Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous vous rachetez depuis de tant d'audace !

M. Pierre Fauchon. Il n'empêche que le problème demeurait. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.) Madame Borvo Cohen-Seat, si vous vouliez m'écouter !

M. Robert Bret. On ne fait que ça !

M. Pierre Fauchon. Pas assez, figurez-vous ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Je resterai à la tribune aussi longtemps qu'il le faudra pour vous fatiguer !

Mme Éliane Assassi. Restez ! Restez !

M. le président. Respectez l'orateur, son intervention est intéressante pour tout le monde !

M. Pierre Fauchon. Respectez aussi le président !

M. David Assouline. Vous avez eu peur ! Vous êtes obligé d'en rajouter !

M. Robert Bret. Il y prend plaisir, monsieur le président !

M. David Assouline. Oui, il s'est fait peur !

M. Pierre Fauchon. Dans toute cette affaire, - M. Mercier le rappellera tout à l'heure - nous nous sommes inspirés de notre droit interne, en l'occurrence du code civil. Dans notre idée, il suffisait de s'en inspirer et, sans aller plus loin, d'en faire bénéficier les candidats au regroupement familial qui ne possédaient aucun document d'état civil.

En pareil cas, la bonne solution consiste à prouver la situation familiale effective et affective - et non pas génétique - par la possession d'état.

À ceux qui ne sont pas juristes, je rappelle que, dans notre droit, la possession d'état se prouve par tous les moyens : témoignages, attestations, voisins, photographies, documents de toute espèce, etc. C'est une preuve extrêmement libre et souple.

Tout à l'heure, M. Jacques Muller, dont j'ai apprécié certains des propos car il a davantage analysé la réalité du problème, a dit que les consulats n'admettraient pas de telles preuves. Mais qu'est-ce qui vous permet d'avancer cela, mon cher collègue ? C'est trop facile d'affirmer que les consulats ne feront pas leur travail si on leur apporte de telles preuves ! Vous n'avez pas le droit de dire par avance que l'administration française ne s'acquittera pas correctement de sa tâche dans ces pays !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. On sait comment cela se passe !

M. Pierre Fauchon. Ici ou là, cela posera peut-être quelques problèmes, mais toute disposition que nous prenons peut présenter des difficultés d'application.

Dans les pays musulmans, que je connais bien pour y avoir vécu, l'organisation familiale, qui dépend des cadis, est très supérieure à celle que vous semblez imaginer. Je parle donc en connaissance de cause, puisque j'ai été pendant un an et demi fonctionnaire au Maroc,...

M. David Assouline. Moi, j'y suis né !

M. Pierre Fauchon. ...et j'ai vécu dans de tout petits villages.

M. Robert Bret. C'était tout de suite après la guerre !

M. Pierre Fauchon. Croyez-moi, l'attestation d'un cadi sur une situation de famille est un document qui est tout à fait fiable et qui fait foi !

Par conséquent, si l'attestation d'un cadi précise que tel enfant est connu, qu'il vit bien dans la maison de tel individu et qu'il y est traité comme enfant de ce dernier, c'est la possession d'état et, à défaut d'état civil, la preuve est faite.

M. Pierre Fauchon. Il arrive que la preuve par la possession d'état ne soit pas possible à établir. Je pense au cas de familles dispersées, de familles éclatées, au Darfour par exemple, dont les enfants ont pu être séparés de leurs parents. Une telle hypothèse sera peut-être très rare. Si tel est le cas, ce n'est pas la peine de faire tant d'histoires, et tant mieux si cela n'arrive jamais !

M. David Assouline. Alors, pourquoi le mettre dans la loi ?

M. Pierre Fauchon. Mais si ce cas de figure se produit, pourquoi mépriser tel membre d'une famille dispersée, telle mère de famille affirmant qu'il s'agit bien de l'enfant qu'elle a perdu... (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. David Assouline. On connaît !

M. Pierre Fauchon. Vous voulez m'écouter, oui ou non ? Écoutez-moi, s'il vous plaît ! C'est trop facile !

Que répondrez-vous à une mère de famille qui, après avoir été séparée des membres de sa famille à la suite d'événements comme au Darfour ou autres, reconnaît tel enfant sans être en mesure de prouver sa filiation, ni par un document d'état civil ni par la possession d'état, et veut recourir au seul moyen qui lui reste, à savoir les empreintes génétiques ? Lui rétorquerez-vous que le recours au test ADN est scandaleux, abominable, ou encore, comme le disait innocemment tout à l'heure l'un d'entre vous, que cela n'est possible que dans le cas d'un crime ? Une erreur parmi tant d'autres, n'est-ce pas ? Lui répondrez-vous que vous ne pouvez pas admettre un tel recours ?

Dans ce cas-là, nous pensons, nous, qu'il pourra être recouru au test ADN, sous réserve toutefois que la procédure soit bien encadrée, encadrement pour lequel, je le reconnais, les précautions vont peut-être un peu trop loin...

M. Jean-Pierre Sueur. C'est inapplicable !

M. Pierre Fauchon. Pendant la période expérimentale, seul le tribunal de grande instance de Nantes sera habilité à prendre la décision d'autoriser le recours au test ADN, mais nous serons peut-être amenés à admettre par la suite que n'importe quel tribunal français pourra traiter de tels dossiers.

M. Jean-Pierre Sueur. Changez la loi !

M. Pierre Fauchon. Nous verrons ! Laissons passer la période expérimentale.

Le dispositif qui est prévu est gradué. La situation de départ, que vous voulez ignorer, est le manque de document d'état civil. On permet alors à la personne concernée de faire la preuve de la filiation par la possession d'état. Si cette seconde possibilité ne le permet pas, ce qui arrivera très rarement, la mère, et seulement elle pour des raisons que je n'ai pas besoin de rappeler, pourra proposer de recourir au test ADN.

Que trouvez-vous à y redire ? C'est un dispositif humaniste !

Passons sur les critiques qui relèvent de la politique politicienne, à savoir qu'il s'agit d'une disposition forcément mauvaise émanant d'un gouvernement lui aussi mauvais, etc. Il faut bien entendre ce genre de chansons, auxquelles nous sommes habitués. D'habitude, nous avons droit à une par groupe. Mais, là, on en a entendu beaucoup plus. C'est même un peu répétitif. Il est vrai que, lorsqu'on n'a pas de projet, on fait du bruit ; après tout, c'est humain ! (M. Jean-Pierre Sueur proteste.) Mieux vaudrait peut-être réfléchir à un projet ; c'est quand même la première chose à faire de ce côté-ci de l'hémicycle (L'orateur désigne les travées de l'opposition), mais ce ne sont pas mes oignons. Je ne vais pas vous aider davantage dans cette démarche ! (M. Jean-Patrick Courtois s'esclaffe.)

La deuxième réflexion à laquelle j'ai été plus sensible émane d'un certain nombre de milieux respectables et de certains de mes amis. Elle consiste à dire - mais ceux qui l'affirment n'ont pas lu le texte ! - que le recours au test ADN privilégie la famille génétique au détriment de la famille au sens affectif du terme.

M. Jean-Pierre Sueur. C'est la vérité !

M. Pierre Fauchon. Or, en matière de filiation, depuis des décennies, notre droit tend à admettre que ce qui est essentiel, c'est la famille effective, disons affective ; c'est la même notion.

M. Jean-Pierre Sueur. Parfaitement ! Voilà !

M. Pierre Fauchon. Mais le texte que je viens de décrire ne tend nullement à privilégier la famille génétique ! En effet, en l'absence de document d'état civil, il offre la possibilité, par la possession d'état, de prouver que la famille effective et affective est une réalité et qu'il faut donc la prendre en considération. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons introduit la possession d'état, dont vous ne voulez pas entendre parler car cela vous gêne, naturellement !

J'ai regretté que cette possibilité ne fasse l'objet que d'une ligne dans le texte, mais c'est une ligne décisive puisqu'il est bien précisé : « peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil, ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci, qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa ».

Retenez bien que ce recours au test ADN n'a lieu qu'à défaut de document d'état civil ou de possession d'état pour prouver la filiation ! Voilà ce que nous avons voté. Par conséquent, nous privilégions bien la famille affective et loin de nous l'idée de la réduire à une relation génétique. L'empreinte génétique constitue seulement un dernier recours.

Enfin, dernier argument auquel de très bons amis, de bons juristes, sont sensibles : il y a un danger à utiliser les empreintes génétiques et tant pis pour la mère qui a perdu son enfant et qui ne pourra pas prouver la filiation. Le recours au test serait bien plus grave. C'est là une conception doctrinale, quasi philosophique, que je respecte naturellement en tant que telle car, comme toutes les positions doctrinales, elle est respectable et chacun est en droit de le penser, mais cela ne va pas dans le sens du droit positif français depuis plus de dix ans maintenant !

Après bien des hésitations, cette possibilité a été introduite dans la loi - Michel Mercier le rappellera tout à l'heure -, sous certaines conditions et pas seulement pour les affaires pénales, comme l'a dit Mme Khiari, qui a fait une erreur sur ce point.

M. Jean-Pierre Sueur. En médecine aussi !

M. Pierre Fauchon. Je vous signale que, dans notre droit, l'identification par empreintes génétiques peut être recherchée en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. Pierre Fauchon. L'hypothèse que nous examinons vise bien l'établissement d'une filiation ! Le recours au test ADN n'est donc pas nouveau ; il figure dans notre droit. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

On peut philosophiquement considérer que c'est une erreur, mais en vérité nous ne faisons que transposer ce qui figure déjà dans notre droit à l'article 16-11 du code civil !

M. le président. Je vous prie de terminer, monsieur Fauchon !

M. Pierre Fauchon. Je vais terminer, monsieur le président, rassurez-vous ! Vous allez vite en voir le bout, car je suis proche de la fin. (Rires sur les travées du groupe CRC.)

Par conséquent, à une situation de fait qui constitue un vrai problème, problème que vous ne voulez pas prendre en considération, ce qui explique tous vos fantasmes,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Des fantasmes ! Ça alors !

M. Pierre Fauchon. ...nous apportons une réponse graduée, humaniste,...

M. Brice Hortefeux, ministre. Très bien !

M. Pierre Fauchon. ...dont le dernier recours est le test ADN.

Un procès d'intention, que je récuse, ayant été fait à vos services, monsieur le ministre, il serait utile que vous donniez des instructions aux consulats en vue de la bonne application d'une telle disposition. Des messieurs si savants ne l'ayant pas comprise, imaginez le consul au fin fond de la brousse ! Il faudra bien expliquer comment appliquer une telle mesure.

Je regrette que le texte de l'alinéa n'ait pas été scindé en deux parties, comme je l'avais proposé. Sans rien changer sur le fond, cela aurait contribué à améliorer la lisibilité du dispositif.

Il vous faudra expliquer que la possession d'état, expression juridique pour qualifier la situation de fait affective et effective, doit être prise en considération.

Rassurez-vous, j'en ai terminé !

Dans cette affaire, on s'apercevra après la phase d'expérimentation, j'en ai la conviction, que le système s'est mis en place, qu'il fonctionne, et que la possession d'état, en cas d'absence de document d'état civil, répond à la question posée. Comme on l'a rappelé, assez peu de personnes sont concernées ; cela jouera uniquement dans les cas limites et seulement lorsque certaines mères désireuses d'avoir recours au test seront demanderesses. Qui oserait leur refuser une telle preuve ?

Je laisse le mot de la fin à William Shakespeare : « Beaucoup de bruit pour rien » ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est important que la commission mixte paritaire ait supprimé la restriction relative à l'accès des personnes sans papiers aux centres d'hébergement, restriction inacceptable qui avait, hélas, été inscrite dans le texte !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. C'est faux !

M. Brice Hortefeux, ministre. Il n'y avait pas de restriction !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'était pas dans le texte !

M. Jean-Pierre Sueur. Comment une telle idée avait-elle bien pu germer ? Quoi qu'il en soit, la commission mixte paritaire a été bien inspirée de supprimer cette disposition.

Il est également heureux, particulièrement en ce jour, que nous soyons restés fidèles à ce qu'avait fait Jacques Pelletier et à cet amendement qui permet à un étranger dont le conjoint est français et qui arrive régulièrement sur notre territoire de pouvoir demander un visa sur place, sans subir l'humiliation, coûteuse au demeurant, d'avoir à se rendre dans son pays d'origine pour y effectuer les formalités avant de revenir.

Telle mesure permettant la régularisation de personnes en situation irrégulière pour travailler est positive, monsieur le ministre.

Cela étant dit, il reste naturellement bien des points qui sont préoccupants.

Il en est un dont on n'a pas encore beaucoup parlé ce soir, c'est celui des restrictions s'appliquant aux personnes qui veulent tout simplement vivre en famille. Il s'agit bien d'un droit imprescriptible. En effet, qui accepterait ici de voir son droit ou celui de sa famille limité en la matière ? (M. Michel Charasse s'exclame.)

Monsieur le ministre, certaines dispositions relatives aux acquisitions linguistiques ou philosophiques et morales peuvent apparaître excessives. Il suffit, pour s'en rendre compte, de réfléchir à la réciprocité.

Imaginez que les conjoints de Français allant travailler en Corée du Nord, en Birmanie ou en Chine - il en existe ! - soient tenus, de par les lois de ces pays, de suivre un stage linguistique de deux mois afin d'apprendre la langue !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le chinois en deux mois, c'est dur !

M. Michel Charasse. Il suffit de savoir dire « Aïe » ! (Rires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Charasse, cela vous intéressera également, imaginez qu'ils doivent suivre également un stage sur les valeurs en vigueur dans ces contrées. Personne ne l'accepterait ! Voilà pourtant les conditions qui sont posées dans ce qui va devenir une loi si le Conseil constitutionnel donne son accord, ce qu'il ne fera pas, je l'espère !

Le point principal dont on a déjà beaucoup parlé porte sur le recours au test ADN. Je veux simplement rappeler que cette disposition ne figurait pas dans votre projet de loi et vous eussiez très bien vécu sans, monsieur le ministre. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que vous ayez le goût de bénir la personne qui a eu l'idée d'introduire une telle novation dans votre texte !

Finalement, - c'est d'ailleurs la seule question - pourquoi vous êtes-vous tellement acharnés à faire voter, envers et contre tout, cette disposition,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Jean-Pierre Sueur. ...qui ne figurait pas dans le texte initial et qui n'était pas vraiment nécessaire ?

J'ai d'ailleurs trouvé que la défense de ce dispositif - nous venons d'entendre les efforts d'éloquence de notre collègue Pierre Fauchon - ...

M. Josselin de Rohan. M. Fauchon est toujours éloquent !

M. Jean-Pierre Sueur. ...avait comme un goût de défaite et de restriction, puisque vous mettez en avant le fait qu'il s'agit d'une mesure expérimentale, pour quelques mois, voire quelques années. Par la suite, il n'en serait plus question !

Il nous est également rappelé que le recours au test ADN sera soumis à de nombreuses conditions : l'état civil devra être défectueux et toutes les recherches sur la possession d'état devront être infructueuses.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela arrive aussi !

M. Jean-Pierre Sueur. Dans ce cas, la République - on observe alors un renversement rhétorique extraordinaire ! - offrira aux personnes étrangères ce « cadeau ».

M. Robert Bret. Elle est généreuse !

Mme Bariza Khiari. C'est Byzance !

M. Jean-Pierre Sueur. La République est généreuse, elle vous donne, à vous madame, à vous monsieur,...

M. Jean-Pierre Sueur. ...la possibilité d'avoir recours au test ADN ; c'est vraiment votre chance ! Vous devriez donc être content, et remercier la France,...

M. Jean-Pierre Sueur. ...qui vous offre cette possibilité. Franchement, mes chers collègues, vous aviez bien souvent du mal à croire vous-mêmes à ces discours quelque peu embarrassés.

En fait, vous le savez bien et M. Fauchon vient d'ailleurs de le reconnaître en partie, le dispositif prévu est inapplicable.

Imaginons une famille, ou une personne, vivant au Burkina Faso, au Mali, ou en Éthiopie, à mille kilomètres du consulat le plus proche - c'est une situation très banale -, qui demande le regroupement familial. Si l'état civil du village est défaillant, les autorités françaises se rendront sur place, pour enquêter, avec les moyens dont elles disposent, sur la possession d'état.

M. Pierre Fauchon. C'est la personne sur place qui organise l'enquête !

M. Jean-Pierre Sueur. La personne sur place, qui ne connaît sans doute pas le droit français aussi bien que M. Fauchon,...

M. Pierre Fauchon. Oh là là !

M. Jean-Pierre Sueur. ...enquêtera sur la possession d'état !

M. Pierre Fauchon. Nous ne sommes pas au xviiie siècle !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Fauchon, beaucoup de Françaises et Français ignorent ce qu'est la possession d'état. Par conséquent, nombre de personnes étrangères ne connaissent absolument pas cette procédure !

M. Pierre Fauchon. On leur expliquera ! Les gens sont d'ailleurs beaucoup plus malins que vous ne le croyez !

M. Jean-Pierre Sueur. Ensuite, en l'absence de réponse, les autorités consulaires constateront que la seule possibilité est le recours au test ADN.

On demandera alors aux représentants légaux de l'enfant - le père et la mère conjointement, même si le test ne concerne que la mère - de déclarer qu'ils souhaitent procéder à ce test. Cette déclaration sera reçue par le consulat, qui saisira alors le tribunal de grande instance de Nantes. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) Mais, comme M. Fauchon vient de le dire, celui-ci sera très certainement débordé.

M. Pierre Fauchon. Mais non ! Il y a peu de cas !

M. Jean-Pierre Sueur. Il faudrait sans doute étendre une telle possibilité à tous les tribunaux de grande instance.

M. Pierre Fauchon. Probablement !

M. Jean-Pierre Sueur. Si vous le pensez, il est encore temps - c'est l'ultime moment - d'amender le projet de loi. Si la référence à un seul tribunal de grande instance vous semble irréaliste,...

M. Jean-Pierre Sueur. ...il serait irresponsable, mes chers collègues, d'adopter une telle disposition dans quelques minutes.

M. Pierre Fauchon. L'expérimentation, vous ne savez pas ce que c'est ?

M. Jean-Pierre Sueur. Le tribunal de grande instance de Nantes est d'ailleurs d'ores et déjà débordé, car nombreuses sont les affaires en cours. Et voilà qu'en vertu de la loi et de la rédaction proposée par M. Fauchon il va procéder à des investigations !

Premièrement, ces investigations auront-elles lieu sur place ou à Nantes ? Si elles ont lieu à Nantes, quelle sera leur validité ? Aucune !

Deuxièmement, si elles ont lieu sur place, qui paiera le déplacement au Mali, au Burkina Faso, en Éthiopie, ou dans d'autres pays ?

M. Michel Charasse. Le ministère de la justice !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous le voyez bien, ces questions n'ont aucune réponse !

Une fois ces investigations achevées, le débat contradictoire pourra débuter. Pour ce faire, un avocat, payé par l'État, représentera le ministère des affaires étrangères, plus précisément le consulat. L'enfant, le père et la mère, qui devront également être représentés, se verront attribuer un avocat. Je suppose que celui-ci sera affecté d'office par le tribunal de grande instance de Nantes.

M. Michel Charasse. L'aide juridictionnelle !

M. Jean-Pierre Sueur. Soyons précis, des règles régissent l'aide juridictionnelle : les parents devront d'abord prouver qu'ils n'ont pas les moyens de payer un avocat.

Ensuite, cet avocat, qui sera certainement compétent et consciencieux, cherchera à prendre contact avec les personnes qu'il est censé défendre. Comment s'y prendra-t-il ? Leur téléphonera-t-il ? Pourra-t-il les rencontrer, se rendre sur place ? Avec quels moyens ? Il devra vérifier que les investigations ont bien été effectuées, que l'état civil n'est pas fiable dans ce village, et que toutes les mesures relatives à la recherche de la possession d'état ont été menées à bien.

Mme Bariza Khiari. C'est une usine à gaz !

M. Jean-Pierre Sueur. Le débat contradictoire pourra alors avoir lieu.

Je m'arrête là, mes chers collègues, mais je pourrais continuer encore ! Tout le monde voit bien - vous l'aurez compris, monsieur le président - que tout cela est totalement inapplicable.

Dès lors, pourquoi faut-il absolument adopter ce texte, qui inscrira les trois lettres magiques A, D, N dans la loi, alors que cela ne se fera pas sans difficulté et qu'il sera impossible de mettre en oeuvre la procédure en question ?

M. Pierre Fauchon. Elle n'est pas dangereuse ! Elle n'est pas catastrophique !

M. Jean-Pierre Sueur. Malheureusement, seule une réponse est envisageable, monsieur le ministre.

Nous le savons bien, vous souhaitez continuer d'envoyer des gages à un électorat...

M. Jean-Pierre Sueur. ...qui percevrait tout « recul » comme un signe politique que vous refusez. Cette explication est, me semble-t-il, la plus claire.

M. Robert Bret. C'est la seule raison !

M. Jean-Pierre Sueur. Pour preuve, M. Fauchon vient de nous dire à l'instant : pourquoi s'en faire puisque - il l'a d'ailleurs fort bien démontré ! - la mesure est inapplicable.

M. Pierre Fauchon. Ne caricaturez pas, s'il vous plaît ! J'ai exprimé des nuances ! Les nuances, vous ne savez pas ce que c'est !

M. Jean-Pierre Sueur. Mon cher collègue, nous respectons beaucoup vos qualités de juriste, mais vous avez offert sur un plateau une sortie de crise qui permet de dire que vous n'avez pas cédé sur le test ADN, donc sur le symbole, et que c'est inapplicable, mais, après tout, ce n'est pas grave, puisque vous n'avez pas cédé sur le symbole.

Je terminerai sur un point,...

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Enfin !

M. Henri Revol. Quel soulagement !

M. Jean-Pierre Sueur. ...qui a été très bien évoqué par Mme Khiari. C'est la question génétique, car il n'est jamais anodin d'en revenir toujours au déterminisme génétique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est l'un des fondements de certains des discours les plus conservateurs, les plus réactionnaires et les plus pernicieux de l'histoire de notre pays.

Nous avons eu récemment un débat sur la délinquance, qu'il fallait dépister dès l'âge d'un an ou deux ans, c'est-à-dire presque dès la naissance.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Selon eux, la délinquance, c'est dans les gènes !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai, l'idée selon laquelle la criminalité serait inscrite dans les gènes a fait l'objet d'un débat. Même s'il n'est pas applicable, ce texte nous fait passer d'une définition de la famille à une autre,...

M. Pierre Fauchon. C'est faux !

M. Jean-Pierre Sueur. ...d'une définition juridique et affective à une définition qui reposera sur la génétique, ce qui est contraire à toute la tradition juridique républicaine qui est la nôtre.

M. Robert Bret. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, il est regrettable que vous puissiez renouer avec cette vieille tradition,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est faux !

M. Jean-Pierre Sueur. ...alors que nous savons bien que beaucoup, y compris au sein de la droite française, ne s'y reconnaissent pas. Aujourd'hui, il faut le dire, c'est cette conception qui gagne, malheureusement.

Est également gagnant le refus du moindre recul par rapport à un électorat qui considère que la question de l'immigration est un signe politique fort.

M. Guy Fischer. Voilà la vérité !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous le déplorons, car il aurait vraiment été possible, monsieur le ministre, de se débarrasser plus facilement de cette question des tests ADN,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il suffisait de ne pas soutenir l'amendement !

M. Jean-Pierre Sueur. ...qui devient un symbole extrêmement fâcheux pour notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le ministre, mes collègues socialistes et communistes ayant tellement bien exposé et résumé ce dont nous avons déjà longuement débattu dans cet hémicycle, je m'en tiendrai à quelques rappels.

Le ton que vous avez donné à ce débat sur l'immigration n'a pas été très positif. Il aurait pu être différent, si nous avions mis en valeur et honoré, ce mois-ci, tout ce que l'on peut découvrir à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration.

Vous êtes chargé, monsieur le ministre, de l'identité nationale. Je vous rappellerai donc rapidement ce qui a constitué l'identité nationale contemporaine de la France.

Au xixe siècle, contrairement à d'autres pays, comme le Royaume-Uni, nous ne pouvions pas accomplir notre révolution industrielle et entrer dans la modernité sans l'apport considérable des travailleurs immigrés. Cet apport a même été congénital à la France moderne : je pense à la vente des biens nationaux, au taux de fécondité des Français, et au manque de main-d'oeuvre pour accomplir la gigantesque mutation économique qui se préparait.

Nous sommes alors allés chercher les immigrés. Malgré tout, dans cette assemblée, certains appelaient à la restriction et à la vigilance, accusant les immigrés d'être des délinquants et de déstabiliser le lien social. Aujourd'hui, c'est l'unanimité s'agissant du passé : personne ne refuse d'honorer les immigrés et de reconnaître qu'ils ont constitué un apport considérable. Cependant, à l'époque, y compris dans cette enceinte, il a fallu positiver !

Je pense à leur apport pour reconstruire la France après la Première Guerre mondiale, qui a fait un million de morts et un million et demi d'invalides en âge de travailler. Sans les immigrés, la reconstruction n'était pas possible.

Je pense également à leur rôle au cours de la Première Guerre mondiale : on allait jusqu'à employer les tirailleurs sénégalais pour déminer avant l'assaut de la tranchée.

Je pense aux Trente Glorieuses : sans eux, rien n'était possible !

Il y a eu l'apport des immigrés dans la Résistance : les premiers qui ont pris les armes contre l'occupant étaient des étrangers.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les militants de la MOI !

M. David Assouline. Et parmi ceux qui ont participé au combat final pour la Libération, on comptait également des étrangers.

C'est avec eux que notre identité nationale s'est construite, dans les épreuves, les mutations, les grands moments de notre histoire.

C'est cela que vous devez dire, monsieur le ministre - puisque vous êtes en charge d'un ministère de l'identité nationale, appellation, d'ailleurs, curieuse - à tous nos concitoyens qui doutent et ont un réflexe de peur dès qu'il est question des immigrés. Il faut leur dire ce qu'est notre identité nationale, la positiver, et non pas enfourcher certains thèmes, les encourager, ce qui aboutit à la domination des bas instincts.

Or, avec ce texte, vous avez choisi d'abîmer cette identité nationale, qui fait le rayonnement de la France, et nul ne peut le contester dans cette enceinte.

Chaque peuple a une caractéristique. On dit de certains peuples qu'ils sont travailleurs, artistes, etc. Aux yeux du monde, nous sommes une terre d'asile et la patrie des droits de l'homme, le pays qui a proclamé la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre taux de productivité est le plus important de toute l'Europe !

M. David Assouline. Toucher à cela, c'est abîmer la vraie identité de la France et son rayonnement !

Or, au travers de cette loi, vous envoyez aux étrangers un seul message : « Vous n'êtes plus désirés ici ; ceux d'entre vous qui se trouvent sur le sol français, on vous accepte car on a besoin de vous pour toutes sortes de travaux, notamment de nettoyage, mais vous n'avez pas le droit de vivre en famille. »

M. David Assouline. Puis vous attaquez le droit d'asile, qui, dans la tradition française, a toujours fait l'objet d'un traitement législatif déconnecté de celui de l'immigration. Ces deux domaines ont de tout temps relevé de ministères différents et n'ont jamais été associés dans une même loi. Les réfugiés politiques ne sont pas des travailleurs immigrés ; ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes et ne relèvent pas de la même police.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est le cas !

M. David Assouline. Or, votre texte les vise également.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il y a une convention ! Nous la respectons !

M. David Assouline. Les conventions préservent ce droit, comme le droit de vivre en famille !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On l'a même amélioré dans le texte !

M. David Assouline. Vous avez érodé des droits qui étaient inscrits dans notre législation. Loin d'être excessifs, ils visaient non pas à dire, les bras grands ouverts : « Venez étrangers du monde, la France peut vous accueillir » - ils ne sont plus accueillis à bras ouverts depuis 1974 - mais à leur donner la possibilité de vivre en famille,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Avant, la question ne se posait pas : ils ne venaient pas avec les familles ! 

M. David Assouline. ...d'être respectés, de ne pas subir d'humiliations pour pouvoir venir en France, de ne pas se soumettre aux tests biologiques d'identification.

Or, en envoyant ces signes, quel objectif poursuivez-vous ? M. Fauchon a dit que l'on avait oublié le but de la loi.

Depuis 2003, l'objectif de la politique suivie est double. D'une part, il s'agit de restreindre les droits des immigrés, de faire en sorte que ceux qui séjournent sur le territoire prennent très peu de place, qu'ils aillent travailler en rasant les murs, et qu'ils ne soient surtout pas des citoyens à part entière. D'autre part, il s'agit de mener une campagne électorale permanente en envoyant un message à un certain électorat.

Nous ne jetterons jamais la pierre à une force politique qui voudrait réduire la place occupée par le Front national sur l'échiquier politique depuis vingt ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vous qui l'avez encouragé !

M. David Assouline. En effet, les valeurs qu'il a introduites dans le débat politique, celles avec lesquelles il a mobilisé les Français, ne peuvent pas être acceptées dans notre République et doivent donc être combattues.

Ce qui importe, c'est de faire reculer ce type de valeurs, et non pas le score du Front national !

Or, avec votre manipulation consistant à adapter ces valeurs...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous voulez dire absence de valeurs !

M. David Assouline. ...pour les rendre compatibles avec celles d'une formation politique républicaine, vous faites fausse route et vous instillez un poison dans la République !

L'histoire retiendra que cette petite manipulation vous a permis de gagner les élections présidentiel et législatives.

D'autres élections viendront ; on vote souvent en France !

Mme Bariza Khiari. Tous les ans !

M. David Assouline. Après les prochaines élections municipales viendront les régionales, puis les européennes et, de nouveau, la présidentielle.

Alors, à chaque fois, vous nous resservirez la sauce sur l'immigration, parce que l'équation que Nicolas Sarkozy a réussie et que vous semblez admirer, c'est de faire fusionner, pour la première fois depuis deux décennies, l'électorat de l'extrême droite et celui de la droite.

M. Rémy Pointereau. Pop, pop, pop !

M. David Assouline. Vous pensez que c'est la clé pour gagner toujours les élections.

Si telle est votre conception du service de l'État, de l'identité de la France et des valeurs de notre République, nous nous y opposons.

Nous la combattons en décortiquant chaque article dans le détail. (M. Rémy Pointereau s'exclame.) M. Fauchon a dit que nous avions parlé d'autre chose. Or nous avons évoqué précisément chaque article de ce texte. Nous nous opposons également quant au fond, parce que nous connaissons l'objectif que vous poursuivez avec cette loi.

Les tests ADN en sont l'exemple même.

Vous pourriez dire que la mondialisation va provoquer l'arrivée massive d'étrangers, que notre pays ne pourra pas les accueillir et, tautologie bien connue, que nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, et qu'il faut donc se protéger. Mais là n'est pas votre souci en matière de mondialisation. En effet, votre préoccupation est l'ouverture à tout-va ; on peut délocaliser parce qu'il n'y a pas de protection, parce que c'est le libre-échange. Il faut faire avec, dites-vous. Mais quand il s'agit des hommes, vous mettez en place toutes les protections, même celles qui nous dévalorisent aux yeux du monde.

En réalité, les tests ADN ne répondent pas à cette préoccupation. Voyez l'émotion qu'ils ont suscitée ! Tout gouvernement peut s'honorer de réfléchir à ce type de protection, à partir du moment où elle ne constitue pas le coeur de sa législation, dès lors qu'elle n'est pas exclusivement destinée à réguler les flux migratoires.