PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « il est des territoires qui ont tellement plus de handicaps que, si on ne leur donne pas plus qu'aux autres, ils ne pourront pas s'en sortir. ». L'auteur de cette phrase très juste n'est autre qu'un candidat, désormais officiellement déclaré à l'élection présidentielle, qui, par ailleurs, dirige l'exécutif d'un territoire connu pour être le département le plus riche de France.

Si cette phrase constitue déjà en elle-même tout un programme pour notre pays, elle s'adapte parfaitement à la situation et aux enjeux des régions ultrapériphériques que sont les collectivités françaises d'outre-mer. Et c'est parce que ces territoires connaissent des situations spécifiques et font face à des difficultés complexes qu'ils nécessitent davantage de moyens budgétaires et financiers.

Les collectivités d'outre-mer, au même titre que le reste du territoire français, bénéficient des crédits du budget de l'État répartis dans l'ensemble des ministères. Mais, en raison de leur spécificité, ces collectivités se répartissent les crédits de leur propre ministère, crédits qui représentent donc une part, et non la totalité, de l'effort national en faveur de l'outre-mer, puisque celui-ci peut être chiffré à hauteur de 13 milliards d'euros pour 2007.

Concernant la seule fraction spécifique du budget de l'État, celle qui nous intéresse aujourd'hui et qui correspond à la mission « Outre-mer », elle s'élève en valeur absolue à 1 963 millions d'euros pour 2007, contre 1 898 millions dans le précédent budget. Aussi, globalement, il est bien de dire que notre pays maintient son effort de solidarité en direction de l'outre-mer et de ses besoins spécifiques, et ce dans un contexte budgétaire que nous savons difficile. Mais reconnaissons aussi que cela reste insuffisant, car la plus belle France ne peut donner que ce qu'elle a...

La situation des territoires d'outre-mer, vous le savez bien, monsieur le ministre, est, elle aussi, particulièrement difficile, à tel point que, dans beaucoup de secteurs, elle est proche de la crise, voire de la rupture, mais - hélas ! - pas de la « rupture tranquille » !

S'agissant de la Guyane, les crédits de l'outre-mer lui accordent 990 387 milliers d'euros, ce qui en fait le moins bien loti des quatre départements d'outre-mer. Par ailleurs, je remarque, à la lecture de l'excellent rapport de la commission des finances, que d'importantes variations de crédits existent, parfois assez surprenantes, il faut bien le dire, entre les différents types de collectivités d'outre-mer, a fortiori si on ramène cette répartition per capita.

Pourtant, je crois pouvoir dire sous votre contrôle, monsieur le ministre, que la Guyane est le département d'outre-mer qui doit faire face aux plus grandes difficultés et aux situations les plus urgentes.

Le contrat de projet 2007-2013 prévoit, c'est vrai, une dotation quatre fois supérieure à la moyenne nationale par habitant ; il prévoit aussi un pôle d'excellence rurale pour aider l'est guyanais et un pôle universitaire pour déclencher des dynamiques de développement.

Toutefois, malgré cette volonté politique réelle, force est de constater que les moyens financiers ne sont pas à la hauteur des enjeux que doivent affronter les collectivités de Guyane et que leurs dotations demeurent encore trop insuffisantes. En effet, la grande fragilité de leur situation financière constitue un frein à leur capacité d'investissement.

À cela s'ajoute la non-compensation par l'État des charges générées par le transfert des compétences. Pour le seul RMI, le département de la Guyane doit jongler avec une dette cumulée sur deux ans de plus de 25 millions d'euros. Quant au financement du transport scolaire fluvial, sur des fleuves non navigables juridiquement, il coûte à la collectivité départementale près de 2 millions d'euros.

Concernant le logement et la très grave crise que traverse son financement - question abordée déjà par nombre de mes collègues -, il en va pour la Guyane comme pour l'outre-mer en général : il faut refaire du logement une « priorité réelle ».

Comme tous mes collègues ultramarins, je me réjouis, bien sûr, de l'affectation annoncée par le Gouvernement de 120 millions d'euros de crédits supplémentaires pour le logement social et de l'application du plan Borloo outre-mer.

Ainsi, lors de son récent déplacement aux Antilles, le Premier Ministre a donné un signal fort en annonçant un plan de rattrapage exceptionnel des crédits de paiement avec des effets attendus dès le début de l'année 2007.

Enfin, pour clore ce thème essentiel du logement, vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, qu'en Guyane, au manque de logements et au mauvais état du parc immobilier, vient s'ajouter le problème sensible des occupations et des constructions illicites sur des terrains aussi bien privés que publics.

Une habilitation à légiférer par ordonnance sur cette question des constructions illicites a été adoptée par le Sénat lors de l'examen du projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. Mais l'Assemblée nationale ne l'a pas encore examiné, et le temps presse.

D'ailleurs, ces occupations illégales sont à mettre en relation directe avec la présence massive d'immigrés clandestins sur le territoire guyanais. Car le développement économique de la Guyane passe inexorablement par la lutte contre l'immigration clandestine, qui atteint dans ce territoire des proportions totalement inacceptables - de l'ordre de 40 000 personnes -, mettant en péril son équilibre aussi bien démographique qu'économique et social.

Cette forte immigration clandestine se caractérise par ce que j'appelle depuis longtemps une « immigration-guichets », puisque ces populations viennent exclusivement pour bénéficier de prestations sociales en tout genre, prestations qui, aussitôt touchées, sont envoyées pour une très large part vers les pays d'origine.

Bien loin de nous apporter un soutien pour accélérer notre développement économique, cette immigration clandestine l'handicape et le retarde très fortement du fait de son coût sans fin, véritable tonneau des Danaïdes.

J'ai bien conscience, monsieur le ministre, que le Gouvernement et vous-même n'êtes pas restés sans réagir, notamment en acceptant des amendements que j'avais déposés sur les derniers textes spécifiques à l'outre-mer que notre assemblée a eu à examiner.

Toutefois, nous ne pourrons faire l'économie d'un texte spécifique à la Guyane, qui donnera à ses élus les moyens d'adapter la législation à sa situation locale si particulière, dans ce domaine de l'immigration clandestine comme dans bien d'autres.

Car c'est désormais l'ordre public lui-même qui est en péril. L'insécurité explose. L'exaspération des Guyanais grandit face à la multiplication des actes de violence. Des manifestations et des opérations « ville morte » sont régulièrement organisées.

Il y a peu, les habitants de Kourou, excédés par les vols et agressions à répétition au quotidien, ont manifesté leur colère en défilant dans les rues et en fermant les commerces.

Des élus de Kourou, accompagnés du député et du maire, ont été reçus par des conseillers du ministre de l'intérieur.

La Guyane, monsieur le ministre, est un territoire français qui a besoin, plus que beaucoup d'autres, de nombreux investissements financiers de la part de l'État, selon une logique d'équité et de solidarité entre les territoires.

En ce moment, une importante grève des agents d'EDF paralyse fortement la production et la consommation d'électricité aux Antilles et en Guyane. Ces personnels sont très inquiets parce qu'ils pensent que la production du service public de l'énergie dans les territoires d'outre-mer est davantage fragilisée qu'elle ne l'est en France hexagonale.

Une fois de plus, leurs inquiétudes légitimes traduisent une crainte constante d'être les laissés-pour-compte de la République. Ils ont besoin de mesures concrètes, monsieur le ministre, mais aussi de signaux forts de la part du Gouvernement, et notamment de votre part.

Aujourd'hui, dans une conjoncture économique difficile et à la veille d'échéances électorales majeures, le budget de l'outre-mer fait plus que résister : il réaffirme malgré tout l'effort de la nation en faveur de ces territoires du bout du monde. Et même s'il ne réglera pas tout, tout de suite, ce budget a le mérite de la sincérité et de l'aveu de ses limites.

Il emprunte néanmoins le bon chemin, ce qui ne l'empêchera pas à l'avenir d'être nécessairement plus ambitieux et, bien sûr, de se donner les moyens de ses ambitions.

Aussi, mes chers collègues le sénateur de la Guyane, parce qu'il est responsable, confiant et plein d'espérances, votera les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2007. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, année après année, à l'occasion de l'examen des crédits de la mission « Outre-mer », nous posons avec gravité la complexité des enjeux liés au défi du développement des régions ultramarines.

Année après année, nous plaidons devant la représentation nationale en faveur d'une véritable ambition pour l'outre-mer, liée au rayonnement de la France et de l'Union européenne.

Année après année, nous rappelons que la valorisation de nos atouts serait profitable à la nation tout entière.

Année après année, nous tentons de tordre le cou aux idées simplistes selon lesquelles l'outre-mer coûterait cher à la France, en rappelant l'avantage économique et géostratégique incomparable d'une présence sur tous les océans.

Mais année après année, nous constatons que le saut qualitatif attendu n'est pas au rendez-vous. Pire, nous observons avec quelque inquiétude, dans le débat national, le rétrécissement de la vision et le repli sur des limites nationales et continentales.

Affaire de génération ? Peut être ! Mais nous craignons qu'une vraie ambition pour l'outre mer ne soit emportée par le désintérêt patent aujourd'hui pour le monde.

Et ce n'est pas dans la continuation d'une politique routinière, dont ce budget est l'illustration, que ce défi sera relevé.

Les limites des politiques conduites jusqu'à présent, notamment en matière de lutte contre le chômage, obligent à faire preuve d'imagination. Nous avons le devoir d'innover et d'ouvrir des perspectives pour les milliers de jeunes, souvent diplômés, qui n'ont aucune assurance de s'insérer à la Réunion dans le monde du travail.

Projetons-nous donc avec audace au-delà de nos limites insulaires, aussi bien vers les marchés des pays européens que vers ceux de nos voisins qui, les uns comme les autres, sont nos partenaires naturels.

Inventons des coopérations nouvelles, tirons parti du niveau de formation de notre jeunesse et incitons-la à se déployer là où elle peut être utile et oeuvrer avec nos voisins pour le codéveloppement.

La Réunion ne sera pas une « colonie colonisatrice ». Mais sa jeunesse doit pouvoir s'inscrire dans le mouvement du monde et des échanges. La voie est aujourd'hui ouverte par les nombreux accords de coopération initiés par la région Réunion. Une sortie par le haut dans la recherche de nouvelles frontières, c'est bien là, mes chers collègues, la voie à suivre qui mérite d'être amplifiée et soutenue.

Mais ces perspectives ne doivent pas faire oublier la réalité d'aujourd'hui à laquelle nous ramène le budget pour 2007.

La réalité, c'est que l'on ne peut se glorifier d'un taux de chômage de plus de 28 %, de l'aggravation des inégalités et de la détérioration des conditions de vie des Réunionnais, notamment en matière de logement.

S'agissant de l'emploi, l'engagement de grands chantiers d'initiative régionale, sans précédent, aura contribué à un taux également sans précédent de créations d'emplois dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

De même, des secteurs innovants comme le transport aérien ou les énergies renouvelables auront été créateurs d'emplois.

Lorsque des avancées sont au rendez-vous, elles méritent d'être soulignées, car elles témoignent de la capacité des Réunionnais à tirer le meilleur parti de certains dispositifs. À cet égard, cela devrait inciter à inclure la recherche dans le champ d'éligibilité de la défiscalisation.

La défiscalisation, il en a été beaucoup question et nous attendons avec intérêt les conclusions de la mission d'évaluation en cours.

Ces quelques motifs de satisfaction ne doivent pas occulter l'essentiel : nous conservons un taux de chômage record qui avoisine les 30 %. Combien de temps encore la société réunionnaise saura-t-elle trouver des petits arrangements pour supporter l'insupportable ?

Nous devons aussi penser à celles et à ceux qui, durant la même période, sont restés ou ont été mis sur le bord du chemin, notamment par la diminution des contrats aidés. Pour l'ensemble de l'outre-mer, le nombre de ces contrats financés par le ministère de l'outre-mer est passé de plus de 67 500 en 2000 à moins de 54 000 en 2005.

La vérité oblige à considérer que, malgré un taux de croissance dynamique de 5 %, l'économie réunionnaise ne pourra, compte tenu de notre structure démographique, absorber en totalité la demande d'emplois. Mais nous devons, de manière responsable, en tirer les conséquences en reconnaissant dans le même temps l'importance du champ de l'économie sociale.

L'extinction du dispositif de congé-solidarité a soulevé à la Réunion une mobilisation en faveur de son prolongement. Sur l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a décidé sa prorogation pour un an, assortie d'une série de conditions. La participation de l'État a été ramenée de 60 % à 50 %. À l'évidence, la précipitation, l'improvisation, les petits calculs et les effets d'annonce auront en définitive accouché d'une solution qui ne satisfait personne.

S'agissant du logement, là encore, année après année, nous revenons devant la représentation nationale porteurs des mêmes demandes et avec un diagnostic toujours aggravé. Jamais ce secteur n'aura été aussi sinistré qu'il ne l'est aujourd'hui, tant la diminution continue des moyens financiers et les effets pervers de la défiscalisation ont aggravé l'écart entre la production de logements sociaux et une demande toujours croissante.

Ce qui a manqué, c'est la volonté politique. Car les solutions, elles, sont connues et ne demandent qu'à être concrétisées pour répondre à l'aspiration légitime des milliers de familles en attente d'un logement décent.

Le Premier ministre a annoncé aux Antilles un train de mesures pour le logement social outre-mer, sans doute pour remédier à l'inégalité de traitement née de l'exclusion de l'outre-mer du bénéfice du plan Borloo.

Cela va dans le bon sens, mais reste insuffisant. Nous aurions préféré la mise en oeuvre d'une loi spécifique sur le logement outre-mer, telle qu'elle est attendue par tous les acteurs du logement social dans les départements d'outre-mer.

La flambée des loyers et l'augmentation du prix des intrants, notamment des carburants, auront contribué à la détérioration du pouvoir d'achat des Réunionnais.

Cela me conduit à évoquer de nouveau la question relative à l'installation de l'observatoire des prix et des revenus prévu à l'article 75 de la loi d'orientation pour l'outre-mer. Monsieur le ministre, vous avez rappelé hier, à l'Assemblée nationale, que des études seraient engagées pour examiner la faisabilité de cette mesure.

Les données produites par cet observatoire des prix, mais aussi des revenus, de tous les revenus, seront d'autant plus essentielles que pas une ligne, pas un mot n'est consacré à l'outre-mer dans l'important rapport que le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, le CERC, a récemment remis au Premier ministre.

La question des prix et des revenus est éminemment complexe à la Réunion, notamment en raison de la structure des salaires et de l'existence de surrémunérations dans la fonction publique.

Mon prédécesseur, le président Vergès, l'a rappelé plusieurs fois, ici même, devant la Haute Assemblée : la Réunion n'est rétive à aucune réforme. Au contraire, tout peut être mis sur la table, mais dans le respect scrupuleux de deux conditions : premièrement, rien ne saurait se faire sans la concertation la plus large et la production de données indiscutables, notamment sur le coût de la vie ; deuxièmement, aucune économie réalisée au budget de l'État ne devrait se traduire par un appauvrissement de notre île.

Sur ce plan, force est de constater que le précédent né de la suppression de la prime d'éloignement n'incite guère à l'optimisme.

Force est également de s'interroger sur la motivation de celles et de ceux qui, aujourd'hui, dans des sphères influentes, militent avec constance et détermination en faveur de la suppression de ces surrémunérations, dont le dernier épisode en date concerne la majoration des retraites versées outre-mer.

Aborder l'outre-mer sous le seul aspect des économies de fonctionnement que devrait faire l'État, c'est lui manifester un manque de considération qui ne l'aide pas à relever tous les défis auxquels il est confronté.

Sans ironie aucune, j'invite d'ailleurs celles et ceux qui n'ont pour seule préoccupation que de faire la démonstration que l'outre-mer coûterait cher à la France à s'interroger sur ce que nous apportons à la nation et à l'Union européenne.

Pas plus danseuses que pleureuses de la France, nous refusons l'enfermement dans des champs étroits et assumons sans complexe notre liberté d'être avant tout pleinement nous-mêmes, ici et ailleurs à la fois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Lise.

M. Claude Lise. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget du ministère de l'outre-mer pour 2007 est, il faut le reconnaître, particulièrement préoccupant, non pas du seul fait qu'il accuse une baisse de ses crédits de paiement de 12 % - encore qu'il importe de tenir compte de la baisse concomitante des autorisations d'engagement de près de 14,5 % -, mais parce qu'il vient confirmer une politique de réduction de crédits, qui, à l'évidence, marquera la présente législature.

En effet, si l'on raisonne à périmètre constant, en faisant fi de tous les artifices de présentation auxquels on a eu parfois recours, c'est la quatrième année consécutive que le budget de l'outre-mer voit ses crédits diminuer, avec une baisse des chiffres réels de 7 % pour le budget de 2006 et de 7,6 % pour celui de 2005.

Mais ce budget est préoccupant surtout à cause de l'insuffisance des moyens qu'il consacre aux deux grandes priorités qu'il affiche : l'emploi et le logement.

En ce qui concerne l'emploi et le soutien de l'activité économique, les crédits régressent de 5 %, alors que la situation très difficile qui prévaut toujours, à cet égard, dans les différents départements et collectivités d'outre-mer devrait conduire, bien au contraire, à une accentuation de l'effort de l'État.

Il faut, en effet, sérieusement relativiser la baisse du taux de chômage de deux ou trois points observée outre-mer depuis 1999. Elle résulte certainement, pour une part, difficile d'ailleurs à évaluer, de la mise en oeuvre successive de la loi d'orientation pour l'outre-mer jumelée à la loi Paul de défiscalisation et de la loi de programme pour l'outre-mer de 2003. Mais elle est largement due aussi à la politique d'emplois aidés menée en partenariat avec les collectivités territoriales.

Le niveau du chômage n'en demeure pas moins en moyenne beaucoup plus élevé que dans l'hexagone, avec un taux de 27,9 % selon les chiffres du Bureau international du travail, le BIT. En Martinique, le taux est actuellement de 22 %, mais il ne va probablement pas tarder à remonter compte tenu des licenciements que l'on observe depuis plus de deux ans dans certains secteurs, notamment ceux de la banane et du BTP. Il est vrai que nous créons beaucoup d'entreprises et d'emplois, mais il est également vrai que nous en perdons une grande quantité dans le même temps.

Il faut, de surcroît, tenir compte du nombre de RMIstes - 32 500 en Martinique -, et, plus généralement, du nombre de personnes en situation de précarité : la proportion d'allocataires de minima sociaux au sein de la population âgée de vingt ans et plus atteint 25 % en Guadeloupe et à la Martinique et 29 % à la Réunion, contre 7 % en moyenne en métropole.

C'est dire l'inquiétude que peut susciter une nouvelle diminution des crédits du programme 138 portant aussi bien sur les mesures d'abaissement du coût du travail que sur les dispositifs d'insertion et d'aides directes à l'emploi.

C'est dire, surtout, l'inquiétude de voir continuer à chuter le nombre de contrats aidés financés par le budget du ministère de l'outre-mer : seulement 23 000 nouveaux contrats sont prévus en 2006.

On m'objectera sans doute que les nouveaux contrats financés dans le cadre du plan Borloo les remplacent avantageusement, notamment les contrats d'avenir et les contrats d'insertion-revenu minimum d'activité, les CI-RMA.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, j'ai salué leur mise en place. J'aurais pu plutôt ironiser sur le fait qu'avec les contrats d'avenir on semblait redécouvrir les vertus de l'emploi aidé dans le secteur non marchand, tellement stigmatisé pendant un certain temps. Au lieu de cela, j'ai accepté de signer, en juin 2005, une convention pour la mise en place de 5 000 contrats d'avenir et 300 CI-RMA sur deux ans.

Il s'agissait, m'avait-on dit - et la loi paraissait claire à ce sujet - d'activer l'allocation RMI en la versant à l'employeur et non à l'allocataire.

Depuis, j'ai véritablement mobilisé les équipes de l'Agence départementale d'insertion pour tenir mon engagement. Mais alors que nous en sommes à plus de 2 800 contrats d'avenir placés, j'apprends qu'il n'est pas question que l'État rembourse au département le montant de ²l'« allocation activée ».

Les services des administrations centrales concernées développent en effet un raisonnement - je préfère ne pas le qualifier à cette tribune - selon lequel un RMIste bénéficiant d'un contrat d'avenir n'est plus un RMIste !

À l'instar de certains de mes collègues qui se sont fortement engagés dans le dispositif, je me vois donc contraint de tout arrêter. Et il me faut maintenant trouver plus de 12 millions d'euros pour financer chaque année les contrats déjà signés.

J'aimerais évidemment, monsieur le ministre, que vous me précisiez votre position sur la situation très grave ainsi créée, une situation dans laquelle l'État ne tient pas sa parole alors que le département a respecté ses engagements.

Les réductions de crédits du programme « Emploi outre-mer » ne trouvent pas non plus de compensation dans l'évolution des autres dispositifs de soutien à l'activité et à l'emploi ne relevant pas directement du ministère de l'outre-mer, notamment dans le dispositif de défiscalisation des investissements outre-mer. On relève, en effet, une assez nette baisse des investissements aidés dans ce cadre.

Et tout cela, faut-il le rappeler, au moment où l'on discute d'un futur programme européen dont l'enveloppe globale pour l'outre-mer diminue en euros constants et dont les conditions de mise en oeuvre vont se trouver compliquées par le nouveau système dit de l'earmarking.

La deuxième priorité mise en avant par ce budget, et c'est une constante depuis des années, c'est le logement. Et là - cela a été dit avant moi -, le constat est encore plus consternant.

Le montant inscrit en crédits de paiement - 175,5 millions d'euros - est presque du même ordre que celui des années précédentes. Il n'a pratiquement pas varié depuis 2003. Les autorisations d'engagement, quant à elles, baissent de 17 %.

Et pourtant, différents rapports officiels soulignent, comme ne cessent de le faire les élus d'outre mer, la gravité de la situation et l'importance des retards accumulés. Je veux d'ailleurs saluer au passage le rapport tout à fait remarquable de notre collègue Henri Torre.

On estime, au minimum, à 307 millions d'euros par an sur cinq ans les besoins de financement nécessaires pour mener une politique du logement en rapport avec la situation dans laquelle on se trouve.

Les rapports dénoncent par ailleurs le niveau élevé de la dette exigible de l'État ; celle-ci atteindra, d'ici à la fin de l'année, la somme de 113 millions d'euros. Le Premier ministre a annoncé que cette dette serait apurée avant la fin du mois de mars de l'année 2007. Mais, pour l'instant, seuls 60 millions d'euros paraissent effectivement mobilisables à cet effet ; il reste donc 53 millions d'euros à trouver.

Le Premier ministre a, par ailleurs, annoncé, dans le cadre de l'application du plan de cohésion sociale, une somme de 120 millions d'euros sur trois ans, dont 60 millions en 2007. Mais ces 60 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement, et il n'y a, à ma connaissance, que 13 millions de crédits de paiement inscrits en loi de finance rectificative et reportés, de façon d'ailleurs dérogatoire, sur 2007 ; cela porte donc les crédits de paiement pour 2007 à 188,75 millions d'euros. Mais, de toute évidence, il faudra déduire de cette somme les 53 millions d'euros manquant pour assurer l'apurement de la dette de l'État.

On devine aisément la situation catastrophique dans laquelle il va falloir aborder l'année 2007, avec les conséquences que cela ne peut manquer d'entraîner, d'un point de vue tant social qu'économique. À la Martinique, plus de 400 entreprises travaillant dans le secteur de la réhabilitation du logement social sont d'ores et déjà au bord du dépôt de bilan ; certaines ont commencé à licencier du personnel. Le montant des factures impayées grevant leur trésorerie s'élève à 17 millions d'euros ! Les sociétés d'HLM, quant à elles, totalisent 9 millions d'euros de factures impayées.

Le désengagement financier de l'État est donc outre-mer, plus encore que dans l'Hexagone, une réalité.

Les collectivités locales d'outre-mer en font évidemment les frais, mais les conséquences pour elles sont d'autant plus difficiles à supporter qu'elles doivent faire face à des demandes en matière d'équipements, et plus encore en matière sociale, sans commune mesure avec celles que connaissent leurs homologues de l'Hexagone. Elles doivent supporter également de nombreux surcoûts dus à leur situation géographique.

Il devient donc urgent de prendre la mesure de leurs difficultés financières structurelles et de leur accorder un niveau de ressources suffisant pour leur permettre de continuer à jouer le rôle essentiel qu'on leur reconnaît en matière de développement économique et social.

Il faut absolument que l'État cesse de leur transférer des charges et de les utiliser comme banquiers. À ce sujet, je veux lancer à nouveau un véritable cri d'alarme sur la situation très grave dans laquelle se trouvent les conseils généraux d'outre-mer depuis le transfert de la gestion du RMI. Les niveaux de différentiels entre le montant des allocations versées et les remboursements financés par la TIPP sont devenus véritablement insupportables. Pour le conseil général de la Martinique, ce différentiel s'élève actuellement à plus de 20,2 millions d'euros. Il est beaucoup plus important, je le sais, à la Réunion.

On le voit, pour l'élu d'un département d'outre-mer que je suis, les motifs d'insatisfaction et d'inquiétude ne manquent pas. Pour autant, je me refuse, croyez-moi, à tout pessimisme.

J'ai trop conscience, par la pratique des responsabilités que j'exerce sur le plan local, des potentialités du peuple martiniquais. J'ai trop souvent l'occasion de mesurer la capacité d'initiative dont celui-ci sait faire preuve et le refus, notamment des plus jeunes, de céder à la résignation.

Ce qui s'avère absolument indispensable, c'est que s'opère une véritable prise de conscience au niveau de l'État, c'est que, au-delà des discours et des effets d'annonce, celui-ci s'emploie à promouvoir une vision à la fois plus ambitieuse et plus réaliste de l'outre-mer.

Une vision qui incite à dépasser les clichés habituels et les raisonnements purement comptables et qui, de ce fait, doit se dégager de la seule logique de l'attribution de moyens financiers, même si ceux-ci doivent être davantage en adéquation avec la réalité des besoins.

Une vision qui intègre le rôle important que peuvent jouer les départements d'outre-mer aux quatre coins du monde ; plusieurs sénateurs l'ont souligné.

Une vision qui prenne en compte également les réelles spécificités des territoires et les aspirations profondes de leurs peuples à prendre une part plus déterminante à la construction de leur devenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.

Mme Lucette Michaux-Chevry. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à souligner le bilan positif de l'action gouvernementale, marquée, d'une part, par le respect des engagements pris et, d'autre part, par la prise en compte de l'acuité des problèmes de l'outre-mer du fait de leur particularisme.

Soulignons notamment la loi de programme pour l'outre-mer, qui a rompu avec le traitement social du développement et qui a créé les conditions de redynamisation du secteur productif.

Rappelons les efforts réalisés pour améliorer la continuité territoriale.

Évoquons par ailleurs les nouveaux dispositifs mis en place pour régler les flux migratoires et relever les infractions commises par l'entrée irrégulière des étrangers, grâce à une mesure portant notamment sur l'immobilisation des véhicules terrestres, des aéronefs et des navires.

Notons, de plus, monsieur le ministre, l'intervention pragmatique du Gouvernement auprès des instances communautaires pour maintenir le régime de l'octroi de mer jusqu'en juillet 2014, précisément pour défendre les productions locales face aux négative lists de la Caraïbe.

Relevons, enfin, la réforme constitutionnelle voulue par M. le président de la République, qui permettait la modernisation du statut des collectivités tout en respectant leurs populations, en tenant compte de leur particularisme et en maintenant leur ancrage dans la République.

Le 7 décembre 2003, la Guadeloupe a fui ses responsabilités. La France de l'outre-mer connaît, vous le savez, de nombreux handicaps structurels du fait de son éloignement, de sa dispersion, et surtout de son caractère insulaire.

Depuis 1986, sur l'initiative de l'actuel Président de la République, une attention toute particulière portée à ces terres lointaines a permis d'atténuer leur retard de développement ; je veux parler des nombreux mémorandums déposés auprès des instances communautaires. Et c'est l'action que vous poursuivez, monsieur le ministre.

Même si nous enregistrons, en Guadeloupe, une certaine tendance administrative au maintien d'un impact trop marqué sur le terrain, ce qui n'est pas tolérable, nous devons toutefois admettre votre volonté de conserver la reconnaissance de nos identités particulières et de nous soutenir dans nos responsabilités locales.

En dépit des contraintes qu'imposent les finances publiques et que nous devons avoir le courage de reconnaître, les engagements de l'État pour l'outre-mer ont été reconduits. En effet, les crédits de paiement directement gérés par votre ministère sont en hausse, particulièrement ceux qui concernent le logement, la continuité territoriale et le « passeport mobilité ».

Vous avez fait souvent acte de courage, monsieur le ministre. Souvenons-nous de la tempête déclenchée par vos propos à Mayotte relatifs aux effets dévastateurs de l'immigration. Il fallait du courage politique pour le dire ! Et vous avez eu raison, car il s'est ensuivi une réelle prise de conscience de la réalité des problèmes de l'outre-mer.

Mais notre grande inquiétude sur l'immigration clandestine et ses lourdes conséquences connaît un apaisement à la suite de l'annonce faite par le Gouvernement de mesures concrètes visant à réaffirmer l'état de droit sur nos territoires, même si nous nous devons de rester toujours très vigilants dans ce domaine.

Pour ce qui est de l'emploi, le projet de budget de la mission « Outre-mer » affecte tout de même 60 % des crédits à la lutte contre le chômage. Pourtant, il faut avoir le courage de dire que nous devons inverser la tendance à l'assistanat. Nous demandons plus de crédits en faveur du dispositif du RMI, comme si nous voulions inciter les gens à ne pas travailler ! Nous demandons plus de crédits pour le logement, comme si chacun ne devait pas, comme nos aînés, apporter sa contribution à son logement ! Certes, l'État doit accomplir des efforts, mais cela n'empêche pas une participation active ; c'est une question de dignité, et c'est là toute la force de l'outre-mer !

Votre projet de budget est donc courageux, monsieur le ministre. Il est plus juste, car il tend à gommer les inégalités qui frappent l'outre-mer. Il est cohérent et respectueux des engagements du Gouvernement.

À ce stade de mon intervention, permettez-moi d'évoquer quelques problèmes touchant en particulier au logement, à l'équipement des réseaux, à la justice, à la coopération et à la jeunesse.

Le sujet du logement ayant été abordé par tous les intervenants précédents, j'insisterai pour ma part sur l'amélioration des conditions de logement et la nécessité de trouver des solutions pour le monde agricole et les personnes âgées.

Compte tenu de la faiblesse de leurs revenus, les personnes âgées peuvent difficilement financer la réhabilitation de leur logement. Il faut donc que les préfets, qui ont compétence dans ce domaine, utilisent la ligne budgétaire unique pour permettre à une population qui n'a jamais bénéficié d'aucun soutien, ni du RMI, ni de l'aide au logement, ni même parfois de la sécurité sociale, d'accéder au moins aux logements sociaux.

S'agissant de la construction de logements, nous ne pouvons plus continuer à voir une concentration excessive de population dans certains logements, en particulier dans nos campagnes. De même, il importe de souligner le manque d'entretien de la part des bailleurs.

Par ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur les graves retards enregistrés en matière de réseaux d'eau potable, d'assainissement, de stations d'épuration et de gestion des déchets. Aucune mesure n'est prise en Guadeloupe dans le domaine des déchets et la situation est préoccupante : d'un côté, les deux usines de traitement existantes sont fermées, de l'autre il est proposé de créer un centre de stockage des déchets ultimes. Comment stocker ces derniers s'il n'y a pas eu de traitement des déchets ?

J'en viens à la justice. Incontestablement, un effort considérable a été réalisé en vue de l'amélioration de la situation carcérale, grâce à un certain nombre de projets d'agrandissement. En Guadeloupe, il s'agit notamment de la prison de Basse-Terre, du palais de justice et, surtout, de la rénovation extrêmement intéressante de l'ancienne gendarmerie de Pointe-à-Pitre pour accueillir les services de l'instruction judiciaire.

Il reste toutefois un effort à accomplir - et c'est la juriste qui parle - pour remédier au manque de greffiers.

En outre, les crédits font défaut pour mener à bien les expertises. L'absence d'expertise est inadmissible dans des dossiers particulièrement sensibles, comme ceux concernant les viols, puisque, faute de preuves intangibles, le juge d'instruction est obligé de libérer le prévenu au terme d'un certain délai.

Dans le domaine de la coopération, les mesures mises en place avec l'ensemble des pays de la Caraïbe permettent de lutter de façon plus intelligente contre l'immigration clandestine. La convention en matière de police signée en 2005 et les accords de réadmission et de circulation de 2006 ont donné des résultats positifs.

Cependant, compte tenu de la modification qui a été apportée au statut de Saint-Martin, l'accord franco-néerlandais est figé depuis quelques années. Même si elle n'en porte pas la responsabilité, la France doit imposer une renégociation de cet accord afin de l'étendre à de nombreux domaines. Par exemple, il n'est pas acceptable de voir des étrangers entrer dans la zone hollandaise et, après avoir acquitté les taxes aéroportuaires, venir se faire soigner gratuitement dans les hôpitaux français !

Par ailleurs, j'insiste sur la perception d'une présence française trop administrative et diplomatique au sein de l'Association des États de la Caraïbe, l'AEC. Les relations ont perdu la souplesse voulue à l'origine par le Président de la République, les présidents des collectivités régionales et départementales ayant laissé peu à peu la place aux diplomates, ce qui ne correspond pas à la réalité des problèmes dans la zone.

Le rôle de la France dans cette partie du monde est primordial, car elle doit montrer la voie de la stabilité et de l'efficacité des actions régionales.

J'évoquerai enfin une question qui me tient à coeur : la violence provoquée par l'usage des drogues qui détruisent notre jeunesse.

À cet égard, les femmes de Guadeloupe vivent dans la peur d'être souillées par de jeunes drogués, depuis qu'un certain nombre d'agressions ont été perpétrées en plein jour à l'encontre de femmes, pourtant sportives et battantes.

Je ne souhaite pas que la société que nous sommes en train de bâtir détruise le patrimoine qui nous est le plus cher et le plus précieux : notre jeunesse.

Certes, monsieur le ministre, vous avez fait mettre en place un certain nombre de structures d'information, de dialogue, d'écoute, de concertation, d'échange avec notre jeunesse. Il importe de les renforcer, particulièrement dans le domaine de la justice, pour apaiser ce climat d'agressivité et d'incompréhension entre ceux qui n'ont pas de travail et les autres. Ne l'oublions pas, la jeunesse qui vit dans le désoeuvrement a besoin de la culture de l'espoir.

Monsieur le ministre, comme vous le savez, je soutiendrai votre action et je voterai votre budget. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Outre-mer (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2007
Discussion générale