M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la consolidation de la décentralisation postérieure aux réformes initiées par notre collègue Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, a placé les budgets des collectivités locales au coeur de profondes réformes, tant en niveau qu'en structure. À la suite de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, le législateur a décliné à deux reprises les principes constitutionnels de libre administration et d'autonomie financière des collectivités locales.

Les finances locales ont ainsi subi de multiples allégements fiscaux. En 2005 et 2006, pour ne citer que les plus récents, ont été votés l'exonération de 20 % des bases de la taxe foncière sur les propriétés non bâties et le plafonnement à 3,5 % du calcul de la cotisation de taxe professionnelle des entreprises.

Or l'ensemble de ces réformes a paradoxalement conduit à renforcer le poids de l'État. La part des compensations et dégrèvements est passée de 22 % au milieu des années quatre-vingt-dix à près de 34,6 % en 2003. L'intégration de ces compensations dans la DGF a fait artificiellement chuter ce ratio à 26,9 % en 2006. Le Conseil constitutionnel a dû rappeler à de nombreuses reprises que l'autonomie financière est l'indispensable corollaire de la libre administration des collectivités locales. Mais l'Observatoire des finances locales a montré que le ratio d'autonomie financière pour 2005 avait encore reculé pour les communes.

En tant qu'élu du premier département agricole de France, je tiens, monsieur le secrétaire d'État, à me faire le porte-parole des élus des communes rurales, qui s'inquiètent de la dégradation constante de leurs ressources. Je ne m'appesantirai sur la complexité croissante des réglementations, souvent peu intelligibles pour les élus et leurs administrations. De plus, la modification en 2005 de la dotation « élu local » a majoré artificiellement la richesse de nombreuses communes et privé une majorité d'entre elles d'un mécanisme financier pourtant vital en zone rurale pour la formation des élus.

Je m'attarderai, en revanche, sur les conséquences des réformes successives.

La plupart des transferts de compétence intervenus depuis 2003 ont concerné les départements, les régions et les EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale. Les dernières lois de finances ont eu à en tirer les conséquences, en octroyant à ces catégories de collectivités des compensations plus favorables. Mais les communes rurales ont été superbement ignorées.

Si la dotation de solidarité urbaine s'appuie sur des critères objectifs de solidarité au profit des communes à faible potentiel fiscal, les règles de calcul de la fraction « bourgs-centres » de la dotation de solidarité rurale aboutissent à une inégalité de traitement entre les communes, ce qui aggrave encore les disparités d'un monde rural déjà fragilisé par ses difficultés économiques.

Une autre inégalité toujours aussi frappante est la différence de traitement entre les multiples catégories d'EPCI, sans que le degré d'intégration de l'établissement public justifie à lui seul les écarts de niveaux de dotation. En 2006, le montant de la DGF par habitant des communautés de communes à taxe professionnelle unique simple a atteint 21,95 euros, contre 42,38 euros pour les communautés d'agglomération et même 83,60 euros pour les communautés urbaines. Monsieur le secrétaire d'État, vous devez mettre fin à une situation aussi inéquitable.

Parallèlement, près de 35 000 communes bénéficient du produit de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. La part de cette dernière dans les ressources fiscales des 21 000 communes de moins de 500 habitants est la plus importante et dépasse même 50 % pour 2 200 d'entre elles. Malheureusement, la réforme votée en 2006 prévoit l'indexation de la compensation versée par l'État sur l'année 2005, ce qui induit une réduction mécanique des ressources dont disposeront les communes rurales. Pour maintenir un niveau de ressources constant, celles-ci seront obligées d'augmenter les autres taxes, alors même que leur potentiel fiscal demeure très faible.

Ce résultat n'est-il pas en contradiction flagrante avec l'autonomie de décision des collectivités territoriales ? Une solution consisterait à prévoir un ratio de réévaluation annuelle de la compensation de l'État, du moins avant que la législation fiscale ne change à nouveau ...

À l'heure de la grande compétition internationale, la taxe professionnelle constitue un double handicap.

Elle est, d'une part, un handicap pour les communes qui avaient sagement fait preuve de modération fiscale, car celles-ci pâtissent du plafonnement de la valeur ajoutée à 3,5 %. L'instauration d'un plafond de participation revient à pénaliser les petites communes, lesquelles ne peuvent désormais plus moduler librement leur taux sans une perte de recettes fiscales. Certaines communes préfèrent, aujourd'hui, attirer des entreprises qui ne créent pas d'emplois, plutôt que de compenser le coût du dégrèvement.

Elle est, d'autre part, un handicap pour les entreprises, car elle demeure un frein à leur compétitivité, quand bien même ses bases ont été plafonnées.

Ce dispositif, si franco-français, désarçonne les entrepreneurs étrangers désireux de s'installer dans notre pays.

C'est en effet aujourd'hui une véritable concurrence fiscale, assez malsaine, qui s'instaure entre les collectivités locales, et les communes rurales sont, une fois de plus, moins bien armées que les autres catégories de collectivités pour y faire face.

Plutôt que de cristalliser les compensations de l'État sur des bases fixes et rapidement obsolètes, pourquoi ne pas chercher à asseoir les ressources propres des petites communes sur des bases dynamiques ? Pourquoi ne pas mettre en place un mécanisme simple de progression des dotations ?

Il n'est pas concevable que les communes les plus modestes soient de plus en plus dépendantes du seul bon vouloir de l'État. J'en veux pour preuve la récente décision d'indexer le contrat de croissance sur la seule inflation. Pourquoi, d'un côté, brider l'autonomie fiscale et, de l'autre, réduire encore les moyens de subsistance de ces petites communes ?

La proposition de loi de François Marc soulève, à ce titre, un vrai problème, celui de la péréquation des ressources. Selon un rapport du Commissariat général du Plan de 2004, les inégalités de ressources demeurent en effet très importantes.

En 2001, comme l'a rappelé notre collègue, le pouvoir d'achat par habitant de la commune la mieux dotée représente 8 500 fois celui de la commune la moins bien pourvue ; 1 % des communes les plus riches disposent de 44 fois plus de pouvoir d'achat que 1 % des plus pauvres, soit 7 403 euros contre 168 euros par habitant ; 10 % des communes les plus riches, soit 10,3 % de la population française, bénéficient de 28,7 % du pouvoir d'achat. À l'opposé, 10 % des communes les plus pauvres, soit 3,3 % de la population française, disposent de 1,3 % seulement du pouvoir d'achat.

Les dotations constituent la principale source de réduction en niveau des inégalités : 64 % pour les communes, 83 % pour les départements et 89 % pour les régions. Seul un accroissement des dotations expressément péréquatrices peut remplir un rôle de correction des inégalités. Rapportés au pouvoir d'achat moyen, les effets redistributifs des transferts produisent un effet péréquateur pour 71 % des communes, sur-péréquateur pour 21% des communes et contre-péréquateur pour 8 % des communes. Ainsi, au lieu de réduire les inégalités, les dotations les augmentent dans plus du quart des communes.

Les données relatives à la péréquation sont aujourd'hui clairement insuffisantes. Il n'est cependant ni possible ni souhaitable de réformer l'ensemble de la péréquation au travers d'une seule proposition de loi. Une telle réforme nécessite que soit conduite une réflexion très approfondie, associant l'ensemble des représentants des collectivités locales. Il revient sans doute au Sénat, « Grand Conseil des communes de France », d'amorcer cette réflexion « transpartisane ».

Pour l'heure, il est un peu tôt pour prendre position, c'est du moins l'opinion de la majorité du groupe du RDSE. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP. - M. le président et M. le rapporteur de la commission des finances applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis très heureux que le Sénat puisse débattre de cette proposition de loi qui, déposée par nos collègues du groupe socialiste, a trait aux finances locales, à la solidarité financière et à la justice fiscale. Cela nous permet d'aborder, hors débat budgétaire, ces sujets très importants, notamment celui de la péréquation, qui, bien que devenue un principe constitutionnel, donne très nettement le sentiment de demeurer davantage une pétition de principe ayant du mal à se traduire dans les faits.

Nos collègues ont raison lorsqu'ils affirment que l'État dispose d'un puissant outil de solidarité financière avec la DGF, qui représentait plus de 39 milliards d'euros en 2007. Mais force est de reconnaître que cet outil n'a pas été, jusqu'alors, suffisamment utilisé.

Permettez-moi tout d'abord un rappel historique.

La DGF a succédé, voilà fort longtemps, au versement représentatif de la taxe sur les salaires, le VRTS. Elle a subi, depuis lors, de multiples réformes mais, en réalité, les inégalités de départ subsistent aujourd'hui encore. Pour quelles raisons ?

Ces inégalités subsistent, en premier lieu, parce que la taxe sur les salaires était abondante là où se situaient les entreprises.

Elles subsistent, en second lieu, car l'Association des maires des grandes villes de France a réussi à persuader une majorité de nos collègues, au cours des débats qui ont porté sur la création de la DGF à l'Assemblée nationale, et plus encore au Sénat, de la nécessité, premièrement, de différencier la dotation de base en fonction de la population, en partant du principe que plus cette dernière est élevée, plus il y a de dépenses, deuxièmement, de créer une dotation ville-centre, dans la mesure où ces communes supportaient des charges importantes auxquelles les communes suburbaines ne souhaitaient pas participer, et troisièmement - raffinement suprême ! -, de prévoir une garantie de progression minimale, en laissant croire aux élus ruraux que, de ce fait, la DGF ne diminuerait jamais, ce qui avait en réalité pour but de figer les avantages acquis totalement indus dont bénéficiaient, et bénéficient encore, Paris et certaines villes de sa périphérie.

Les choses se sont-elles améliorées depuis vingt-cinq ans ? À peine !

La dotation de base de la DGF varie toujours en fonction de la population, entre 62,38 euros et 124,75 euros par habitant en 2007.

La dotation ville-centre n'apparaît plus en tant que telle, mais elle a été intégrée dans la masse de la DGF.

Force est de reconnaître, en revanche, que la création de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, et de la dotation de solidarité rurale, la DSR, a constitué un réel progrès tout au moins dans le principe, car ces dotations n'ont pas toujours joué dans le sens de l'équité.

Que faudrait-il faire pour redonner un nouveau souffle à la péréquation et pour améliorer la situation financière des communes, voire des départements, qui en ont le plus grand besoin ?

Il faudrait, en premier lieu, mettre fin à la variation de la dotation de base de la DGF en fonction de la population, qui n'a absolument plus de raison d'être. Les charges de centralité sont, en effet, supportées par les communautés d'agglomération ou les communautés urbaines, voire, dans nos cantons ruraux, par les communautés de communes. En attribuant, en moyenne, 90 euros par habitant de dotation de base à toutes les communes, quelle que soit leur taille, on améliorerait d'ores et déjà quelque peu les choses.

Il faudrait, en deuxième lieu, doubler les crédits affectés à la dotation de solidarité rurale. Il n'est pas normal que celle-ci ne représente que 650 millions d'euros environ, alors que la DSU dépasse 1 milliard d'euros et augmente en pourcentage, chaque année, bien plus rapidement. Il s'agit là d'une solidarité à deux vitesses, car la DSR est versée à plusieurs dizaines de milliers de communes, alors que la DSU ne bénéficie qu'à quelques dizaines !

Il faudrait, en troisième lieu, remettre un peu d'ordre dans la dotation d'intercommunalité.

Est-il normal, en effet, que les communautés de communes à quatre taxes ne perçoivent, en moyenne, que 20 euros par habitant alors que, dans le même temps, les communautés d'agglomération perçoivent 43 euros par habitant et les communautés urbaines, 84 euros par habitant, soit un rapport de 1 à 4 ? C'est à la fois excessif et injuste : au moment où 14 communautés urbaines perçoivent 533 millions d'euros de DGF, les 1 400 communautés de communes à quatre taxes ne se partagent que 241 millions d'euros. Vous avouerez qu'il y a tout de même un problème !

Je vais formuler une proposition qui ne va peut-être pas faire plaisir à tout le monde, mais, entre nous, nous pouvons nous dire les choses franchement ! (Sourires.)

Dans la mesure où les communautés d'agglomération, les communautés urbaines ou les communautés de communes exercent, en vertu de la loi, des compétences très élargies, il va de soi, de facto, que les charges de leurs communes membres ont été allégées, sans que soit remis en cause le montant de la DGF communale qu'elles perçoivent, et qui pourrait être reversé à la DSR. En effet, comme je l'ai démontré, la DSR est moins bien traitée que la DSU.

J'ai d'ailleurs eu confirmation, à travers une analyse de la situation financière des communes et des communautés de communes de mon département, que de nombreuses communes rurales ne disposent que de très faibles moyens. Certaines communes meusiennes ne perçoivent ainsi qu'un peu plus de 110 euros de DGF par habitant, soit deux fois moins que la moyenne départementale.

Je dirai enfin un mot sur la dotation « élu local ». Son faible montant ne permet assurément pas de compenser le versement des indemnités des maires et des adjoints, notamment dans les communes rurales. C'est ainsi que, dans mon département, mais ce n'est certainement pas un cas isolé, de nombreux maires renoncent à une partie de leur indemnité, car ils estiment que le maigre budget de leur commune ne peut pas supporter cette charge.

Ces mesures permettraient certainement d'améliorer la péréquation des ressources entre nos différentes communes. Elles sont très différentes des suggestions formulées par nos collègues socialistes, qui se bornent à organiser une péréquation entre communes d'une même strate démographique, c'est-à-dire une péréquation entre communes pauvres, d'un côté, et entre communes riches, de l'autre.

Il ne serait pas aberrant de voir, par exemple, baisser la DGF versée à la Ville de Paris, qui reçoit plus de 330 euros par habitant, afin que de nombreuses communes rurales puissent bénéficier d'une revalorisation de leur dotation !

De grâce, ne créons surtout pas de communauté urbaine autour de Paris, car cela coûterait plusieurs centaines de millions d'euros de plus de DGF !

J'ajoute qu'il conviendrait peut-être, également, de revoir le mode de répartition des crédits de la dotation nationale de péréquation, qui a pour objet de permettre une meilleure répartition des ressources fiscales entre collectivités. Les 629 millions d'euros de cette dotation seraient sans doute plus équitablement répartis si l'on ne tenait plus compte des strates de population, ce qui pénalise en réalité les communes rurales.

Cette transition me permet d'aborder le second volet de la proposition de loi de nos collègues socialistes, la fiscalité locale.

Mes chers collègues, vous nous proposez de remplacer, à terme, la part départementale de la taxe d'habitation par une part additionnelle à la CSG. Je note une évolution de votre réflexion sur ce sujet, car vous proposiez comme substitut, voilà quelques années, l'instauration d'une taxe départementale sur le revenu. Mais, à la vérité, ni l'une ni l'autre de ces solutions ne recueillent mon agrément.

Certes, il existe un réel problème de rénovation des bases de la fiscalité locale. Je regrette, pour ma part, que la révision générale des valeurs locatives de 1990 n'ait pas été mise en oeuvre, par manque de courage politique. C'est ainsi que nous nous retrouvons, aujourd'hui encore, avec les bases de 1970, forfaitairement actualisées pour le foncier bâti, et avec les bases calculées en 1961 pour le foncier non bâti. Cette situation, qui est source de trop d'injustices, n'est pas tenable.

Puis, au fil des années, la fiscalité locale s'est réduite comme peau de chagrin. La taxe professionnelle et le foncier non bâti ont été amputés significativement, ce qui a entraîné une remise en cause de l'autonomie financière des collectivités locales. Celles-ci ont totalement perdu ce que j'appellerai « la prime au dynamisme ».

Je partage, à cet égard, le souhait émis récemment par M. le président du Sénat de voir les collectivités territoriales dotées d'impôts locaux « modernes, justes et dynamiques ».

Une remise à plat s'impose en effet, mais je reconnais que la réforme de la fiscalité locale n'est pas aisée. Nous avons tous en mémoire les tentatives de réforme de la taxe professionnelle : notre collègue Philippe Marini avait bien raison lorsqu'il affirmait qu'il faudrait trouver la quadrature du cercle !

Quoi qu'il en soit, une plus grande péréquation des ressources entre communes et intercommunalités est indispensable et elle est possible, la DGF constituant, comme je l'ai démontré tout à l'heure, le meilleur levier pour parvenir à la mettre en pratique. Tout est question de volonté et il faut, là comme ailleurs, avoir le courage de remettre en cause des avantages quelquefois indûment acquis.

Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour nous faire très rapidement des propositions afin que la péréquation et la véritable solidarité, désormais inscrites en lettre d'or dans notre Constitution, ne demeurent pas lettre morte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.

M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lorsque mon collègue et ami François Marc m'a fait part de son souhait de déposer cette proposition de loi, j'ai trouvé l'idée très intéressante et, connaissant la qualité des membres de la commission des finances, je n'ai pas douté qu'ils y souscriraient rapidement,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'était une vue un peu rapide !

M. Gérard Miquel. ...étant entendu qu'un certain nombre d'entre eux sont aussi présidents de conseils généraux. (Sourires.)

Quand, de surcroît, j'ai su que Michel Mercier était désigné comme rapporteur, je me suis dit, connaissant sa générosité naturelle et son esprit de solidarité,...

M. Jean-Pierre Sueur. Cela commence bien !

M. Gérard Miquel. ...qu'il ne manquerait pas de soutenir cette proposition de loi, et cela pour plusieurs raisons.

Examinant avec attention le tableau comparatif du potentiel fiscal et du potentiel financier des départements de France, j'ai constaté que mon département, le Lot, se situait dans les mêmes rangs que celui de la Mayenne, monsieur le président de la commission des finances,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ceux des départements pauvres !

M. Gérard Miquel. ...c'est-à-dire dans le bas du tableau,...

M. Michel Mercier, rapporteur. Mais on y mange bien ! (Sourires.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. On survit ! (Nouveaux sourires.)

M. Gérard Miquel. ...alors que le département du Rhône se plaçait un peu différemment.

Le potentiel fiscal par habitant du département du Rhône est ainsi de 647,07 euros, celui du Lot de 322,43 euros. L'écart avec la moyenne est de plus 15,31 % pour le Rhône et de moins 27,72 % pour le Lot.

Le potentiel financier est, par habitant, de 641,29 euros pour le Rhône et de 474,58 euros pour le Lot. L'écart avec la moyenne est de plus 14,17 % pour le Rhône et de moins 15,51 % pour le Lot.

Ces quelques chiffres tendent à démontrer qu'il est nécessaire de faire une réforme et de mettre en place des mécanismes de péréquation appropriés.

Permettez-moi, mes chers collègues, de citer encore quelques données relatives aux départements.

Dans nos 102 départements, 25 milliards d'euros de dépenses sociales sont engagées, et ces dépenses ont progressé de 37 % entre 2002 et 2006.

Les départements participent pour un tiers à l'effort national d'investissement.

Ils entretiennent 6 750 collèges publics.

Sept millions de personnes sont suivies, à un titre ou à un autre, par leurs services sociaux et médicosociaux.

Ils entretiennent également 385 000 kilomètres de routes d'intérêt départemental ou national.

Mais quel état des lieux peut-on dresser de la situation financière à laquelle sont confrontés les départements ?

En trois ans et demi, leurs compétences et leurs responsabilités se sont considérablement accrues.

La conséquence de l'exercice de ces compétences supplémentaires a été immédiate : nos budgets ont fortement augmenté -  50 % en moyenne -, nos effectifs de personnels se sont sensiblement accrus avec, notamment, l'arrivée de 43 000 TOS exerçant dans les collèges et de 30 000 agents de l'équipement, soit en moyenne 700 agents supplémentaires par département.

De nouvelles dispositions ont été prises depuis le début de l'année 2007, notamment dans le cadre de la loi créant un droit opposable au logement ou de la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui modifiera prochainement l'organisation des tutelles.

Cela continue avec le projet de loi, annoncé par le Gouvernement, sur le transfert des parcs de l'équipement.

Un certain nombre de questions demeurent en suspens.

Ainsi, l'expérimentation du RSA, le revenu de solidarité active, est prévue pour trois années mais sa généralisation est envisagée dès 2008, de même que la fusion des minima sociaux.

Le Gouvernement a prévu d'inscrire un crédit de 25 millions d'euros pour financer le surcoût du  RSA, mais nous savons bien que cette somme sera largement insuffisante.

Le transfert du RMI aux départements va générer, fin 2007, une surcharge financière qui s'élèvera à 2,3 milliards d'euros, comme le montre l'étude récente effectuée par Dexia Crédit Local.

Face à ce constat, beaucoup considèrent que la réforme des finances locales aurait dû être un préalable indispensable à tout nouveau transfert de compétences.

Je citerai à cet égard le président de notre assemblée, Christian Poncelet, dont chacun connaît la pertinence du propos, en ce qui concerne la gestion des départements en particulier, et qui disait récemment que le renforcement de l'autonomie des collectivités était une « absolue nécessité ». Nous devrions, nous disait-il encore, aboutir à de meilleurs résultats « par une plus grande autonomie de gestion des compétences transférées ». « Les départements, ajoutait-il, n'ont pas vocation à devenir des sous-traitants de l'État. »

Ce contexte vient renforcer le décalage structurel qui existe en France entre l'importance du mouvement de décentralisation institutionnelle engagé depuis vingt-cinq ans et les carences de la décentralisation financière qui l'accompagne.

Plus de responsabilités pour les conseils généraux, cela veut dire aussi plus d'autonomie financière.

Par conséquent, il convient - et je cite toujours Christian Poncelet - « de doter les collectivités territoriales d'impôts locaux modernes, justes et dynamiques » et de veiller à ne pas creuser les inégalités territoriales en permettant « la mise en oeuvre de nouveaux mécanismes de péréquation ».

L'exigence de modernisation des impôts locaux est nécessaire pour une plus grande justice sociale. Les impôts locaux reposent sur des bases archaïques et sont source d'injustices, aussi bien pour les contribuables que pour les collectivités.

Les correctifs apportés pour pallier ces carences n'ont finalement conduit qu'à plafonner certains prélèvements locaux plutôt qu'à réformer la structure de ces prélèvements.

De récentes études - celle de l'ODAS, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, et celle de Dexia - soulignent la forte progression des dépenses d'action sociale des départements, avec plus 7 % en 2006, et montrent les difficultés des conseils généraux à maîtriser cette évolution.

Pour l'essentiel, il s'agit de prestations dont nous ne maîtrisons ni les montants ni les critères d'attribution.

Nous devons faire face à cette progression de nos dépenses de fonctionnement, mais nos recettes proviennent des dotations et compensations de l'État ainsi que de la fiscalité locale. Or, qu'observons-nous ?

Les compensations sont gelées à la date du transfert ; je pense, en particulier, au RMI.

Les dotations ne vont plus progresser qu'en fonction de l'inflation avec l'abandon annoncé du contrat de croissance et de solidarité.

La fiscalité locale est, je l'ai dit, obsolète et injuste.

La seule ressource dynamique, la taxe professionnelle, ne progresse pratiquement plus depuis sa récente réforme.

Quant aux droits de mutation, ils n'augmentent plus au rythme que nous avons connu ces dernières années. Il arrive même parfois, dans certains secteurs, qu'ils régressent !

Les derniers rapports publiés sur ce sujet sont unanimes : une réforme du système financier local est aujourd'hui nécessaire pour éviter sa « surchauffe ».

Jean-Pierre Fourcade a souhaité à cette tribune une expérimentation : pourquoi pas une expérimentation à l'échelon départemental ?

La décision du ministre de l'intérieur d'affecter aux départements une part des recettes provenant des amendes de police générées par les radars placés le long des routes départementales constitue un début de réponse au problème du financement des départements. Cependant, les 30 millions d'euros annoncés représentent moins de 10 % du total des recettes des radars.

Cette attribution doit évoluer au même rythme que les recettes, qui vont progresser du fait de l'installation de nombreux radars supplémentaires. Il est souhaitable de répartir cette dotation en fonction de l'importance du réseau routier départemental et non du nombre de radars, de manière à respecter le principe de la péréquation.

Comme l'a souligné l'ADF, il faut imposer à l'État de ne plus intervenir dans la fiscalité locale sous la forme de dégrèvements, confirmer le financement de la protection de l'enfance et instaurer un financement national pour les allocations individuelles de solidarité nationale - allocation personnalisée d'autonomie, prestation de compensation du handicap, RMI, RSA - tout en maintenant une mise en oeuvre de proximité au niveau départemental.

Nous devons aussi renforcer la solidarité financière entre les territoires.

Aucune réforme de la fiscalité locale ne peut aujourd'hui se concevoir sans y adjoindre un dispositif de péréquation horizontale, car les ressources fiscales, quelle qu'en soit l'assiette, sont par nature inégalement réparties sur le territoire national. Pour remédier à la disparité de ressources entre les collectivités territoriales, une volonté de renforcement des politiques de péréquation doit être affirmée.

Pour réduire les écarts, il convient de créer un fonds de solidarité départemental qui serait alimenté par un dispositif de péréquation verticale ainsi que par un dispositif de péréquation horizontale.

En conclusion, une réforme profonde du financement des collectivités territoriales s'impose et doit être engagée dès aujourd'hui.

Cette réforme devra répondre aux exigences de simplification et de lisibilité.

Elle devra s'accompagner de la mise en place d'une solidarité effective entre les collectivités locales, qui seule pourra compenser l'hétérogénéité des situations financières des départements.

Cette réforme est d'autant plus nécessaire que les départements, comme les autres collectivités, vont devoir faire face aux conséquences de la mise en place du bouclier fiscal, de la réforme de la taxe professionnelle, de la suppression du contrat de croissance et de solidarité, puisque celui-ci se compose, pour une large part, de dotations compensant une fiscalité dynamique.

Ces décisions, engagées ou annoncées, vont se traduire par une moindre progression des ressources des départements à un moment où leurs dépenses sociales continuent inexorablement de croître à un rythme supérieur à l'inflation.

Les travaux du groupe de travail « finances locales et décentralisation » ont abouti en septembre 2006. Je rappellerai deux des cinq axes de réforme des finances locales que le rapport a permis de dégager : d'une part, le renforcement des mécanismes de péréquation verticale et le développement de nouveaux outils de péréquation horizontale ; d'autre part, l'instauration d'une CSG locale au profit des départements, à laquelle le président du Sénat est très favorable.

La proposition de loi, en développant ces deux axes, a pour objet d'amorcer la réforme ; j'espère, mes chers collègues, que vous la voterez très majoritairement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Lambert.

M. Alain Lambert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si je suis tout fait partisan de l'élargissement des « niches » réservées, dans l'ordre du jour, à l'initiative parlementaire, je souhaiterais que la qualité des propositions de loi que nous adoptons soit exemplaire. Or je ne suis pas sûr que nous parvenions, ce soir, à cette qualité.

Je me suis, en effet, totalement retrouvé dans les réserves que Jean-Pierre Fourcade a exprimées au nom de notre groupe tant sur le fond que sur les principes et sur la méthode.

Je voudrais, mes chers collègues, appeler notre assemblée à répondre collectivement à une sorte d'impératif de cohérence, cohérence de méthode législative d'abord, cohérence financière et cohérence économique ensuite.

S'agissant de la méthode législative, il y a quelque paradoxe. En effet, d'un côté, nous nous plaignons en permanence du manque de concertation préalable avec les élus locaux quant à l'élaboration des normes qui les concernent et, de l'autre, nous voterions soudain une proposition de loi d'orientation - excusez du peu ! -, sur les finances locales, sans avoir consulté en amont ni le comité des finances locales ni les associations d'élus locaux, et sans tenir aucun compte des nombreux travaux en cours !

La péréquation est une question très importante, comme les intervenants l'ont démontré, et ses implications sont multiples, selon les territoires et les types de collectivités.

Modifier aujourd'hui la notion de potentiel financier en lui fixant des objectifs sans avoir effectué des simulations et sans avoir consulté les organismes compétents, ce serait faire courir aux collectivités locales des risques budgétaires et cela irait totalement à l'encontre de la culture du dialogue, qui, seul, peut permettre d'édifier la législation responsable, efficace et stable que nous demandons en permanence.

En 2003 et 2004, le comité des finances locales a effectué un important travail préparatoire en vue de modifier les règles de répartition interne des dotations. En février 2007, il a mis en place un nouveau groupe de travail pour prendre en compte les résultats du recensement, associant les parlementaires de l'opposition et de la majorité, qui est chargé d'examiner la question de la péréquation.

Dès lors, ne serait-il pas plus raisonnable de laisser travailler le comité des finances locales, dont nous connaissons l'esprit constructif et de dialogue, afin d'avoir des propositions de qualité ?

De surcroît, le Premier ministre a installé, le 4 octobre dernier, la Conférence nationale des exécutifs, afin de mieux associer les collectivités locales à l'élaboration des normes nationales - le sujet dont nous débattons concerne non seulement les recettes, mais aussi les dépenses, ainsi que M. Michel Mercier l'a excellemment souligné -, au suivi de la législation européenne et à la réforme de la fiscalité locale que nous appelons tous de nos voeux.

Cette réforme doit être examinée dans le cadre de la revue générale des prélèvements obligatoires, qui sera conduite par Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, là encore en totale concertation avec tous les élus concernés.

Pour ma part, j'anime modestement - j'y consacre toutes mes journées - un groupe de travail spécifique sur les relations entre l'État et les collectivités locales, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques qui est engagée par le Gouvernement. Nous avons auditionné des représentants des collectivités locales, de toutes catégories, et nous envisageons de déposer notre rapport le 15 novembre prochain.

Le dialogue préalable avec les élus de terrain est, à mes yeux, la clé de la réussite de toute nouvelle réforme en matière de fiscalité locale et de répartition des dotations.

À cet instant, j'en appelle à notre fierté de sénateur. Ne pensons-nous pas, souvent à juste titre d'ailleurs, que nous sommes un législateur sage et que, lorsque nous écrivons la loi, à défaut de le faire « d'une main tremblante », nous nous inspirons de la pensée de Portalis ? Lui serions-nous fidèles, dans l'esprit, si nous adoptions le présent texte ce soir ?

Certes, lorsque Michel Mercier enseigne le droit à la faculté, il ne peut dire à ses étudiants que chaque loi que nous votons est un modèle de méthode législative. Néanmoins, il faudrait que le Sénat, premier représentant des collectivités territoriales aux termes de la Constitution, fasse preuve de sagesse au regard de cette exigence de méthode et de cohérence en veillant à ce que les élus locaux soient associés à l'élaboration des réformes qu'il vote.

S'agissant de l'impératif de cohérence financière, je serai bref, Michel Mercier ayant largement développé ce point à la fois dans son intervention et dans son rapport.

À l'article 1er, François Marc utilise la notion de potentiel financier. Elle représente, comme Michel Mercier l'explique très bien dans son rapport, le thermomètre servant à évaluer la richesse des collectivités territoriales et, actuellement, à répartir les dotations de péréquation.

En proposant de la modifier de manière quelque peu « brutale », selon le qualificatif utilisé par certains intervenants, vous prenez le risque de l'élargir considérablement et de la rendre floue, ce qui aurait, pour certaines collectivités territoriales, des conséquences importantes et imprévisibles, puisque nous ne disposons pas de simulation.

M. Mercier nous en donne un exemple : inclure les dotations de péréquation dans le potentiel fiscal pose déjà le problème de leur répartition, qui dépend précisément du potentiel financier lui-même.

Par conséquent, la cohérence financière est un impératif indissociable des relations entre l'État et les collectivités locales, qu'il s'agisse, je le répète, des dépenses ou des recettes.

. Jean-Pierre Fourcade a souligné tout à l'heure que la péréquation avait progressé, même si elle reste insuffisante. Ainsi, le taux de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement est passé de 6,66 % en 1994 à 15,05 % en 2007, tandis que la masse totale des crédits a plus que doublé, atteignant 5,9 milliards d'euros en 2007, contre 2,8 milliards d'euros en 2002.

Si la répartition actuelle des concours de l'État est jugée encore trop forfaitaire et insuffisamment péréquatrice, nous pouvons tout de même tous nous accorder sur le fait que cet élément s'inscrit dans un cadre plus large et qu'il serait dangereux de le traiter séparément.

Enfin, je veux insister sur l'impératif de cohérence économique et budgétaire.

Nos collectivités territoriales ne vivent pas en vase clos ; elles sont inscrites dans l'univers des comptes publics et se trouvent dans un contexte de compétitivité. Si la création d'une part additionnelle à la CSG au sein du partage des produits de cette contribution constitue une piste intéressante, qui a d'ailleurs déjà été évoquée à plusieurs reprises sur toutes les travées de cette assemblée, prévoir un rapport spécifique à ce titre serait, à mes yeux, excessivement dangereux et frôlerait l'improvisation.

La CSG ayant pour finalité de financer les dépenses de sécurité sociale, l'augmenter par la création d'une taxe additionnelle aurait des implications financières, dépassant largement les problématiques locales.

La réforme de la fiscalité locale doit être examinée dans le cadre d'une réforme globale de notre système des prélèvements obligatoires, tant fiscaux que sociaux, en prenant en compte les impératifs locaux, financiers et économiques.

Lorsqu'il a mis en place la Conférence nationale des exécutifs, le Premier ministre a souligné -  je parle sous votre contrôle, monsieur le secrétaire d'État - que la réforme fiscale devrait être effectuée sans accroître la pression fiscale globale sur les ménages et les entreprises, qu'elle devrait garantir l'autonomie financière des collectivités tout en conciliant justice sociale et efficacité économique, qu'elle devrait éviter des transferts abrupts d'imposition qui la rendraient inacceptable et permettre de limiter à terme la part de la fiscalité locale pesant sur l'État.

Tel est le sens de la revue générale des prélèvements obligatoires.

Pour toutes ces raisons, je m'oppose à cette proposition de loi, dans sa rédaction actuelle.

Les recommandations de la commission des finances visent - pardonnez-moi l'expression - à « limiter les dégâts ». Si nous votions ce texte, nous aurions non pas accompli une avancée législative majeure, mais simplement évité le pire.

Je me tourne vers nos collègues du groupe socialiste : il ne me paraît pas raisonnable de persévérer dans la rédaction qu'ils proposent et, je le répète, à titre personnel, je voterai résolument contre toute initiative visant à la maintenir.

Si nous étions vraiment raisonnables, nous attendrions quelques semaines, le temps de déterminer une meilleure façon de légiférer sur le sujet.

Nous éviterions ainsi l'aventure dans laquelle nous nous engageons aujourd'hui, qui augure mal - je le dis comme je le pense -, de l'ordre du jour réservé au Parlement, sachant que nous devrions précisément donner l'exemple à l'exécutif de la bonne qualité législative. Or ce n'est pas ce que nous nous apprêtons à faire ce soir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)