PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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application de la loi du 11 février 2005 sur les handicapés

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 23 de M. Nicolas About à M. le ministre de la santé et des solidarités relative à l'état d'application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Cette question est ainsi libellée :

M. Nicolas About demande à M. le ministre de la santé et des solidarités de bien vouloir lui faire connaître l'état d'application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il souhaite notamment faire le point sur l'installation des maisons départementales des personnes handicapées, dresser le bilan des premiers mois de versement de la nouvelle prestation de compensation du handicap et connaître les difficultés éventuelles rencontrées, sur les plans réglementaire, financier et pratique, dans la montée en charge de cette prestation. Il s'interroge enfin sur les mesures prises en faveur de l'intégration des personnes handicapées dans la cité, notamment en matière de scolarisation, d'emploi et d'accessibilité.

La parole est à M. Nicolas About, auteur de la question.

M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'adoption de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a soulevé chez ces personnes et leur famille un immense espoir : celui d'un changement de regard de la société sur le handicap, celui de leur intégration pleine et entière à la vie de la cité, celui de la reconnaissance longtemps attendue d'un droit à compensation des conséquences du handicap pour rendre à chacun sa dignité de citoyen.

Notre commission des affaires sociales se classe parmi les toutes premières instances à s'être investies dans ce grand chantier de rénovation de la politique du handicap. Elle a tout particulièrement lutté pour que le droit à compensation trouve une traduction concrète. Elle s'était engagée, par la voix de son rapporteur, notre collègue Paul Blanc, en clôture des débats de février 2005, à s'assurer de la mise en oeuvre effective de cette loi fondatrice.

Vingt et un mois après son adoption, nous avons estimé qu'il est temps de faire le point sur sa montée en charge.

Avant d'entrer dans le détail, permettez-moi de rappeler rapidement les principaux objectifs de la loi. Ils sont au nombre de quatre.

Tout d'abord, il s'agissait de prévenir la survenance ou l'aggravation des handicaps grâce à une recherche plus opérationnelle et à la mise en place de consultations de prévention spécifiques pour les personnes handicapées.

Ensuite, il convenait de mettre en oeuvre le droit à compensation. Sur ce point, si l'innovation majeure de la loi a été la création de la prestation de compensation du handicap, n'oublions pas que le droit à compensation est beaucoup plus large et qu'il englobe l'accueil en établissements et services, le soutien aux aidants familiaux ou encore la protection juridique offerte par les mesures de tutelle et de curatelle.

En outre, ce texte avait pour objectif de garantir à toutes les personnes handicapées des ressources d'existence décentes lorsqu'elles sont dans l'incapacité totale de travailler, en l'occurrence au moins 80 % du SMIC.

Enfin, le dernier objectif de la loi était de permettre l'accès de tous à tout. Ce texte traitait d'abord de l'accès à l'école, avec pour priorité la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire. Puis il tendait à favoriser l'accès à l'emploi, notamment dans la fonction publique, afin d'ouvrir plus largement le monde du travail aux personnes handicapées. Mais certaines mesures visaient aussi à encourager tout simplement l'accès à la vie comme tout le monde, grâce à la mise en accessibilité des bâtiments, de la voirie et des transports.

Une loi aussi complète - cent un articles ! -  appelait bien évidemment de nombreux textes d'application pour sa mise en oeuvre. En l'occurrence, - et c'est une forme de record - on dénombre cent trente-huit décrets ou autres types de mesures réglementaires, sans compter l'ordonnance et la loi de ratification nécessaires à l'adaptation de ses dispositions à l'outre-mer.

Dans leur sécheresse, ces quelques chiffres montrent toute l'importance que revêt la parution des décrets d'application pour la mise en oeuvre effective de la réforme de 2005. Plus fondamentalement, le respect, par ces mêmes décrets, de l'esprit de la loi que nous avons votée conditionne la traduction concrète de l'ambition qui nous a portés.

C'est d'ailleurs pourquoi nous avions doublement encadré la procédure de publication des décrets d'application de la loi, tout d'abord en prévoyant l'avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées sur ces textes, ensuite, en imposant leur publication dans les six mois suivant le vote de la loi.

Force est de constater que ces précautions ont été vaines et qu'il s'est révélé impossible de concilier ces deux exigences. Le temps de la concertation avec ledit conseil a tant mordu sur le délai de six mois qu'à l'échéance seuls cinq décrets et deux arrêtés avaient été pris. Cela étant, je ne suis pas choqué, bien au contraire, que le Gouvernement ait accordé sa préférence à l'association des personnes handicapées à l'élaboration des textes réglementaires.

Vingt et un mois plus tard, qu'en est-il ? Je reconnais d'abord volontiers l'ampleur de l'effort fourni par le Gouvernement : au 1er octobre dernier, sur les cent trente-huit mesures prévues, quatre-vingt-treize avaient bien été prises.

Des pans entiers de la loi sont désormais applicables, même si les mentalités, elles, mettent plus de temps à évoluer. C'est le cas des dispositions relatives aux ressources d'existence des personnes handicapées ou encore de la prestation de compensation à domicile ; il en est de même pour la scolarisation des enfants handicapés et pour la réforme de l'obligation d'emploi, dans le secteur public comme dans le secteur privé.

La nouvelle architecture institutionnelle, organisée autour de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, et des maisons départementales des personnes handicapées, a également été mise en place dans les délais prévus. Au 1er janvier 2006, quatre-vingt-dix-neuf départements sur cent avaient signé la convention constitutive créant leur maison départementale. En juin 2006, quatre-vingt-dix-huit départements sur cent avaient mis en place les nouvelles commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées et quatre-vingt-huit d'entre elles s'étaient déjà réunies dans cette nouvelle configuration.

Cependant, un grand nombre de ces structures fonctionnent encore a minima, en se bornant à reconduire les politiques menées par les anciennes COTOREP et commissions départementales de l'éducation spéciale, les CDES. Cette situation était sans doute inévitable, au moins dans un premier temps. L'effort demandé aux départements était en effet considérable. En moins d'un an, il leur a fallu remobiliser l'ensemble des partenaires de la politique du handicap, alors que ceux-ci étaient fortement tentés de se retirer, considérant que la loi opérait un transfert pur et simple de compétence aux conseils généraux.

Le bilan d'un an de fonctionnement des maisons départementales montre toutefois que celui-ci pourrait être amélioré sur deux points.

Premier point, il est indispensable, et notre commission l'a souligné au cours de l'examen de projet de loi de finances pour 2007, que l'État montre l'exemple d'une véritable mobilisation en faveur de ces maisons. Or, j'observe que l'État se limite à reconduire d'année en année les crédits qu'il consacrait auparavant aux sites pour la vie autonome.

De même, l'État s'était engagé à mettre à la disposition des maisons les personnels auparavant affectés aux COTOREP et aux CDES. Or, seuls 82 % des agents concernés ont accepté ce transfert, qu'on ne peut, dit-on, imposer. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il serait normal que l'État finance les recrutements contractuels nécessaires pour compenser ces refus ?

Second point, qui me tient particulièrement à coeur, il est urgent de donner toute sa force au principe de participation des personnes handicapées aux instances dirigeantes des maisons départementales, et notamment aux commissions des droits et de l'autonomie.

On m'objectera que 75 % des départements ont fait le choix de confier la vice-présidence - c'est important - des commissions des droits à un représentant associatif. C'est à mon sens l'arbre qui cache la forêt. La présence des représentants des personnes handicapées ne doit pas se résumer à de la figuration ; elle doit permettre l'émergence d'une culture partagée et la reconnaissance du fait que les premiers experts du handicap sont les personnes handicapées elles-mêmes.

Par ailleurs, je voudrais une nouvelle fois plaider en faveur de la nécessité de garantir le pluralisme des expressions associatives à travers la présence simultanée d'associations gestionnaires et non gestionnaires, conformément d'ailleurs à l'article 1er de la loi.

Bien sûr, pour respecter la lettre de la loi, il suffit de prévoir la présence d'une seule association non gestionnaire, et de nombreux départements l'ont d'ailleurs bien compris. Mais ce faisant, monsieur le ministre délégué, on viole l'esprit du texte : si la loi n'a pas posé un interdit brutal, sous la forme d'une incompatibilité totale entre les fonctions de gestionnaire et de représentant des personnes handicapées, ni même prévu une parité exacte entre les deux types d'associations, elle n'en a pas moins entendu permettre une présence significative des associations non gestionnaires.

Souvenez-vous, à la demande du Gouvernement, la commission des affaires sociales avait accepté de laisser sa chance au monde associatif, pour qu'il prenne lui-même conscience de la nécessité de mieux séparer les fonctions de gestionnaire d'établissement et de représentant des personnes handicapées.

Alors, monsieur le ministre délégué, quelles mesures envisagez-vous pour aider les associations à s'engager dans cette voie ?

Après ce satisfecit sincère, j'en viens maintenant - c'est la loi du genre - aux dispositions d'application toujours en attente.

Elles concernent des sujets qui sont loin d'être anecdotiques et que je vais citer pêle-mêle, en commençant par les modalités du message de prévention - et je me tourne, à ce propos, vers Mme Payet - qui, destiné aux femmes enceintes, devait être apposé sur les boissons alcoolisées pour encourager l'abstinence pendant la grossesse.

M. Nicolas About. Ce sujet nous est cher, et nous serons très attentifs à ce qui va se produire.

Plus grave encore, les conditions d'attribution de la prestation de compensation du handicap aux personnes accueillies en établissements ne sont pas fixées, et c'est un volet entier de la principale innovation de la loi qui reste ainsi lettre morte.

Je pense encore au départ anticipé à la retraite pour les fonctionnaires handicapés. J'en parle d'autant plus volontiers que la « malfaçon législative » qui, d'après le Gouvernement, constituait le seul obstacle à la parution du décret est corrigée depuis six mois, monsieur le ministre délégué, grâce à l'adoption d'une proposition de loi que j'avais déposée.

Je mentionne également la question des obligations des établissements et services d'aide par le travail en matière de formation professionnelle et de validation des acquis de l'expérience des personnes handicapées accueillies. Le vide juridique est particulièrement pénalisant pour les établissements qui doivent, malgré tout, budgéter les dépenses supplémentaires provoquées par ces nouvelles obligations.

Pouvez-vous d'ores et déjà, monsieur le ministre délégué, nous apporter des précisions sur le calendrier de publication des mesures d'application qui manquent encore à l'appel ?

J'ai gardé pour la fin la lacune la plus visible, celle qui se rapporte à l'accessibilité du cadre bâti et des transports, dont Paul Blanc parlera sans doute bien mieux que moi tout à l'heure.

Certes, les décrets relatifs aux bâtiments d'habitation et aux établissements recevant du public ont été publiés, mais sans être pour autant pleinement opérationnels. J'observe de surcroît que les mesures publiées restent très en retrait par rapport aux ambitions de la loi. Par exemple, elles ont fixé au 1er janvier 2015 la date limite de mise en accessibilité des établissements recevant du public existants. Telle est l'échéance maximale retenue par la loi ! La prudence dont nous avons fait preuve en mettant un « taquet » à 2015 était donc justifiée : qu'en aurait-il été si nous n'avions pas fixé de date limite dans la loi ?

Qui plus est, outre cette échéance extrême, le Gouvernement a repoussé au 1er janvier 2011 l'obligation, pour ces mêmes établissements, d'établir au moins un diagnostic de leurs locaux. J'estime excessif, monsieur le ministre délégué, d'accorder six ans pour établir un simple diagnostic. En pratique, la plupart des propriétaires vont attendre le dernier moment pour dresser l'état des lieux de l'accessibilité de leurs locaux et ils se trouveront ensuite pris de court face à l'ampleur de l'effort à accomplir.

Dans le domaine du transport, pardonnez ma brutalité, monsieur le ministre délégué, mais la situation est carrément inadmissible : aucun décret n'est paru et on continue donc à mettre en chantier de nouvelles infrastructures importantes sans qu'une quelconque garantie soit apportée quant au respect de l'accessibilité des personnes à mobilité réduite.

J'attends un décret en particulier : celui qui est relatif à l'accessibilité des bureaux et techniques de vote. Les échéances électorales des années 2007 et 2008 seront déterminantes pour l'avenir de notre pays, et il serait singulier que les personnes handicapées soient de facto empêchées d'exercer le premier de tous les droits reconnus à chaque citoyen, celui de choisir ses représentants par le vote.

À travers l'exemple de la prestation de compensation du handicap, je voudrais enfin montrer que les décrets d'application restent parfois bien en deçà des ambitions de la loi et que la mise en oeuvre effective du droit à compensation suppose bien plus que des décrets et des arrêtés : elle nécessite, mes chers collègues, une véritable révolution des mentalités.

D'après les premières informations, le nombre de prestations de compensation attribuées au 30 juin 2006 s'élèverait à 6 500, le nombre de dossiers en instance à cette même date se situant aux alentours de 31 000. Cela dit, dans un contexte de démarrage de la nouvelle prestation, ces chiffres n'ont pas une grande signification. Les conseils généraux se plaisent d'ailleurs à souligner la montée en charge rapide, voire exponentielle, depuis cette date des prestations attribuées.

Seule tendance significative à ce stade : le nombre plus important que prévu de personnes handicapées qui choisissent de conserver le bénéfice de l'ancienne allocation compensatrice pour tierce personne, pourtant moins favorable.

Cette tendance est-elle le simple reflet d'une certaine aversion au risque, face au saut dans l'inconnu que représente la prestation de compensation, ou l'indice d'un malaise plus profond dans la mise en oeuvre de la nouvelle prestation ? Il est sans doute trop tôt pour le dire.

Si les chiffres ne nous apprennent rien, les premiers mois de versement de la prestation sont en revanche riches d'enseignements et ouvrent déjà des pistes pour adapter les textes réglementaires et les pratiques professionnelles.

Premier constat, le caractère pluridisciplinaire de l'évaluation des besoins de la personne handicapée reste bien souvent virtuel. Trop souvent, seul un médecin intervient, éventuellement accompagné d'un professionnel du secteur médicosocial, exactement comme au temps des anciennes COTOREP.

Comment, dans ces conditions, impulser le changement de mentalité nécessaire à une véritable concertation sur le projet de vie de la personne handicapée ? Sans une véritable pluridisciplinarité, les évaluations resteront établies dans le même état d'esprit, selon une approche purement médicale et restrictive des besoins de la personne.

J'ai parfaitement conscience que les équipes pluridisciplinaires ne pouvaient pas toujours être étoffées de façon satisfaisante dans des délais courts. Je voudrais cependant m'assurer que la volonté d'y parvenir existe et que le Gouvernement, qui contribue au fonctionnement des maisons départementales, est prêt à s'engager dans cette voie.

Deuxième constat, les modalités de recours aux aides humaines doivent impérativement être assouplies. Je reconnais volontiers que la publication du décret portant à vingt-quatre heures par jour le plafond des aides humaines constitue une avancée significative.

Il importe, monsieur le ministre délégué, de poursuivre en ce sens par la mise en place d'une procédure pour réétudier les dossiers des personnes lourdement handicapées qui ont, par exemple, vu leur élément « aides humaines » limité à douze heures par jour, en application de l'ancien plafond, ainsi que par la possibilité d'aller parfois au-delà de ce plafond de vingt-quatre heures, car certaines situations peuvent requérir la présence simultanée de deux aidants.

Se pose également la question du contrôle de l'effectivité de l'aide imposé aux personnes qui recourent aux aides humaines, car la pratique est, là encore, en contradiction avec la volonté initiale du législateur.

Quand nous avons approuvé la mise en place d'un tel contrôle, nous l'avions imaginé annuel et a posteriori : la personne handicapée devait percevoir chaque mois une somme correspondant à la moyenne de ses besoins, de telle sorte qu'elle puisse lisser ses dépenses d'un mois sur l'autre, la régularisation n'intervenant qu'en fin d'année.

Or, dans les faits, de nombreux départements ont prévu un contrôle mensuel, assorti d'un déclenchement du versement de l'aide sur justificatifs. Ils demandent ainsi aux bénéficiaires de l'aide d'avancer l'intégralité des sommes nécessaires à la couverture de leurs besoins pour les leur rembourser dans un délai aléatoire, sur présentation de justificatifs et dans la limite d'un plafond.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, j'ai proposé, et mes collègues députés et sénateurs m'ont suivi sur ce point, que les sommes versées puissent être globalisées par trimestre et que les justificatifs ne soient demandés qu'a posteriori. Nous aurions souhaité que cette globalisation soit automatique ; ce n'est qu'une possibilité et il convient d'obtenir, monsieur le ministre délégué, que cette possibilité devienne la règle.

Troisième constat, un certain nombre de tarifs de prise en charge prévus par le barème de la prestation de compensation doivent impérativement être revus.

C'est tout particulièrement le cas des tarifs relatifs aux aides humaines, car il existe un décalage important entre les tarifs fixés pour la prestation de compensation et les coûts réels. Le tarif horaire brut pour une embauche de gré à gré est fixé à 11,02 euros, soit un tarif net de 8,54 euros. Ce chiffre, tout le monde ici le sait, est largement inférieur aux tarifs réellement pratiqués par les professionnels de l'aide à domicile, notamment en région parisienne et dans les grandes villes.

On me rétorquera que ce tarif est plus élevé lorsque l'on recourt à un service mandataire ou prestataire. Cet argument est à mon avis totalement irrecevable : la rémunération réellement perçue par le salarié n'est pas plus importante, puisque le différentiel finance les coûts fixes du service.

Plus fondamentalement, cette disposition est même choquante : elle signifie qu'une personne handicapée qui souhaiterait se montrer économe en recourant au gré à gré serait pénalisée par un tarif de prise en charge plus bas.

Compte tenu de ces éléments, monsieur le ministre délégué, envisagez-vous une adaptation des décrets relatifs à la prestation de compensation, notamment dans son volet « aides humaines » ?

Mon quatrième et dernier constat porte sur la mise en place trop partielle des fonds départementaux de compensation du handicap.

Ces fonds sont chargés d'aider les personnes handicapées à couvrir les frais restant à leur charge après déduction des sommes versées au titre de la prestation de compensation. Or leur création est pénalisée par l'interprétation très restrictive de leurs possibilités d'intervention.

Nous avons déjà eu ce débat lors de l'examen du projet de loi de finances, mais vous me permettrez d'y revenir, car il touche à un point essentiel de la réforme de 2005 : la garantie apportée aux personnes handicapées que leur « reste à charge » en matière de compensation ne sera jamais supérieur à 10 % de leurs ressources.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Dans la limite des plafonds et des tarifs !

M. Nicolas About. Selon la loi, cette règle devait s'appliquer une fois déduites la prestation de compensation et les aides du fonds départemental de compensation. Il s'agissait d'un montage pour le moins baroque : la loi faisait ainsi porter une obligation de résultat sur un fonds entièrement alimenté par des contributions extralégales.

Au cours des débats, nous avions dénoncé le risque que la garantie soit impossible à appliquer dans ces conditions. Le Gouvernement nous avait alors répondu qu'en l'absence de contributions suffisantes de la part de leurs partenaires les départements auraient l'obligation d'alimenter le fonds de façon à disposer des crédits nécessaires à l'application effective de cette garantie.

Force est de constater que tel n'a pas été le cas. En dépit de la lettre de la loi, les départements persistent à se considérer comme des contributeurs extralégaux de droit commun au sein de ces fonds. Pis, au 30 juin 2006, 50 % d'entre eux n'avaient pas mis en place de fonds !

C'est la raison pour laquelle nous avons voulu clarifier la situation en revenant à la position première du Sénat en la matière. Nous avions donc déposé un amendement pour transférer la responsabilité d'assurer le respect du « reste à charge » du fonds de compensation vers la prestation de compensation.

Dans notre esprit, il s'agissait simplement de revenir sur une malfaçon de la loi. Toutefois, les conseils généraux ont apparemment estimé, prouvant par là leur interprétation restrictive de leurs responsabilités à l'égard des fonds de compensation, que cela augmenterait leurs charges et ont obtenu, nous nous en souvenons, le retrait de cet amendement.

Monsieur le ministre délégué, quelle forme prendra la concertation que vous avez promis d'engager avec les départements sur ce sujet particulier ? Quelles sont les pistes d'amélioration qui vous paraissent susceptibles d'être explorées à droit constant ?

Je ne puis, en effet, que prendre acte du statu quo concernant les règles d'intervention des fonds, même si j'attends en retour, comme les personnes handicapées, que les départements prennent la mesure de leurs véritables responsabilités à l'égard du fonds en s'engageant à les mettre en place et à les faire vivre sur tout le territoire, faute de quoi nous serons obligés de revenir sur ce point l'an prochain.

Telles sont, monsieur le ministre délégué, les nombreuses questions que pose aujourd'hui, à mon sens, la mise en oeuvre de la loi Handicap.

Nous devons veiller à la bonne application de ce texte, afin de ne pas décevoir les espoirs qu'il a suscités. Gardons présent à l'esprit le fait que les efforts accomplis en faveur des personnes handicapées sont des dépenses réalisées non pas au profit d'un groupe particulier, mais, au contraire pour le plus grand développement de notre société. Ne dit-on pas que la valeur d'une société se juge à l'aune du sort qu'elle réserve aux plus faibles d'entre les siens ? (Applaudissements.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, voilà près de deux ans, alors que nous clôturions les débats relatifs à la loi pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, j'avais insisté sur le formidable espoir qu'avait suscité cette réforme et sur le fait qu'il n'était pas digne de notre démocratie d'apporter une réponse bien en deçà des attentes de dizaines de milliers de citoyens en situation de handicap.

En refusant une définition du handicap intégrant pleinement l'environnement de l'individu, force est de constater que le Gouvernement a limité l'ambition de la loi.

Le résultat patent en est qu'une fois de plus la personne handicapée se voit enfermée dans la sphère de l'assistance et ne s'inscrit aucunement dans celle de la citoyenneté.

Au premier chef de ce constat, je me dois d'évoquer la question des ressources.

Alors que les associations se sont engagées de façon loyale dans le chantier de la réforme, toutes considèrent aujourd'hui qu'il est urgent de garantir un revenu d'existence décent aux personnes handicapées, rappelant que celles-ci vivent en dessous du seuil de pauvreté !

La promesse de citoyenneté contenue dans la loi n'a donc pas passé la barrière des moyens qui sont affectés à sa mise en oeuvre.

Faute pour le législateur d'avoir consacré, au coeur de la réforme, le droit à un véritable revenu d'existence au moins égal au SMIC, nous constatons trop nombreuses différences de traitement quant à l'accès aux prestations telles que l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, la garantie de ressources, la majoration pour la vie autonome.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, a elle-même signalé l'iniquité de ces dispositifs.

Il ne faut donc pas s'étonner de la colère qui gronde et qui pousse les personnes handicapées à menacer de renoncer à utiliser leur carte d'électeur, elles qui disposent déjà de si peu de citoyenneté. Vous avez d'ailleurs pu, comme moi, monsieur le ministre délégué, entendre le cri poussé, hier dans les rues de Paris, par ces personnes, et ce pour la deuxième fois, et pour la même raison. C'est dire leur désespoir devant des promesses non tenues.

Je rappelle, pour m'en souvenir parfaitement, qu'à la fin du débat parlementaire sur la loi dont nous dressons ce soir le bilan une grande manifestation devant l'Assemblée nationale avait réuni un grand nombre de personnes handicapées. Celles-ci n'acceptaient pas, en effet, que cette loi ne contienne rien sur le niveau d'existence qui, pour elles, était le préalable à toutes les autres mesures. « Que peut-on faire de plus quand nous n'avons que les moyens de survivre ? » Telle était leur interrogation. Elles réclamaient ainsi, en vertu de la loi, une forte revalorisation de l'AAH. Le Gouvernement leur avait alors déclaré, dans un bel effet d'annonce, qu'il porterait le montant de cette allocation à 80 % du SMIC !

J'avais personnellement dénoncé, lors de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire, après avoir étudié en détail les mesures annoncées, ce qui me semblait être une supercherie et déploré qu'en fin de compte peu de personnes handicapées en seraient bénéficiaires.

Certes, monsieur le ministre délégué, vous avez vous-même reconnu, dix-huit mois plus tard - dix-huit mois perdus ! - que j'avais raison. En effet, à l'occasion du débat sur le budget de la solidarité, c'est bien vous qui avez constaté que le nombre de bénéficiaires n'était que de 50 000 sur les 150 000 attendus. Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant : il suffisait de regarder la maigreur des sommes affectées à l'époque pour prévoir qu'il en serait ainsi !

Tout au long du débat sur cette loi, le problème des ressources est revenu comme un leitmotiv. Les deux ministres chargés des personnes handicapées qui se sont succédé nous ont alors expliqué que la prestation de compensation était précisément destinée à répondre au poids des charges qui pèsent sur les maigres ressources des personnes handicapées.

Or, aujourd'hui, là encore, rien n'est réellement rassurant ; le président About vient d'ailleurs d'en faire la remarque et j'y reviendrai également ultérieurement.

S'agissant toujours du revenu minimum, si j'en crois la presse de ce matin, le Gouvernement s'est à nouveau engagé à porter l'AAH à 80 % du SMIC. Un amendement a même été voté au Sénat, tendant à permettre aux personnes titulaires d'une pension d'invalidité de bénéficier du complément de ressources.

Monsieur le ministre délégué, il reste à peine un trimestre avant l'ouverture de la période électorale. Pouvez-vous nous dire avec quels moyens budgétaires et selon quel calendrier précis vous allez mettre en place ces mesures pour que celles-ci ne viennent pas s'ajouter à la liste des promesses non tenues ?

J'évoquerai maintenant une autre difficulté soulevée par cette loi, je veux parler des ressources des travailleurs des établissements et services d'aide par le travail, les ESAT. À cet égard, je ne puis que reprendre la déclaration faite par une association - l'UNAPEI, c'est-à-dire l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés -, et qui se résume ainsi : « Réforme ou supercherie ? »

En effet, les dispositions prises cette année par le Gouvernement entraînent un manque à gagner de l'ordre de 14 euros mensuels par rapport à la situation antérieure à la promulgation de loi de février 2005.

C'est ainsi que plus de 100 000 travailleurs se voient aujourd'hui pénalisés, alors qu'ils avaient fondé tous leurs espoirs d'une vie meilleure dans la réforme de la loi.

En outre, force est de constater que, malgré les déclarations optimistes, l'emploi des personnes handicapées a tendance à se détériorer, notamment en raison de l'âpreté de la concurrence et de la fragilisation des structures, précisément dues à cette loi.

J'en veux pour preuve le fait que des entreprises adaptées se trouvent actuellement en grande difficulté et se voient contraintes d'avoir recours à des plans de licenciements. Elles ne peuvent plus faire face aux pressions du marché et de la concurrence, alors que leur vocation première est de soutenir l'emploi des handicapés.

C'est la raison pour laquelle je pense qu'il convient de prendre en compte dans toute leur ampleur les propositions faites par ce secteur telles que l'attribution systématique, dans un premier temps, en 2007, de l'aide au poste maximum à tous les salariés handicapés qui bénéficiaient déjà d'un abattement de salaire maximum, ou encore la mise en place d'une disposition permettant à tout travailleur handicapé orienté en ESAT de bénéficier de l'aide au poste maximum pour une durée de cinq ans renouvelable. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une condition nécessaire pour les aider à mieux résister.

Il est indéniable que la logique budgétaire que nous avions dénoncée à l'époque tout au long des débats, qu'il s'agisse des ressources ou de l'emploi, produit aujourd'hui des effets plus que négatifs sur la portée même de la loi.

Dans le même esprit, la prestation de compensation - ce point a longuement été évoqué par le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About - bien que considérée dans le texte comme universelle, reste parcellaire, voire quelque peu illusoire. Ainsi, le reste à charge des personnes et des familles est bien loin des 10 % des revenus nets d'impôt.

Je voudrais citer un exemple des obstacles que peuvent rencontrer un certain nombre de services chargés de la mise en place de cette prestation.

La plupart des personnes handicapées éligibles à la prestation de compensation du handicap, la PCH, du fait de leur impossibilité d'accomplir seules les actes essentiels de la vie, sont, a fortiori, dans l'incapacité d'assurer l'entretien de leur logement.

Or, à la lecture des textes réglementaires, il apparaît clairement que les tâches ménagères ne figurent pas parmi celles qui sont prises en charge par la PCH, ce à quoi la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, répond en renvoyant à la prestation d'aide ménagère.

Aussi, alors que la loi de février 2005 affichait une volonté de simplification, la position prise par la CNSA obligerait les personnes handicapées à déposer un dossier supplémentaire, en même temps que celui de la PCH.

Pour parfaire le tout, la prestation d'aide ménagère n'est accessible qu'aux personnes à faibles ressources et, lorsqu'elle est attribuée par l'assurance maladie, elle ne s'inscrit pas dans la durée.

Pour répondre à cette problématique, certains départements ont déjà fait le choix d'intégrer les heures d'aide ménagère dans le plan personnalisé de compensation, impliquant, de fait, leur prise en charge par la PCH, ce qui constitue, à mes yeux, un raisonnement parfaitement cohérent. Bien sûr, les conséquences financières d'une telle option devront être examinées en termes d'impact sur les budgets départementaux, comme il conviendra de tenir compte du fait que la CNSA se refusera à compenser des dépenses qui ne résultent pas de la stricte application de la loi. Cet exemple n'est, hélas, pas unique ; nous en retrouvons d'identiques dans tous les champs de la compensation qu'il s'agisse des aides techniques comme des aides humaines.

Il était écrit que, du fait de l'imprécision - je dirais volontaire - de la prestation de compensation, nous ne pouvions qu'en arriver à de telles aberrations !

Ainsi, comme l'a rappelé le président About, le reste à charge pour les personnes handicapées constitue un véritable piège.

Par ailleurs, en l'absence de financement à la hauteur des besoins, l'on peut craindre que les bénéficiaires ne fassent les frais d'un reste à charge qui deviendra sans conteste la variable d'ajustement de l'insuffisance du financement public, en particulier quand les conseils généraux, accablés par les transferts de charges de toutes sortes, mettront inévitablement, face à cette nouvelle dépense, le pied sur le frein !

Pouvez-vous, monsieur le ministre délégué, nous apporter quelques éclaircissements sur ces contradictions ?

J'en viens à un autre point majeur de la loi qui a également suscité beaucoup d'espoirs, je veux parler de la scolarisation.

L'école républicaine se doit d'accueillir tous les enfants, quel que soit leur handicap. Là aussi, il y a loin de la coupe aux lèvres !

Il me semble que la traduction concrète du peu de moyens alloués et de l'absence presque totale de préparation des personnels de l'éducation nationale conduit - sans que ce soit l'intention du Gouvernement, bien entendu - à nier le handicap, ce qui peut se traduire par des situations de détresse tant pour l'enfant que pour sa famille et les enseignants.

Je ne m'appesantirai pas sur le tour de passe-passe du ministère de l'éducation nationale qui comptabilise les auxiliaires de vie scolaire dans son quota d'enseignants et de personnels administratifs.

Ainsi, ce ministère ne participera qu'à hauteur de 4,7 millions d'euros au fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, alors que cette contribution est estimée à 73,2 millions d'euros pour 2007.

Depuis la rentrée scolaire de septembre, les témoignages émanant des familles, des enseignants, des soignants, des médecins scolaires ou encore des praticiens de terrain affluent pour dénoncer l'échec de la scolarisation des enfants handicapés telle qu'elle a été engagée. Certes, on peut brandir les statistiques de la scolarisation massives de ces enfants, mais la réalité est tout autre, tant il est vrai que la loi induit des intégrations au forcing avec des temps de soins et d'accompagnement dérisoires.

Comment croire, par exemple, qu'avec un médecin de l'éducation nationale pour plus de 7 700 élèves, en moyenne, l'accompagnement à la scolarisation des enfants handicapés puisse être à la hauteur des besoins ?

Comment croire que les projets personnalisés de scolarisation rédigés sur un coin de table par des enseignants sans formation préalable puissent répondre correctement aux attentes des enfants et de leur famille ?

Comment imaginer que les auxiliaires de vie scolaire, les AVS, insuffisants en nombre et trop peu formés, pourront correctement assurer les missions qui leur sont confiées ?

Que signifie le fait de notifier aux parents qu'ils ont droit à tant d'heures d'AVS, tout en leur signifiant dans le même temps que les moyens budgétaires ne sont pas suffisants pour traduire dans les faits ce droit ?

Je connais une famille aux revenus modestes dont les parents ont dû s'endetter pour assurer la scolarisation de leur petite fille, Victoire, atteinte d'autisme. Ils déboursent chaque mois 1 700 euros pour permettre à leur enfant de suivre une scolarité normale et empêcher ainsi qu'elle ne finisse sa vie en hôpital de jour.

Je connais également d'autres familles à qui n'est accordée qu'une scolarisation très partielle de leur enfant handicapé : trois demi-journées, par exemple, quand ce n'est pas une seule ! Peut-on, dès lors, parler de scolarisation ?

Par ailleurs, que fait l'enfant en dehors de ce temps scolaire ? Rien ! C'est la raison pour laquelle certaines mères de famille se voient contraintes d'interrompre leur activité professionnelle, ce qui se traduit, je puis vous l'assurer, monsieur le ministre délégué, par une grande amertume !

Quant aux emplois de vie scolaire, les EVS, nous sommes indignés à double titre : en premier lieu, parce qu'il s'agit d'emploi au rabais qui ne permettent d'accéder ni à la qualification professionnelle ni à la pérennisation des postes et, en second lieu, parce que les personnes recrutées sont souvent elles-mêmes en grande difficulté et ne peuvent, faute de formation et de qualification, être à même d'accompagner les enfants en situation de handicap qui ont besoin, vous le savez, monsieur le ministre délégué, d'une personnalisation du parcours scolaire et donc d'un professionnalisme sans faille.

En outre, comment accueillir des enfants handicapés dans des classes surchargées, où les professeurs sont tout juste informés des nouvelles dispositions et les enseignants référents en sous-effectifs et sans réels moyens d'action ?

Sur cette vaste question de la scolarisation, je partage l'avis des associations, des familles et des professionnels. Tant que les conditions de disponibilité, financière et humaine, ne seront pas réunies, il y aura quelque chose de malhonnête à faire croire aux parents des enfants qui sont handicapés - ou non - que l'insertion scolaire est possible et qu'elle est bonne pour ces enfants.

Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, il y aurait bien d'autres sujets à aborder, mais je conclurai mon intervention en évoquant l'accessibilité. Même si, globalement, cette question progresse et les mentalités bougent, je profiterai de cette intervention pour porter à votre connaissance une situation riche d'enseignements, celle de Me Marianne Bleitrach.

Cette avocate au barreau de Béthune, handicapée et en fauteuil roulant à la suite d'une maladie, se bat depuis trois ans, avec le soutien d'ailleurs de l'APF, l'Association des paralysés de France, pour l'accessibilité du palais de justice de Béthune, dont l'architecture est ancienne et donc très défavorable à l'accueil des handicapés.

Comme elle n'obtenait pas satisfaction par la voie du dialogue, elle a porté son cas devant le tribunal administratif, en soulignant qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'exercer normalement sa profession. Je vous livre un extrait du jugement qui vient d'être rendu par cette juridiction : « Les difficultés d'accessibilité de Mme Bleitrach tiennent à son handicap, et non à l'aménagement des tribunaux » ! (M. le ministre délégué s'exclame.)

M. Nicolas About. Ce n'est pas possible !

Mme Michelle Demessine. Nous pouvons nous interroger sur un tel jugement. Si nous avions adopté la définition juridique de l'Organisation mondiale de la santé, aurait-il été possible ?

Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la plus grande partie des difficultés auxquelles se trouve confrontée pour son application la loi de 2005, ainsi que les déceptions qu'elle suscite, sont issues, nous le savons et n'avons cessé de le souligner, du grand écart entre les mesures adoptées et les moyens consacrés à leur financement.

M. le président. Je vous prie de conclure, ma chère collègue.

Mme Michelle Demessine. C'est bien parce que l'instauration de la CNSA, votée par le Parlement dans des conditions pour le moins acrobatiques, exclut dans ses fondements mêmes le principe d'universalité et d'égalité de traitement sur le territoire que nous en arrivons aujourd'hui à un tel bilan et à une telle déception !

La CNSA n'apporte qu'un financement complémentaire aux départements, qui doivent donc verser la différence. Or nous savons bien aujourd'hui que le compte n'y est pas ! La mise en place des maisons départementales des personnes handicapées fait partie d'un dispositif d'une rare complexité, qui révèle le manque de personnel, de formation et à tout le moins d'un référentiel national permettant une réelle harmonisation des prises en charge.

Dans ce contexte, les fonds départementaux de compensation ne peuvent tenir leurs engagements, puisqu'ils reposent sur le principe d'une participation facultative pour un champ d'intervention obligatoire. Ils illustrent parfaitement le paradoxe créé par la loi de février 2005, mais aussi, entre autres, par la loi relative aux libertés et responsabilités locales, à savoir la mise en place d'enveloppes de crédits fermées qui sont destinées à financer des besoins par nature individualisés et évolutifs !

Même la CNSA dans son rapport d'activité pour 2006 en tire les conséquences : « La question du cinquième risque se pose naturellement » - nous n'avons cessé de le dire, mes chers collègues ! - « dès l'instant où l'on prend la mesure du reste à charge lié, soit au financement de l'hébergement en établissement, soit à la fraction du coût des aides humaines et techniques qui excéderait le montant de la PCH ou de l'APA. »

Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la réforme de la loi de 1975 portait un légitime espoir de progrès et de transformation de notre culture et du regard porté sur les handicapés. Elle a permis quelques avancées. Toutefois, force est de constater que ce chantier présidentiel n'aura pas transformé ces espoirs en réalités pour les personnes qui se trouvent en situation de handicap, loin s'en faut, et je pense qu'il faudra y revenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 devait enfin permettre à des millions de personnes handicapées de vivre dignement, en tant que citoyens à part entière, dans une société équitable.

Malheureusement, près de deux ans après l'entrée en vigueur de ce texte, force est de constater que son bilan est en demi-teinte, pour ne pas dire négatif, tant les besoins sont importants.

S'agissant de l'emploi, tout d'abord, trop nombreuses sont les entreprises qui préfèrent payer l'amende et embaucher moins de 6 % de handicapés. Il est indispensable de faire respecter les obligations légales d'embauche et de montrer l'exemple dans la fonction publique, où le quota de 6 % de travailleurs handicapés n'est pas encore rempli. L'accès à la formation des personnes handicapées doit également être facilité.

Les personnes qui se trouvent dans l'impossibilité de travailler ne disposent toujours d'aucune garantie quant à l'attribution d'un revenu d'existence décent. Aujourd'hui, l'allocation aux adultes handicapés maintient bon nombre de personnes sous le seuil de pauvreté et dans la précarité, les bénéficiaires de la pension d'invalidité n'échappant pas à cette situation. Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, c'est inacceptable ! Une réforme importante de la politique des ressources accordées aux personnes handicapées doit être entreprise.

Ainsi, l'AAH doit être augmentée de façon substantielle, et notre objectif est d'obtenir la parité entre cette prestation et le SMIC.

L'annonce de l'ouverture des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, a suscité de grands espoirs. Malheureusement, à ce jour, nous ne pouvons que déplorer les difficultés rencontrées sur le terrain.

La plupart de ces maisons, organisées en groupements d'intérêt public, ont hérité d'une situation dégradée et de milliers de dossiers en souffrance. En outre, lors des transferts de personnel, elles ont souffert de défections d'agents des services déconcentrés de l'État.

Les personnes handicapées qui frappent aux portes de ces maisons attendent des réponses concrètes et rapides. Or, bien souvent, les MDPH consacrent leurs premiers efforts à rattraper les mois de retard accumulés dans l'instruction des dossiers. Il en résulte des relations tendues dans de nombreux départements, car les dossiers de handicaps à faible prévalence ne sont pas traités.

Le plan personnalisé de compensation est élaboré sans concertation, et les demandes qui ne concernent pas la prestation de compensation du handicap ne sont pas satisfaites. Cette période de rodage, préjudiciable aux handicapés, est beaucoup trop longue !

La politique de compensation que je viens d'évoquer au travers des MDPH, nous pose aussi problème, et nous pensons qu'elle doit être revue.

Le Président de la République avait promis la mise en oeuvre d'un véritable droit à compensation pour toutes les personnes en situation de handicap. Or, aujourd'hui, les associations dénoncent l'application non uniforme sur le territoire national de la nouvelle prestation de compensation du handicap.

S'agissant enfin de la scolarisation des enfants handicapés en milieu dit « ordinaire », elle laisse encore à désirer, tant pour le nombre d'élèves accueillis que pour la qualité de leur intégration. L'inscription est obligatoire mais, dans la pratique, elle est de pure forme : de nombreuses dérogations sont accordées parce que les écoles ne sont pas adaptées.

Ainsi, seule la moitié des enfants handicapés, dont l'effectif est estimé à environ 240 000, ont profité du dispositif l'an dernier. Pour nous, l'intégration en milieu ordinaire doit être la règle et les structures spécialisées, auxquelles il ne faut recourir que lorsque le handicap l'impose vraiment, l'exception. Il est donc nécessaire de renforcer les contraintes et de mieux adapter l'école en commençant, par exemple, par la formation des accompagnants, dont la pénurie est patente.

Pourtant, ces difficultés ne semblent pas près d'être résolues, notamment à cause de l'inertie de l'éducation nationale, qui n'investit pas assez dans la formation des accompagnants et ne consulte même plus les associations pour mettre en oeuvre la loi.

M. Paul Blanc. C'est vrai !

Mme Gisèle Printz. Un effort décisif doit être engagé dans cette perspective.

Enfin, il me semble important de faire le point, aujourd'hui, sur les décrets d'application qui, aux termes du dernier article de la loi, aurait dû paraître six mois après la publication de celle-ci.

Plusieurs textes d'application sont encore attendus dans divers domaines. C'est le cas en ce qui concerne l'outre-mer, puisque le délai habilitant le Gouvernement à prendre des dispositions par ordonnance est dépassé depuis le 12 février dernier. Monsieur le ministre délégué, où est donc l'égalité territoriale ?

L'application de la loi dans la fonction publique requiert encore deux décrets, dont celui, très attendu, qui permettrait l'entrée en vigueur de la loi dite « About » du 27 juin 2006 sur la retraite anticipée des fonctionnaires lourdement handicapés, texte qui corrigeait une erreur de la loi du 11 février 2005. Il en est de même du décret nécessaire à l'application de l'article 21 de la loi de 2005, qui concerne le code de l'éducation et qui est relatif aux enseignants recrutés.

Sont encore attendus plusieurs décrets sur toutes les formes de l'accessibilité, que celle-ci concerne la voirie, les locaux professionnels, les services de communication en ligne, les services publics, les transports ou les services téléphoniques d'urgence pour les déficients auditifs. Quant au décret sur l'accessibilité des bureaux et des techniques de vote, il est bien paru, mais il est très en retrait par rapport à la loi, car il se focalise presque exclusivement sur les personnes handicapées en fauteuil roulant.

S'agissant des droits et prestations, il manque trois décrets : celui qui est mentionné à l'article 39 de la loi, sur le modèle de contrat de soutien et d'aide par le travail, celui qui est évoqué à l'article 12, sur la prestation de compensation en établissement, et celui qui est prévu au V de l'article 18, sur les frais d'hébergement, également en établissement. En ce qui concerne ce dernier décret, et selon le rapport gouvernemental consacré à l'application de la loi qui date du début du mois d'octobre, l'administration en serait « au stade de la réflexion », compte tenu de l'impact de ce texte sur les personnes âgées !

S'agissant du fonctionnement des établissements et des services d'aide par le travail, les deux décrets prévus par l'article 39 de la loi ne semblent pas près de voir le jour car, selon le rapport précité, ils « demandent un important travail de concertation avec les associations des personnes handicapées et les organismes gestionnaires ».

Enfin, l'élaboration des décrets en Conseil d'État mentionnés à l'article 80 de la loi, qui sont destinés à définir les modalités de formation des aidants familiaux, des bénévoles associatifs et des accompagnants non professionnels, pourrait être abandonnée, toujours selon le rapport du gouvernement d'octobre 2006, à la suite des « mesures alternatives prises lors de la conférence de la famille du 3 juillet 2006 », ce qui est regrettable.

Pour conclure, monsieur le ministre délégué, il serait urgent que ces décrets paraissent rapidement, afin que nous puissions dresser un bilan complet de cette loi.

Toutefois, nous pouvons espérer que ce texte qui, finalement, marginalise les personnes handicapées soit le dernier de ce genre.

M. Jacques Blanc. « Marginalise » ?

Mme Gisèle Printz. En effet, le handicap devrait être traité de manière transversale, grâce à l'adjonction d'un volet spécifique dans chaque texte législatif. C'est seulement de cette façon que les personnes handicapées pourront devenir des citoyens à part entière, de véritables acteurs dans tous les secteurs de la société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jacques Blanc. Ils n'ont rien fait pendant des années et maintenant ils viennent nous donner des leçons !

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la loi d'orientation du 30 juin 1975 a été fondamentale pour les personnes handicapées, dont elle a permis, pour la première fois, l'accueil décent dans notre pays.

Puis est venue la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ce texte généreux vise un objectif auquel il est difficile de ne pas souscrire, puisqu'il tend à inscrire les personnes handicapées dans le droit commun des citoyens.

Pour cela, il a créé la prestation de compensation du handicap et simplifié les structures administratives associées à la mise en oeuvre de la politique du handicap.

En substituant aux CDES, les commissions départementales de l'éducation spéciale, et aux COTOREP, les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, une commission unique des droits et de l'autonomie des personnes handicapées au sein des maisons départementales des personnes handicapées, il permet une plus grande efficacité et un examen plus rapide des dossiers.

Ce souci de clarification ne s'est malheureusement pas accompagné des moyens nécessaires à ces louables intentions.

En effet, pour les départements, il existe une différence très importante entre le prix de référence, retenu par heure d'aide prise en charge dans le cadre de la compensation, et le coût réel d'une heure d'aide. Le montant de référence retenu est de 14,43 euros par heure d'aide, alors que son coût réel est voisin de 17 euros.

Qui est amené à payer cette différence ? Ce sont bien sûr les départements, dont les finances sont sans cesse obérées par de nouvelles charges non compensées. (M. le ministre délégué s'exclame.)

Le décalage entre prix de référence et coût réel de l'heure d'aide compromet le système de la compensation du handicap. Il pose de graves problèmes sur le terrain et remet en cause l'effectivité de l'aide, car il se traduit, très souvent, par une réduction du nombre d'heures au service de la personne handicapée.

Les départements ne sont pas les seuls à constater le décalage existant entre les tarifs fixés pour la prestation de compensation et ses coûts réels. Il est également pointé par le groupe de suivi de la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 pour les personnes très lourdement handicapées, créé au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées, le CNCPH.

Pour y remédier, le groupe de suivi du CNCPH livre trois pistes.

D'abord, il propose de modifier l'arrêté de tarification de l'élément « aide humaine » de la prestation de compensation, pour le mettre en conformité avec la réalité des coûts.

Ensuite, il suggère de définir de manière claire les principes retenus pour mettre en place le fonds de compensation, afin de couvrir la différence existante.

Enfin, il avance une modification législative du fonctionnement du fonds départemental.

Quelle que soit la solution retenue, cette charge nouvelle devra être compensée.

Monsieur le ministre délégué, c'est seulement quand vous compenserez ce décalage que la loi du 11 février 2005 pourra se voir pleinement appliquée.

Mais nous nous méfions de vous, monsieur le ministre délégué (Exclamations amusées) - M. Michel Mercier, notre président de groupe, me charge de vous le dire -, parce que nous connaissons bien votre propension à vous montrer généreux avec l'argent des départements ! (Rires.)

M. Nicolas About. Ah, c'est déjà bien !

Mme Muguette Dini. Nous aimerions donc avoir l'assurance que ce ne sera pas le cas cette fois-ci.

Je remercie Nicolas About d'avoir fait inscrire à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée cette question si importante. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

M. Nicolas About. On reconnaît bien là la vice-présidente du conseil général du Rhône !

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.

M. Paul Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, très attendue par les personnes handicapées et leurs familles parce qu'elle offrait des solutions enfin concrètes à leurs difficultés quotidiennes, la loi du 11 février 2005 constitue la traduction législative du troisième grand chantier du Président de la République, celui de l'intégration pleine et entière des personnes handicapées dans notre société.

Guidée par des principes généreux, cette loi a eu pour ambition de placer entre les mains de chaque personne handicapée les outils nécessaires à la maîtrise de son choix de vie et de consolider l'architecture financière de la nouvelle prestation de compensation.

Son application a été d'ores et déjà très positive concernant un certain nombre de dispositions, telles que la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées ou la scolarisation des enfants souffrant d'un handicap.

Bien qu'ils aient accueilli avec réticence le recours au groupement d'intérêt public pour la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées, les conseils généraux se sont malgré tout fortement mobilisés pour rendre l'ensemble du dispositif opérationnel dans les délais prévus par la loi. Ainsi, dès le 1er janvier 2006 - Nicolas About l'a rappelé -, 99 départements avaient constitué juridiquement leur maison départementale des personnes handicapées.

Les départements ont également accepté de faire participer d'autres partenaires à la constitution des maisons. Selon une enquête de l'Observatoire national de l'action sociale, l'ODAS, du mois de mai 2006, 60 % d'entre eux ont élargi la composition de leur commission exécutive au-delà de ce que leur imposait la loi et 75 % ont fait le choix d'une vice-présidence associative des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, les CDAPH. Mais on pourrait aller plus loin, Nicolas About l'a souligné.

S'agissant de l'organisation concrète des maisons départementales des personnes handicapées, l'enquête de l'ODAS montre que les départements dans leur quasi-totalité - 97 % - ont choisi de les constituer en un lieu physiquement identifié, tout en s'appuyant sur un réseau de proximité, dont le maillage recoupe celui qui a été retenu par le département pour ses circonscriptions d'action sociale.

Je ne peux que me féliciter de cet investissement des conseils généraux dans les maisons départementales des personnes handicapées. Il est en effet évident qu'ils ne peuvent demeurer un partenaire parmi d'autres, mais qu'ils ont, bien au contraire, vocation à en piloter les actions.

Financièrement, l'État a également su s'investir dans le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées. Je regrette simplement que certains personnels transférés n'aient pas réellement accepté leur mise à disposition, fragilisant ainsi sérieusement la mise en place de ces établissements dans de nombreux départements.

Un autre progrès réside dans la scolarisation des enfants handicapés.

L'accent mis par le Gouvernement depuis 2002 sur la scolarisation en milieu ordinaire des enfants handicapés a été confirmé par la loi du 11 février 2005. Avec l'élaboration d'un projet personnalisé de scolarisation, en concertation entre les parents, l'enseignant référent et l'ensemble des professionnels intervenant, les décisions concernant l'orientation de l'enfant sont prises dans de meilleures conditions, et il est bien plus facile qu'avant de mobiliser pour lui les dispositifs de soutien les plus adaptés.

On constate notamment une augmentation sensible du nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire. Dès la rentrée scolaire de 2005, ce nombre a augmenté de 36 % dans le premier degré et de 55 % dans le second degré, par rapport à l'année scolaire 2003-2004.

Ce succès - car je considère que c'en est un - est rendu possible par le développement des dispositifs d'accompagnement des élèves handicapés : la création de places en services d'éducation spéciale et de soins à domicile, les SESSAD, et le recrutement d'auxiliaires de vie scolaire chargés d'accompagner les enfants au quotidien dans leur scolarité. C'est un véritable progrès.

Je me félicite aussi de la proportion croissante d'enfants qui peuvent bénéficier d'une prise en charge mixte, alliant accueil en établissement d'éducation spéciale et scolarisation - au moins à temps partiel - à l'école ordinaire. Le développement de partenariats entre les établissements médicosociaux et les écoles, collèges et lycées de proximité doit effectivement être encouragé.

Il semble ainsi évident que les établissements médico-sociaux pourront se recentrer sur la prise en charge des enfants présentant les handicaps les plus lourds pour le plus grand profit de ces derniers, accroissant ainsi dans la mesure du possible la place strictement réservée aux programmes d'enseignement pour leur permettre de progresser dans des conditions toujours plus satisfaisantes.

Il existe en revanche des domaines dans lesquels l'application de la loi est perfectible. Je voudrais en particulier me pencher sur l'emploi des personnes handicapées et sur la prestation de compensation, pour enchérir sur les propos de Nicolas About.

L'accès au travail des personnes handicapées demeure très difficile. Un nombre toujours important de personnes handicapées se trouvent dans l'incapacité, temporaire ou définitive, de subvenir à ses besoins par son travail.

La loi de 2005, complétant la loi de 1987, contient des mesures très positives pour favoriser l'emploi des personnes handicapées : réforme de l'obligation d'emploi, renouvellement des missions de l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, et du réseau Cap emploi, création du Fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans la fonction publique, renforcement des aides aux entreprises adaptées...

Les premiers résultats de la réforme de l'obligation d'emploi demeurent pourtant décevants. En effet, les demandeurs d'emploi handicapés semblent profiter beaucoup moins de l'embellie économique que les autres : leur taux de chômage n'a reculé que de 1,1 % en 2005, alors qu'il baissait de 5,1 % pour l'ensemble de la population ; une amélioration semble toutefois se dessiner en cette fin d'année.

Il semble qu'un nombre encore trop important d'entreprises continue à méconnaître l'esprit de l'obligation d'emploi, en recourant systématiquement à la contribution à l'AGEFIPH, malgré le triplement des sanctions financières applicables.

M. Paul Blanc. Pour autant, l'AGEFIPH se bat et reste offensive. Je me félicite de deux actions dans lesquelles elle investit actuellement de façon prioritaire : le soutien apporté à la formation professionnelle des personnes handicapées et le financement du réseau Cap emploi.

Pour ce qui concerne les établissements et services d'aide par le travail, les anciens CAT, l'État poursuit son effort avec des crédits pour l'année prochaine en hausse de 3,5 % par rapport à 2006.

De nouvelles dispositions concernant le statut des personnes handicapées accueillies en ESAT, notamment celles qui sont relatives à l'incitation au départ vers le milieu ordinaire de travail, entrent en vigueur en 2007. Je ne peux que me réjouir de la création de ces passerelles entre milieu protégé et milieu ordinaire de travail.

Il demeure une difficulté s'agissant de la rémunération garantie en établissements et services d'aide par le travail qui devait permettre aux personnes handicapées de profiter des fruits de leur travail, malgré leur plus faible productivité.

Désormais, le montant de l'aide au poste est calculé de façon à ce que l'effort réalisé par l'établissement pour améliorer la part de la rémunération financée sur ses ressources propres ne soit plus totalement absorbé par une baisse à due concurrence de l'aide de l'État et ne traduise donc plus par une stagnation du revenu des personnes concernées.

Toutefois, dans les faits, cette revalorisation de la rémunération garantie a finalement été moins ambitieuse que prévue et ne permet pas aux personnes accueillies en ESAT de se passer de l'AAH pour compléter leurs ressources, contrairement à ce qui avait été annoncé lors du vote de la loi Handicap.

Dans ces conditions, les modalités du cumul entre AAH et rémunération garantie doivent faire l'objet d'une attention toute particulière, afin que les efforts réalisés pour rendre la rémunération garantie progressive en fonction du salaire direct versé ne soient pas annulés par un montant d'AAH lui-même strictement dégressif au fur et à mesure de l'augmentation de cette rémunération.

Le Gouvernement a tenu compte de cette question, en mettant fin au plafonnement du cumul entre rémunération garantie et AAH et en créant un dispositif d'abattement sur les revenus perçus en ESAT.

Mais il reste d'autres difficultés pratiques aux conséquences inconnues. Qu'adviendra-t-il en cas d'arrêt de travail ? Il semble qu'il y ait subrogation automatique de l'entreprise pour payer la rémunération due à la personne malade. Mais aucun délai d'application maximum de cette subrogation n'est prévu. Si l'État et l'ESAT se subrogent pendant la totalité des périodes ouvrant droit à une indemnisation au titre de l'assurance maladie, le délai de carence leur est opposable. Cette charge va peser sur le budget des ESAT à concurrence de sa participation dans la rémunération. Comment vont-ils pouvoir y faire face, leurs budgets étant déjà très serrés, alors qu'ils sont déjà confrontés à des conditions de concurrence extrêmement fortes ?

La mise en oeuvre de l'obligation d'emploi dans le secteur privé, si elle n'est pas exemplaire, est toutefois en progression. En revanche, dans la fonction publique, elle semble se heurter à une force d'inertie extrêmement regrettable.

En effet, le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique connaît un démarrage très difficile, sans doute parce que la culture et l'accompagnement du handicap font encore grandement défaut à la fonction publique.

L'état des lieux est peu brillant. Le traitement des déclarations par le FIPHFP a révélé un taux de 3,6 % de personnes handicapées employées dans la fonction publique, soit une proportion sensiblement plus faible que celle qui avait été avancée avant l'adoption de la loi de 2005.

En outre, les chiffres collectés sont peu fiables. En effet, dans les trois fonctions publiques, la notion de personne handicapée est entourée d'un grand flou. De cette incertitude sont nées des situations anormales. Des agents atteints d'une incapacité de seulement 10 % ont ainsi été décomptés au titre de l'obligation d'emploi ! Et je ne parle pas de l'éducation nationale ou des assistantes scolaires !

Le guide du bon usage de l'obligation d'emploi, que prévoit d'éditer et de diffuser le comité national du fonds, est donc une nécessité urgente.

Le fonctionnement du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique n'est pas non plus satisfaisant. Les services de la Caisse des dépôts et consignations sont chargés de la gestion technique et financière. Ils facturent ce service près de 6 millions d'euros, sans que cette somme corresponde à des prestations identifiées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About. C'est scandaleux !

M. Paul Blanc. De plus, ils gèrent l'argent collecté auprès des administrations et services en attendant son affectation, mais cet argent n'est pas placé sur des comptes rémunérés ! Pourtant, 52 millions d'euros ont été collectés en 2006.

M. Nicolas About. Il faut intervenir, monsieur le ministre délégué !

M. Paul Blanc. En outre, il n'y a aucune structure administrative pour faire vivre et dynamiser l'activité du fonds. Il serait donc nécessaire que le comité national puisse s'entourer de quelques personnes motivées, notamment d'un juriste et d'un responsable de la communication, qui lui permettraient d'élaborer ses stratégies d'action et de communication et de disposer d'une expertise sur les questions du handicap. Le décret du 3 mai 2006 nécessiterait donc d'être modifié dans ce sens, monsieur le ministre délégué.

M. Nicolas About. C'est urgent!

M. Paul Blanc. Quant aux comités locaux devant être constitués dans chaque région, ils sont censés délibérer sur les priorités du fonds à l'échelon régional, les décisions de financement des projets en région et l'utilisation des crédits alloués par le comité national. Leur mise en place, encore non effective, est donc indispensable pour faire remonter au comité national les projets des employeurs et pour contrôler les dépenses sur les projets que le comité national a décidé de financer.

S'agissant des sommes collectées, elles sont réparties en trois sections correspondant à chacune des fonctions publiques. Un décloisonnement relatif des financements serait utile, aussi bien pour lancer des actions communes à plusieurs fonctions publiques que pour mettre en place, en partenariat avec l'AGEFIPH, des actions tournées vers les salariés du secteur privé et les agents des trois fonctions publiques.

Il serait notamment utile de pouvoir mobiliser une partie de ces fonds pour réaliser des études ou des audits dans les administrations ou les établissements, afin d'évaluer les besoins des personnes handicapées et les diverses solutions permettant le maintien dans l'emploi, ainsi que pour réaliser des actions de sensibilisation des directions des ressources humaines et des agents de la fonction publique sur l'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail.

De même, le réseau Cap Emploi, financé par l'AGEFIPH, qui oriente déjà des travailleurs handicapés vers la fonction publique, pourrait être utilisé par les fonctions publiques, le fonds pouvant payer des prestations de services.

L'étanchéité des frontières entre secteurs public et privé n'est donc pas favorable à l'emploi des travailleurs handicapés.

M. Nicolas About. C'est sûr !

M. Paul Blanc. De manière plus générale, il faut veiller à considérer l'emploi des personnes handicapées dans une perspective globale, en évitant de recréer des barrières là où elles n'ont pas lieu d'être.

M. Paul Blanc. Concrètement, les premières aides matérielles devraient être versées au début de l'année 2007, après la constitution des comités locaux. Ce long temps de démarrage n'est pas anormal et rappelle celui qu'avait connu l'AGEFIPH après le vote de la loi du 10 juillet 1987. Cependant, aujourd'hui, nous disposons justement de l'expérience de l'AGEFIPH, et il est regrettable que le fonds ne puisse visiblement pas en profiter pour accélérer la mise en place des aides et qu'il soit ralenti par une mauvaise organisation dès le départ.

M. Paul Blanc. Pourtant, l'enjeu est énorme. Un travail de sensibilisation est indispensable, la fonction publique n'ayant pas encore la culture du handicap. Le recrutement par concours ne peut être un succès que si les autorités de nomination sont correctement sensibilisées et informées sur les questions relatives au handicap et finissent par considérer qu'un travailleur handicapé formé, encadré et dont le poste est adapté peut produire un travail aussi efficace, si ce n'est plus, qu'un agent valide. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Blanc. Tout à fait !

M. Paul Blanc. Le comité national du fonds doit donc pouvoir mener des campagnes d'information et de pédagogie en ce sens. Or le décret du mois de mai 2006 ne semble pas assez clair sur ce point, puisque les gestionnaires des fonds issus de la Caisse des dépôts et consignations refusent d'y consacrer les sommes nécessaires. Il est donc très important que le décret puisse être réécrit dans les meilleurs délais - je le répète, monsieur le ministre délégué -, de sorte que le fonds puisse communiquer, faire connaître son activité et développer ses interventions.

S'agissant de la prestation de compensation du handicap, la PCH, que Nicolas About a longuement évoquée, elle est sans doute la plus grande avancée du texte voté en 2005. Elle vise à prendre en charge les surcoûts de toute nature liés au handicap. Elle constitue un véritable progrès par rapport à la situation antérieure, puisqu'elle couvre un domaine bien plus large que l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, dont elle prend la suite. Contrairement à cette dernière, elle est versée sans condition de ressources et son montant est non plus forfaitaire, mais calculé en fonction des besoins réels du demandeur. Comme nous l'avions fait remarquer au moment de la discussion de la loi, c'est du sur-mesure !

D'après un premier bilan réalisé par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et de la statistique du ministère de la santé et des solidarités, au 31 août 2006, environ 38 000 demandes de PCH avaient été déposées, et non 31 000, comme vous l'avez indiqué, monsieur About, et 6 500 prestations avaient été réellement attribuées. Ce nombre, encore très faible, n'est pas anormal. Il est à mettre en lien avec la mise en place de la nouvelle architecture institutionnelle de la politique du handicap.

Toutefois, les incertitudes quant au barème de la PCH et au contrôle de l'effectivité de l'aide apportée contribuent également à ralentir les demandes, certaines personnes handicapées continuant de manifester une préférence pour un maintien dans le dispositif de l'allocation compensatrice pour tierce personne.

S'agissant de la PCH à domicile, les premiers mois de versement montrent, à l'évidence, la nécessité de procéder à certains ajustements, d'ailleurs bien naturels, pour calibrer au mieux une prestation aussi innovante, tant dans son mode d'instruction que dans ses modalités de calcul.

Il importe, d'abord, de diversifier la composition des équipes pluridisciplinaires, en y associant des professionnels d'horizons différents, formés à la prise en compte du projet de vie de la personne handicapée. Il convient également d'assouplir les dispositions relatives aux aides humaines, notamment pour ce qui concerne la question des tarifs de prise en charge, particulièrement faibles, comme cela a déjà été souligné. Il est enfin indispensable de revoir les règles relatives au contrôle de l'effectivité de l'aide. Ainsi, il n'est pas normal que, dans la pratique, on demande aux bénéficiaires de faire l'avance des sommes nécessaires à la couverture de ses besoins, ces dernières lui étant remboursées avec un mois de décalage, sur présentation de justificatifs et dans la limite d'un plafond. Je rejoins, sur ce point, les critiques qui ont été formulées par mon collègue et ami Nicolas About.

La situation devrait s'améliorer avec l'introduction, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, d'un amendement tendant à modifier la date de versement des sommes relatives aux aides humaines et à autoriser un versement de ces dernières par tranches trimestrielles.

Enfin, Nicolas About a longuement abordé la question de l'accessibilité, je n'y reviendrai pas.

On ne peut débattre de l'application de la loi de 2005 sans aborder les perspectives d'évolution du plan de financement et des structures de gestion.

Dès l'origine, le débat s'est concentré sur l'opportunité d'étendre les missions de la sécurité sociale à la gestion des risques du handicap et de la dépendance. Or, malgré plusieurs projets, aucun gouvernement n'a pu trouver les moyens d'instituer cette cinquième branche.

Une nouvelle caisse, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, a enfin été créée en 2005 pour gérer le financement, alors que la gestion des prestations est confiée aux départements. Aujourd'hui, s'il n'est certes pas impossible de retourner en arrière et de créer, dans le cadre de la sécurité sociale, une nouvelle branche, peu importe qu'elle soit gérée de manière autonome ou par l'une des caisses nationales existantes, cela ne m'apparaît pas souhaitable.

L'existence de la CNSA a créé une sorte de parcours fléché des financements qui permet une identification précise des sommes collectées et des dépenses effectuées. Les Français ont ainsi la garantie que l'argent qui transite par la CNSA est bien employé pour financer ce pour quoi il est versé : la prise en charge de la dépendance et du handicap. Cette caisse n'est pas noyée dans un grand ensemble où la tentation de compensation entre branches est toujours forte.

La situation financière de la sécurité sociale ne plaide pas non plus en faveur de cette solution.

Il n'est pas davantage question de relever les prélèvements sociaux au moment où nous souhaitons, au contraire, renforcer le pouvoir d'achat des salariés.

Il me semble inopportun de renoncer au mode de fonctionnement de la CNSA, qui réunit l'ensemble des acteurs du terrain, notamment les représentants des associations, dont le rôle dans ce secteur est essentiel, au profit d'une gestion paritaire.

Le département, sorte de pilote auprès duquel est déconcentrée une fraction significative des moyens permettant la prise en charge de la dépendance et du handicap, s'est investi avec succès dans le dispositif. Pourquoi remettre en cause ce qui fonctionne ?

Pour toutes ces raisons, je considère que la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale ne doit plus être envisagée.

Par ailleurs, cette politique de prise en charge généreuse a bien évidemment un coût. Comment allons-nous donc faire face aux dépenses croissantes engendrées par la solidarité ? En 2005, il a été décidé de financer la politique du handicap par la solidarité, c'est-à-dire par l'augmentation du temps de travail. Suivant l'exemple de l'Allemagne, qui finance depuis plusieurs années l'autonomie des personnes âgées par la suppression d'un jour férié, nous avons retenu cette option originale, qui consiste à solliciter des salariés français le sacrifice d'un peu de leurs loisirs pour permettre à leurs aînés et aux personnes souffrant d'un handicap de vivre dans des conditions plus dignes et de bénéficier d'un confort qu'ils souhaiteront demain pour eux-mêmes.

Ce choix de renoncer à l'un des onze jours fériés existants était d'autant plus symbolique que c'était la première fois, depuis plus de vingt ans, que la durée du temps de travail en France était majorée, en application d'une décision législative.

Nous avons, par ailleurs, une large marge de manoeuvre, puisque la France a la caractéristique d'être à la fois l'un des pays où l'on travaille le moins et où les salariés sont les moins nombreux, une autre forme d'exception ! En tout état de cause, l'extension, voire la préservation, d'un système de protection sociale généreux ne peut être financée, à long terme, que par l'accroissement de la production de richesse généré par le travail. Il est donc clair, selon moi, que l'on ne peut préserver durablement un niveau élevé de protection sociale et demeurer l'un des pays développés où l'on travaille le moins.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Bravo !

Mme Gisèle Printz. C'est le pays développé où l'on travaille le mieux !

M. Paul Blanc. C'est pour cela que nous ne pourrons certainement pas faire l'économie de la création d'une journée de solidarité supplémentaire pour ceux qui ont besoin de nous.

Pour conclure, la mise en oeuvre de cette grande loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont nous pouvons être fiers, n'est ni aussi rapide, ni aussi parfaite que nous le rêvions. Elle est, toutefois, satisfaisante et ses effets vont progressivement se faire sentir pour améliorer considérablement la vie quotidienne de nos concitoyens envers lesquels l'engagement sur le principe de solidarité est ainsi renouvelé.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, depuis 1993, il a toujours été question, y compris dans cet hémicycle, de réformer la loi de 1975, qui, trente ans après, ne connaissait pas une totale plénitude. Mais il a fallu attendre que la majorité d'aujourd'hui prenne les choses en mains et décide de le faire. Il faudra s'en souvenir un jour ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, après l'intervention de M. Paul Blanc, notre éminent collègue, vous aurez sans doute à me pardonner quelques redites.

La loi du 11 février 2005 en faveur des personnes handicapées a défini de nouvelles obligations et un contexte nouveau, pour une approche et une prise en charge du handicap dans toute sa diversité. Elle fait de la personne handicapée un citoyen à part entière et non plus un citoyen à part.

Cette loi vise à affirmer et renforcer les droits fondamentaux des personnes handicapées mais, surtout, elle apporte un regard neuf sur le handicap, en intégrant sa diversité et en plaçant la personne au centre des dispositifs pour une compensation du handicap et un accompagnement tout au long de la vie.

La mission « Solidarité et intégration » de la loi de finances pour 2007 intègre comme une de ses priorités la montée en charge de la loi Handicap, la deuxième étant la poursuite du plan de cohésion sociale.

Les crédits ouverts devront permettre la montée en puissance des dispositions de la loi. Ils sont en progression de 3 % par rapport à 2006, les crédits ouverts dans le cadre d'autres missions mis à part.

Les efforts du Gouvernement pour assurer les engagements du Président de la République et respecter les volontés du législateur, tout en restant à l'écoute du secteur, sont réels.

Néanmoins, le chantier en est encore à ses débuts,...

Mme Gisèle Printz. Depuis deux ans !

M. Georges Mouly. ...et les efforts qui restent à accomplir sont importants.

Je mentionnerai quelques points qu'il me paraît opportun d'aborder aujourd'hui.

L'une des mesures phare de la loi est la prestation de compensation. C'est une innovation majeure, dont l'accès doit être perfectionné. Il s'agit d'un réel progrès, mais encore faut-il assurer une égalité de traitement sur tout le territoire national et rendre la prestation plus attractive que l'allocation compensatrice de tierce personne, pour laquelle les bénéficiaires optent le plus fréquemment en raison de l'absence de justificatifs à produire et du fait qu'il n'y a pas d'avance à faire.

Monsieur le ministre délégué, existe-t-il un référentiel d'évaluation qui pourrait être appliqué à tout le territoire ?

M. Georges Mouly. Je pose cette question, car je crois savoir qu'il existe quelques expérimentations ; il faudra, si possible, les évaluer et en tirer les enseignements.

Par ailleurs, le coût des aides humaines et le prix élevé des aides techniques sont souvent mentionnés comme particulièrement pénalisants. La parentalité des personnes handicapées, dès lors qu'elle fait partie du projet de vie, est encore insuffisamment prise en compte lors de l'évaluation dans le cadre de l'attribution du plan.

Les fonds départementaux de compensation du handicap doivent être impérativement mis en place partout et pouvoir réellement financer le reste à charge pour les personnes handicapées.

À défaut d'un cadre plus contraignant, les inquiétudes sont grandes quant à des partenariats disparates d'un département à un autre, quant à la pérennité des financements ou à la simple reconduction des financements précédemment assurés dans des dispositifs tels que le site pour la vie autonome, le SIVA, ou l'AEH, par exemple.

Beaucoup d'interrogations subsistent pour ce qui concerne les ressources des personnes handicapées.

C'est avec satisfaction qu'a été accueillie cette mesure plus favorable que constitue la possibilité de cumul de l'AAH et de la rémunération.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Oui !

M. Georges Mouly. Néanmoins, les conditions d'attribution du complément de l'AAH restent trop restrictives. Quelles mesures pourrait-on envisager pour rendre à l'AAH son véritable rôle de compensation d'une « inemployabilité » ?

Les efforts qui restent à faire en ce qui concerne l'emploi des personnes handicapées, élément essentiel d'intégration sociale, que ce soit en milieu protégé ou en milieu ordinaire, sont également importants.

Malgré les diverses avancées réalisées - frais de siège, cumul des AAH et des rémunérations, augmentation des crédits pour des places supplémentaires en 2007 - les établissements et services d'aide par le travail s'inquiètent : la réforme est applicable au 1er janvier 2007, alors que les décrets d'application sont encore attendus, notamment pour l'élaboration du contrat de séjour et de soutien.

L'essentiel de l'inquiétude tient au niveau de l'aide au poste et de son caractère global, qui risque d'entraîner une sélection des travailleurs handicapés les plus performants, laissant sur le bord de la route les personnes handicapées plus déficientes.

Mme Muguette Dini. C'est certain !

M. Georges Mouly. Ne pourrait-on envisager, lors de l'élaboration des conventions avec les tutelles, la prise en compte de variables d'ajustement, par exemple le temps effectif au poste de travail et le vieillissement ?

Quant aux entreprises adaptées, la transformation des ateliers protégés en entreprises adaptées est l'aboutissement d'une revendication du secteur et la réforme inscrit pleinement l'entreprise adaptée au sein de l'économie de marché.

Toutefois, pour conserver son rôle de passerelle entre le milieu ordinaire et le milieu protégé, mission qui reste inscrite et sous-entendue dans le terme « adaptée », ces entreprises méritent une attention toute particulière des pouvoirs publics.

L'Union nationale des entreprises adaptées, l'UNEA, a procédé à une étude comparative du coût que représente une personne handicapée sans emploi et une personne handicapée employée en entreprise adaptée : le rapport est incontestablement favorable à l'emploi en entreprise adaptée, quel que soit le régime de la personne handicapée, qu'elle relève de l'AAH, du RMI ou de l'ASS.

L'UNEA plaide donc pour une augmentation du contingentement de l'aide au poste.

Cependant, dans la mesure où les entreprises adaptées s'inscrivent dans le marché, ne pourrait-on envisager une mesure permettant de leur réserver une part des marchés publics ?

En effet, le problème auquel est confronté le secteur est, notamment, celui des délocalisations, qui pèsent très lourdement sur les carnets de commandes.

La loi de 2005 a tenu à réaffirmer l'obligation inscrite dans la loi de 1987 et a renforcé le système de sanctions. Le fondement du texte de 1987 demeure ; il s'agit bien de l'emploi de personnes handicapées.

Les emplois induits ne sont pas comptabilisés. Or il semblerait que certains services de l'État s'excluent de cette règle, en intégrant dans le calcul de l'effectif pris en compte pour l'obligation d'emploi les postes affectés à l'accompagnement des élèves handicapés. Une telle procédure est à mes yeux absolument inacceptable.

La création du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, est une avancée incontestable, la fonction publique représentant un formidable gisement d'emplois.

Mis en place depuis mai 2006 et disposant d'un conseil d'administration, ce fonds a-t-il défini une politique pour atteindre l'objectif de 6 % ?

Cette obligation d'emploi est encore loin d'être intégrée dans la culture de la fonction publique, notamment de la fonction publique territoriale, et il serait particulièrement judicieux que, par ce biais, puisse effectivement être financé le réseau Cap emploi.

Par ailleurs, le décret du 9 février 2006, relatif aux emplois ordinaires avec abattement de salaires, semble inadapté au handicap mental et psychique : la notion de lourdeur du handicap concerne-t-elle toutes les formes de handicap ? Si c'est le cas, comment opère-t-on pour le handicap psychique et mental ? Quelles mesures d'accompagnement sont-elles définies ? Ces questions se posent.

L'objectif qui consiste à donner toute leur place aux personnes handicapées dans la cité est un véritable défi à relever. L'ampleur du chantier est immense.

Un autre secteur est essentiel : celui de la scolarisation. Ce secteur bénéficie d'efforts remarquables. Il connaît des progrès importants en matière de scolarisation en milieu ordinaire - le développement des dispositifs et l'augmentation du nombre d'élèves l'attestent - aussi bien qu'au sein des établissements d'éducation spéciale.

L'accompagnement des élèves est au coeur du système, et l'effort de l'État en matière de création de postes d'accompagnement est important, qu'il s'agisse des AVS, auxiliaires de vie scolaire, ou des EVS, les emplois de vie scolaire.

Cependant, des questions se posent aujourd'hui quant à la formation de ces personnels, la pérennité des financements et l'articulation entre les missions des AVS et des EVS.

Ces emplois doivent devenir attractifs et offrir un déroulement de carrière. Pour un accompagnement de qualité, ils ne doivent pas être considérés comme une orientation professionnelle par défaut.

En ce qui concerne la continuité du parcours scolaire, notamment pour les seize-vingt ans, car il faut se préoccuper de ce qui se passe une fois l'âge de seize ans atteint, je ne peux qu'insister de nouveau sur l'importance qu'il y a lieu d'attacher à la préparation de l'insertion professionnelle des adolescents et rappeler l'existence d'un projet dont j'ai déjà fait état ici, monsieur le ministre délégué, s'agissant de l'accompagnement spécifique d'adolescents handicapés de seize à vingt ans.

Dans la réponse que vous m'avez faite le 7 mars dernier à une question orale que je vous avais adressée sur ce point, monsieur le ministre délégué, vous vous disiez déterminé, sur la base des propositions que je formulais, à apporter des réponses concrètes à ce problème et, pour commencer, à permettre à des projets tels que celui qui a été mis au point avec le monde associatif et les institutions spécialisées de mon département...

M. Paul Blanc. La Corrèze !

M. Georges Mouly. ...de voir le jour.

Le conseil régional de l'organisation sociale et médico-sociale du Limousin s'est prononcé favorablement : ce service d'accompagnement en faveur des jeunes de cette tranche d'âge reconnus comme handicapés apporterait une réponse innovante, après l'orientation déterminée par la commission départementale des droits pour l'autonomie des personnes handicapées, sur le principe des SESSAD.

Il concernerait des jeunes de seize à vingt ans scolarisés en unités pédagogiques d'intégration 3, ou en apprentissage, en centres de formation d'apprentis, ou en centres spécialisés de formation d'apprentis, qui sortiraient sans solution immédiate des UPI, des sections d'enseignement général et professionnel adapté ou des instituts médico-éducatifs, notamment.

Pour conclure, je souhaiterais souligner l'importance de la mobilisation des départements, qui a permis la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, dispositif qui, au même titre que la prestation de compensation, est une mesure phare de la loi, qui offre aux personnes handicapées et à leur entourage un lieu unique, et un lieu de proximité, en vue de faciliter par l'accueil, l'information, l'orientation et l'évaluation, l'accès à l'ensemble des solutions de compensation.

Mon interrogation porte sur l'équipe pluridisciplinaire, pivot de l'évaluation des besoins : ne serait-il pas opportun de s'assurer, au-delà la simple transposition des anciennes CDES, et COTOREP, qu'elle soit représentative des handicaps dans toute leur diversité, handicap psychique inclus, et intègre des compétences dans les secteurs de la petite enfance et du vieillissement ?

Pour terminer, je saluerai M. About, qui est à l'initiative de l'organisation de ce débat.

Monsieur le ministre délégué, compte tenu de votre écoute et de votre volonté d'aboutir, nous ne doutons pas de l'évolution favorable de ce dossier, notamment une fois que les différents textes réglementaires d'application en attente auront été publiés. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle San Vicente-Baudrin.

Mme Michèle San Vicente-Baudrin. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, dans sa forme, le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées semblait ambitieux.

Sur le fond, nous l'avions dit lors des débats, les carences restent nombreuses. On remarque notamment le manque des crédits nécessaires à une application pleine et entière de la loi.

La réussite de la scolarisation en milieu ordinaire, par exemple, requiert bien souvent une prise en charge individualisée mais aussi des personnels formés et stables au sein des établissements.

Monsieur le ministre délégué, en tenant compte des disparités qui règnent entre académies, départements et communes, ou encore entre établissements scolaires, comment les rectorats peuvent-ils avoir une attitude volontariste quant à cette politique d'intégration : ils ne disposent pas d'une enveloppe budgétaire constante suffisante pour recruter les auxiliaires indispensables au soutien tant individuel que collectif des enfants handicapés.

L'esprit de la loi était pourtant de donner un droit à une éducation en milieu ordinaire appropriée au handicap.

L'article L. 351-3 du code de l'éducation défend le même principe, tout comme le décret du 6 juin 2006.

Sur 152 000 élèves handicapés, 13 500 jeunes scolarisés dans le primaire et le secondaire auraient bénéficié de 4 640 soutiens individuels.

Le plan d'adaptation et d'intégration scolaire pour la période 2003-2007 envisageait la création de 6 000 postes d'auxiliaire de vie scolaire. L'année scolaire en cours montre pourtant que nous sommes loin du compte, et ce malgré l'amalgame fait entre les AVS et les EVS.

Je le répète, l'intégration scolaire exige des moyens tant quantitatifs que qualitatifs. Or, les AVS sont souvent des étudiants en cours de cursus universitaire et n'ont d'autres formations qu'une information technique, plus ou moins succincte, sur les déficiences du handicap et les besoins particuliers en matière d'apprentissage. Quant aux EVS, ce sont des contrats précaires par excellence : ceux qui occupent de tels emplois n'ont aucune formation et sont recrutés trop souvent pour des tâches administratives. Hormis le dispositif de validation des acquis de l'expérience, aucune autre formation qualifiante de quelque ordre que ce soit n'est prévue, et il faut bien avouer que les « débouchés » en secrétariat sont faibles.

Cette situation est regrettable, car les EVS étaient à l'origine destinés à accueillir les enfants de maternelles.

De plus, monsieur le ministre délégué, une rumeur circule actuellement concernant les ATSEM, les agents territoriaux spécialisés en écoles maternelles. Ma question n'est pas anodine puisque ces agents de la fonction publique sont des employés municipaux : est-il envisagé, eu égard aux nouvelles dispositions statutaires et indiciaires applicables dès le mois de janvier prochain, que cette profession soit chargée, dans un proche avenir, de l'accompagnement des enfants handicapés ?

La loi du 11 février 2005 présentait le grand intérêt de permettre à des jeunes qui étaient auparavant orientés en établissements spécialisés d'intégrer le milieu ordinaire, ce qui devait libérer des places pour d'autres enfants plus lourdement handicapés. Or, comme les contraintes budgétaires sont elles aussi très fortes dans les établissements spécialisés, la gestion se concentre davantage sur les moyens, au détriment, bien entendu, des objectifs. Leurs budgets n'évoluant guère, certains établissements sont immanquablement obligés, compte tenu des restrictions, de supprimer purement et simplement les activités éducatives. À cet égard, monsieur le ministre délégué, les dispositions du projet de loi de finances pour 2007 ne permettront sûrement pas de rouvrir de tels postes de dépenses.

Dans mon département, nous manquons ainsi de psychomotriciens, d'orthophonistes, d'assistantes sociales, de kinésithérapeutes et de personnels éducatifs, ce qui rend la prise en charge spécifique pratiquement impossible. Tous les départements ont d'ailleurs un dénominateur commun : c'est la liste des personnes majeures en attente d'une place en établissement. Il manquerait aujourd'hui en France quelque 5 500 places d'accueil et d'hébergement pour les enfants souffrant d'un des trois handicaps. Pour les adultes, près de 33 000 places feraient défaut.

Il y a tout juste un mois s'ouvrait la semaine dédiée à l'emploi des handicapés. Aujourd'hui, 3 000 personnes en situation de handicap sont inscrites à l'ANPE. Alors que, aux termes de la loi les entreprises de plus de vingt salariés doivent employer au moins 6 % d'adultes handicapés, le taux actuel est de 4,3 %. L'objectif sera-t-il atteint en 2009 ?

Le taux de chômage élevé parmi les travailleurs handicapés peut s'expliquer, certes, par la discrimination, mais plus certainement encore par l'âge et le manque de qualification.

Dans une récente étude, l'AGEFIPH, l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, précise d'ailleurs que seules les formations longues ont un réel effet sur le retour à l'emploi. La filière des entreprises adaptées n'a effectivement plus à faire ses preuves dans la réinsertion. Toutefois, comme les entreprises adaptées recrutent dorénavant en fonction non plus des besoins, mais d'un quota défini par le ministère des finances, les propositions sont comptées : 655 postes pour tout l'Hexagone, auxquels il convient d'ajouter 125 postes qui, comme le déplore l'Union nationale des entreprises adaptées, n'ont pu être créés en 2006 du seul fait de la complexité et de la rigidité du contingentement.

Monsieur le ministre délégué, l'effectif de référence attribué à chaque entreprise et le nombre d'aides au poste est-il vraiment rationnel ?

M. Philippe Bas, ministre délégué. Oui !

Mme Michèle San Vicente-Baudrin. Le changement des modalités de calcul fait percevoir des subventions inférieures aux années précédentes,...

M. Philippe Bas, ministre délégué. Non !

Mme Michèle San Vicente-Baudrin. ...alors que la subvention spécifique, soit 900 euros par an et par salarié, n'a pas été réévaluée depuis 2002. Fonctionnant comme des entreprises de droit privé, les entreprises adaptées connaissent d'énormes problèmes de trésorerie. La loi a-t-elle permis d'améliorer leur situation ?

Le 15 novembre dernier, en compagnie du ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, vous avez annoncé de nouvelles mesures, notamment un effort financier supplémentaire pour la formation professionnelle. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Philippe Bas, ministre délégué. Certainement !

Mme Michèle San Vicente-Baudrin. Nous aimerions aussi connaître le mécanisme des primes d'intéressement, puisque la loi n'a pas remis en cause le statut médicosocial des ESAT, les établissements et services d'aide par le travail. Cependant, nombre de travailleurs ne pourront sans doute pas obtenir un certain nombre de congés ou d'absences, puisqu'il s'agit seulement d'une possibilité et non d'une obligation. Les faits sont là : des ESAT font travailler leurs employés le samedi quand il y a un jour férié dans la semaine.

En revanche, à condition que les ressources soient revalorisées de manière plus significative que les montants annoncés hier, l'aide au financement d'une couverture complémentaire semble être une bonne idée.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Tiens donc !

Mme Michèle San Vicente-Baudrin. Je reviens maintenant sur le titre II de la loi de 2005, qui porte sur un droit à compensation, censé couvrir les aides techniques et humaines.

La prestation devait répondre aux besoins des personnes handicapés, quelles que soient la nature ou la gravité de leur handicap. Je souhaite moi aussi soulever le problème de l'aide humaine au gré à gré, car j'ai relevé une anomalie, en totale contradiction avec la volonté d'assurer une véritable égalité. Il y a, en effet, une différence entre une personne qui fait appel à une salariée à domicile pour convenance personnelle et une autre qui fait la même démarche parce qu'elle se trouve dans l'incapacité d'accomplir certains gestes courants de la vie quotidienne ; or, dans les deux cas, la réduction d'impôt est calculée de la même façon.

À ce sujet, le groupe socialiste avait déposé un amendement au dernier projet de loi de finances, visant à transformer la réduction d'impôt accordée aux ménages ayant recours à une aide à domicile en crédit d'impôt. Cela aurait eu pour effet d'ouvrir le bénéfice de cette aide aux foyers non imposables, comme l'avait d'ailleurs recommandé le Conseil des impôts dans le rapport de 2003 qu'il a consacré à la fiscalité dérogatoire.

Notre amendement a été rejeté, au motif que cette disposition aurait été contreproductive au regard de l'objectif fixé en matière d'emploi. Cet avis est pour le moins étonnant, d'autant que, lors de la discussion au début du mois de novembre du projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, la majorité a étendu le bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 21 ter de ce texte aux actions de formation sur les dispositifs d'épargne salariale, dans le but « avoué » de favoriser « la compréhension par les salariés du fonctionnement et des contraintes économiques de l'entreprise ». En l'occurrence, nous nous demandons toujours quel peut bien être l'effet de cette mesure sur l'emploi.

Monsieur le ministre délégué, les neuf associations de handicapés qui ont manifesté hier se moquent bien, elles, de comprendre le fonctionnement et les contraintes économiques de l'entreprise ; ce qui les intéresse, c'est que le droit à un véritable revenu d'existence soit consacré.

À cet égard, la réforme de l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés, ne devait-elle pas permettre aux personnes handicapées d'atteindre un niveau de vie décent ? Les dispositifs qui ont amélioré cette allocation ne sont pas assez ouverts et les conditions d'attribution sont très restrictives : très peu de personnes peuvent donc y prétendre.

Hier, monsieur le ministre délégué, vous avez annoncé la mise en place, à partir de 2007, d'un complément de ressources pour que le revenu des personnes handicapées touchant le minimum invalidité soit porté à 80 % du SMIC, soit 790 euros mensuels, au lieu des 611 euros prévus actuellement. Voilà deux ans, la secrétaire d'État à l'époque chargée du dossier avait elle aussi communiqué sur les ressources, en promettant que celles-ci seraient portées à 728 euros mensuels.

La réforme de la loi de 1975 était l'un des trois grands chantiers du quinquennat. Le gouvernement d'alors prétendait y intégrer des notions de projet de vie, de compensation en fonction du handicap et de proximité avec les maisons départementales des personnes handicapées. Monsieur le ministre délégué, aujourd'hui le temps des bonnes intentions est révolu : n'est-ce pas le moment de passer aux actes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Ma chère collègue, la loi de 2005 représente un acte très fort, accompli, c'est vrai, trente ans après la loi de 1975. Permettez-moi de le rappeler, toutes les deux ont été très profondément marquées par la volonté personnelle du Président de la République, lequel était Premier ministre en 1975. Cette volonté était partagée par le président de la République d'alors, M. Valéry Giscard d'Estaing, ainsi que par Mme Simone Veil et M. René Lenoir.

Au reste, monsieur le ministre délégué, votre action en la matière a beaucoup apporté, et je la comparerai volontiers à celle de M. Lenoir, ce qui est évidemment un compliment !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Je vous remercie, monsieur le sénateur !

M. Jacques Blanc. M. Lenoir a su faire passer des messages. Vous-même, je vous ai vu à l'oeuvre, notamment dans certains établissements. Je tiens donc à vous féliciter.

M. Nicolas About. Très bien !

M. Jacques Blanc. Je veux également remercier le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About, ainsi que le rapporteur de la loi de 2005, M. Paul Blanc.

Ces deux lois ont suscité des changements fondamentaux. Personnellement, j'ai quelques raisons d'évoquer celle de 1975.

M. Nicolas About. Et pour cause !

M. Jacques Blanc. Jeune député, ayant beaucoup appris des personnes handicapées elles-mêmes en tant que médecin dans les établissements de Lozère, je me suis retrouvé rapporteur de ce magnifique texte et j'ai pu voir à quel point il fallait se battre pour faire bouger les choses.

À mon sens, nous avons eu de très belles réussites, avec le soutien du monde associatif. Je pense notamment à la création du Conseil national consultatif des personnes handicapées, obtenue grâce à l'adoption de l'un de mes amendements.

Par la suite, j'ai dû prendre l'initiative personnelle, cinq ans après le vote de la loi, d'organiser une réunion pour faire le point. Aujourd'hui, l'évolution même de la vie du Parlement permet la tenue d'un tel débat dans le cadre normal de son fonctionnement. Bravo donc à M. About de vous avoir ainsi donné l'occasion, monsieur le ministre délégué, de nous écouter : beaucoup de choses extrêmement intéressantes ont été dites ce soir, et j'attends vos réponses avec grand intérêt !

Notre rôle, à nous, parlementaires, est de vous inciter à redoubler d'efforts. Nous le savons bien, vous devez parfois résister aux pressions de l'administration. Celle-ci a certes de grandes qualités, mais il est bon que, de temps en temps, le politique la stimule. C'est justement ce que nous faisons aujourd'hui. Comme les interventions ont vraiment été de grande qualité, je m'en tiendrai à des aspects plus généraux.

En 1975, il fallait affirmer les droits fondamentaux des personnes handicapées, avec lesquelles notre société devait réapprendre à vivre, et passer du stade de l'assistance à celui de la solidarité. Cette étape fondamentale a permis la reconnaissance de leur dignité aux personnes handicapées. Trente ans après, la loi de 2005 nous a fait faire une nouvelle avancée considérable, en permettant à la personne handicapée de choisir sa vie. C'est une vraie révolution culturelle !

Désormais, dans la définition même du handicap, on analyse la situation de chaque personne par rapport à son environnement, son travail, sa scolarité, sa vie sociale, bref, par rapport à sa place de citoyen dans la société. En mettant en place la prestation de compensation du handicap, la société est prête à épauler la personne handicapée, à prendre en charge les surcoûts, pour lui permettre de choisir elle-même les voies de son épanouissement.

Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, voilà un progrès exceptionnel !

Ce faisant, nous ne sommes pas tombés dans le piège qui aurait consisté à ignorer la situation de ceux qui ont besoin du support d'une institution, qu'il s'agisse des anciens centres d'aide par le travail ou des ESAT. Dans tous les cas, chacun reçoit un soutien dans sa vie professionnelle.

Il ne fallait surtout pas marginaliser ces personnes, qui ont, comme toutes les autres, le droit de s'épanouir.

Il était de notre responsabilité de ne pas ignorer les personnes qui ont besoin des institutions.

Je suis fier d'avoir déposé, en 1975, un amendement tendant à créer les maisons d'accueil spécialisées, qui répondaient aux besoins des personnes souffrant d'un handicap très lourd, nécessitant des soins permanents. Nous n'avons pas le droit d'oublier ces personnes ! Le fait de nous préoccuper de ces cas très lourds ne nous empêchera pas de nous mobiliser, par ailleurs, afin d'intégrer dans la vie scolaire ou professionnelle, et notamment dans la fonction publique, le plus grand nombre possible de personnes handicapées susceptibles d'y accéder.

Nous parlons là de révolutions culturelles !

Nous avons cependant connu un échec, qui n'a été assumé en tant que tel qu'en 1987, lorsque Jacques Chirac était chef du Gouvernement. Cet échec portait sur le pourcentage de personnes handicapées intégrées dans la vie professionnelle. À l'époque, nous avons permis aux entreprises qui n'employaient pas de personnes handicapées de « se dédouaner », en quelque sorte, en leur imposant d'acquitter la contribution AGEFIPH, évoquée par plusieurs de nos collègues, dont Paul Blanc.

Aujourd'hui, monsieur le ministre délégué, la démonstration est faite que vous avez réussi, en moins de deux ans, à faire progresser la situation. Certes, tout n'est pas parfait, même si vous êtes très compétent, et nous aussi. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Plus de cent décrets ont déjà été publiés, ce qui n'était pas évident, car il fallait d'abord les soumettre au Conseil national consultatif des personnes handicapées. Mais la difficulté n'était pas insurmontable, il fallait simplement mettre les moyens. Je considère pour ma part qu'une révolution a eu lieu.

S'agissant du pourcentage d'intégration des personnes handicapées dans la fonction publique, nous l'avons dit, les résultats ne sont pas merveilleux.

Lorsque j'étais médecin généraliste, avant de travailler au sein d'établissements spécialisés pour handicapés, j'établissais des certificats d'aptitude professionnelle permettant à des personnes handicapées d'entrer dans la fonction publique, et certains de mes confrères ont dû le faire aussi.

La culture de la fonction publique, à l'époque, consistait surtout à éviter d'embaucher une personne présentant un handicap, quel qu'il soit.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Très juste !

M. Jacques Blanc. Heureusement, la situation a changé.

Notre ami Paul Blanc, qui a beaucoup travaillé sur ce dossier, nous a révélé une situation à laquelle il faudra remédier. Il n'est en effet absolument pas normal de laisser la Caisse des dépôts et consignations empocher 6 millions d'euros, et pour quoi faire ?

M. Nicolas About. Pour rien ! Elle se contente de les encaisser !

M. Jacques Blanc. Je tiens en revanche à souligner le succès de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, qui a véritablement réussi. Je le dis avec d'autant plus de satisfaction que, pour ma part, je craignais que ce nouveau dispositif ne soit, en quelque sorte, qu'une grosse « machine ». J'étais notamment méfiant à l'égard des maisons départementales des personnes handicapées.

À la lumière de ce que j'observe dans mon département et ailleurs, je pense vraiment que cette expérience se soldera par un succès. Il faudra certes rester vigilants, car les statuts des personnels travaillant dans les maisons départementales ne sont pas aussi favorables que ceux qui sont en vigueur dans les autres établissements, ce qui explique que ces personnels ne restent pas. Nous devons réfléchir aux moyens de remédier à cette situation.

De même, les maisons départementales des personnes handicapées doivent pouvoir faire appel, notamment pour apprécier l'évolution du degré d'un handicap, à des équipes techniques travaillant dans des associations ou des établissements spécialisés.

Aujourd'hui, personne ne conteste le bilan positif de la mise en oeuvre de l'allocation aux adultes handicapés et du complément de ressources. Nous attendons en revanche la publication des décrets relatifs à ce complément de ressources, qui permettra de sécuriser la situation des personnes hébergées soit dans les établissements sociaux, c'est-à-dire les anciens centres d'aide par le travail, soit dans les établissements médicosociaux ou de santé.

Des décrets sont également attendus sur le chapitre II « Ressources des personnes handicapées ».

S'agissant de l'article 16 portant sur le taux minimal d'incapacité permanente pour le bénéfice d'une allocation aux adultes handicapés, là encore, un décret avait été annoncé.

En ce qui concerne l'accessibilité, on peut se demander si l'éducation nationale est en mesure, actuellement, de remplir ses obligations en termes de scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés.

Un rapport de qualité a été établi sur ce sujet par M. Yvan Lachaud, député du Gard, que vous avez récemment rencontré à Nîmes, monsieur le ministre délégué. Nous nous posons tous cette question : avons-nous réellement les capacités d'intégrer le plus grand nombre possible de jeunes handicapés dans notre système éducatif ? Il ne s'agit pas pour autant de nier le fait que certains établissements ont besoin de faire appel à des équipes spécialisées. Mais gardons-nous de jeter l'anathème sur telle ou telle formule d'intégration !

L'accessibilité dans les transports est une question compliquée. Nous attendons la publication de plusieurs décrets tendant à faciliter le transport des personnes handicapées ou à mobilité réduite. Comme l'a dit Nicolas About, des échéances ont été fixées. Mais il est difficile d'improviser lorsqu'il s'agit, entre autres, de changer les habitudes, d'adapter les trottoirs et le matériel roulant. Ce n'est pas une raison pour baisser les bras !

M. Nicolas About. Ne prenons plus de retard !

M. Jacques Blanc. Ce débat peut nous permettre de relancer, notamment chez les élus locaux, la prise de conscience de la nécessité de l'accessibilité car, en la matière, chacun en conviendra, il reste de grands progrès à faire.

M. Nicolas About. Tout équipement nouveau doit être adapté !

M. Jacques Blanc. Un certain nombre de mesures réglementaires sont prévues à différents articles. Il en est ainsi de l'article 28, qui porte sur l'abaissement de la condition d'âge au regard du droit à pension pour les fonctionnaires handicapés.

Il en est de même pour l'article 29, qui concerne la composition des équipes pluridisciplinaires dans les établissements et services d'aide au travail accueillant des handicapés adultes. Je relèverai notamment une mesure très importante, prévue à l'article L.344 du code de l'action sociale et des familles : le contrat de soutien et d'aide par le travail. Cette initiative ouvre une perspective intéressante et la parution du décret mérite d'être accélérée.

Je citerai encore l'article 40, qui porte sur les conditions de dérogation concernant l'amplitude des journées de travail des salariés travaillant dans les établissements hébergeant des personnes handicapées.

Voilà pour le titre IV.

Sur le titre V relatif à la citoyenneté et à la participation à la vie sociale, des décrets importants sont prévus, en vue de l'amélioration des modalités d'accès des personnes handicapées aux bureaux de vote, question évoquée par Nicolas About.

Des décrets sont également attendus en vue de l'application de l'article 80, relatif aux modalités de la formation qui peut être dispensée aux aides familiaux, aux bénévoles associatifs et aux accompagnateurs non professionnels intervenant auprès des personnes handicapées. Nous avons évoqué tout à l'heure le sujet tout à fait intéressant de la validation des acquis de l'expérience. Pour ma part, je pense qu'il faut également assurer une promotion supplémentaire aux personnes qui se consacrent avec tant de générosité aux personnes handicapées.

Enfin, je ferai deux observations sur l'article 64 du titre V, qui concerne les maisons départementales des personnes handicapées. Ces groupements d'intérêt public organisent des actions de coordination pour aider les personnes handicapées à formuler leur projet de vie. Mais selon quelles modalités et à l'aide de quel financement ? C'est une éternelle question.

Un des grands mérites de ce texte, c'est qu'il ne tend pas à rejeter l'approche collective, alors que c'était un piège prévisible.

Je me tourne maintenant vers Mme Printz. Chère collègue, vous ne pouvez pas parler de marginalisation s'agissant d'une loi qui permet, au contraire, de mieux intégrer les personnes handicapées dans la société. Dans les établissements spécialisés, on ne marginalise pas : on donne leurs chances aux personnes handicapées !

Mme Michelle Demessine. Ne versez pas dans la béatitude !

M. Jacques Blanc. Le grand mérite de cette approche, c'est son pragmatisme. À tout moment de sa vie, la personne handicapée, quel que soit son degré de handicap, doit pouvoir bénéficier du maximum de chances de s'épanouir.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Exactement !

M. Jacques Blanc. Certaines personnes handicapées ont besoin de vivre dans des établissements spécialisés, et d'autres non.

J'ai eu la grande chance de travailler au Clos du Nid, un établissement spécialisé situé en Lozère qui, créé par l'abbé Oziol, accueille depuis cinquante ans des personnes souffrant des plus lourds handicaps, et elles n'avaient, à l'époque, aucune perspective ailleurs. J'y ai beaucoup appris.

Fort de cette expérience, et avec votre soutien, monsieur le ministre délégué, j'ai lancé en Lozère, dans le cadre des pôles d'excellence rurale, un projet de complexe « sport- handicap-loisirs ». On peut donc à la fois être un défenseur des institutions et faire preuve d'ouverture d'esprit. J'avais d'ailleurs fait inscrire le principe du droit au sport et aux loisirs dans la loi de 1975.

À l'époque, avec Marceau Crespin, nous avions inauguré, à Montrodat, les premiers Jeux handisport, ancêtres des actuels Jeux paralympiques. Je souhaite pour ma part que l'on associe, au sein d'une même démarche, « handisport », « sport adapté » et « sport pour tous », et que ce merveilleux département de la Lozère qui, le premier, a accueilli les personnes souffrant des plus lourds handicaps, devienne, avec l'aide du Gouvernement, un département pionnier en matière d'activités sportives et de loisirs adaptés et accessibles aux handicapés.

Nous pourrons ainsi offrir à ces personnes handicapées les vacances en pleine nature auxquelles elles ont droit.

Mme Michelle Demessine. On ne vous pas attendu pour cela !

Mme Gisèle Printz. Nous, nous avons fait les 35 heures !

M. Jacques Blanc. Chères collègues, j'ai observé ce qui se passait ailleurs. Je sais que des initiatives existent dans d'autres départements, mais je crois que la Lozère est vraiment en pointe dans ce domaine.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Il y a une véritable vocation médicosociale de la Lozère !

M. Jacques Blanc. Exactement !

En conclusion, mes chers collègues, je crois pouvoir dire, sans m'enfermer dans une logique partisane, que la loi de 2005 est, après les textes marquants de 1975 et, à certains égards, de 1987, la troisième des grandes étapes de la politique française en faveur des personnes handicapées. Et nous devons avoir l'honnêteté de rendre hommage aux hommes qui ont donné une impulsion à cette politique.

Mme Michelle Demessine. Elle n'est pas encore mise en oeuvre !

M. Jacques Blanc. Quant à ceux qui ont participé à des gouvernements restés inactifs pendant cinq ans,...

Mme Michelle Demessine. Ce n'est pas vrai !

M. Jacques Blanc.... ils sont mal placés pour nous donner des leçons aujourd'hui !

Sans sombrer dans la « chiracomanie », je veux pour ma part rendre hommage au président Chirac, qui a donné cette impulsion originelle en faveur des personnes handicapées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Michelle Demessine. À part ça, ce n'était pas un discours partisan !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je souhaite faire certains rappels et formuler quelques suggestions.

La loi du 11 février 2005 avait essentiellement trois grandes ambitions : garantir aux personnes handicapées le libre choix de leur projet de vie, grâce à la compensation des conséquences de leur handicap et à un revenu d'existence favorisant une vie autonome digne ; permettre une participation effective des personnes handicapées à la vie sociale, en organisant la cité autour du principe d'accessibilité généralisée, qu'il s'agisse de l'école, de l'emploi, des transports, du cadre bâti ou encore de la culture et des loisirs ; enfin, placer la personne handicapée au centre des dispositifs qui la concernent, en substituant une logique de service à une logique administrative.

Aujourd'hui, il nous est demandé de faire le bilan de l'application de cette loi. Je commencerai d'abord par quelques chiffres, qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux cités par M. le rapporteur et M. About, sans doute parce que les nôtres tiennent compte de la situation outre-mer.

À la date du 24 novembre 2006, selon le site intranet du Sénat, il restait encore une quarantaine de mesures réglementaires à publier sur les cent cinquante-trois prévues par loi du 11 février 2005, soit 13 %.

Nous sommes aujourd'hui en bonne voie, mais le démarrage fut lent : seulement 14 % des mesures réglementaires prévues ont effectivement été publiées dans le délai de six mois normalement imparti au Gouvernement, en vertu de l'article 101 de la loi.

M. Nicolas About. C'était pour bien faire !

M. Jean-Pierre Godefroy. Certes, mais cela n'a pas été suffisant.

Un effort important a été fait au second semestre de l'année 2005, ce qui a permis d'atteindre le taux de 50 % de mesures réglementaires publiées à la date du premier anniversaire de la loi, le 11 février 2006.

Aujourd'hui, 87 % des décrets ont été publiés. Ce chiffre peut sembler correct au regard des données générales sur l'application des lois mais, en l'occurrence, au bout de deux ans, il demeure insuffisant, d'autant plus que certaines des mesures réglementaires manquantes touchent des sujets importants, comme l'accessibilité de la voirie ou des bureaux de vote, la convergence des dispositifs existants entre personnes âgées et personnes handicapées, la formation des aidants familiaux, bénévoles associatifs ou accompagnants non professionnels intervenant auprès des personnes handicapées, le régime des frais d'hébergement et d'entretien en établissement spécialisé, et je ne suis pas exhaustif.

Au-delà de leur aspect chiffré, il y a surtout l'aspect qualitatif des mesures réglementaires publiées. Ainsi, à la publication tardive d'un grand nombre de décrets clés s'ajoutent la mise en place délicate de certains dispositifs et l'insatisfaction du monde associatif

M. le président de la commission des affaires sociales, qui est à l'initiative du présent débat, a déjà largement explicité, et avec une grande objectivité, les défaillances et les difficultés de l'application de la loi du 11 février 2005.

L'optimisme naturel dont fait preuve le Gouvernement à propos de l'application de la loi n'est donc guère partagé par les associations. Certaines d'entre elles - je leur laisse la responsabilité de leurs propos - ne voient pas de concrétisation de la loi dans les faits.

M. Paul Blanc. C'est exagéré !

M. Jean-Pierre Godefroy. C'est la règle du jeu, mon cher collègue !

S'agissant par exemple des maisons départementales des personnes handicapées, force est de constater que les équipes pluridisciplinaires ont du mal à être constituées : souvent, ce sont les COTOREP ou les CDES qui sont reconstituées, quasi à l'identique, alors que l'objectif de la loi était d'ouvrir ces équipes chargées de l'évaluation et de la définition du projet de vie de la personne en situation de handicap à des profils plus divers.

La mise en place des fonds départementaux de compensation du handicap est presque en panne. Dans ce domaine, l'engagement de l'État fait défaut. Par ailleurs, quand ces fonds existent, les personnes chargées de leur attribution font une interprétation restrictive du reste à charge, ce qui est manifestement contraire à l'esprit de la loi. En effet, cela a pour conséquence de dissuader certaines personnes en situation de handicap d'acquérir les aides techniques indispensables pour leur qualité de vie.

À l'occasion de l'examen de la mission « Solidarité et intégration », le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, notre collègue Paul Blanc, a proposé une solution pour garantir ce reste à charge. Nous ne pouvons que regretter que la commission des finances ait invoqué l'article 40 de la Constitution et que le Gouvernement n'ait pas pris toutes les dispositions utiles pour que l'amendement ne soit pas ainsi frappé d'irrecevabilité.

Monsieur le ministre délégué, il faudra bien y revenir. Cette situation ne peut pas durer !

La principale crispation des personnes handicapées, de leurs familles et de leurs associations porte sur la question du revenu. Au moment de l'examen de la loi par le Sénat, les débats avaient été âpres sur ce sujet. Aussi, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement persiste à refuser de mettre en place un véritable revenu d'existence pour les personnes handicapées alors qu'il avait affirmé que tous les allocataires de l'AAH seraient traités selon leurs besoins.

Force est de constater que, pour certaines personnes handicapées dans l'incapacité de travailler, le montant de l'AAH n'atteint même pas 50 % du SMIC.

Le Gouvernement avait également annoncé - mais il est vrai que nous avons changé à plusieurs reprises d'interlocuteur - qu'une « garantie de ressources constituée par le cumul de l'AAH à taux plein et d'un complément spécifique » atteindrait 80 % du SMIC. Mais en fait, monsieur le ministre délégué, vous refusez toujours d'apporter une quelconque garantie concernant la création d'une majoration pour la vie autonome des personnes qui ne sont pas dans l'incapacité de travailler, mais qui sont sans emploi du fait de leur handicap.

Les dispositifs qui ont amélioré l'AAH sont trop limitatifs et les conditions d'attribution de la garantie de ressources à 80 % du SMIC sont très restrictives : très peu de personnes peuvent y prétendre puisqu'il faut avoir moins de 5 % de capacité de travail pour en bénéficier. (Madame Gisèle Printz approuve.)

C'est pour cette raison que, le 30 octobre dernier, les sept principales associations de personnes handicapées ont décidé de se mobiliser et ont lancé une pétition nationale intitulée « Urgence d'un véritable revenu d'existence ».

Elles demandent notamment la revalorisation substantielle de l'AAH et des pensions d'invalidité - mais le budget pour 2007 ne contient aucune disposition à ce sujet - ; l'élargissement des conditions d'accès au complément de ressources et à la majoration de vie autonome et, notamment, son ouverture aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité et aux bénéficiaires de l'AAH reconnus dans l'impossibilité de se procurer un emploi ; la suppression de la prise en compte des ressources du conjoint dans le calcul de l'AAH et de meilleures possibilités de cumul avec une activité professionnelle ; enfin, la possibilité pour les bénéficiaires de la pension d'invalidité basculant dans le régime vieillesse d'avoir de meilleurs revenus d'existence.

À ces demandes, monsieur le ministre délégué, vous ne répondez que partiellement. En recevant les représentants des associations qui manifestaient hier devant votre ministère, vous avez enfin annoncé l'extension du complément de ressources aux personnes titulaires du minimum invalidité et l'assouplissement des conditions d'accès à ce complément.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Pour pouvoir l'étendre, encore fallait-il préalablement le créer. C'est ce que nous avons fait en 2005 !

M. Jean-Pierre Godefroy. Cela ne doit pas nous empêcher de faire des suggestions que vous pourriez peut-être reprendre à votre compte, monsieur le ministre délégué. Si vous nous aviez écoutés à certains moments et accepté certains de nos amendements, vous n'en seriez peut-être pas là !

À la veille de l'élection présidentielle, je ne doute pas que ce bonus sera certainement apprécié et je suis heureux qu'il soit acquis. Mais il reste beaucoup à faire dans le domaine des ressources. Bien du temps aurait été gagné si nos propositions avaient été suivies et si nos amendements avaient été adoptés lors de l'examen de la loi.

Chacun se souvient des longs débats que nous avons eus dans cet hémicycle sur la question des conditions de ressources.

En matière éducative, les insuffisances sont tout aussi criantes : la loi ne vise que l'inscription administrative obligatoire en milieu ordinaire tandis que les établissements scolaires et universitaires restent majoritairement inaccessibles.

De plus, l'intégration scolaire des personnes les plus lourdement handicapées serait facilitée s'il n'y avait pas une pénurie d'accompagnants. Les parents d'enfants handicapés accueillis en milieu ordinaire s'accordent à dénoncer un problème similaire : le manque de formation des auxiliaires de vie scolaire qui leur sont dédiés.

Il faut réfléchir en amont à des méthodes permettant de mieux former les enseignants, qui, à leur tour, formeront mieux les enfants. C'est le moyen de relever le défi de l'accès à l'éducation pour les personnes handicapées.

D'autres mesures prévues par la loi se heurtent à des problèmes de financement : la prestation de compensation du handicap, la PCH, qui se substitue aux différentes aides à la personne précédentes, couvre un champ de bénéficiaires beaucoup plus large. Comme l'ont rappelé nos collègues de l'UC-UDF, les conseils généraux sont inquiets car cela nécessite des moyens en personnels et une technicité dont beaucoup de collectivités ne disposent pas encore.

Alors même que la condition de taux a été supprimée et que les barrières d'âge doivent disparaître d'ici à un an, alors même que les ressources prises en compte sont limitées au maximum, les montants pris en charge dans le cadre de la PCH, tels qu'ils sont prévus dans les décrets, restent dans l'ensemble loin de la prestation universelle souhaitée par les personnes handicapées.

Je reviens un instant sur la question des barrières d'âge, notamment celle qui concerne les enfants - nos collègues savent que c'est un sujet qui me tient à coeur.

Il avait fallu de longs débats pour que la PCH soit étendue aux enfants titulaires du sixième complément d'AES. Alors que la différence en termes de handicap entre les enfants relevant du cinquième complément et ceux qui relèvent du sixième est faible, la différence de traitement en termes de prestation est de fait devenue importante.

Ne perdons pas de temps et abolissons enfin cette barrière de l'âge ! D'ailleurs, où en est le travail que votre ministère devait faire sur ce sujet ? En effet, vous vous étiez engagé à l'époque à nous apporter des réponses.

D'autres volets de la loi du 11 février 2005 restent en souffrance. L'emploi et la formation en font partie.

Le taux de chômage des personnes handicapées est encore deux fois plus important que le taux chômage national - 20 % contre 9 %. C'est pour cette raison, monsieur le ministre délégué, que vous venez de présenter un plan national pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées comprenant une quinzaine de mesures qui visent à instituer un parcours professionnel pour chaque personne handicapée et à mobiliser les différents acteurs concernés.

À la demande de notre collègue Annie Jarraud-Vergnolle, je voudrais dire un mot des personnes handicapées psychiques.

Les actions d'appui spécifiques aux travailleurs handicapés qui ont été expérimentées dans les années 1990, validées et confortées après 2001, voient aujourd'hui leur existence remise en cause. En effet, le fonds social européen, qui les cofinancait aux côtés de l'État et de l'AGEFIPH, a décidé de se retirer. Ces actions, mises en place dans le cadre des programmes départementaux d'insertion des travailleurs handicapés, avaient nécessité un diagnostic territorial d'étude des besoins des travailleurs handicapés présentant un problème psychique, afin de les accompagner vers une insertion ou une réinsertion dans l'emploi. Chaque année, plus de la moitié des bénéficiaires, souvent très éloignés de l'emploi - cinq à dix ans de chômage, voire davantage - se réinsèrent ainsi dans la vie professionnelle. Il serait donc primordial que soit signée avec l'État une convention pluriannuelle, contrôlée et évaluée, permettant la poursuite de ces actions d'insertion auprès d'un public handicapé particulièrement fragile.

Car en fait, dans le domaine de l'emploi et de la formation, le budget pour 2007 de la mission « Travail et emploi » donne d'ores et déjà un signe particulièrement négatif puisqu'il prévoit une baisse de 20 % de l'enveloppe relative à la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle. Cela touchera directement les travailleurs handicapés en reconversion professionnelle, dont l'accès à la formation pourra ainsi être partiellement remis en cause.

En ce qui concerne les moyens mis à la disposition des établissements et services d'aide par le travail, les ESAT, les décrets relatifs à la fixation du montant de l'aide au poste pour les entreprises adaptées ne sont pas à la hauteur des besoins. Ce montant forfaitaire est insuffisant, ce qui pourrait conduire certaines entreprises adaptées à de très graves difficultés. De plus, la lente mise en oeuvre du dispositif réglementaire a occasionné des charges financières très lourdes pour les entreprises adaptées : les aides de l'État ont en effet été revues à la baisse par rapport à ce qui avait été décidé lors de la phase de concertation et les retards de paiement des aides au poste forfaitaires ont été très fréquents.

L'accessibilité est encore loin d'être acquise pour les personnes en situation de handicap. Les efforts faits par les pouvoirs publics et les opérateurs de transports collectifs sont très inégaux. Pour cette raison, j'avais suggéré à l'époque que les délais soient raccourcis. Cela n'avait pas été accepté, mais je persiste à penser que nous aurions été bien inspirés de le faire pour forcer la main des opérateurs.

Certes, il faudra du temps pour rendre accessible l'existant. Mais ce qui est plus inquiétant encore, monsieur le ministre délégué, c'est que trop d'équipements neufs ne sont pas encore vraiment accessibles.

L'accès à la cité, c'est l'élément indispensable pour garantir une réelle participation des personnes handicapées à la vie commune de notre société. On ne peut pas seulement compter sur les nouvelles technologies, si précieuses soient-elles, pour sortir les personnes en situation de handicap d'un certain isolement.

En parlant d'accessibilité, je voudrais dire un mot sur un point qui me tient particulièrement à coeur : le sous-titrage et l'audiodescription des programmes télévisés.

Au terme de débats difficiles, la loi a finalement prévu un délai de cinq ans pour rendre les programmes télévisés des chaînes publiques ainsi que des chaînes du câble et du satellite accessibles aux personnes sourdes, malentendantes, aveugles et malvoyantes. Un rapport sur le développement de l'audiodescription des programmes télévisés devait également être présenté au Parlement dans un délai d'un an après la publication de la loi. Il ne l'est toujours pas. En disposerons-nous, monsieur le ministre délégué ?

Les efforts de certaines chaînes sont incontestables, mais restent insuffisants. Or il me semble que l'année électorale qui s'ouvre devrait être l'occasion d'amplifier l'effort dans ce domaine, notamment en ce qui concerne le sous-titrage des émissions d'information et de débats politiques.

Les personnes en situation de handicap doivent pouvoir exercer leur citoyenneté de manière éclairée. Elles doivent aussi pouvoir se rendre dans les bureaux de vote : le décret devant préciser les conditions d'accessibilité des bureaux et techniques de vote, lui non plus, n'a pas encore été publié à ma connaissance. Il devient donc urgent de le faire, monsieur le ministre délégué.

Ainsi, alors même que l'intégration des personnes handicapées dans notre société était un chantier prioritaire, alors même que cet objectif faisait largement consensus, nous ne pouvons que constater que la loi et sa concrétisation sont encore très en deçà des ambitions affichées.

Vous pourrez remarquer, monsieur le ministre délégué, que nous n'avons pas versé dans la polémique et que nous avons essayé d'apporter notre pierre à l'édifice indispensable que constitue la loi en faveur de nos concitoyens souffrant de handicap. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Paul Blanc. Vous ne l'avez pas votée !

M. Jean-Pierre Godefroy. Vous savez pourquoi !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons eu ce soir un débat comme le Sénat sait les organiser et qui fait honneur à notre démocratie.

M. Nicolas About. C'est vrai ! Vive le Sénat !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Il démontre une fois de plus, en ces périodes de débat politique national, que les familles de pensée qui ont pour habitude de toujours vouloir rediscuter l'avenir de cette institution républicaine si ancrée dans notre histoire ont bien tort de persister de manière fort démagogique dans cette voie.

La question orale avec débat portait donc sur l'état d'application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Ce texte a vocation à devenir une de ces grandes lois de la République dont le préambule de la Constitution de 1946 a souligné l'importance dans la tradition qui a fait de notre pays ce qu'il est aujourd'hui du point de vue d'un certain nombre de valeurs. Je pense à l'enseignement, je pense à la protection sociale. Demain, je l'espère, nous penserons à la place qui doit revenir aux personnes handicapées, à leur citoyenneté, avec cette conviction que, comme le soulignait M. About à la fin de son intervention, chaque fois que nous reconnaissons davantage la place de nos concitoyens handicapés dans la société, nous ouvrons l'ensemble de nos concitoyens à l'accueil de la différence et nous les faisons grandir dans leur propre citoyenneté en même temps que nous défendons celle des personnes handicapées.

Il est vrai que la loi du 11 février 2005 n'est pas la première grande loi dans le domaine du handicap, et M. Jacques Blanc a bien fait de rappeler ce long chemin, qui a débuté en 1975 et a été ponctué par la loi de 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés.

Je suis heureux qu'il ait tenu à saluer l'initiative personnelle de Jacques Chirac, Premier ministre en 1975 et en 1987, Président de la République aujourd'hui. On chercherait en vain de grandes lois de la République pour les personnes handicapées qui auraient pu être adoptées à d'autres périodes de notre histoire, sous d'autres gouvernements. Je dis cela naturellement sans aucun esprit de polémique. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About. Évidemment...

M. Philippe Bas, ministre délégué. Du reste, aurait-on voulu organiser un tel débat entre 1997 et 2002 que cela aurait été impossible, et ce pour deux raisons : en premier lieu, parce que, entre 1997 et 2002, aucune initiative, je dis bien aucune, n'a été prise en faveur de nos concitoyens handicapés,...

Mme Michelle Demessine. C'est complètement faux !

M. Philippe Bas, ministre délégué. ...et, en second lieu, parce qu'il n'y aurait eu aucun ministre chargé des personnes handicapées pour répondre aux questions des sénateurs, puisque, à cette époque, aucun membre du Gouvernement n'avait, dans son portefeuille, la responsabilité de l'intégration des personnes handicapées.

Mme Michelle Demessine. C'est faux également !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Je tiens d'autant plus à remercier M. About d'avoir proposé aujourd'hui ce débat au Sénat. Je veux également féliciter l'ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions, qui ont montré l'intérêt que porte la Haute Assemblée à la politique du handicap.

Il est temps de constater ce qui a réellement commencé à changer dans la vie des 5 millions de Français qui sont touchés par le handicap.

Je voudrais souligner, puisque la question a souvent été posée, que, dès le mois de juin 2006, la quasi-totalité des décrets d'application de la loi avaient été pris, et, en tout cas, toutes les dispositions importantes permettant son application effective.

Je tiens à en rendre hommage non seulement aux services de l'administration qui ont fait ce travail très important, mais aussi aux associations de personnes handicapées.

En plus de vingt années de service public, j'ai vu beaucoup de lois, mais aucune n'a fait l'objet, de la part de celles et de ceux pour qui cette loi avait été élaborée, d'un tel engagement. En 2005 et de nouveau en 2006, aux mois de juillet et août, les représentants des associations de personnes handicapées ont accepté de siéger chaque semaine en nombre au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées et de ses différentes commissions pour que soit rapidement mise en oeuvre cette grande loi si longtemps attendue par les personnes handicapées.

Mme Michelle Demessine. Elles sont encore déçues !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Les décrets ont donc été publiés relativement vite, si l'on se réfère à ce qui est malheureusement l'habitude dans ce domaine, et l'exemple de la loi Handicap pourra inspirer la mise en oeuvre d'autres législations. En outre, la qualité et l'intensité des concertations qui ont eu lieu sont un modèle à suivre.

Je voudrais souligner, puisque la question a été posée par Jacques Blanc, me semble-t-il, que le décret sur les retraites anticipées des fonctionnaires handicapés a été publié ce matin même. Quant au décret sur l'accès des personnes handicapées aux bureaux de vote, il a été pris le 20 octobre dernier. Il reste aujourd'hui un décret très important, qui a déjà fait l'objet d'une discussion, au mois de mai dernier, au sein de cette belle assemblée qu'est le Conseil national consultatif des personnes handicapées ; je veux parler du décret qui concerne les conditions d'attribution de la prestation de compensation du handicap en établissement.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Et s'il n'a pas encore été publié, c'est précisément parce que j'ai voulu - j'en assume l'entière responsabilité - améliorer ce texte compte tenu des réserves qui avaient été exprimées au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées.

J'ai refusé de passer en force, alors que le Gouvernement en avait naturellement le pouvoir, et j'ai souhaité, sur certains aspects de ce décret, notamment le transport des personnes handicapées hébergées en établissement entre le lieu du domicile de leur famille et cet établissement, remettre l'ouvrage sur le métier de manière à trouver des solutions pleinement satisfaisantes pour les personnes handicapées.

J'ai le plaisir de vous annoncer ce soir que la rédaction de ce décret est maintenant achevée, que ce texte est examiné actuellement par le Conseil d'État et qu'il pourra donc être signé et publié dans les toutes prochaines semaines. Nous sommes au bout du chemin pour cet aspect de la réglementation.

Je souhaite également remercier ici les présidents de conseil général, qui ont contribué à la mise en place, sauf en Haute-Garonne, des maisons départementales des personnes handicapées dès le 1er janvier 2006, comme le préconisait la loi. Évidemment, leur installation n'a pas eu lieu partout au même rythme et selon des modalités identiques.

La décentralisation exige la reconnaissance d'une certaine latitude aux présidents de conseil général et aux conseils généraux dans les choix qu'ils font concernant la territorialisation et le regroupement en un lieu unique des services des maisons départementales.

L'installation de ces maisons a été fortement soutenue par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, à titre principal, et aussi par l'État. Ces crédits ont également été mobilisés pour leur fonctionnement, et il en sera de même à l'avenir.

Il faut y ajouter les personnels de l'État qui travaillaient dans les départements pour les personnes handicapées et qui sont mis à la disposition de ces maisons tout en restant pris en charge, pour leur rémunération, par l'État lui-même.

Quelques agents, je voudrais le souligner, ont refusé leur mise à disposition ; d'autres ont demandé leur retour à l'État, et un certain nombre d'entre eux prendront prochainement leur retraite ou demanderont une mutation dans un autre département. Ce sont les aléas de la vie, et ils sont tout à fait compréhensibles.

Aussi, pour faciliter la vie des maisons départementales des personnes handicapées, j'ai pris la décision de permettre à ces maisons de bénéficier, chaque fois qu'un fonctionnaire de l'État décidera de partir, pour une raison ou une autre, d'un remplacement sous la forme de la mise à disposition de crédits correspondant à l'emploi d'un agent contractuel du département que celui-ci devra recruter.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Philippe Bas, ministre délégué. MM. Nicolas About et Jacques Blanc ont évoqué les équipes pluridisciplinaires. Leur mise en place est absolument essentielle si nous voulons calculer le taux de l'allocation non pas à partir du handicap, comme dans l'ancien système (M. Nicolas About acquiesce), mais en fonction du projet de vie, pour construire un plan de compensation et donc fixer une prestation de compensation individualisée. Nous avons vraiment besoin d'équipes pluridisciplinaires qui ne se bornent pas à reconduire ce qui existe. C'est un véritable défi pour les maisons départementales des personnes handicapées. Je fais confiance aux départements pour le relever, car ils en ont les moyens.

Toutes les commissions des droits et de l'autonomie sont désormais installées. Elles avaient enregistré, à la fin du mois de septembre, 38 000 demandes de prestation de compensation du handicap ; 6 500 décisions ont déjà été prises - c'est un début -, et, sur le dernier trimestre de l'année, ce chiffre progresse rapidement.

MM. Mouly et Godefroy ont tous les deux fait un rapprochement entre l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, et la prestation de compensation du handicap, la PCH.

L'allocation compensatrice pour tierce personne, qui subsiste pour permettre une liberté de choix à la personne handicapée est, à l'évidence, nettement moins intéressante que la prestation de compensation du handicap, attribuée à toute personne handicapée dont le handicap justifie une présence humaine importante à ses côtés.

Je vous le rappelle, dans l'ACTP, il existait deux tarifs correspondant à deux types de besoins : pour le premier type, trois quarts d'heure d'aide humaine par jour pour un peu moins de 400 euros ; pour le second type, une heure et demie d'aide par jour pour 790 euros environ. Avec la prestation de compensation du handicap, la personne handicapée peut bénéficier d'une somme allant jusqu'à 10 000 euros, bien au-delà donc de l'allocation compensatrice pour tierce personne,...

M. Nicolas About. Bien sûr !

M. Philippe Bas, ministre délégué. ...si elle a besoin, par exemple, de vingt-quatre heures d'aide humaine. Le versement aura lieu désormais, grâce à une initiative de M. About, au début de chaque trimestre, de telle sorte que la personne handicapée n'ait pas à faire l'avance de la rémunération de l'auxiliaire de vie dont elle a besoin. Mais, comme l'a rappelé M. About, il a été décidé que l'avis des présidents de conseil général serait requis au préalable. Je leur fais confiance pour mettre en oeuvre cette disposition dans l'intérêt des personnes handicapées.

M. Nicolas About. Je l'espère !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Les maisons départementales sont faites pour servir les personnes handicapées.

Enfin, 50 % des fonds départementaux de compensation du handicap sont aujourd'hui installés, ce qui, vous avez eu raison de le noter, est insuffisant. Je tiens à ce que, d'ici à la fin du mois de janvier prochain, tous les fonds aient été mis en place. On n'a que trop attendu dans un certain nombre de départements.

Je dois dire que l'État, pour sa part, a fait son devoir, puisqu'il a versé 14 millions d'euros en 2006 pour abonder ces fonds de compensation, qui permettent d'aider les personnes handicapées à faire face au « reste à charge », mais aussi qui leur offrent la possibilité d'acquérir les aides techniques supplémentaires par rapport à celles que la prestation de compensation du handicap permet de financer. Ces crédits sont reconduits en 2007.

J'en viens maintenant à l'emploi des personnes handicapées. En 1987, il y avait 2 % de personnes handicapées dans les effectifs des administrations et des entreprises. Grâce à la loi de 1987, la proportion est passée, presque vingt ans après, à 4 %. Mais souvenons-nous que l'objectif de la loi, de 6 %, n'est toujours pas atteint.

Il faut bien se poser la question des raisons de ce demi-succès, ou de ce demi-échec.

En réalité, il est clair que, au-delà de la reconnaissance du droit à l'emploi, il faut travailler aujourd'hui à son effectivité. Des dispositions ont été prises en ce sens dans la loi du 11 février 2005. Nous avons voulu, avec Gérard Larcher, le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, aller plus loin. C'est la raison pour laquelle nous avons présenté, le 15 novembre dernier, un plan pour l'emploi des personnes handicapées, qui contient l'engagement suivant : que chaque personne handicapée en situation de chômage qui se présente à la maison départementale des personnes handicapées se voie proposer dans un délai de six mois un véritable chemin d'insertion.

Il s'agira d'une formation ou une proposition d'emploi, y compris d'emploi aidé, ce qui suppose que le service public de l'emploi et la Maison départementale des personnes handicapées travaillent la main dans la main, avec la présence de correspondants du service de l'emploi et des réseaux Cap emploi.

Ces derniers aident très activement les personnes handicapées à intégrer les entreprises ou les administrations, grâce à la création de ce nouveau fonds pour la fonction publique, pendant de l'AGEFIPH dans le secteur privé.

Nous voulons, avec Gérard Larcher, améliorer la situation des travailleurs handicapés en établissements et, surtout, permettre à ces établissements de faire face à leurs nouvelles obligations. Par exemple, la nouvelle loi ayant prévu qu'un travailleur handicapé en centre d'aide par le travail est rémunéré pendant ses absences pour cause de maladie, nous allons subventionner les contrats de prévoyance collective.

Nous invitons également les partenaires sociaux à faire en sorte que les travailleurs handicapés ne soient pas marginalisés dans l'entreprise, donc à intégrer dans leur négociation régulière la gestion des carrières des personnes handicapées, qui sont trop souvent les premières en difficulté en cas de mutation technologique ou économique de l'entreprise.

Un effort particulier est en cours pour l'ouverture de places en établissements et dans les services d'aide par le travail. Compte tenu du retard de notre pays à cet égard, malgré les efforts des gouvernements successifs, nous avons, depuis 2002, mis les bouchées doubles, et ce au sens propre du terme, puisque le nombre de places créées a doublé entre 2002 et 2007 par rapport à la période 1997-2002.

Cette mesure résulte d'un effort budgétaire important de l'État pour les centres d'aide par le travail et des fruits de la journée de solidarité pour les maisons d'accueil spécialisées et les foyers d'accueil médicalisés, en lien avec les départements.

Nous avons également décidé - et je tiens à remercier particulièrement M. Jacques Blanc - de mettre en place un nouveau plan de modernisation de ces établissements en 2007. Ainsi, après une dotation de 500 millions d'euros en 2006, 100 millions d'euros supplémentaires seront mobilisés en 2007. En outre, l'instauration du prêt à taux zéro permet aux établissements de contracter les emprunts nécessaires sans trop alourdir leurs charges d'exploitation.

Mais il est vrai que, malgré tous ces efforts en établissements, comme pour le milieu ordinaire du travail, les résultats ne sont toujours pas suffisants, puisque le taux de chômage des personnes handicapées reste aujourd'hui le double de celui des personnes valides, soit 17 % contre 8,8 %. C'est pourquoi il nous est apparu nécessaire de lancer un nouveau plan pour l'emploi des personnes handicapées.

Les difficultés des personnes handicapées tiennent aussi à leurs ressources. Si j'ai d'abord parlé de l'emploi, c'est que, pour les personnes handicapées, comme pour tous nos compatriotes, le travail constitue la première condition pour obtenir un revenu permettant d'assurer une existence matérielle satisfaisante.

Malheureusement, soit parce que leur handicap est un obstacle trop lourd à l'emploi dans les conditions actuelles de notre environnement social et urbain, soit parce que leur formation n'a pas pu être suffisamment approfondie en raison de leur handicap, de nombreux compatriotes se heurtent encore à des difficultés insurmontables pour intégrer le monde du travail. Certains se sont découragés de frapper aux portes des entreprises ou des administrations, faute d'une ouverture suffisante de celles-ci à leur égard.

Dès lors, il était indispensable de prendre des dispositions pour améliorer les ressources des personnes handicapées.

Grâce au débat que nous avons eu vendredi dernier, auquel a activement participé M. Paul Blanc, nous avons pu obtenir que les titulaires de la pension minimum d'invalidité bénéficient, au même titre que les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, d'une majoration de 179 euros, ce qui permet de porter leurs revenus de 611 euros à 80 % du SMIC.

Cette mesure de justice m'a permis de répondre à une partie des préoccupations exprimées par les associations de personnes handicapées que j'ai reçues hier. Celles-ci ont manifesté leur satisfaction, tout en exprimant leur désir que soit élargi l'accès à cette majoration pour incapacité de travail, qui a été ouverte, en 2005, aux bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, sur l'initiative du législateur et du Gouvernement.

Nous allons y travailler avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées dans les prochaines semaines, de sorte que des décisions puissent être prises dès le mois de février prochain.

Au-delà du problème de l'emploi, se pose la question de l'éducation. Sans revenir dans le détail sur l'ensemble des initiatives qui ont été prises, je rappellerai simplement qu'au cours de l'année scolaire 2005-2006 151 000 enfants handicapés étaient scolarisés, contre seulement 89 000 en 2002. Pour l'année en cours 2006-2007, je n'ai pas encore connaissance des chiffres, mais il y a tout lieu de penser qu'ils seront supérieurs à ceux de l'année dernière.

Une telle progression s'est accompagnée d'un effort considérable en matière de recrutement d'auxiliaires de vie scolaire, dont le nombre a augmenté de 61 % par rapport à l'année scolaire 2002-2003. Leur formation devant être consolidée, je compte sur le soutien des associations de personnes handicapées, premiers experts du handicap.

Conformément à la demande du Premier ministre, à la suite du rapport de M. Guy Goeffroy, Gilles de Robien et moi-même travaillons à faciliter le développement de carrière des auxiliaires de vie scolaire.

Monsieur Mouly, la formation de 4 000 auxiliaires de vie scolaire est prévue en 2007.

Par ailleurs, s'agissant de l'accès des étudiants handicapés à l'université, 5 millions d'euros de crédits seront alloués en 2007 aux universités, afin de leur permettre de financer les associations d'accompagnateurs des étudiants.

Mme Michelle Demessine. N'importe quoi !

M. Philippe Bas, ministre délégué. En ce qui concerne l'accessibilité des handicapés aux transports et au bâti, les délais peuvent paraître longs, monsieur About, mais il faut effectivement les mettre à profit pour faire avancer les travaux.

Nous nous sommes rendus dans un certain nombre de régions et nous avons mobilisé tous les préfets en leur demandant de programmer les travaux relevant de leur responsabilité. Je veillerai à ce que l'État donne l'impulsion, afin que nous soyons au rendez-vous de la loi « handicap ».

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le jugement du tribunal est inquiétant !

M. Philippe Bas, ministre délégué. J'ai entendu, en effet, le cas cité par Mme Demessine.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut faire le point !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Vous comprendrez, madame la sénatrice, que je ne puisse porter d'appréciation sur une décision de justice.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le rôle des élus de la nation !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Mais nous avons tous été frappés par ce jugement. Je souhaite qu'il soit anecdotique et isolé. C'est en effet l'inverse de ce que l'on est en droit d'attendre : à l'évidence, ce ne sont pas les personnes handicapées qui doivent s'adapter aux bâtiments, mais les bâtiments qui doivent s'adapter aux personnes handicapées.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Un juge accidenté n'aura-t-il plus accès à son tribunal ?

M. Philippe Bas, ministre délégué. En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est déterminé à poursuivre la mise en oeuvre de cette loi « handicap ». C'est avec une grande satisfaction que Pascal Clément et moi-même avons présenté la réforme des tutelles au Conseil des ministres voilà une semaine ; elle sera discutée par le Parlement dès le mois de janvier. Ce texte parachèvera notre action en faveur des personnes handicapées sous cette législature. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je remercie tous les intervenants de la qualité de ce débat, qui honore le Sénat.

En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.