mentalités. Vous savez que c'est un excès que j'ai moi-même dénoncé et que je m'emploie activement à freiner : le nombre de prévenus est d'ailleurs passé de près de 23 000 à 13 000 aujourd'hui et j'entends bien poursuivre dans cette voie.

Concrètement, j'ai décidé en décembre dernier la construction de 500 places supplémentaires en centres de semi-liberté. Vous savez que ces centres donnent aux détenus qui y sont prêts la possibilité de se réinsérer par le travail pendant la journée tout en étant surveillés la nuit. Ces places seront affectées en priorité à Aix-en Provence, à Bordeaux, à Villefranche-sur-Saône, à Saint-Etienne et à Lille.

De même, la construction de sept établissements pénitentiaires pour mineurs sera effective d'ici à l'année prochaine. Ils permettront de séparer les mineurs des condamnés majeurs dans un établissement organisé autour d'une salle de classe. « Une prison autour d'une salle de classe », telle est ma définition des établissements pour mineurs. Ils offriront l'opportunité d'accueillir des mineurs délinquants dans une structure qui leur fournira les outils éducatifs et pédagogiques destinés à les sortir de la spirale infernale dans laquelle ils s'étaient enfermés.

Nous avons également prévu des unités pour soigner les détenus malades, ce dont se sont inquiétés plusieurs d'entre vous dans leur intervention.

Lorsque les soins dispensés au détenu nécessitent une hospitalisation, en urgence ou pour une courte durée, celui-ci est conduit à l'hôpital de proximité, sa garde étant assurée par les forces de l'ordre. Lorsqu'il s'agit d'une hospitalisation programmée de plus de quarante-huit heures, le détenu est alors transféré dans une unité hospitalière sécurisée interrégionale, dite UHSI.

J'ai inauguré, vendredi dernier, la quatrième de ces unités. Elle se trouve au CHU de Bordeaux, au dernier étage qui est totalement sécurisé et desservi par un ascenseur autonome. Cette unité mérite d'être visitée, monsieur Pelletier, car c'est tout à l'honneur de la France qu'un CHU comme celui de Bordeaux ait pu réserver aux détenus de la région des conditions d'hospitalisation de cette qualité. Comme il est habituel de ne parler que de ce qui ne va pas, je me plais à signaler cette réalisation.

Vous m'avez interrogé, monsieur Pelletier, sur la situation du « quartier intermédiaires sortants » de la maison d'arrêt de Fresnes, qui permettait à des détenus en grande difficulté de suivre un stage, avec le concours de psychologues et de spécialistes de la toxicomanie, avant leur libération définitive.

Le départ récent de l'animatrice de ce quartier fait tourner, pour l'instant, ce service au ralenti. Celui-ci a concerné cinquante personnes l'an dernier. Je souhaite qu'une solution soit trouvée rapidement en partenariat avec le ministère de la santé.

La prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques constitue d'ailleurs l'une de mes priorités. C'est en effet l'un des grands problèmes posés à notre pays comme, je le suppose, à nos voisins. Je souhaite donc apporter le plus rapidement possible une réponse aux difficultés que nous connaissons depuis trop longtemps en ce domaine.

C'est l'objectif des unités hospitalières sécurisées adaptées, les UHSA, sur lesquelles nous voulons, avec mon collègue et ami Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, obtenir des résultats d'ici à 2008. C'est vrai qu'en la matière nous partions de loin et que les UHSA devront être multipliées comme c'est déjà le cas des UHSI, qui concernent les malades ne relevant pas de la psychiatrie.

Mesdames et messieurs les sénateurs, ma politique pénitentiaire ne s'arrête pas à ces aspects immobiliers. Le béton n'a jamais réussi à changer un homme ! J'ai la conviction que la prison doit être un espace de droit qui garantit le respect de l'intégrité des détenus et leur offre des possibilités concrètes de réinsertion.

La délinquance repose en effet avant tout sur les rapports de force et la négation des droits de l'autre. Ce n'est qu'au sein d'une prison républicaine et citoyenne ayant proscrit tout recours à l'arbitraire que nous pourrons favoriser l'insertion des détenus.

Les valeurs d'humanité, de fraternité et de justice, fondatrices de notre pacte républicain, doivent avoir toute leur place au sein de nos établissements. Je le répète, la prison n'est pas l'ennemie du droit, bien au contraire.

Cela signifie d'abord que les détenus doivent avoir accès au droit. Le développement des points d'accès au droit dans de très nombreux établissements grâce à la forte implication des magistrats, des avocats et des associations garantit aux détenus les plus démunis de trouver des informations pratiques. Ils peuvent ainsi faire valoir leurs intérêts dans les litiges de la vie quotidienne, par exemple dans le cadre d'une succession ou d'un divorce.

Cette action s'est trouvée récemment renforcée par l'intervention de délégués du médiateur dans les prisons. L'expérimentation qui avait été lancée dans dix établissements, dont Fresnes ou les Baumettes, a été un succès.

Le droit implique aussi de garantir la transparence des établissements pénitentiaires par un contrôle indépendant des prisons.

La prison est un lieu déjà très contrôlé, tant par des instances internationales, tel le Conseil de l'Europe, que par les juridictions, administratives ou judiciaires. Je ne souhaite pas superposer une structure supplémentaire ; elle ne créerait que de la bureaucratie et ne favoriserait pas une grande cohérence. Je privilégie dans ce domaine, comme dans bien d'autres, l'efficacité et le pragmatisme.

J'ai proposé, la semaine dernière, que le projet de création d'une autorité extérieure de contrôle des prisons puisse être confié à une instance indépendante déjà existante, comme le Médiateur de la République ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Vous m'avez interrogé également, monsieur Pelletier, sur les conditions du menottage constatées par cette commission.

Je note que, dans son rapport de l'année 2005, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, a été saisie de trois recours relatifs aux conditions du menottage par la police nationale, contre cinq l'année précédente.

Je tiens en tout cas à vous assurer que, chaque fois que l'autorité judiciaire est en mesure d'exercer un contrôle sur les conditions du menottage d'une personne placée sous main de justice, elle intervient systématiquement.

Favoriser l'accès au droit, c'est aussi respecter les droits des détenus au sein de l'établissement carcéral. Le maintien des liens familiaux est à cet égard prioritaire. La construction de nouveaux établissements partout en France permettra aux détenus d'être incarcérés à proximité de leur famille.

Quatre unités de visites familiales vont ouvrir en septembre prochain et, bien entendu, tous les établissements pour peine du programme 13 300 places en seront dotés.

Vous l'avez souligné, monsieur Pelletier, le respect du droit en prison est une exigence dans une démocratie.

J'ajouterai même que c'est une condition de la compréhension par le détenu des règles de vie en société. Renoncer à la violence, c'est aussi comprendre que la violence n'a pas le droit de cité dans notre République.

C'est pourquoi, comme vous le souhaitiez, la procédure disciplinaire et la procédure d'isolement ont été réformées. Les détenus disposent désormais de la possibilité de se faire assister d'un avocat et peuvent faire appel des décisions les concernant. De même, l'application des peines est désormais totalement judiciarisée et, depuis le 1er janvier de cette année, les détenus peuvent faire appel de toutes les mesures les concernant.

En matière financière, les prélèvements pour frais d'entretien sur les salaires versés aux détenus ont été supprimés. Les coûts des cantines et de la location de téléviseurs, dont les barèmes sont actuellement, comme beaucoup d'entre vous l'ont souligné, très hétérogènes, seront harmonisés dès l'an prochain puisque leur gestion sera externalisée.

Je voudrais également souligner que la France a déjà joué un rôle moteur dans l'adoption des règles pénitentiaires européennes, qui fixent des objectifs à atteindre en matière de détention. Elles concernent, par exemple, l'accès à la santé des détenus ou bien la répression des infractions commises au sein des prisons.

Les valeurs du Conseil de l'Europe sont celles de la France, et la France respecte déjà largement les prescriptions de ces règles.

Faut-il aller plus loin dans la formalisation et envisager une loi pénitentiaire qui déterminerait plus concrètement le fonctionnement des établissements pénitentiaires ? Je sais que la demande en a été formulée : est-ce l'essentiel ? Comme je le disais précédemment, c'est souvent l'arbre qui cache la forêt, c'est-à-dire notre paresse à faire les efforts budgétaires minimums en matière d'humanisation.

Pour autant, je lancerai prochainement une série de consultations auprès des acteurs politiques associatifs et religieux pour aborder ces questions. Vous y aurez, mesdames et messieurs les sénateurs, bien entendu, toute votre part. Si un consensus se dégage sur l'utilité et la pertinence d'une telle loi, la représentation nationale et le Gouvernement prendront évidemment leurs responsabilités.

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J'ai noté enfin que vous vous inquiétiez des progrès de la signature ou de la ratification des protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme.

La France est partie aux grands instruments internationaux prohibant la discrimination et, ces dernières années, notre pays a renforcé son arsenal législatif pour lutter plus efficacement contre toutes les formes de discrimination.

Toutefois, le Gouvernement n'envisage pas, à court terme, d'adhérer au protocole additionnel n° 12 à la CEDH. En effet, cet instrument élargit dans des proportions très importantes la compétence de la Cour de Strasbourg et aggraverait encore la situation d'engorgement dans laquelle celle-ci se trouve actuellement.

Le protocole additionnel n° 13 à la CEDH portant sur l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, qui a été signé par la France le 3 mai 2002, est en cours de ratification.

Quant au protocole n° 14 portant réforme de la Cour de Strasbourg, il a été signé par la France le 13 mai 2004. Il est actuellement en cours d'examen par les assemblées en vue de sa ratification, conformément à nos engagements. Le projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale et devrait être examiné par le Sénat le 16 mai prochain.

Je crois cependant que la priorité consiste plutôt à soutenir plus vigoureusement les dispositifs de réinsertion au sein des prisons. Le temps qu'une personne passe en détention doit être pour elle l'occasion de rompre avec une spirale d'échecs et lui permettre de prendre enfin un nouveau départ et de préparer son insertion dans la vie sociale et professionnelle.

En ce domaine, j'ai un principe : tout détenu doit se voir proposer, s'il le souhaite, un travail, une formation ou un dispositif éducatif. C'est un objectif ambitieux, mais réaliste. Il nous faut donc nous engager résolument dans cette voie, en partenariat avec les services chargés de l'emploi et de l'éducation.

En 2004, près de 40 % des détenus travaillaient ou étaient en formation professionnelle. Ce chiffre est déjà supérieur à la performance de nos voisins, mais je souhaite l'accroître. Là encore, on croit que la France fait moins bien que les autres : elle fait mieux.

Le travail est un instrument majeur de la réinsertion des détenus. C'est en ayant une activité professionnelle qu'un détenu peut envisager l'avenir avec confiance. Travailler est aussi un moyen d'améliorer son quotidien, d'aider sa famille et d'indemniser les victimes. C'est particulièrement important pour les condamnés à de longues peines.

Je tiens à ce propos à rappeler à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat que les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité sont dix fois moins nombreux en France qu'en Angleterre : on en compte 5 700 en Angleterre, contre 500 en France.

L'implication dans ce projet des personnels des SPIP, les services pénitentiaires d'insertion et de probation, est essentielle. La loi d'orientation et de programmation pour la justice a prévu, sur cinq ans, la création de 3 740 emplois pour l'administration pénitentiaire, dont 1 000 travailleurs sociaux. En 2006, l'École nationale d'administration pénitentiaire accueillera 2 300 élèves, dont 1 700 surveillants et 300 travailleurs sociaux. Je souligne que les indicateurs de gestion des établissements pénitentiaires mis en place dans le cadre de la LOLF concernent la sécurité, mais désormais, aussi, la réinsertion.

La réinsertion, enfin, se construit en développant les aménagements de peine, dont vous avez souligné, monsieur Pelletier, la nécessité. Les dispositifs sont déjà nombreux et diversifiés. En plus du placement en semi-liberté, du placement extérieur ou de la libération conditionnelle, l'administration pénitentiaire a recours au bracelet électronique fixe, qui a déjà concerné 10 000 détenus, et commence dès ce mois-ci l'expérimentation du bracelet électronique mobile dans le ressort de deux cours d'appel.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, le nombre d'aménagements de peine accordés a été en hausse sensible depuis 2004, passant de 15 000 mesures à 20 000 en 2005. Nous atteindrons 25 000 mesures en 2006, ce chiffre ayant vocation à s'accroître avec l'expérimentation, puis l'entrée en vigueur du bracelet électronique. J'insiste à dessein sur ces résultats, car ils témoignent d'une réelle volonté politique de favoriser la réinsertion des détenus, comme l'a souligné avec raison M. Francis Grignon.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, votre souhait de débattre aujourd'hui, en toute transparence, de la situation des prisons était une oeuvre utile. Elle nous a permis de montrer l'importance du travail qui a été fourni depuis 2002 et de rendre compte de notre gestion.

Je conclurai en formulant un espoir. D'ici deux ans, la question du surencombrement des prisons sera temporairement réglée grâce à notre programme de constructions. Afin d'éviter de nouveaux drames et de nouvelles polémiques dans les prochaines années, nous devrons poursuivre cet effort. J'engage donc la représentation nationale à être exigeante et à demander le dépôt d'une nouvelle loi de programmation en 2007. Les personnels pénitentiaires et les détenus ne doivent pas souffrir, comme ils l'ont déjà fait, d'alternances à répétition. Les prisons ne doivent pas être un enjeu idéologique ; elles doivent au contraire faire l'objet d'un consensus républicain et d'une continuité dans l'action. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Discussion générale (suite)

Autopartage

Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission.

Ordre du jour réservé

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Article 1er

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de M. Roland Ries, fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi de MM. Roland Ries, Jean-Pierre Bel, Yannick Bodin, Roland Courteau, Michel Dreyfus-Schmidt, Louis Le Pensec, Roger Madec, François Marc, Jean-Pierre Michel, Jean-Marc Pastor, Jean-François Picheral, Mme Gisèle Printz, MM. Daniel Reiner, Thierry Repentin, Mme Patricia Schillinger, MM. Marcel Vidal, Gérard Collomb et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à promouvoir l'autopartage (n°s  183, 333).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Roland Ries, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui porte sur l'autopartage, et vous me permettrez en préambule de rappeler brièvement ce qu'est l'autopartage, car il règne une grande confusion à ce sujet.

Un philosophe de l'Antiquité disait : « Il est beaucoup plus intéressant d'utiliser que de posséder. » Cette réflexion d'une étonnante modernité est au coeur du dossier qui nous occupe aujourd'hui.

En effet, l'autopartage - en anglais, car sharing - consiste, pour une société ou une association, à mettre une flotte d'automobiles à la disposition d'abonnés ou de porteurs de parts de la société pour de courtes durées, de l'ordre de vingt-quatre heures. L'autopartage s'apparente donc à une forme particulière de location et est très différent du covoiturage, qui consiste, lui, à partager un trajet en regroupant dans une même voiture plusieurs passagers intéressés par un même itinéraire.

L'intérêt de l'autopartage est donc de permettre aux citadins qui le souhaitent de ne plus être propriétaires d'une voiture dont ils se servent trop peu, tout en ayant la possibilité d'utiliser de façon ponctuelle un véhicule.

L'autopartage a connu en l'espace d'une décennie un développement spectaculaire dans plusieurs pays européens du Nord, ainsi qu'aux États-Unis et au Canada.

En France, hélas, cette formule de mutualisation de l'usage des véhicules automobiles n'a pas connu le même essor. Il y a bien quelques expériences prometteuses à Paris, avec Caisse-Commune, à Strasbourg, avec Autotrement, et dans plusieurs autres villes de l'Hexagone, mais, globalement, la France est dans ce domaine très en retard sur les autres pays de l'Union européenne ; et je n'évoque même pas la Suisse, qui dispose d'un système d'autopartage couvrant l'ensemble de son territoire.

L'explication parfois avancée pour rendre compte de ce retard, c'est que les Français seraient naturellement plus attachés à la propriété de leur voiture que les citoyens des autres pays. Cette explication de caractère culturel, voire ethniciste, ne résiste cependant pas à l'analyse. La relation irrationnelle à l'automobile, d'ailleurs entretenue au quotidien par un matraquage publicitaire de grande ampleur, existe aussi dans les autres pays, qui, malgré cela, sont largement en avance sur nous pour l'utilisation mutualisée de l'automobile.

Ce constat m'a conduit, pour y voir plus clair, à organiser le 5 décembre dernier, ici même au Sénat, un colloque consacré à l'autopartage. L'une des conclusions de cette rencontre, à laquelle ont participé une centaine de responsables de l'autopartage en France et en Europe, était que, à côté des freins qui s'opposent communément à l'autopartage, la France était victime d'un handicap supplémentaire de caractère juridique et institutionnel. Par exemple, alors que dans la plupart des autres pays la mise à disposition de places de stationnement pour donner une bonne visibilité au système ne pose pas de problème juridique particulier, il n'en va pas de même chez nous : le caractère non privatisable du domaine public en droit français a empêché jusqu'à présent les collectivités locales de mettre à la disposition des structures d'autopartage les places de stationnement des véhicules mutualisés.

De même, la frontière entre la location classique et l'autopartage n'ayant pas été, chez nous, définie avec précision, le flou juridique qui en résulte constitue une entrave au développement de l'autopartage. Du côté des loueurs professionnels, on est parfois méfiant à l'égard de la montée en puissance d'un système perçu comme concurrent. Du côté des responsables de l'autopartage, la même prévention existe à l'égard d'une activité purement marchande à laquelle ils ne veulent pas être assimilés. Au lieu de travailler dans la complémentarité, comme cela se pratique dans les pays où l'autopartage se développe, chacun soupçonne l'autre de vouloir mettre la main sur l'ensemble du domaine de l'utilisation non privative de l'automobile.

La proposition de loi qui vous est soumise doit permettre de clarifier la situation et de dépasser des méfiances qui n'ont pas lieu d'être. Elle tend également à labelliser l'activité d'autopartage afin de la distinguer clairement de la location classique et de faciliter le soutien des collectivités publiques, notamment dans la phase délicate du lancement de l'opération.

La philosophie générale qui sous-tend cette proposition de loi se trouve tout entière dans un avis rendu le 27 juin 1972 - vous avez bien entendu : 1972 ! - par le Conseil d'État, avis qui met bien en relief l'originalité de l'autopartage par rapport à la location classique de voitures. Il s'agit, selon lui, d'une activité d'intérêt général et non purement commercial : « L'objet déterminant de la création du service dont il s'agit [l'autopartage] est de réduire dans toute la mesure du possible les difficultés devenues quasi insurmontables de la circulation en zone urbaine en limitant le nombre de voitures en stationnement. »

L'intérêt général de l'autopartage se décline sur trois plans : la protection de l'environnement, l'effectivité du droit au transport et l'amélioration de la circulation dans les zones urbaines.

L'autopartage concourt à mieux préserver notre environnement. Le recours à un véhicule en temps partagé permet à son utilisateur de prendre véritablement conscience du coût de l'usage de la voiture et donc de le rationaliser. En effet, l'ensemble des dépenses liées au véhicule automobile sont concentrées en un seul prix au lieu d'être disséminées entre plusieurs services. Dès lors, l'usager, parce qu'il identifie clairement le coût d'usage, n'utilise le véhicule en temps partagé que lorsque cela est réellement nécessaire. Le taux de possession de véhicules des ménages diminue lui aussi, de même que le nombre de kilomètres parcourus et, par conséquent, l'énergie consommée et les gaz polluants émis. La charte de l'autopartage mise en place par les professionnels affirme du reste clairement cet objectif de protection de l'environnement.

L'autopartage renforce aussi le droit au transport, corollaire de la liberté d'aller et venir, c'est-à-dire, aux termes de l'article 1er de la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982, la LOTI, le droit pour l'usager « de se déplacer et la liberté d'en choisir les moyens ». Cette liberté de choisir ne peut être effective qu'à des « conditions raisonnables d'accès, de qualité et de prix », selon l'article 2 de cette même loi.

Les taxis, comme les transports en commun, offrent certes des moyens de se déplacer, mais ils sont limités en termes de flexibilité, de disponibilité et de coût ! L'autopartage trouve ainsi son créneau en permettant de pallier ces inconvénients par une offre vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 365 jours par an.

De plus, ce service offre un accès à un véhicule automobile pour un coût moins important que l'acquisition d'une voiture particulière. C'est donc l'assurance pour les catégories sociales les moins favorisées de pouvoir accéder à bon compte à un véhicule en bon état.

Troisièmement, l'autopartage facilite la fluidité des trafics.

La voiture en temps partagé est en effet un moyen de déplacement complémentaire aux transports en commun, mais aussi aux déplacements effectués en taxi, en vélo ou même à pied.

Enfin, la voiture en temps partagé permet de diminuer le nombre total de véhicules. Chez Caisse-Commune, par exemple, on compte une voiture pour dix-sept adhérents. Le gain en matière d'espace sur la voirie est évidemment incontestable.

On le voit, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intérêt général amène à soutenir l'autopartage. Il apparaît dès lors logique que les autorités organisatrices de transport puissent intégrer l'autopartage dans la boîte à outils qui leur permet de mettre en oeuvre des politiques globales et cohérentes de mobilité !

Je pense d'ailleurs que cette intégration de l'autopartage, de même que celle du covoiturage, du transport à la demande et des taxis collectifs, devrait faciliter la sortie d'un vieux débat stérile qui tend à opposer le transport public et l'automobile.

En fait, entre le transport en commun classique - les bus, les tramways, les métros, les trains - et l'usage privatif de l'automobile, on voit apparaître aujourd'hui toute une palette d'offres de transport intermédiaire, dans lesquelles l'automobile joue le rôle de mini transport en commun.

L'objectif est bien de rationaliser l'usage des véhicules, quels qu'ils soient, pour les remplir le mieux possible et optimiser leur fonctionnement.

Il s'agit donc de répondre à la demande de transport avec pragmatisme, en fournissant l'offre de transport la mieux adaptée aux besoins du moment. Si le « tout automobile » montre à l'évidence ses limites aujourd'hui, le tout transport en commun n'est guère plausible, notamment sur le plan économique.

Mes chers collègues, c'est donc bien sûr l'ensemble de la gamme de l'offre de transport que les autorités organisatrices doivent pouvoir jouer pour offrir le meilleur service au moindre coût, tenir compte des aspects environnementaux et partager l'espace public au mieux de l'intérêt général.

Faut-il une loi pour faire avancer le dossier ? Cette question a été longuement discutée.

De mon point de vue, la réponse est positive, ne serait-ce que parce que cette nouvelle donne dans le domaine des transports exige des modifications ou des ajouts dans le dispositif législatif existant, ce qui est forcément du ressort de la loi.

Plusieurs pays européens ont du reste eu recours à des modifications législatives pour faciliter l'émergence de ces nouvelles formes d'offres de transports de personnes.

La commission n'est évidemment pas encline à alimenter l'inflation législative. Mais le développement de l'autopartage en France reste aujourd'hui très limité, alors même qu'il connaît un réel essor chez la plupart de nos voisins et que tout le monde reconnaît son intérêt. Les freins se situent bien, me semble-t-il, dans l'absence d'un vrai cadre juridique facilitant la promotion de ce service. Pour les dépasser, la commission a adopté un dispositif de six articles, que je vous présenterai très brièvement.

L'article 1er porte sur la nécessaire définition de l'autopartage.

L'article 2 renvoie à un décret en Conseil d'État la détermination du label « autopartage » qui doit préciser les conditions de mise en oeuvre de cette activité.

L'article 3 sanctionne l'utilisation abusive du label « autopartage ».

L'article 4 est très important : il permet au maire, s'il le souhaite, de réserver des emplacements de stationnement aux véhicules d'autopartage.

L'article 5 permet aux constructeurs d'immeubles, qui doivent prévoir un certain nombre de places de stationnement, de satisfaire à une partie de leurs obligations en prévoyant des places d'autopartage.

Enfin, l'article 6 permet de prévoir l'inscription d'emplacements réservés aux véhicules d'autopartage dans les plans de déplacements urbains, les PDU, en modifiant dans ce sens l'article 28-1 de la LOTI.

Je voudrais enfin, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous faire part de ma satisfaction de voir ce texte inscrit à l'ordre du jour du Sénat et je me réjouis que la Haute Assemblée soit en pointe sur ce dossier. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer. Monsieur le rapporteur, vous venez de présenter le concept de l'autopartage. À juste titre, vous avez expliqué comment il accroît l'efficacité de l'utilisation de l'espace public - c'est le coeur du débat -, comment il favorise l'utilisation de la voiture pour les déplacements où elle est réellement indispensable, dans un esprit de complémentarité avec les transports collectifs, enfin comment cet autopartage augmente la liberté de choix entre les différents moyens de transport.

Cette notion répond tout à fait à la philosophie de la co-modalité, qui est un bon concept ; c'est la raison pour laquelle l'autopartage doit être encouragé.

Vous avez établi des comparaisons avec les pays étrangers.

Ainsi, sans doute du fait d'un manque de souplesse, l'autopartage est moins développé chez nous que dans un certain nombre d'autres pays, tels que la Suisse, l'Allemagne, la Belgique ou les pays d'Amérique du Nord.

Quelques grandes villes, dont Strasbourg que vous connaissez bien, ont essayé cette formule, et le développement de celle-ci devrait sans doute s'accélérer.

La proposition de loi dont le Sénat est saisi définit d'abord l'autopartage, puis la notion de label, en précisant les critères à respecter pour exercer cette activité.

Je formulerai une seule réserve : n'essayons pas de régler une difficulté juridique en alourdissant le dispositif administratif. Il faut être prudent : il ne faudrait pas nuire au développement de l'autopartage en instaurant des systèmes de contrôle ou d'accompagnement administratif trop contraignants.

Vous prévoyez ensuite des mesures destinées à faciliter l'autopartage.

Dans certains pays, les pays d'Amérique du Nord notamment, des avantages ont été donnés à l'autopartage dans l'utilisation de la voie publique.

À cet égard, ce que vous proposez en matière de réservation de places de stationnement me paraît aller dans le bon sens. Avec un peu d'expérience de la vie urbaine, on sait qu'il s'agit là d'un point très important. Il est donc nécessaire de modifier la législation pour donner aux maires la possibilité juridique de favoriser ainsi la promotion de l'autopartage.

Pour conclure, je dirai que le Gouvernement souscrit à l'objectif de développement de l'autopartage qui fait l'objet de cette proposition de loi. La discussion qui va s'engager nous permettra sans doute d'améliorer encore le dispositif de façon que cette liberté supplémentaire donnée à nos concitoyens en matière de transport, en particulier dans les zones urbaines, devienne effective.

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Francis Grignon.

M. Francis Grignon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'autopartage s'inscrit dans une démarche de développement durable et d'économie d'énergie. Il offre un véritable service à l'usager.

L'autopartage permet de louer une voiture en accès libre pour une courte durée, qui ne doit pas excéder vingt-quatre heures.

Les abonnés au service paient un droit d'entrée et un abonnement annuel qui leur donnent la possibilité de réserver une voiture. De fait, la location se fait de manière souple.

Le principe de la facturation au kilomètre parcouru et à l'heure d'utilisation, ainsi que l'obligation de prévoir et de planifier chaque déplacement en voiture, induit une baisse systématique du nombre de déplacements réalisés par rapport à ceux qu'effectue un automobiliste disposant d'une voiture en permanence.

Ce nouveau mode d'utilisation de la voiture offre une solution alternative à la voiture individuelle et à la location. Il peut compléter utilement les transports collectifs lorsque ceux-ci atteignent leurs limites.

Une voiture partagée se substitue à six voitures particulières, réduisant ainsi les effets négatifs de la voiture : pollution de l'air, nuisances sonores, encombrements et accidents.

Ce système permet aux utilisateurs de se passer de l'achat et de l'entretien d'un véhicule, d'avoir accès à faible coût à des véhicules en bon état, et il permet à des personnes ayant des revenus trop modestes pour posséder une voiture de pouvoir utiliser un véhicule en ville.

J'aimerais témoigner ici, en tant qu'élu alsacien, de l'essor tout particulier que l'automobile partagée connaît depuis cinq ans au sein de l'agglomération strasbourgeoise.

La ville de Strasbourg soutient depuis 2001 l'expérience de l'autopartage à travers l'association Autotrement.

Autotrement propose ses services depuis le début de l'année 2001 ; elle compte aujourd'hui huit cents adhérents, quarante voitures et quinze stations. Ces chiffres sont à mettre en relation avec ceux des autres villes françaises de taille plus importante : mille abonnés à Paris, deux cent cinquante à Marseille, deux cents à Lyon.

Notre collègue Fabienne Keller m'a rappelé les efforts consentis à Strasbourg par la collectivité pour encourager l'autopartage : des subventions ont été accordées, bien sûr, mais aussi des dispositifs de signalisation et de communication.

La volonté d'optimiser la combinaison entre les transports publics et l'autopartage prévaut dans le choix de l'installation de stations et au sein même des parkings relais situés à proximité des arrêts de tramways.

Pour ce faire, la Communauté urbaine de Strasbourg est parfois amenée à délivrer des autorisations temporaires d'occupation du domaine public.

Consciente de la fragilité juridique de cette autorisation, la collectivité souhaitait la consolidation de la base légale permettant de réserver des places aux véhicules d'autopartage sur la voie publique ou dans tout autre lieu de stationnement ouvert au public. Ce sera chose faite.

Toutes ces mesures de soutien ont permis l'expansion de l'autopartage à Strasbourg.

L'autopartage peut et doit être développé dans notre pays, qui accuse un certain retard par rapport à ses voisins européens quant au développement de ce mode d'utilisation de la voiture. En Allemagne, l'autopartage compte 80 000 abonnés, en Suisse, 65 000.

On ne peut plus agir comme dans les années soixante-dix où l'on vivait dans la culture du « tout automobile ». Nous sommes à un moment de l'évolution de nos villes où nous devons faire le choix effectif de modes alternatifs de transports. Nous devons, bien sûr, privilégier les transports collectifs ; c'est ce que font les grandes villes avec leurs projets d'extension des tramways. Mais, de même qu'on ne peut plus être dans le « tout automobile », on ne peut plus agir dans le « tout collectif » car il en va de la liberté individuelle et des exigences de la vie quotidienne.

On ne peut pas utiliser à tout propos les transports collectifs : c'est le cas lorsqu'une famille veut faire des courses ou se rendre dans un lieu qui n'est pas desservi.

L'autopartage est une voie médiane entre les transports collectifs et la voiture individuelle. C'est pourquoi il convient d'encourager ce mode de transport.

Grâce à cette proposition de loi, les collectivités territoriales pourront, si elles le souhaitent, encourager l'autopartage.

La philosophie de l'autopartage consiste non pas à opposer les modes de déplacement les uns aux autres, mais à les rendre complémentaires.

En matière de déplacements urbains, nous avons plus que jamais besoin de développer cette complémentarité. De nombreuses pistes sont à explorer, l'autopartage en fait partie, comme le covoiturage.

Au regard de l'augmentation du prix de l'essence et de notre engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre, cette initiative parlementaire tend à encourager une pratique à l'avenir prometteur que les élus alsaciens soutiennent ensemble sans réserve, tout comme l'ensemble des membres du groupe UMP. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord vous faire part de ma satisfaction de débattre aujourd'hui d'une proposition de loi.

Il faut en effet bien avouer que l'ordre du jour du Sénat ne laisse que peu de place à l'initiative parlementaire, en particulier lorsqu'il s'agit de propositions émanant de l'opposition.

Je profite donc de cette occasion pour exprimer, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, le souhait de voir inscrire plus régulièrement à l'ordre du jour du Sénat des propositions de loi émanant des groupes de l'opposition afin de respecter le pluralisme démocratique, et ce d'autant que - nous avons souvent l'occasion de le constater - la majorité n'a pas le monopole des bonnes idées.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui tend à promouvoir l'autopartage.

Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut qu'être en accord avec une telle proposition dont l'objectif est de répondre à un double impératif : limiter les dépenses énergétiques afin de réduire l'émission de gaz à effet de serre et permettre une meilleure mobilité en milieu urbain.

En effet, ce dispositif favorise à la fois la réduction du nombre de voitures en circulation et l'optimisation de leur utilisation. Il complète très utilement les initiatives de covoiturage et les diverses formes de transport collectif.

Il appelle également la promotion d'une nouvelle conception de l'usage de la voiture, celle-ci étant perçue non plus uniquement comme un bien individuel exclusif, mais aussi comme un service répondant à un besoin ponctuel.

En outre, cette forme de transport est particulièrement économique pour l'usager et permet à un plus grand nombre de personnes d'avoir accès à l'usage d'une voiture.

Ces avantages significatifs expliquent que ce dispositif soit très répandu dans certains pays européens. On compte en effet 200 000 utilisateurs. Ce n'est pas encore le cas en France, ce qui justifie le recours à une loi pour favoriser son développement.

Je me réjouis que cette proposition de loi ait fait l'unanimité lors du débat en commission des affaires économiques. J'espère qu'il en sera ainsi dans notre hémicycle.

Cependant, dans l'exposé des motifs, il est fait clairement référence au respect du protocole de Kyoto. Si nul ne peut contester qu'une telle loi y contribuerait à sa dimension, il convient de rappeler que le respect du protocole de Kyoto exige surtout la mise en oeuvre d'une politique énergétique ambitieuse, à la fois économe en ressources fossiles et capable d'anticiper le passage à une société post pétrolière. Et, sur ce point, nos avis divergent davantage.

Rappelons d'abord que nos sociétés restent extrêmement dépendantes de l'énergie pétrolière. N'oublions pas non plus que la demande énergétique explose sur le plan mondial. Il nous faut pourtant, dans ce cadre, garantir le droit d'accès de tous à l'énergie.

Dès lors, contribuer à la préservation des ressources fossiles, comme nous y invite cette proposition de loi, devient évidemment indispensable. Cependant, cette seule mesure ne saurait suffire pour répondre à tous les aspects de la crise énergétique.

La mise en concurrence des entreprises du secteur énergétique, l'abandon de la maîtrise publique et la diminution ininterrompue de l'effort de recherche sont les causes profondes de la crise énergétique.

Les exemples dont nous disposons dans le secteur pétrolier devraient en ce sens nous inciter à la prudence. La gestion de ce secteur a été laissée aux seules mains du marché. Nous en constatons aujourd'hui le résultat particulièrement préoccupant.

L'effort de recherche de ces entreprises est quasi nul et la production se fait à flux tendus, ce qui ne garantit pas de sécurité d'approvisionnement.

En outre, ce système a démontré l'incapacité du marché à anticiper l'épuisement des ressources, donc à mettre en place une gestion économe de celles-ci.

Et nous ne pouvons que constater une hausse généralisée des tarifs des produits pétroliers, hausse essentiellement liée à la spéculation.

N'oublions pas non plus, puisqu'il s'agit de la justification même de cette proposition de loi, l'absence complète de prise en compte des impératifs liés à la protection de l'environnement, notamment à l'émission de gaz à effet de serre.

Dans le modèle libéral, la politique industrielle des entreprises se réduit principalement à deux notions : rentabilité et compétitivité. La prise en compte des impératifs environnementaux est donc, dans ce cadre, particulièrement difficile.

Pourtant, les institutions européennes et le gouvernement français continuent d'organiser la libéralisation du secteur énergétique.

Lors du dernier Conseil européen de Bruxelles, les 23 et 24 mars, les chefs d'État et de gouvernement ont confirmé leur volonté de parachever l'ouverture du marché de l'énergie pour tous les consommateurs avant le second semestre de 2007.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent, quant à eux, la création d'un grand service de l'énergie au niveau européen, fondé sur la mutualisation et la coopération de services publics nationaux, seuls capables de réaliser les investissements nécessaires pour répondre aux besoins énergétiques à venir, dans le respect de l'intérêt général et du protocole de Kyoto.

La maîtrise publique de l'énergie est un élément clé du développement durable.

De même, pour atteindre les objectifs fixés par ce protocole, soit une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 5 % sur la période de 2008 à 2012 par rapport au niveau de 1990, nous ne pouvons nous passer d'une politique ambitieuse pour améliorer l'efficacité énergétique des transports.

Or, selon la mission interministérielle de l'effet de serre, les transports sont les premiers émetteurs de gaz incriminés.

Dans ce sens, la promotion de l'autopartage correspond à une piste de réflexion intéressante afin de réconcilier développement économique et social, protection de l'environnement et conservation des ressources naturelles.

Et parce que le transport routier est le principal responsable de l'émission des gaz à effet de serre, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment qu'il est tout aussi urgent de donner une priorité réelle au ferroutage, au transport maritime et aux transports collectifs.

Mais nous ne pouvons que constater une nouvelle fois l'absence d'engagement des pouvoirs publics aux niveaux européen et français afin de réduire l'avantage concurrentiel du transport de marchandises par la route par rapport au fret ferroviaire.

La politique actuelle des transports est une politique de réduction de l'outil de production qui n'est pas considéré comme rentable et, par voie de conséquence, elle interdit tout développement du fret ferroviaire ou du transport combiné.

Cette logique de réduction des coûts et de rentabilité économique est d'ailleurs particulièrement bien illustrée par le plan fret qui tend à la contraction du réseau.

Ainsi, dans le budget de 2006, les subventions accordées au transport ferroviaire sont en nette diminution. La route reste alors le mode de transport de marchandises dominant - 79 % hors transit - avec des externalités négatives considérables, puisqu'elle coûte chaque année en Europe 650 milliards d'euros, et bénéficiant d'exonérations toujours plus importantes.

Parallèlement, la part du rail dans le transport de marchandises en France ne cesse de décroître. Elle est passée de 26 % en 1984 à 12 % en 2004. Les derniers chiffres que nous possédons sont encore plus inquiétants.

Il s'agit donc d'un autre levier d'action essentiel pour respecter le protocole de Kyoto !

Enfin, si la promotion de l'autopartage correspond à une amélioration de l'offre de transport, cette mesure doit s'accompagner de mesures fortes pour le développement des transports collectifs publics.

Il faut encourager les complémentarités entre les offres de transport et non pas accroître la concurrence, comme le prévoit le nouveau règlement sur les transports urbains ou le troisième paquet ferroviaire.

Nous voterons donc sans réserve cette proposition de loi, même si nous avons conscience que cette mesure n'est qu'un élément de réponse face à l'ensemble des enjeux énergétiques et de développement des transports. Relever ces enjeux nécessiterait un engagement majoritaire de notre assemblée pour mettre un point d'arrêt au processus de libéralisation de ces secteurs, ainsi que la mise en oeuvre des investissements nécessaires au rééquilibrage entre la route et le rail et à la promotion d'une véritable offre de transports publics. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi de M. Roland Ries et plusieurs de ses collègues tendant à promouvoir l'autopartage.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Roger Madec.

M. Roger Madec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de la proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage est une innovation, et ce à double titre. Il l'est sur le fond, bien sûr, puisque ce texte constitue le premier encadrement législatif de ce mode de déplacement, et sur la forme également - il faut le souligner -, dans la mesure où la conférence des présidents a décidé d'inscrire à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée une proposition de loi émanant d'un groupe de l'opposition. J'espère que cette initiative, que je salue, sera renouvelée.

Par ailleurs, je remercie le rapporteur, Roland Ries, qui est aussi le premier signataire de cette proposition de loi, d'avoir su présenter un texte recueillant un large soutien sur un sujet aussi important.

L'autopartage apporte en effet un nouveau type de réponse à un défi majeur, celui des déplacements au XXIe siècle. La question des transports est au coeur de toutes les problématiques d'aujourd'hui et de demain, qu'elles soient sociales, environnementales ou économiques.

Permettez-moi, dans un premier temps, de rappeler tout l'enjeu social du transport. Une voiture coûte cher, surtout lorsqu'on habite une grande ville et que l'on n'a pas souvent l'occasion de l'utiliser. L'achat, l'entretien, l'assurance, le stationnement payant, le passage au contrôle technique, voire, éventuellement, les contraventions pour certains représentent des sommes importantes, pour un usage souvent très limité du véhicule. L'autopartage, en revanche, permet d'avoir accès, pour un faible coût, à un véhicule en bon état.

Il faut le rappeler, en France, selon le CERTU, le Centre d'études sur les réseaux de transport et l'urbanisme, une voiture n'est utilisée que pendant 8 % de son temps de vie. Dans les grandes agglomérations, où les gens bénéficient d'une offre de transports en commun importante, la voiture n'est utilisée que de manière très occasionnelle, quelques heures par semaine, par exemple pour effectuer des achats exceptionnels ou pour se rendre une demi-journée à l'extérieur de l'agglomération. On sait ainsi que 60 % des Parisiens qui ont une voiture ne l'utilisent pas en semaine.

Dans ce contexte, l'autopartage vise à encourager les ménages à utiliser une voiture ponctuellement, en fonction de leurs besoins, plutôt que d'être propriétaires d'un véhicule plus souvent au garage que sur la route. Une telle option est indéniablement moins onéreuse et, donc, socialement plus avantageuse. Elle offre la possibilité de réaliser des économies importantes pour tous ceux qui ne sont pas automobilistes au quotidien mais qui veulent conserver la possibilité de recourir occasionnellement à la voiture.

Le deuxième intérêt de ce mode de transport est bien évidemment environnemental. Lorsque l'on est propriétaire de son automobile, on a naturellement tendance à l'utiliser au maximum, que ce soit pour amortir son coût ou pour toute autre raison. En revanche, les abonnés d'un organisme d'autopartage font un usage plus rationnel de la voiture. Si en effet le coût de cette formule est plus faible, il dépend aussi de chaque déplacement effectué. Avec ce mode de transport, l'usager n'utilise une voiture que quand il en a vraiment besoin. Au total, il y a moins de véhicules sur les routes et la quantité d'émissions de gaz polluants et de gaz à effet de serre est réduite.

De plus, cette tendance à l'optimisation de l'utilisation de l'automobile est en parfaite cohérence avec l'évolution du prix du pétrole et la nécessité de réduire notre consommation d'énergie.

Enfin, la flotte automobile utilisée par ce mode de transport est souvent plus récente et plus propre que celle des véhicules individuels.

Le troisième avantage de l'autopartage est économique, au sens large, et plus particulièrement urbanistique. En effet, les villes ne sont pas extensibles et les capacités de stationnement sont limitées ; c'est vrai dans toutes les grandes agglomérations. À Paris, le parc automobile compte 600 000 à 700 000 voitures. Or l'expérience menée dans la capitale montre que chaque véhicule en autopartage permettrait de remplacer dix-sept véhicules ! Le gain est donc considérable en termes de stationnement. Ainsi, les automobilistes qui n'ont pas d'autre choix que de garer leur voiture pourraient bénéficier d'un plus grand nombre de places, lesquelles pourraient aussi servir pour d'autres activités citadines.

L'autopartage offre donc de nouvelles marges de manoeuvre concernant la question cruciale des parcs de stationnement et diminue les coûts que représente, pour la société, la construction de parkings.

Pour autant, certains se demanderont si ce mode de déplacement doit faire l'objet d'une proposition de loi. Il suffit, pour les convaincre, de prendre l'exemple des expériences européennes ou nord-américaines et de comparer les situations. Plusieurs pays, dont la Suisse, le Canada et les États-Unis, ont en effet mis au point avec succès de tels systèmes de transport. En France, Paris et Strasbourg ont avancé dans cette voie, mais celle-ci demeure encore largement inexplorée et mal connue, en raison d'un cadre juridique qui n'est pas suffisamment favorable au développement de l'autopartage.

Je m'arrêterai quelques instants sur l'exemple de Paris. Une association nommée Caisse-Commune a été créée en 1998, pour mettre en oeuvre le principe de l'autopartage. Aujourd'hui, l'association est devenue une société anonyme qui a atteint l'équilibre financier. Elle ne compte, hélas, que 1 500 adhérents, possède 50 véhicules et 8 stations dans Paris. Caisse-Commune a notamment reçu en 2003 le prix de l'environnement à l'occasion de la remise des World Technology Awards, en association avec le Nasdaq, Microsoft et Time. L'année 2006 devrait voir l'ouverture de plusieurs autres stations dans le nord et le sud de la ville.

Cette expérience nous apprend deux choses.

Premièrement, l'autopartage répond à une demande sociale qui s'est exprimée en quelques années à peine. Cette activité, qui est de surcroît viable, possède un potentiel de développement important, que ce soit en termes économiques ou technologiques. En outre, elle est complémentaire et non pas concurrente des agences de location classiques.

Deuxièmement, il s'agit d'une expérience encore limitée et bridée par son contexte. Pour passer à la vitesse supérieure, si je puis m'exprimer ainsi, donc pour augmenter le nombre des adhérents à cette formule, pour que de nouveaux organismes voient le jour, l'autopartage a besoin d'une meilleure implantation géographique et d'un cadre juridique bien défini et plus favorable.

C'est tout le sens de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. La question du développement de ce mode de transport est, à certains égards, similaire à celle du vélo à Lyon. L'expérience Vélo'v a pris son essor grâce à un très bon maillage des stations de location de bicyclettes. Les usagers doivent pouvoir disposer, à tout moment, d'un véhicule qui se trouve à proximité ; à défaut, il ne peut y avoir de confiance dans le système.

Pour l'autopartage, la problématique est semblable. Il faut des stations de location proches du domicile et des voitures disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Par conséquent, il est indispensable de faciliter le stationnement des véhicules en autopartage, d'où la nécessité, pour la collectivité publique, d'identifier ces automobiles grâce à un label. Il est également important de permettre aux maires de réserver des emplacements de stationnement pour ces véhicules labellisés.

La proposition de loi permettra ainsi à toutes les villes de créer un maillage de stations d'autopartage sur l'ensemble de leur territoire.

Enfin, je souhaite rappeler que l'autopartage doit être considéré comme une réponse parmi d'autres à la demande de transports. Les habitants des grandes villes utiliseront moins leur voiture individuelle si l'offre de transports répond à tous leurs besoins de déplacement. Le bouquet de services offerts doit donc permettre de remplacer l'automobile individuelle. C'est pourquoi un amendement du groupe socialiste prévoit de permettre à l'autorité organisatrice des transports d'intégrer l'autopartage et le covoiturage dans son offre.

Le service public de la mobilité pourrait ainsi prévoir, dans l'avenir, une intégration complète des modes de déplacements, qu'il s'agisse du métro, du bus, du tramway, de l'autopartage et du covoiturage et, pourquoi pas, de la location de vélos ou d'autres modes de transport dits soft.

Cette proposition de loi est donc utile à bien des égards. Elle ouvre de nouvelles perspectives, dont chacun peut apprécier l'importance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me voyez aujourd'hui tout à la fois étonnée et réjouie d'examiner une proposition de loi, déposée par Roland Ries et mes collègues socialistes, concernant la promotion de l'autopartage.

Je ne puis m'empêcher de penser que, voilà dix ans, une telle proposition de loi n'aurait peut-être pas été mise à l'ordre du jour d'une assemblée parlementaire en général, de la nôtre en particulier.

Voilà dix ans, le réchauffement climatique, déjà largement perceptible sur notre planète, affolait principalement les climatologues et les milieux écologistes.

Alors que les scientifiques du monde entier s'accordaient pour nous alerter sur la cause humaine du dérèglement climatique, une grande part de la classe politique continuait à faire crédit, non sans complaisance, aux arguments qui évoquaient essentiellement un phénomène naturel et, donc, inéluctable.

À cette époque, les campagnes publicitaires encourageant les économies d'énergie avaient des allures de « réchauffé » post-choc pétrolier des années soixante-dix. On n'était plus tout à fait dans la « chasse au gaspi », on n'avait toujours pas de pétrole et plus guère d'idées !

Au niveau international, la prise de conscience a eu lieu relativement rapidement. En 1992, lors du Sommet de la terre de Rio, était adoptée une convention-cadre contre les changements climatiques. Cinq ans plus tard, à Kyoto, une première étape invitant à des efforts somme toute modestes était engagée.

Il a fallu huit ans d'efforts pour obtenir l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto. Les États-Unis d'Amérique ne l'ont toujours pas ratifié, non plus que l'Australie. Si le protocole conseille un certain nombre d'outils permettant de satisfaire aux engagements pris par la communauté internationale, force est de reconnaître que les politiques et les mesures nationales n'ont guère été mises en oeuvre de façon résolue en Europe. Cependant, l'Europe seule a mis en place un système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre.

Pendant cette période, les événements climatiques extrêmes se sont multipliés. En France, en 2003, la canicule a entraîné la mort de 12 000 personnes. Aux États-Unis, en 2005, le cyclone Katrina a ravagé la Nouvelle-Orléans. Aujourd'hui, rares sont ceux qui ne font toujours pas le lien entre ces événements et l'évolution du climat.

Encore faut-il préciser que c'est le climat tout entier qui est bouleversé. Depuis que l'Organisation météorologique internationale mesure le climat mondial, on a pu observer que les dix dernières années ont été les plus chaudes. Dans nos montagnes, la durée d'enneigement a été sévèrement raccourcie, à l'exception, notable, de cette année. Je pense également au recul des glaciers, à la fonte des pôles et à la modification profonde des aires de répartition des végétaux et des animaux.

En France, quelle est la situation ? En France, on communique. En France, on rédige des rapports. Bref, en France, on noie le poisson ! J'en veux pour preuve l'activité vibrionnante des lobbyistes du nucléaire, qui nous invitent à considérer, au mépris des faits et des données scientifiques, que cette technologie est la seule solution à l'effet de serre.

Il faut se rendre compte de l'ampleur du chantier. Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait insisté, en rendant compte des travaux de la mission interministérielle de l'effet de serre, sur la nécessité de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre avant 2050, afin de limiter l'« emballement » du climat.

Le seul secteur des transports émet aujourd'hui plus de gaz à effet de serre que ce qui sera autorisé en 2050, tous secteurs d'activité confondus.

Le pétrole, qui représentait 57 % de la consommation énergétique totale en 1973, ne représente plus que 36 % de celle-ci en 2005. Mais, dans le même temps, c'est-à-dire en trente ans, la part des transports est passée de 34 % à 65 % ! Et la consommation de pétrole a augmenté de 70 % dans le secteur des transports.

Comme vous le savez, l'Union européenne a pris l'engagement, à Kyoto, de réduire de 8 % ses émissions de gaz à effet de serre. La France est simplement tenue de stabiliser ses émissions entre 1990 et 2010.

Depuis 1990, le secteur des transports, qui totalise 26 % des émissions totales de gaz à effet de serre, est en croissance de plus de 20 %, à la différence notable du secteur industriel, qui a fait mieux que respecter ses engagements, puisque ses émissions ont été réduites de 20 % sur la même période.

Évidemment, les freins sont nombreux. Je pense tout d'abord à la forte croissance du secteur des transports, à la dépendance pratiquement totale de ce secteur à l'égard du pétrole, au caractère extraordinairement diffus des émissions et des consommations, sur fond d'étalement urbain, de diminution du temps de travail, de l'augmentation des activités de loisirs et dans le contexte de la mondialisation.

Pendant très longtemps, nous avons entretenu l'illusion selon laquelle les progrès des motorisations et des carburants permettraient de résoudre une bonne partie du problème. Ces progrès ont été très réels, notamment en raison de la coordination des efforts. Ainsi, à l'échelon communautaire, plusieurs directives ont permis, étape par étape, de réduire effectivement les pollutions. Cependant, les efforts des constructeurs ont été annihilés non seulement par l'augmentation du nombre des véhicules en circulation, mais aussi et surtout par l'augmentation de leur poids et de leur équipement, par la banalisation et la généralisation de la climatisation, par exemple. Une partie de ces efforts est liée à nos exigences en matière de sécurité, notamment de sécurité passive des véhicules.

Toutefois, comme l'a très bien dit tout à l'heure Roland Ries, les dérives les plus graves ont été encouragées par la publicité. Je pense à la banalisation des 4x4 en ville. L'ADEME, qui n'est pas une officine écologiste excessive, considère que ces véhicules consomment 40 % de plus que les véhicules conventionnels en ville. Les dix modèles de 4x4 les plus vendus en France émettent 350 grammes de CO2 par kilomètre, soit à peu près trois fois le chiffre correspondant aux engagements pris par les constructeurs dans le cadre de l'accord volontaire passé avec les institutions européennes. Ils sont beaucoup trop puissants pour une circulation en ville qui est autorisée soit à 30 kilomètres par heure, soit à 50 kilomètres par heure. Ils sont suréquipés, ils sont bien sûr climatisés, ils induisent des comportements désastreux de la part des conducteurs, et il est un peu paradoxal que bien des femmes qui conduisent ces véhicules se disent rassurées parce que c'est plus facile de s'insérer dans le flux de la circulation, de changer de file, de dépasser, bref, de s'imposer de façon virile et machiste dans la circulation.

La situation se dégrade également en raison de l'impuissance des pouvoirs publics et des entreprises publiques à proposer des alternatives à la route, notamment en matière de transport des marchandises, à la fois pour la longue distance et pour les livraisons en ville.

À cet égard, des décisions irrationnelles, incohérentes, ont parfois été prises. J'en veux pour preuve la panne du dossier ferroviaire Lyon - Turin et l'abandon des engagements pris concernant la modernisation de la ligne Lyon - Strasbourg pour permettre le transport des conteneurs maritimes.

Je pense encore à l'examen ici même, voilà quelques semaines, d'une proposition de loi à la demande de l'une de nos collègues, qui souhaitait accélérer la réalisation de la section entre Balbigny et La Tour-de-Salvagny de l'autoroute A 89.

Je ne crois pas à la loi pour régler les problèmes locaux.

Loin de moi la volonté de stigmatiser l'attitude de l'actuel gouvernement, car les différents gouvernements qui se sont succédé se sont montrés hésitants, qu'il s'agisse de l'encouragement des transports publics, de la remise en cause de la place extravagante laissée au transport routier ou encore des dispositifs encourageant la réduction du transport automobile.

Ainsi, pendant les années au cours desquelles j'ai été ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, si j'ai pu remettre en cause quelques projets autoroutiers injustifiés et mettre en place des incitations fiscales au développement des véhicules propres, je n'ai pu empêcher la suppression de la vignette, mesure qui constituait un très mauvais signal sur le plan de l'environnement.

Je n'aurai garde d'oublier, depuis 2002, la relance de certains problèmes autoroutiers - l'A 41 entre Annecy et Genève, l'A 51 entre Grenoble et Sisteron, cela au mépris de nos engagements internationaux -, la baisse incessante des crédits du ministère de l'écologie et du développement et, bien sûr, la tentative de suppression des dotations de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, ONERC, et de la mission interministérielle de l'effet de serre, MIES, découverte dans le projet de loi de finances pour 2006 à l'automne dernier. Peut-être est-ce parce que L'ONERC déplorait le réel manque d'efficacité des outils mobilisés pour aboutir à une baisse des émissions de gaz à effet de serre, notamment dans le secteur des transports, qui suscite aujourd'hui « les plus grandes préoccupations compte tenu de la très faible substituabilité du pétrole » ?

Alors il faut agir ! Il faut agir en articulant ce qui relève de la responsabilité de l'usager - à cet égard, l'étiquetage des véhicules me paraît une initiative bien venue, mais la responsabilité de l'usager ne peut pas se limiter à une opération de culpabilisation, d'autant qu'on lui offre rarement la moindre alternative commode et accessible à la voiture individuelle ! - et, bien entendu, ce qui relève des pouvoirs publics, qui « causent » beaucoup et agissent peu.

L'autopartage s'attaque au gaspillage en proposant d'utiliser moins de véhicules. Il s'attaque à la question du coût pour l'usager ; Ivan Illich avait calculé qu'en intégrant le temps pendant lequel on travaille pour acheter sa voiture, son carburant, son assurance et son parking, et le temps passé dans les embouteillages, on pouvait considérer qu'une voiture roulait à 6 kilomètres par heure, soit à peu près au même rythme qu'un piéton.

L'autopartage nous encourage aussi à réfléchir sur notre utilisation individualiste des biens ainsi qu'à la place que prend la voiture dans l'imagerie d'Épinal de la réussite sociale. Il serait idiot de réduire le débat à : pour ou contre la voiture. L'usager de demain saura combiner la marche, le vélo - avec ou sans assistance électrique -, le bus, le métro, le tramway, le train, la voiture, le taxi, le covoiturage, le plan de déplacement de son entreprise, la location de longue ou de moyenne durée et, bien sûr, l'autopartage.

Toutes ces mesures ont en commun le fait d'induire un nouveau rapport à l'automobile, laquelle ne serait plus ni un signe extérieur de richesse, ni le symbole de la puissance, ni un prolongement du domicile, mais un simple moyen de déplacement.

C'est donc avec enthousiasme que je voterai les conclusions de la commission. Si cette proposition de loi me paraît évidemment loin de constituer « la » solution, c'est une piste, face à un chantier considérable, qui va nous permettre de réorganiser nos villes, de refondre complètement l'offre de transport collectif et de cesser finalement d'aggraver les conditions de vie de nos concitoyens en l'absence de solutions concrètes. Ce texte est donc tout sauf un gadget et c'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à le voter avec le même enthousiasme que moi ! (M. le rapporteur applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, apparu « artisanalement » en Suisse en 1948, ce qui allait devenir l'autopartage a été conceptualisé en 1951 par un Français, l'ingénieur Jacques D'Welles, qui soulignait alors l'intérêt d'instaurer une forme de partage des véhicules pour en diminuer le nombre... et réduire les effets négatifs sur l'environnement.

Malgré cette paternité précoce, il faudra attendre près d'un demi-siècle pour que l'on reparle de l'autopartage en France et que le législateur se préoccupe de lui donner un cadre juridique spécifique, sur l'heureuse initiative de notre collègue strasbourgeois Roland Ries.

Ainsi, l'autopartage permet d'utiliser une voiture sans posséder de voiture. Très répandu dans certains pays d'Europe, tels que la Suisse - qui représente à elle seule près d'un tiers des autopartageurs européens avec 70 000 adhérents - ce service se développe depuis quelques années en France dans une grosse dizaine d'agglomérations : Grenoble et Lyon dans la région dont je suis issu, ou encore Clermont-Ferrand, ville chère au coeur de Mme la présidente ! Caisse-Commune à Paris et Auto'trement à Strasbourg sont devenus les principaux opérateurs de l'autopartage et rassemblent 85 % des utilisateurs hexagonaux.

Même si, au total, cette pratique nouvelle ne représente que 5 % des conducteurs, elle confirme la mutation profonde qui s'opère actuellement dans notre façon de vivre la ville et annonce, osons-le dire, un changement d'époque en matière de déplacements urbains.

En effet, si l'automobile fut, hier, un facteur de progrès, de mobilité, d'indépendance individuelle et de promotion sociale, elle est aujourd'hui devenue, par son omniprésence, un réel souci pour notre environnement urbain, une charge pour le budget des ménages et une menace pour les équilibres écologiques et climatiques de la planète.

Ainsi, alors qu'une voiture particulière ne roule en moyenne qu'une heure par jour, elle entraîne de nombreux coûts individuels et collectifs en termes de pollution, de santé publique, d'économie et de consommation d'espace.

Face aux limites du « tout-voiture », l'autopartage s'inscrit dans un ensemble d'innovations sociales qui visent à faire évoluer les comportements vers un développement durable des villes. Il contribue en effet à enclencher un cercle vertueux de déplacements responsables et efficaces. Il s'appuie sur deux réalités : d'une part, un véhicule partagé remplace entre cinq et dix voitures particulières ; d'autre part, le citoyen est désormais demandeur d'un meilleur respect du cadre de vie urbain.

L'autopartage répond à cette nouvelle attente sociale : il tend à réduire la pollution automobile, à améliorer la fluidité des circulations sur la voirie, à réduire l'espace urbain consacré au stationnement et donc à reconquérir une qualité urbaine fortement amoindrie par les années d'urbanisme « provoiture » ou « autodépendant ».

Mais, au-delà, l'autopartage encourage et complète également la chaîne des modes de transport alternatifs à la voiture particulière - transports publics, vélo, marche... -, tant et si bien que, loin de réduire la mobilité de ses adeptes, il la développe et la diversifie.

Alors que les propriétaires d'un véhicule particulier l'utilisent souvent par réflexe, quelle que soit la nature de leurs déplacements, les autopartageurs connaissent avec précision le coût du service qu'ils consomment. En conséquence, ils ont tôt fait d'évaluer la rentabilité de chaque mode de transport à leur disposition. En milieu urbain, les transports collectifs sortent inévitablement gagnants d'une telle comparaison ; ils sont alors davantage utilisés, la demande augmente, leur développement est encouragé, accroissant encore leur avantage compétitif sur la voiture.

Un cercle vertueux se met en place, qui contribue à atteindre l'objectif final de l'autopartage : limiter l'usage de l'automobile particulière aux seuls trajets pour lesquels elle constitue le mode de transport le plus adéquat et accroître parallèlement le recours aux autres modes de transport.

On le voit, le développement spontané de l'autopartage montre que le cadre institutionnel - par exemple, la Journée sans ma voiture, les plans de déplacements urbains, ou PDU, les plans de déplacements entreprise, ou PDE -, le cadre politique - engagements de la France dans le protocole de Kyoto, développement des politiques en faveur des deux-roues... - et le cadre comportemental - gestes « écocitoyens », diffusion des problématiques de la qualité de vie en ville... - sont aujourd'hui prêts pour que soit accentué le volontarisme des politiques publiques de déplacements urbains.

Des outils existent déjà, qui sont à la disposition des autorités organisatrices et régulatrices des déplacements, outils qu'elles les utilisent ou non : PDE, Pédibus, transports à la demande, parcs relais... Ils seront, j'en suis sûr, complétés par l'autopartage, qui s'inscrit comme une option supplémentaire dans le panel des solutions alternatives à la voiture particulière.

Ainsi, l'autopartage est une réelle occasion pour nos villes de promouvoir une autre façon de se déplacer, mais aussi de retrouver la maîtrise d'une partie de leur territoire.

En ce sens, nous devons rechercher une plus grande normativité des documents d'orientation, de planification et d'urbanisme que sont les schémas de cohérence territoriale, les programmes locaux de l'habitat, les plans de déplacements urbains et les PLU, plans locaux d'urbanisme. Il est souhaitable que leur élaboration, leur révision et leur évaluation prennent désormais en compte l'option autopartage au même titre que toutes les autres solutions de remplacement de la voiture individuelle.

Par exemple, si cette option est affichée comme un axe prioritaire du PDU, le PLU doit en tirer les conséquences normatives, notamment en termes de places de stationnement disponibles : réduites pour les véhicules particuliers, mais plus nombreuses, réservées et attractives pour les véhicules partagés. Il serait en effet totalement contre-productif de vouloir développer l'autopartage sans changer la politique de stationnement ou en laissant les places dédiées accaparées par des loueurs labellisant une partie de leurs parcs de véhicules dans ce seul but.

Enfin, l'autopartage permet de redonner du pouvoir d'achat aux ménages et de proposer un service particulièrement utile aux plus modestes, qui ne peuvent pas toujours assumer le coût d'un véhicule particulier, estimé à 5 800 euros par an en moyenne. Je pense, par exemple, aux habitants des quartiers et communes périphériques de nos agglomérations. En soirée, mais aussi quelquefois le week-end, et tout particulièrement le dimanche, ils se retrouvent en quelque sorte assignés à résidence en raison de la restriction, voire de l'arrêt, du service de transports collectifs.

La situation est plus critique encore pour les personnes éloignées de l'emploi ou les jeunes adultes en début de vie professionnelle. Pour eux, des horaires décalés incompatibles avec les transports en commun peuvent représenter un obstacle rédhibitoire dans l'accès à certaines propositions d'emploi. L'autopartage peut alors leur apporter une réelle solution et une sensible amélioration de leur quotidien.

D'un coût modéré, d'une disponibilité immédiate, l'autopartage est tout à la fois une réponse économique aux besoins des ménages, une occasion de reconquête et de réappropriation collective de l'espace urbain, un facteur de réduction des risques pour l'environnement, une nouvelle offre pour favoriser l'intermodalité, au même titre que l'expérience réussie des vélostations, grâce auxquelles, pour une adhésion mensuelle, on dispose de vélos partagés, entretenus et attractifs.

Le gouvernement néerlandais compte d'ailleurs sur le développement de l'autopartage pour réduire de 12 % ses émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports d'ici à 2010. C'est un exemple que la France serait bien inspirée de prendre en considération pour respecter ses propres engagements dans le cadre du protocole de Kyoto ! Cette proposition de loi socialiste y contribue.

Il nous reste à en faire une loi qui, en huit articles, proposera aux intercommunalités et aux autorités organisatrices de transport un nouvel outil régulant l'évolution du parc de véhicules particuliers en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Titre Ier

Définition de l'autopartage

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Article 2

Article 1er

L'activité d'autopartage est la mise en commun au profit d'utilisateurs abonnés d'une flotte de véhicules. Chaque abonné peut accéder à un véhicule sans chauffeur, pour le trajet de son choix et pour une courte durée.

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Titre II

Le label « autopartage »

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Article 3

Article 2

Peuvent bénéficier du label « autopartage » les véhicules exploités par les personnes morales se livrant à l'activité d'autopartage dans le respect de conditions définies par décret en Conseil d'État.

Ce décret précise :

- les caractéristiques environnementales et techniques des véhicules labellisés ainsi que les conditions dans lesquelles les abonnés y ont accès ;

- les conditions d'utilisation du label ;

- le régime des aides pouvant être attribuées aux personnes morales exploitant les véhicules labellisés.

Le signe distinctif de ce label, destiné à être apposé sur les véhicules et à figurer sur les documents y faisant référence, est défini par arrêté conjoint du ministre chargé des transports et du ministre chargé de la consommation. - (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Article 4

Article 3

I. - Toute référence au label « autopartage » dans la publicité ou la présentation de tout produit ou service, ainsi que sur les documents commerciaux qui s'y rapportent, doit être accompagnée d'informations claires sur le champ de ce label et d'une référence au décret en Conseil d'État visé à l'article 2 de la présente loi.

II. - Est puni des peines prévues à l'article L. 213-1 du code de la consommation :

1° Le fait, dans la publicité ou la présentation de tout produit ou service, ainsi que dans les documents commerciaux de toute nature qui s'y rapportent, de faire référence au label « autopartage » sans respecter les conditions définies par la présente loi et ses textes d'application ;

2° Le fait de délivrer, en violation des dispositions prévues par la présente loi et ses textes d'application, un titre, un certificat ou tout autre document attestant qu'une société a pu bénéficier du label « autopartage » ;

3° Le fait d'utiliser tout moyen de nature à faire croire faussement qu'une personne morale satisfait aux conditions définies par le décret en Conseil d'État prévu à l'article 2 de la présente loi ;

4° Le fait d'utiliser tout moyen de nature à faire croire faussement au consommateur qu'un service a fait l'objet de la labellisation « autopartage » ;

5° Le fait de présenter à tort comme garanti par l'État ou par un organisme public tout service ayant fait l'objet de la labellisation « autopartage ».  - (Adopté.)

Titre III

Mesures tendant à favoriser l'autopartage

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Article 5

Article 4

I.- Le quatrième alinéa (3°) de l'article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales est complété par les mots : « et aux véhicules bénéficiant du label "autopartage" défini par l'article 2 de la loi n° ..... du ..... tendant à promouvoir l'autopartage » ;

II.- Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret détermine les modalités de signalisation de ce type d'emplacements réservés aux véhicules bénéficiant du label « autopartage ». »  - (Adopté.)

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Article additionnel après l'article 5

Article 5

Le deuxième alinéa de l'article L. 123-1-2 du code de l'urbanisme est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Le plan local d'urbanisme peut prévoir, dans des limites précisées par décret, un nombre de places inférieures dès lors qu'une partie d'entre elles est réservée aux véhicules labellisés "autopartage". »

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Article 6

Article additionnel après l'article 5

Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Ries,  Repentin,  Bel,  Bodin,  Courteau,  Dreyfus-Schmidt,  Le Pensec,  Madec,  Marc,  Michel,  Pastor et  Picheral, Mme Printz, M. Reiner, Mme Schillinger, M. Vidal et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La première phrase du II de l'article 7 de la loi d'orientation des transports intérieurs n° 82-1153 du 30 décembre 1982 est complété par les mots : «, d'autopartage et de covoiturage ».

La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Les collectivités locales organisent, dans la limite de leurs compétences respectives, des services de transports publics réguliers de personnes. En vertu du paragraphe II de l'article 7 de la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982, la LOTI, elles « peuvent aussi organiser des services de transports à la demande ».

Aujourd'hui, au nombre des nouveaux services de mobilité appelés à se développer en zone urbanisée comme en zone rurale se trouvent la mise à disposition de véhicules en libre-service, c'est-à-dire l'autopartage, ainsi que le covoiturage.

En pratique, les jeunes des quartiers défavorisés, les femmes et les chômeurs de longue durée qui disposent d'un véhicule pour se déplacer sont peu nombreux, ce qui limite considérablement leurs chances de trouver un emploi. Donner la possibilité aux autorités responsables de services de transports de créer et d'exploiter de tels services de mobilité ne peut donc qu'améliorer les conditions d'employabilité de ces personnes. La prestation « aide à la mobilité et transports de personnes ayant des difficultés de déplacement » étant éligible au dispositif CESU, chèque emploi service universel, il faut développer ces services qui vont dans le sens de la mobilité pour tous. S'impliqueront également dans la mobilité des citoyens les services sociaux et les employeurs, ce qui permettra sans doute d'atteindre les objectifs fixés par l'article 123 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

La modification proposée laisse donc toute latitude aux autorités organisatrices de suivre ou non cette initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Roland Ries, rapporteur. Cet amendement est parfaitement cohérent avec l'article 6 de la proposition de loi, qui tend lui-même à modifier la LOTI en ce qui concerne les PDU. Il vise à intégrer l'autopartage et le covoiturage dans le champ de compétences dont disposent, aux termes de la LOTI, les autorités publiques en matière de transport. En quelque sorte, l'autopartage et le covoiturage sont des éléments qui viennent compléter la boîte à outils placée entre les mains des collectivités publiques. Il revient ensuite à ces dernières d'assurer une certaine complémentarité entre les politiques des transports publics, du vélo, de l'autopartage et du covoiturage.

Toutes ces mesures doivent donc être cohérentes les unes avec les autres afin de parvenir à l'objectif final, à savoir proposer une alternative crédible à l'usage privatif de l'automobile.

En conséquence, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Permettez-moi d'abord de vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, tout l'intérêt que, en tant que ministre de la culture, je porte à ce débat, où il est au fond question d'ouverture d'esprit et de créativité appliquées au domaine des transports. Dominique Perben, ministre des transports, ne pouvait être présent cet après-midi, mais il me paraît symbolique qu'il soit remplacé par le ministre de la culture.

Quant à l'amendement n° 2 rectifié, il tend à introduire dans les compétences dévolues aux autorités organisatrices des activités ne relevant pas à proprement parler du transport public de voyageurs un certain nombre de responsabilités nouvelles. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre assemblée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré, après l'article 5.

Article additionnel après l'article 5
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 6

L'article 28-1 de la loi n° 82-1153 d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 est ainsi modifié :

1° Dans le sixième alinéa (4°), après les mots : « mobilité réduite, » sont insérés les mots : « les emplacements réservés aux véhicules bénéficiant du label "autopartage" défini à l'article 2 de la loi ... du ... tendant à promouvoir l'autopartage » ;

2° Après les mots : « transports en commun », la fin du huitième alinéa (6°) est ainsi rédigée : « du covoiturage et de l'autopartage ».  - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Article 6
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble des conclusions de la commission, je donne la parole à Mme Adeline Gousseau, pour explication de vote.

Mme Adeline Gousseau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous venons de débattre a pour objet de promouvoir l'autopartage, c'est-à-dire de mettre à disposition des véhicules en libre-service pour des particuliers ou des entreprises abonnés.

Des expériences d'autopartage existent déjà dans d'autres pays européens et dans certaines villes de France, et elles sont de plus en plus nombreuses. Parmi celles-ci, sur l'initiative de son maire, notre collègue Fabienne Keller, la ville de Strasbourg a mené une action exemplaire. Je ne reviendrai pas sur cette expérience, dont Francis Grignon a donné tous les détails utiles au cours de la discussion générale, démontrant tout l'intérêt qu'il y a d'encourager cette forme nouvelle de déplacement, en complémentarité avec les autres modes de transport.

En effet, l'autopartage permet d'offrir à nos concitoyens un mode de déplacement en meilleure adéquation avec leurs besoins puisque ceux-ci pourront utiliser une voiture du gabarit idoine, le temps nécessaire - souvent bref -, sans en être propriétaire, c'est-à-dire sans devoir assumer personnellement les charges liées aux frais de garage et d'entretien.

Ainsi, l'autopartage constitue une facilité et une économie pour le consommateur en ce qu'il limite l'utilisation de l'automobile en propriété directe, lui permettant de renoncer à l'acquisition d'un premier, voire d'un second véhicule.

Du point de vue de la collectivité, l'autopartage réduit la pollution automobile, contribue à une plus grande fluidité de la circulation et assure une meilleure utilisation de l'espace urbain, notamment en termes de stationnement : une voiture partagée remplace jusqu'à sept voitures particulières.

En outre, il apparaît que l'autopartage n'entre pas en concurrence avec les autres modes de transport. Il tend au contraire à favoriser leur utilisation, qu'il s'agisse des transports en commun, des taxis ou de la circulation douce.

La présente proposition de loi comporte plusieurs dispositions de nature à développer l'autopartage, dont nous venons de voir l'effet positif en termes économiques, environnementaux et urbains. Ainsi, il nous est proposé : de définir juridiquement l'autopartage ; de créer un label « autopartage » ; de donner la possibilité aux maires qui le souhaitent de réserver des emplacements de stationnement aux véhicules d'autopartage en toute sécurité juridique ; de satisfaire, dans le cadre d'un projet immobilier, à l'obligation de réaliser des places de stationnement en créant des places réservées à l'autopartage ; enfin, d'offrir la possibilité de prendre en compte l'autopartage dans les plans de déplacements urbains.

Pour toutes ces raisons, et convaincu de la pertinence de l'expérience strasbourgeoise menée par notre collègue Fabienne Keller, le groupe UMP apportera son soutien à la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je constate que l'unanimité s'est faite tout au long de nos débats, et je m'en félicite. En effet, ce n'est pas tous les jours qu'une proposition de loi socialiste recueille l'unanimité !

Mme Gousseau vient d'évoquer notre collègue Fabienne Keller, maire de Strasbourg, mais c'est un ancien maire de cette ville, notre ami Roland Ries, qui a eu le mérite de déposer cette proposition de loi ; je tenais bien évidemment à lui rendre hommage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions, modifiées, du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi n° 183.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des présents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage
 

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Politique de l'archéologie préventive

Débat sur un rapport d'information

(Ordre du jour réservé)

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle un débat sur le rapport d'information de M. Yann Gaillard sur la politique de l'archéologie préventive (n° 440, 2004-2005).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, auteur du rapport d'information sur la politique de l'archéologie préventive. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l'archéologie préventive a déjà donné lieu à de nombreux débats au sein de notre hémicycle, que ce soit lors de l'examen des projets de lois de finances ou lors de la discussion de dispositions législatives relatives à la redevance d'archéologie préventive.

Dans un contexte de mécontentement des élus locaux et de multiplication du nombre des cas aberrants, cas dans lesquels le montant de la redevance était très largement supérieur au coût du projet d'aménagement envisagé, j'ai mis en oeuvre, en 2004, en ma qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission Culture, un contrôle sur le financement de l'archéologie préventive.

En 2004 et en 2005, ce contrôle m'a conduit à procéder à de très nombreuses auditions, à des déplacements en province et à l'étranger - en Italie et au Royaume-Uni -, afin de visiter des chantiers, de dresser des diagnostics et de rencontrer les services prescripteurs, en l'occurrence les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, et les services chargés de la liquidation de la redevance, à savoir les DRAC et les DDE, les directions départementales de l'équipement.

Je précise que ce contrôle a été réalisé avec l'assistance d'un magistrat de la Cour des comptes, selon la procédure prévue par l'article 58 de la LOLF - cette loi organique relative aux lois de finances que nous vénérons tous ! -, dont c'était la première application, ce qui me remplit de fierté.

Les conclusions du rapport d'information intitulé « Pour une politique volontariste de l'archéologie préventive » ont été adoptées à l'unanimité par la commission des finances le 29 juin 2005. À cette occasion, il a été décidé de donner suite à ce rapport, en lui consacrant une séance réservée de l'ordre du jour des travaux de notre assemblée : nous y sommes.

Les réponses que vous voudrez donc bien apporter à mes questions, monsieur le ministre, sont attendues depuis presque un an, ce qui explique l'attention toute particulière que nous leur porterons.

L'archéologie préventive pose un problème qui pourrait presque être qualifié d'irritant. Elle ne concerne grosso modo que 1 700 agents et son budget ne s'élève qu'à 100 millions d'euros environ. Elle n'en a pas moins mobilisé trois inspections générales en trois ans - finances, intérieur et culture -, une société de conseil dénommée Conjuguer, qui a rédigé un rapport, et une nouvelle mission interministérielle, qui a rendu son rapport tout récemment, dans le cadre des audits de modernisation lancés par M. Jean-François Copé.

Fait plus troublant encore : en 2001, 2003 et en 2004, après avoir connu une longue stabilité dans un régime associatif, celui de l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN, née en 1973, on s'est senti obligé de revenir sur le sujet, sans pour autant l'épuiser puisque nous voici obligés d'en reparler encore.

Pourquoi tant de peine et si peu de succès ? En raison, me semble-t-il, d'une erreur stratégique, celle qui a été commise en 2001, avec la création d'un établissement public national. C'était en quelque sorte un compendium du système français : absence de concertation entre les ministères, lourdeurs administratives, redevance complexe et mal perçue, contestations des élus, inquiétudes des personnels.

Le mauvais tournant est alors pris. Au lieu de continuer à négocier avec les aménageurs et de décentraliser l'association ou l'organisme lui succédant, on crée un double système de redevance, finançant, d'une part, le diagnostic et, d'autre part, la fouille. Les prescriptions de recherches archéologiques préventives augmentent de manière exponentielle. Les communes se révoltent. La redevance ne rentre pas.

En 2004, à l'occasion de la discussion de la loi du 9 août relative au soutien à la consommation et à l'investissement, dite quelquefois « loi Sarkozy », est adopté un nouveau régime qui a le mérite de tenter d'approcher de plus près la réalité physique des travaux.

Les travaux relevant du code de l'urbanisme sont taxés sur la base de la surface hors oeuvre nette, la SHON, à laquelle sont appliqués les taux de la taxe locale d'équipement, la TLE, laquelle serait d'ailleurs, dit-on à mots couverts, remise en question dans certains cercles administratifs, ce qui nous entraînerait encore dans une nouvelle aventure. La redevance est alors liquidée par les DDE.

Les travaux soumis à étude d'impact ou à autorisation administrative préalable restent, comme auparavant, taxés sur la base de l'emprise au sol, à savoir 0,32 euro par mètre carré. La redevance est alors liquidée par les DRAC.

En fait, l'ensemble du sujet est désormais divisé fiscalement et administrativement en deux catégories. Même si ce n'est pas la seule cause, cette décision est à l'origine de la crise financière qui n'a cessé d'accabler l'archéologie préventive française.

Rappelons que le produit de la redevance d'archéologie préventive devait être compris, en 2004, entre 70 millions et 80 millions d'euros, d'après les estimations fournies au législateur lors de l'examen de la loi du 9 août 2004. Les DRAC auraient dû traiter 20 % des dossiers de diagnostic et recouvrer 80 % du produit de la redevance, les DDE devant traiter 80 % des dossiers et recouvrer 20 % du produit de la redevance.

Les changements incessants de législation ont contribué à retarder la mise au point d'un logiciel permettant aux DRAC de liquider la redevance sur les opérations relevant du code de l'environnement. Et il n'est pas exclu que les difficultés qu'elles ont rencontrées aient pu aussi démobiliser les DDE, réputées pourtant plus aguerries sur la partie du dossier relevant de leur compétence.

Une même différence a été constatée en 2005 entre la prévision budgétaire de recettes, soit 19,7 millions d'euros, c'est-à-dire 30 % des 60 millions d'euros estimés pour le produit de la redevance, et la réalité des encaissements, qui n'ont atteint que 0,7 million d'euros.

Le rapport demandé par le ministère de la culture à la société Conjuguer a évalué le potentiel fiscal de la redevance d'archéologie préventive, la RAP, à 52,7 millions d'euros, soit un rendement net de 43 millions d'euros. L'INRAP, l'Institut national de recherches archéologiques préventives, estime que son besoin de financement est de l'ordre de 65 millions d'euros. Il manquerait donc, chaque année, entre 17 millions et 23 millions d'euros.

Aux difficultés de perception de la redevance s'ajoute la dérive de I'INRAP en matière de personnel, aggravant ainsi sa situation.

Cet établissement public n'a pas tiré les conséquences de l'ouverture du marché des fouilles à de nouveaux concurrents agréés : services archéologiques des collectivités locales et entreprises. Or quarante-deux agréments ont été accordés par le ministre, dont une dizaine au profit d'entreprises.

Les différents tableaux chiffrés relatifs aux effectifs de l'INRAP révèlent des contradictions et des obscurités, en dépit desquels on peut inférer les constatations suivantes.

Les effectifs ont connu une augmentation régulière : 1 585 équivalents temps plein étaient inscrits au budget prévisionnel pour 2002, 1 594 au budget prévisionnel pour 2003 et 1 753 au budget prévisionnel pour 2005.

Le nombre réel de personnes physiques constaté en moyenne annuelle au 31 décembre s'est accru sur le moyen terme : 1 686 en 2002, 1 553 en 2003 et 1 749 en 2004. La moyenne annuelle des effectifs de l'AFAN était de 1 498, dont 1 291 CDI et 207 CDD.

Au total, les dépenses de personnel inscrites au budget prévisionnel de l'INRAP pour 2005 étaient de près de 65 millions d'euros, soit 56,7 % des 114,705 millions d'euros de dépenses prévues. Les dépenses de personnel étaient de 53,21 millions d'euros en 2003 et de 48 millions d'euros en 2002.

Il a alors été recouru à des mesures d'urgence pour garantir le financement de l'INRAP.

En 2002, son déficit constaté a atteint 11,5 millions d'euros, malgré une avance remboursable du Trésor de 23 millions d'euros.

En 2003, un accord d'autoassurance a été passé entre le ministère de la culture et le ministère des finances. En contrepartie de l'absence de gels de crédits et de mesures d'économies budgétaires, le ministère de la culture s'est engagé à financer par redéploiement de crédits et de subventions le déficit de l'INRAP afin de compenser un déficit cumulé depuis 2001 de 39 millions d'euros. Conformément à cette attente, le ministre de la culture a comblé le déficit de l'exercice 2003, se montant à 27,5 millions d'euros.

En 2004, la subvention du ministère de la culture s'est élevée à 11,5 millions d'euros, afin de compenser le déficit antérieur - les reliquats de 2002 et de 2003 -, sans que soit prévu le financement du déficit de l'exercice 2004, qui a atteint 12 millions d'euros.

En 2005, après un arbitrage ministériel, l'avance de trésorerie de 23 millions d'euros a été transformée en prêt du Trésor. Elle sera remboursée sur trois ans, chaque remboursement étant compensé par une subvention spéciale du ministère de la culture...

Compte tenu de cette situation, la commission des finances a alors formulé plusieurs recommandations, adoptées à l'unanimité.

Premièrement, elle a préconisé de renoncer à une nouvelle réforme de la redevance d'archéologie préventive et d'améliorer sa liquidation et son recouvrement : surtout pas d'autre loi !

Deuxièmement, elle a préconisé de surveiller strictement l'évolution des dépenses de personnel de l'INRAP, dont il convient de préciser qu'il est géré, en dépit de ces difficultés, par un président et une directrice dont je ne conteste ni la compétence ni la valeur.

Troisièmement, elle a préconisé de restreindre les diagnostics, sur la base d'une politique scientifique de l'archéologie préventive, définie au niveau national par le Conseil national de la recherche archéologique, le CNRA, et, surtout, par les commissions interrégionales de la recherche archéologique, les CIRA, qui ne sont pas toujours d'accord entre elles. En effet, le monde de l'archéologie, comme bien d'autres en France, est divisé en écoles.

Le principe de base de cette nouvelle politique archéologique devra être le suivant, comme le déclare le directeur de l'architecture et du patrimoine : « La recherche archéologique ne présente un intérêt par rapport à la préservation des vestiges archéologiques que si elle permet de valider ou d'infirmer une hypothèse historique technique ou scientifique nouvelle. L'archéologie doit être définie au préalable et non relever d'une politique du coup par coup, remise en cause à l'occasion de chaque nouveau chantier. »

Quatrièmement, notre commission a préconisé de développer la pertinence de la carte archéologique, comme c'est le cas en Italie, avec des résultats probants. Cette carte est prévue par la loi du 17 janvier 2001 et quatre-vingts personnes issues de l'AFAN et recrutées par la DAPA y travaillent. Votre rapporteur spécial a pu voir quelques projections d'une carte archéologique nationale encore embryonnaire au cours d'une démonstration organisée à son attention par le ministère de la culture. Le développement de cette carte est indispensable à la mise en place d'une politique volontariste de l'archéologie préventive en France.

Cinquièmement, elle a préconisé de favoriser le développement de services concurrents de l'INRAP en agréant des opérateurs privés et les services d'archéologie préventive des collectivités territoriales qui en font la demande.

Compte tenu du mouvement d'inquiétude générale auquel j'ai déjà fait allusion et à la suite de ces recommandations, des avancées encourageantes ont été enregistrées, même si de nombreuses questions demeurent sans réponse.

Des engagements de deux ordres ont été pris devant votre rapporteur spécial lors d'une réunion qui s'est tenue le 24 mai 2005 au ministère de la culture, en présence du directeur de l'architecture et du patrimoine.

Ce dernier a entendu mettre en avant l'accroissement des rentrées fiscales, à système juridique inchangé. Il a annoncé l'installation, à cet effet, dès mai 2005, d'un logiciel adapté dans les DRAC, la nomination de responsables de la redevance au sein de celles-ci, des actions de formation du personnel et la publication de deux circulaires relatives aux aménagements relevant du code de l'urbanisme, d'une part, et aux infrastructures linéaires, d'autre part.

Le directeur de la DAPA s'est en outre engagé à favoriser la mise en place d'une politique archéologique volontariste, fondée sur des critères scientifiques - si elle n'était fondée que sur des critères financiers, elle serait considérée comme illégitime - et impliquant le CNRA et, surtout, les CIRA.

Ces engagements semblent en voie d'être concrétisés, comme en témoignent les informations qui m'ont été communiquées à l'occasion de ce débat.

Le logiciel informatique annoncé a été mis en place dans les DRAC en juin 2005. Il a été adapté et permet un suivi précis de la liquidation de la redevance incombant aux services du ministère de la culture.

Toutes les DRAC ont nommé deux personnes responsables de la redevance d'archéologie préventive : un agent des services généraux et un agent du service régional de l'archéologie.

La formation du personnel des DRAC a été améliorée, les circulaires attendues ont été publiées et le nombre d'opérateurs agréés est passé de quarante-deux à cinquante-quatre.

La redevance d'archéologie préventive est, selon la direction générale de la comptabilité publique, mieux recouvrée. Le taux de recouvrement, qui n'était que de 29,3 % en 2004, est passé, en cumulé, à 46,2 % en 2005 et, pour les années 2004, 2005 et 2006, à 59,2 % en 2006, toujours en cumulé : le progrès est notable.

Si l'on peut se féliciter de cette évolution, plusieurs questions restent sans réponse.

Les CIRA et le CNRA ont-ils avancé, sous l'égide du ministère, dans la définition d'une politique nationale de l'archéologie préventive ? Comme l'écrit M. François Baratte, président du CNRA, dans le rapport remis au Parlement sur la mise en oeuvre de la loi du 17 janvier 2001, « il est ainsi du devoir du Conseil à la fois de proposer des règles pour le fonctionnement des procédures nouvelles, de tirer le bilan des recherches accomplies sur l'ensemble du territoire et d'ouvrir des perspectives de recherche. »

Dans quelle proportion le territoire français est-il désormais couvert, de façon opérationnelle, par la carte d'archéologie préventive ?

Le ministère a-t-il pris des mesures incitatives afin que les agents de l'INRAP créent, pourquoi pas, leur propre entreprise d'archéologie préventive et demandent à être agréés ?

L'exercice de la tutelle de l'État sur l'INRAP a-t-il été renforcé, comme le recommandait votre rapporteur ?

Quelle a été, dans cette perspective, l'évolution des effectifs de l'INRAP en un an ?

Comment évoluent les délais des chantiers de diagnostic, qui sont un sujet de préoccupation réel et légitime pour les aménageurs et les collectivités territoriales ?

Les activités de l'INRAP sont-elles désormais ventilées par nature afin de tracer clairement l'affectation des ressources aux missions qu'elles doivent financer, à savoir diagnostics, fouilles et recherche ?

Les délais de publication des rapports de recherche sont-ils respectés ?

Quelles mesures le ministère de la culture envisage-t-il de prendre pour améliorer le recouvrement de la redevance ?

La situation financière de l'INRAP s'est-elle améliorée ? Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006, la commission des finances avait estimé que, compte tenu du rendement prévisionnel de la redevance d'archéologie préventive, le budget de l'INRAP ne pourrait pas être équilibré sans une subvention de l'État de l'ordre de 10 millions d'euros. Elle avait même présenté en ce sens un amendement « scélérat » (Sourires), qui avait reçu un avis défavorable du Gouvernement et que le Sénat n'avait pas adopté. Une fois de plus, la commission des affaires culturelles n'avait pas suivi ! (Nouveaux sourires.)

L'audit de modernisation mené sur l'INRAP, aboutissant aux mêmes conclusions que la commission des finances, s'inquiétait de l'évolution de la situation budgétaire et financière de l'institut.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous affirmer aujourd'hui que l'INRAP n'aura pas besoin en 2006 d'une subvention spéciale et qu'elle sera en état - ce serait un progrès inespéré - de rembourser l'avance de trésorerie, transformée en prêt du Trésor en 2005, qui lui a été consentie, et qui atteignait 23 millions d'euros ?

Certes, de réels progrès ont été faits dans la gestion de ce dossier difficile, qui concerne, de surcroît, des personnels passionnés, que j'ai eu l'occasion de rencontrer lors de mon contrôle et dont le travail très difficile et très fatigant doit être salué.

Le rapport de février 2006 remis au Parlement sur la mise en oeuvre de la loi du 17 janvier 2001 montre l'importance du travail accompli. Son tome II, notamment, présente des synthèses thématiques et géographiques des recherches effectuées - je pense notamment à la Picardie - et prouve que des enseignements essentiels peuvent être tirés de l'archéologie préventive.

Néanmoins, je relève une petite faute psychologique : il semble que l'établissement n'ait pas eu le réflexe d'essayer de trouver un chantier par département, pour satisfaire tous nos collègues. Je note quelques manifestations de déception à cet égard. Pour ma part, j'ai la chance de compter un chantier dans mon département. (Sourires.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ah !

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. J'en reviens à nos préconisations fondamentales : améliorer le recouvrement- c'est en bonne voie - ; rationner le diagnostic - c'est difficile, car il faut que la motivation ne soit pas uniquement financière ; sinon elle serait rejetée par le milieu.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Rationner, rationner...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela veut dire « piloter » !

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. Je continue de regretter, monsieur le ministre, que vous n'ayez pas eu l'occasion de présider vous-même le CNRA pour lancer cette politique.

Il convient également de multiplier les intervenants susceptibles de procéder aux fouilles, afin que l'INRAP ne soit pas seul et qu'un chantier trouve toujours un opérateur, car rien n'est plus douloureux pour les aménageurs et rien n'est plus néfaste à la réputation de l'INRAP que les retards dans les chantiers. C'est encore ce qui coûte le plus cher !

Enfin, il faut aussi que les Français apprennent à aimer l'archéologie. L'INRAP a réalisé de nombreuses publications, très intéressantes, notamment un beau volume sur la France archéologique. Après tout, c'est de nous-mêmes qu'il s'agit, ce qui justifierait sans doute, de la part des archéologues, un petit effort vis-à-vis de leurs concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, l'archéologie préventive a été reconnue par les lois de 2001 et 2003, et on ne peut que se réjouir de cette avancée de civilisation tant l'archéologie préventive est indispensable à une meilleure connaissance scientifique de la longue histoire de nos sociétés.

Il nous revient de toujours mieux mettre en lumière ce formidable héritage enfoui et surtout de le transmettre aux générations futures, d'autant qu'il existe une forte demande de nos concitoyens pour mieux connaître et comprendre l'histoire de l'humanité et l'expérience des générations qui nous ont précédés.

Découvrir nos racines, pour mieux comprendre le présent et préparer l'avenir, c'est une exigence à la fois scientifique et populaire dont il faut se féliciter.

Nous constatons en effet une forte prise de conscience collective sur l'importance de cette discipline scientifique que constitue l'archéologie préventive. Si, pendant bien des décennies, nos musées n'ont fait la part belle qu'aux découvertes archéologiques menées à l'étranger, en Grèce, en Égypte ou en Italie, par exemple, aujourd'hui, les amateurs de plus en plus nombreux savent que notre sous-sol est riche d'un patrimoine remarquable, trop longtemps négligé.

Il est heureux que les pouvoirs publics se soient dotés d'une loi et d'un établissement public national favorisant les fouilles. Ainsi, il est indéniable que l'archéologie préventive renouvelle l'approche du passé et a permis de revoir certaines idées reçues sur l'organisation sociale et territoriale des sociétés gallo-romaines, pour ne citer que ce seul exemple.

Bref, si l'archéologie préventive et l'INRAP n'existaient pas, il faudrait les inventer ! Car le patrimoine archéologique est comme un incunable précieux dont chaque page déchirée est à jamais détruite. De nombreux vestiges ont scandaleusement été détruits au cours de la seconde partie du siècle dernier, ce qui n'a pas manqué de susciter une vive émotion chez nos concitoyens.

Aujourd'hui, l'activité d'aménagement du territoire national reste très intense : l'équivalent d'un terrain de football est retourné en profondeur toutes les huit minutes et l'on découvre en moyenne un site important par kilomètre de nouvelle infrastructure routière ou ferrée, sans parler des multiples aménagements urbains. C'est dire l'importance des enjeux !

Plus personne ne conteste que le patrimoine archéologique constitue un véritable trésor pour l'humanité. Il est donc légitime que ce soit la collectivité, par le biais d'un service public de l'État, qui soit habilitée à régir, étudier, diffuser cette mémoire collective irremplaçable.

La recherche archéologique dans notre pays relève bien de l'intérêt général et, par conséquent, l'archéologie préventive est bien une mission de service public. Pour des raisons d'argent ou à cause de l'impatience des aménageurs, trop de découvertes ont été anéanties à jamais.

C'est pourquoi l'archéologie ne peut être livrée aux seules lois du marché et de la rentabilité. Pourtant, depuis sa promulgation en 2001, la loi est remise en question et les moyens de l'INRAP sont régulièrement amputés.

On ne peut pas, comme vous l'écrivez, cher Yann Gaillard, décrire la grande compétence de l'INRAP et de ses archéologues et, dans le même temps, demander une réduction des moyens de l'établissement.

Bien sûr, votre rapport n'est pas un document uniquement à charge contre l'archéologie préventive. Sans nier certaines difficultés réelles de l'INRAP, je constate que plusieurs ministères voudraient jeter le bébé avec l'eau du bain.

Cela s'inscrit dans l'air du temps : de nombreux technocrates nous vantent les vertus d'une concurrence libre et non faussée en s'efforçant de nous faire croire que la notion même de service public appartiendrait au passé et, à ce titre, ne serait plus qu'un vieil objet n'intéressant que... l'archéologie.

Comme le disait déjà mon ami Jack Ralite en 2003, « le budget est malmené, comme mis en examen, et je pressens qu'est en train de s'ouvrir un vrai débat de la dépense culturelle, comme si, sans le dire, on lui reprochait d'exister ».

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Non !

M. Ivan Renar. Je ne parle pas de vous, monsieur le ministre !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Ah !

M. Ivan Renar. Je pense à ceux qui, tous les matins en arrivant au bureau, tendent le poing vers le musée d'Orsay ou la Bibliothèque nationale en criant vengeance ! (Sourires.)

Notre pays ne peut pas promouvoir de façon crédible la diversité culturelle, y compris à l'UNESCO, s'il ne se donne pas les moyens de faire vivre et d'éclairer ce que furent les productions humaines d'hier, qu'elles soient économiques, sociales ou culturelles.

Les Français sont passionnés par leur histoire comme en témoigne le succès des recherches généalogiques ou encore celui, fulgurant, de la consultation en ligne des archives numérisées de l'INA, que vous évoquiez hier soir, monsieur le ministre. On a eu raison de se doter des moyens nécessaires à la sauvegarde de ces documents audiovisuels si fragiles et de permettre leur diffusion à un large public : c'est là une sorte d'« archéologie préventive » du XXIe siècle.

De la même manière, on a eu raison de se doter, avec l'INRAP, des moyens de donner une nouvelle vie aux vastes gisements de mémoire que recèle notre sous-sol.

Et si l'archéologie préventive a un coût, elle est surtout un investissement d'avenir : à ce titre, elle n'a pas de prix ! Elle est partie intégrante de l'exception culturelle et lui donne encore plus de force. Car, on le sait, il n'y a pas de création sans assimilation critique de l'héritage du passé.

Alors, après avoir amputé drastiquement les moyens de l'établissement public qu'est l'INRAP, ce qui engendre inévitablement des difficultés dans la poursuite de ses missions de service public, je redoute, pour parler franchement, que ce nouveau rapport n'aboutisse qu'à lui infliger le coup de grâce.

Certes, les compétences de l'INRAP et de ses archéologues ne sont pas contestées, et chacun se réjouit du résultat inespéré des fouilles. À Marseille, par exemple, elles ont permis de mettre au jour un sanctuaire qui date de la fondation de la ville, soit quelque 600 ans avant notre ère : c'est le plus ancien monument architectural de France qui a été ainsi exhumé, valant à ce site exceptionnel d'être classé ! Il en est de même des vestiges de la Lutèce gallo-romaine, à deux pas du Sénat, sur le site de l'Institut Curie.

Le problème est que, sur un secteur devenu concurrentiel depuis la loi de 2003, l'INRAP ne maîtrise pas son carnet de commandes puisque c'est l'État et ses services archéologiques qui prescrivent. Les conséquences de la loi de 2003 n'ont pas été tirées, ce qui rend le pilotage de l'établissement hasardeux, avec un déficit croissant, induit par le dispositif législatif lui-même.

L'ouverture à la concurrence, introduite par la loi de 2003, est-elle de nature à améliorer la qualité des missions scientifiques des différents opérateurs ? Avez-vous, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, des analyses précises sur ce sujet ? Pour ma part, je pense qu'elle a été de nature à accroître les délais de diagnostics et fouilles archéologiques de plusieurs mois, là où la concurrence était présente.

Notre connaissance historique peut-elle se soumettre au jeu de la concurrence ? Doit-on écrire l'histoire de France avec tantôt Vinci, tantôt Total, Arcélor ou une société suisse ? Peut-on envisager un dispositif où l'INRAP soit au coeur des projets et non plus en voiture-balai ? Ne peut-on pas, au contraire, fédérer autour de l'INRAP les opérateurs majeurs de l'archéologie préventive, les compétences locales, régionales, privées, les universités, le CNRS, afin de bâtir des projets opérationnels de qualité, plus attractifs en termes de coûts et de délais ?

L'INRAP a conscience de ses faiblesses et les analyse tout en préconisant des solutions, qu'il s'agisse du coût prohibitif des fouilles pour les aménageurs, du principe de financement aligné sur le concept, inadapté, du « pollueur-payeur », des délais de réalisation trop longs et, enfin, des conséquences néfastes d'un système de gestion archaïque, incohérent et bureaucratique.

On ne peut que se féliciter que l'INRAP n'hésite pas à se remettre en question de façon constructive, soucieux de mieux répondre aux attentes des archéologues comme à celles des aménageurs.

Alors, plutôt que de s'acharner sur l'INRAP, dont les missions sont fixées par la loi, ne faudrait-il pas que le Gouvernement et l'État se dotent d'une véritable vision stratégique afin de développer cette essentielle mission de civilisation qu'est l'archéologie préventive ? Pour ce qui concerne les opérateurs, celle-ci est aujourd'hui entrée dans les moeurs. Plus que jamais, nous avons besoin de l'INRAP et d'un engagement fort de l'État à ses côtés.

Je suis persuadé que les personnels de l'INRAP, très attachés à la notion de service public, ne demandent qu'à mettre en place des procédures et dispositifs plus souples et cohérents afin de toujours mieux développer l'archéologie préventive et l'appropriation des découvertes et recherches scientifiques par un vaste public.

Et si certains trouvent qu'il y a trop d'archéologues, pour ma part, je pense qu'il n'y en a pas assez pour faire face aux 300 000  permis de construire déposés chaque année, sans parler des nouveaux grands projets d'infrastructures sur notre territoire.

Les archéologues ne demandent qu'à être sur le terrain et à travailler en bonne intelligence avec les aménageurs publics ou privés, sans lesquels il n'y aurait pas d'archéologie préventive.

L'ensemble des acteurs concernés souhaitent que tout soit mis en oeuvre pour permettre à l'INRAP d'être un outil efficace au service de la science, en lien avec les services archéologiques des collectivités territoriales.

C'est pourquoi je préconise, avec mes amis, la mise sur pied d'une table ronde - elle pourrait se tenir au Sénat - réunissant les élus, les archéologues, les pouvoirs publics, les aménageurs publics et privés, sans oublier les services de l'État, afin de procéder à un état des lieux partagé et de proposer une évolution du mode de fonctionnement actuel et la pérennisation de l'archéologie préventive en adossant son financement sur un dispositif équilibré où l'État doit prendre toute sa part.

La loi de 2001, puis celle de 2003, dont l'impact est mesurable, doivent être analysées du point de vue tant des prescriptions que de la capacité de l'INRAP à y faire face dans les mois et les années à venir.

Le rapport dont nous débattons succède à trois inspections générales en trois ans, émanant de trois ministères, finances, intérieur et culture, sans oublier la mission interministérielle en cours. Comme j'aimerais y voir une marque d'intérêt de l'État pour l'archéologie préventive !

Mais j'ai du mal à comprendre cette logique qui souligne l'importance de l'archéologie préventive et, dans le même temps, envisage de lui couper encore davantage les vivres. L'INRAP, principal opérateur en la matière, est aujourd'hui sous perfusion.

Les archéologues, malgré des compétences reconnues, sont maintenus dans une grande précarité. Actuellement, aucun moyen n'est dévolu à la formation d'une nouvelle génération d'archéologues. Pourtant, l'archéologie préventive n'est pas un luxe ; elle est au contraire une science en mouvement qui peut encore bouleverser l'état des connaissances de l'histoire de notre pays.

C'est une formidable machine à remonter le temps, qui témoigne que tout est éphémère mais que rien ne meurt vraiment. Je ne le répéterai jamais assez, ce qui coûte cher, ce n'est pas la culture, c'est l'absence de culture. Je ne vois pas comment on peut afficher l'ambition d'une politique volontariste de l'archéologie préventive sans lui donner les moyens humains et financiers nécessaires à la pleine réalisation de ses missions.

Il est plus que temps de réunir les acteurs concernés dans le cadre d'une table ronde, dont l'objectif est bien d'apporter des réponses concrètes aux dysfonctionnements et aux incohérences repérés tout en pérennisant cet outil national essentiel de l'archéologie préventive qu'est l'INRAP.

Ce n'est qu'en s'appuyant sur l'expérience, la pertinence de l'analyse de tous ceux qui sont aux premières loges que l'on pourra vaincre les obstacles aujourd'hui bien repérés et permettre un développement durable de l'archéologie préventive, dont le service public que constitue l'INRAP est une pièce maîtresse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Yann Gaillard d'avoir fait inscrire à l'ordre du jour de notre assemblée une question essentielle pour l'aménagement de notre territoire et la préservation de la richesse de notre patrimoine, qui concerne un grand nombre de communes et qui fait suite à son excellent rapport d'information sur l'INRAP.

En effet, il s'agit, dans le cadre d'une discipline scientifique récente, d'une intervention humaine déterminante pour de nombreux projets en faveur de la protection des éléments du patrimoine, révélés à l'occasion d'opérations d'aménagements.

Cette question est d'importance lorsqu'on sait que le sol de France est habité vraisemblablement depuis plus d'un demi-million d'années et que 20 000 générations s'y sont succédé, marquant différemment leur passage.

Au cours du siècle dernier, plus particulièrement depuis une cinquantaine d'années, le rythme des aménagements s'est considérablement accéléré et les risques de destruction de sites archéologiques s'en sont trouvés multipliés.

La carte archéologique, qui ne couvre encore qu'une partie du territoire, ainsi que les diagnostics archéologiques permettent de percevoir les perspectives de l'existence de sites, témoins historiques de notre civilisation et de son évolution.

Il est d'ailleurs certain que, si la technique pouvait un jour radiographier avec précision l'ensemble du territoire en surface comme en profondeur, nous pourrions éviter certaines de ces opérations très coûteuses.

L'état d'esprit dans lequel nous sommes aujourd'hui quant à la sauvegarde du maximum de nos richesses constitue un élément de cohésion indispensable, au service de toutes les générations. Les technologies de demain et les progrès scientifiques permettront peut-être de visionner le sous-sol avec plus de précision et de parfaire notre connaissance sur l'ensemble des différents domaines ayant trait à l'archéologie.

L'archéologie préventive est une sorte de médecine visant à préserver la richesse de notre patrimoine le plus ancien, un moyen de parfaire sa conservation, mais aussi un excellent outil de valorisation et de promotion de nos richesses.

Situer la place de l'archéologie préventive, c'est dire aussi qu'elle représente 90 % de l'activité archéologique française, avec plus de 2 000 interventions par an, 252 000 journées d'archéologues, pour un coût de près de 120 millions d'euros.

Le chantier est impressionnant : chaque année, environ 60 000 hectares sont affectés en France par des travaux de terrassement, dont 12 % font l'objet d'un diagnostic archéologique. À titre de comparaison, à quelques semaines de la Coupe du monde, j'indiquerai que cela représente la surface d'un terrain de football toutes les quatre minutes.

Les progrès techniques remarquables et le recours à des moyens de plus en plus élaborés permettent une datation très proche de la réalité. Cette rapidité technologique, le plus souvent, dépasse la réflexion législative et encore plus la réglementation administrative. Par exemple, entre la loi du 1er août 2003 sur l'archéologie préventive et le décret d'application qui la concerne, un an s'est écoulé. Comment, dans ces conditions, anticiper et même préparer des programmes d'investissement essentiels au développement local ?

Si l'on a mis fin au monopole de l'Institut national de recherches archéologiques préventives et permis l'agrément de plusieurs services archéologiques de collectivités, il n'en demeure pas moins que les communes ou les communautés de communes, notamment les plus rurales d'entre elles, se trouvent contraintes de recourir à des entreprises privées particulièrement éloignées et, le plus souvent, peu ou pas intéressées par ce type d'études.

À ces difficultés s'ajoutent les complexités administratives permanentes, mais aussi des délais d'attente et de réponse insupportables. Dans certaines communes, il a fallu attendre près d'un an pour obtenir les réponses de la DRAC et de la DDE : c'est beaucoup trop long !

De plus, comment concilier archéologie et économie ? La question se pose d'autant plus que l'archéologie impose des délais incontournables, incompressibles, alors que, malheureusement, la vie économique nécessite des réponses rapides et immédiates pour soutenir des projets de développement.

Le temps de l'économie et le temps de l'archéologie sont totalement différents ; je dirai même qu'ils ne font pas bon ménage.

C'est pourquoi il convient d'appliquer la loi non pas de façon stricte et uniformément contraignante, mais au contraire avec une plus grande souplesse dans certaines parties de notre territoire où la dimension archéologique n'est pas la même qu'au coeur de sites exceptionnels et prestigieux.

Nos territoires, pas plus d'ailleurs que notre patrimoine, ne peuvent souffrir l'opacité et les longueurs ; ils ont besoin d'une plus grande cohérence, notamment dans la réalisation de leurs projets. L'archéologie ne doit pas être le frein de l'évolution économique, tout comme l'économie ne doit pas être l'ensevelissement d'une partie de notre histoire.

C'est cette problématique particulière qui guide aujourd'hui notre réflexion et à laquelle nous devons apporter des réponses. En effet, nos services sont confrontés à ces deux problèmes majeurs : d'une part, la gestion des procédures d'instruction des dossiers et, d'autre part, le recouvrement des redevances qui sont dues au titre du diagnostic et des fouilles.

Ces difficultés se doublent d'une autre problématique : celle du budget de l'INRAP, et ce d'autant que la pleine mise en oeuvre de la LOLF nous oblige à un contrôle approfondi du fonctionnement et du travail de cette structure. Il n'empêche, la crise financière est toujours là et des solutions doivent impérativement y être apportées.

On peut agir sur les recettes, soit par un relèvement des taux, soit par un élargissement de l'assiette. La création d'un mécanisme d'assurance a aussi été envisagée, mais ce dispositif me semble peu opportun et difficilement opérationnel.

De la même façon, la simplification des procédures est nécessaire et, à cet effet, nous pourrions nous inspirer de l'exemple anglais. Mais des mesures marginales ne permettront pas de résoudre tous les problèmes.

En tout état de cause, les solutions que nous devons apporter doivent être ambitieuses et se situer à la hauteur des enjeux. La sauvegarde de notre patrimoine et la préservation des intérêts économiques des territoires me semblent à ce prix. La décentralisation fonctionnelle, évoquée par M. le rapporteur spécial, m'apparaît comme une piste judicieuse, tout comme la nécessité d'un contrôle plus important sur la gestion des ressources humaines de l'INRAP. À cet égard, nous ne pouvons que saluer la qualité de ses agents.

Cependant, comme M. Yann Gaillard, j'estime que la mise en place d'une véritable et ambitieuse politique de l'archéologie est nécessaire. En particulier, il importe de repenser l'organisation fonctionnelle de l'archéologie française, mais aussi d'envisager une nouvelle forme de programmation des fouilles. Dans ce cadre, il s'agirait en effet d'instaurer une programmation des fouilles en fonction de leur pertinence, de leur intérêt scientifique et de la nature des travaux prévus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a dit notre collègue Yann Gaillard, expert sur le sujet, nous voilà donc réunis de nouveau, comme annoncé, pour débattre de l'archéologie préventive. Je vous épargne la relecture des interventions que j'ai faites en 2003 sur le sujet, mais je pourrais tenir les mêmes propos aujourd'hui.

Les difficultés financières prévues ont malheureusement pris des proportions beaucoup plus grandes qu'on ne pouvait le craindre.

Le contexte est devenu si brouillé et difficile à décrypter que j'admire l'administration d'avoir pu élaborer un rapport aussi complet. Vous n'y êtes pour rien, mes chers collègues, mais la complexité du système qui a été inventé est telle qu'il est difficile de s'y retrouver dans les chiffres et qu'il faut s'y reprendre à plusieurs reprises, muni de sa calculette, pour savoir ce qu'il y a à additionner, à soustraire, et articuler les résultats dans la durée.

Cela me rappelle la discussion que nous avons eue dans cette enceinte sur le secteur sauvegardé et la position du Conseil constitutionnel, qui, au nom de l'intérêt général, avait censuré des dispositifs pourtant limpides en comparaison de celui qu'on est en train de confectionner.

Comment allons-nous expliquer à nos concitoyens le système que nous avons mis en place si nous éprouvons nous-mêmes des difficultés à le comprendre ?

Monsieur le rapporteur spécial, vous nous déconseillez de modifier la législation au motif qu'elle est déjà trop compliquée. Je veux bien vous suivre à cet égard, mais je ne m'engagerais pas par une promesse définitive, car il n'est tout de même pas interdit de faire plus simple !

Si je peux vous rejoindre sur le fait que la mécanique de redevance de 2001 méritait incontestablement d'être revue, car elle était inadéquate et injuste, je maintiens les réserves que j'avais formulées à l'époque sur le dispositif général, qui a placé l'INRAP dans une situation où il ne prescrit pas et ne recouvre pas, mais se trouve soumis à la pression constante du terrain pour faire toujours plus vite.

Vous nous promettez que l'ouverture des fouilles à la concurrence permettra d'alléger la charge de l'INRAP et, ainsi, de favoriser le développement de son activité. Y croyez-vous vraiment ? Pour ma part, là encore, j'ai consulté les chiffres et je peux vous dire qu'ils sont dérisoires !

En revanche, la création de services d'archéologie dans les départements et les grandes collectivités est une chose positive. Cela étant, je ne me fais pas trop d'illusions sur ce point, car c'est un projet qui coûte très cher et, compte tenu des contraintes financières qui pèsent sur les budgets des départements et des collectivités locales, je doute que l'on voie exploser partout de grands services archéologiques dans les prochaines années. En tout cas, j'aimerais qu'il en soit ainsi, car je ne suis aucunement choqué, bien au contraire, par une montée en puissance des collectivités.

Quoi qu'il en soit, la concurrence est quasiment nulle dans notre région, monsieur le ministre. Je vous signale d'ailleurs que la mise en concurrence impose la constitution de dossiers d'appel d'offres, ainsi que l'établissement de cahiers des charges, et par des personnels compétents. L'INRAP ne peut pas s'en charger puisqu'il ne peut être à la fois juge et partie. Or les aménageurs que j'ai rencontrés refusent de se tourner vers le secteur privé, préférant s'adresser à l'INRAP. On tourne en rond !

Mais le problème fondamental reste la longueur des délais. Plus vous lancez des appels d'offres avec des procédures longues, plus vous allongez les délais. Cela relève non pas de l'idéologie, mais du bon sens ! En réalité, il n'existe pratiquement pas de bureau privé compétent. Dans ces conditions, il est difficile d'établir un cahier des charges pour lancer la concurrence, d'autant que des diagnostics doivent être effectués au préalable.

J'en reviens à la question du financement. Derrière les chiffres - mais je reste modeste, car je ne suis pas sûr d'avoir tout compris ! -, il reste que le déficit est chronique. Une légère amélioration se dessine certes, mais on est parti de si bas ! Un véritable redressement exige d'atteindre un certain niveau de ressources : les montants de 80 millions ou 70 millions d'euros ont été cités. Ils pourraient tomber à 50 millions d'euros, à condition de mettre en oeuvre une politique drastique de réduction de la commande, mais ce n'est pas ce que vous préconisez.

Vous avez raison d'évoquer une politique scientifique, mais celle-ci suppose un investissement lourd en matière de cartographie et de définition de la stratégie. Si l'effort est consenti, une telle politique permettra éventuellement d'arrêter une programmation plus rationnelle, mettant en avant les priorités, et d'apaiser ainsi la tension que nous subissons.

En fait, nous travaillons le nez dans le guidon, sous la pression de tout le monde. Il nous faut sortir de la situation très désagréable dans laquelle nous nous trouvons tous, vous, nous-mêmes, les élus, les archéologues.

Et cela n'arrangera rien de chercher à se rassurer en soulignant les éléments positifs. Sans vouloir m'appesantir sur la question patrimoine, pour ne pas être méchant, je dirai simplement que l'on a cru pendant longtemps que la situation des crédits du patrimoine allait s'arranger. En fait, elle n'a cessé de se dégrader. (M. le ministre fait la moue.) Par conséquent, il ne suffit pas de croire que, si nous avons tous la volonté d'améliorer le système, nous en sortirons un jour. Rien n'est moins sûr !

Il importe, à mes yeux, d'expertiser honnêtement le déficit chronique du système actuel. Il est financé sur les lignes budgétaires du ministère de la culture, que je défends, monsieur le ministre - et je ne pense pas qu'un seul de nos collègues dans cet hémicycle ne songe à autre chose qu'à le défendre. Or, comme vous n'avez pas été bien traité en termes de crédits du patrimoine, ces derniers ne vous permettent pas de financer le déficit de l'INRAP. Certains ont même préconisé de la financer par un prélèvement sur le revenu des privatisations des autoroutes !

Dans la situation actuelle, je pense que nous nous grandirions à nous dire la vérité telle qu'elle est, afin de définir une vision à cinq ans, au minimum, des équilibres potentiels. Il faut nous inscrire dans une lisibilité et une visibilité dont tout le monde parle, mais qui n'existe pas. J'ai le sentiment que, à l'heure actuelle, nous sommes dans une opacité totale.

Cette incertitude est lassante et source de tensions pour les archéologues et tous ceux qui interviennent dans ce domaine, alors même qu'un hommage unanime est rendu à leur travail.

Dès lors, la politique scientifique de l'archéologie soulève une question essentielle : quel est le bon niveau d'investissement en matière de diagnostic et de fouilles en France ? Sachant que ces opérations supposent un investissement préalable substantiel et, ensuite, un régime de croisière, quelles sont les recettes qui permettront d'équilibrer les comptes ? Quelles techniques utiliser ?

Si l'on conserve les deux systèmes en place, monsieur le rapporteur spécial - ce que, personnellement, je regretterais car, je l'ai dit, j'aurais préféré un dispositif plus simple -, jouons alors sur les taux, soit celui de la taxe locale d'équipement, soit celui de la taxe sur le foncier non bâti, et procédons à un recrutement adapté. Cela me désole, en effet, de voir les DRAC consacrer autant de temps au recouvrement, alors qu'elles ont mieux à faire.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. Ce ne sont pas elles qui s'en occupent !

M. Yves Dauge. Transformer en agents de recouvrement des personnels recrutés pour mettre en oeuvre une politique culturelle, c'est quand même un peu décevant !

Cela étant, monsieur le rapporteur spécial, je prends acte des propos que vous avez tenus. Vous avez indiqué que le taux de la redevance d'archéologie préventive pourrait passer de 0,3 % à 0,5 % de la TLE et de 0,32 à 0,33 ou 0,34 euro le mètre carré. Je n'y suis pas opposé, mais je doute que cela suffise à rétablir l'équilibre des comptes.

Il me paraît essentiel d'aller chercher l'argent là où il se trouve, sinon, ce sont les lignes budgétaires du ministère de la culture qui devront supporter le déficit.

Par ailleurs, s'agissant des exonérations de la RAP, il est choquant de constater que notre région, monsieur le ministre, compte 500 lotissements privés exonérés. Et c'est le ministère de la culture qui les finance, avec les crédits du patrimoine. Or les promoteurs concernés ont les reins solides et pourraient très bien participer au paiement de la redevance, ce qui serait la moindre des choses. Supprimons donc les exonérations illégitimes !

Je sais que vous avez évoqué cette question des exonérations, monsieur le ministre, car les lotisseurs ont demandé à votre collègue du ministère de l'équipement d'exonérer les lotissements pour ne pas ralentir leur construction, en arguant du développement spectaculaire de leur activité.

Mais il faut voir aussi quels sont les désastres engendrés par une politique de lotissements tous azimuts dans les périphéries urbaines, où l'on consomme l'espace naturel de manière aberrante !

La suppression de ces exonérations permettrait de gagner sur deux plans : non seulement en maîtrisant mieux la construction des lotissements dans le cadre des politiques urbaines, mais aussi en les assujettissant à la redevance.

Bien entendu, il s'agit là d'une solution que je suggère dans l'urgence, pour essayer de trouver des sources de financement permettant de tendre vers l'équilibre financier.

J'ai vu les déficits s'accumuler au cours des différents exercices. Il y a donc des dettes qu'il faudra rembourser. En 2006, une amélioration peut être notée, car l'INRAP va pouvoir récupérer certains fonds. En revanche, si aucune mesure n'est adoptée, 2007 sera l'année du grand déficit et du grand rendez-vous. Or le projet de budget pour 2007 est déjà en cours d'élaboration.

Je pense que ce sujet ne soulève pas entre nous de vaine polémique. Il s'agit d'une belle cause, à laquelle chacun d'entre nous croit. Je souhaite simplement que l'administration et le Parlement continuent à travailler. Un certain nombre de personnes dans notre assemblée connaissent très bien ce dossier. Point n'est besoin, pour l'instant, d'élaborer une nouvelle loi. Il convient seulement de retrouver l'équilibre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Jacques Legendre applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, comme vient de le dire M. Dauge, il n'existe aucune polémique entre nous. Les uns et les autres, nous exprimons notre vision, notre sentiment concernant l'archéologie préventive en fonction de notre connaissance du terrain. Nos propos seront probablement assez proches. La prise en considération de ces différents éléments permettra peut-être de dégager une doctrine un peu générale.

Pour ce qui me concerne, monsieur le ministre, je vais profiter de ma présence à cette tribune pour formuler un certain nombre de remarques dont je veux vous faire part depuis déjà longtemps. Il s'agit de vous exprimer la manière dont je ressens le quotidien sur le terrain.

Notre passé est sous nos pieds et nous n'en connaissons qu'une infime parcelle. L'archéologie n'a pas de prix, comme le disait voilà quelques instants Ivan Renar.

Les uns et les autres, nous pouvons énoncer de multiples formules afin de louer et de vanter les bienfaits de l'archéologie. L'avantage d'une telle démarche est qu'elle fait plaisir, mais elle présente l'inconvénient de ne faire nullement avancer un dossier qui agace parfois, qui inquiète souvent et qui peut perturber l'économie.

Personne dans cet hémicycle n'oserait dire que l'archéologie préventive n'a pas de raison d'être, qu'elle est superflue. Nous pensons tous le contraire. Elle est utile et présente un intérêt majeur. Par conséquent, l'INRAP est également utile.

Ce préalable étant posé, il faut regarder la réalité en face et ne pas occulter les difficultés ni les conséquences d'un système inadapté.

Monsieur le ministre, mon sentiment est probablement partagé par de nombreux élus locaux, de nombreuses entreprises et beaucoup d'autres acteurs. Devant faire face à la réalisation d'une autoroute, de zones d'activité, de déviations et de collèges, je ne peux vivre le quotidien de l'archéologie sans en retirer un certain « ressenti », dont je tiens à vous faire part. Ne disposant que de quelques minutes, j'irai directement à l'essentiel. C'est pourquoi mon propos pourra peut-être vous donner l'impression d'être quelque peu critique.

La connaissance du passé est une bonne chose, mais il ne faut pas qu'elle pénalise l'avenir. Or telle est encore trop souvent la situation. Aujourd'hui, nous avons l'occasion de poser à nouveau le problème et, si nous ne le traitons pas, bientôt, il sera trop tard.

Heureusement, ce dossier n'est pas médiatique, sinon nous ne saurions expliquer que certaines aides soient refusées à des personnes confrontées à des difficultés d'emploi par manque de moyens collectifs alors qu'à leur porte, 1 million ou 2 millions d'euros peuvent être consacrés à une fouille dont on sait qu'elle ne révolutionnera pas la connaissance. Je pourrais vous citer des exemples.

Tous mes collègues présents dans cet hémicycle ont certainement lu avec passion les deux tomes du rapport du ministère de la culture du mois de février 2006 remis au Parlement sur la loi du 17 janvier 2001. Le premier tome comporte 97 pages et le second, 448.

Intellectuellement, ces documents sont forcément de très grande qualité. Nous y trouvons des mots et des expressions qui font rêver, ainsi qu'une présentation de quelques découvertes remarquables. Mais ils ne contiennent aucune véritable remise en cause. Y sont seulement énoncés des regrets relatifs aux retards de recouvrement de recettes, regrets aussitôt tempérés par la démonstration que, finalement, la situation s'améliore. C'est vrai, mais les efforts dans ce sens sont insuffisants. Comme vient de le dire M. Dauge, nous verrons ce qu'il en sera en 2007.

Après la lecture assidue des 545 pages de ce rapport, je ne perçois pas un grand mouvement vers la réforme, alors que cette dernière est nécessaire.

Dans le second tome, qui passe en revue les résultats régionaux significatifs de ces dernières années, j'ai eu la faiblesse de lire la partie consacrée à la région Centre, plus particulièrement au Loiret. Sachant que j'ai participé au règlement de plusieurs millions d'euros, je pensais avec innocence en avoir pour mon argent... (Sourires.) Quelle ne fut pas ma déception ! Le Loiret n'a rien de remarquable...

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. C'est l'Indre-et-Loire qui est remarquable ! (Nouveaux sourires.)

M. Éric Doligé. Tout juste est-il indiqué que l'on a eu confirmation d'éléments que l'on connaissait déjà et de la présence d'occupations rurales anciennes.

Chacun sait que la France a été habitée au cours des millénaires par plus d'un milliard d'individus, ce qui peut laisser supposer qu'il est possible de trouver des traces de leur présence à chaque fois que le sous-sol de notre pays est exploré.

Si la lecture des deux tomes peut laisser penser que tout va globalement bien, je ne peux cependant oublier d'autres publications extérieures. Un récent rapport ayant pour objet d'auditer la gestion et le fonctionnement de l'INRAP et d'examiner le rendement de la redevance pointe de nombreux dysfonctionnements. En tiendrez-vous compte, monsieur le ministre ?

Les collectivités et les entreprises dénoncent de plus en plus le caractère inacceptable des coûts, des délais, de l'arbitraire, du manque d'information.

Par ailleurs, le personnel de l'INRAP ne paraît pas être très satisfait de sa situation. Comment voulez-vous être serein quand vous évoluez dans un système sans perspective claire ?

Point n'est besoin de lire entre les lignes le rapport de la Cour des comptes pour comprendre que le système est plus que perfectible.

L'excellent rapport de notre collègue Yann Gaillard comporte des chapitres à l'énoncé évocateur. Notons « le déficit chronique de l'INRAP, et la dérive relative du recrutement », « des "solutions" séduisantes mais illusoires », « des perspectives incertaines » ou encore « pour une politique de programmation de l'archéologie préventive ».

Monsieur le ministre, ce rapport qui a été remis voilà déjà un an, ce qui, je le reconnais, est bien peu à l'échelle du temps de l'archéologie, du paléolithique, du néolithique, etc., a-t-il suscité des interrogations ?

Pour ma part, lorsque je lis tous ces documents fort argumentés, je n'ai pas le sentiment qu'ils aient influé sur la vie quotidienne de l'archéologie.

Malgré mon expérience très réduite, mais en raison des euros qui ont été apportés par les collectivités et entreprises du département, ainsi que du temps passé à étudier des solutions pour limiter les conséquences économiques, je me permets de formuler quelques remarques et même quelques propositions.

Je ferai référence à la région Centre. Étant donné que vous la connaissez, comme certains de mes collègues, monsieur le ministre, vous aurez certainement en mémoire certains de ces exemples.

Tout d'abord, les prescriptions de diagnostics archéologiques signées dans cette région par le directeur régional des affaires culturelles, par délégation du préfet de région, se heurtent depuis un bon semestre environ à de réelles difficultés d'exécution.

L'INRAP, qui dispose d'une sorte de monopole, étant seulement en concurrence avec les structures dépendant des collectivités territoriales là où ces dernières ont pu être créées, n'a plus les capacités financière et humaine de remplir sa mission.

Selon les calculs des responsables locaux de l'INRAP, les prescriptions de diagnostics en région Centre, qui sont établies à partir des frais de fonctionnement des chantiers, auraient augmenté de près de 125 % sur dix-huit mois et de 365 % si sont prises en compte les procédures de l'autoroute A 19. Dès lors, se pose un inextricable problème pour les aménageurs et pour l'administration, aboutissant à de sérieuses difficultés pour le développement économique de ce territoire. Les lignes suivantes, reprenant la législation et la réglementation qui l'accompagne, esquissent de possibles solutions.

Tout d'abord, pour ce qui concerne la saisine en matière d'archéologie préventive, l'administration saisie d'une demande provenant d'un aménageur dispose d'un délai d'un mois, porté à deux mois dans le cas d'un dossier soumis à étude d'impact, pour édicter, le cas échéant, une prescription de diagnostic. En l'absence de décision dans les délais, l'État est réputé y avoir renoncé.

Il s'agit bien d'une possibilité mais, dans la région Centre, elle prend un caractère systématique, ce qui aboutit mécaniquement aux difficultés actuelles. Il serait donc intéressant qu'en la matière la loi puisse mieux encadrer la saisine en demandant à l'administration de se référer, par exemple, à une politique préalable de fouilles arrêtée par le préfet de région, sur proposition de la commission interrégionale de la recherche archéologique.

À cet égard, est-il indispensable pour la recherche et la connaissance scientifiques de fouiller toutes les anciennes fermes gauloises de la grande plaine de Beauce ?

La motivation du diagnostic est prise, quant à elle, au nom du préfet de région, par le directeur régional des affaires culturelles du Centre, sur proposition du service régional de l'archéologie, le SRA. Elle ne réclame pas de motivation particulière autre que la motivation générale et propre aux décisions administratives ordinaires. Elle n'impose pas non plus d'explications précises à caractère technique et scientifique.

Dans la région Centre, la prescription est quasiment automatique à partir d'une certaine superficie, en l'occurrence 2,5 hectares, que l'état des informations scientifiques disponibles porte ou non à soupçonner la présence de vestiges, alors que la carte archéologique est assez pauvre chez nous.

Par ailleurs, la prescription de diagnostic n'est assortie d'aucun délai de réalisation s'imposant à l'opérateur public ou à un opérateur dépendant d'une collectivité locale, et cela pour une raison très simple : un aménageur peut à tout moment renoncer à son projet et la durée d'un chantier est aussi fonction de son étendue. Dans l'hypothèse où l'absence de commencement d'exécution de la prescription serait imputable à l'opérateur public du fait de ses engagements et de sa charge de travail, le SRA peut proposer au préfet de région la fixation de délais de réalisation à l'INRAP.

Aujourd'hui, dans la région Centre, du fait de l'augmentation du nombre de diagnostics au cours des deux dernières années, le système est engorgé, d'autant que l'INRAP refuse, à juste titre, de signer des conventions que son budget ne lui permet pas d'honorer.

Dès lors, quelques modifications pourraient transformer le cadre législatif afin de prononcer plus rapidement la caducité de la prescription de diagnostic. Pourrait être fixé un délai automatique d'intervention à partir de la demande d'un aménageur sollicitant un opérateur public.

Mais le préfet a toute liberté pour prescrire une date de démarrage de chantier de diagnostic et pour en repousser le commencement de plusieurs mois. La fixation des délais d'intervention serait comptabilisée dans ce cas à partir de la saisine. Cette hypothèse éviterait un examen administratif par le SRA, au cas par cas, de tous les dossiers en souffrance, faute pour I'INRAP de pouvoir aujourd'hui les assurer.

J'en viens maintenant à la procédure administrative postérieure au travail de diagnostic archéologique.

La législation ne fixe aucune durée au chantier de diagnostic archéologique. Il s'agit là d'une affaire concernant l'aménageur et l'opérateur public, les deux étant liés sur ce point par un engagement contractuel. Il en va autrement à l'issue du chantier, tous les délais encadrant les décisions administratives étant comptabilisés à partir de la date de remise des rapports par les responsables de diagnostic. L'administration dispose à partir de ce moment-là d'un délai de trois mois pour prendre la décision d'effectuer des fouilles.

Les difficultés de l'INRAP, conjuguées dans la région Centre aux exigences particulièrement pointilleuses du SRA, ont conduit à une certaine dérive en matière de délais. En effet, quelques rapports jugés insuffisants d'un point de vue scientifique, ayant été estimés sommaires ou évasifs par leurs censeurs, furent retournés à leurs auteurs pour compléments et précisions. Dès lors, lorsque l'administration n'a pas considéré le document comme recevable, l'aménageur, faute d'alternative, demeure suspendu à la seule décision du SRA et à la diligence du responsable du rapport, condamné à reprendre son travail. Sur ce point, il serait intéressant d'apporter quelques changements à la législation.

Ainsi, l'administration devrait être tenue de se prononcer dans un délai de trois mois à partir de la date de libération des terrains par l'opérateur et non plus de celle de la remise des rapports, comme aujourd'hui. Dans ce délai, l'administration prendrait les décisions qui lui reviennent soit sur le fondement d'un rapport, soit à partir de fiches techniques que les responsables de chantier viendraient présenter devant la CIRA.

Enfin, à l'issue de ce délai de trois mois, pour un projet donné, la contrainte archéologique serait automatiquement levée pour les superficies non touchées par une prescription de fouille, sans qu'il soit nécessaire de prendre une décision administrative particulière.

Les difficultés budgétaires de l'INRAP, quant à elles, ont été largement évoquées par les orateurs précédents. Je ne m'y attarderai donc pas. Cependant, je souhaite citer quelques exemples d'opérations locales précises.

Dans un cas de figure, il a été indiqué aux acteurs locaux que la présence humaine de l'époque mérovingienne, attestée par des restes de constructions et divers objets, nécessiterait des fouilles approfondies. En l'espèce, en fonction du cahier des charges qui sera imposé par le SRA, le coût des fouilles pourrait peser particulièrement sur l'équilibre financier de l'opération. Mes chers collègues, je ne vous donnerai pas de plus amples détails. En tout cas, lorsque l'on fait le bilan d'une telle opération et que l'on prend en considération le coût potentiel des fouilles archéologiques, on peut s'interroger sur son utilité...

Tout à l'heure l'un de nos collègues se demandait si l'on pourrait porter de 32 centimes d'euro à 50 centimes d'euro par mètre carré le taux de la redevance d'archéologie préventive. Mais sait-on que certaines terres de la Beauce se vendent à 60 centimes d'euro le mètre carré, valeur estimée par les domaines ? Ainsi, après avoir versé 60 centimes d'euro par mètre carré lors de la vente, l'intervenant devrait payer 50 centimes pour le diagnostic et une somme supplémentaire pour les fouilles. Le propriétaire a quelque mal à comprendre que la valeur de son terrain soit âprement négociée à un centime d'euro près alors qu'on est prêt à consacrer à l'archéologie des sommes qui peuvent être deux, trois ou quatre fois supérieures au prix du terrain. Il conviendrait d'étudier cet aspect avec attention.

Monsieur le ministre, il nous faut aujourd'hui préparer l'avenir. Le sauvetage de l'INRAP passe par une politique de remise en cause de l'établissement tel qu'il est et qui ne répond aux attentes ni des archéologues, ni des aménageurs, ni de la tutelle.

Seule une veille économique permanente peut permettre une rationalisation des projets et la planification de l'activité. Il n'est que temps de mettre en oeuvre, par-delà les querelles partisanes, un projet d'établissement motivant tous les personnels pour construire un concept archéologique acceptable par tous les acteurs.

Il est nécessaire de mener en parallèle une réforme fondamentale, consistant à regrouper un certain nombre de services de l'État intéressés par le sujet. Il est indispensable d'associer les collectivités territoriales à ce dispositif nouveau et de développer le partenariat local.

Le client, souvent la collectivité, voire l'industriel, ne connaît pas, aujourd'hui, la réalité de son investissement en matière archéologique. Il faut simplifier les procédures d'instruction par l'intégration des diagnostics, des évaluations et des fouilles.

Il est essentiel de mutualiser le financement, pour assurer une assiette permettant la pérennisation du dispositif de financement, et de développer le mécénat, en vue d'une meilleure valorisation scientifique.

Un comité de pilotage de cette évolution doit être organisé et présidé par un élu assisté d'aménageurs, de scientifiques et de gestionnaires.

Le nouveau dispositif opérationnel pourrait être bâti sur le schéma suivant : mise en place d'une structure souple fondée sur le projet archéologique le plus proche du terrain pour la partie scientifique et opérationnelle ; regroupement des projets dans des agences de moyens assurant la gestion du partenariat et de la sous-traitance ; création d'un certain nombre de centres scientifiques et techniques fonctionnant en réseau et regroupant les compétences scientifiques, ainsi que d'une structure nationale assurant la cohérence scientifique du tout, la gestion regroupée garantissant les moyens de mise en oeuvre du dispositif et le contrôlant , enfin, dans un second temps, regroupement de tous les services de l'État concernés, ce qui permettrait de redéployer des compétences vers les projets scientifiques.

L'analyse que quelques collègues et moi avons faite montre que des économies de fonctionnement pourraient être réalisées grâce à ce dispositif.

Monsieur le ministre, nous nous accordons, les uns et les autres, à reconnaître la qualité des archéologues ainsi que la nécessité de travailler pour mieux connaître notre passé et, peut-être, mieux comprendre comment les choses se sont organisées sur notre territoire. À cet égard, le département du Loiret, que je représente ici, n'est pas en reste puisqu'il contribue pour un montant non négligeable, à côté de l'État, au financement, notamment, d'un film documentaire valorisant les fouilles archéologiques liées au chantier de l'autoroute A19, L'Autoroute à remonter le temps : cela prouve bien tout l'intérêt que nous portons à ce sujet.

Il reste que la situation actuelle appelle des révisions. Il n'est pas possible de présenter l'emploi comme une priorité et, chaque fois qu'un projet d'investissement est mis au point, nous laisser confrontés à des délais et à des coûts qui se révèlent incompatibles avec cette priorité, comme l'a dit tout à l'heure l'un de nos collègues.

Il faut donc rapprocher la réalité de l'archéologie et celle du terrain afin de trouver une solution intermédiaire qui soit satisfaisante.

En conclusion, je vous ferai une sorte de clin d'oeil, monsieur le ministre, en vous disant qu'il ne faut pas charger l'archéologie de tous les maux et prétendre qu'elle ralentirait à elle seule le développement économique. J'en veux pour preuve cette anecdote récente : sur une zone d'activité, à Gien, des fouilles archéologiques intéressantes étaient conduites, qui ont été stoppées par la DIREN parce que des traces de batraciens ont été découvertes ! Elles ne seront relancées qu'une fois les batraciens retrouvés. (Sourires.) L'archéologie n'est donc pas toujours le seul frein au développement économique !

Il faut que tous les acteurs concernés se réunissent et réfléchissent de façon constructive et non plus désordonnée aux projets scientifiques, à l'opportunité de mener ou non des fouilles, au diagnostic.

Monsieur le ministre, pour finir sur une note positive - j'ai, certes, formulé quelques critiques, mais aussi des propositions, dont j'espère que certaines auront retenu votre attention -, je dois vous dire que la qualité des hommes qui oeuvrent sur le terrain et celle des représentants de l'État permettent de faire avancer les choses et de compenser les quelques imperfections de la loi ainsi que les quelques difficultés de financement et d'organisation dont souffre l'INRAP. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, encore un débat sur l'archéologie ! Je pense qu'il nous faut nous en réjouir : pendant trop longtemps, en effet, pendant des dizaines d'années, il n'avait pas été question d'archéologie au Parlement. Il faut reconnaître que, depuis 2001, le rythme des débats s'est singulièrement accéléré.

Il faut sans doute y voir non seulement une preuve de l'intérêt que les pouvoirs publics, le Parlement et les Français portent à l'archéologie, c'est-à-dire à la connaissance de notre passé et de ce qui est inscrit dans le sous-sol, de notre volonté de traiter sérieusement la préservation d'une source historique essentielle, mais aussi le signe de la conscience que cela ne va pas tout seul et qu'il faut arbitrer entre l'aspiration à la connaissance et les nécessités de la vie et de la préparation du futur.

Je tiens, à l'occasion de ce débat, à formuler tout d'abord un souhait : celui que nous ne commettions pas une erreur de perspective.

Nous parlons parfois de l'archéologie, parfois de l'INRAP. L'INRAP est un instrument au service de l'archéologie. Il ne faut pas confondre une politique globale et un instrument très important au service de cette politique.

L'erreur de la loi de 2001 était de vouloir instaurer, en France, un monopole dans le domaine de l'archéologie préventive. C'était en particulier une erreur s'agissant du recrutement. J'ai entendu, tout à l'heure, mon collègue M. Ivan Renar s'inquiéter du recrutement. Il faut en effet que, chaque année, des jeunes motivés puissent entrer dans la profession d'archéologue. Où sont-ils formés ? Essentiellement au sein des universités. L'instauration d'un monopole suppose évidemment, à un moment donné, un recrutement massif, suivi ensuite, chaque année suivante, de recrutements à la marge, alors que le nombre des étudiants en archéologie dans les universités, lui, n'est pas limité. Il s'ensuit donc une pression terrible et, du fait de ce monopole, il ne peut être répondu à toutes les demandes d'intégration au sein de celui-ci, aussi justifiées soient-elles.

Rien que pour cette raison, instaurer un monopole était dangereux.

L'idée du Parlement, en 2003, fut de mettre en place, à côté de cet instrument para-étatique qu'est en fin de comte l'INRAP, des services archéologiques relevant des collectivités territoriales, voire d'organismes privés.

Il est inutile de rouvrir le débat qui avait eu lieu entre nous voilà deux ou trois ans sur ce dernier point. En effet, dans le domaine de l'archéologie, les organismes privés ne se sont pas multipliés et la crainte de voir l'appétit de lucre se répandre dans le domaine de l'archéologie s'est finalement révélée vaine.

Ce que je regrette, c'est que les collectivités territoriales n'aient pas été plus nombreuses à se doter de services archéologiques. Nous ne serions pas confrontés aux difficultés actuelles si les organismes de ce type étaient plus nombreux. L'on en compte, paraît-il, cinquante-quatre, une quarantaine étant financée par des collectivités territoriales. C'est peu, monsieur le ministre !

Si j'ai un regret à formuler et, peut-être, un petit reproche à faire, je dirai que les collectivités territoriales n'ont pas été suffisamment incitées à se doter de services archéologiques, si bien que nous sommes encore à une étape intermédiaire entre la loi de 2001 et celle de 2003.

Nous avons mis officiellement un terme au monopole par la loi, mais, dans la pratique, un seul organisme se charge du diagnostic et reçoit l'essentiel des commandes en matière de fouilles parce qu'il est le seul réellement apte à pouvoir intervenir.

Nous demandons à l'INRAP de répondre rapidement tout en n'augmentant plus ses moyens, parce qu'il serait effectivement dangereux de les accroître de manière inconsidérée, et nous le mettons de ce fait dans une situation extrêmement difficile.

Il est urgent que nous franchissions enfin cette étape intermédiaire. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous ayez la volonté de rencontrer les représentants des collectivités territoriales, des régions, des départements et des grandes agglomérations pour que, sur l'ensemble de notre territoire, un nombre important d'organismes ayant toutes les compétences requises soient capables d'agir dans le domaine archéologique.

Il y a urgence. Si nous restons encore quelque temps dans cette situation, il ne faudra pas nous étonner que les plaintes continuent à pleuvoir, en particulier celles des investisseurs.

J'ai découvert, monsieur le ministre, en arrivant en séance, l'existence d'un rapport sur ce sujet au Parlement. J'ignore pourquoi je ne l'avais pas reçu et n'avais même pas été informé de son existence : c'est un peu déplaisant pour celui qui, en 2003, fut ici même rapporteur du projet de loi relatif à l'archéologie préventive et se fait un devoir d'exercer le droit de suite qui est celui de tout rapporteur d'un texte de loi au Parlement.

J'ai eu néanmoins la joie, monsieur le ministre, en feuilletant ce rapport, de voir que ma région et mon département du Nord étaient mentionnés pour des fouilles qui ont eu lieu dans la communauté d'agglomération dont je suis le président : j'y lis avec intérêt que la connaissance de la période du Haut Moyen Âge a progressé grâce à ces fouilles.

Cependant, cela rappelle à l'investisseur que je suis aussi par ailleurs que, à côté de ma satisfaction de découvrir les traces d'un habitat carolingien, dont attestent la présence de métiers à tisser et celle de dix-sept tombes d'enfants enterrés à cette époque, dont les squelettes ont été retrouvés en bon état de conservation, il est un autre aspect dont il me faut parler ici, car il m'a rendu extrêmement nerveux tout l'été et tout l'automne de l'année passée.

Votre serviteur et les élus de ma région ont, en effet, craint de voir une entreprise textile française prestigieuse, fleuron de la confection de linge de table et membre du Comité Colbert - ce qui n'est pas rien, dans notre pays ! - revendue à un financier américain qui avait la tentation de transférer cette très ancienne usine aux États-Unis, en Chine ou en Europe centrale, en tout cas hors de notre sol.

Cette délocalisation eût été à tous points de vue une perte ; soixante-cinq emplois auraient été supprimés. Il nous appartenait donc de convaincre cet investisseur de sauver les emplois menacés ; nous pouvions espérer le voir en créer trente-cinq de plus et, peut-être, construire une usine neuve, chose fort rare, de nos jours, dans le secteur du textile en France.

Pour mener notre projet à bien, il nous fallait proposer un terrain et respecter des délais extrêmement courts : un investisseur arrivant de New York ne comprend pas qu'en France, en un an, il ne soit pas possible de construire une usine et de la rendre opérationnelle !

Nous avons relevé ce défi. Le seul terrain dont disposait mon agglomération était celui où il y avait eu prescription de diagnostic, lequel a révélé qu'il fallait faire des fouilles, à cause de cette trace de poteaux carolingiens. Il a fallu beaucoup d'efforts financiers et la bonne compréhension de l'INRAP - je tiens à le saluer, car nous avons finalement réussi à régler le problème - pour parvenir à sauver soixante-cinq emplois, à en créer une trentaine d'autres et à voir l'usine s'achever. Mais après quelles inquiétudes, monsieur le ministre !

Il faut savoir que, dans la concurrence entre territoires, qu'il s'agisse d'une concurrence interne à la France ou d'une concurrence avec l'étranger, les prescriptions de fouilles archéologiques et l'allongement des délais qui en résulte peuvent jouer un rôle tout à fait important.

C'est bien pourquoi nous serait extrêmement précieuse une carte indiquant quels sont les territoires soumis à imposition de diagnostic et, au-delà, le diagnostic étant fait, ceux où il y aurait éventuellement obligation de procéder à des fouilles, afin qu'on n'ait pas à découvrir qu'elles sont nécessaires au dernier moment, quand un investisseur vient exiger de se voir livrer une usine dans six ou huit mois, sous peine d'aller la construire en Chine, en Europe centrale ou ailleurs.

Car, de nos jours, les choses se passent ainsi, que cela nous plaise ou ne nous plaise pas ! À nous d'en tirer les conséquences et de faire en sorte que l'archéologie ne vienne pas, au nom d'une éventuelle connaissance du passé, se mettre en balance avec la préservation de l'avenir, des emplois et de la vie. L'archéologie n'est pas fautive, mais telle est bien la réalité des choses à laquelle se trouvent parfois confrontés les investisseurs.

Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas faire des diagnostics uniquement quand ils sont nécessaires ? À mon avis, actuellement, ils sont prescrits un peu trop systématiquement, en tout cas dans ma région, ce qui n'était pas le cas auparavant. Pourquoi ? La question mérite d'être posée.

Par ailleurs, ne pourrait-on établir des diagnostics sans utiliser le terrain immédiatement après ? En effet, actuellement, les méthodes de diagnostic sont telles, en l'occurrence des tranchées tous les cinq mètres, et leurs conséquences sont si lourdes que ce terrain ne peut plus être remis en culture ensuite. Cela explique que l'on n'ose pas anticiper sur une demande éventuelle.

Comment dire à un cultivateur qu'il ne peut plus ensemencer et doit se priver d'une récolte, au motif que dans trois, quatre ou cinq ans, on aura besoin de son terrain et qu'en attendant il faut lever la prescription archéologique ? Il y a là une difficulté.

Ne pourrait-on pas, avec les moyens actuels dont on dispose, mettre en place des approches de diagnostic ayant des effets moins lourds sur le terrain ? Je n'en sais rien. Je souhaite simplement que cet aspect du problème soit examiné.

Monsieur le ministre, l'archéologie demande souvent aux investisseurs et aux collectivités locales des efforts financiers importants. Certains les comprennent, d'autres moins. Les Français sont capables de s'intéresser à l'histoire que révèle leur sous-sol, mais en contrepartie des efforts importants qui leur sont demandés - dans l'exemple que je citais, la somme en jeu représentait 1 million d'euros pour ma collectivité : ce n'est pas rien ! -, ils attendent que les fruits des recherches soient portés à leur connaissance et que l'archéologie puisse être popularisée.

Certes, on parle plus d'archéologie qu'avant. Il convient de saluer les efforts faits en ce domaine, notamment par l'INRAP. Toutefois, les résultats des fouilles doivent être connus systématiquement et le plus rapidement possible, et les objets éventuellement montrés. La loi comporte d'ailleurs des dispositions à cet égard.

Monsieur le ministre, il a été également prévu dans la loi que nous ayons régulièrement un débat au Parlement, à l'occasion de la remise du rapport. Notre discussion n'est qu'un rapport d'étape par rapport à la mise en oeuvre de l'archéologie en France, mais je me réjouis qu'elle ait lieu aujourd'hui, tout en espérant que ce ne sera pas la dernière.

Monsieur le ministre, ne nous laissez pas au milieu du gué. Il faut convaincre les collectivités de s'engager dans la constitution de services archéologiques régionaux. Plutôt que de modifier la loi, il vaut mieux tirer toutes les conséquences de son esprit. En France, nous avons le droit de connaître notre passé, mais cette connaissance ne saurait insulter la préparation de l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - Mme Gisèle Printz applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de ne pas quitter le Sénat. (Sourires.) En effet, il était un peu plus d'une heure, la nuit dernière, lorsque nous avons conclu, de façon positive, le débat sur les rapports et la conciliation, qui n'est jamais facile à obtenir, entre le droit d'auteur et Internet.

Me trouvant de nouveau devant vous aujourd'hui, je m'aperçois qu'il n'est pas facile non plus de trouver le point d'équilibre entre, d'une part, les nécessités de la mémoire, de l'histoire et de l'archéologie, et, d'autre part, les impératifs et l'urgence du développement.

En vous écoutant expliquer à juste titre, monsieur Legendre, ces difficultés et ces antagonismes, je me disais qu'il nous fallait effectivement innover, trouver des solutions nouvelles et responsabiliser chacun. Au-delà même de votre action, qui est exemplaire, cet enjeu de l'archéologie et du patrimoine doit être mieux connu et davantage porté par les collectivités territoriales et par l'ensemble de nos concitoyens.

Face à chaque projet, par définition toujours différé et toujours attendu du fait de l'omniprésence des questions financières, il existe un sentiment d'impatience. Et pour peu que l'intérêt historique d'un site et le respect du passé justifient la mise en oeuvre de fouilles et légitiment le fait que l'on porte une attention particulière à la préservation de l'environnement, on entre alors dans un antagonisme fondamental qu'il faut s'efforcer de dépasser, le respect de l'histoire apparaissant s'opposer aux impératifs de l'heure.

Notre patrimoine, dans ses diverses composantes, constitue une chance pour notre collectivité nationale. Mémoire de notre nation, il porte nos valeurs en France et dans le monde. Il témoigne de l'attractivité culturelle exceptionnelle de notre pays. Il est un facteur de développement économique et social, générateur d'emploi et créateur de métiers valorisés. Il est aussi un facteur d'intégration individuelle et d'identité collective, plus indispensable que jamais dans notre monde ouvert, changeant et dans notre société fragmentée. Cet aspect m'apparaît essentiel : c'est le moteur de mes convictions et de mon action ? D'où l'intérêt que je porte à notre débat.

Voilà pourquoi notre responsabilité envers le patrimoine est immense. Mais les enjeux pour notre pays sont tels que les réponses isolées ne sont plus possibles. J'ai donc fixé aux réformes que j'ai entreprises depuis deux ans deux objectifs très clairs : premièrement, instaurer et consolider le nouveau partage des responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales autour d'un engagement commun, afin que notre collectivité nationale fasse à la fois plus et mieux pour notre patrimoine ; deuxièmement, simplifier et moderniser le droit du patrimoine, afin de le rendre plus efficace et plus compréhensible par nos concitoyens.

Dans le champ très étendu du patrimoine, c'est le sujet particulier de l'archéologie préventive qui mobilise aujourd'hui le Sénat, grâce à l'initiative de M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits de la culture. Je tiens à saluer la qualité et l'intérêt de la mission que vous lui avez confiée, qui a permis de faire progresser la réflexion dans ce domaine complexe et important de l'action publique.

Avant de répondre le plus précisément possible au contenu de vos interventions, je souhaite rendre hommage devant la Haute Assemblée, représentant les collectivités territoriales de la République, à toutes celles et à tous ceux qui, à l'INRAP et ailleurs, sur le terrain, dans les chantiers de fouilles, mais aussi dans les instituts de recherches et les établissements d'enseignement, permettent d'aménager notre territoire en préservant notre patrimoine et en réécrivant chaque jour une page de notre histoire. Leur réputation et leur professionnalisme sont tels que de nombreux pays étrangers souhaitent bénéficier de leur talent et de leur compétence.

La France, comme vous l'avez souligné, madame Payet, est un pays au peuplement si ancien et si divers que la masse des données recueillies tout au long des quelque 2 000 fouilles réalisées chaque année a bouleversé nos connaissances sur le demi-million d'années d'histoire de ce territoire qui est devenu la France.

J'ai bien entendu vos préoccupations. Elles portent, tout d'abord, sur la ressource affectée à cette grande cause nationale qu'est la redevance d'archéologie préventive, la RAP. Elles portent, ensuite, sur la situation de notre opérateur public, l'Institut national de recherches archéologiques préventives, l'INRAP, désormais accompagné dans sa tâche par d'autres opérateurs agréés. Vos préoccupations portent, enfin, sur les conditions de la recherche archéologique, c'est-à-dire l'affinement progressif de la carte archéologique et la rationalisation de la conduite des diagnostics dans le cadre d'une programmation scientifique.

L'année qui vient de s'écouler a permis de franchir une étape significative dans la consolidation du dispositif d'ensemble, législatif, réglementaire, financier et scientifique.

Votre important rapport d'information, monsieur Gaillard, a grandement contribué, et je vous en remercie, aux analyses indispensables à l'élaboration progressive de solutions opérationnelles. Comme vous le savez, cette question a fait l'objet de l'un des tout premiers audits de modernisation lancés dans le cadre de la réforme de l'État.

Avant d'évoquer les points majeurs que vous avez abordés, je voudrais rappeler mon attachement aux principes généraux de la loi du 17 janvier 2001, réaffirmés en 2003 et en 2004, qui tendent à concilier les exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine, mémoire de notre nation, et celles du développement économique et social.

En témoigne le récent rapport au Parlement. Je suis désolé que les conditions de la diffusion de ce rapport n'aient pas été parfaites. Celui-ci a été porté au Parlement, remis ou diffusé par le secrétariat général du Gouvernement le 19 avril : le circuit d'acheminement n'a peut-être pas parfaitement fonctionné. Nous aurions dû vous le transmettre directement.

Mon objectif, comme le vôtre, cher Ivan Renar, est effectivement de garantir un mode de financement solide et pérenne, échappant aux aléas budgétaires, et qui assure durablement la mise en oeuvre des principes de raison et d'équité.

Comme l'a indiqué M. le rapporteur spécial, il serait hasardeux de s'engager inconsidérément dans une nouvelle réforme législative qui viendrait bouleverser de fond en comble le dispositif actuel résultant de la loi du 17 janvier 2001, déjà modifiée à trois reprises.

Cela étant dit, nous n'avions pas hésité à le faire à l'époque. Dans les premières semaines de ma prise de fonctions en tant que ministre de la culture et de la communication, à chaque fois que je me rendais à l'Assemblée nationale ou au Sénat pour les questions d'actualité, j'étais interpellé par des parlementaires sur les situations aberrantes constatées sur le terrain et qui risquaient, si l'on y prenait garde, de menacer l'ensemble du dispositif. C'est la raison pour laquelle vous avez été amené à légiférer de nouveau au cours de l'année 2004.

L'audit de modernisation propose, lui aussi, « de ne pas revenir sur les principales caractéristiques du système en vigueur » et recommande de « stabiliser le dispositif actuel », et d'améliorer les procédures relatives à la redevance d'archéologie préventive.

Vous avez soulevé, monsieur le rapporteur spécial, la question de la redevance d'archéologie préventive. Je suis en mesure de vous indiquer que les engagements pris pour améliorer son rendement en 2005 ont été tenus.

Les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, dont ce n'était pas l'habitude et qui ont été amenées à se former à cette nouvelle responsabilité, ont liquidé plus de 32 millions d'euros au cours de l'année, doublant ainsi le rendement de 2004. L'INRAP a encaissé, depuis le début 2006, plus de 20 millions d'euros, soit dix fois plus que pendant le premier trimestre de 2004, ce qui constitue un rythme conforme aux prévisions de perception inscrites au budget primitif 2006 de cet établissement. Bien sûr, nous suivrons mois après mois l'évolution de cette performance, pour constater, je l'espère, sa constance.

S'agissant de la filière qui relève du ministère de l'équipement, les chiffres précis de liquidation doivent être connus ces jours-ci et je n'en dispose donc pas encore. En 2005, le rendement net a été de 13 millions d'euros, après 36 millions d'euros de dégrèvements consécutifs à l'exercice du droit d'option prévu par la loi de 2004 et désormais éteint.

J'en ai conscience, l'ensemble du dispositif demeure fragile et ces chiffres devront encore être améliorés dans l'année en cours, puis consolidés en 2007. J'ai donné instruction à mes services pour que la rationalisation des procédures préconisée par l'audit soit poursuivie à rythme forcé.

Dans vos interventions, madame, messieurs les sénateurs, vous vous êtes intéressés à la situation particulière de l'Institut national de recherches archéologiques préventives. Nous ne devons pas perdre de vue que cet établissement, créé en 2001, est tout naturellement en phase de construction. Les deux rapports de 2005 ont permis de déterminer les orientations majeures susceptibles d'améliorer son fonctionnement.

Je rappelle que le niveau d'intervention retenu lors de la discussion parlementaire de 2003 suppose que la redevance génère un rendement de l'ordre de 80 millions d'euros. Ce montant autorise la prise en compte de la totalité des diagnostics raisonnablement prescrits sur le territoire national, ainsi que l'abondement régulier du Fonds national d'archéologie préventive, le FNAP, destiné à aider les aménageurs pour les fouilles, notamment en milieu rural.

Vous vous inquiétez de la capacité du FNAP à assurer son rôle de cofinanceur. En 2005, 80 dossiers de prise en charge ont pu être traités, pour un montant global de 15 millions d'euros. Ces prises en charge « de droit », prévues par la loi, concernent les logements sociaux et les habitations individuelles construites par les particuliers pour eux-mêmes.

Au fur et à mesure de l'amélioration des conditions de liquidation de la redevance, l'intervention du FNAP s'étendra au subventionnement d'autres opérations d'aménagement, selon les critères établis par la commission créée en 2005 conformément à la loi. Ces critères sont ceux de l'intérêt général et tiennent compte de l'équilibre financier des projets.

Le budget global de l'INRAP - diagnostic et fouilles, hors FNAP - s'élève, pour 2006, à 128 millions d'euros. Il est marqué, monsieur Renar, par la stabilité des moyens par rapport à 2005, notamment en termes d'emploi. Toutefois, l'urgence particulière qui s'attache à la réalisation de certains grands chantiers d'aménagement - je pense en particulier à celui de l'A19, dans le département du Loiret, que vous avez évoqué, monsieur Doligé - exigeait des mesures particulières, pour renforcer les ressources humaines nécessaires. J'y ai pourvu par le recrutement exceptionnel d'une cinquantaine d'agents en contrat à durée déterminée.

Dans un cadre général d'emploi destiné à rester stable -j'y veillerai -, il me semble important de favoriser l'emploi opérationnel et d'élaborer des règles pour adapter la présence du personnel sur le terrain en tenant compte des besoins constatés dans les régions. Il s'agit, là encore, d'un équilibre qui n'est pas facile à opérer, comme les débats, qui résonnent encore dans mes oreilles, d'un récent comité technique paritaire ministériel en témoignent.

Il me semble essentiel de garantir désormais, et sans dérive, le niveau d'intervention de l'INRAP tel qu'il a été adopté par son conseil d'administration pour 2006, et, quand je prends des engagements, je les tiens ! Je ne souhaite donc pas de faux procès sur ce sujet.

Dans ces circonstances, je serai particulièrement attentif à l'évolution du rendement de la redevance, dont j'ai demandé le suivi au jour le jour. C'est sur cette base que j'envisagerai, le cas échéant, de conduire une réflexion sur les adaptations éventuellement nécessaires, soit par une contribution budgétaire dans le cadre du programme Recherche, soit par un ajustement du périmètre de la redevance.

Le constat, je le ferai avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, dans une transparence totale, et si je suis amené à proposer des solutions qui heurtent certains de mes collègues du Gouvernement, je ne doute pas que je bénéficierai de votre concours et de votre soutien attentif.

Cette réflexion, monsieur Dauge, nous pourrons, je le souhaite en tout cas, la mener ensemble.

J'observe que le budget adopté pour 2006 prévoit à l'heure actuelle le remboursement partiel de l'avance consentie en 2003 par le Trésor.

J'ai donné des instructions précises à la direction de l'administration générale et à la direction de l'architecture et du patrimoine pour renforcer, comme le préconisent les deux rapports, l'exercice de la tutelle du ministère sur l'établissement public de recherche, dans un esprit constructif.

Une lettre de cadrage a fixé à l'établissement ses objectifs pour 2006, dans le cadre du « contrat de performance » qui sera élaboré avec sa direction générale et qui vise à améliorer globalement sa gestion et son fonctionnement.

Cette amélioration de gestion passe notamment par un perfectionnement des outils analytiques qui permettront de suivre les recettes et les dépenses par nature d'activité, afin d'aboutir à un suivi plus fin et plus détaillé des résultats de l'établissement.

Les décisions qui ont été prises concernant l'INRAP s'appliquent d'ailleurs à l'ensemble des actions menées dans le domaine du patrimoine géré par ministère, tant il est vrai que les informations les plus précises dues aux progrès de l'informatique de gestion nous sont nécessaires pour nous permettre d'affecter les crédits aux actions qui sont non seulement les plus urgentes - elles sont nombreuses - mais aussi qui appellent une dépense immédiate.

D'une façon générale, il est certain que c'est dans l'amélioration de la gestion de l'établissement, et non pas dans une augmentation mal définie de son budget, que devront être trouvées les capacités supplémentaires d'intervention et d'amélioration des délais, ce dernier point, mesdames, messieurs les sénateurs - et je pense particulièrement à vos observations, madame Payet -, étant en effet absolument prioritaire à mes yeux.

Votre rapport écrit, monsieur Gaillard, a, tout comme le récent audit, soulevé la question du contrôle des prescriptions émises par les services de l'État.

Le rôle de ministre de la culture est avant toute chose d'assumer pleinement, et c'est un honneur, le caractère scientifique de cet aspect de la politique du patrimoine, qui est aussi une politique de la recherche.

Dans la politique de prescriptions mise en oeuvre par les services déconcentrés, il est en effet primordial que les choix soient fondés sur des critères scientifiques validés par les instances consultatives émanant de la communauté archéologique : les commissions interrégionales de la recherche archéologique et le Conseil national de la recherche archéologique, qui ont la mission essentielle de veiller à la cohérence de la programmation nationale.

Sur ce point également, le rapport au Parlement vous apporte, je crois, les informations attendues. Je souligne l'évolution contrôlée du taux de prescription, passé de 15 % en 2001 à 8 % à la fin de 2005, alors même que le nombre de dossiers traités par les services a fortement augmenté, en corrélation avec l'activité économique, ce qui est évidemment une bonne chose.

Ce taux atteint désormais un seuil qu'il serait dangereux d'abaisser, au risque d'exposer les aménageurs et les services de l'État à la découverte fortuite, au cours de travaux, de vestiges devant être fouillés dans l'urgence.

Certes, monsieur Legendre, quand la réalisation d'investissement important revêt un caractère d'urgence, on pourrait envisager de procéder en quelque sorte par anticipation à des fouilles, mais une telle solution soulèverait de redoutables problèmes de financement : qui financerait quoi et qui jouerait le rôle de « banquier relais » de l'opération ?

J'ai d'ores et déjà diligenté l'inspection générale de l'architecture et du patrimoine pour effectuer le suivi de deux interrégions à forte activité, le Centre Île-de-France et la Picardie, où, à la suite de vos remarques, j'ai constaté des difficultés. C'est dans ce cadre, monsieur Doligé, que des moyens prioritaires ont pu être ajoutés.

Par ailleurs, la direction de l'architecture et du patrimoine conduit à ma demande une enquête nationale détaillée, de façon à disposer d'informations précises et complètes sur les prescriptions et sur leur traduction en charge réelle sur les opérateurs.

J'ai fixé enfin à mes services des objectifs précis d'harmonisation des pratiques sur le plan national et de réalisation de bilans de l'activité scientifique, région par région, bilans qui doivent éclairer, comme je le disais précédemment, la politique de prescriptions archéologiques. Les trois quarts des régions sont d'ores et déjà engagées dans l'élaboration de ce bilan, que toutes devront avoir entrepris avant la fin de l'année.

Ces mesures s'inscrivent donc dans l'esprit des débats parlementaires de 2003 pour aboutir à une maîtrise de la prescription guidée par des choix scientifiques. Ceux-ci bénéficient de l'enrichissement, de la mise à jour et de la critique des données de la carte archéologique nationale, qui est une priorité de mes services déconcentrés.

J'estime que la publication des travaux de fouilles est une nécessité, tant, bien entendu, du point de vue scientifique que pour la diffusion de la connaissance au-delà du seul public spécialisé, pour familiariser nos concitoyens avec leur histoire. J'envisage d'ailleurs de créer une journée nationale de l'archéologie préventive pour que le travail des archéologues soit mieux connu par nos concitoyens, ce qui, me semble-t-il, serait de nature à créer les responsabilités collectives nécessaires dans ce domaine.

Il serait paradoxal que l'archéologie soit vécue seulement comme une contrainte, sans que tous ses acteurs puissent bénéficier des produits qu'elle génère en termes de connaissance et d'attachement au territoire.

Cette question de la publication est importante, et j'ai l'intention de réunir à ce sujet et de présider personnellement le Conseil national de la recherche archéologique pour lui soumettre l'élaboration d'un programme national de publication, y compris sous forme numérique.

Je proposerai à ce même conseil un programme de rationalisation et de mise à niveau des dépôts archéologiques nécessaires à la sauvegarde des produits de fouilles et une réflexion sur les modalités de mise en valeur des objets archéologiques significatifs, ce qui devrait répondre, monsieur Legendre, à la préoccupation que vous avez exprimée.

Ce tableau de l'archéologie ne serait pas complet si je n'évoquais pas les efforts entrepris par les collectivités territoriales pour diversifier l'offre d'intervention aux côtés de l'INRAP par de nouveaux opérateurs en archéologie préventive. Leur rôle, comme vous l'avez indiqué, monsieur  Legendre, est essentiel dans le traitement de manière urgente des délais de mise en oeuvre des diagnostics.

À ce jour, cinquante-deux structures, dont quarante publiques et douze privées, ont obtenu un agrément sur avis du Conseil national de la recherche archéologique, quarante-neuf d'entre elles pour effectuer des fouilles. Ce sont ainsi plus de cinquante structures publiques - les services archéologiques de collectivité territoriale - et privées qui peuvent intervenir sur l'ensemble du territoire national aux côtés de l'établissement public.

Je tiens à saluer l'engagement de certaines collectivités, dont l'Indre-et-Loire et l'Eure-et-Loir, qui ont créé un service départemental, et le Loiret, qui a créé un poste en préfiguration d'un futur service.

Je suis conscient, mesdames, messieurs les sénateurs, de la complexité parfois irritante de cette question de l'archéologie et du caractère récurrent des interrogations qui s'attachent à son mode d'organisation, mais je puis vous affirmer que je suis aussi résolu que vous et que trouver le point d'équilibre quand se pose la question du financement de l'INRAP et qu'il m'incombe de faire le choix des redéploiements au sein de mon ministère est un exercice qui, pour le coup, ne me plaît pas ! Nous devons donc trouver les recettes qui donneront définitivement au ministère les moyens d'assumer de façon performante cette responsabilité.

De ce point de vue, permettez-moi de redire que la Haute Assemblée a joué un rôle majeur dans la prise de conscience de l'enjeu archéologique et dans l'amélioration progressive de ses modalités d'organisation.

La phase de stabilisation n'est pas achevée, et des améliorations considérables restent à apporter. Soyez sûrs en tout cas que je demeure particulièrement attentif aux observations que votre Haute Assemblée, par son expérience des problèmes locaux et sa compétence à dépasser la technicité des débats, ne manquera pas de formuler pour que notre action s'inscrive dans une politique ambitieuse, solide, durable du patrimoine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - M. Yves Dauge applaudit également.)

Mme la présidente. Le débat est clos.

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Informatisation dans le secteur de la santé

Débat sur un rapport d'information

(Ordre du jour réservé)

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle un débat sur le rapport d'information de M. Jean-Jacques Jégou sur l'informatisation dans le secteur de la santé (n° 62, 2005-2006).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial .de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, auteur du rapport d'information sur l'informatisation dans le secteur de la santé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'en venir au coeur du sujet, permettez-moi, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances, de placer ce débat dans une perspective plus large, celle du renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement. La LOLF accroît, en effet, les moyens mis à notre disposition afin de contrôler les dépenses de l'État et d'éclairer les pouvoirs publics dans le choix de leurs politiques.

Il est primordial que les travaux de nos commissions, pour intéressants qu'ils soient, ne restent pas à l'état de mots, et soient pour nous l'occasion d'échanger, d'argumenter, bref, de remplir notre mission.

Il est également important que, pour chacun de ces sujets, le Gouvernement ait la possibilité de répondre, de nous exposer son point de vue, la manière dont il entend donner suite aux préoccupations exprimées par notre commission. C'est ce que nous faisons en cette fin d'après-midi, monsieur le ministre.

J'en viens au coeur du sujet.

En novembre 2005, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, je vous avais livré les principales conclusions de mon contrôle sur l'informatisation dans le secteur de la santé.

S'agissant du panorama général de l'informatisation de ce secteur, et notamment de son caractère très disparate, je vous renvoie au contenu de mon rapport d'information.

Je voudrais simplement rappeler ici les cinq principales faiblesses des systèmes d'information du secteur de la santé que j'avais relevées : l'insuffisance du pilotage global, les responsabilités étant éclatées entre une administration centrale sous-dotée en effectifs, des missions spécialisées et des structures annexes ; le retard des établissements publics de santé, lié à la prise en compte tardive du caractère stratégique des systèmes d'information et de leur nécessaire médicalisation ; le cloisonnement des systèmes d'information, caractérisé par l'absence d'interopérabilité de ces systèmes ; la faible normalisation internationale des systèmes informatiques ; enfin, une formation des professionnels de santé inadaptée aux enjeux de l'informatisation, et j'ai pu cruellement le vérifier en allant à l'École de santé de Rennes.

Cependant, plusieurs réformes structurantes pour les systèmes d'information ont été engagées, et je m'en étais félicité. J'avais notamment relevé deux points.

D'abord le plan d'aide à l'investissement hospitalier « Hôpital 2007 », qui est le premier de ces leviers. Il comprend 275 millions d'euros sur cinq ans pour les systèmes d'information, soit 3 % seulement du total des crédits du plan. Ces aides ont toutefois été concentrées sur quelques projets, notamment ceux de l'AP-HP, et la consommation des crédits paraissait insuffisante en fin d'année dernière.

À cet égard, je souhaiterais, monsieur le ministre, connaître l'état actuel de la consommation des crédits de ce plan et savoir si vous envisagez de réorienter les crédits non consommés vers le financement des systèmes d'information hospitaliers. Je crois par ailleurs savoir que vous préparez un plan « Hôpital 2012 » : ce plan fera-t-il la part belle aux systèmes d'information ?

Ensuite, la mise en oeuvre de la tarification à l'activité a également contribué à bouleverser le contexte informatique des établissements de santé, de même que la généralisation du dossier médical personnel, le DMP, sur lequel je voudrais m'attarder.

Ainsi que je l'avais déjà souligné en novembre dernier, il me semble que la mise en place du DMP a révélé les carences des systèmes d'information et de leur pilotage, d'où l'intérêt de ce véritable dossier de société, qui permettrait de tirer par le haut le système informatique.

En effet, l'organisation pour atteindre une généralisation du DMP à la mi-2007 a tardé à se mettre en place : la constitution d'une structure ad hoc - le groupement de préfiguration du dossier médical personnel, GIP DMP, qui, m'a-t-on dit, a changé de dénomination récemment - n'est intervenue que huit mois après le vote de la loi et n'a pas été accompagnée d'une réflexion sur le rôle des nombreuses structures existantes.

Ce GIP a, en outre, connu une première année mouvementée : un président, Pierre Bivas, et un directeur général, Jacques Beer-Gabel, usés en moins d'un an. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Il faut croire que le DMP porte malheur !

Cette valse des responsables à la tête du GIP DMP a incontestablement nui à la définition d'une orientation stratégique claire et a retardé la mise en oeuvre du calendrier initialement défini. (M. le ministre fait de nouveau un signe de dénégation.)

En effet, le GIP DMP avait élaboré un premier calendrier en quatre phases, devant conduire à une généralisation du déploiement du DMP à partir du 1er janvier 2007 pour tous les patients de plus de seize ans.

À cet égard, j'observais en novembre dernier que plusieurs questions stratégiques étaient restées sans réponse, ce qui obérait le déroulement normal du calendrier : premièrement, la définition du contenu concret du DMP, qui soulevait de réelles difficultés ; deuxièmement, l'articulation entre le DMP et le projet de Web médecin développé par la CNAMTS ; troisièmement, la maîtrise du patient sur son dossier et corrélativement la question de la fiabilité des données stockées : les médecins n'utiliseront le DMP que si celui-ci retrace réellement les affections du patient ; quatrièmement, le cadre géographique de mise en oeuvre du DMP ; cinquièmement, enfin, les différents acteurs, qui devaient être convaincus de la pertinence du projet.

Pour toutes ces raisons, il m'était apparu, en novembre 2005, que la généralisation, d'ici à juillet 2007, d'un dossier médical personnel substantiel était irréaliste.

J'ai bien peur que le cours des événements depuis six mois ne me donne raison, monsieur le ministre.

J'observe, en effet, que le calendrier initial défini par le GIP a été revu récemment : les dates et les objectifs chiffrés ont quasiment disparu de la feuille de route. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) On parlait au départ de généraliser, à partir du début de l'année 2007, le DMP à l'ensemble des patients, afin d'atteindre les objectifs fixés par la loi relative à l'assurance maladie. L'échéancier actuel fait état d'un déploiement général du DMP qui se déroulerait en 2007 pour atteindre toute la population qui en a l'utilité. Le diable se cache dans les détails, monsieur le ministre ! Ce glissement sémantique est, en effet, révélateur d'une révision à la baisse des objectifs de couverture de la population en 2007.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Ce n'est pas possible !

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Le retard pris par rapport aux objectifs initiaux s'observe pour toutes les phases de mise en oeuvre du projet.

D'abord, je constate que tous les décrets d'application prévus par la loi du 13 août 2004 ne sont pas parus : seul le décret relatif aux hébergeurs a été publié le 4 janvier 2006. À quelle échéance, monsieur le ministre, pensez-vous publier les autres décrets ?

Ensuite, le lancement des expérimentations a également pris du retard : la phase dite d'hébergement, destinée à permettre le déploiement expérimental de 5 000 dossiers par hébergeur, soit un total de 30 000 dossiers, devait s'achever le 31 mars 2006. À l'heure actuelle, cette phase devrait, au mieux, débuter en juin pour s'achever en décembre 2006. On est donc très loin des propos tenus dans cette enceinte par votre collègue Philippe Bas lors de l'examen du PLFSS 2006. Je le cite : « notre intention, pour l'année 2006, est de réaliser des essais grandeur nature en développant ce qui est en germe à partir des expériences déjà réalisées en France. L'objectif à atteindre est ambitieux : trois millions de dossiers médicaux personnels en 2006. ».

Qui plus est, je m'interroge sur la pertinence et la viabilité de ces expérimentations dans la mesure où un revirement stratégique a été défini par le GIP le 5 mai dernier. Le GIP reprend le concept de « colonne vertébrale » développé par les Britanniques, à savoir la désignation, par appel d'offres, d'un hébergeur unique de référence assurant l'interopérabilité entre les six autres hébergeurs industriels et la mise en place d'un portail Internet unique d'accès géré par la Caisse des dépôts et consignations.

Quelle est la véritable raison de ce revirement stratégique puisque l'interopérabilité était bien garantie par le cahier des charges initial préfigurant les expérimentations ? Celles-ci débutant avant la mise en place de cet hébergeur de référence, quels enseignements utiles pourraient en être tirés ? Aura-t-on le temps de faire un bilan de ces expérimentations avant le lancement de la phase de généralisation ? Je ne le crois pas.

Je ne suis d'ailleurs pas le seul à me poser ces questions : en effet, plusieurs industriels engagés dans ce projet m'ont fait part de leurs doutes, voire de leur démobilisation, ce qui est plus grave, en raison du peu d'intérêt suscité aujourd'hui, au sein de la direction du GIP, par les expérimentations.

Ces industriels ont investi de l'argent et se sont mobilisés pour faire vivre ce projet. Aujourd'hui, on leur apprend que la généralisation doit être privilégiée, à court terme, et qu'ils seront chapeautés par un organisme public, dont le rôle reste d'ailleurs à préciser.

Monsieur le ministre, prenez garde que ces industriels ne se désengagent du projet. Vous ne pouvez pas demander à des industriels de continuer à perdre de l'argent et ne pas leur dire ce que vous attendez d'eux.

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez cherché à les rassurer ?

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Bien évidemment, parce que je crois au DMP, monsieur le ministre !

Enfin, les questions que je soulevais dans mon rapport concernant le contenu du dossier ainsi que les modalités d'accès au DMP restent sans réponse. À cet égard, pouvez-vous nous préciser le rôle exact de l'hébergeur de référence à l'égard notamment des autres hébergeurs industriels déjà sélectionnés ?

Ces nombreux retards m'amènent également à vous interroger sur le financement de la mise en place du DMP. En effet, vous aviez précisé à l'Assemblée nationale, lors de l'examen du PLFSS pour 2006, que le coût des expérimentations portant sur 30 000 dossiers serait de 15 millions d'euros, financés par les crédits 2005 du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville, le FAQSV.

Vous aviez également indiqué, ce qui avait été confirmé ici même par Philippe Bas, que les crédits du FAQSV pour 2006 seraient consacrés, à hauteur de 90 millions d'euros, au financement de la montée en charge de trois millions de dossiers en 2006. Dès lors que cette hypothèse ne paraît plus d'actualité, pouvez-vous m'expliquer, monsieur le ministre, ce qu'il adviendra des crédits non consommés du FAQSV (M. Guy Fischer s'exclame), qui, rappelons-le, n'a vocation à contribuer à la mise en oeuvre du DMP que jusqu'au 31 décembre 2006, d'après les termes de la loi ?

En novembre dernier, j'avais également émis des doutes s'agissant du coût de fonctionnement de ce dossier en régime de croisière : en effet, il serait compris entre 10 et 20 euros par dossier actif et par an, soit entre 600 millions d'euros et 1,2 milliard d'euros au total. On nous dit depuis quelques jours que l'on peut faire ce même DMP pour un euro, presque le prix d'un préservatif. Encore faut-il savoir ce qu'il y a dans le dossier. Les dépenses induites pour les hôpitaux sont évaluées à 100 millions d'euros en investissements et 300 millions d'euros en exploitation, même si ce coût variera en fonction des établissements. Le coût pour la médecine de ville restait, pour moi, difficile à évaluer, mais j'ai estimé, en novembre dernier, qu'il serait nécessaire de prévoir une aide en direction des médecins pour assurer le développement de ce projet. Je n'ai pas le sentiment que vous suiviez cette proposition.

J'ai pu observer, dans la littérature spécialisée, une absence de consensus sur le coût de gestion du DMP, il est vrai difficile à déterminer en l'absence de cahier des charges définitif : que pouvez-vous nous dire aujourd'hui sur ce point, monsieur le ministre ?

Enfin, j'avais pu constater que les économies potentielles liées à la mise en oeuvre de ce projet demeuraient floues et il ne m'avait pas été possible d'effectuer un bilan coûts-économies : avez-vous pu chiffrer plus précisément, par rapport à ce que votre prédécesseur avait été dit en 2004 lors de la discussion du projet de loi relatif à l'assurance maladie, les économies qui pourraient être faites à partir de juillet 2007 ?

Six mois après la publication de mon rapport, beaucoup de questions restent donc sans réponse.

Si je voulais faire de l'esprit - mais c'est sans doute un peu risqué en cette fin d'après-midi -, je pourrais proposer de rebaptiser le DMP : on pourrait parler de « dossier mal préparé », de « dossier mal piloté », bref, de « dossier mal parti », pour ne pas dire « dossier mort prématurément », ce que je ne souhaite en aucune façon, contrairement à ce vous pourriez imaginer.

Cela serait d'autant plus dommage, en effet, que ce projet est bon et devrait contribuer, il faut le rappeler, à améliorer la qualité des soins et la santé des patients. Telle est, au demeurant, la première raison invoquée par nos amis Britanniques pour mettre en place ce type de dossier.

Pour atteindre cet objectif, ils ont fondé leur projet d'informatisation sur un triptyque essentiel : une volonté politique forte et la définition d'un cadrage temporel à moyen et long terme - plus de dix ans, de 1998 à 2008 - ; une task force administrative reposant sur une équipe structurée, complète et motivée ; enfin, des moyens budgétaires suffisants dans la durée. Selon moi, dans le projet français, ces trois éléments font défaut.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je réitère mes conclusions : peut-être y aura-t-il un DMP light, alimenté par les données du Web médecin et les courriers hospitaliers, à la mi-2007. Mais croire en un DMP généralisé et substantiel à cette date est illusoire. Il en était d'ailleurs ainsi dès le départ, puisqu'un projet de cette nature ne peut se développer que sur au moins dix années. Dès lors, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous inciter à ne pas vous laisser enfermer dans un calendrier trop contraint et irréaliste.

À cet égard, le communiqué de presse du GIP DMP du 5 mai 2006 laisse planer peu de doute, puisqu'il indique que le conseil d'administration a « proposé d'allonger de cinq ans la durée de vie du groupement pour permettre le lancement des opérations de généralisation dans des conditions de sécurité juridique complète ».

Connaissant votre sérieux et votre compétence, monsieur le ministre, je compte sur vous pour faire preuve de réalisme et pour répondre clairement à ces interrogations, qui, vous en conviendrez, sont légitimes.

Je soutiens totalement ce projet, qui constitue un vrai projet de société. Toutefois, il ne saurait aboutir sans l'adhésion tant des professionnels de santé que des patients et sans l'appropriation de cet outil par tous les acteurs.

Vous pouvez donc compter sur moi, monsieur le ministre, pour que ce projet ne soit pas dénaturé, pour continuer à suivre ce dossier jusqu'au bout et pour permettre ainsi d'améliorer encore la qualité des soins dispensés à nos concitoyens.

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport que M. Jean-Jacques Jégou a fait paraître à la fin de l'année 2005, au nom de la commission des finances, et dont je partage une grande partie des interrogations, était destiné à établir un état des lieux de l'informatisation dans le secteur de la santé. En fait, il entérine, selon nous, l'échec de la réforme voulue par M. Douste-Blazy. (M. le ministre s'exclame.)

Il s'agissait, en particulier, de dresser un premier bilan sur le dossier médical personnel, créé par la loi du 13 août 2004. Nous nous étions alors opposés à ce dispositif, en émettant de très vives réserves. En l'état actuel, le DMP nous apparaît comme un outil de maîtrise purement comptable, alors qu'il devrait, pensons-nous, permettre un débat sur le véritable accès aux soins. Or, si l'on interprète les propos que vient de tenir M. le rapporteur - peut-être me reprocherez-vous d'être caricatural, monsieur le ministre -, le bilan est clair : c'est un gouffre financier qui se dessine. Quant à l'efficacité, qu'il s'agisse des délais à respecter ou des objectifs visés, on peut véritablement s'interroger.

Je rappellerai à ce propos que M. Douste-Blazy, avec la faconde que chacun lui connaît, avait présenté le dossier médical personnel comme un fabuleux outil d'économie pour les comptes sociaux. Selon lui, il devait permettre de réaliser une économie d'environ 3,5 milliards d'euros à l'horizon 2007 - et je sais, monsieur le ministre, que vous êtes parfaitement au courant de cette échéance, compte tenu des débats que nous avions eus à l'époque. Or admettez que nous en sommes aujourd'hui bien loin.

Le rapport est très critique envers l'état d'avancement du dossier médical personnel. M. Jean-Jacques Jégou en avait fait connaître les conclusions lors du débat sur le PLFSS et, à cette occasion, nous lui avions dit que nous partagions son point de vue.

En effet, selon ce rapport, il apparaît non seulement que la France est toujours en retard en matière d'informatisation dans le domaine de la santé, mais aussi que le DMP, en particulier, se révèle coûteux et peu pratique.

Ce dernier implique, en effet, outre des coûts directs - je pense, notamment, à la mise en place de la télétransmission des informations -, des coûts indirects, qui concernent en particulier tous les équipements à prévoir pour les centres hospitaliers. Divers éléments d'information ont été divulgués concernant le DMP, celui-ci ayant fait l'objet de plusieurs articles de presse au cours des trois semaines qui viennent de s'écouler.

Par ailleurs, se font jour un certain nombre d'interrogations en ce qui concerne l'avenir, je pense particulièrement au coût du DMP en « régime de croisière » - ce qui ne pourra se voir qu'à l'usage -, une fois que l'on aura convaincu tous les professionnels de santé de la nécessité de disposer des outils informatiques nécessaires, notamment de certains logiciels

Pour l'heure, ce coût est estimé entre 600 millions d'euros et 1,2 milliard d'euros par an. J'ose espérer, monsieur le ministre, que vous aurez à coeur de nous apporter des réponses très claires sur un tel écart.

Dans tous les cas, M. Jégou dresse le constat que le calendrier annoncé par le Gouvernement est parfaitement irréaliste - point de vue que je partage -, et que l'on sera loin d'atteindre la généralisation du système à la mi-2007.

Certes, je connais votre optimisme, monsieur le ministre, mais je tiens à vous faire remarquer que notre rapporteur reprend les propos de M. Richier, président de la commission des systèmes d'information de la conférence des directeurs généraux de CHU, qui estime - peut-être exagère-t-il un peu - que l'horizon du dossier médical personnel se situe plutôt en 2020 qu'en 2007, contrairement aux affirmations du Gouvernement.

D'ailleurs, les dernières informations sur le sujet confirment ces prévisions, et il est même annoncé que le dispositif pourrait devenir facultatif, ce qui serait, pour le Gouvernement, le seul moyen de ne pas perdre complètement la face, après s'être largement gargarisé du succès de sa réforme.

Toutefois, ces annonces étaient irréalistes, et c'est ce que nous avions précisément dénoncé dès l'examen du projet de loi en 2004. Il suffit pour s'en rendre compte de se référer à l'exemple de la Grande-Bretagne, pays où il aura fallu environ dix ans pour parvenir à l'informatisation du système de santé. Dès lors, comment envisager que la France pourrait y arriver en trois ans ?

Ainsi, la plupart des constats établis par M. Jégou vont dans le sens des observations que nous avions formulées en 2004 lors de l'examen du projet de loi relatif à l'assurance maladie.

Il s'agit, avec le DMP, de faire de l'affichage politique, sans réelle cohérence, tout en sachant pertinemment que ce dispositif est extrêmement coûteux.

Lors des débats sur le PLFSS 2006, nous avions déjà dénoncé le coût exorbitant du DMP. Financé par le fonds d'aide à la qualité des soins de ville, à hauteur de 90 millions d'euros cette année, contre 15 millions d'euros l'an dernier, il n'est doté que de 110 millions d'euros.

Je le disais au début de mon intervention : il s'agit véritablement d'un gouffre financier, ce qui a pour conséquence directe de pénaliser les autres missions initialement financées par le fonds d'aide à la qualité des soins de ville. Je pense, en particulier, aux maisons médicales de garde sur la situation déplorable desquelles j'ai récemment tiré la sonnette d'alarme, par le biais d'une question orale.

M. Xavier Bertrand, ministre. J'ai réussi à les sauver !

M. Guy Fischer. Il vous faudra convaincre les directeurs des URCAM.

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est fait !

M. Guy Fischer. Je vous remercie de m'avoir entendu. Vous m'aviez d'ailleurs promis d'intervenir auprès d'eux.

Je dois tout de même rappeler qu'un certain nombre de maisons médicales de garde se situant dans la région Rhône-Alpes - en particulier dans l'Ain - sont en train de fermer progressivement. À Vénissieux, la première à avoir été créée,...

M. Xavier Bertrand, ministre. Le vigile sera financé !

M. Guy Fischer. Je vous en remercie. Les directeurs des URCAM ne pourront donc plus déclarer que les caisses sont vides. Or c'est pourtant ce qu'ils disaient alors que vous m'aviez répondu qu'il restait des sommes non attribuées.

Nous le voyons, la confusion règne, et ce au détriment de nos concitoyens. En effet, force est de constater que l'accès aux soins, notamment dans les zones rurales ou dans les quartiers populaires, n'est plus assuré et que les services d'urgence sont engorgés, conséquence des choix budgétaires désastreux du Gouvernement.

En outre, un problème similaire se pose pour le financement de la formation continue des médecins, normalement assuré par le fonds d'aide à la qualité des soins de ville.

On sait aujourd'hui combien il est essentiel que la formation des médecins ne dépende plus des laboratoires privés. Or, pour ce faire, il convient de mettre en place un système de formation public et performant.

En outre, de nombreuses questions restent en suspens, telles que, par exemple, l'accès aux informations contenues dans le DMP. C'est le cas en particulier pour les maladies professionnelles ou pour les médecins du travail.

De quelles informations s'agit-il et, surtout, qui est autorisé à les consulter ?

Au moment où nous parlons, la limite n'est pas clairement établie entre le projet d'informatisation qui nous est proposé et le respect de la confidentialité pour les patients.

Ces interrogations sont pourtant essentielles, dans la mesure où l'informatisation s'accompagne nécessairement d'une privatisation de sa gestion, ce qui représente une sorte de porte d'entrée pour les entreprises privées dans le système de santé français. Dès lors, la question des droits et des libertés des patients se pose avec acuité.

Le rapport dont nous discutons entérine de fait l'échec de cette informatisation, qui se résume à des investissements financiers considérables, sans efficacité aucune ; mais nous ne demandons qu'à être contredits et, surtout, convaincus du contraire, monsieur le ministre !

Malheureusement, nous sommes ici confrontés à un exemple du double discours que nous tient cette majorité depuis quatre ans. D'un côté, elle dénonce des dépenses sociales inacceptables, elle met en avant des déficits « abyssaux », justifiant ainsi la restriction de la couverture sociale et le désengagement de l'État, et, de l'autre, elle multiplie les dépenses inconsidérées, à seule fin de communication politique, ou pour faire la part belle aux entreprises privées, comme nous le voyons avec le dossier médical personnel. Une fois encore, nous regrettons qu'il en soit ainsi. (Mme Gisèle Printz applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création d'un dossier médical personnel nous a été présentée comme l'un des axes majeurs de la grande réforme de l'assurance maladie du 13 août 2004. Cette présentation était justifiée, du moins en théorie.

À moyen et long terme, notre système de santé doit attendre beaucoup de l'informatisation, en général, et de la mise en place du DMP, en particulier.

Ces deux innovations, en effet, aideront les professionnels de santé à améliorer leur diagnostic. Tout d'abord, nous pouvons en attendre une action positive sur la qualité du système de soin. Ensuite, tôt ou tard, ces gains qualitatifs ne manqueront pas d'avoir un impact financier car, grâce à eux, de nombreuses dépenses superflues seront évitées.

L'intention est donc louable, le projet irréprochable, mais tout ceci demeure, encore aujourd'hui, théorique. Était-il suffisant d'inscrire le DMP dans la loi pour qu'il se mette en place ? Nous pouvons légitimement nous le demander à la lecture de l'excellent rapport de notre collègue Jean-Jacques Jégou.

Après un minutieux travail d'enquête, de nombreuses auditions, de multiples déplacements dans des établissements de santé français et une visite au Royaume-Uni, le constat qu'il dresse est alarmant.

En vertu de la loi du 13 août 2004, le DMP devait être prêt pour le 1er juillet 2007. Au moment du vote de la loi, déjà, les experts annonçaient que ces délais seraient intenables. Pourquoi ? Parce que, dès le départ, le DMP présentait deux faiblesses : son pilotage et son financement.

J'évoquerai plus précisément ces deux aspects. Tout d'abord, le groupement d'intérêt public chargé de piloter le dispositif, le GIP DMP, n'a été créé que très tardivement. Sa convention constitutive a été approuvée voilà un an à peine, par un arrêté du 11 avril 2005.

Or, trois mois seulement après avoir été nommé président du conseil d'administration du GIP, M. Pierre Bivas a été remercié et remplacé par M. Dominique Coudreau. Le mois dernier, le directeur du GIP, M. Jacques Beer-Gabel, a démissionné et a été remplacé par M. Jacques Sauret. Toutefois, le DMP demeure une priorité.

Ainsi, le pilotage du dispositif constitue toujours un problème. Le GIP DMP consulte peu les médecins. Il cohabite avec un groupement pour la modernisation du système d'informatisation hospitalier qui lui-même n'est pas compétent pour la médecine de ville, et il mène un projet parallèle à celui de l'assurance maladie, qui développe Web médecin.

Comment expliquer les départs successifs des dirigeants du GIP DMP ? Peut-être ceux-ci n'avaient-ils pas les moyens de leur mission.

Monsieur le ministre, il vous reste un an pour tenir vos engagements. La France pourra-t-elle réaliser en si peu de temps ce que la Grande-Bretagne a fait en douze ans avec une enveloppe budgétaire dix fois supérieure ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Oui !

Mme Anne-Marie Payet. De l'aveu même de M. Dominique Coudreau, le président du GIP DMP, pour 63 millions de Français, il faudrait disposer d'un milliard d'euros. Or, je le cite, « personne n'a un milliard à mettre sur la table ».

Un changement stratégique d'orientation vient d'être acté par le conseil d'administration. Ce bouleversement intervient sans préparation, alors que les premières expérimentations régionales sont lancées.

Il est dorénavant acquis que, toujours selon Dominique Coudreau, « la puissance publique va prendre la responsabilité de développer un outil principal, à charge ensuite aux hébergeurs de le mettre en place ». Cette plate-forme unique sera alimentée par Web médecin.

En réalité, c'est à une redéfinition du projet DMP que nous assistons. Sous nos yeux, est en train de se dessiner un nouveau DMP, qui semble très différent de celui inscrit dans la loi du 13 août 2004 que nous avons votée.

Web médecin est développé par l'Assurance maladie. Il recense les médicaments prescrits par les médecins à leurs patients, à partir des historiques des remboursements. C'est lui qui constituera la base des données fournies au DMP.

Contrairement à la vocation première du DMP, Web médecin permettra-t-il aux praticiens d'affiner leur diagnostic ? Le remboursement, le contrôle du médecin et du patient seront-ils encore possibles ? Alimenté par Web médecin, le DMP deviendra-t-il un simple outil de maîtrise comptable ? Conservera-t-il sa vocation initiale, qui est d'améliorer la qualité des soins ?

Notre collègue Jean-Jacques Jégou a réalisé un travail de contrôle législatif et parlementaire de grande qualité. C'est aussi à cela que sert la Haute Assemblée, ne l'oublions pas. Fort du constat qu'il a dressé, et qui se trouve corroboré par les faits les plus récents, pouvez-vous affirmer, monsieur le ministre, que le DMP sera prêt dans les délais prévus ?

Plus fondamentalement, et pour conclure, avez-vous l'intention de prendre en compte les recommandations formulées dans le rapport Jégou ? Allez-vous, comme ce dernier le préconise, clarifier le pilotage et renforcer les moyens de financement du GIP ?

Nous ne pouvons pas nous permettre l'économie de telles mesures, à moins que vous ne souhaitiez emprunter une toute autre voie, par exemple la transformation du projet DMP en un outil comptable. En tout cas, monsieur le ministre, nous aimerions que les choses soient claires. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 20 février dernier, lors du vingtième anniversaire de MERI, Médicament éthique et réalité industrielle, je rappelais que la mutualisation des informations contenues dans le dossier médical constituait un élément déterminant de la maîtrise des dépenses de santé.

En effet, comment justifier que les données relatives aux patients soient aussi peu partagées entre les différents acteurs du système de santé ?

En 2004, dans son rapport relatif au projet de loi de réforme de l'assurance maladie, notre collègue Alain Vasselle soulignait que l'une des raisons essentielles de l'inefficience du système de soins et de la dérive des coûts de la santé était la répétition inutile d'actes ou la mise en oeuvre simultanée de thérapeutiques contradictoires face à une même pathologie.

Dans le cadre de cette réforme, nous avons décidé d'instaurer deux dispositifs complémentaires, le médecin traitant et le DMP, le dossier médical personnel informatisé.

Le DMP est largement évoqué par notre collègue Jean-Jacques Jégou dans le rapport d'information sur l'informatisation dans le secteur de la santé qu'il a présenté en novembre dernier, en sa qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission Santé, au nom de la commission des finances.

Les conditions et les délais de la mise en place du dossier médical personnel ont suscité de nombreuses critiques. Il est vrai que le système est particulièrement complexe.

Il nécessite tout d'abord l'informatisation des professionnels de la santé. Tous n'en bénéficient pas encore, même si des efforts importants ont été accomplis dans ce domaine. Il convient également que les médecins déjà équipés disposent d'une interface leur évitant de saisir de nouveau les informations,...

M. Xavier Bertrand, ministre. Tout à fait !

Mme Isabelle Debré. ...ce qui pose la question de l'interopérabilité des logiciels commercialisés par les professionnels du secteur.

Le système doit ensuite apporter des garanties de confidentialité et d'accès aux données. Il faut que le dossier puisse être consulté par le patient de chez lui, sur Internet ou par téléphone, ainsi que par le médecin, avec l'accord du patient.

S'agissant de l'accès du patient aux données médicales qui le concernent, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous signaler les réserves émises par certains professionnels de santé qui, à juste titre, font valoir que tout ne peut être dit au malade et que certaines informations doivent être transmises avec toutes les précautions d'usage.

Enfin et surtout, le DMP doit être confidentiel et assurer une « traçabilité » des personnes à l'origine des données médicales qu'il contient.

Si toutes ces conditions sont réunies, le système sera généralisé en juillet 2007 et il aura un coût de fonctionnement raisonnable, inférieur à dix euros par dossier.

Compte tenu de la complexité technique du système et des contraintes que je viens d'évoquer, il était presque inévitable que le projet subisse certains aléas. Largement confiée dans un premier temps aux industriels du secteur informatique, sa préfiguration a naturellement, voire culturellement, conduit à une certaine fuite en avant technologique, qui risquait de poser des problèmes de délais, de coût et de compatibilité entre les systèmes proposés par les différents opérateurs, au détriment des patients, des médecins et des contribuables.

Monsieur le ministre, vous avez courageusement décidé de reprendre en main ce chantier majeur de la réforme de l'assurance maladie. La ligne stratégique adoptée vendredi dernier par le GIP chargé de mettre en place le dossier médical personnel devrait permettre de respecter les délais prévus, dans le cadre d'un projet conforme aux objectifs de la loi de 2004.

Il convient de rappeler que le dossier médical personnel est le dossier du patient, alimenté par les professionnels de santé. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'approuver les mesures qui ont été retenues.

Pour mémoire, ont été décidées la mise en place d'un portail unique, pour offrir un accès simple au patient, la sélection d'un hébergeur de référence, après appel d'offres, afin d'assurer la cohérence technique du système et de garantir son interopérabilité avec les autres hébergeurs, enfin la pleine participation des professionnels de santé à la définition du contenu du système et des outils adaptés à leur poste de travail, par le biais d'une formation. Cette dernière est évidemment nécessaire pour permettre aux acteurs de s'approprier rapidement le DMP.

Mieux vaut un système qui fonctionne rapidement au service des patients qu'une « cathédrale technologique » qui nécessiterait des années de mise au point !

Mieux vaut s'appuyer sur des systèmes qui ont fait leurs preuves et mettre en place un dispositif évolutif, plutôt que d'attendre un Big bang informatique ou un Grand soir technologique aux conséquences techniques et financières incertaines.

Comparaison internationale n'est pas toujours raison budgétaire. Nous ne pouvons, d'un côté, nous inquiéter de la dérive des dépenses publiques et, de l'autre, vouloir transposer en France un dispositif dont le surcoût budgétaire serait important et de surcroît incompatible avec l'organisation de notre système de santé.

Nous devons rechercher, dans ce domaine comme dans d'autres, le meilleur rapport qualité-prix, avec comme objectif premier l'amélioration du service rendu.

En effet, les considérations technologiques et financières ne doivent pas nous faire oublier que le DMP a aussi et surtout pour but d'améliorer le système de soins.

Aujourd'hui encore, lorsqu'un patient consulte plusieurs médecins ou obtient des informations à la fois d'un laboratoire, d'un hôpital et de son médecin traitant, il n'existe pas de source unique permettant de regrouper les données qui concernent, par exemple, sa pathologie ou les résultats de ses prélèvements. Aussi, par sécurité, des examens sont parfois faits de nouveau en cas d'hospitalisation ou de consultation à l'hôpital.

Le DMP permettra d'éviter la réalisation d'actes médicaux redondants, inutiles, voire dangereux lorsqu'ils sont incompatibles entre eux. Dois-je rappeler que les associations de médicaments provoquent chaque année 128 000 hospitalisations et 10 000 décès ?

En outre, le DMP permettra de réaliser des économies significatives.

C'est sous l'angle de la santé publique que le projet doit prioritairement être examiné. Ce qui compte avant tout, c'est de savoir ce que le système, tel qu'il a été redéfini, offrira concrètement, dès 2007, aux patients et aux professionnels de santé, ainsi que ce qu'il sera capable de leur apporter lors d'évolutions futures. Je pense en particulier aux alertes automatiques et à l'aide à la prescription.

Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions sur ce point essentiel, dans le cadre de la stratégie gagnant-gagnant que vous mettez en oeuvre et que le groupe UMP du Sénat soutient, dans l'intérêt commun des malades, des médecins et de l'assurance maladie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir pris l'initiative de ce débat. Vous le savez, à chaque fois que j'ai eu l'occasion de me présenter devant la Haute Assemblée pour pratiquer cet exercice, j'ai toujours répondu franchement aux questions qui m'étaient posées avec franchise.

La dernière fois que je me suis exprimé devant vous à l'occasion d'une question orale avec débat, celle-ci, organisée à l'initiative de la commission des affaires sociales, portait sur un thème qui nous rassemblait, à savoir les risques sanitaires, et notamment la question de la grippe aviaire.

Il en va de même aujourd'hui pour le dossier médical personnel, dont je note que personne parmi vous - je tiens à vous en remercier - n'a su, voulu ou pu remettre en cause son utilité pour le système de santé. Ce sujet, manifestement, fait partie de ceux qui nous rassemblent, car il concerne avant tout la qualité du système de santé.

L'informatisation constitue un axe stratégique de la modernisation de tous les systèmes de santé, et du nôtre en particulier. Cette dernière est rendue nécessaire par l'évolution des pratiques médicales et par le travail en réseau des médecins. Elle va également dans le sens du progrès de la médecine, puisqu'elle permet de réduire la « non-qualité ». Je pense ici aux actes redondants et inutiles, mais aussi, et surtout, à l'iatrogénie.

Or la « non-qualité » est coûteuse, avant tout sur le plan humain, mais aussi, par voie de conséquence, sur le plan économique. De nombreux rapports et études ont montré l'intérêt du développement des systèmes d'information pour la combattre.

Je crois utile de rappeler que la France bénéficie en ce domaine d'une longueur d'avance, grâce à la mise en oeuvre précoce, dès 1998, de la dématérialisation des feuilles de soin, et au déploiement de la carte Sésame Vitale et de la CPS, la carte de professionnel de santé.

D'ailleurs, notre savoir-faire est reconnu et sert souvent de référence à l'échelle européenne, ce que nous ne rappelons peut-être pas suffisamment dans le débat national.

Par ailleurs, avec la réforme de l'assurance, avec la mise en oeuvre de la réforme hospitalière, je pense notamment à la tarification à l'activité, la tendance de fond est d'accélérer aujourd'hui ce déploiement. Mais il faut reconnaître que les moyens, les systèmes d'information dont nous disposons ont vocation à être rassemblés. Mon ambition est de privilégier une vision stratégique globale, pour aboutir à des systèmes fondés non seulement sur la sécurité, mais aussi, et surtout, sur l'interopérabilité.

À cet égard, le dossier médical personnel représente la pierre angulaire de cette vision. C'est pourquoi je confirme notre engagement de le mettre en oeuvre dès 2007. J'aurai l'occasion d'y revenir, nous allons également donner un nouvel élan à l'informatisation hospitalière, qui constituera un des axes majeurs du plan Hôpital 2012 que je dévoilerai en détail à la fin de cette année.

Après vous avoir écouté, monsieur le rapporteur spécial, nous pourrions avoir le sentiment que vous étiez sur la même ligne que M. Fischer.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. C'est plutôt M. Fischer qui est sur la même ligne que moi ! (Sourires.)

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est possible. Mais il ne s'agit, en définitive, que d'un effet d'optique, car vous n'avez pas eu la même lecture du sujet. Ainsi, monsieur Jégou, vous nous reprochez en quelque sorte de ne pas dépenser suffisamment ni assez vite pour le dossier médical personnel, alors que vous-même, monsieur Fischer, vous prétendez que le DMP pourrait être mis en place au détriment des autres missions du FAQSV, ce qui est faux. Tout à l'heure, sans oser vous interrompre totalement, j'ai voulu tout de même vous préciser que les autres missions, liées à la qualité des soins de ville, seront intégralement remplies.

À cet effet, nous avons à la fois conforté et pérennisé le FAQSV, notamment lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, tout en veillant à ce que ce fonds destiné à l'amélioration de la qualité des soins de ville bénéficie bel et bien des moyens nécessaires pour assurer le financement des structures liées à la permanence des soins, en particulier les fameuses maisons médicales de garde.

Monsieur le rapporteur spécial, nous privilégions une vision stratégique globale de l'informatisation de notre système de santé, car, je le dis en toute honnêteté, nous sommes foncièrement convaincus que les nouvelles technologies profitent à chacun d'entre nous et à l'ensemble des assurés sociaux. Cela suppose non seulement une accélération des moyens, mais surtout une articulation entre les outils développés par les différents acteurs.

Pour l'instant, la France ne souffre pas de retards en matière d'informatisation, notamment par rapport à nos voisins. Malgré tout, nous devons effectivement améliorer l'architecture globale du système et renforcer le lien avec les politiques de santé publique. Car l'informatisation pour l'informatisation ne veut rien dire ! L'informatisation au service des patients et de leur santé, voilà effectivement ce qui nous intéresse.

C'est pourquoi il est nécessaire d'augmenter les ressources consacrées aux systèmes d'information, comme cela est d'ailleurs prévu, mais surtout de donner plus de cohérence à l'ensemble, de permettre le partage des informations entre les différents réseaux et de développer les outils les plus utiles aux citoyens et à notre politique de santé publique.

Tout cela exige un pilotage stratégique, en ville comme à l'hôpital. J'ai donc demandé à la mission pour l'informatisation des systèmes de santé de me remettre des propositions concrètes en vue d'améliorer ce pilotage.

Tout cela exige également un outil simple, pour garantir le partage des données, dans le respect des patients. Comme prévu, le DMP va constituer une avancée majeure en termes de systèmes d'information : en décloisonnant les différents mondes de la santé, il garantira une meilleure communication entre eux ; il s'agit, avant tout, d'être au service des patients, mais aussi d'améliorer la pratique des professionnels de santé, qui attendent ce dossier médical personnel.

Je suis convaincu que le développement des systèmes d'information sans interopérabilité n'a pas de sens.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. C'est vrai !

M. Xavier Bertrand, ministre. Mon ambition est de promouvoir les liaisons entre ces systèmes, pour satisfaire nos objectifs et pour mettre l'informatique au service des usagers, et certainement pas l'inverse. Je l'avais déjà déclaré à l'été 2004, je l'ai répété à l'automne 2004, puis à l'automne 2005, dans le cadre de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n'admettrai pas que nos débats antérieurs soient déformés, d'autant que certains d'entre vous ont suivi avec une grande assiduité celui qui s'est tenu à l'été 2004 sur la réforme de l'assurance maladie. Nos déclarations n'ont jamais varié : notre objectif pour 2007 est de mettre en place la première étape du dossier médical personnel ; nous n'avons jamais dit autre chose. Je mets au défi quiconque de pouvoir ressortir un seul de nos propos indiquant qu'en 2007 le DMP serait effectivement finalisé dans toutes ses dimensions.

En revanche, nous nous sommes effectivement engagés sur cette première étape, en précisant qu'il y aurait bien sûr des développements ultérieurs. Nous l'avons dit, le dossier médical personnel, en recensant les symptômes et les prescriptions, doit nous permettre, dès 2007, d'éviter ces deux écueils que nous ne voulons plus : l'iatrogénie et les actes redondants et inutiles. Voilà ce qui, de façon récurrente, a toujours été dit et écrit. Je tenais à être très clair sur ce point et à répondre à ceux qui cherchent à donner un autre sens aux propos que nous avons tenus à l'époque.

Notre ambition est de renforcer l'informatisation dans le secteur de la santé. À cette fin, nous avons donc retenu une approche résolument pragmatique, qui se conjugue avec l'interopérabilité. La mise en oeuvre du dossier médical personnel ne doit pas devenir une course technologique qui nous ferait oublier les objectifs de santé publique. Mme Debré l'a dit tout à l'heure, il ne s'agit pas de mettre en place une « cathédrale technologique ». Il s'agit de partir de ce qui existe aujourd'hui dans notre pays, de façon à faciliter l'appropriation de l'outil par les acteurs de santé et, donc, aussi, par voie de conséquence, à limiter son coût global.

À cet égard, je ne suis pas persuadé, monsieur le rapporteur spécial, qu'il soit vraiment pertinent de comparer le dossier médical personnel avec le NHS mis en place actuellement par les Britanniques, qui réalisent ainsi une refonte totale de tout leur système d'information. Je ne porterai pas de jugement de valeur sur l'état antérieur de leur système de santé, mais de nombreux observateurs s'accordent à reconnaître qu'une telle refonte était nécessaire, voire indispensable.

Lors du lancement de la réforme, la France n'accusait pas un tel retard. Au demeurant, les sommes déjà allouées à l'ensemble de nos systèmes, et ce depuis plusieurs années, sont d'un ordre de grandeur équivalant au projet britannique. (M. le rapporteur spécial fait un signe de dénégation.)

Le NHS n'est pas transposable en France, ni dans ses principes ni dans ses modalités, car il est à la fois très centralisé et très étatisé. De plus, les périmètres diffèrent : le NHS vise l'informatisation de l'ensemble du système de santé, c'est-à-dire les hôpitaux publics et privés, les professionnels de santé libéraux, l'assurance maladie et le dossier médical personnel. Pour la Grande-Bretagne, cela revient à un investissement d'environ 2,5 milliards d'euros par an. De notre côté, les sommes consacrées à l'ensemble de ces systèmes d'information représentent 2,4 milliards d'euros par an, toutes mesures confondues.

Par conséquent, monsieur le rapporteur spécial, comparons au moins ce qui est comparable ! D'ailleurs, le projet britannique connaît aujourd'hui de réelles difficultés dont vous n'avez pas parlé tout à l'heure. Pour ma part, je préfère une approche pragmatique au Grand soir opéré dans d'autres pays, même si je ne porterai pas de jugement, car leur histoire et leurs besoins diffèrent des nôtres.

Ce qui est certain, c'est que, pour être une réussite, le dossier médical personnel doit pouvoir être mis en place progressivement. Évitons donc de nous focaliser sur le seul projet britannique. En effet, d'autres pays, notamment le Canada et l'Espagne, plus précisément, d'ailleurs, l'Andalousie, ont adopté des systèmes qui prouvent combien l'approche choisie par la France est certainement la plus à même de réussir, compte tenu des délais que nous nous sommes impartis et des moyens que nous avons voulu y allouer. Si le projet des Britanniques a effectivement le mérite de la cohérence, la situation qu'ils connaissaient était tellement spécifique qu'elle rendait cette refonte indispensable.

Le DMP est donc la pierre angulaire de cette stratégie globale. Il prouve que l'informatisation du système de santé profite avant tout aux patients. Dans cet hémicycle, nous le savons tous, en tant qu'élus, bien sûr, mais aussi en tant qu'assurés sociaux, il existe une multiplicité de données informatiques produites par les professionnels de santé. Ces derniers souhaitent qu'elles soient généralisées et ordonnées, afin de pouvoir les partager entre eux, mais également de les transmettre à leurs patients. Voilà pourquoi il nous fallait mettre en place ce projet central du dossier médical personnel.

Le DMP est donc un dossier médical, informatisé et sécurisé, sous le contrôle du patient. Il importe de bien le rappeler, le responsable de ce dossier est, avant tout, le patient lui-même, qui en maîtrisera le contenu en permanence.

En regroupant l'ensemble des éléments relatifs à la santé et à la prévention, le DMP favorisera la coordination des soins et, partant, leur qualité et leur continuité. Je l'ai indiqué à l'instant, il nous permettra d'abord de lutter contre les interactions médicamenteuses et la redondance des soins. Je voudrais d'ailleurs m'attarder un instant sur ce sujet, pour remettre d'une certaine façon les choses à leur place.

Lors de la réforme de l'assurance maladie, discutée au cours de l'été 2004, Philippe Douste-Blazy avait déclaré que le dossier médical personnel serait un outil privilégié de la maîtrise médicalisée, laquelle nous permettrait, à l'horizon 2007, année de la mise en place du dossier médical personnel, de réaliser 3,5 milliards d'euros d'économies.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez bien car nous avons déjà eu l'occasion de nous expliquer sur ce sujet, nous n'avons pas attendu 2007 pour mettre en place cette maîtrise médicalisée des dépenses. Cela nous a permis de faire des économies, sans toucher à la qualité des soins, bien au contraire, puisque nous l'avons même améliorée.

Ainsi, en 2005, nous avons d'ores et déjà réalisé plus de 800 millions d'euros d'économies grâce à la maîtrise médicalisée, à de meilleures prescriptions, voire à des contrôles plus efficaces. Nous continuerons dans cette voie en 2006 et en 2007. Vous l'aurez compris, il n'est pas question d'attendre la généralisation du DMP pour progresser dans la maîtrise médicalisée.

Autre point important à souligner, le dossier médical personnel nous permettra d'éviter les actes redondants et inutiles et, donc, de nombreux gaspillages. En effet, quel avantage pour la santé y a-t-il à passer le même examen à quelques jours d'écart seulement ? Aucun, bien évidemment ! Que coûte l'ensemble de ces examens redondants dans notre pays ? Un milliard et demi d'euros par an ! Pour ma part, je préfère qu'une telle somme soit utilisée pour améliorer les pratiques, voire pour prendre en charge de nouveaux actes de santé, ce que nous ne pouvions pas faire auparavant, au vu du niveau des déficits de l'assurance maladie constaté à l'époque.

J'en viens à la question des interactions médicamenteuses.

À cet égard, le professionnel de santé qui ne dispose pas actuellement d'une vision globale de ce qui est prescrit à son patient, parce que ce dernier ne peut pas ou ne veut pas le renseigner, n'a aucune garantie en la matière. Or, ne l'oublions pas, les interactions médicamenteuses sont à l'origine de 128 000 hospitalisations par an, soit une moyenne de 350 hospitalisations par jour. Avec le dossier médical personnel, lors de ce dialogue toujours singulier qui a pour cadre le cabinet médical, le professionnel de santé sera en mesure de savoir ce qui aura été prescrit à son patient et de pouvoir éviter que de tels drames de santé ne se produisent.

Comme l'a rappelé Mme Debré tout à l'heure, le DMP nous permettra de disposer d'un outil de promotion de la qualité des soins. D'ailleurs, les Français ne s'y sont pas trompés et ont bien intégré le fait que le dossier médical personnel était avant tout un outil de qualité des soins. Voilà pourquoi, au-delà des seuls professionnels de santé, ils nous ont apporté un soutien populaire massif pour cet outil auquel ils tiennent.

Au demeurant, de nombreux Français qui se rendent dans un cabinet médical informatisé disposent déjà d'un tel dossier personnel. Ils voient leur médecin pianoter sur le clavier de leur ordinateur pour traduire, en quelques mots, leur état de santé. Bien souvent, l'ordonnance est même délivrée informatiquement.

Par conséquent, le véritable enjeu de la réforme est de s'appuyer sur l'existant, car nous ne partons pas de rien. Ce faisant, le professionnel de santé, en ville ou à l'hôpital, pourra avoir accès aux informations concernant le patient qui vient le consulter, si ce dernier lui donne son accord. Dans le cadre de certains réseaux, notamment en cancérologie, le « dossier patient » est déjà une réalité et entraîne, je le souligne encore une fois, une meilleure prise en charge.

Le DMP permettra aussi au patient d'accéder à l'ensemble des informations médicales le concernant, qu'il sera libre de fournir au professionnel de santé. Il s'agit donc d'un outil de simplification extraordinaire, qui pourra contenir les prescriptions, les comptes rendus d'opérations, les radios ou les scanners. Aujourd'hui, vous le savez bien, on ne va pas chez un médecin avec l'ensemble de son dossier médical sous le bras. Demain, il sera possible d'accéder facilement à l'historique des soins. Mesdames, messieurs les sénateurs, un tel progrès doit être apprécié à sa juste valeur.

Nous avons conçu ce projet en nous attachant à notre devoir de respect de la vie privée des patients, comme le soulignait tout à l'heure Mme Debré. En la matière, nous suivons une politique très exigeante de confidentialité, et la France a, là aussi, une longueur d'avance, grâce à la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui est très soucieuse de la protection des données de santé.

Parce que nous avons voulu un dispositif simple et au service de tous, il nous fallait passer aussi par une phase de concertation avec tous les acteurs.

Je souhaite, c'est vrai, que l'on puisse obtenir un outil consensuel, simple d'utilisation - j'assume cette exigence - et très vite opérationnel, ce qui nécessite d'associer à son élaboration les futurs utilisateurs.

J'ai bien entendu, depuis le début, l'ensemble des questions qui se posent, et notamment celles qui se posent aux patients et qui sont liées à la dématérialisation et au stockage, chez un hébergeur privé, de données personnelles. Nous nous assurons de la totale sécurité du dispositif. Mais je suis confiant dans le bon sens des uns et des autres et s'agissant de leur confiance. Je suis également confiant dans l'appropriation, car le DMP leur simplifiera la vie.

À titre d'exemple pour celles et ceux qui nous objecteraient que l'informatique n'est pas encore totalement entrée dans les moeurs, je citerai la progression des télédéclarations pour l'impôt sur le revenu : on en dénombrait quelques milliers la première année ; nous en attendons dix millions en 2006, troisième année de la mise en ligne de ce service.

J'ai aussi entendu les questions qui se posent aux professionnels de santé, habitués à une pratique individuelle, renforcée par le secret médical. On s'aperçoit qu'aujourd'hui les professionnels de santé non seulement s'impliquent dans le dossier médical personnel, mais l'attendent. Ils ont en effet compris - et j'ai voulu leur apporter ces assurances très tôt, parce que c'est aussi une condition de la réussite et parce que je suis conscient de ce que représente aujourd'hui la charge de travail des professionnels de santé - qu'il ne saurait y avoir de double saisie avec le dossier médical personnel et qu'il nous faut partir de leur pratique actuelle pour offrir un DMP simple d'utilisation. La simplicité, je la revendique et je l'assume s'agissant du dossier médical personnel.

Enfin, la mise en place d'un espace de stockage du DMP lui-même, son hébergement avec les moyens d'accès à cet espace, le portail, ainsi que tout l'environnement ont également fait l'objet de questions.

Mais encore une fois, s'agissant des questions de sécurité, d'assistance téléphonique et d'information, le délai de mise en oeuvre que nous avons devant nous et le coût limité de l'hébergement vont nous permettre de relever, aujourd'hui et demain, le défi.

Il est également un autre point sur lequel je voudrais que l'on évite la caricature et que l'on se reporte à la constance de nos propos : le contenu du DMP.

Avant la loi du 13 août 2004, il n'existait aucun consensus, même sur le concept du DMP. La mise en oeuvre des expérimentations a permis de définir pour la première fois un accord sur le contenu.

L'alimentation et l'utilisation du DMP représentent aussi un véritable enjeu. Plus que l'aspect technique, lié notamment aux logiciels ou au matériel, c'est l'appropriation par les usagers qui est ici essentielle. Cela nous a conduits à imaginer un dossier médical personnel évolutif et concerté.

Dans un premier temps, les données seront fournies par les professionnels sous forme de documents, sans double saisie, et, dans un second temps, nous évoluerons vers des données plus structurées, qui permettront notamment de développer des outils d'aide à la décision, d'alerte, voire des images mobiles.

À cet égard, je voudrais notamment rappeler que, pour les alertes, il ne s'agit pas d'inventer quelque chose de tout à fait nouveau, dans la mesure où, chez les pharmaciens, il existe notamment un certain nombre de logiciels propres à donner l'alerte sur un certain nombre de médicaments susceptibles de provoquer l'iatrogénie.

Les expérimentations vont nous permettre de répondre aux dernières questions qui sont posées par les professionnels de santé.

Elles nous autorisent aujourd'hui à envisager la généralisation effective pour 2007, comme prévu. Elles nous offrent également la possibilité de montrer aux uns et aux autres l'utilité de ces outils et les réelles avancées qu'ils représentent.

Les expérimentations, monsieur le rapporteur spécial, ne se limitent pas à la phase de terrain. Lors de la phase préparatoire, nous avons atteint deux objectifs centraux : l'accord sur le contenu et la validité technique.

L'élaboration de plates-formes techniques réalisés par les six consortiums industriels - que vous avez rencontrés si j'en crois vos propos -, choisis par appel d'offres, a été menée avec succès de l'été 2005 jusqu'à ce jour. Elle a aussi permis de créer une dynamique autour du projet et de valider les orientations techniques qui pourront être reprises pour la généralisation.

J'avais entendu à l'époque que ce dossier n'intéresserait personne et qu'aucun industriel ne serait partie prenante dans ces expérimentations. Or, aujourd'hui, ils sont six à être complètement impliqués dans le dossier médical personnel.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur. Si vous ne les virez pas !

M. Xavier Bertrand, ministre. Une fois de plus, les Cassandre se sont trompés !

Avec les expérimentations, nous poursuivons un deuxième objectif : tester l'appropriation du dispositif par les acteurs.

Pour ce faire, les tests effectués en conditions réelles sur le terrain, dans les dix-sept sites répartis dans treize régions, portent sur 30 000 dossiers et impliquent 1 500 professionnels de santé et 73 établissements. Ces tests vont pouvoir débuter à la fin de ce mois, après les décisions du comité d'agrément des hébergeurs et de la CNIL. Ils se poursuivront jusqu'à la fin de l'année.

Pour autant, nous n'oublions pas la pratique déjà existante de certains dossiers médicaux, notamment en Franche-Comté où d'ores et déjà de nombreux utilisateurs sont rompus à ces techniques.

La phase d'évaluation, menée parallèlement, nous permet de tirer tous les enseignements possibles. Elle a bel et bien toute sa place dans le dispositif : nous en attendons beaucoup.

Mais comment imaginer, monsieur le rapporteur spécial, que nous attendions la fin de ces expérimentations pour préparer la généralisation, dès lors que la première phase des expérimentations a porté ses fruits ?

Le scénario de généralisation, décidé par le conseil d'administration du GIP DMP, le 7 avril et le 5 mai, a été défini dans la concertation avec les représentants des patients, des professionnels de santé et des institutionnels.

Il prévoit la publication des décrets identifiant, DMP et confidentialité, ainsi que le déploiement progressif des cartes Vitale 2 avant la fin de l'année 2006, et cela sans retard : à partir du moment où le dispositif se mettra en place en 2007, je ne pense pas que l'on puisse nous reprocher le moindre retard en la matière.

En effet, les deux décrets d'application concernant le contenu du dossier médical et les modalités d'accès, la création d'un identifiant de santé sont en cours de rédaction, mais ils seront complétés par les résultats des premières expérimentations afin d'être aussi concrets et complets que possible.

Sortir les décrets avant les retours d'expérience n'avait pas de sens. Que n'aurions-nous entendu sur notre précipitation si nous les avions publiés avant même que les uns et aux autres n'aient pu tirer profit de ces retours d'expérience.

Leur publication est bien évidemment prévue avant la fin de l'année. Je pense même que nous serons en mesure de l'assurer pour le troisième trimestre 2006.

À cet égard, j'ai toujours scrupuleusement veillé à ce que l'on puisse appliquer l'ensemble des décrets dans les meilleurs délais, avec un maximum d'efficacité et de la façon la plus complète possible. Certains avaient prédit qu'en tout état de cause nous ne pourrions pas publier 80 % de décrets de la réforme de l'assurance maladie avant la fin de l'année 2004 ; je leur ai donné raison : nous en avons publié 85 % en quatre mois ! (Mme Isabelle Debré applaudit.) Là encore, tout ce que j'ai souvent entendu dire sur l'assurance maladie s'est trouvé démenti par les faits.

Chaque citoyen pourra donc ouvrir son DMP dans les délais prévus par la loi, à partir du printemps 2007, c'est-à-dire un peu avant la date indiquée dans les textes.

Ce sera le même dossier médical personnel pour tous. Le DMP ne sera pas réservé à ceux qui seraient dotés, par exemple, dans telle ou telle région, d'un dossier. Il existera sur l'ensemble du territoire.

Le service DMP sera composé de trois entités.

Premièrement, un portail unique, qui assurera les fonctions d'information sur le DMP et sur d'autres services de santé, l'identification et l'authentification des patients et des professionnels de santé, et l'inscription des patients pour l'ouverture de leur DMP. Ce portail sera réalisé par la Caisse des dépôts et consignations.

Deuxièmement, des hébergeurs de DMP, agréés sur la base d'un cahier des charges finalisé en cette fin d'année 2006, avec un hébergeur de référence, retenu après appel d'offres, et qui aura pour mission d'être l'hébergeur de secours, d'assurer l'interopérabilité du dispositif, mais aussi de fixer le prix de référence.

Grâce à ce dispositif, aucun hébergeur ne sera favorisé car ce prix correspondra à celui de la meilleure offre, préservant au mieux les finances publiques.

Vous souhaiteriez que nous fixions un prix à ce DMP. Que faites-vous de l'appel d'offres ? Fixer aujourd'hui un prix reviendrait à s'interdire d'avoir recours à l'opérateur, à l'hébergeur le mieux-disant et enlèverait tout crédit à la procédure qui va s'ouvrir.

Le chiffre que vous avancez me semble très loin de la réalité. En effet, s'il n'est ni possible ni souhaitable de fixer un prix, rien ne nous interdit de déterminer une fourchette. En tout état de cause, ce qui sera mis en place pour financer ce dossier médical personnel sera très largement couvert par les économies réalisées.

Troisièmement, l'assistance téléphonique, qui est un autre point important. Elle sera assurée sur le plan technique par la plate-forme de la CNAMTS, au nom de la mutualisation.

S'agissant du GIP, vous vous étonniez que le délai de prolongation ait été acté. Cela a effectivement été le cas, car si, en 2007, nous en sommes à la première étape du DMP, nous n'entendons pas en rester là. Il faut, au nom de l'anticipation, prévoir la suite, ce GIP ayant vocation à continuer de travailler.

Le GIP fera porter son effort sur les conditions d'alimentation et d'utilisation. Cela se traduira par le cofinancement de projets locaux de systèmes d'information DMP-compatibles, par un effort de formation, mais aussi par une campagne de communication.

Conformément aux engagements pris, les dispositions nécessaires au respect des délais annoncés sont réunies et le dispositif de généralisation est cohérent à la fois avec les attentes et les besoins des patients et des professionnels de santé.

Vous m'avez interrogé, monsieur le rapporteur spécial, sur l'informatisation de l'ensemble de notre système de santé - je croyais même que c'était l'objet de l'intégralité de ce débat -, et donc de tous ses acteurs.

Pour ce faire, je suis convaincu qu'il faut d'abord recenser les besoins des différents acteurs et définir les priorités.

La première d'entre elles, c'est l'amélioration du système d'information de l'assurance maladie. Les efforts réalisés par la CNAM, s'agissant de la dématérialisation des feuilles de soins, ont représenté une véritable avancée dans l'harmonisation et l'informatisation de notre système de santé. Avec la carte Vitale 2, nous disposerons, avant la fin de l'année 2006, d'un outil mieux sécurisé et plus personnalisé. Cependant, ne nous voilons pas la face, il reste des efforts à accomplir en matière d'informatisation, notamment du réseau de la caisse. Vous savez, monsieur le rapporteur spécial, qu'une réorganisation est en cours : c'est le souci de son directeur Frédéric Van Roekeghem, comme je m'en suis assuré. Je n'oublie pas non plus les autres caisses, et je pense notamment à la mutualité sociale agricole. Certaines ont déjà développé des systèmes d'informatisation très intéressants et très performants.

Nous poursuivrons également l'informatisation de la médecine de ville. Les chiffres qui m'ont été communiqués montrent qu'aujourd'hui l'informatisation de la médecine de ville atteint un bon niveau : 74 % des professionnels utilisent la télétransmission, pour un taux d'équipement informatique estimé à 85 %. Je veux être certain que ce taux d'équipement correspond bien à un taux d'utilisation. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à la CNAM de dresser un état des lieux complet de l'informatisation de la médecine de ville et de proposer très rapidement les modalités d'un passage à 100 %.

La généralisation du DMP est également l'occasion d'engager des discussions avec les éditeurs de logiciels pour mettre à disposition des professionnels de santé, dès 2007, des logiciels permettant d'alimenter le DMP, et cela sans double saisie.

Nous allons aussi donner un nouvel élan à l'informatisation hospitalière. Nous avons déjà développé, monsieur le rapporteur spécial, un certain nombre d'outils d'information performants à l'hôpital. Les plateaux techniques de radiologie comme les blocs opératoires sont déjà largement informatisés : à hauteur de 70  % pour les premiers et de 50 % pour les seconds.

Les systèmes d'archivage des images se développent tout comme les dossiers médicaux communicants en cancérologie, ainsi que je l'indiquais à l'instant.

En 2005, nous avons aussi entrepris l'informatisation des urgences avec les acteurs du plan Urgences, de la facturation des établissements à l'assurance maladie, en particulier pour la tarification à l'activité, la TAA, ainsi que l'informatisation du parcours de soins.

L'alimentation du DMP se fera aussi par les comptes rendus de sortie des établissements. Dans le cadre de la transparence que je souhaite mettre en place, notamment dans les établissements de santé, je compte faire de la transmission dans les quarante-huit heures maximum des comptes rendus au médecin traitant l'un des indicateurs de qualité à l'hôpital.

Ces projets sont tous soutenus par les chargés de mission de la Mission pour l'amélioration et l'investissement à l'hôpital, spécialisés dans les services d'information hospitaliers et délégués auprès des agences régionales de l'hospitalisation.

Ils sont surtout soutenus par les différents acteurs du système de santé. Le financement de ces projets a aussi été accru, et ce - cela répond à l'une de vos questions, monsieur le rapporteur spécial - grâce aux crédits non consommés du plan Hôpital 2007. C'est ainsi que j'ai choisi, pour 2007, d'affecter 15 millions d'euros supplémentaires pour les services d'information hospitaliers, qui viendront s'ajouter aux 280 millions d'euros déjà programmés.

Je suis néanmoins convaincu que ces efforts doivent être amplifiés et, surtout, confirmés dans la durée. C'est pourquoi j'ai décidé de pérenniser le GIP de modernisation des systèmes d'information hospitaliers en élargissant ses missions aux enjeux de l'informatisation de la médecine de ville.

Il faut savoir qu'à compter de 2007 le financement du groupement proviendra d'une dotation de l'assurance maladie, fixée par arrêté ministériel et qu'une nouvelle convention constitutive ainsi qu'un contrat d'objectifs et de moyens de trois ans renouvelables seront mis au point pour l'automne 2006.

Enfin, le plan Hôpital 2012 doit marquer une nouvelle ambition pour ces services d'information hospitaliers, tant en termes de moyens et de méthode qu'en termes de stratégie.

Mon ambition est de porter la part des dépenses d'informatique hospitalière au minimum à 3 % d'ici à 2012, contre 1,7 % aujourd'hui. Mais surtout nous devons coordonner les efforts des établissements, qui pourraient aujourd'hui être plus rassemblés.

Voilà pourquoi j'ai décidé la mise en oeuvre d'une politique soutenue d'aide à l'investissement en matière de systèmes d'information hospitaliers. Le volet financier sera complété par un volet d'expertise, de soutien et d'évaluation, ainsi que par un plan d'aide à la formation des professionnels.

L'informatisation du dossier médical et du parcours de soins, celle du circuit de prescription, la télémédecine également, en constitueront les principaux axes stratégiques. Cet effort sans précédent nous permettra d'aller plus loin et plus vite encore dans la généralisation des indicateurs de qualité.

Ce nouvel élan contribuera par ailleurs à renforcer les logiques de coopération et de complémentarité entre les établissements. Je ne souhaite pas informatiser les établissements pour obéir à une quelconque tentation technologique. Je veux au contraire utiliser les technologies disponibles pour garantir la sécurité des soins. Une attention particulière sera également portée aux établissements de proximité.

Ainsi, monsieur le rapporteur spécial, mesdames, messieurs les sénateurs, nous mettons en oeuvre, en matière de systèmes d'information, une stratégie globale dont le levier central est le dossier médical personnel. L'approche que nous avons privilégiée est résolument pragmatique, résolument évolutive, c'est vrai. Elle tient compte des utilisateurs quotidiens de ces systèmes, c'est vrai aussi : nous avons voulu, pour mettre en place le dossier médical personnel, partir de ce qui existe déjà - c'est un choix que j'assume - plutôt que de le créer ex nihilo. C'est en nous appuyant sur les pratiques effectives des professionnels de santé et sur leurs souhaits pour l'avenir que nous nous donnons toutes les chances de réussir.

Voilà en quoi le dossier médical personnel est au service de nos politiques de santé, de qualité et de sécurité des soins, de continuité des soins, de réorganisation hospitalière, d'amélioration de la pratique des professionnels. Je suis convaincu que nous avons choisi la bonne voie, et nous allons à la fois l'élargir et l'approfondir.

Depuis que des fonctions ministérielles m'ont été confiées, notamment dans le cadre de l'assurance maladie, j'ai entendu de très nombreuses choses.

J'ai entendu dire, au printemps 2004, que jamais Philippe Douste-Blazy et moi-même ne pourrions présenter de projet de loi réformant l'assurance maladie : le texte a été voté intégralement en août 2004.

J'ai entendu dire que jamais les décrets ne seraient publiés avant la fin de l'année 2004 : ils l'ont été.

J'ai entendu dire que jamais le médecin traitant ne serait une réalité dans notre pays, que jamais les Français ne l'adopteraient : aujourd'hui, plus de trois Français sur quatre ont fait ce choix, alors que tous ne sont pas encore allés voir un médecin depuis la mise en place du dispositif.

J'ai entendu dire que jamais nous ne réussirions à infléchir les dépenses de santé dans notre pays : sans la réforme de l'assurance maladie, le déficit se serait élevé à la fin de l'année 2005 à 16 milliards d'euros, il a été de 8 milliards d'euros, alors que j'en avais promis 8,3 milliards.

Chaque fois, les Cassandre nous ont assuré que rien ne marcherait. Alors, quand aujourd'hui j'entends les uns et les autres affirmer, parfois sur le mode de la caricature, parfois avec sincérité - et j'espère que les arguments que j'ai avancés tout à l'heure seront de nature à les faire changer d'avis -, que le dossier médical personnel ne sera pas opérationnel en 2007, j'ai le sentiment que ces prédictions sont de la même facture, mesdames, messieurs les sénateurs.

C'est parce que nous avons choisi la voie de la simplicité et du pragmatisme que le dossier médical personnel, auquel nous sommes tant attachés, sera réalité dès l'an prochain, et, monsieur le rapporteur spécial, même si la confidentialité est de mise, je serais très heureux de vous donner rendez-vous en 2007 pour l'ouverture de votre propre dossier personnel. (Sourires.)

M. Guy Fischer. Où en sera-t-on !

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Je sais que je serai au rendez-vous, mais j'ignore, monsieur le ministre, s'il en ira de même pour vous !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je conclurai sur cette belle phrase du philosophe Alain : « Le pessimisme est d'humeur ; l'optimisme est de volonté. » Mesdames, messieurs les sénateurs, le DMP sera en place en 2007 ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Sans vouloir prolonger le débat - mais y a-t-il eu débat ? - j'ajouterai quelques réflexions. N'allez surtout pas penser, monsieur le ministre, que je souhaite avoir le dernier mot, car vous prenez bien sûr la parole quand vous le souhaitez, et après moi si vous le désirez.

Qui me connaît sait que m'accuser de vouloir susciter des dépenses supplémentaires relève de la provocation, et la commission des finances du Sénat n'a pas du tout cette intention, peut-être moins encore que son homologue de l'Assemblée nationale, à laquelle j'ai également appartenu. Au contraire, monsieur le ministre, si j'ai adhéré au principe du DMP, que je ne conteste nullement, c'est sa nature qui me conduit à émettre des réserves : nous allons mettre en place en juillet 2007 un DMP qui ne nous permettra pas véritablement de faire des économies.

Je ne donnerai qu'un exemple. Dans ma première vie, j'ai eu le bonheur de travailler dans des hôpitaux. Dans les années soixante, car j'ai, hélas, la malchance d'être plus âgé que vous, monsieur le ministre, ...

M. Xavier Bertrand, ministre. Cela vous donne l'expérience ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. ...lorsque nous avions besoin du dossier d'un patient, par exemple d'une radio, nous nous mettions à plusieurs, personnels soignants et médicaux compris, et nous fouillions dans un bac rempli d'enveloppes de papier kraft pour y trouver la bonne. Je croyais qu'en 2005 tout cela était fini, et depuis longtemps. Or j'ai pu constater en visitant des hôpitaux que l'on continue de chercher les radios en mobilisant toujours autant de personnes, autour peut-être toujours du même bac, et avec la même infortune quelquefois - ce qui permet d'ailleurs de refaire des examens...

Ce que vous proposez, monsieur le ministre - je m'en doutais, mais vous venez de le confirmer - est, certes, un dispositif volontariste, mais le DMP ne contiendra en fin de compte que des informations que vous donnera gratuitement M. Frédéric Van Roekeghem. C'est pour cette raison qu'il ne vous coûtera pas bien cher ! (M. le ministre proteste.)

C'est pourtant ce qui se passera ! Vous m'avez donné rendez-vous, j'y serai, même si j'ignore si vous, vous pourrez le tenir !

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous pourrez toujours m'inviter à titre personnel !

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Absolument, et c'est ce que je ferai !

Je ne souhaite pas bâtir de « cathédrale technologique », pour reprendre les propos de Mme Debré. Je veux simplement qu'une véritable réflexion soit menée et que le débat ait lieu, afin que nous sachions exactement de quoi il est question. Un colloque se tiendra d'ailleurs sur ce thème à l'Assemblée nationale à la fin du mois, et je serai heureux d'y assister.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, de réels efforts sont faits, dont je vous félicite, en faveur de l'informatisation du système de santé. Nous pouvons quelquefois en être fiers, comme dans le cas des hôpitaux d'Arras, d'Amiens ou du Havre - je ne vais pas les rappeler tous, ce serait fastidieux -, mais il faut reconnaître que, dans certains hôpitaux de l'AP-HP, sévissent quelques MacGyver qui imaginent des systèmes informatiques qu'ils sont seuls à comprendre.

Il est donc véritablement nécessaire de rassembler toutes nos forces, car il ne s'agit pas de gauche ou de droite, de majorité ou d'opposition, et je regrette, monsieur le ministre, que vous sembliez avoir le sentiment que le Parlement n'a pas travaillé sérieusement.

M. Xavier Bertrand, ministre. Qu'est-ce qui vous fait penser cela ?

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. D'abord, ce n'est pas très gentil pour nos amis anglais, et vous devriez montrer un peu plus de mansuétude. Je ne suis pas capable d'improviser une traduction littérale de l'article que j'ai sous les yeux, mais je parle suffisamment l'anglais pour avoir compris, lorsque nous sommes enfin allés en Angleterre, en 2005, comment fonctionnait le système dans ce pays.

Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, les Anglais ne méritent pas le traitement que vous leur avez infligé du haut de cette tribune.

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce n'est pas mon modèle, pas plus leur système de santé que leur système informatique.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Ce n'est pas mon modèle non plus ! Au demeurant, il ne s'agit pas ici de leur système de santé : il s'agit de constater que, partant de plus loin que nous, partant en quelque sorte d'une feuille blanche, ils ont élaboré un cahier des charges et sont allés bien au-delà du DMP.

Je conclurai en soulignant qu'il n'y a pas de désaccord entre nous. Simplement, comme je le pressentais, vous allez nous présenter un « DMP petit bras » contenant des informations déjà connues, des informations techniques de la CNAM.

C'est très bien, mais il faudra ensuite élargir l'expérimentation, qui porte sur 30 000 dossiers, à la totalité des patients, et c'est déjà là un saut technologique qui n'est pas évident.

Pour ma part, je vous souhaite pleine réussite, monsieur le ministre. Je considère que, compte tenu de l'importance de l'enjeu de société, la France devrait se mobiliser, à commencer par les associations de malades et nombre de professionnels. Or, sans vouloir me faire ici l'écho de qui que ce soit, je dois bien constater que, après plusieurs mois de travail, les choses ne sont pas véritablement bien engagées, et je le regrette.

Nous aurons l'occasion de poursuivre, en totale confiance...

M. Xavier Bertrand, ministre. Merci !

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. ... et en toute sympathie, monsieur le ministre. Je sais que vous êtes sérieux et que vous suivez vos dossiers, mais je doute encore, car la plupart de mes questions sont restées sans réponse.

M. Xavier Bertrand, ministre. Non !

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. En particulier, vous n'avez pas répondu sur les 100 millions d'euros qui n'ont pas été dépensés, puisque vous avez finalement opté pour un DMP quasiment gratuit !

M. Xavier Bertrand, ministre. Avec vous, c'est plus !

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Mais que faites-vous des 100 millions qui ont été votés ? Ils n'ont pas été dépensés ! (Exclamations et marques d'impatience sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Xavier Bertrand, ministre. M. Arthuis ne va pas être content !

Mme Christiane Kammermann. On verra la réponse au budget !

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Certes, mais surtout lors de la discussion du projet de loi de règlement définitif, donc avant même 2007. Nous vous donnons rendez-vous, monsieur le ministre, parce qu'il se passe dans le budget de la santé, que j'ai l'honneur de rapporter, bien des choses qu'il sera fort intéressant de vous rappeler au cours de la discussion budgétaire.

Mme la présidente. Le débat est clos.

7

 
 
 

Majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés

Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés
Article 1er

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de M. Nicolas About visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés (n° 329).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, rapporteur.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la réforme des retraites de 2003 avait accordé aux personnes lourdement handicapées la possibilité de partir à la retraite de façon anticipée, à cinquante-cinq ans, sans se voir appliquer de décote sur le montant de leur pension.

Ce dispositif, initialement prévu pour les seuls salariés du régime général, a été ensuite étendu, par la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation à la citoyenneté des personnes handicapées, dite loi Handicap, aux personnes relevant du régime agricole et du régime des artisans ainsi qu'aux fonctionnaires.

L'octroi de cet avantage se justifie de lui-même : il prend en compte le fait que les personnes lourdement handicapées disposent rarement des capacités physiques pour se maintenir dans l'emploi, lorsqu'elles ont eu la chance d'en trouver un, jusqu'au terme légal de leur carrière.

Le bénéfice d'une retraite anticipée peut également être interprété comme une manière de mettre en oeuvre le droit à compensation du handicap. Il incombe en effet à la solidarité nationale de compenser les effets du handicap sur le montant des pensions de retraite des personnes handicapées.

Or, si la rédaction adoptée en 2003 permettait aux personnes lourdement handicapées de prendre leur retraite de façon anticipée sans décote, elle ne compensait pas pour autant le manque à gagner résultant d'une carrière raccourcie.

Je m'explique : même sans décote, la pension servie était calculée au prorata du nombre de trimestres réellement cotisés par le travailleur handicapé.

C'est la raison pour laquelle, lors du vote de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation à la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, nous avions approuvé la création d'une majoration de la retraite servie aux personnes handicapées en cas de départ anticipé, afin qu'elles disposent des moyens de subvenir à leurs besoins.

Dans un souci de précision législative, nous avions décliné ce principe selon les différents régimes de retraite, de façon à tenir compte de leurs spécificités.

Pour le privé, le mécanisme retenu permet aux salariés handicapés de bénéficier d'un trimestre validé gratuitement pour quatre trimestres réellement cotisés : la majoration de pension est donc proportionnelle à la durée travaillée. Le décret d'application nécessaire à sa mise en oeuvre a été publié en décembre dernier et ce cas de figure ne présente pas de difficultés.

Pour les fonctionnaires, dans la mesure où la distinction entre les trimestres cotisés et les trimestres validés n'existe pas dans leur régime, la loi Handicap a choisi de poser le principe d'une retraite à taux plein pour les fonctionnaires handicapés qui partent en retraite anticipée. Cependant, bien que publiées depuis plus d'un an, ces dispositions ne sont toujours pas entrées en vigueur, faute d'un décret d'application.

Pourquoi ? La rédaction que nous avions retenue contient en fait une malfaçon, bien involontaire, qui rend le dispositif particulièrement inéquitable.

En effet, il en résulterait d'abord une majoration de pension identique, quel que soit l'âge effectif de départ en retraite anticipée, et donc des écarts importants entre les personnes qui relèvent du régime général et celles qui relèvent du régime de la fonction publique.

Injustice supplémentaire, le bénéfice de cette majoration prendrait fin brutalement à soixante ans, ce qui entraînerait des situations personnelles singulières.

Rappelons tout d'abord que, dans les trois fonctions publiques, l'ouverture du droit à pension est subordonnée à une condition de quinze années de services civils et militaires effectifs et que, pour le calcul d'une pension, la valeur d'une année était, en 2005, de 2 % du traitement indiciaire des six derniers mois d'activité.

Prenons maintenant l'exemple d'un fonctionnaire handicapé qui disposerait de soixante-quatre trimestres validés, soit seize ans de service, à l'âge de cinquante-cinq ans, et donc de quatre-vingts trimestres validés, soit vingt ans de service, à cinquante-neuf ans et de quatre-vingt-quatre trimestres validés, soit vingt et un ans de service, à soixante ans. Étudions le cas de ce fonctionnaire selon le moment où il va décider de prendre sa retraite.

Grâce à la majoration de pension créée par la loi du 11 février 2005, cette personne pourrait partir à la retraite à cinquante-neuf ans avec une pension automatiquement égale à 75 % de son dernier traitement, même en n'ayant cotisé que quatre-vingts trimestres.

Mais, paradoxalement, si elle attendait d'avoir l'âge de soixante ans, elle ne percevrait plus qu'une pension calculée dans les conditions de droit commun, c'est-à-dire au prorata du nombre de trimestres effectivement cotisés, en l'occurrence quatre-vingt-quatre trimestres, et sa pension serait égale à 42 % seulement de son dernier traitement.

Vous conviendrez avec moi que cette situation aurait été bien singulière !

Pour résoudre cette difficulté, la commission avait déposé, lors de la deuxième lecture du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, un amendement portant article additionnel, qui a d'ailleurs été voté puis confirmé dans le texte définitivement adopté en commission mixte paritaire. Or le Conseil constitutionnel a invalidé cet article pour des raisons de procédure, car il a considéré que cette disposition n'avait pas sa place dans un texte relatif à la parité entre les sexes. Il a raison, mais nous espérions que cette disposition survivrait à son passage devant le Conseil.

J'ai donc déposé cette proposition de loi qui, si vous l'adoptez, rendra enfin possible la mise en oeuvre de la retraite anticipée des personnes handicapées dans la fonction publique.

Pour remédier à la malfaçon législative dont je parlais, je vous propose de renvoyer à un décret le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les fonctionnaires lourdement handicapés pourront bénéficier d'une majoration de pension de retraite. Ce décret devrait permettre d'aboutir à un mécanisme similaire dans son esprit à celui qui s'applique aux salariés du secteur privé, mais compatible avec les règles spécifiques du régime de la fonction publique. La majoration sera ainsi d'autant plus importante que le fonctionnaire handicapé aura cotisé longtemps et elle ne s'annulera plus au-delà de l'âge de soixante ans, comme ce serait le cas si l'on appliquait les dispositions actuelles de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Le texte proposé reprend très exactement celui sur lequel nous nous étions mis d'accord lors de la réunion de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la commission des affaires sociales du Sénat n'y a apporté aucune modification.

Monsieur le ministre délégué, la présente proposition de loi est naturellement gagée. Cette précaution était nécessaire pour son dépôt, bien qu'un gage ne soit juridiquement pas opérant dès lors que l'on crée une charge nouvelle. Mais dans la mesure où la réforme proposée avait déjà recueilli, sur le fond, l'accord du Gouvernement, je me permets de solliciter la levée de ce gage.

Mes chers collègues, je vous remercie de bien vouloir adopter cette proposition de loi. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, M. About a tout dit au nom de la commission des affaires sociales qui a adopté cette proposition de loi, aussi serai-je bref.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur About, la loi du 21 août 2003 ne s'est pas bornée à réformer notre système de retraite pour assurer sa sauvegarde, elle a aussi prévu un certain nombre de dispositions d'ordre général pour permettre le départ en retraite anticipée des salariés qui ont commencé très tôt leur vie active. En effet, 250 000 personnes en bénéficiaient à la fin de l'année dernière et elles seront plus de 320 000 à la fin de l'année.

Cette mesure correspondait, je m'en souviens, à une revendication ancienne qui avait été relayée avec beaucoup de constance par les groupes communistes de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais, faute d'une réforme des retraites, les gouvernements précédents n'avaient pas pu la faire adopter ; c'est justement parce que nous avons eu le courage de réformer nos retraites que nous avons permis cette avancée sociale qui était attendue depuis longtemps.

Les choses ne se sont pas arrêtées là puisque, dès la loi de 2003, des mesures plus favorables avaient été prévues en faveur des travailleurs handicapés, pour les motifs très légitimes que M. About vient de rappeler.

C'est avec la loi du 11 février 2005 que ces mesures en faveur des travailleurs handicapés ont pris toute leur portée en permettant à ces personnes d'avoir accès à une retraite anticipée dès l'âge de cinquante-cinq ans à taux plein, à condition d'avoir cotisé trente années.

Mais hélas ! à la suite de la malfaçon législative que M. About vous a parfaitement décrite tout à l'heure, ce régime a bien été appliqué sans difficulté aux travailleurs handicapés des entreprises appliquant le code du travail, mais n'a pas pu être appliqué aux travailleurs handicapés des différentes fonctions publiques. Il s'agit de la première injustice.

Mais il y avait une seconde injustice : si l'on avait voulu appliquer la disposition telle qu'elle a été adoptée - et le Gouvernement prend sa part de responsabilité dans ce débat puisqu'il avait été favorable à ce texte - nous aurions obtenu le résultat très injuste que vous avez relevé, monsieur About, c'est-à-dire qu'un travailleur handicapé des fonctions publiques partant à la retraite à cinquante-neuf ans avec quatre-vingts trimestres de cotisations aurait perçu 75 % de son dernier traitement d'activité, tandis que, s'il avait attendu un an de plus, il se serait retrouvé avec un an de plus de cotisations, mais avec 33% de traitement en moins ! Il serait passé, avec une année de travail supplémentaire de 75 % de son dernier traitement d'activité à 42 %.

Il est évident que nous ne pouvions laisser perdurer ces injustices.

Il s'agit donc aujourd'hui de réparer cette double injustice, d'une part, en défaveur des travailleurs handicapés des fonctions publiques par rapport aux travailleurs handicapés du secteur privé et, d'autre part, entre les travailleurs handicapés eux-mêmes selon qu'ils vont travailler quatre-vingt- quatre trimestres, en ayant atteint l'âge de soixante ans, ou qu'ils auront quitté leur activité à cinquante-neuf ans avec quatre-vingts trimestres de cotisations.

Je remercie M. Dominique Leclerc d'avoir le premier pris toute la dimension d'un problème qui n'a rien d'anecdotique pour nos compatriotes handicapés de la fonction publique, puisque votre collègue avait proposé, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, un amendement qui réglait cette question définitivement, du moins pouvions-nous le croire à l'époque.

Le Conseil constitutionnel en a jugé autrement ; nous respectons naturellement sa décision, mais, sans donner l'impression de nous entêter, et puisqu'il ne s'agissait que d'un problème de procédure, il nous paraît tout à fait légitime de suivre la commission des affaires sociales, dont je salue l'opiniâtreté en même temps que j'exprime ma reconnaissance à son président, sur cette proposition de loi qui vise à apporter enfin une solution d'équité à un problème qui devenait lancinant.

Monsieur le président de la commission, le Gouvernement appuie pleinement cette disposition et, pour que ce soutien à votre heureuse initiative puisse ne pas en rester aux paroles mais donner son plein effet au travail législatif du Sénat et, je l'espère, très bientôt à celui de l'Assemblée nationale, il répond favorablement à votre demande et lèvera, comme vous allez le voir, le gage qui pèse sur la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;

Groupe socialiste, 23 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 11 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Après avoir entendu M. le rapporteur et M. le ministre délégué, je serais tenté de dire que mon intervention n'a plus d'intérêt puisque le gage vient d'être levé et que nous avons en commission approuvé cette proposition de loi. J'ai tout de même souhaité prolonger le débat en déposant un amendement.

Cette proposition de loi, très courte, vient corriger une erreur de rédaction de la loi Handicap du 11 février 2005.

Très rapidement après la publication de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, de nombreuses associations nous ont alertés sur les incohérences de cette partie du texte.

Alors que la loi prévoyait une extension à tous les régimes, y compris les fonctionnaires, de la possibilité pour les salariés handicapés de prendre leur retraite de façon anticipée sans décote, la manière dont le texte était rédigé rendait l'application de cette disposition impossible, et les décrets d'application devaient donc rester en attente pendant de longs mois.

Cette correction était donc d'une nécessité incontestable.

Aussi n'avons-nous que peu de commentaires à faire sur le contenu de cette proposition de loi, qui répond à une demande convergente de toutes les parties, associations de personnes handicapées, syndicats de retraités, parlementaires et Gouvernement.

Je tiens toutefois à souligner devant la Haute Assemblée que le retard qui a été pris dans l'application de la loi plonge de nombreuses familles dans la plus grande incertitude.

Les exemples de retard ou d'incohérences sont légion. Le week-end dernier encore, monsieur le ministre délégué, une manifestation a eu lieu dans le but de vous interpeller une nouvelle fois sur la situation des personnes lourdement handicapées. En effet, la prestation mise en place ne couvre pas plus de douze heures d'aide humaine, ce qui plonge dans le désarroi les personnes qui ont besoin de vingt-quatre heures d'aide humaine.

Et même si le ministre a pris l'engagement de rectifier le décret relatif à la prestation de compensation, on se retrouve malgré tout face à un fonctionnement pour le moins critiquable.

Les mêmes interrogations émanent des départements. Dans certains d'entre eux, les équipes d'évaluation se limitent souvent à une seule personne, un médecin, ce qui est contraire au principe de respect des droits des personnes.

Et je ne parle pas des décrets qui ne sont toujours pas parus, plus d'un an après la publication de la loi. C'est notamment le cas du décret devant créer les établissements et services d'aide par le travail, les ESAT, du décret relatif à l'accessibilité du cadre bâti ou encore de celui qui a trait à la prestation de compensation en établissement.

Tous ces retards et toutes ces incohérences vident en partie la loi de son sens et de son effectivité, alors que de nombreuses personnes en situation de handicap, comme leur famille, avaient mis, et mettent encore beaucoup d'espoirs dans ce texte.

Ces personnes sont allées de désillusion en désillusion, et ce dès la discussion du texte au Parlement. Par-delà les annonces de la majorité, rien n'a été fait pour améliorer ni garantir le niveau de vie des personnes handicapées. C'est un vrai débat.

Le complément de ressources est non seulement d'un montant très faible, mais il ne concerne que les personnes handicapées à plus de 80 %, vivant dans un logement indépendant et ayant une capacité de travail inférieure à 5 %. De telles conditions limitent fortement les effets de cette revalorisation et le nombre de ses bénéficiaires ce qui, de manière légitime, a cristallisé une vive déception.

Mais, surtout, une grande question reste en suspens, celle du financement. Les départements sont donc particulièrement inquiets. Le financement du handicap doit se faire à travers la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA. Celle-ci dispose d'un budget de 2 milliards d'euros pour financer les besoins des personnes âgées, le handicap et les établissements, ce qui lui permet de financer les besoins d'environ 100 000 personnes. Or, la France compte 400 000 personnes handicapées.

Pour le handicap, la possibilité de dépense des départements est de 1,5 milliard d'euros. La CNSA a annoncé un apport de 400 millions d'euros en 2005 et de 800 000 euros en 2006. Si ce décalage se confirme, comment les départements pourront-ils honorer leurs engagements en matière de solidarité ?

Lors de la discussion de ce projet de loi, nous avions vivement critiqué son caractère irréaliste sur certains points et nous avions dénoncé la volonté de l'État de se désengager financièrement de la prise en charge du handicap en transférant certaines dépenses aux départements.

Monsieur le ministre délégué, même vos ambitions de principe se trouvent aujourd'hui mises à mal. Vous parliez à l'époque d'une loi qui allait impulser un véritable changement des mentalités et créer de nouveaux droits pour les personnes en situation de handicap. On est bien loin aujourd'hui de la révolution que vous souhaitiez amorcer, comme en témoignent les dernières recommandations de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, qui, cette année encore, a été saisie à plusieurs reprises de cas de discrimination envers des personnes handicapées.

Cette proposition de loi, en corrigeant une erreur, est donc bel et bien une fidèle illustration de ce qu'il aurait fallu faire, vous l'avez vous-même reconnu, monsieur le rapporteur.

M. Nicolas About, rapporteur. Faute avouée est à moitié pardonnée ! (Sourires.)

M. Guy Fischer. Reste que votre politique, monsieur le ministre délégué, devrait être encore plus cohérente, plus en prise avec les attentes de nos concitoyens, en particulier de nos concitoyens handicapés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la présente proposition de loi était attendue avec impatience, non seulement par les fonctionnaires handicapés, mais aussi, sur le plan des principes, par toutes les personnes handicapées.

L'état du droit antérieur à la réforme des retraites du 21 août 2003 était profondément inéquitable.

À l'époque, les personnes handicapées ne pouvaient pas liquider leur retraite avant soixante ans. Pourtant, lorsque l'on souffre d'un lourd handicap, il est rare que l'on ait la capacité physique d'exercer une activité professionnelle jusqu'à l'âge légal de départ à la retraite.

En cas de départ anticipé, les personnes lourdement handicapées ne pouvaient bénéficier que du régime des pensions d'invalidité. Elles devaient attendre l'âge légal de départ à la retraite pour liquider leur pension. De plus, le montant final de cette pension se voyait fortement diminué par l'application de la décote.

Un premier pas vers plus de justice a donc été franchi avec la loi du 21 août 2003. Ce texte a permis aux salariés présentant un taux d'invalidité au moins égal à 80 % de liquider leur pension de retraite sans, de surcroît, se voir appliquer de décote.

La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis de franchir un deuxième pas vers plus d'égalité, et ce de deux manières.

En premier lieu, elle a étendu aux fonctionnaires handicapés le dispositif de la loi du 21 août 2003 initialement prévu seulement pour les personnes relevant du régime général, du régime agricole et du régime des artisans.

En second lieu, elle a majoré les pensions servies en cas de départ anticipé à la retraite. C'était nécessaire du fait que le montant des pensions effectivement servies, calculées au prorata du nombre de trimestres réellement cotisés par le travailleur, était très faible. Sur le plan des principes, cette majoration doit être considérée comme participant des mesures de solidarité nationale destinées à compenser les effets du handicap.

Deux systèmes de majoration différents pour le privé et pour le public ont alors été retenus par le législateur.

Le système qui est appliqué au secteur privé nous semble ne poser aucun problème. Il est juste. Le décret du 30 décembre 2005 qui en permet l'application prévoit une validation gratuite d'un trimestre supplémentaire pour quatre trimestres réellement cotisés.

Mais le système prévu pour le privé posait un véritable problème d'équité. Tout fonctionnaire dont le taux d'invalidité était égal ou supérieur à 80 % et ayant cotisé au moins quinze ans pouvait toucher une retraite à taux plein, c'est-à-dire équivalant à 75 % de son salaire de référence, s'il partait entre cinquante-cinq et soixante ans.

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le décret d'application de cette mesure n'ait jamais vu le jour. Un tel système était profondément injuste.

D'une part, il créait une rupture d'égalité entre salariés et fonctionnaires handicapés au profit de ces derniers. D'autre part, il engendrait une injustice au sein même de la population des fonctionnaires handicapés. En effet, de cinquante-cinq à soixante ans, les fonctionnaires concernés pouvaient liquider leur retraite à taux plein, mais, s'ils partaient à soixante ans, le régime dérogatoire ne s'appliquait plus et leur pension était liquidée selon les règles de droit commun. Dans ce dernier cas, elle aurait donc été fortement minorée.

Il fallait remédier à cette situation. C'est ce qu'a tenté de faire la commission des affaires sociales, lors de l'examen du projet de loi sur l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, en faisant adopter un amendement visant à étendre aux fonctionnaires handicapés le système retenu pour les salariés. Malheureusement, le Conseil constitutionnel a considéré que cette disposition était un cavalier et il l'a en conséquence invalidée, comme M. le rapporteur l'a expliqué tout à l'heure.

À la suite à cette invalidation de forme, il était devenu nécessaire de revenir sur cette question. C'est pourquoi je remercie M. Nicolas About d'avoir pris l'initiative de déposer cette proposition de loi qui reprend le dispositif invalidé par les sages de la rue de Montpensier. C'est une solution juste. Il paraît normal que la majoration de pension des fonctionnaires handicapés soit proratisée.

En conséquence, vous l'aurez compris, avec mon groupe, je soutiens vivement ce texte, que nous voterons. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, l'application de la majoration de la retraite des fonctionnaires handicapés est une mesure très attendue. Les intéressés patientent en effet depuis près de trois ans.

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait accordé aux personnes ayant travaillé cent vingt trimestres et plus en étant lourdement handicapées la possibilité de partir à cinquante-cinq ans avec une pension pleine. Cette mesure, initialement prévue pour les seuls salariés du régime général a ensuite été étendue, par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, aux personnes relevant du régime agricole et du régime des artisans, ainsi qu'aux fonctionnaires.

Or une erreur rédactionnelle a fait obstacle à la mise en oeuvre de cette mesure nouvelle dans la fonction publique.

En effet, la rédaction du dispositif législatif applicable aux trois fonctions publiques s'est révélée source d'inégalités et d'incohérences.

Tout d'abord, parce que les modalités de calcul de la majoration de pension applicable à la fonction publique diffèrent de celles des autres régimes.

Ensuite, parce que, en l'état actuel du droit applicable, il n'y a pas, dans la fonction publique, de proratisation possible de cet avantage entre cinquante-cinq et cinquante-neuf ans, en fonction du nombre de trimestres cotisés par les assurés sociaux. Cela conduirait à de fortes différences entre le niveau des allocations versées à âge égal et à durée cotisée identique entre les personnes relevant du régime général et celles qui relèvent du régime de la fonction publique.

Enfin, parce que le bénéfice de cette majoration de pension prendrait fin brutalement à soixante ans, ce qui déboucherait sur des situations absurdes : un fonctionnaire handicapé pourrait ainsi partir à cinquante-neuf ans avec 75 % de son dernier traitement et quatre-vingts trimestres cotisés, mais s'il attendait d'avoir soixante ans et quatre-vingt-quatre trimestres cotisés, il ne percevrait plus qu'une pension de « droit commun » de 42 % !

Pour corriger cette erreur, le Sénat a introduit, dans le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, un article additionnel qui a été adopté par l'Assemblée nationale. Mais, le 16 mars dernier, le Conseil constitutionnel a censuré cet article, estimant qu'il n'avait pas sa place dans ce projet de loi.

Force est de le constater, les personnes handicapées jouent de malchance !

C'est donc un retour à la case départ qui nous vaut aujourd'hui cette proposition de loi, laquelle, comme l'a indiqué le rapporteur, vise à « rétablir une certaine équité entre salariés du secteur privé et fonctionnaires, à rendre enfin possible la mise en oeuvre de la retraite anticipée des personnes handicapées dans la fonction publique ».

Au regard de toutes ces considérations, et devant l'urgence de la situation, le groupe socialiste votera cette proposition de loi très attendue.

Cependant, monsieur le ministre délégué, je veux profiter de cette intervention pour vous faire part de quelques demandes et réflexions des associations de personnes handicapées.

Ces associations dénoncent le fait que la nouvelle prestation de compensation du handicap, la PCH, n'est pas appliquée de façon uniforme sur tout le territoire.

Alors que le Gouvernement s'était engagé à hauteur de 880 millions d'euros pour financer la compensation, aujourd'hui, 550 millions d'euros seulement sont prévus.

La scolarisation des enfants handicapés laisse encore à désirer s'agissant tant du nombre d'élèves accueillis que de la qualité de l'intégration.

Les maisons du handicap, extensions des sites autonomes créés sous l'égide de Ségolène Royal, représentent, certes, une avancée, mais le désengagement financier de l'État met les conseils généraux en difficulté.

Le président du Comité des finances locales, Gilles Carrez, soulignait d'ailleurs récemment « l'inquiétude des conseils généraux qui, avec cette loi, ne savent pas où ils vont.»

Les dysfonctionnements dans la mise en place du nouveau dispositif sont nombreux. Les associations dénoncent également l'absence de mesures de transition entre l'ancien et le nouveau dispositif.

Par exemple, en attendant que la prestation de compensation prenne le relais, le Gouvernement avait décidé, en 2005, d'attribuer une aide mensuelle aux personnes lourdement handicapées vivant à leur domicile. Pourtant, les personnes intéressées n'ont jamais rien reçu, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales ayant choisi de bloquer ces crédits en prévision des difficultés à venir.

Pire encore, au 1er janvier 2006, l'État a cessé de verser les forfaits « grande dépendance » aux personnes ayant besoin d'une aide permanente pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie. Ces personnes n'ont donc plus été en mesure de payer leurs auxiliaires de vie.

Quant à l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, elle reste un réel sujet de préoccupation, car elle est aujourd'hui de 610,28 euros par mois, ce qui est très insuffisant.

Mais la loi a introduit une autre majoration, qui répond malheureusement à des conditions extrêmement restrictives : le taux d'incapacité doit être supérieur à 80 %, il faut posséder un logement indépendant et la capacité de travail doit être inférieure à 5 %. Ces conditions restreignent fortement l'impact de cette revalorisation et le nombre de ses bénéficiaires, ce qui provoque une vive déception chez les personnes handicapées.

En outre, la loi rend également plus difficile l'attribution de l'AAH aux personnes ayant un taux d'incapacité compris entre 50 % et 79 %, puisqu'elle exige dorénavant que l'intéressé n'ait pas occupé d'emploi depuis un an. Le manque de moyens se fait donc ressentir à tous les niveaux.

Pour conclure, monsieur le ministre délégué, le bilan de cette loi est très insuffisant. Le handicap doit désormais être traité de manière transversale, par l'adjonction d'un volet « handicap » dans chaque texte législatif. C'est seulement ainsi que les personnes handicapées pourront devenir des citoyens à part entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Kammermann.

Mme Christiane Kammermann. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, au préalable, je rappellerai que la priorité donnée, sous cette législature, à la politique en faveur des handicapés s'est traduite par deux mesures nouvelles importantes concernant la retraite.

Tout d'abord, il s'agit de la possibilité, octroyée par la loi du 21 août 2003, de liquider la pension de retraite avant l'âge légal de soixante ans.

Ensuite, la loi du 11 février 2005 a prévu une majoration de pension dans un tel cas de figure.

Ces mesures étaient très attendues par tous.

Ainsi, pour la première fois, les personnes handicapées à plus de 80 % travaillant dans le secteur privé pouvaient partir à la retraite avant soixante ans.

Le Gouvernement, en permettant à un assuré lourdement handicapé qui a travaillé cent vingt trimestres et plus de partir à cinquante-cinq ans avec une pension à taux plein, a donc tenu son engagement !

Cette mesure représente une avancée sociale importante en faveur des personnes handicapées, puisque près de 12 000 travailleurs handicapés auront la possibilité de bénéficier de cette disposition.

Celle-ci est particulièrement juste, car, chaque jour, en fonction de leur type de handicap, les personnes gravement handicapées qui travaillent subissent des contraintes et des sujétions que ne rencontrent pas les personnes valides et qui sont liées, notamment, à l'inadaptation des transports et aux difficultés rencontrées pour communiquer, accéder à l'information, accomplir certaines tâches de la profession exercée, maintenir un rythme de travail... Il en résulte une usure prématurée de l'organisme.

En outre, le vieillissement, ajouté au handicap, est ressenti de façon plus forte par les travailleurs lourdement handicapés, qui ont plus de difficultés à assurer normalement le déroulement d'une activité et à atteindre le terme prévu pour prétendre à la liquidation de leur pension de retraite.

Ce nouveau droit est applicable depuis le mois de juillet 2004.

Pour autant, les fonctionnaires handicapés n'ont pas été visés dans ce texte. Il aura fallu attendre la loi du 3 février 2005 relative à l'égalité des droits, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, pour que cette faculté leur soit étendue.

Comme l'a rappelé M. Nicolas About, rapporteur de cette proposition de loi, la rédaction adoptée en 2003 a été améliorée, car si celle-ci accordait aux personnes lourdement handicapées le droit de prendre leur retraite de façon anticipée sans décote, elle ne compensait pas pour autant le manque à gagner résultant d'une carrière abrégée : même sans décote, la pension servie restait calculée au prorata du nombre de trimestres réellement cotisés et validés par le travailleur handicapé.

La loi du 3 février 2005 a donc créé une majoration de la pension de retraite servie aux personnes handicapées en cas de départ anticipé, qui est calculée différemment selon les régimes de retraite, de façon à tenir compte de leurs spécificités.

Toutefois, une erreur rédactionnelle a fait obstacle à la mise en oeuvre, dans la fonction publique, de cette mesure nouvelle, tout au moins dans de bonnes conditions.

L'objet du texte que nous examinons aujourd'hui consiste précisément à corriger cette erreur.

En effet, pour les autres régimes, en particulier pour le régime général, il n'existe aucun problème. Le décret prévu à l'article 28 de la loi du 11 février 2005 a été publié le 30 décembre dernier.

En revanche, la rédaction du dispositif législatif similaire applicable aux trois fonctions publiques apparaît comme une source d'iniquités et d'incohérences.

En premier lieu, les modalités de calcul de la majoration de pension diffèrent de celles des autres régimes.

En deuxième lieu, en l'état actuel du droit, il n'existe pas, dans la fonction publique, de proratisation possible de cet avantage, entre cinquante-cinq ans et cinquante-neuf ans, en fonction du nombre de trimestres cotisés par les assurés sociaux. Cela conduirait à de fortes divergences du niveau des allocations versées, à âge égal et à durée cotisée identique, entre les personnes relevant du régime général et celles qui relèvent du régime de la fonction publique.

En dernier lieu, le bénéfice de cette majoration de pension prendrait fin brutalement à soixante ans, ce qui déboucherait sur des situations absurdes : un fonctionnaire handicapé pourrait ainsi partir à cinquante-neuf ans avec 75 % de son dernier traitement et quatre-vingts trimestres cotisés, mais la même personne, si elle attendait d'avoir atteint ses soixante ans et un total de quatre-vingt-quatre trimestres cotisés, ne percevrait plus qu'une pension « de droit commun » correspondant à 42 % du traitement.

La proposition de loi de M. Nicolas About, qui reprend un amendement déjà adopté par le Sénat et supprimé, pour des raisons purement techniques, par le Conseil constitutionnel, permettra donc fort opportunément d'éviter toutes ces difficultés, en harmonisant les modalités de calcul de la majoration de pension, que celle-ci bénéficie aux salariés du secteur privé, aux fonctionnaires ou aux ouvriers des établissements industriels de l'État.

C'est pourquoi l'ensemble du groupe de l'UMP votera ce texte avec conviction. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Nicolas About, rapporteur. Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes, pour permettre à la commission de se réunir et d'étudier l'amendement déposé par M. Fischer.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons bien entendu accéder à la demande de M. le rapporteur et interrompre en conséquence nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à dix-neuf heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés
Article 2

Article 1er

Le second alinéa du 5° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite est ainsi rédigé :

« Une majoration de pension est accordée aux fonctionnaires handicapés visés à l'alinéa précédent, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés
Article additionnel après l'article 2 (début)

Article 2

Les charges résultant pour l'État de l'application des dispositions de l'article 1er sont compensées à due concurrence par un relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Comme je l'ai annoncé, le Gouvernement lève le gage, et vous invite en conséquence à adopter, mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement de suppression de l'article 2 par lequel l'auteur de la proposition de loi avait gagé le dispositif proposé.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'article 2 est supprimé.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés
Article additionnel après l'article 2 (fin)

Article additionnel après l'article 2

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par MM. Fischer et  Muzeau, Mme Hoarau, M. Autain et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 2, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

La majoration prévue à l'article L. 351-1-3 du code de la sécurité sociale, à l'article L. 634-3-3 du même code et à l'article L. 732-18-2 du code rural est applicable à compter du 1er janvier 2006 aux pensions ayant pris effet à partir du 1er juillet 2004.

La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. J'ai souhaité, en déposant cet amendement, attirer l'attention de M. le ministre.

La FNATH, la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, est à l'origine de cet amendement relatif à la majoration de pension de retraite des travailleurs handicapés du secteur privé.

La retraite anticipée pour les salariés du secteur privé a été introduite dans le cadre de la loi portant réforme des retraites du 21 août 2003. Mais le montant de la pension étant proratisé, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a introduit une majoration de pension, dont le décret n° 2005-1774 du 30 décembre 2005 détermine les conditions.

Toutefois, ce décret crée une distinction entre les bénéficiaires de la retraite anticipée.

En effet, en prévoyant que cette majoration de pension n'est applicable qu'aux pensions prenant effet postérieurement au 31 décembre 2005, le décret introduit une distinction entre les bénéficiaires dont les pensions ont pris effet entre le 1er juillet 2004, date d'entrée en vigueur du dispositif, et le 31 décembre 2005, qui ne bénéficient pas de cette majoration, et ceux dont les pensions ont pris effet postérieurement au 31 décembre 2005.

Sur demande de la FNATH, une lettre ministérielle en date du 20 février prévoit que les assurés ayant liquidé une pension au titre de la retraite anticipée des personnes lourdement handicapées dont la date de prise d'effet est comprise entre le 1er mars 2005 et le 31 décembre 2005 peuvent bénéficier de la majoration de pension s'ils en font la demande auprès du régime ou des régimes dont ils relèvent.

C'est un cas bien particulier et encore faut-il être parfaitement informé !

Cette lettre ne répond que de manière incomplète à la question. En effet, la situation des personnes dont la pension a pris effet entre le 1er juillet 2004, date d'entrée en vigueur du dispositif, et le 28 février 2005, mois de promulgation de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, n'est pas réglée.

Il convient donc de prévoir par la loi la rétroactivité de l'entrée en vigueur de la majoration de pension pour l'ensemble des bénéficiaires de la retraite anticipée depuis le 1er juillet 2004, et ce à compter du 1er janvier 2006.

Saisie par la FNATH, la HALDE, autorité voulue par le président de la République, a, dans une délibération en date du 3 avril 2006, appelé votre attention, monsieur le ministre délégué, sur l'opportunité d'étendre le bénéfice de la majoration de pension à compter du 1er juillet 2006 aux pensions ayant pris effet entre le 1er juillet 2004 et le 1er mars 2005. Selon la HALDE, « l'intention du législateur, en créant une majoration de pension en février 2005, était d'améliorer le dispositif de la retraite anticipée qu'il venait de créer pour les travailleurs handicapés quelques mois plus tôt, et non pas d'instaurer deux régimes distincts. »

Tel est l'objet de cet amendement que je me suis permis de déposer et qui, sans trop allonger le débat, mérite une réponse de votre part, monsieur le président de la commission, et de vous-même, monsieur le ministre délégué.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Nicolas About, rapporteur. Chacun connaît le souci quasi légendaire de justice et d'équité de M. Fischer. (Sourires.)

M. Guy Fischer. Je vous remercie, monsieur le président.

M. Nicolas About, rapporteur. Cependant, l'amendement n° 1 qu'il nous a présenté pose problème, car, s'il était adopté, il conduirait à une nouvelle liquidation de la pension des assurés concernés, ce qui ouvrirait une brèche dans la sécurisation des pensions. En matière de retraites, en effet, le principe général, confirmé par le Conseil constitutionnel, veut en effet qu'aucune réforme, favorable ou non, ne s'applique rétroactivement à des pensions déjà liquidées.

De plus, je rappelle que le Gouvernement a déjà fait un effort important dans les limites de ce qui est permis par la loi : il a en effet déjà ouvert la faculté, sur demande des intéressés, d'une attribution de la majoration aux pensions liquidées entre le 1er mars 2005 et le 30 décembre 2005, en considérant que la loi du 11 février 2005 donnait une habilitation législative à une application rétroactive du décret.

Monsieur Fischer, on ne peut, malheureusement, aller plus loin. La commission émet donc, presque à regret, un avis défavorable, mais, à titre personnel, je préférerais que vous acceptiez de retirer l'amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Bas, ministre délégué. J'ai été très attentif à l'exposé de M. Fischer, mais je suis contraint de lui faire la même réponse que celle que vient de formuler le rapporteur et président de la commission des affaires sociales, M. About.

Il est vrai qu'il existe, en matière de retraites, une règle très importante, et ce dans l'intérêt même des retraités : on ne peut liquider à nouveau une pension de retraite déjà liquidée.

Étant en relation régulière avec la FNATH, comme avec l'ensemble des associations qui représentent le monde du handicap, il est vrai aussi que, très attentif à cette demande, j'ai déjà permis, grâce à une interprétation favorable de nos textes, l'application de la rétroactivité des majorations de pension aux pensions liquidées entre le 1er mars 2005 et le 30 décembre 2005.

S'agissant du texte qui vous est présenté aujourd'hui, il va de soi que la même approche s'applique évidemment pour les fonctionnaires. Nous allons donc aussi loin que nous le permettent nos règles, instituées dans l'intérêt général et dans l'intérêt particulier des retraités eux-mêmes, en mettant en oeuvre cette interprétation particulièrement favorable qui nous a permis d'éviter une entrée en vigueur de ces dispositions au 1er janvier 2006.

Par conséquent, monsieur Fischer, je ne peux que m'associer à la demande de retrait formulée par M. About.

Mme la présidente. Monsieur Fischer, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Guy Fischer. J'espère que la FNATH comprendra l'acte que je vais accomplir, ...

M. Nicolas About, rapporteur. Mais oui !

M. Guy Fischer. ... elle dont je me suis fait ici l'interprète, comme d'ailleurs de toutes les associations, et elles sont nombreuses, avec lesquelles nous travaillons !

M. Nicolas About, rapporteur. Bien sûr !

M. Guy Fischer. Il fallait, dans le débat, acter les réponses officielles de M. About, rapporteur et président de la commission, et de M. le ministre délégué. C'est ce qu'a permis la discussion de cet amendement, que j'accepte de retirer.

Cela étant, monsieur le ministre délégué, vous avez déjà fait un pas important dans le sens de la rétroactivité pour un certain nombre de dossiers, mais, vous le comprendrez, toutes celles et tous ceux qui espéraient une avancée supplémentaire seront déçus. Je leur transmettrai vos réponses, afin qu'ils prennent connaissance de la teneur de nos débats.

Mme la présidente. L'amendement n° 1 est retiré.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions modifiées du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi n° 289.

(La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.)

Article additionnel après l'article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés
 

8

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI organique

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. Michel Teston, Mme Jacqueline Alquier, MM. David Assouline, Robert Badinter, Mmes Maryse Bergé-Lavigne, Marie-Christine Blandin, M. Yannick Bodin, Mmes Alima Boumediene-Thiery, Nicole Bricq, Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Yves Dauge, Jean Desessard, Alain Journet, Mme Bariza Khiari, MM. Serge Larcher, Jean-Luc Mélenchon, Jean-Pierre Michel, Gérard Roujas, Claude Saunier, Simon Sutour, Marcel Vidal, Mme Dominique Voynet et M. Richard Yung une proposition de loi organique tendant à interdire le cumul des mandats parlementaires et des fonctions exécutives locales et à limiter le nombre de mandats parlementaires pouvant être exercés, sa vie durant, par une même personne.

La proposition de loi organique sera imprimée sous le n° 350, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

9

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean Arthuis une proposition de loi portant diverses dispositions intéressant la Banque de France.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 347, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

M. le président du Sénat a reçu de Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Eliane Assassi, MM. Roland Muzeau, Guy Fischer, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Robert Bret, Yves Coquelle, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Evelyne Didier, M. Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera, Jean-François Voguet, François Autain et Pierre Biarnès une proposition de loi instaurant une amnistie des infractions commises à l'occasion d'actions revendicatives contre le contrat première embauche.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 348, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

M. le président du Sénat a reçu de M. Michel Teston, Mme Jacqueline Alquier, MM. David Assouline, Robert Badinter, Mmes Maryse Bergé-Lavigne, Marie-Christine Blandin, M. Yannick Bodin, Mmes Alima Boumediene-Thiery, Nicole Bricq, Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Yves Dauge, Jean Desessard, Alain Journet, Mme Bariza Khiari, MM. Serge Larcher, Jean-Luc Mélenchon, Jean-Pierre Michel, Gérard Roujas, Claude Saunier, Simon Sutour, Marcel Vidal, Mme Dominique Voynet et M. Richard Yung une proposition de loi tendant à interdire le cumul des mandats parlementaires ou de représentant au Parlement européen et des fonctions exécutives locales et à limiter la durée des fonctions exécutives locales pouvant être exercées, sa vie durant, par une même personne.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 351, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE résolution

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean Bizet une proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (n° E-2520).

La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 349, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. Michel Charasse un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur diverses missions de contrôle effectuées dans plusieurs pays et sur le groupement d'intérêt public France coopération internationale (FCI).

Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 346 et distribué.

12

ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 16 mai 2006 :

À dix heures trente :

1. Discussion du projet de loi (n° 389, 2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne visant à compléter la liste des établissements culturels et d'enseignement auxquels s'appliquent les dispositions de la convention culturelle du 4 novembre 1949 et de l'accord par échange de lettres du 9 novembre et du 6 décembre 1954 relatif aux exemptions fiscales en faveur des établissements culturels ;

Rapport (n° 229, 2005-2006) de M. Robert Del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

2. Discussion du projet de loi (n° 41, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Agence spatiale européenne relatif au Centre spatial guyanais (ensemble trois annexes) ;

Rapport (n° 255, 2005-2006) de M. Robert Del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

3. Discussion du projet de loi (n° 42, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Agence spatiale européenne relatif aux ensembles de lancement et aux installations associées de l'agence au Centre spatial guyanais (ensemble trois annexes) ;

Rapport (n° 255, 2005-2006) de M. Robert Del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

(La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion générale commune de ces deux textes.)

4. Discussion du projet de loi (n° 39, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Communauté du Pacifique ;

Rapport (n° 228, 2005-2006) de M. Robert Laufoaulu, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

5. Discussion du projet de loi (n° 156, 2005-2006) autorisant l'adhésion à la convention internationale sur le contrôle des systèmes antisalissure nuisibles sur les navires (ensemble quatre annexes et deux appendices), adoptée à Londres le 5 octobre 2001 ;

Rapport (n° 297, 2005-2006) de M. Louis Le Pensec, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

6. Discussion du projet de loi (n° 221, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole n° 14 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la convention ;

Rapport (n° 230, 2005-2006) de M. Jean-Pierre Plancade, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

7. Discussion du projet de loi (n° 130, 2005-2006) autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République azerbaïdjanaise pour la prévention, la recherche, la constatation et la sanction des infractions douanières ;

Rapport (n° 256, 2005-2006) de M. Michel Guerry, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

8. Discussion du projet de loi (n° 352, 2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Chili en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole) ;

Rapport (n° 304, 2005-2006) de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

À seize heures et le soir :

9. Discussion du projet de loi (n° 223, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme des successions et des libéralités ;

Rapport (n° 343, 2005-2006) de M. Henri de Richemont, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 15 mai 2006 à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 15 mai 2006, à douze heures.

Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative aux délégués départementaux de l'éducation nationale (n° 299, 2005-2006) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 mai 2006, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 mai 2006, à dix-sept heures.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives (n° 305, 2005-2006) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 mai 2006, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 mai 2006, à dix-sept heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD