Sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

1. Procès-verbal

2. Décès d'un ancien sénateur

3. Dépôt d'un rapport du Gouvernement

4. Communication de rapports et d'avis de l'assemblée de la Polynésie française

5. Réforme de la prescription en matière civile. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. François Zocchetto, Michel Dreyfus-Schmidt, Hugues Portelli, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

M. le président de la commission.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement no 9 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.

Amendement no 1 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption.

Amendement no 2 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption.

Amendement no 3 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption.

Amendement no 8 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption.

Adoption de l'article modifié.

Articles 2 à 6. - Adoption

Articles additionnels après l'article 6

Amendement no 4 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Amendement no 6 rectifié du Gouvernement et sous-amendement no 13 de la commission. - Mme le garde des sceaux, MM. le rapporteur, le président de la commission, Michel Dreyfus-Schmidt, François Zocchetto. - Retrait du sous-amendement no 13 ; adoption de l'amendement no 6 rectifié insérant un article additionnel.

Article 7

Amendement no 10 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.

Adoption de l'article.

Article 8. - Adoption

Article 9

Amendement no 11 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.

Adoption de l'article.

Articles 10 à 17. - Adoption

Article 18

Amendement no 5 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Article 19. - Adoption

Vote sur l'ensemble

M. Alain Gournac, Mme Nathalie Goulet, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Adoption de la proposition de loi.

6. Recherche en milieu polaire. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé.)

MM. Christian Gaudin, auteur de la question ; Raymond Couderc, Gérard Le Cam.

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

7. Marché vitivinicole. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : MM. Gérard César, auteur de la proposition de résolution, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Roland Courteau, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Muguette Dini.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l'ensemble

MM. Jacques Blanc, Dominique Mortemousque.

Adoption de la proposition de résolution.

8. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

9. Dépôt d'un rapport

10. Dépôt d'un rapport d'information

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Décès d'un ancien sénateur

M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue André Bettencourt, sénateur honoraire, membre honoraire du Parlement, qui fut sénateur de la Seine-Maritime de 1977 à 1995.

3

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article L. 111-10-1 du code de la sécurité sociale, le rapport sur l'état des sommes restant dues au 30 juin 2007 par l'État aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires sociales ainsi qu'à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

4

Communication de rapports et d'avis de l'assemblée de la Polynésie française

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l'Assemblée de la Polynésie française, par lettre en date du 19 novembre 2007, les rapports et avis de l'assemblée de la Polynésie française sur :

- le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ;

- le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République d'Albanie, d'autre part ;

- le projet de loi autorisant l'approbation de la décision des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, concernant les privilèges et immunités accordés à l'Agence européenne de défense et son personnel, signée à Bruxelles le 10 novembre 2004 ;

- le projet de loi autorisant l'approbation de l'Accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Pologne dans le domaine de la culture et de l'éducation.

Acte est donné de cette communication.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile
Discussion générale (suite)

Réforme de la prescription en matière civile

Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi de M. Jean-Jacques Hyest portant réforme de la prescription en matière civile (nos 432, 83).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission des lois.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile
Article 1er

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il est suffisamment rare qu'une proposition de loi portant sur un pan entier du code civil puisse être examinée par notre assemblée pour que je le souligne. En tout cas, la commission des lois a pu travailler en toute confiance avec le ministère de la justice, afin que nous progressions dans la réalisation de cette grande ambition qu'est la réforme du code civil, et dont nous avions regretté que de nombreux pans - filiation, sûreté - soient traités par ordonnance.

Pourquoi ai-je présenté cette proposition de loi ?

Le Sénat a d'abord créé une mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, confiée à deux rapporteurs, MM. Hugues Portelli et Richard Yung, et dont j'ai assumé la présidence, pour parvenir à un constat partagé et à des recommandations aussi consensuelles que possible.

À cette fin, la mission d'information a réalisé plus de trente auditions, entendant aussi bien des universitaires, des magistrats, des avocats et des notaires que des représentants du monde des affaires, de la société civile et des administrations publiques.

Elle a pris en compte deux projets : l'un, très ambitieux, élaboré par le professeur Philippe Malaurie dans le cadre d'un groupe d'universitaires présidé par le professeur Pierre Catala et chargé de réfléchir à une réforme d'ensemble du droit des obligations ; l'autre, plus modeste, préparé par le ministère de la justice en suivant les recommandations de la Cour de cassation et destiné, à l'époque, à faire l'objet d'une ordonnance.

La commission des lois a adopté le rapport de la mission d'information en juin 2007. Pour faire avancer les choses, j'ai déposé une proposition de loi mettant en oeuvre les recommandations de la mission d'information et destinée à moderniser exclusivement les règles de la prescription civile.

Madame le garde des sceaux, je me permets de vous signaler que nous avons également fait des propositions extrêmement intéressantes en matière de prescription pénale. Le sujet est certes plus sensible, mais j'espère que nous pourrons nous y consacrer ultérieurement.

En matière civile, qu'avons-nous constaté ?

La prescription demeure un principe fondamental de notre droit. Elle fait de l'écoulement du temps, dans les conditions déterminées par la loi, un moyen d'acquérir un droit ou de se libérer d'une dette. On distingue ainsi - je le dis à l'attention de nos collègues qui ne sont pas coutumiers de ce langage quelque peu ésotérique - la prescription acquisitive, ou usucapion, et la prescription extinctive, dite également libératoire.

La prescription répond à un impératif de sécurité juridique. En effet, le titulaire d'un droit resté trop longtemps inactif est censé y avoir renoncé. La prescription sanctionne donc la négligence, tout autant qu'elle évite l'insécurité créée par la possibilité d'actions en justice tardives. Elle joue également un rôle probatoire, en permettant de suppléer la disparition éventuelle de preuves et en évitant à celui qui s'en prévaut d'avoir à les conserver trop longtemps.

J'ai ainsi connu le cas d'un architecte dont les ayants droit étaient mis en cause pour une faute professionnelle commise par lui trente ou quarante ans auparavant. C'est tout à fait insupportable !

Les règles qui régissent la prescription sont à la fois pléthoriques, complexes et inadaptées. La Cour de cassation a recensé plus de 250 délais de prescription différents, dont la durée varie de trente ans à un mois. Cette situation est source d'incertitude et d'incohérence ; elle alimente de surcroît les contentieux et le sentiment d'arbitraire.

L'action en nullité d'une convention, par exemple, est enserrée dans un délai de cinq ans quand la nullité est relative, de trente ans lorsqu'elle est absolue. Or la ligne de partage entre les nullités relatives et absolues n'est pas nettement définie.

De même, le délai de prescription de l'action civile en responsabilité contractuelle est de trente ans, mais celui de l'action civile en responsabilité extra-contractuelle est de dix ou de vingt ans selon les cas. Du fait de cette distinction, le passager d'un autobus blessé à la suite d'une collision avec un véhicule dispose de dix ans pour agir contre le conducteur du véhicule et de trente ans pour agir contre le transporteur afin d'être indemnisé d'un même préjudice. Reconnaissons que, dans la situation actuelle, ce n'est pas vraiment la logique qui prévaut !

Les modalités de computation des délais de prescription s'avèrent complexes en raison des incertitudes entourant parfois leur point de départ et des possibilités multiples d'interruption ou de suspension de leur cours.

Certains délais, qualifiés de délais de forclusion ou de délais « préfix » par la jurisprudence et la doctrine, sont censés différer des délais de prescription par leur finalité et leur régime, plus rigoureux. Toutefois, leur détermination demeure, comme le disait un auteur, « l'un des grands mystères du droit français ».

Si les règles relatives à la prescription acquisitive ne donnent pas lieu à de fortes critiques - il conviendrait d'ailleurs d'agir avec la plus extrême prudence si l'on voulait en raccourcir les délais, c'est un élu rural qui vous le dit -, il en va tout autrement de celles qui concernent la prescription extinctive.

En effet, le délai de droit commun de trente ans se révèle inadapté au nombre et à la rapidité, croissants, des transactions juridiques. Une durée aussi longue ne semble plus nécessaire, car les acteurs juridiques ont un accès plus aisé qu'auparavant aux informations indispensables pour exercer leurs droits. Son coût, induit par l'obligation de conserver les preuves dans des conditions très encadrées, est également dénoncé.

D'ailleurs, la plupart des grands pays européens retiennent des délais de prescription de droit commun plus courts, même s'il faut se méfier des comparaisons entre les différents systèmes juridiques. Ce délai est de trois ans en Allemagne, pays dont la législation en la matière est la plus récente, et s'établit à six ans en Grande-Bretagne ; mais les Britanniques pensent réduire encore ce délai dans les prochaines années.

Or les règles de prescription constituent un élément de la concurrence entre les systèmes juridiques nationaux. Le law shopping est une réalité, et nous devons être attentifs à ce que notre droit ne soit pas trop en décalage par rapport à celui des autres pays européens.

Ce constat étant dressé, la mission d'information a recommandé de moderniser les règles de la prescription civile et de leur rendre leur cohérence, à la fois en réduisant le nombre et la durée des délais, en simplifiant leur décompte et en autorisant, sous certaines conditions, leur aménagement contractuel.

Premier objectif, donc : la réduction du nombre et de la durée des délais de prescription.

En premier lieu, nous avons proposé que la durée de prescription de droit commun de trente ans pour les actions réelles immobilières reste inchangée, mais soit fixée à cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières. Dès lors, les actions en nullité se seraient plus soumises à un délai différent selon que la nullité encourue est absolue ou relative.

En deuxième lieu, nous avons proposé de conserver les durées de prescription plus courtes actuellement prévues par le code civil, sous réserve d'une simplification.

Je rappelle que le délai de la prescription acquisitive en matière immobilière est actuellement abrégé à dix ou à vingt ans, selon que le vrai propriétaire est domicilié dans ou hors du ressort de la cour d'appel où l'immeuble est situé, en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur !

Cette distinction est sans doute obsolète. On pourrait considérer qu'un délai de dix ans est suffisant quand il y a bonne foi et juste titre du possesseur.

En troisième lieu, nous avons suggéré de modifier plus substantiellement les durées de prescription plus longues figurant actuellement dans le code civil, certaines étant maintenues, d'autres réformées ou supprimées.

Nous avons ainsi prévu un délai unique de dix ans pour la prescription des actions en responsabilité civile tendant à la réparation de dommages corporels, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extra-contractuelle, tout en conservant un délai de prescription de vingt ans pour l'action en réparation des préjudices résultant de tortures ou d'actes de barbarie, ou de violences ou d'agressions sexuelles sur un mineur, puisqu'il s'agit d'une législation récente.

Enfin, nous avons proposé de porter de quatre à cinq ans le délai de prescription des dettes des personnes publiques, connu sous le nom de « déchéance quadriennale ». Toutefois, cette prescription obéit à un régime dérogatoire et dure en fait de quatre à cinq ans compte tenu du report de son point de départ. Aussi, sur la suggestion de notre collègue Laurent Béteille, la commission des lois a-t-elle finalement pensé qu'il y avait lieu de reporter l'examen de cette importante question, qui est complexe, et d'engager une concertation avec tous les acteurs.

Notre deuxième objectif était de simplifier les règles relatives au cours de la prescription.

Conformément aux recommandations de la mission d'information, j'ai proposé que la négociation de bonne foi entre les parties devienne une cause de suspension de la prescription extinctive, y compris en cas de recours à la médiation. Si l'on veut faciliter les solutions alternatives au procès, il faut absolument permettre que les délais de prescription soient suspendus pendant la négociation de bonne foi. Il reste cependant à en déterminer les modalités.

J'ai également proposé de transformer la citation en justice en une cause de suspension de la prescription, alors qu'elle a actuellement un effet interruptif, et de conférer un effet suspensif à la désignation d'un expert en référé.

La suppression des interversions de prescription nous est en outre apparue nécessaire. Celles-ci ont actuellement pour effet, après l'interruption d'un court délai de prescription fondé sur une présomption de paiement ou lorsqu'il s'agit d'une créance périodique, de faire courir non plus ce délai, mais le délai de prescription de droit commun, ce qui est totalement inimaginable !

Enfin, nous avons proposé de consacrer les solutions jurisprudentielles prévoyant que la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de la créance ou qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir à la suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

Lorsque l'on nous dit qu'il existe déjà une jurisprudence et qu'il n'est pas nécessaire d'inscrire de telles dispositions dans la loi, je réponds qu'il y aurait au moins un avantage à cela : la loi n'est pas aussi fluctuante que la jurisprudence, même si l'on peut parfois en douter dans certaines matières... (Sourires.)

Enfin, notre troisième objectif était d'autoriser, en l'encadrant, un aménagement contractuel de la prescription extinctive.

C'est un point qui fait débat. En effet, la prescription est-elle d'ordre public ou relève-t-elle essentiellement de la sphère privée ? Nous avons proposé de permettre aux parties à un contrat de ramener la durée de prescription à un an ou de la porter à dix ans, sauf en ce qui concerne les contrats d'adhésion, pour lesquels le déséquilibre entre les parties est manifeste.

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, telles sont les réflexions de la mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, sujet qui est sans doute moins médiatique que d'autres, mais est extrêmement important pour la vie des affaires et la sécurité juridique.

Certaines réformes importantes peuvent apparaître moins essentielles à l'opinion publique. Il n'est en effet pas très facile d'expliquer le maquis des prescriptions. Néanmoins, nous sommes conscients, et je sais que vous l'êtes aussi, madame le garde des sceaux, qu'il nous faut moderniser notre droit civil. À cet égard, je pense à une réforme d'ensemble encore plus ambitieuse du droit des obligations, avec l'avant-projet des professeurs Catala et Malaurie, qui aura très probablement le même succès médiatique que celui qui nous occupe d'aujourd'hui. (Sourires.)

En attendant, je laisse maintenant le soin à Laurent Béteille de présenter le texte de la commission des lois, en me réjouissant qu'elle ait retenu la plupart des mesures que nous avions proposées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comme vient de le dire Jean-Jacques Hyest, l'excellent président de la mission d'information de la commission des lois sur le régime des prescriptions civiles et pénales, le code civil présente des dispositions obsolètes. Nous sommes donc déjà intervenus sur bien des chapitres du texte de 1804, car, depuis l'époque napoléonienne, où la France était encore rurale et où l'on se déplaçait difficilement, les choses ont évolué.

Le législateur s'est penché à plusieurs reprises sur le régime des prescriptions. Il a ainsi ajouté de nouveaux délais, considérant que le délai de droit commun était inapplicable en de nombreuses matières. Résultat : les délais varient de un mois à trente ans ! La plupart du temps, l'homme de la rue ne sait pas quand l'obligation qu'il a souscrite sera prescrite. Il faut donc pratiquement chaque fois consulter un avocat pour connaître les délais applicables.

Il était temps d'intervenir dans ce domaine. Les travaux qui ont été réalisés nous y aident grandement. Je pense à l'avant-projet du professeur Malaurie et du professeur Catala, ainsi qu'au diagnostic et aux dix-sept propositions figurant dans le rapport de la mission de la commission des lois.

Dans un souci pédagogique, le texte retenu par la commission des lois procède à une réécriture complète tant de la proposition de loi que des dispositions du code civil relatives à la prescription.

Cette réécriture ne remet pas en cause, sur le fond, les dispositions de la proposition de loi, à deux exceptions près : la commission a jugé préférable de maintenir l'effet interruptif de la demande en justice et de ne pas modifier les règles relatives à la prescription des dettes des personnes publiques.

On pouvait être tenté - je pense que l'objectif reste envisageable - d'unifier les délais de prescription en matière administrative et en matière civile. Pour autant, il ne suffisait pas d'aligner les délais : encore fallait-il en unifier le régime et faire en sorte que le point de départ soit le même, ce qui n'est pas le cas actuellement.

En matière administrative, les prescriptions obéissent à la règle de l'annualité budgétaire : la prescription le 1er janvier de l'année suivant la naissance de la dette de la personne publique. Par conséquent, lorsque cette dette est contractée au mois de janvier, le délai de prescription est allongé de onze mois.

Le régime de ces prescriptions aurait donc dû être modifié, mais cela dépassait quelque peu la mission que nous nous étions fixée.

Mes chers collègues, le texte qui vous est présenté distingue de manière claire la prescription acquisitive et la prescription extinctive, et il s'agit bien de deux notions différentes : la prescription acquisitive permet au possesseur d'une chose d'en devenir propriétaire au bout d'un certain laps de temps tandis que la prescription extinctive met fin à une possibilité d'action dans des matières où l'on réclame le paiement ou l'exécution d'une obligation. Ce sont donc deux notions qu'il valait mieux distinguer, d'autant que les délais sont eux-mêmes différents.

Nous avons également distingué les délais préfix, c'est-à-dire ces dispositions qui font le plus souvent exception à la règle générale. Ces délais de forclusion ne seront donc pas soumis au régime de la prescription extinctive, sauf dispositions contraires.

Je le confesse, j'ai un peu hésité à propos de cette disposition. Compte tenu du nombre d'exceptions, il aurait vraiment fallu procéder à un examen au cas par cas afin de savoir si l'alignement sur le régime général était justifié ou non. Cependant, là encore, cette question débordait quelque peu le cadre que nous avions retenu.

Le texte adopté par la commission des lois réduit le nombre des prescriptions extinctives particulières. Cette démarche répond à un souci d'unification et de simplification. En matière personnelle ou mobilière, la prescription de droit commun est désormais alignée sur le délai quinquennal, qui s'applique déjà à toutes les créances périodiques, c'est-à-dire les salaires, les intérêts d'emprunt, les loyers ou les charges locatives.

De la même façon, il n'y a pas de raison de maintenir les délais de six mois qui s'appliquent à l'action des maîtres et instituteurs des sciences et arts pour les leçons qu'ils donnent au mois ou à celle des hôteliers, ni les délais d'un an pour l'action des huissiers ou celle des maîtres de pension, pour le prix de pension de leurs élèves, et des autres maîtres, pour le prix de l'apprentissage, ni les délais de deux ans pour l'action des médecins ou celle des avocats, pour le paiement de leurs frais et salaires. Tout cela constituant un maquis épouvantable, nous en venons au régime de droit commun de cinq ans dans tous ces domaines.

En revanche, pour protéger les personnes en situation de faiblesse, il ne nous a pas paru opportun de supprimer le délai de prescription de l'action des marchands pour les marchandises qu'ils vendent aux non marchands. Le commerçant restera donc enfermé dans un délai de deux ans pour agir en justice contre un consommateur et, ainsi, ne bénéficiera pas du délai de droit commun de cinq ans.

En ce qui concerne l'exécution des titres exécutoires que sont les décisions judiciaires et les sentences arbitrales, la commission propose de prévoir un délai de dix ans.

Par ailleurs, il nous a paru nécessaire de sécuriser les règles relatives au cours de la prescription. La commission propose donc de consacrer dans la loi la jurisprudence relative au point de départ de la prescription extinctive, en retenant non le fait générateur, qui est parfois inconnu du créancier, mais le jour où le créancier a connu l'existence de sa créance ou aurait dû la connaître.

Par ailleurs, nous vous proposons d'instaurer un délai butoir en matière de prescription extinctive.

Quelques rares délais butoirs existaient déjà.

Le texte adopté par la commission prévoit, d'une manière générale, que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription extinctive ne peut avoir pour effet de porter son délai au-delà de vingt ans à compter de la naissance du droit, conformément à l'impératif de sécurisation qui sous-tend cette proposition de loi. En effet, on ne peut, plus de vingt ans après, intenter une action à l'encontre d'un débiteur supposé, voire à l'encontre de ses héritiers, alors que, clairement, toutes les justifications de paiement ont été détruites ! Il faut donc inciter les créanciers à agir dans un délai raisonnable.

Toutefois, plusieurs dérogations absolument nécessaires sont prévues, notamment pour les dommages corporels. De fait, des aggravations peuvent se produire bien des années après et, dès lors, il ne faut pas prévoir un délai de recours trop bref.

Enfin, il nous a paru nécessaire de préciser les conditions dans lesquelles la prescription est suspendue en cas de négociation entre les parties ou de recours à une mesure d'instruction ou de médiation, de façon que ces délais soient clairs dans l'esprit de tous et que l'on garde la trace de la négociation pour éviter tout contentieux sur la date de la suspension de la prescription.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile issue de ses travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'action législative dans le domaine du droit et de la justice est dense depuis le début de l'actuelle législature. Elle s'enrichit aujourd'hui d'une proposition de loi sénatoriale, et je m'en réjouis.

Je m'en réjouis parce que cette initiative parlementaire donne tout son sens à la fonction du législateur. Je m'en réjouis aussi parce que vous vous saisissez d'une question importante, celle de la prescription civile.

Je tiens à en remercier tout particulièrement le président de la commission, Jean-Jacques Hyest. Son initiative doit être saluée.

Le droit de la prescription est devenu un droit particulièrement complexe. C'est un droit empreint d'instabilité où les dispositions dérogatoires se superposent. Le constat est largement partagé et Laurent Béteille l'a lui-même souligné dans son excellent rapport. C'est pourquoi il est nécessaire de revoir le droit des prescriptions.

En 2004, la Cour de cassation suggérait de faire passer la prescription de droit commun de trente ans à dix ans. En septembre 2005, le groupe de travail du professeur Pierre Catala proposait de fixer le droit commun à trois ans.

Aujourd'hui, la réforme du droit de la prescription est sur le point d'aboutir. C'est surtout grâce à votre engagement personnel, monsieur Hyest.

En février 2007, sous votre impulsion, la commission des lois, désirant appréhender la question de manière globale, a créé une mission d'information. Vous avez, dans cette entreprise, monsieur le président Hyest, bénéficié du précieux concours de deux rapporteurs : MM. Hugues Portelli et Richard Yung. C'est un travail de grande ampleur qui a été effectué par cette mission.

Celle-ci a souhaité avoir une approche consensuelle de la prescription. Elle a auditionné une trentaine de personnalités qualifiées avant de formuler ses recommandations.

Le travail qu'elle a ainsi réalisé est très complet et d'une qualité qui honore le Sénat tout entier. Il montre une nouvelle fois que le Sénat est une formidable source d'analyse et de proposition.

Il montre également que le Sénat est tourné vers l'avenir et qu'il est l'un des principaux acteurs de la simplification du droit.

La proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui est ambitieuse. Elle vise à une remise à plat de l'ensemble du droit commun de la prescription. Il ne s'agit pas d'une énième réforme. Il s'agit, comme l'a si bien expliqué M. Béteille, d'une réforme en profondeur du droit commun de la prescription. C'est une ambition que je partage.

Nous sommes aujourd'hui arrivés à un paradoxe.

Juridiquement, la prescription répond à un souci de sécurité. Elle garantit qu'aucune action de justice n'est plus possible après un certain temps. La prescription fixe, en quelque sorte, les limites du temps de l'action judiciaire. Il y a un temps où l'action de la justice est possible. Il y a un temps où l'action de la justice n'est plus possible. C'est un principe fondamental qui préserve les droits de chacun.

Or, actuellement, ce principe a perdu toute lisibilité. Les réformes se sont succédé et la pertinence du système a quasiment disparu. Il faut donc redonner toute sa cohérence et tout son sens au droit de la prescription.

La réforme doit avoir trois finalités principales : réduire les délais de prescription dont la durée est excessive ; unifier les délais de prescription ; enfin, clarifier et moderniser les régimes de la prescription.

Les délais de prescription sont aujourd'hui trop longs. Le délai de droit commun de la prescription est fixé à trente ans. Comment voulez-vous faire reconnaître la légitimité d'un droit trente ans après les faits ? Quelles preuves pouvez-vous apporter à l'appui de votre prétention ? Trente ans après, une action en justice n'a plus de sens. Elle n'a même aucune chance d'aboutir.

Ce délai de trente ans remonte aux origines du code civil, c'est-à-dire à 1804. Il répondait alors aux contraintes d'une société où l'accès à l'information était encore difficile. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'information judiciaire circule presque en temps réel. Les voies d'accès à la justice se sont développées. Je pense notamment à l'accès aux professions juridiques comme les notaires, les avocats ou les huissiers, qui assurent une mission de conseil. Je pense également au monde associatif : les associations d'aide aux victimes ou les associations de consommateurs font un formidable travail d'accompagnement et d'explication. Je pense enfin au développement des nouvelles technologies : il existe sur Internet de nombreux sites juridiques où les particuliers peuvent rechercher une information.

Ce délai de trente ans n'est plus non plus adapté aux réalités économiques de notre pays. Un exemple : les entreprises doivent conserver leurs archives pendant trente ans. Tout cela a un coût qui n'est pas négligeable. C'est un frein à la compétitivité.

Autrement dit, moderniser le droit de la prescription, c'est aussi faciliter la vie économique de notre pays.

La proposition de loi prévoit de fixer le délai de droit commun de la prescription à cinq  ans. C'est une préconisation que je soutiens. Ce délai constitue un bon équilibre. C'est un temps suffisant pour permettre à un créancier d'exercer une action. C'est aussi un temps qui permet d'assurer la stabilité du patrimoine sans craindre une action tardive. Ce délai de cinq ans est respectueux des droits de chacun.

Beaucoup de nos partenaires ont également fait ce choix. En Allemagne, la prescription est passée de trente ans à trois ans depuis 2001. En Grande-Bretagne, le délai est de six ans. L'Italie et la Suède ont fixé la prescription à dix ans.

La proposition de loi va donc dans le sens d'un grand mouvement européen.

Il faut également unifier les délais de prescription. Un autre élément a contribué à rendre illisible le droit de la prescription : la multiplicité des délais.

En matière de droit des obligations, la Cour de cassation a recensé plus de 250 délais de prescription. Ils s'étendent de un mois à trente ans. Il faut mettre un terme à ce foisonnement de délais.

La proposition de loi donne un champ d'application plus large au délai de droit commun. C'est une proposition ambitieuse, qui va dans le sens de la simplification et de la clarté.

Imaginons que deux personnes sont victimes d'un même dommage. La première, liée par un contrat avec l'auteur du dommage, dispose d'un délai de trente ans pour agir contre l'auteur. La seconde, qui n'est pas liée avec son auteur par contrat, ne dispose que d'un délai de dix ans pour demander réparation. Ces deux personnes ont subi le même dommage, mais elles n'ont pas pour autant les mêmes droits. C'est une atteinte profonde au principe de l'égalité.

La proposition de loi permettra d'y mettre un terme : le même délai de prescription s'appliquera à ces deux victimes.

Elle maintient cependant quelques dérogations, notamment en matière de droit de la filiation.

Une exception au principe général est plus particulièrement importante à mes yeux. Elle concerne les actes de torture et de barbarie, les violences ou les agressions sexuelles à l'encontre des mineurs. L'action en responsabilité civile peut être aujourd'hui exercée pendant vingt ans. La proposition de loi maintient cette règle. Ce régime dérogatoire est largement justifié : il exprime la volonté de mieux protéger les jeunes victimes.

Le souhait d'harmoniser le droit ne doit pas se faire au détriment des impératifs de protection de la personne humaine.

Par ailleurs, la présente proposition de loi s'attache avec succès à la clarification du régime applicable à la prescription.

Il faut rendre plus lisible le droit français de la prescription en modifiant le plan du code civil. Cela passe, notamment, par la refonte, dans le livre III, du titre actuellement intitulé « De la prescription et de la possession ».

Il s'agit également de supprimer des règles devenues trop complexes. Je pense, notamment, à la prescription en matière d'acquisition immobilière. Si le possesseur est de bonne foi, la prescription peut être de vingt ans ou de dix ans en fonction du lieu de domiciliation du véritable propriétaire. Cette règle est obsolète. La distance n'est plus un obstacle à l'information. Avec raison, la proposition de loi prévoit un délai unique de dix ans.

Enfin, la proposition de loi vise à mieux prendre en compte les modes alternatifs de résolution des conflits : elle prévoit de suspendre le cours de la prescription lorsque les parties ont recours à la médiation. La suspension laisse un temps pour la négociation. Elle évite ainsi une saisine immédiate des tribunaux. Le règlement amiable des conflits est une excellente solution, qu'il faut préserver.

Comme vous le voyez, la proposition de loi tend à une refonte complète du droit commun de la prescription. Les orientations choisies sont judicieuses. Je ne peux que rendre hommage, une nouvelle fois, au travail effectué par MM. Hyest et Béteille.

J'accueille favorablement l'ensemble des dispositions proposées, qui constituent d'importantes innovations.

On peut, néanmoins, aller plus loin sur quelques points. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé plusieurs amendements. J'en évoquerai deux.

Nous vous proposons de compléter le dispositif que vous avez retenu en faveur des victimes de dommages corporels. Il serait utile de l'étendre aux victimes par ricochet et aux dommages matériels résultant d'un même accident.

Nous souhaitons également que les règles de prescription s'appliquent pareillement aux époux et aux personnes liées par un pacte civil de solidarité. Aucune raison ne justifie une solution différente en matière de prescription.

Ce sont des amendements consensuels. Ils vont dans le sens de la simplification du droit et d'une meilleure protection de nos concitoyens. Il s'agit là de souhaits partagés, comme l'ont démontré les travaux de la mission d'information présidée par Jean-Jacques Hyest.

La proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise est à l'image du travail de la mission sénatoriale. Elle est cohérente, moderne et innovante. Elle répond aux attentes des Français, qui souhaitent que le droit soit plus accessible et plus lisible.

Cette proposition de loi recueille le soutien du Gouvernement. Elle constitue la première étape de la modernisation de notre droit des obligations, sur lequel nous reviendrons certainement dans le courant de l'année prochaine.

La Chancellerie est le ministère du droit. Nous devons nous inscrire dans un effort de modernisation du droit civil au service des citoyens et des entreprises.

Cette modernisation se poursuivra par la réforme du droit des contrats, puis par une refonte du droit de la responsabilité délictuelle. Ces travaux sont d'ores et déjà engagés. Quand ils seront achevés, ils nous permettront de disposer d'un droit civil rénové en profondeur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il est important de souligner que nous sommes ici face à une entreprise purement parlementaire.

En effet, c'est à la suite de l'excellent travail de la mission d'information créée au sein de la commission des lois que le président de la commission, Jean-Jacques Hyest, a déposé sur le bureau du Sénat cette proposition de loi.

Ce texte reprend un certain nombre des recommandations de la mission dont nos collègues Hugues Portelli et Richard Yung ont été les rapporteurs.

Madame le garde des sceaux, nous avons entendu non pas trente personnes, mais très précisément quarante-huit personnes. Vous pouvez donc mesurer à ces chiffres l'étendue du travail qui a été réalisé par cette mission d'information.

Nous nous étions interrogés, au sein de la commission des lois, pour savoir si nous devions nous intéresser dès à présent à la prescription en matière pénale, car ce sujet est une source régulière de préoccupation. J'en dirai deux mots tout à l'heure.

Je précise que le texte qui nous occupe aujourd'hui se concentre sur les règles de la prescription en matière civile. La réforme de cette prescription est en effet nécessaire à plusieurs titres.

D'une part, la durée actuelle de droit commun de trente ans est considérée comme inadaptée aux sociétés contemporaines, dans lesquelles l'accès à l'information est plus aisé et plus rapide.

D'autre part, la multiplication excessive des délais particuliers, notamment pour la prescription extinctive, a rendu cette matière terriblement complexe et, au bout du compte, totalement inintelligible pour la plupart de nos concitoyens, y compris les juristes !

D'ailleurs, le groupe de travail présidé par M. Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, recensait plus de 250 délais de prescription différents - vous l'avez dit tout à l'heure, madame le garde des sceaux -, dont les durées variaient de un mois à trente ans.

Par ailleurs, les points de départ, les régimes de suspension, les régimes d'interruption sont si différents, multiples, voire pléthoriques, qu'il est extrêmement difficile aujourd'hui de savoir quelles sont les règles applicables lorsqu'on se trouve confronté à un cas concret pour peu qu'il ne soit pas courant.

Du fait de cette complexité, nous avons créé une situation d'insécurité juridique, qui est source d'un abondant contentieux et qui engendre souvent un sentiment d'arbitraire pour ceux qui sont concernés.

Plusieurs rapports ou projets, qui ont déjà été cités, ont avancé des pistes de réflexion, comme le « projet Catala », mis au point par une commission qui réunissait des universitaires, des magistrats, des avocats, ou le projet du groupe de travail présidé par M. Weber.

Si les solutions proposées ne reçoivent pas toutes un accueil a priori favorable, le constat est néanmoins unanime : la réforme du droit de la prescription est indispensable, car la prescription est un droit fondamental, qui permet d'acquérir un droit ou de se libérer d'une dette. Or, aujourd'hui, l'état de notre code civil ne permet pas de garantir l'effectivité de ces droits.

La commission des lois, sur la proposition de son rapporteur, Laurent Béteille, s'est permis de réécrire, la proposition de loi, ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pour l'améliorer !

M. François Zocchetto. ...sous la présidence, toutefois, de l'auteur de la proposition de loi, et l'on peut observer que le rapporteur a gardé l'essentiel des réformes qui étaient proposées par Jean-Jacques Hyest.

L'objet de ce texte est principalement d'abréger les délais, de diminuer le nombre des prescriptions, de simplifier le cours de la prescription et de faciliter les aménagements contractuels de la prescription.

Je crois utile de rappeler que, par rapport à la proposition de loi initiale, le rapporteur de la commission des lois a fait une suggestion importante, à savoir de changer profondément les structures du code civil, en distinguant très clairement, dans deux titres différents, les prescriptions acquisitives et les prescriptions extinctives. Le débat est un peu technique, mais le texte, tel qu'il est présenté par le rapporteur, a quand même le mérite de simplifier les choses.

D'après certains articles que j'ai pu lire, une partie de la doctrine considérait que la réforme était inutile, lourde, contraire à l'unité des prescriptions acquisitives et extinctives. Je crois, à l'inverse, que la réforme ne peut qu'apporter une clarification utile à tous les différents régimes en vigueur. En effet, si des règles communes régissent les prescriptions acquisitives et les prescriptions extinctives, la multiplication des exceptions, en particulier pour les prescriptions extinctives, justifient les propositions qui sont formulées aujourd'hui.

Concernant la réduction des délais, il est proposé, pour les prescriptions extinctives, de passer à un délai de droit commun de cinq ans, au lieu de trente ans actuellement, ce qui n'est pas rien. En matière de prescription acquisitive, il est proposé de maintenir le délai de trente ans, pour protéger nos concitoyens, sauf en matière immobilière où la proposition semble être de retenir une durée abrégée de dix ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. S'il y a bonne foi et juste titre !

M. François Zocchetto. Certes !

Cette évolution législative est conforme aux législations des autres pays, qui ont quasiment tous prévu des délais plus courts.

L'importance de la concurrence des systèmes juridiques en Europe induit la nécessité, pour le droit français, de présenter une réelle attractivité par rapport aux autres législations européennes. Cela justifie la réduction substantielle des délais. Mme le garde des sceaux a en effet rappelé qu'en Allemagne le délai de droit commun était passé de trente ans à trois ans ; en Angleterre, il est de six ans et, en Italie, de dix ans.

S'il est difficile, voire utopique, d'aboutir à une unification parfaite, il faut toutefois se féliciter des différents projets et initiatives internationaux ou européens.

À cet égard, j'ai relevé une contribution intéressante de l'Institut national pour l'unification du droit privé, UNIDROIT, qui a établi des principes relatifs aux contrats du commerce international.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. François Zocchetto. Également en accord avec les règles pratiquées chez nos partenaires européens, la proposition de loi prévoit de rationaliser les prescriptions, en réduisant le nombre de délais dérogatoires, selon qu'ils étaient plus longs ou plus courts.

Ainsi, la commission des lois propose, à juste titre selon moi, de mettre fin au régime particulier dit « présomptives de paiement ».

En revanche, pour certains cas particuliers, seraient conservés des délais plus longs : délai de dix ans pour l'exécution des décisions de justice et pour l'exercice des actions en responsabilité pour les dommages corporels ou ceux qui auraient été causés par un ouvrage ; délai de vingt ans pour l'action en réparation des préjudices résultant d'actes de torture ou de barbarie ou de violences ou d'agressions sexuelles sur mineurs ; délai de trente ans pour les actions réelles immobilières. Je suis favorable au maintien de ces délais.

Enfin, il est proposé de conserver le délai biennal de prescription de l'action des professionnels contre les consommateurs pour les biens ou services qu'ils leur fournissent.

Je n'évoquerai pas les autres points principaux de la réforme, comme la suppression des règles d'interversion des délais, qui est assez est largement souhaitée. Il est également proposé d'instaurer un délai butoir. Il est à noter que cette proposition n'avait pas forcément reçu l'accord des auteurs des précédents rapports, par exemple celui du groupe dirigé par M. Catala.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Au contraire, M. Catala voulait une date butoir !

M. François Zocchetto. C'est exact, excusez-moi ! M. Catala avait, en effet, proposé un délai butoir, mais il avait été critiqué à l'époque par la doctrine.

La Cour de cassation, elle, s'était déclarée clairement hostile à un délai butoir ; elle s'était même permis de dire que c'était peut-être constitutionnellement douteux ! Avec toute la modestie qui nous caractérise, nous dirons qu'il est éventuellement possible de ne pas partager le point de vue de la Cour de cassation, et même de le combattre aujourd'hui. (Sourires.)

En résumé, l'ensemble de ces mesures était attendu, surtout s'agissant des délais. Peut-être ne susciteront-elles pas l'unanimité, mais elles me semblent participer d'une volonté de simplifier et de rendre notre droit nettement plus cohérent.

Il est toujours possible d'aller plus loin, notamment en généralisant encore plus le délai de droit commun à cinq ans pour l'ensemble des prescriptions extinctives, ou en s'interrogeant sur l'opportunité de maintenir des délais préfix, point qu'a d'ailleurs évoqué notre rapporteur tout à l'heure, car ceux-ci peuvent être jugés arbitraires dans certains cas. Mais, aujourd'hui, nous posons une première pierre, importante et solide, de cet édifice qu'est la réforme du droit des prescriptions.

Ce n'est qu'une première étape et, même si ce sujet n'est pas celui dont nous traitons aujourd'hui, en matière pénale, nous devons poursuivre la réflexion, car il est nécessaire d'engager également une réforme de la prescription pénale.

Là encore, la multiplication des dérogations, la diversité des régimes, des points de départ, des cas de suspension ou d'interruption, qui ont été prévus au fur et à mesure des années par le législateur rendent les prescriptions en matière pénale très peu cohérentes et sont sources d'insécurité juridique et d'un contentieux abondant.

Comme le rapport de la mission d'information le rappelle, une analyse de M. Jean Dante, consacrée à la prescription, livre à cet égard, sur la base des arrêts de la Cour de cassation publiés au bulletin entre 1958 et 2004, des indicateurs intéressants.

Le pourcentage des cassations prononcées sur la question de la prescription s'élève à 37 %. C'est énorme ! Mais ce taux de cassation tend à augmenter chaque année puisqu'il représente 46 % des pourvois qui sont fondés sur le moyen de la prescription. C'est donc bien le signe d'une complexité croissante et d'un contentieux abondant du droit de la prescription.

Lorsqu'on examine les choses de plus près, on s'aperçoit que, dans 35 % des cas, le contentieux porte sur le point de départ du délai de prescription et, dans 40 % des cas, sur les causes d'interruption.

Or il n'échappe à personne que, encore plus qu'en matière civile, la prescription est un élément constitutif de notre droit pénal et le corollaire de deux autres principes fondamentaux de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, à savoir le droit à un procès équitable et le droit pour chacun d'être jugé dans un délai raisonnable.

Je ne m'attarderai pas plus sur la question de la prescription pénale, que je souhaitais néanmoins évoquer rapidement.

Pour conclure, je salue de nouveau le travail de notre commission des lois. À l'heure où l'on parle beaucoup de la réforme des institutions et de la revalorisation des pouvoirs du Parlement, les différents travaux qui ont été menés sur la question de la prescription montrent que le Parlement, en l'occurrence le Sénat, peut jouer un rôle majeur dans le processus législatif.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Excellent exemple !

M. François Zocchetto. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, madame le garde des sceaux, le groupe UC-UDF votera sans hésitation cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, déposée par le président de la commission des lois du Sénat, M. Jean-Jacques Hyest, est le produit d'observations déjà anciennes quant à une simplification devenue nécessaire de la prescription extinctive en matière civile.

Notre collègue Richard Yung, que je remplace à cette tribune car il était aujourd'hui empêché d'assister à cette séance, vous l'aurait dit mieux que moi puisqu'il a participé à la mission d'information de la commission des lois qui a travaillé sur cette question.

Il ne s'agit donc en cet instant que d'une simplification devenue nécessaire de la prescription extinctive en matière civile, et de cela seulement. Madame le garde des sceaux, vous avez fait allusion à une prescription en matière pénale à laquelle vous tenez, mais il n'en est pas question dans le texte qui nous occupe.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J'ai parlé de l'action civile des victimes !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certains avaient cru pouvoir subodorer qu'il s'agissait de remettre en cause les règles de prescription en matière d'abus de biens sociaux. Il n'en a jamais été question !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'empêche que la presse nous a tous interviewés sur ce problème.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n'y a que cela qui intéresse les journalistes !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous laisse la responsabilité de cette observation. En tout cas, cela les intéressait beaucoup.

Mieux : le droit pénal reste aujourd'hui totalement en dehors de la proposition de loi dont nous discutons et que - je le dis d'emblée - le groupe socialiste votera, sous réserve d'un amendement que nous avons déposé et que j'évoquerai tout à l'heure.

Ce ne serait pas le cas, monsieur Zocchetto, si nous parlions de la prescription pénale.

En ce domaine, les choses ont été rendues de plus en plus compliquées. Le point de départ a été retardé, la durée allongée, et cela soulève des questions de preuves, ainsi que le groupe socialiste n'a cessé de le dire. Là aussi, les délais sont trop longs : on ne peut plus rien prouver ! Vous l'avez souligné à propos de ce projet de loi, mais c'est également vrai en matière pénale, même si, je le répète, ce n'est pas aujourd'hui le domaine qui nous occupe.

Dès 1996, aux Presses Universitaires de Toulouse, le professeur Alain Bénabent stigmatisait - c'est le titre de son ouvrage - Le chaos du droit de la prescription extinctive. En 2004, Mme la professeure Fauvarque-Cosson publiait des Variations sur le processus d'harmonisation du droit à travers l'exemple de la prescription extinctive et, la même année, Mme la professeure Lasserre-Kiesow intitulait sa réflexion au Jurisclasseur : « La prescription, les lois et la faux du temps ».

Il faut encore noter que, conformément aux voeux émis par le Président de la République Jacques Chirac - éminent spécialiste en matière de prescription, mais plus en matière pénale qu'en matière civile ! - (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) lors des célébrations du bicentenaire du code civil, le 11 mars 2004, une commission d'universitaires dirigée par le professeur Pierre Catala a élaboré un avant-projet de réforme du livre III du titre III du code civil intitulé : « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général ».

En ce qui concerne la prescription, l'avant-projet de réforme a été officiellement remis le 22 septembre 2005 au garde des sceaux, à l'époque M. Pascal Clément, et a fait l'objet, en Sorbonne, d'un important colloque de présentation, le 25 octobre 2005.

En ce qui concerne encore la prescription, c'est le professeur Malaurie qui a signé l'exposé des motifs de l'avant-projet de réforme concernant le titre XX du livre troisième du code civil.

Sur la base de tous ces éléments, la mission d'information de la commission des lois du Sénat s'est mise au travail, conduite par le président Jean-Jacques Hyest, accompagné de nos collègues Hugues Portelli et de Richard Yung. Cette mission d'information a procédé à de nombreuses auditions entre février et juin 2007. Ses travaux sont à l'origine du dépôt de la proposition de loi de M. Hyest que nous examinons aujourd'hui : vous voyez qu'elle était, si j'ose dire, dans l'air du temps.

Comme vous l'avez entendu, cette proposition de loi prévoit la réduction de la durée et du nombre des délais de la prescription extinctive, la simplification et la clarification des modalités de décompte de cette prescription, enfin l'extension encadrée de ses possibilités d'aménagement contractuel. À ce titre, le texte adopté par la commission permet aux parties à un acte juridique d'allonger, dans la limite de dix ans, ou de réduire, dans la limite d'un an, la durée de la prescription, avec possibilité d'ajouter aux causes d'interruption ou de suspension de la prescription.

C'est ce dernier point qui a suscité nos réserves : nous craignions en effet que la loi ne cesse ici de protéger le faible contre le fort, pour reprendre l'expression de Lamennais. Ce souci avait déjà incité le rapporteur, notre collègue Laurent Béteille, puis la commission, à prohiber toute possibilité d'aménagement contractuel dans le cadre des contrats d'assurance et des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel.

C'est pourquoi nous avons aussi déposé un amendement, que la commission des lois a bien voulu adopter ce matin, tendant à rendre inapplicables ces dispositions d'aménagement conventionnel aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, loyers et charges locatives afférents à des baux d'habitation, et fermages.

Un salarié peut réclamer cinq ans de salaires non payés ; de même, les loyers non payés se prescrivent par cinq ans s'ils ne sont pas réclamés. C'est actuellement le droit et cela doit le rester. En effet, il ne faudrait pas que l'employeur puisse imposer au départ à son salarié un délai de prescription inférieur à cinq ans, ni que le bailleur professionnel ait la possibilité d'imposer à ses locataires un délai supérieur à cinq ans.

Comme je l'ai dit et sous réserve de l'adoption de notre amendement, le groupe socialiste votera la proposition de loi dans la rédaction résultant du rapport de notre collègue Laurent Béteille.

Je voudrais, en conclusion, vous faire part d'un regret : l'article 2279 du code civil disparaît...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne disparaît pas !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. La proposition de loi le transforme en un article 2276 du code civil. Tous les juristes auront du mal à s'y faire ! L'article 2279, dont le texte ne change pas sous son nouveau numéro, était le plus célèbre du droit civil français...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le plus célèbre, c'est l'article 1382 !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Après, les articles 1382 et 1384, bien entendu ! Je connais bien l'arrêt Galeries Belfortaises, comme vous devez vous en douter.

J'entends encore le professeur Leballe : « En fait de meubles - corporels -, la possession - de bonne foi - vaut titre - de propriété. » Pourquoi changer le numéro de cet article ? C'est bien dommage ! Ce changement vous donne peut-être le sentiment d'avoir fait une oeuvre révolutionnaire : en ce qui me concerne, il me paraît inutile. Nous voterons néanmoins en faveur de cette proposition de loi.

M. Laurent Béteille, rapporteur. Merci !

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui est aujourd'hui soumise au Sénat a pour objet d'apporter des modifications attendues au droit de la prescription civile.

Nous devons saluer l'excellente initiative du président de notre commission des lois.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Hugues Portelli. Ce texte consacre une partie des propositions de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription établi sous l'autorité du professeur Catala, d'une part, et des recommandations de la mission d'information de notre Haute Assemblée présidée par Jean-Jacques Hyest en personne, d'autre part.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mission dont faisait partie Hugues Portelli !

M. Hugues Portelli. La réforme du droit de la prescription répond à un besoin devenu impérieux et fait l'objet d'un large consensus, à la fois prétorien et doctrinal. Ce besoin se manifeste en matière pénale, civile, fiscale et commerciale.

La présente proposition de loi vise uniquement la prescription civile, dans l'attente d'une éventuelle intervention ultérieure du législateur en matière pénale, ces deux domaines ne relevant absolument pas de la même logique. En matière civile, la finalité de la prescription est libératoire et acquisitive, ce qui induit une réduction des délais, alors qu'en matière pénale, la prescription s'apparente à une forme d'oubli, contre laquelle le législateur lutte de plus en plus en allongeant les délais.

Les règles applicables à la prescription civile font l'objet de nombreuses critiques : cette prescription est malade en raison de sa longueur excessive, elle souffre aussi de la multiplicité de ses délais, elle pâtit enfin de l'imprécision de son régime d'application.

S'agissant de la longueur de la prescription en matière civile, le délai de droit commun est actuellement établi à trente ans, en vertu du fameux article 2262 du code civil. Ce délai distingue la France des autres États membres de l'Union européenne, qui ont eu soin d'adapter leur droit de la prescription à l'évolution des échanges et à l'accélération des transactions commerciales, puisque ce délai a été ramené à trois ans en Allemagne et à six ans au Royaume-Uni. Afin de réaliser cette adaptation nécessaire, la proposition de loi prévoit de réduire le délai de droit commun à cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières, tout en préservant le délai de trente ans pour les actions réelles immobilières.

Quant à l'usucapion, c'est-à-dire la prescription acquisitive en matière immobilière, qui permet au possesseur de bonne foi d'acquérir la propriété d'un immeuble, la proposition de loi fixe un délai unique de dix ans. Cette simplification très attendue contribuera à rendre notre droit civil et commercial plus compétitif et facilitera une éventuelle harmonisation à l'échelon communautaire.

Ensuite, les délais sont beaucoup trop nombreux, rendant le droit de la prescription incompréhensible pour les justiciables et difficilement maniable pour les praticiens. En effet, notre droit actuel connaît une prolifération des dérogations aux délais de droit commun, de trois mois, six mois, un an, deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, dix ans, vingt ans et trente ans !

Si l'instauration d'un délai de prescription unique n'est pas complètement envisageable, compte tenu de la diversité des situations juridiques, la proposition de loi qui nous est soumise tend à ramener une grande partie des délais au nouveau délai de droit commun de cinq ans, en préservant toutefois les dispositions spécifiques prévoyant des délais plus courts. Là encore, cette généralisation ne peut qu'avoir un effet bénéfique en vue d'améliorer la pratique juridique. Elle contribuera aussi à réduire le nombre des contentieux, notamment devant la Cour de cassation.

Il apparaît également nécessaire de réduire la confusion régnant entre différentes notions proches de la prescription, telles que les délais préfix, de forclusion et de garantie. La proposition de loi s'y emploie, en soumettant ces délais au même régime juridique que celui de la prescription dite ordinaire.

Par ailleurs, s'agissant du régime juridique de la prescription proprement dite, le texte prône la suppression des interversions intempestives de prescription. Il fait également de la citation en justice une cause de suspension du délai de prescription, au même titre que la désignation d'un expert en référé, la médiation et la négociation de bonne foi.

La proposition de loi s'inspire également du dispositif de « délai butoir » institué dans d'autres États voisins, au terme duquel le droit d'agir du créancier est définitivement éteint.

Enfin, la proposition de loi innove en donnant plus de place à la liberté contractuelle, ce qui était souhaité. Elle prévoit notamment, dans son chapitre Ier, la possibilité pour les parties d'aménager les délais de prescription. Bien entendu, cet aménagement reste encadré, dans la mesure où les cocontractants ne peuvent dépasser le délai de dix ans ni descendre en deçà d'un an.

En outre, le délai de prescription des contrats d'adhésion, tels que les contrats d'assurance et ceux qui sont conclus entre les professionnels et les consommateurs, échappe à la volonté des parties par souci de la protection des non-professionnels.

En conclusion, cette proposition de loi apporte enfin des solutions concrètes aux difficultés rencontrées en matière de prescription civile, qui suscitaient de nombreuses critiques. Elle consacre le volet civil de la réforme proposée par notre mission d'information sur le régime des prescriptions, et ne peut que faire l'objet d'un large consensus politique et doctrinal, en attendant qu'un travail législatif de qualité équivalente aborde les autres domaines du droit des obligations dans l'esprit des travaux remarquables conduits sous l'autorité du professeur Catala.

La proposition de loi examinée aujourd'hui, que le groupe UMP soutient bien sûr sans réserves, montre non seulement que, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, l'harmonisation des droits nationaux des États européens est nécessaire, mais surtout qu'une action anticipatrice de la France est souhaitable. Le droit français ne doit pas se contenter de rattraper son retard sur le droit des autres États européens. Il doit être capable d'innover et de constituer à son tour la référence fédérant le droit des autres États, comme ce fut le cas il y a deux siècles avec le code civil et comme ce n'est malheureusement plus le cas aujourd'hui ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l'intérêt de la réforme des délais de prescription est évident. L'existence de plus de deux cent cinquante délais créait une situation inextricable et l'unification des règles relatives à la prescription devenait nécessaire.

Plusieurs propositions ont été formulées par la Cour de cassation, en 2001, 2002, 2004 et un projet de réforme a été lancé par le ministère de la justice. C'est dans ce contexte que, le 22 septembre 2005, un avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, élaboré par des professeurs de droit sous l'égide de Pierre Catala, a été présenté au garde des sceaux de l'époque. À l'instar de ce que préconisait la Cour de cassation, il prévoyait de réduire le délai de droit commun de la prescription civile à dix ans.

Cet avant-projet de réforme du droit de la prescription est pourtant resté lettre morte jusqu'en février 2007, date à laquelle notre commission des lois a constitué une mission d'information, ce qu'on ne peut lui reprocher : je défends bien sûr tout particulièrement le travail législatif quand il est possible et conséquent !

La mission d'information a rendu son rapport en juin 2007 et a rédigé des recommandations : sept en matière pénale et dix en matière civile. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, s'est inspiré de ces recommandations en matière civile, mais également des propositions formulées dans l'avant-projet de réforme de 2005, pour rédiger une proposition de loi. Cette proposition, entièrement réécrite par le rapporteur, a abouti au texte examiné aujourd'hui, qui abaisse à cinq ans le délai de prescription de droit commun.

Cette nouvelle rédaction me pose quelques problèmes. La proposition de loi initiale prévoyait également une modification des règles relatives au cours de la prescription : la négociation de bonne foi entre les parties, y compris le recours à la médiation, et la citation en justice devenaient des causes de suspension de la prescription et non plus d'interruption, s'agissant de la citation en justice. Elle consacrait les solutions jurisprudentielles aux termes desquelles la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de sa créance ou tant qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir.

Enfin, la rédaction initiale de la proposition de loi tendait à autoriser, sous certaines conditions, un aménagement contractuel de la prescription.

La commission des lois a entièrement réécrit le texte, mais en a conservé le fond, à deux exceptions près : elle maintient l'effet interruptif de la demande en justice et laisse inchangées les règles relatives à la prescription des dettes des personnes publiques. Elle propose également d'instaurer un délai butoir de vingt ans en matière de prescription extinctive, ce que ne prévoyait pas initialement la proposition de loi.

Ce qui posait apparemment le plus problème était le délai de trente ans applicable à la prescription extinctive, délai qui serait, selon le rapporteur, « inadapté au nombre et à la rapidité croissants des transactions juridiques ».

Il n'est guère étonnant de constater que ces propos rejoignent plus ou moins ceux qui ont été tenus par certains professeurs de droit ayant activement participé aux travaux d'élaboration de l'avant-projet de 2005. Ils étaient même favorables à un délai de droit commun de la prescription de trois ans. Cette durée a certes été retenue en Allemagne, mais il ne s'agit pas d'une référence absolue puisque d'autres pays ont fixé des délais plus longs.

Je citerai simplement, à cet instant, Philippe Malaurie, professeur émérite, qui préconisait un délai de droit commun de trois ans, afin d'apporter « le stimulant dont a besoin l'activité économique », « la concurrence internationale », ou encore afin de retrouver « notre vitalité, condition de la croissance ».

Étrangement ou non, le Président de la République et vous à sa suite, madame la ministre, avez tenu il y a peu des propos identiques s'agissant de la dépénalisation du droit des affaires : tous deux avez dénoncé le « risque pénal excessif qui entrave l'activité économique ».

Cette convergence de motivations me paraît désagréable. Le droit de la prescription serait-il devenu un enjeu économique ? Il y a tout lieu de le croire, et c'est pourquoi nous sommes vigilants quant au contenu de cette proposition de loi. Ce texte amorce-t-il une réforme de la prescription en matière pénale, nécessaire certes, mais dont l'orientation doit être discutée ? Sert-il à préparer le terrain, afin de faciliter le travail de la commission chargée précisément de réfléchir à la dépénalisation du droit des affaires ?

De manière générale, il me semble que le délai de droit commun de cinq ans prévu par la proposition de loi est trop court. La prescription répond, de l'aveu général, à l'impératif de sécurité juridique. Pour ma part, j'aurais tendance à considérer que faire passer le délai de droit commun de trente ans à cinq ans ne permet pas nécessairement d'assurer cette sécurité juridique.

En effet, la prescription est censée sanctionner la négligence du titulaire d'un droit qui serait resté trop longtemps inactif : or cinq ans, cela peut passer très vite, sans que l'intéressé ait forcément fait preuve de négligence. Ce délai de cinq ans pourrait être ressenti comme injuste par une personne titulaire d'un droit qu'elle n'aurait, de fait, pas eu le temps d'exercer. De ce point de vue, un délai de dix ans me semble plus raisonnable.

Je voudrais d'ailleurs faire remarquer que nous sommes confrontés à une situation paradoxale. En matière civile, l'évolution du droit de la prescription tendrait vers un raccourcissement des délais, alors que, en matière pénale, depuis une vingtaine d'années, les multiples dérogations apportées par le législateur aux règles régissant la prescription concourent à l'allongement des délais de celle-ci.

C'est pourquoi nous sommes également sceptiques quand nous constatons que la proposition de loi, dont l'auteur est suivi sur ce point par la commission, prévoit d'abaisser de dix ans à cinq ans le délai de droit commun applicable en matière commerciale. Même fixé à dix ans, comme c'est le cas depuis le vote de la loi du 18 août 1948, ce délai apparaît encore trop long à la majorité des acteurs économiques. Étant donné les propos que j'ai relatés à ce sujet, une telle position n'est guère étonnante. En ce qui nous concerne, nous proposerons néanmoins de maintenir à dix ans le délai de droit commun de la prescription.

Nous proposerons de fixer également à dix ans le délai au-delà duquel les sommes issues des contrats d'assurance vie non réclamés sont affectées au Fonds de réserve des retraites. Nous avions déjà déposé un amendement à cette fin lors du débat sur la proposition de loi permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés. Il nous avait alors été répondu que cet amendement aurait toute sa place dans l'examen de la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui : nous l'avons donc à nouveau déposé sur ce texte.

Enfin, nous voulions proposer d'allonger le délai de prescription s'agissant des personnes victimes de maladies professionnelles, mais notre amendement a malheureusement subi le couperet de l'article 40 de la Constitution. Cela est bien dommage, parce que cette question est tout à fait importante. On voit très bien, en la matière, que la situation des plus faibles de nos concitoyens n'est pas le point central du débat...

En conclusion, votre proposition de loi, monsieur Hyest, appelle donc de notre part des réserves. J'attends de savoir quel sort sera réservé à nos amendements : s'ils devaient ne pas être retenus, nous nous abstiendrions.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je rappellerai tout d'abord que, quelque éminents que soient les travaux des universitaires, nous ne légiférons ni hors du temps ni hors de l'espace : il faut tout de même comprendre que nous sommes confrontés aux réalités.

Les auditions auxquelles nous avons procédé, notamment celles des agents économiques, qu'il s'agisse de responsables d'associations de consommateurs ou de représentants des chefs d'entreprise, nous ont montré qu'il existait un souhait généralisé de voir réduire, de manière très sensible, les délais de prescription.

De plus, se manifeste parfois beaucoup d'incompréhension à propos du point de départ du délai de prescription. Faire courir ce délai à compter du jour où le titulaire d'un droit a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant de l'exercer peut amener un report de la prescription, comme nous le verrons d'ailleurs en matière d'environnement, à propos d'un amendement du Gouvernement.

Je crois donc que nous sommes arrivés à une position équilibrée. La plupart des universitaires auraient souhaité l'instauration de délais plus courts ; pour notre part, nous avons considéré qu'il était pertinent de caler le dispositif sur un délai de droit commun de cinq ans. Cela me semble plus raisonnable.

En ce qui concerne votre réflexion d'ensemble sur les prescriptions, ma chère collègue, j'indiquerai que nous avons déposé une proposition de loi portant strictement sur le domaine civil.

En effet, - nous l'avons constaté puisque la mission d'information portait sur l'ensemble des prescriptions - il y a un allongement permanent des délais de prescription en matière pénale. Cela est sans doute utile, mais c'est au contraire une réduction généralisée de ces délais qui se justifie en matière civile.

Il n'y a donc ni arrière-pensées ni sous-entendus derrière ce texte. Tout le monde considère que la réforme du droit des prescriptions est une nécessité pour moderniser notre droit civil, comme l'est celle du droit des contrats et obligations qui est annoncée. Le droit de la famille, le droit des successions et le droit des libéralités ont déjà été réformés par le législateur. Alors que le code civil n'avait pas été élaboré par la voie législative, toute une série de réformes intervenues au cours des dix dernières années auront permis de le rénover. Je crois que c'était une nécessité.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. On n'est plus sous Napoléon !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

CHAPITRE Ier

DE LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE ET DE LA PRESCRIPTION ACQUISITIVE

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile
Article 2

Article 1er

I. - Les articles 2270 et 2270-2 du code civil deviennent respectivement les articles 1792-4-1 et 1792-4-2 du même code.

II. - Le titre XX du livre troisième du même code est ainsi rédigé :

« TITRE XX

« DE LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE

« CHAPITRE Ier

« Dispositions générales

« Art. 2219. - La prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.

« Art. 2220. - Les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre.

« Art. 2221. - La prescription extinctive est soumise à la loi régissant le droit qu'elle affecte.

« Art. 2222. - La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

« En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

« Art. 2223. - Les dispositions du présent titre ne font pas obstacle à l'application des règles spéciales prévues par d'autres lois.

« CHAPITRE II

« Des délais et du point de départ de la prescription extinctive

« Section 1

« Du délai de droit commun et de son point de départ

« Art. 2224. - Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

« Section 2

« De quelques délais et points de départ particuliers

« Art2225. - L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.

« Art. 2226. - Les actions en responsabilité civile tendant à la réparation d'un dommage corporel se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage.

« Toutefois, en cas de préjudice causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l'action en responsabilité civile est prescrite par vingt ans.

« Art. 2227. - Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

« CHAPITRE III

« Du cours de la prescription extinctive

« Section 1

« Dispositions générales

« Art. 2228. - La prescription se compte par jours, et non par heures.

« Art. 2229. - Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli.

« Art. 2230. - La suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.

« Art. 2231. - L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.

« Art. 2232. - Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

« Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2227 et 2233, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244. Elles ne s'appliquent pas non plus aux actions relatives à l'état des personnes.

« Section 2

« Des causes de report du point de départ ou de suspension de la prescription

« Art. 2233. - La prescription ne court pas :

« À l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ;

« À l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu ;

« À l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé.

« Art. 2234. - La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

« Art. 2235. - Elle ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle sauf pour les actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.

« Art. 2236. - Elle ne court pas ou est suspendue entre époux.

« Art. 2237. - Elle ne court pas ou est suspendue contre l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net, à l'égard des créances qu'il a contre la succession.

« Art. 2238. - La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation.

« Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l'une des parties ou les deux, soit le médiateur déclarent que la médiation est terminée.

« Art. 2239. - La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

« Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

« Section 3

« Des causes d'interruption de la prescription

« Art. 2240. - La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

« Art. 2241. - La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

« Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.

« Art. 2242. - L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

« Art. 2243. - L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée.

« Art. 2244. - Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par un acte d'exécution forcée.

« Art. 2245. - L'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée, ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait, interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

« En revanche, l'interpellation faite à l'un des héritiers d'un débiteur solidaire, ou la reconnaissance de cet héritier, n'interrompt pas le délai de prescription à l'égard des autres cohéritiers, même en cas de créance hypothécaire, si l'obligation est divisible. Cette interpellation ou cette reconnaissance n'interrompt le délai de prescription, à l'égard des autres codébiteurs, que pour la part dont cet héritier est tenu.

« Pour interrompre le délai de prescription pour le tout, à l'égard des autres codébiteurs, il faut l'interpellation faite à tous les héritiers du débiteur décédé, ou la reconnaissance de tous ces héritiers.

« Art. 2246. - L'interpellation faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance, interrompt le délai de prescription contre la caution.

« CHAPITRE IV

« Des conditions de la prescription extinctive

« Section 1

« De l'invocation de la prescription

« Art. 2247. - Les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription.

« Art. 2248. - Sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d'appel.

« Art. 2249. - Le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré.

« Section 2

« De la renonciation à la prescription

« Art. 2250. - Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation.

« Art. 2251. - La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.

« La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.

« Art. 2252. - Celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise.

« Art. 2253. - Les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce.

« Section 3

« De l'aménagement conventionnel de la prescription

« Art2254. - La durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans.

« Les parties peuvent également, d'un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de la prescription prévues par la loi.

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le texte proposé par cet article pour l'article 2224 du code civil :

« Art. 2224. - Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par dix ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu les faits lui permettant de l'exercer. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous proposons de fixer à dix ans le délai de droit commun de la prescription.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission est défavorable aux deux modifications du texte présentées au travers de cet amendement.

Il s'agit de porter de cinq ans à dix ans le délai de droit commun de la prescription extinctive et de prévoir qu'il commence à courir à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu les faits lui permettant de l'exercer, en excluant de prendre en considération la date à laquelle il aurait dû avoir connaissance des faits s'il avait été suffisamment diligent.

Il a été beaucoup débattu du délai de cinq ans, durée qui nous a cependant paru constituer la bonne « jauge ». Cela correspond, nous l'avons tous rappelé, au délai de la prescription en matière de créance périodique qui figure depuis longtemps dans le code civil. C'est, je pense, une durée raisonnable.

Par ailleurs, sur la question du point de départ du délai de la prescription, il faut tout de même, à mon sens, sanctionner l'éventuelle négligence du créancier.

Par conséquent, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement fait siens les observations et les arguments développés par M. le rapporteur.

Je soulignerai qu'il convient de maintenir dans la rédaction du texte les mots : « aurait dû connaître ». Cela laissera au juge toute latitude d'apprécier la situation en cas de difficulté.

En tout état de cause, prévoir un délai de cinq ans pour la prescription est conforme à la tendance européenne en la matière. Cela semble raisonnable, et le Gouvernement est, par conséquent, défavorable à l'amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour l'article 2226 du code civil :

« L'action en responsabilité née à raison d'un évènement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage.

La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je propose de compléter le dispositif pour l'étendre aux victimes par ricochet d'un événement ayant entraîné un dommage corporel et aux dommages matériels résultant du même accident.

Il est particulièrement important que le même délai puisse être applicable non seulement aux victimes directes, mais aussi aux victimes indirectes, qui souvent sont de proches parents de la victime du dommage corporel. Ces derniers doivent bénéficier du même délai de dix ans pour demander réparation.

En effet, il ne faut pas imposer à une victime de saisir deux fois le juge en raison de délais de prescription différents. Il convient de traiter l'ensemble des préjudices subis, qu'ils soient corporels ou matériels, au cours d'une seule et même procédure et de les soumettre au même délai de prescription de dix ans.

Il s'agit, en fait, d'une mesure de bon sens.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission considère que l'amendement déposé par le Gouvernement complète très utilement le texte qu'elle a adopté, dans l'intérêt à la fois des victimes, quelles qu'elles soient, et de la bonne administration de la justice.

La commission émet donc un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par le II de cet article pour l'article 2236 du code civil par les mots :

ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité

La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Comme je l'ai dit tout à l'heure dans la discussion générale, cet amendement vise à étendre aux personnes liées par un pacte civil de solidarité la suspension de la prescription prévue entre époux pendant la durée du mariage.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Nous ne cessons d'aligner les dispositions relatives aux signataires d'un PACS sur celles qui concernent les personnes mariées. Nous allons donc en faire de même une fois de plus, en la matière qui nous occupe...

La commission est favorable à cet amendement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très favorable ! (Rires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité des présents.

L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I - Dans le premier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour l'article 2238 du code civil, après les mots :

à la médiation

insérer les mots :

ou à la conciliation

et après les mots :

à compter du jour de la première réunion de médiation

ajouter les mots :

ou de conciliation

II - Dans le second alinéa du même texte, après les mots :

soit le médiateur

insérer les mots :

ou le conciliateur

et après le mot :

médiation

insérer les mots :

ou la conciliation

La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J'ai évoqué ce point dans mon discours introductif.

La proposition de loi prévoit la suspension du délai de prescription en cas de médiation. Cette disposition favorise les modes alternatifs de résolution des conflits. Par le présent amendement, il s'agit d'instaurer la même suspension pour la conciliation. Cela permet d'harmoniser les délais de prescription pour ces deux procédures.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. L'amendement présenté par le Gouvernement complète utilement le texte que nous avons adopté.

Sous réserve des exceptions prévues et que nous évoquerons lors de l'examen du prochain amendement, rien n'empêchera les parties à un contrat, dans le cadre du pouvoir qui leur est reconnu, de convenir d'autres causes d'interruption ou de suspension de la prescription et de stipuler qu'en cas de litige une négociation non formalisée mais de bonne foi suspend le cours de la prescription, en application du principe de liberté contractuelle auquel la commission est attaché.

La commission souhaite établir par défaut des règles intelligibles pour tout le monde.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par le II de cet article pour l'article 2254 du code civil par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, loyers et charges locatives afférents à des baux d'habitation, et fermages. »

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Aux termes de l'article 2277 du code civil, le délai de prescription actuel des créances périodiques est de cinq ans. Cet amendement, que j'ai évoqué au cours de la discussion générale et sur lequel la commission a émis ce matin un avis favorable, a pour objet d'éviter que ce délai ne puisse être allongé ou raccourci contractuellement, au détriment de la partie faible à un contrat.

Il s'agit d'éviter qu'un employeur n'impose à ses salariés un délai de prescription de l'action en paiement ou en répétition des salaires d'un an ou, à l'inverse, qu'un bailleur professionnel impose à ses locataires une durée de prescription de l'action en paiement ou en répétition des loyers de dix ans.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission avait déjà prévu d'interdire l'aménagement contractuel des délais de prescription extinctive dans les contrats d'adhésion en matière de droit de la consommation et de droit des assurances en raison du déséquilibre flagrant qui peut exister entre les parties et de la nécessité de protéger la partie la plus faible du contrat.

L'amendement que propose M. Dreyfus-Schmidt complète, dans le même esprit, le texte de la commission : il permet d'éviter qu'un employeur ne puisse imposer à ses salariés un délai de prescription de l'action en paiement des salaires d'un an ou, à l'inverse, qu'un bailleur professionnel ait la possibilité d'imposer à ses locataires une durée de prescription de l'action en paiement des loyers plus longue que le droit commun.

Nous ne pouvons qu'être très favorables à cet amendement et remercier M. Dreyfus-Schmidt de sa vigilance.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je m'associe aux observations du rapporteur et aux remerciements qu'il a adressés à M. Dreyfus-Schmidt. Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 3

Article 2

I. - Le livre troisième du même code est complété par un titre XXI intitulé : « De la possession et de la prescription acquisitive » et comprenant :

1° Un chapitre Ier intitulé : « Dispositions générales », comprenant les articles 2228, 2230 et 2231 qui deviennent respectivement les articles 2255, 2256 et 2257 ;

2° Un chapitre II intitulé : «  De la prescription acquisitive », comprenant les articles 2258 et 2259, suivis de trois sections ainsi intitulées :

a) « Section 1. - Des conditions de la prescription acquisitive », comprenant les articles 2226, 2229, 2232 à 2240 qui deviennent respectivement les articles 2260 à 2270, ainsi que l'article 2271 ;

b) « Section 2. - De la prescription acquisitive en matière immobilière », comprenant l'article 2272, ainsi que les articles 2267 à 2269 qui deviennent respectivement les articles 2273 à 2275 ;

c) « Section 3. - De la prescription acquisitive en matière mobilière », comprenant les articles 2279 et 2280 qui deviennent respectivement les articles 2276 et 2277 ;

3° Un chapitre III intitulé : « De la protection possessoire », comprenant les articles 2282 et 2283 qui deviennent respectivement les articles 2278 et 2279.

II. - Les articles suivants, dans la numérotation qui résulte du I, sont ainsi modifiés :

1° Les articles 2258 et 2259 sont ainsi rédigés :

« Art. 2258. - La prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.

« Art. 2259. - Sont applicables à la prescription acquisitive les dispositions des articles 2221 et 2222, et des chapitres III et IV du titre XX du présent livre sous réserve des dispositions suivantes. » ;

2° À l'article 2260, les mots : « le domaine des choses » sont remplacés par les mots : « les biens ou les droits » ;

3° Le second alinéa de l'article 2266 est ainsi rédigé :

« Ainsi, le locataire, le dépositaire, l'usufruitier, et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire ne peuvent le prescrire. » ;

4° À l'article 2267, les mots : « la chose » sont remplacés par les mots : « le bien ou le droit » ;

5° À l'article 2268, les références : « 2236 et 2237 » sont remplacées par les références : « 2266 et 2267 » ;

6° À l'article 2269, les mots : « les fermiers, dépositaires et autres détenteurs précaires ont transmis la chose » sont remplacés par les mots : « les locataires, dépositaires, usufruitiers et autres détenteurs précaires ont transmis le bien ou le droit » ;

7° Les articles 2271 et 2272 sont ainsi rédigés :

« Art. 2271. - La prescription acquisitive est interrompue lorsque le possesseur d'un bien est privé pendant plus d'un an de la jouissance de ce bien, soit par le propriétaire, soit même par un tiers. 

« Art. 2272. - Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.

« Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans. » ;

8° À l'article 2273, les mots : « et vingt » sont supprimés. - (Adopté.)

CHAPITRE II

DISPOSITIONS DIVERSES ET DE COORDINATION

Article 2
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Article 4

Article 3

Après le chapitre VI du titre III du livre premier du code de la consommation, il est créé un chapitre VII ainsi rédigé :

« CHAPITRE VII

« Prescription

« Art. L. 137-1. - Par dérogation à l'article 2254 du code civil, les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d'un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de celle-ci. 

« Art. L. 137-2. - L'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. »  - (Adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

I. - Après l'article L. 114-2 du code des assurances, il est inséré un article L. 114-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 114-3. - Par dérogation à l'article 2254 du code civil, les parties au contrat d'assurance ne peuvent, même d'un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de celle-ci. »

II. - Après l'article L. 221-12 du code de la mutualité, il est inséré un article L. 221-12-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 221-12-1. - Par dérogation à l'article 2254 du code civil, les parties à une opération individuelle ou collective ne peuvent, même d'un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de celle-ci. »  - (Adopté.)

Article 4
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Article 6

Article 5

Le code civil est ainsi modifié :

1° À la fin de l'article 181, les mots : « ou depuis que l'époux a acquis sa pleine liberté ou que l'erreur a été par lui reconnue » sont supprimés ;

2° À l'article 184, après les mots : « peut être attaqué » sont insérés les mots : « dans un délai de trente ans à compter de sa célébration » ;

3° À l'article 191, après les mots : « peut être attaqué » sont insérés les mots : « dans un délai de trente ans à compter de sa célébration ». - (Adopté.)

Article 5
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Articles additionnels après l'article 6

Article 6

I. - À l'article 2 de la loi du 24 décembre 1897 relative au recouvrement des frais dus aux notaires, avoués et huissiers, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « cinq ».

II. - Après l'article 2 de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, il est inséré un article 2 bis ainsi rédigé :

« Art. 2 bis. - L'action en responsabilité dirigée contre les huissiers de justice pour la perte ou la destruction des pièces qui leur sont confiées dans l'exécution d'une commission ou la signification d'un acte se prescrit par deux ans. » - (Adopté.)

Article 6
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Article 7

Articles additionnels après l'article 6

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l'article 10 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique. Lorsqu'elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du code civil. »

La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement vise à modifier l'article 10 du code de procédure pénale afin qu'une victime d'infraction ne puisse se voir opposer la prescription de son action civile alors même que l'action publique ne serait pas éteinte.

La proposition de loi réduit à cinq ans le délai de la prescription de droit commun. Ainsi, si on ne le prévoit pas expressément, dans certains cas, l'action civile de la victime pourra être prescrite avant l'action publique, cette dernière étant par exemple de dix ans en matière de crime.

Il serait injuste d'interdire à la victime de faire valoir ses droits civils devant le juge pénal.

Pour éviter cette situation, le Gouvernement propose de préciser que lorsque l'action civile est exercée devant la juridiction répressive, elle se prescrira selon les règles de l'action publique. Il s'agit d'aligner la prescription de l'action civile sur celle de l'action publique.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Cet amendement définit une règle générale que je considère comme très utile, car elle évitera des conflits de durée devant les juridictions répressives et civiles.

La commission est donc très favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 6.

L'amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le titre V du livre Ier du code de l'environnement est complété par un chapitre II intitulé « Actions en réparation » et constitué d'un article L. 152-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 152-1. - Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code se prescrivent par trente ans à compter de la manifestation du dommage. »

La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet de créer un délai de prescription spécifique en matière d'environnement, puisqu'un tel délai n'existe pas actuellement.

En effet, si le droit commun s'applique, l'action sera prescrite au bout de cinq ans. Compte tenu de la complexité du droit de l'environnement, il est nécessaire de prévoir un délai de trente ans. Cette demande émane notamment du Grenelle de l'environnement.

M. le président. Le sous-amendement n° 13, présenté par M. Béteille au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. Dans le texte proposé par l'amendement n° 6 pour l'article L. 152-1 du code de l'environnement, remplacer les mots :

trente ans

par les mots :

dix ans

II. Compléter ce même texte par un alinéa ainsi rédigé :

« L'article 2232 du code civil n'est pas applicable à la prescription prévue à l'alinéa précédent. »

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter le sous-amendement n° 13 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 6.

M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission est perplexe devant la durée du délai prévu dans l'amendement du Gouvernement. Trente ans, c'est une durée exceptionnelle, d'autant qu'elle commence non pas à partir du moment où les faits sont commis mais à compter de la manifestation du dommage.

Imaginons le cas d'un artisan mécanicien qui, par négligence, provoque une pollution du sol par hydrocarbures. Si cette pollution est découverte trente ans après, s'ouvrira alors un délai de trente ans pour introduire l'action et les héritiers de cette personne seront donc poursuivis dans des délais qui sont déraisonnables.

C'est pourquoi nous proposons, par le sous-amendement n° 13, de réduire le délai à dix ans en conservant le point de départ prévu par le Gouvernement, à savoir la manifestation du dommage, et non la commission de l'infraction. Ainsi, nous évitons que le délai ne s'éternise excessivement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 13 ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je suis défavorable à ce sous-amendement. En effet, une directive européenne du 21 avril 2004, qui est en cours de transposition, prévoit un délai de prescription de trente ans. Si nous fixons le délai à dix ans, des actions en manquement pourront être assez régulièrement menées contre la France.

Compte tenu de la complexité de la matière et pour répondre à la demande du Grenelle de l'environnement - qui a souhaité ce délai de prescription de trente ans -, je demande à la commission de bien vouloir retirer son sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Quand il y avait le délai de prescription de trente ans, nous n'avions pas de problème !

La transposition de la directive ne sera pas facile puisque le point de départ du délai est ambigu. Il faudrait veiller à ce que les directives soient plus claires. C'est ce qui nous pose problème.

Madame le garde des sceaux, la commission va renoncer à son sous-amendement, sinon, il se poserait un problème de transposition.

Cette directive date de 2004 ! Il a vraiment fallu que se tienne le Grenelle de l'environnement pour s'apercevoir qu'elle n'était pas transposée depuis trois ans. Ou cette directive est importante, ou bien elle ne l'est pas !

La situation est absurde : comme l'a très bien expliqué le rapporteur, le report du point de départ à la manifestation du dommage et le délai de trente ans proposé par le Gouvernement peuvent avoir pour effet de porter le délai total à soixante ans. Ce n'est pas ce que prévoit la directive : elle fixe un délai de trente ans à partir, semble-t-il, du fait générateur du dommage. L'amendement du Gouvernement laisse trente ans pour agir une fois le dommage connu ; je ne sais pas si vous imaginez !

Il faudrait que les ministères concernés et vous-même puissiez agir pour...

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Clarifier !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ...faire en sorte que les directives soient raisonnables et compréhensibles par tous !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Et applicables !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Béteille, rapporteur. Les explications qui viennent d'être apportées par le président Hyest me permettent d'être bref.

L'amendement du Gouvernement est intéressant parce qu'il retient comme point de départ du délai la manifestation du dommage, et non pas le fait générateur comme le faisait la directive.

Notre problème est là : le délai est trop long, mais le point de départ retenu par le Gouvernement est le bon.

Nous sommes en contradiction avec la directive, mais nous devons trouver une solution pour ne pas adopter une mesure totalement déraisonnable. J'espère que l'Assemblée nationale et le Gouvernement trouveront un moyen de sortir de cette difficulté.

Cela étant dit, la commission retire son sous-amendement.

M. le président. Le sous-amendement n° 13 est retiré.

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur l'amendement n° 6.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai été étonné d'entendre le rapporteur parler de la complexité du sujet dont nous débattons. Je ne reconnais pas dans ses propos ce qui s'est passé ce matin en commission : nous étions unanimes à condamner très sévèrement cet amendement du Gouvernement,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, pas pour condamner !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ...qui a été repoussé par la commission à l'unanimité ! Déjà que j'ai vu apparaître un sous-amendement dont je ne me rappelle pas du tout qu'on l'ait adopté en commission des lois. (Protestations sur le banc des commissions.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si, monsieur Dreyfus-Schmidt !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il semble, à vos réactions, que j'ai tort de ne pas m'en souvenir, mais je ne m'en souviens pourtant pas.

En tout cas, des mots très durs ont été utilisés en commission pour qualifier cet amendement, n'est-ce pas, monsieur Hyest ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non ! Nous ne savions pas ce matin qu'il y avait cette directive européenne.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous avons par exemple considéré que cet amendement était « absurde », n'est-ce pas, monsieur Hyest ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Rappelez-vous ce qui s'est passé et reconnaissez les choses telles qu'elles sont !

Dans ces conditions, nous ne voterons certainement pas cet amendement du Gouvernement. J'aimerais que la commission reste fidèle à elle-même !

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.

M. François Zocchetto. Certes, le rôle de Mme le garde des sceaux est de nous rappeler la nécessité de respecter les textes européens, mais, comme l'a très bien dit M. le président de la commission des lois, nous faisons face à une situation absurde.

Il serait absurde en effet d'adopter l'amendement du Gouvernement sans le sous-amender, comme le propose M. le rapporteur, car nous ferions alors le contraire de ce que nous cherchons à faire, c'est-à-dire réduire le délai de prescription.

Par ailleurs, je rappelle que, en matière de dommage environnemental, une action publique est très souvent engagée, parce qu'un délit - ou au minimum une contravention - a été commis.

Le délai de prescription en matière pénale sera donc de cinq ans - un an pour les contraventions et dix ans en cas de crime, même si je ne vois pas ce que pourrait être un crime en matière environnementale -, alors que le délai civil de réparation du dommage sera de trente ans !

Même si je comprends la nécessité de respecter la législation européenne, je trouve que ce dispositif est absurde.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Donc, vous allez voter contre !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'étais absente ce matin en commission des lois - je vous prie évidemment de bien vouloir m'en excuser, monsieur le président Hyest - mais je considère, moi aussi, que cet amendement pose problème.

Il serait intéressant de savoir comment les autres pays européens qui ont déjà transcrit la directive ont réussi à la concilier avec leurs délais courts de prescription.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Permettez-moi de faire un rappel chronologique à l'intention de M. Dreyfus-Schmidt.

Ce matin, lorsque nous avons examiné l'amendement du Gouvernement, nous avons trouvé qu'il posait un problème de cohérence. Nous sommes bien entendu en parfait accord, dans le contexte du Grenelle de l'environnement, avec le souci de préserver l'environnement. Mais l'objet de l'amendement évoquait peu la directive. Et c'est un euphémisme !

Il nous a semblé que dix ans pour mettre en oeuvre une action étaient suffisants, le délai de trente ans n'apparaissant plus justifié dès lors que le point de départ de la prescription est fixé à la manifestation du dommage. Mais, comme vient de l'expliquer Mme le garde des sceaux, la directive impose trente ans. Le problème est que le point de départ du délai n'est pas très clair.

Il vaut donc mieux être prudent, ne pas prendre le risque d'être poursuivi pour manquement, et attendre la transposition de la directive.

Monsieur Dreyfus-Schmidt, le sous-amendement que nous avons déposé était cohérent avec notre position, mais nous ne disposions pas alors de tous les éléments, concernant notamment la directive.

Nous allons maintenant essayer de trouver un accord. Peut-être faut-il adopter l'amendement tel que nous le propose le Gouvernement et renoncer à notre sous-amendement ? Il faut savoir, quand on obtient des éléments d'information supplémentaires, ne pas maintenir une position intenable.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Après être intervenu sur le sous-amendement n° 13, j'expliquerai maintenant mon vote sur l'amendement n° 6.

Si nous fixons le délai de prescription à trente ans à compter de la manifestation du dommage, cela signifie que si le dommage se manifeste au bout de trente ans, le délai total sera de soixante ans !

Libre à vous de voter cet amendement, que la commission, à l'unanimité, a jugé absurde ce matin, au lieu d'attendre de voir ce qui se fait dans d'autres pays, mais le groupe socialiste ne le votera sûrement pas !

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.

M. François Zocchetto. Dans le souci de parvenir à un texte cohérent, permettez-moi de revenir sur ma comparaison entre la prescription pénale et la prescription civile.

L'amendement du Gouvernement que nous venons d'adopter, tendant à insérer un article additionnel après l'article 6, m'a paru très judicieux. Cet article additionnel prévoit que lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique.

Pourriez-vous me dire très clairement si, pour le même dommage environnemental, selon que l'action aura été engagée devant une juridiction répressive ou civile, les délais de prescription seront différents ?

Si tel est le cas, celui qui aura commis le dommage aura intérêt à évoquer l'affaire devant une juridiction répressive, puisque le délai de prescription sera de cinq ans, en cas de délit, contre trente ans devant une juridiction civile. L'écart est tout de même considérable !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je crois que nous avons une solution, à mon avis conforme à la directive : faisons partir le délai à compter du fait générateur du dommage, et non de la manifestation du dommage.

Il est vrai que, dans certains cas - je pense, par exemple, à l'enfouissement de fûts toxiques dans une ancienne carrière -, le dommage n'est pas découvert tout de suite. Le délai de prescription peut alors être de trente ans, cela ne me gêne pas. C'est cohérent. Cette disposition figurera dans le code de l'environnement -  c'est une législation spéciale, il y en a toujours - et non dans le code civil.

Fixer à trente ans le délai de prescription à compter du fait générateur du dommage nous permettrait d'être en conformité avec les principes de la directive et de ne pas nous contredire.

Cette solution me paraît être de nature à convenir à tout le monde, monsieur le président.

M. le président. Madame le garde des sceaux, acceptez-vous de modifier votre amendement dans le sens souhaité par la commission ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Oui, monsieur le président, nous acceptons de modifier cet amendement, dans le sens qui a été suggéré ! (Sourires.)

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 6 rectifié, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le titre V du livre Ier du code de l'environnement est complété par un chapitre II intitulé « Actions en réparation » et constitué d'un article L. 152-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 152-1. - Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code se prescrivent par trente ans à compter du fait générateur du dommage. »

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour une troisième explication de vote !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je souhaite simplement faire remarquer que mes observations précédentes étaient justifiées, puisqu'elles ont conduit à la modification de l'amendement !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 6.

Articles additionnels après l'article 6
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Article 8

Article 7

L'article L. 110-4 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Au I, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « cinq » ;

2° Au III, les mots : « conformément à l'article 2277 du code civil » sont supprimés.

M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement relève de la même logique que celui que nous avons déposé à l'article 1er.

Selon nous, réduire le délai de prescription de dix ans à cinq ans en matière commerciale ne permet pas de protéger suffisamment la partie faible au contrat. Il serait souhaitable d'en rester à dix ans.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. J'avoue que je ne comprends pas l'objet de cet amendement.

Les délais de prescription en matière commerciale étaient déjà courts : ils étaient de dix ans, contre trente ans en matière civile. Alors que nous réduisons le délai en matière civile de trente ans à cinq ans, pourquoi le maintiendrions-nous à dix ans en matière commerciale ? Il s'agit de professionnels, qui savent à quoi ils s'engagent. En outre, l'ensemble des professions souhaitent clairement des délais plus courts.

En matière commerciale, la question se pose de savoir si nous n'aurions pas dû suivre les recommandations du rapport de MM. Catala et Malaurie et fixer le délai de prescription à trois ans. Nous avons préféré, dans un souci d'unification, le fixer à cinq ans.

Un délai de dix ans en matière commerciale me paraît beaucoup trop long.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le délai de prescription est de cinq ans pour les particuliers. Pourquoi le fixerions-nous à dix ans pour les commerçants, alors qu'ils sont mieux organisés pour agir qu'un particulier ? Il y aurait là une contradiction.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je suis favorable à un délai de dix ans, permettez-moi d'avoir ma logique !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 7
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Article 9

Article 8

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Le second alinéa de l'article L. 3243-3 est supprimé ;

2° L'article L. 3245-1 est ainsi rédigé :

« Art. L. 3245-1. - L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil. » - (Adopté.)

Article 8
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Article 10

Article 9

À la fin du huitième alinéa (7°) de l'article L. 135-7 du code de la sécurité sociale, les mots : « au terme de la prescription fixée par l'article 2262 du code civil » sont remplacés par les mots : « n'ayant fait l'objet de la part des ayants droits d'aucune opération ou réclamation depuis trente années. »

M. le président. L'amendement n° 11, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

I. - Dans cet article, remplacer les mots :

trente années

par les mots :

dix années

II. - Ajouter un alinéa ainsi rédigé :

Dans le dernier alinéa (5°) de l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les mots : « trente années » sont remplacés par les mots : « dix années ».

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'ai annoncé cet amendement lors de mon intervention dans la discussion générale. Nous avions déjà déposé un amendement à cette fin voilà deux semaines, lorsque le Sénat a débattu de la proposition de loi permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés. Le rapporteur nous avait alors dit que cet amendement aurait toute sa place dans le débat d'aujourd'hui. Dont acte !

Nous ne faisons ici que reprendre une proposition du Médiateur de la République, qui est également soutenue par les associations de défense des consommateurs. Cela fait un petit peu de monde !

Depuis la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale, le montant des contrats d'assurance vie non réclamés par leurs bénéficiaires est affecté au Fonds de réserve pour les retraites, mais seulement au bout de trente ans. De ce point de vue, la loi de 2006 a apporté un certain progrès par rapport à la situation antérieure, mais nous souhaitons aller plus loin.

Certes, si la proposition de loi permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie est adoptée, il est fort probable que les bénéficiaires seront quasi systématiquement retrouvés à l'avenir. Le montant des capitaux non réclamés et destinés à alimenter le Fonds de réserve pour les retraites risque donc d'être moins élevé que celui qui était prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Néanmoins, le délai de trente ans avant l'affectation de ces sommes au Fonds de réserve pour les retraites n'est pas justifié. Il n'est nul besoin d'attendre si longtemps avant de lui permettre d'en bénéficier.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Mme Borvo et nous sommes en désaccord sur les durées, elle proposant généralement des durées plus longues que la commission. En l'occurrence, c'est l'inverse !

Il s'agit cette fois d'une prescription acquisitive et non plus d'une prescription extinctive. Les montants des contrats d'assurance sur la vie qui ne seraient pas réclamés par leurs bénéficiaires sont versés au Fonds de réserve pour les retraites au terme d'un délai qui est actuellement fixé à trente ans.

La proposition de loi adoptée par la commission fixe à trente ans le délai des prescriptions acquisitives. Dans ce domaine comme dans les autres, la commission considère qu'il faut en rester à cette durée et ne pas créer une exception.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je m'associe totalement aux observations de la commission. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 9.

(L'article 9 est adopté.)

Article 9
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Article 11

Article 10

I. - À l'article L. 211-19 et dans le second alinéa de l'article L. 422-3 du code des assurances, la référence : « 2270-1 » est remplacée par la référence : « 2226 ».

II. - Dans le second alinéa de l'article L. 243-2 du même code, la référence : « 2270 » est remplacée par la référence : « 1792-4-1 ». -  (Adopté.)

Article 10
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Article 12

Article 11

I. - Dans le premier alinéa de l'article L. 111-24 et dans le second alinéa de l'article L. 111-33 du code de la construction et de l'habitation, la référence : « 2270 » est remplacée par la référence : « 1792-4-1 ».

II. - Dans le troisième alinéa de l'article L. 631-7-1 du même code, la référence : « 2262 » est remplacée par la référence : « 2227 ». - (Adopté.)

Article 11
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Article 13

Article 12

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° À l'article L. 1126-7, la référence : « 2270-1 » est remplacée par la référence : « 2226 » ;

2° L'article L. 1142-28 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ces actions ne sont pas soumises au délai mentionné à l'article 2232 du code civil. » - (Adopté.)

Article 12
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Article 14

Article 13

Dans le premier alinéa de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques, les mots : « sont soumis, quel que soit leur mode de fixation, à la prescription quinquennale édictée par l'article 2277 du code civil » sont remplacés par les mots : « se prescrivent par cinq ans, quel que soit leur mode de fixation ». - (Adopté.)

Article 13
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Article 15

Article 14

À la fin du premier alinéa de l'article L. 518-24 du code monétaire et financier, les mots : « par l'article 2244 » sont remplacés par les mots : « par les articles 2241 et 2244. » - (Adopté.)

Article 14
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Article 16

Article 15

Après l'article 3 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, il est inséré un article 3-1 ainsi rédigé :

« Art. 3-1. - L'exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l'article 3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.

« Le délai mentionné à l'article 2232 du code civil n'est pas applicable aux dispositions du premier alinéa. » - (Adopté.)

Article 15
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Article 17

Article 16

À l'article 2503 du code civil, la référence : « 2283 » est remplacée par la référence : « 2279 ». - (Adopté.)

Article 16
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Article 18

Article 17

I. - La présente loi, à l'exception du II de son article 4 et de ses articles 8, 9, 11 et 14, est applicable à Mayotte.

II. - La présente loi, à l'exception de son article 4, et de ses articles 8 à 16, est applicable en Nouvelle-Calédonie.

III. - La présente loi, à l'exception du II de son article 4 et de ses articles 8 à 14, est applicable dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

IV. - Les articles 5 et 19 de la présente loi, ainsi que les articles 2225 et 2235 à 2237 du code civil, tels qu'ils résultent de la présente loi, sont applicables en Polynésie française.

V. - En l'absence d'adaptations prévues par la présente loi, les références opérées par elle à des dispositions qui ne sont pas applicables à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, sont remplacées par les références aux dispositions ayant le même objet applicables localement.

VI. - Le code du travail applicable à Mayotte est ainsi modifié :

1° Le second alinéa de l'article L. 143-4 est supprimé ;

2° L'article L. 143-15 est ainsi rédigé :

« Art.  L. 143-15. - L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil. »

VII. - Pour son application dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 instituant un code du travail dans les territoires et territoires associés relevant du ministère de la France d'outre-mer est ainsi modifiée :

1° La seconde phrase du dernier alinéa de l'article 101 est supprimée ;

2° L'article 106 est ainsi rédigé :

« Art. 106. - L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil. »

VIII. - Après le chapitre VII du titre III du livre premier du code de la consommation, il est créé un chapitre VIII ainsi rédigé :

« CHAPITRE VIII

« Dispositions relatives à l'outre-mer

« Art. L. 138-1. - Les articles L. 137-1 et L. 137-2 sont applicables à Mayotte, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises. »

IX. - Le code des assurances est ainsi modifié :

1° L'article L. 193-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'article L. 114-3 est applicable à Mayotte. » ;

2° L'article L. 193-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'article L. 114-3 est applicable dans les îles Wallis et Futuna. » - (Adopté.)

Article 17
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile
Article 19

Article 18

I. - Les conséquences financières résultant pour l'Etat et ses établissements publics de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. - Les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

M. le président. L'amendement n° 5, présenté par le Gouvernement est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le sénat a dû gager son texte, donc je lève le gage ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission remercie le Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 18 est supprimé.

Article 18
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 19

I. - Les dispositions de la présente loi qui ont pour effet d'allonger la durée d'un délai de prescription s'appliquent à toutes les actions qui n'étaient pas prescrites avant son entrée en vigueur. Le nouveau délai commence à courir à compter de cette date. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

II. - Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

III. - Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation. - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Article 19
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 432, je donne la parole à M. Alain Gournac, pour explication de vote.

M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la situation actuelle du droit de la prescription en matière civile est devenue source de confusion et d'insécurité.

En effet, les délais sont unanimement jugés trop nombreux ; leur décompte se révèle délicat et leur qualification est aléatoire.

En outre, les règles de la prescription civile apparaissent inadaptées à l'évolution de la société et à l'environnement juridique actuel.

Le texte adopté par la commission des lois, qui est nous est aujourd'hui soumis, comporte des avancées significatives, car il modernise les règles de la prescription civile, afin de les rendre plus cohérentes et plus lisibles.

Tout d'abord, le texte réduit le nombre et la durée des délais de la prescription extinctive. Il simplifie également leur décompte et autorise, sous certaines conditions, leur aménagement contractuel.

Compte tenu des enjeux essentiels de la prescription dans l'application de la règle de droit et de la part qui revient au législateur pour en fixer les principes, le groupe UMP du Sénat se félicite de l'inscription d'une telle proposition de loi à l'ordre du jour réservé de notre Haute Assemblée.

Au nom du groupe UMP, je souhaiterais remercier tout particulièrement M. le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, qui est à l'origine de la proposition de loi, ainsi que nos collègues Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois sur ce texte, et MM. Hugues Portelli et Richard Yung, tous deux rapporteurs de la mission d'information de la commission des lois sur le régime des prescriptions civiles et pénales. Cette proposition de loi est le fruit d'un travail collectif et je tiens à les féliciter.

Ce texte témoigne du souci constant de notre commission des lois et de la Haute Assemblée de simplifier les règles de droit applicables, et ce dans l'intérêt de nos concitoyens.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, toute modernisation de notre système judiciaire est plus que bienvenue, pourvu qu'elle ne porte pas atteinte à la sécurité juridique. Le texte qui nous est aujourd'hui soumis semble bien s'inscrire dans cette perspective.

Toutefois, madame le garde des sceaux, je profite de l'occasion qui m'est offerte pour vous dire qu'il faudra encore beaucoup de réformes pour réconcilier les Français avec leur justice.

En outre, puisque nous améliorons les délais de prescription, nous devrons également travailler sur les délais de procédure et sur les conditions d'accès au droit ; je pense notamment aux indemnisations des avocats, en particulier dans le cadre de l'aide juridictionnelle.

Mais je voudrais surtout attirer votre attention sur les délais de prescription institués par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. En effet, ce texte a créé une prescription pour les diffamations sur Internet, sujet sur lequel je suis extrêmement sensible.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela relève du droit pénal !

Mme Nathalie Goulet. Je le sais bien, monsieur le président de la commission des lois ! Toutefois, puisque j'ai sous les yeux le compte rendu des débats du 8 avril 2004, séance au cours de laquelle vous étiez largement intervenu, je profite de l'examen de la présente proposition de loi pour rappeler que les dispositions adoptées à cette époque sont totalement inapplicables. En effet, lorsque vous souhaitez faire cesser une diffamation sur Internet, compte tenu du délai de prescription, qui est de trois mois, vous ne pouvez ni insérer votre droit de réponse ni, parfois, trouver le serveur.

Dans ces conditions, madame le garde des sceaux, je souhaitais simplement attirer votre attention sur les difficultés du respect du droit de la presse sur Internet et sur le problème de la prescription dans ce domaine

Sous ces réserves, le groupe du RDSE votera le texte qui nous est aujourd'hui proposé.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous nous sommes suffisamment expliqués dans la discussion générale, puis à l'occasion de l'examen de nombre d'amendements, pour que le lecteur du Journal Officiel puisse comprendre notre position.

Comme je l'avais annoncé, dans la mesure où notre amendement a été adopté, le groupe socialiste votera les conclusions du rapport de la commission des lois.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour notre part, aucun de nos amendements n'ayant été retenus, nous nous abstiendrons.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 432.

(La proposition de loi est adoptée.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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6

recherche en milieu polaire

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 5 de M. Christian Gaudin à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la recherche en milieu polaire, contribution de la science au développement durable.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Christian Gaudin interroge Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la prise en compte des enjeux de la recherche en milieu polaire, notamment comme contribution de la science au développement durable, à la suite du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'OPECST, sur la place de la France dans ce domaine.

« Alors que les travaux de l'Office ont mis en lumière l'excellent niveau scientifique et le rôle essentiel de la recherche française dans ces régions pour mettre en évidence et faire prendre conscience des dangers du réchauffement climatique et d'une perte de biodiversité, il lui demande quelle place la stratégie gouvernementale de développement durable accordera à ces recherches fondamentales.

« Le rapport a par ailleurs montré que la France ne prenait pas suffisamment en compte le caractère stratégique de ces régions à la différence des autres grands pays. Notre présence dans l'Arctique est trop faible, les moyens financiers ne sont pas à la hauteur de nos ambitions, la coordination de notre action, particulièrement au niveau interministériel, paraît nettement perfectible, enfin, le besoin se fait sentir d'une véritable stratégie de coopération au niveau européen sur la base du « moteur » franco-germano-italien, mais aussi au niveau mondial avec les États-Unis, la Russie ou la Chine.

« Dans ces conditions, il souhaiterait connaître les mesures que pourrait prochainement prendre le Gouvernement à la suite du rapport et les initiatives qui pourraient être prises par la France dans ce domaine à l'occasion, tant de la présente année polaire internationale 2007-2008, que de sa présidence de l'Union européenne. »

La parole est à M. Christian Gaudin, auteur de la question.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de me féliciter de la tenue de ce débat et d'adresser mes remerciements à M. Christian Poncelet, président du Sénat, et à M. Michel Mercier, président du groupe UC-UDF, qui ont soutenu ma proposition de débattre dans notre assemblée des enjeux de la recherche en milieu polaire, alors que se déroule la quatrième année polaire internationale et que notre pays a engagé une grande révision de nos politiques à l'aune du développement durable.

Permettez-moi ensuite de souligner que la formule des questions orales avec débat, qui est propre à la Haute Assemblée, est particulièrement intéressante au moment où M. le Président de la République a souhaité engager une réflexion sur la réforme de nos institutions, et singulièrement sur le renforcement du rôle du Parlement. En effet, ce débat est organisé dans le cadre de l'ordre du jour réservé, qui est réparti entre les groupes politiques. Il est remarquable de noter que le Sénat a décidé d'en consacrer une part significative à des travaux de contrôle du Gouvernement et tout particulièrement de suivi des propositions des rapports parlementaires, soulignant combien notre assemblée - M. le président du Sénat aime à le rappeler - a pour « seconde nature » d'exercer un contrôle approfondi des politiques publiques.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'inscrit pleinement dans cette démarche en s'appuyant sur une méthodologie rigoureuse, inspirée des meilleures pratiques internationales. Ainsi, le rapporteur peut recourir, comme dans les comités scientifiques d'évaluation, à la contribution d'experts étrangers. Il peut également organiser des auditions publiques contradictoires ouvertes aux citoyens.

En outre, tout comme la commission des finances de notre assemblée, l'Office est également soucieux des effets de ses travaux. Là aussi, nous inspirant de l'évaluation des travaux scientifiques, nous mesurons l'audience d'un rapport au travers du nombre des citations dans les publications de référence.

L'Office est surtout soucieux du suivi de ses travaux et de la mise en oeuvre de ses préconisations. Dès lors, il apparaît légitime, comme cela a déjà été réalisé pour plusieurs rapports de cette instance, d'interroger le Gouvernement sur les suites qu'il a apportées ou qu'il compte donner aux propositions du rapport sur la place de la France dans les enjeux internationaux de la recherche en milieu polaire, quasiment huit mois jour pour jour après sa présentation.

À cet égard, madame la ministre, je voudrais tout d'abord vous interroger sur la prise en compte, sur le fond, des enjeux de la recherche en milieu polaire comme contribution de la science au développement durable. Puis je souhaiterais que vous nous indiquiez comment le Gouvernement compte mieux prendre en considération le caractère stratégique des régions polaires et de ce qui s'y déroule, notamment en matière scientifique.

Je souhaite souligner combien toute mesure nouvelle en matière de développement durable ne peut se concevoir sans une articulation étroite avec une recherche fondamentale de long terme, tout particulièrement avec la recherche menée dans les milieux polaires.

J'insiste ici sur la recherche en milieu polaire, car ce sont en grande partie les découvertes réalisées aux pôles qui expliquent la prise de conscience d'aujourd'hui.

En effet, le legs est considérable.

D'abord, la découverte de l'affaiblissement de la couche d'ozone a eu lieu en Antarctique en 1987.

Ensuite, la reconstitution du climat sur les 800 000 dernières années, la mise en évidence du réchauffement et la démonstration de la responsabilité de l'homme ont également été réalisées à partir des forages glaciaires effectués au Groenland et en Antarctique.

Enfin, les travaux scientifiques ont pu mesurer précisément l'effet exponentiel d'une hausse de la température. Ainsi, une hausse de seulement 0,3 degré entraîne une diminution de 10 % de certaines populations de manchots.

Mais permettez-moi de mentionner un exemple moins connu pour illustrer la contribution au développement durable de la recherche fondamentale effectuée en milieu polaire et plus spécialement la combinaison des recherches relatives au climat avec celles qui concernent la biodiversité pour mieux comprendre les enjeux d'aujourd'hui.

À I'époque où l'on croyait encore au « bon sauvage », Maupertuis écrivait ceci : « Je préférerais une heure de conversation avec un indigène de la Terra australis incognita plutôt qu'avec le plus grand savant d'Europe. » Je vous propose donc d'en rencontrer un spécimen, en l'occurrence le pétoncle austral. Celui-ci appartient à la même famille que la coquille Saint-Jacques, mollusque bien connu de nos régions et, surtout, de nos assiettes. (Sourires.)

Afin de faciliter la compréhension de mon propos, j'ai obtenu des scientifiques le prêt de deux coquilles de pétoncle austral, que je vous propose d'examiner, monsieur le président, madame la ministre. (MM. les huissiers remettent les coquilles de pétoncle austral à M. le président et à Mme la ministre.) Le pétoncle austral est une espèce rare et ces coquilles constituent un échantillon précieux pour les scientifiques.

Le pétoncle austral fait l'objet de recherches, car tout laisse penser qu'il est susceptible de servir de thermomètre indiquant la température de l'océan austral, et ce sur de très longues durées.

En effet, à l'instar des arbres, dont il est bien connu que l'âge et la croissance peuvent être restitués par comptage et analyse des deux stries annuelles, permettant notamment de distinguer les années en fonction de la température et de l'hygrométrie, la coquille du pétoncle austral est marquée par la création d'une nouvelle strie chaque année. L'espacement entre chaque strie permet de connaître la vitesse plus ou moins grande de la croissance cette année-là. La croissance est évidemment elle-même liée aux conditions générales de vie pendant une année donnée, celles-ci étant intimement liées à l'abondance de la nourriture et à la température plus ou moins élevée.

Mais cette « dendrochronologie » du pétoncle austral n'est pas la seule information qu'est susceptible de nous fournir sa coquille. En effet, comme sa cousine la coquille Saint-Jacques et les foraminifères, qui sont des protozoaires dotés d'une coquille calcaire, il est possible d'en analyser la composition chimique pour reconstituer la température.

La coquille a besoin d'oxygène pour se former. Or, dans l'eau comme dans l'air, l'atome d'oxygène est présent sous deux formes différentes, qui sont deux isotopes, à savoir l'oxygène 16 et l'oxygène 18. Or ces deux isotopes se retrouvent en densité différente en fonction de la température.

Ainsi, en recherchant leur densité respective dans la coquille, il est possible de se servir des isotopes comme d'un véritable thermomètre, ce que l'on appelle communément le « thermomètre isotopique ». Les techniques utilisées sont exactement les mêmes que celles qui sont employées pour reconstituer le climat passé à partir des forages glaciaires ou sédimentaires océaniques.

Dendrochronologie, thermomètre isotopique, la coquille du pétoncle austral n'a pas encore épuisé toutes ses richesses. Il est encore possible, grâce à des analyses chimiques par ablation et spectrométrie de masse à plasma inductif, de mesurer la salinité de l'eau ou de rechercher la présence de certains métaux, études qui seront autant d'indications sur la circulation thermohaline, c'est-à-dire la circulation océanique générale.

Le plus extraordinaire est peut-être encore que les pétoncles existent depuis 30 millions d'années et que ces recherches peuvent également être menées sur des coquillages fossiles. Le champ d'investigation est donc immense.

Ces données sont extrêmement importantes, on l'imagine aisément, notamment pour la reconstitution des variations climatiques du passé, puisqu'elles nous fournissent, avec une précision certainement proche du demi-degré, les courbes annuelles des températures moyennes. On serait susceptible de confirmer ou de préciser un réchauffement ou un refroidissement.

Mais l'intérêt pour le pétoncle austral va bien au-delà ; par exemple, la température, les indications chimiques, la salinité qu'il fournit sont celles de l'océan où il se trouve. Or on sait désormais que le lien entre le pôle Nord et le pôle Sud détermine une grande partie de l'évolution climatique. Ainsi, c'est vraisemblablement l'augmentation de l'insolation dans l'hémisphère Nord, en raison de l'évolution de la position astronomique de la terre, qui est le déclencheur du passage d'une période glaciaire et à une période interglaciaire. Cette évolution se transmet ensuite via la circulation océanique à l'Antarctique.

La circulation thermohaline est donc absolument essentielle non seulement dans la mécanique climatique de long terme, mais aussi à l'occasion d'événements brutaux de réchauffement ou de refroidissement. Dans cette mécanique, les lieux de formation des eaux froides profondes, qui sont le moteur de cette circulation, font l'objet de toutes les attentions. C'est justement là que vit le pétoncle austral !

Toutefois, pour utiliser un thermomètre, il faut le calibrer, c'est-à-dire qu'il faut connaître la façon dont le pétoncle austral grandit, respire et se nourrit, puis établir le rapport le plus étroit possible entre ses conditions générales de vie et sa biologie. La chose est moins aisée qu'on ne pourrait le penser puisqu'il s'agit d'examiner in situ un coquillage qui vit sur le fond marin de l'un des lieux les plus froids et les plus inaccessibles de la planète.

On ne sait d'ailleurs pas si l'étude de l'animal vivant, dans l'objectif d'analyser sa coquille, ne va pas permettre de nouvelles découvertes, comme cela fut le cas lors de l'étude de l'estomac du manchot pour la lutte contre le cancer ou les maladies nosocomiales.

Chaque espèce est un trésor unique dont nous ne mesurons que trop rarement l'importance. La recherche sur la biodiversité est un domaine majeur insuffisamment connu et exploité. On ne mesure pas assez combien, aujourd'hui, il est intimement lié aux recherches sur le climat et, plus généralement, aux sciences de l'univers.

Cet exemple illustre à la fois l'excellence des équipes de recherche française et leur besoin d'être soutenues à un meilleur niveau qu'à l'heure actuelle. Les technologies nécessaires aux études que je viens de mentionner sont du plus haut niveau et donc d'un coût élevé. Ces équipes ne sont pas seules au monde ; elles ont des concurrentes à l'étranger. Pour rester dans le peloton de tête, elles doivent non seulement mener une recherche novatrice, mais également pouvoir s'équiper et recruter selon les standards internationaux.

Je souhaite donc, madame la ministre, savoir comment le Gouvernement prévoit d'articuler ces recherches fondamentales, tout particulièrement celles qui sont menées en milieu polaire, avec la stratégie nationale de développement durable qui est en cours de définition. Une ambition pour le développement durable ne doit-elle pas être, dans le même temps, une ambition pour la recherche ?

Les récents débats ont pu laisser penser que la recherche n'avait pas toute sa place et que l'expertise, à force de se vouloir « indépendante », pourrait même être complètement détachée de la reconnaissance acquise par la publication de travaux scientifiques.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous vous souvenez certainement de la parabole de l'homme insensé qui bâtit sa maison sur le sable et qui la voit s'effondrer à la première pluie, alors que l'homme sage a bâti sur le roc une maison qui tient bon face aux intempéries. Ne bâtissons pas une stratégie de développement durable sur le sable de la peur de l'avenir et des progrès scientifiques ; bâtissons-la sur le roc d'une recherche de haut niveau.

Dans un second temps, je souhaiterais, madame la ministre, que vous puissiez indiquer au Sénat comment le Gouvernement compte mettre à niveau la présence de notre pays dans les régions polaires.

Au cours de l'élaboration de mon rapport, j'ai été frappé de constater que la plupart de nos partenaires considèrent les recherches en milieu polaire comme « politiques ». Autrement dit, le polaire s'inscrit sur le même plan symbolique que l'espace ou le nucléaire civil. Il est le symbole d'une nation développée atteignant le plus haut niveau scientifique possible. Ces recherches sont les signes d'un certain rang international et les succès en cette matière sont prisés pour le prestige qu'ils apportent.

Ce n'est pas autrement que l'on doit considérer l'installation d'une base américaine permanente au pôle Sud géographique depuis 1957, la récente revendication sous-marine du pôle Nord par la Russie ou l'investissement de plus en plus important consenti par la Chine, qui veut s'installer sur le Dôme A, sommet de l'Antarctique dont on extraira sans doute la glace la plus ancienne, vieille peut-être de 1,2 million d'années.

Ce n'est pas un hasard non plus, si, comme vous n'aurez pas manqué de le remarquer, madame la ministre, puisque vous êtes russophone, le nom de Vostok, qui veut dire « en avant ! », est à la fois celui d'un des navires de Fabian von Bellingshausen, qui découvrit le continent Antarctique en 1820, et celui du programme spatial qui permit à Youri Gagarine d'être le premier homme dans l'espace.

Face à cet enjeu politique et scientifique, je regrette que la France n'ait pas encore pris conscience de ce qui se jouait aux hautes latitudes. Même en comparant notre pays simplement à l'Allemagne et au Royaume-Uni, force est de constater qu'il est le « grand » pays polaire qui dispose des moyens logistiques les plus faibles : il n'a pas de moyens aériens, ni de navire brise-glaces ; la base Dumont-d'Urville a besoin d'une urgente rénovation ; le budget de l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor, l'IPEV, est phagocyté par le financement du Marion Dufresne, par ailleurs excellent navire scientifique.

Quand nos partenaires allemands nous proposent de partager un nouveau brise-glace européen, l'Aurora Borealis, pour marquer la présence de l'Europe en Arctique et fortement contribuer à la construction de l'Europe scientifique, nous devons passer notre tour, faute de moyens budgétaires. Ce projet est pourtant conforme à nos ambitions, conforme au partenariat approfondi conclu avec l'Allemagne, conforme à nos intérêts aussi bien scientifiques qu'économiques, compte tenu des richesses minières de l'Arctique.

Le premier aspect que je voulais évoquer est donc clairement budgétaire. Que comptez-vous faire pour permettre à la France d'occuper toute sa place dans ces régions ? Quels moyens supplémentaires pouvez-vous mettre à disposition à cette fin ?

Le second aspect est plus politique. Il s'agit de la dimension européenne et de notre volonté de construire une « Europe polaire », comme nous avons bâti l'Europe spatiale. Notre pays a déjà fait beaucoup, car nous avons édifié deux piliers, l'un au Nord avec l'Allemagne, l'autre au Sud avec l'Italie.

Au Nord, nous avons fusionné notre station de recherche du Svalbard avec la station allemande pour créer une réelle synergie. Mais cette initiative manque toujours de reconnaissance politique. Comme je vous l'ai écrit, madame la ministre, vous marqueriez fortement les esprits en inaugurant officiellement et conjointement avec votre collègue allemande cette station commune non pas pour voir la glace fondre, mais pour signifier la place de la recherche et la dynamique européenne.

Le second pilier de cette dynamique européenne se situe au Sud, grâce à la station franco-italienne Concordia.

Il nous faut prendre conscience que quatre pays seulement appartiennent à l'un des clubs les plus restreints du monde, à savoir celui des pays ayant une station permanente au coeur du continent Antarctique : les États-Unis, la Russie, l'Italie et la France. Ces pays seront rejoints dans quelques années par la Chine.

Notre ambition ne doit-elle pas être, aujourd'hui, de conduire des coopérations croisées entre la France, l'Italie et l'Allemagne, au Nord comme au Sud, et de créer ainsi un véritable « moteur » de l'Europe polaire ? Comme pour l'Europe spatiale, cette dernière sera d'abord intergouvernementale. Elle a besoin de notre impulsion et de la vôtre, madame la ministre, pour exister et se développer. Au moment où, pour nos concitoyens, le projet européen est plus synonyme de réglementation sur le fromage au lait cru, de passage à l'heure d'été ou à l'heure d'hiver ou encore de TVA dans la restauration, n'est-ce pas une formidable opportunité ?

La France va prendre prochainement la présidence de l'Union européenne. Ces six mois sont l'occasion pour notre pays de prendre des initiatives et de lancer de nouveaux chantiers en matière de recherche, comme dans les autres domaines. Je souhaite vivement, madame la ministre, que l'une de ces initiatives soit en faveur de la présence de l'Europe aux pôles. Nos partenaires y sont prêts ; les circonstances le demandent ; les citoyens y adhéreront. Alors, n'attendons plus !

L'examen de nos partenariats européens et internationaux nous renvoie directement à l'organisation administrative de la présence française dans les régions polaires. La question se pose à plusieurs niveaux.

Il s'agit, tout d'abord, de la coordination politique de notre action. Force est de constater que la présence française aux hautes latitudes ne fait pas l'objet d'un pilotage unique au Nord et au Sud. Pourtant, nous y retrouvons les mêmes partenaires ou concurrents. Confier ce rôle à l'Institut polaire français est une option ; créer un poste d'ambassadeur en mission aux régions polaires en est une autre, qui permettrait d'unifier la présence de la France dans les instances s'occupant de l'Arctique et de l'Antarctique.

Au Sud, où se trouve l'essentiel de nos moyens, plusieurs intervenants interagissent : il s'agit principalement des Terres australes et antarctiques françaises, les TAAF, et de l'Institut polaire. La cohabitation est loin d'avoir toujours été simple. Force est de constater que les divergences ont pu être préjudiciables à notre action.

Le rapport a toutefois conduit à deux conclusions importantes. Il ne serait pas pertinent, tout d'abord, de revenir à la subordination de l'IPEV aux TAAF, aussi bien en termes scientifiques, politiques, que du point de vue des coopérations internationales. Cependant - c'est la seconde conclusion -, il serait souhaitable de favoriser une meilleure collaboration en rapprochant les objectifs, tout en séparant mieux les missions et les responsabilités.

Pour ce qui concerne la coordination de l'action scientifique, il est apparu que des progrès pouvaient être accomplis. Organisme de petite dimension et de création encore récente, l'IPEV n'a pas forcément atteint son équilibre. Le rapport a examiné toutes les options possibles de rapprochement, de fusion et, plus généralement, d'évolution. Ma conviction est que la solution d'un IPEV recentré et renforcé est la plus adaptée à nos besoins.

J'ai tout d'abord mis en lumière le risque que font peser le financement et la gestion du Marion Dufresne sur l'objet même de l'IPEV. À partir du moment où ce navire représenterait durablement plus de la moitié du budget, l'IPEV se transformerait progressivement d'institut polaire en institut gestionnaire d'un seul navire océanographique, d'autant que les dotations croissantes du ministère ne parviennent pas complètement à empêcher le phagocytage du budget.

Ce serait évidemment très grave et vous devez, me semble-t-il, madame la ministre, dès aujourd'hui réagir en prenant des décisions replaçant ce navire dans le contexte plus général de la flotte scientifique française et de la gestion des très grands équipements scientifiques, tout en prenant en compte son rôle particulier dans la desserte de souveraineté des terres australes françaises.

Un institut polaire recentré est un premier axe ; un institut polaire renforcé en est un second.

Il faut tout d'abord relever la pertinence du modèle d'agence de moyens, car l'IPEV n'est pas un institut de recherche disposant de ses propres laboratoires. Il a pour mission de mettre à la disposition de l'ensemble de la communauté scientifique nationale les moyens de poursuivre des recherches dans les régions polaires, car il n'y a pas, à proprement parler, de science polaire, mais il y a des recherches conduites en milieu polaire. Aucun laboratoire ne mène de recherches uniquement aux hautes latitudes. Au contraire, tous ceux qui y sont présents sont engagés dans une démarche thématique plus large, dans laquelle prennent place les recherches menées dans ces régions.

À ce titre, je crois que l'astronomie est le meilleur exemple de cette dynamique. L'Antarctique et la station Concordia tout particulièrement font sans doute partie des endroits du monde les plus adaptés pour l'astronomie et sont vraisemblablement supérieurs, sous certains aspects, aux grands télescopes du Chili et au moins complémentaires aux observations spatiales. C'est ainsi que des recherches du plus haut niveau mondial ont lieu actuellement en Antarctique sur les neutrinos stellaires et sur l'origine de l'univers au travers de l'étude du fond cosmologique. Nous avons une formidable carte à jouer, mais nous en sommes encore insuffisamment conscients !

Si l'Institut polaire est susceptible, sans tentation boutiquière, de fournir l'accès aux pôles, il n'est pas doté de tous les moyens nécessaires pour coordonner pleinement la recherche menée dans ces régions. Le rapport souligne, par exemple, qu'il est loin d'être seulement un pourvoyeur de moyens. En réalité, il procède à la sélection des programmes scientifiques. Mais il ne se voit pas reconnaître pleinement une mission de définition et de coordination d'une politique de recherche aux pôles.

Cette observation a une conséquence directe sur la coordination entre ce qui se passe dans les laboratoires en métropole et ce qui se passe sur le terrain. Aux hautes latitudes, en effet, l'Institut polaire fournit les moyens nécessaires, mais en métropole les laboratoires ne bénéficient pas toujours d'une programmation cohérente en termes de budget, de personnel ou d'équipement.

Normalement, en matière de formation à la recherche et de recrutement, l'Institut polaire n'intervient pas. Pourtant, c'est bien lui qui a la possibilité d'envoyer un jeune scientifique en hivernage ou en mission estivale. De même, c'est lui qui finance certains programmes où interviennent des doctorants. Enfin, je soulignais dans mon rapport que son équivalent américain disposait, quant à lui, des moyens financiers de recruter en post-doctorat de jeunes et brillants docteurs français, que l'on retrouve d'ailleurs, par vidéoconférence interposée, à la station pôle Sud !

Mon objectif n'est pas ici de reprendre l'ensemble des conclusions et préconisations du rapport, mais je crois nécessaire de souligner que les difficultés de coordination ont, au final, un impact direct sur notre crédibilité internationale et sur le niveau des recherches que nous sommes susceptibles de mener à bien.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je pense que nous devons prendre conscience des enjeux politiques et scientifiques des recherches en milieu polaire. Elles ont apporté et apporteront encore à l'avenir une contribution décisive à nos connaissances des changements climatiques et des risques que représente une perte de biodiversité pour nos sociétés.

Ces recherches ont changé et changeront notre manière de vivre et de voir le monde. Quelle place le Gouvernement leur fera-t-il dans sa stratégie nationale de développement durable ?

Comment comptez-vous prendre en considération les aspects stratégiques et politiques de ce qui se joue aux hautes latitudes ?

Comment comptez-vous permettre à notre pays de se donner les moyens de l'excellence scientifique ?

Quelles réformes entreprendrez-vous pour assurer un pilotage et une coordination efficaces de notre présence dans ces régions ?

Telles sont les questions qui sont devant nous.

Le grand navigateur anglais James Cook, qui fut le premier à franchir le cercle polaire austral et à réaliser une circumnavigation de l'Antarctique, n'avait cependant pas pu atteindre le continent. Il aurait déclaré à son retour : « Si quelqu'un a le courage et la volonté d'apporter une réponse à cette question en allant encore plus loin que moi, je ne lui envierai pas la gloire d'une telle découverte, mais je me permettrai néanmoins d'affirmer que le monde n'en tirera aucun profit. »

Eh bien ! c'est la beauté de la démarche scientifique et de l'aventure humaine que d'avoir montré son erreur !

Le 21 novembre 2005 - il y a donc tout juste deux ans - je rejoignais le grand continent blanc, celui des extrêmes, pour cinq semaines. J'ai vu ce que je viens d'évoquer, et je garde au plus profond de moi-même le regard des treize premiers hivernants que j'ai rencontrés sur la base Concordia. Ils venaient d'y passer neuf mois, totalement coupés du monde, au coeur de l'Antarctique, à quelques centaines de kilomètres de la base Vostok, que j'évoquais tout à l'heure. Ces pionniers, par leur expérience, nous ouvrent aujourd'hui un avenir scientifique de tout premier ordre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur Gaudin, de ce témoignage tout à fait passionnant.

La parole est à M. Raymond Couderc.

M. Raymond Couderc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis, au nom de notre groupe, de la qualité du débat ouvert aujourd'hui.

Dans l'enceinte du Sénat, le 1er mars dernier, a été solennellement prononcée l'ouverture de la quatrième année polaire internationale.

Les années polaires internationales n'ont pas seulement une valeur symbolique : elles permettent d'engager des actions scientifiques déterminantes. Elles sont nées du constat que l'observation du milieu polaire ne peut se faire efficacement que par le biais d'une coordination internationale.

Ainsi, en 1882, la première année polaire internationale fut consacrée à l'étude du climat et de la géophysique aux pôles. En 1932, la deuxième année polaire internationale permit d'accomplir des progrès dans les domaines de la météorologie, du magnétisme et de l'ionosphère. La troisième édition, en 1958, appelée « année géophysique internationale », impliqua soixante et un pays et fut probablement l'une des plus grandes expériences de coopération internationale dans le domaine scientifique.

Elle rencontra un tel succès qu'elle déboucha sur la signature du traité sur l'Antarctique, en 1959, qui réserve le continent antarctique à la science et aux seules activités pacifiques, dans l'intérêt de l'humanité tout entière.

La recherche en milieu polaire a donc bénéficié de la dynamique impulsée par les trois dernières années polaires internationales. Mais l'année polaire internationale qui vient de s'ouvrir est certainement d'une nature différente des précédentes.

Dorénavant, les travaux menés dans les régions polaires ont un enjeu majeur : comprendre l'actuel réchauffement climatique pour lui trouver des solutions. Les années à venir seront déterminantes pour la lutte contre le réchauffement climatique. Or les régions polaires sont les seules au monde qui peuvent nous raconter de manière précise l'histoire climatique de notre planète.

Les minuscules bulles d'air qui sont enfermées dans les glaces polaires nous racontent quand, comment et pourquoi l'environnement de la Terre a fluctué au fil des siècles et des millénaires. Elles sont les témoins des changements majeurs de climat et de la biodiversité, même s'il faut bien sûr y ajouter les pétoncles. On peut ainsi remonter à près de 850 000 ans dans le passé grâce aux informations contenues dans la glace de l'Antarctique.

Nous avons donc la chance de disposer sous les blanches étendues des pôles d'un patrimoine scientifique exceptionnel. Les forages en Antarctique ont démontré le lien extrêmement fort existant entre la température et deux gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone et le méthane. Ils ont montré que les concentrations actuelles de ces deux gaz sont survenues plus brutalement et sont supérieures à celles qui sont constatées dans les phases de réchauffement précédentes, ce qui laisse supposer l'impact de l'action de l'homme.

La recherche climatique dans les régions polaires doit être soutenue et développée, car elle conduira à de nouvelles découvertes importantes.

Les pôles sont également les témoins privilégiés du présent. Les températures moyennes arctiques ont crû près de deux fois plus vite que la moyenne mondiale au cours des cent dernières années. En trente ans, la superficie de la calotte glaciaire arctique a ainsi diminué d'un tiers.

Le pôle Nord subit donc déjà sévèrement les conséquences du réchauffement dans sa biodiversité et dans l'organisation des sociétés humaines qui l'habitent. La glace se faisant moins épaisse, la pêche et la chasse sur la banquise du Groenland ne se pratiquent plus aussi longuement qu'auparavant : deux mois à peine, contre six il y a encore une dizaine d'années.

Les modes de vie des populations autochtones s'en trouvent affectés. Les changements climatiques, en rendant plus accessibles les ressources des sous-sols, risquent de favoriser une course internationale aux richesses énergétiques et minérales dans ces régions, ce qui remettrait en cause les modes de vie et la culture de leurs habitants et entraînerait des conséquences géopolitiques non négligeables.

Aussi était-il important que la quatrième année polaire internationale inscrive pour la première fois dans ses objectifs de recherche l'étude des menaces pesant sur les populations autochtones.

Sur le plan de la biodiversité, plusieurs populations d'animaux ou de mammifères marins font l'objet d'un suivi sur le long terme, afin d'étudier leurs réactions aux variations de leur environnement. Les programmes abordent aussi la question de l'effet de la pollution sur l'écosystème fragile des pôles.

Je suis convaincu que nous devons absolument soutenir ces recherches et que notre implication passée nous y oblige. La France a en effet une très belle et très longue tradition de recherche dans les régions polaires depuis le xviiie siècle. Grâce à ses expéditions scientifiques et à ses explorateurs célèbres, tels que Dumont d'Urville, Charcot, ou, plus récemment, Paul-Émile Victor, la France peut se prévaloir d'une présence privilégiée dans les pôles et notamment au sud, en Antarctique.

La France y dispose de plusieurs bases scientifiques menant une activité d'observatoire mondialement reconnue, aussi bien dans les sciences de la vie que dans les sciences de l'univers. Nous devons nous montrer fiers de cet héritage et fidèles à cette tradition d'exploration.

Car si la présence française dans les terres polaires est l'héritage d'une histoire, elle confère également à notre pays la responsabilité de préserver ces écosystèmes uniques. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a pris sa place dans la préparation de l'année polaire en demandant à notre confrère Christian Gaudin de rendre un rapport sur les enjeux de la recherche aux hautes latitudes.

Je me fonderai sur les propositions de cet excellent rapport pour exprimer, madame la ministre, notre souhait de voir renforcer la position de la France dans ses activités de recherche polaire. Je ne reprendrai pas l'ensemble des propositions qui viennent d'être exposées, mais je soulignerai certains points qui me semblent essentiels.

Tout d'abord, j'insisterai sur la nécessité de développer notre présence en Arctique, tout en maintenant un positionnement fort au sud. En effet, il existe une logique imposant à certains thèmes d'être traités dans les deux pôles et, de plus, certains partenariats demanderaient à être poursuivis au nord. J'ajouterai surtout que les principaux enjeux politiques et économiques liés au changement climatique se situent en Arctique.

Au sud, il faut renforcer notre soutien financier aux équipes de recherche, qui doivent rester au plus haut niveau international alors que la concurrence se fait plus forte. Ce soutien doit notamment prendre en compte les besoins logistiques de nos équipes, car on peut constater une faiblesse de nos bases en matière d'équipements, notamment pour ce qui est des moyens de déplacement et des locaux.

La rénovation de la base Dumont d'Urville devient urgente, et il est globalement nécessaire d'accroître les moyens financiers de l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor. Je pense que celui-ci pourrait se voir confier la mission de définir les grands axes de recherche.

J'ai évoqué tout à l'heure l'importance d'une coopération internationale en matière de recherche. Je souhaiterais, madame la ministre, connaître votre point de vue sur le développement d'une coopération au niveau européen, et notamment sur la constitution d'un triangle France-Italie-Allemagne sur les questions polaires.

Au coeur de l'Antarctique, la station Concordia bénéficie de conditions d'observation de l'espace uniques au monde, qui en font potentiellement l'un des meilleurs sites astronomiques sur terre. Il faut donc définir une stratégie de développement lui permettant, dans un premier temps, de démontrer ses capacités, avant de développer un projet de plus grande ampleur. Le rapport de Christian Gaudin souligne la nécessité de réfléchir à sa complémentarité avec la base Dumont d'Urville, située sur la côte. Je souhaiterais savoir quelle est la stratégie envisagée sur ce point.

Je conclurai en soulignant la nécessité de communiquer davantage sur la recherche en milieu polaire. Une meilleure compréhension des phénomènes et de leurs causes doit mener à une réelle prise de conscience du rôle de la recherche, bien sûr, mais aussi et surtout des changements de comportement et de société nécessaires pour relever le véritable défi qui nous est aujourd'hui lancé.

Il faut encourager nos jeunes à entreprendre des études scientifiques. La recherche polaire, qui permet de découvrir un monde fascinant et extrême, est le sujet idéal pour susciter des vocations.

Je souhaite saluer la communauté des chercheurs, explorateurs et scientifiques qui étudient avec passion et rigueur les régions polaires et unissent leurs voix pour nous alerter depuis des années sur les risques que nous courons. Sachons les écouter et pensons aux générations futures en donnant à ces personnes les moyens de poursuivre leurs recherches. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question de notre collègue Christian Gaudin, bien qu'il s'agisse de recherche en milieu polaire, est d'une brûlante actualité.

La semaine dernière, en Espagne, à Valence, les membres du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, ont une nouvelle fois alerté les dirigeants de tous les États du monde sur les conséquences « soudaines et irréversibles » du réchauffement climatique.

La recherche en milieu polaire est un apport essentiel à la connaissance de la biodiversité et de l'évolution du climat de notre planète. Elle permet de le reconstituer par modélisation, sur plus d'un million d'années, afin de montrer l'impact de l'homme sur son environnement et de comprendre ainsi les grandes tendances qui sont à l'oeuvre.

L'intitulé de l'un des chapitres de l'excellent rapport de notre collègue, élaboré au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, en résumait bien la problématique : « Comprendre les climats anciens pour comprendre le futur du climat ».

Insister sur l'importance de la recherche en milieu polaire, c'est aussi poser la question de la nécessaire articulation entre le développement durable et la recherche fondamentale de long terme.

À cet égard, l'un des enseignements que l'on peut tirer du débat public et des mesures annoncées lors du Grenelle de l'environnement, bien que de nombreuses interrogations pèsent sur leur financement, c'est que le diagnostic établi sur la dégradation de notre environnement et les décisions à prendre pour y remédier ne sauraient exister sans les connaissances scientifiques produites par les chercheurs.

Cependant, dans ce rapport, eu égard aux enjeux, a aussi été implicitement soulignée la sous-estimation de l'importance de cette recherche spécifique par les pouvoirs publics et, il faut bien le reconnaître, par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis une vingtaine d'années.

Il ne s'agit pourtant pas que de moyens financiers, encore que ceux-ci soient tout de même la traduction d'une volonté politique.

Les grandes nations - les États-Unis, bien sûr, mais aussi la Russie, la Chine, l'Allemagne, le Royaume-Uni ou bien encore l'Italie - sont fortement présentes sur les deux pôles. C'est un impératif pour tout pays qui veut asseoir sa puissance et développer ses capacités scientifiques.

Quant à la France, sa présence n'est à la hauteur des enjeux stratégiques de ces régions ni en matière de recherche sur les évolutions climatiques, si décisives pour son avenir, ni en termes de développement d'activités économiques nouvelles.

C'est ce qui explique que nos moyens financiers soient insuffisants pour assumer totalement nos responsabilités, assurer un parfait fonctionnement de nos bases et préserver l'excellence de nos personnels.

C'est aussi ce qui explique quelques difficultés de coordination entre les ministères chargés de ces questions, ainsi qu'un manque de ligne directrice claire en matière de coopération internationale, européenne en particulier.

Madame la ministre, toutes ces questions vous sont posées alors que votre budget n'accorde pas à la recherche le soutien significatif qu'elle serait en droit d'attendre.

À l'heure où Albert Fert, notre récent prix Nobel de physique, s'inquiète du nouveau mode de financement de la recherche que vous voulez mettre en place, nous souhaitons que vous nous apportiez des réponses concrètes sur les moyens que vous êtes décidée à consacrer à ce domaine si particulier de la recherche en milieu polaire. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord remercier le Sénat d'avoir inscrit à l'ordre du jour réservé cette question orale avec débat de M. Christian Gaudin. Je rends hommage au travail de ce dernier, qui, avant même de susciter ce débat, avait publié, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, un rapport remarqué sur l'année polaire internationale.

Avant d'aborder le fond du débat, je souhaite répondre aux interrogations de M. Le Cam sur le budget de la recherche cette année.

Monsieur Le Cam, si vous aviez accepté l'invitation que j'ai envoyée à tous les sénateurs de venir à mon ministère, mardi dernier, rencontrer Albert Fert, vous auriez entendu le discours de ce dernier, qui n'est pas exactement celui que vous venez de tenir : il reconnaît les mérites d'une recherche sur projets et la légitimité d'une politique et d'une stratégie dans le cadre des grands organismes ; il souhaite également voir muscler la recherche partenariale et que les entreprises privées investissent davantage dans l'innovation et la recherche.

M. Christian Gaudin. Très bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Or ce sont les quatre piliers de notre stratégie de recherche pour 2008 : des universités puissantes et autonomes, grâce à la réforme qui est en cours, des organismes de recherche d'excellence correctement évalués par une agence d'évaluation, une recherche sur projets dynamique - c'est le budget de l'Agence nationale pour la recherche -, et une recherche privée elle aussi dynamisée, grâce à tout l'argent qui va être consacré au crédit impôt recherche.

Au total, le budget de la recherche est en augmentation de 934 millions d'euros pour cette année, ce qui est bien au-delà des objectifs fixés par le pacte pour la recherche de 2006.

M. Christian Gaudin. Tout à fait !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Car le Président de la République, le Premier ministre et les parlementaires ont décidé de faire de la recherche, de la connaissance et de l'université des priorités ; la connaissance est le moteur d'une croissance durable et elle contribue à la promotion sociale de tous nos enfants.

L'année polaire internationale est indiscutablement un sujet passionnant et stratégique, car, en rassemblant la communauté scientifique internationale autour de programmes ambitieux, coordonnés au niveau mondial, elle donne l'impulsion nécessaire à l'avancée des connaissances sur les régions polaires.

Dans ces régions se trouve en effet une partie des réponses aux questions que l'ensemble de la planète se pose sur l'évolution de son environnement : le climat, la fonte des glaces, ou encore le trou dans la couche d'ozone.

Pour cette quatrième année polaire internationale, cent vingt-cinq ans après la première et cinquante ans après la dernière, un premier bilan très positif peut être dressé.

L'Agence nationale de la recherche aura soutenu jusqu'à présent vingt projets, pour un montant total de 8,8 millions d'euros, auxquels il faut ajouter les projets directement financés soit par l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor, soit par l'Institut national des sciences de l'univers, soit par les deux. Avec les contributions du CNES, le soutien aux activités scientifiques des équipes françaises à l'occasion de l'année polaire internationale se monte à quelque 15,5 millions d'euros.

La France figure donc, et je m'en félicite, parmi les contributeurs les plus importants aux activités scientifiques en milieu polaire.

Par ailleurs, il convient de souligner qu'aucun domaine de recherche n'a été oublié : toutes les disciplines scientifiques sont concernées, des sciences humaines et sociales aux sciences biologiques et aux sciences de l'univers, en particulier l'astronomie.

L'année polaire internationale, c'est aussi l'opportunité de développer un dialogue direct entre les scientifiques et le public autour de problématiques qui concernent le futur de nos sociétés et d'intéresser les jeunes aux études scientifiques. Un effort particulier est accompli par l'Agence nationale de la recherche, qui abonde jusqu'à 5 % les projets labélisés « année polaire internationale », afin de financer des projets de vulgarisation scientifique.

Ces actions de communications ont été confiées à l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor, ce qui est l'occasion pour moi de souligner la coordination exemplaire entre organismes de recherche, qui contribue aussi à la réussite de cette année polaire internationale.

Ce succès n'est finalement que peu étonnant : il s'inscrit dans la longue tradition de la recherche polaire française, mais il traduit aussi un renouveau des générations de chercheurs fondé sur l'excellence, les équipes françaises se « plaçant » dans plus d'un quart des projets labélisés par le comité de l'année polaire internationale.

Cette excellence française prend parfois la forme incongrue d'une coquille de pétoncle, comme l'a rappelé M. Christian Gaudin, et comme j'ai pu personnellement le vérifier le 26 octobre dernier, en visitant les laboratoires de l'IFREMER, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, et ceux de l'IUEM, l'Institut universitaire européen de la mer, situés à Brest. C'est dans ces laboratoires que des équipes françaises et internationales de chercheurs viennent étudier la composition de la coquille de pétoncle à l'aide de lasers et de spectromètres, afin d'en déduire directement les évolutions passées du climat.

Nous savons désormais, vous et moi, que la coquille Saint-Jacques et sa cousine australe présentent, en plus de leur qualité gustative, une grande valeur scientifique, mais pouvoir tirer des enseignements de ces recherches nous oblige à relever deux défis.

Le premier est celui de l'organisation de la recherche nécessaire afin de permettre les découvertes futures et l'avancement de la connaissance.

Ma vision sur le sujet est parfaitement claire. Je l'ai dit, notre stratégie de recherche repose sur quatre piliers : des universités puissantes et autonomes, des organismes menant une politique scientifique d'excellence, une recherche sur projets dynamique et, enfin, une recherche privée plus active.

Ces quatre piliers, qui bénéficieront de l'expertise de l'agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, sont complémentaires.

Le pétoncle austral est un excellent exemple de la bonne coordination qui doit exister entre les opérateurs de recherche et les agence de moyens - l'INSU et l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor - pour faire émerger l'intérêt d'une thématique interdisciplinaire alliant des modèles biologiques aux applications portant sur le sujet beaucoup plus général qu'est la modification du climat.

Le second défi que nous devons relever est celui du lien qui unit la science et la société, ce lien qui permet la transmission des savoirs scientifiques aux citoyens mais, surtout, qui aide à la décision des pouvoirs publics et des acteurs économiques.

De ce point de vue, le cas du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix, est exemplaire par la démarche et la légitimité qu'a su établir ce groupe d'experts.

Les différents scénarios d'évolution du climat élaborés par le GIEC éclairent aujourd'hui l'ensemble des décisions publiques ou privées, nationales et internationales, de prévention des effets des changements climatiques et, bientôt, nous l'espérons - c'est l'une des conclusions du Grenelle de l'environnement - d'adaptation à ces changements climatiques.

Les travaux du GIEC sont encore l'occasion de réaffirmer l'excellence de la recherche française en milieu polaire.

Est-il besoin de rappeler la part prépondérante prise par les scientifiques, techniciens et logisticiens français dans les travaux du forage glaciaire profond, le projet européen EPICA, qui a permis de recueillir les échantillons de glace les plus anciens au monde, nous révélant 800 000 ans d'histoire climatique ? C'est l'un des socles des travaux du GIEC.

Nous pouvons d'ailleurs être fiers du prix Nobel de la paix obtenu cette année par le GIEC, car il récompense aussi la contribution des chercheurs français au sein du groupe d'experts, notamment celle de Jean Jouzel, glaciologue et spécialiste du réchauffement climatique, médaille d'or du CNRS en 2002.

M. Christian Gaudin. Très bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Cette qualité est aussi démontrée par les standards scientifiques internationaux des publications, qui placent notre pays au cinquième rang mondial sur l'Antarctique et au premier rang mondial sur le Subantarctique, devant les États-Unis. Le fait est assez rare pour qu'on le fasse savoir !

Cependant, le changement climatique n'est pas le seul grand thème sociétal actuel. La biodiversité et l'écotoxicologie sont aussi au coeur des préoccupations des citoyens, comme en témoigne le Grenelle de l'environnement, et en prise directe avec la notion de développement durable.

C'est pourquoi il est d'autant plus important que la recherche qui est conduite dans ces zones polaires fragiles soit non pas une recherche opportuniste, mais une recherche qui soit confrontée à celle qui est menée ailleurs. Je me félicite, d'ailleurs, monsieur le sénateur, que vous ayez utilisé la notion de « recherche en milieu polaire » et non celle de « recherche polaire ».

L'excellence de la recherche française en milieu polaire c'est aussi une agence de moyens, rompue à la logistique de ces milieux extrêmes : l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor.

Avec ses moyens, l'Institut développe des programmes de recherche de premier plan appuyés sur une technologie et une logistique polaire uniques.

Conscient de la qualité de cet Institut et de la priorité des recherches en milieu polaire, le ministère a décidé pour 2008 une augmentation de 5 % du budget qui lui est alloué, augmentation qui se rajoute à l'effort réalisé au cours de l'année polaire internationale et qui démontre définitivement l'intérêt de l'État pour la recherche en milieu polaire.

Il faut souligner que seule la mise en commun des moyens nationaux permet d'organiser des campagnes de grande envergure dans des milieux extrêmes et de dresser un véritable état des lieux dans des domaines en évolution rapide.

En ce qui concerne le navire Marion Dufresne, permettez-moi avant tout de féliciter les équipes de l'IPEV, qui mettent en oeuvre avec efficacité ce grand bâtiment plus de deux cents jours par an.

M. Christian Gaudin. Tout à fait !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Doté d'équipements scientifiques uniques au monde, ce fleuron de la flotte européenne devrait désormais avoir sa place dans un dispositif national de la flotte.

À l'avenir, l'inscription d'une ligne budgétaire dédiée à ce type de très grands investissements de recherche devrait permettre d'assurer le fonctionnement du Marion Dufresne avec plus de sérénité, comme vous l'avez demandé, monsieur le sénateur, tout en n'empiétant pas sur la vocation première de l'IPEV, qui s'inscrit dans le développement des recherches françaises en milieu polaire.

M. Christian Gaudin. Très bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Par ailleurs, les enjeux concernant les moyens de recherche océanographique amènent à envisager la création, dès 2008, d'un comité stratégique de la flotte océanographique rassemblant l'ensemble des acteurs. L'avenir du Marion Dufresne II sera l'un des premiers sujets de réflexion de ce comité.

La recherche en milieu polaire est par essence internationale, car les territoires sont internationaux et les milieux extrêmes.

Je réaffirme donc avec force qu'il ne peut y avoir de recherche en milieu polaire isolée, au risque de se transformer en aventure hasardeuse. Je crois que vous êtes le seul sénateur, monsieur Gaudin, à avoir fait le voyage en Antarctique.

M. Christian Gaudin. Le seul parlementaire !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Cette recherche, comme toute recherche de pointe, se doit d'avoir une organisation solide, être fondée sur l'excellence scientifique et être pensée dans un cadre européen.

La France, par le biais de l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor, avec le fort soutien de ses partenaires allemand et italien, a pris l'initiative de la constitution d'un ERA-NET, c'est-à-dire un réseau au sein de l'Espace européen de la recherche, baptisé « EUROPOLAR », qui regroupe dix-neuf pays, y compris la Russie, et vingt-cinq institutions. Bénéficiant d'un soutien significatif de l'Europe, ce projet jette les bases de ce qui pourrait devenir l'Entité polaire européenne. Après avoir effectué l'inventaire des forces européennes, le Consortium, présidé par le directeur de l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor, M. Gérard Jugie, s'attache désormais à définir les objectifs d'une telle institution.

La France a toute sa place dans cette future institution européenne et en constitue d'ores et déjà l'un des éléments prépondérants, puisqu'elle dispose d'une base commune en Arctique avec l'Allemagne et d'une base permanente partagée avec l'Italie au coeur du continent Antarctique.

Monsieur Gaudin, comme vous me l'avez suggéré, j'irai d'ailleurs inaugurer officiellement, avec mon homologue allemande Annette Schavan, la station franco-allemande du Spitzberg, dès le printemps prochain, ce qui coïncidera avec la fin de la nuit polaire.

M. Christian Gaudin. Très bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. De plus, l'association entre l'Italie et la France pour bâtir et gérer une station commune en Antarctique est régulièrement citée en exemple par les parties contractantes au traité sur l'Antarctique non seulement pour les bonnes pratiques de partage des installations que ce dernier inspire, mais aussi en raison des exigences purement scientifiques qui ont été et qui sont toujours aujourd'hui à la base du projet Concordia. Nos amis allemands nous ont d'ailleurs demandé de pouvoir prendre part à cette aventure. Nous sommes en train d'en discuter avec nos partenaires italiens.

La présidence française de l'Union européenne, au second semestre 2008, sera évidemment l'occasion pour moi de renforcer la dynamique européenne en ce qui concerne ce type de recherches.

M. Christian Gaudin. Très bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Au-delà du simple aspect de la connaissance, il me paraît aussi important de rappeler ici que l'exploration scientifique polaire s'inscrit dans des enjeux stratégiques cruciaux pour notre pays.

Le premier enjeu est celui de la souveraineté sur des ressources potentielles considérables.

Il s'agit, d'une part, de la souveraineté maritime, qui fait l'objet du programme d'extension de notre zone économique exclusive, programme dénommé EXTRAPLAC, ce qui signifie extension raisonnée du plateau continental. La France, présente sur tous les océans du globe, est en mesure de formuler des revendications pour des surfaces très importantes, supérieures à un million de kilomètres carrés, devant la commission des limites du plateau continental des Nations unies avant le 13 mai 2009.

Il s'agit, d'autre part, de la souveraineté terrestre, sur des territoires fragiles qu'il nous faudra exploiter de manière raisonnée et sur lesquels nous devrons faire respecter les lois de la République et les traités internationaux.

Le second enjeu est celui de la biodiversité.

En termes de biodiversité et d'écosystèmes spécifiques, il me semble important de rappeler que la France est la seule grande puissance économique et scientifique à disposer d'un privilège unique au monde. Elle a en effet à sa disposition un gradient d'implantation original, allant de l'Équateur aux hautes latitudes, passant du Subantarctique, c'est-à-dire les îles Australes, à l'Antarctique côtier, avec, plus récemment, l'implantation au sein du continent de la base franco-italienne. Ce gradient climatique et biogéographique est évidemment un atout majeur pour nos chercheurs.

Tous nos territoires, en particulier les Terres australes et antarctiques françaises, ont un rôle majeur à jouer. Il y va de notre capacité à répondre aux interrogations de la société sur le climat ou, encore, sur la biodiversité.

J'appelle d'ailleurs de tous mes voeux la mise en oeuvre des recommandations du comité consultatif d'IMoSEB, qui est un réseau des réseaux de chercheurs en matière de biodiversité, et la création, à partir dudit comité, d'un groupe intergouvernemental d'experts sur la biodiversité, à l'image du GIEC.

Pour terminer, je voudrais vous remercier, monsieur Gaudin et, plus généralement, tous les membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, du travail remarquable accompli année après année.

Afin d'illustrer mon propos, je citerai les rapports récents de l'OPECST sur les biotechnologies ou encore sur les nanotechnologies, qui doivent plus que jamais nourrir le débat public actuel.

M. Christian Gaudin. Tout à fait !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Ce débat est trop souvent alimenté par des expressions passionnées et bruyantes, mais empreintes parfois - Albert Fert nous en parlait encore la semaine dernière - de peurs irraisonnées.

Permettez-moi aussi de souligner ce qui peut apparaître comme une évidence, mais qu'il est bon de rappeler dans une période où se pose la question du rôle des institutions : la mission de l'OPECST est essentielle au bon fonctionnement non seulement du Parlement, mais aussi de notre système de recherche. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Christian Gaudin. Très bien !

M. le président. Je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : proposition de résolution sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements (E 3587)
Discussion générale (suite)

MarchÉ vitivinicole

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements (n° 89).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements (E 3587)
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. Gérard César, auteur de la proposition de résolution, rapporteur de la commission des affaires économique. Mes chers collègues, voilà quelques semaines, au mois de juillet dernier, nous adoptions à l'unanimité, en commission des affaires économiques, une proposition de résolution que je vous avais soumise, portant une appréciation très critique sur la réforme de l'organisation commune de marché, OCM, vitivinicole.

Pourquoi donc réexaminer aujourd'hui un nouveau texte de ce type sur le même sujet ? La raison en est que la phase finale des négociations est en cours à Bruxelles et que le Gouvernement a besoin d'y être soutenu, tant les enjeux sont grands pour la filière et les rapports de force tendus entre la Commission européenne et les États membres, ainsi qu'au sein des États membres.

Revenons un peu en arrière, pour mieux comprendre la situation actuelle. L'Europe du vin traverse depuis plusieurs années une véritable crise : la montée en puissance des pays producteurs dits du « nouveau monde » et la diminution de la consommation sur notre continent engendrent des surproductions chroniques ainsi qu'une baisse des prix, et donc des revenus des producteurs.

Devant ce constat unanimement partagé, la Commission européenne a pris l'initiative, en juin de l'année dernière, de réformer l'OCM vitivinicole, qui date de 1999, afin d'adapter l'encadrement réglementaire du secteur aux évolutions qui l'ont marqué depuis une dizaine d'années.

Ces propositions de réforme d'inspiration très libérale - trop libérale, à mon avis -, qui vont à l'encontre de notre conception équilibrée de l'OCM, ont suscité de vives réactions d'hostilité. Pour notre part, nous avons adopté au mois de juin dernier, en commission des affaires économiques, le rapport d'information que j'avais présenté et qui était très critique à l'encontre de ce projet de réforme.

Après nous avoir assuré qu'elle avait entendu ces reproches, le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, Mme Mariann Fischer Boel, a présenté, au début du mois de juillet, une version révisée de ses propositions de réforme. Or celle-ci ne donnait toujours pas satisfaction, car elle ne revenait pas sur les points les plus fondamentaux de la réforme. En réaction, notre commission des affaires économiques a adopté, toujours au mois de juillet, une proposition de résolution réaffirmant notre hostilité au projet de réforme et contenant des mesures alternatives.

Fort de ce texte, adopté à l'unanimité, je me suis rendu plusieurs fois à Bruxelles, accompagné de mon collègue Roland Courteau. Nous avons rencontré les principaux acteurs du dossier : Mme Fischer Boel, sa directrice de cabinet, Mme Lene Naesager, le directeur général de l'agriculture et du développement rural au sein de la Commission européenne, M. Jean-Luc Demarty, ainsi que le rapporteur italien du Parlement européen sur le texte, M. Giuseppe Castiglione. Si ce dernier nous a semblé être en concordance avec les positions françaises sur la plupart des points abordés, les responsables de la Commission, au cours d'entretiens, nous ont confirmé, en revanche, leur réticence à l'égard de toute inflexion notable du projet de réforme.

Certes, nous avons relevé certaines avancées concernant l'obligation d'arrachage : celle-ci ne concerne plus que quelque 200 000 hectares, au lieu des 400 000 hectares prévus par Mme Fischer Boel. En revanche, sur des points aussi importants que la distillation de crise, les prestations viniques ou l'enrichissement, nos interlocuteurs ne nous ont pas semblé prêts à évoluer.

Plus récemment encore, nous avons reçu, dans le cadre du groupe de travail « vigne et vin » de la commission des affaires économiques, les responsables du suivi du dossier au sein du ministère de l'agriculture. Ils nous ont confirmé que les négociations en cours étaient extrêmement serrées entre la Commission, qui cherche autant que possible à préserver son projet de réforme initiale, et les États membres, lesquels défendent des positions très variables, allant de la libéralisation totale du secteur au maintien d'une véritable OCM, et n'hésitent pas à faire ou défaire des alliances - je ne vous apprends rien, monsieur le ministre -, selon les circonstances et les sujets abordés. Au milieu se trouve la France, qui continue de défendre, par votre voix, monsieur le ministre, le modèle d'organisation de marché équilibré et durable pour lequel nous avions plaidé dans notre rapport d'information.

Le souhait de la Commission européenne est aujourd'hui de parvenir à un compromis pendant la présidence portugaise, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année 2007, avec la mise en place rapide, dès la prochaine récolte 2008, de cet OCM. Cela implique que des concessions soient faites de part et d'autre. Dans cette perspective, il nous a semblé utile, et même indispensable, de soutenir les représentants français, et tout d'abord vous-même, monsieur le ministre, dans les discussions.

Tel est l'objet de la présente proposition de résolution, que nous examinons le jour même où la commission de l'agriculture et du développement rural du Parlement européen débat du sujet. Après avoir rappelé l'importance et la spécificité de la filière, qui commandent le maintien d'une OCM particulière, notre texte énumère des prescriptions autour de cinq axes.

Le premier axe est la gestion du potentiel de production.

S'agissant du volet « arrachage » de la réforme, la résolution prend acte de la réduction à 200 000 hectares environ des surfaces visées et reconnaît l'opportunité de maintenir un dispositif d'incitation à l'arrachage incitatif, fondé sur le volontariat et géré à l'échelon régional. Elle rappelle également avec insistance la nécessité d'une régularisation des dizaines de milliers d'hectares illicitement plantés, tant en Espagne qu'en Italie, qui constituerait d'ores et déjà une première réponse à la situation actuelle de surproduction.

Sur le volet « libéralisation des droits », nous nous opposons catégoriquement à l'ouverture des droits à planter, en tant qu'elle serait incohérente et totalement contradictoire avec la politique d'arrachage, et risquerait de provoquer de nouvelles surproductions, qui ne pourraient qu'être distillées... bien sûr aux frais de l'Europe.

Le deuxième axe concerne les mécanismes de régulation des marchés. Réaffirmant très clairement notre hostilité au projet de suppression des différents régimes de distillation, la proposition de résolution insiste sur l'attachement de notre pays à conserver des dispositifs permettant de prévenir et de gérer les périodes de crise, récurrentes dans la filière vitivinicole. Elle rappelle également avec vigueur le nécessaire maintien, sur financement en partie communautaire, d'un dispositif de prestations viniques, indispensable pour garantir des pratiques vitivinicoles durables, respectueuses de l'environnement, notamment du point de vue du tourisme et de la protection des nappes phréatiques.

Le troisième axe porte sur les enveloppes nationales. Notre texte prend acte du projet de la Commission d'affecter une partie significative du budget de l'OCM à l'abondement d'enveloppes dont la gestion serait réservée aux États membres. Il plaide pour un gel de leur répartition entre les États, conformément aux dernières propositions, positives pour la France, de la Commission, qui préconise une ouverture maximale des types d'utilisation de ces fonds.

Le quatrième axe concerne l'enrichissement. Profondément hostile à l'interdiction de la chaptalisation, le texte prévoit de maintenir cette pratique ancestrale dans les régions où elle est traditionnellement pratiquée, comme alternative à l'adjonction de moûts concentrés qui devraient continuer à être financés par l'Union européenne.

Le cinquième et dernier axe a trait à la promotion. Soulignant à nouveau la notoire insuffisance des crédits mobilisés à cet effet, tout particulièrement à l'échelon intracommunautaire, nous demandons, dans cette proposition de résolution, la création d'instruments de suivi du marché, la mise en place d'une campagne de promotion et d'information sur une consommation modérée, ainsi que l'ouverture de crédits pour reprendre des parts de marché dans les pays tiers concernés par nos exportations. Mme Fischer Boel avait proposé de consacrer 3 millions d'euros à la promotion du vin au niveau de l'Europe, somme ridicule et tout à fait insuffisante pour un marché qui représente 70 % de la consommation des vins européens.

Je disais, au début de mon intervention, que la viticulture européenne était en danger. J'ajoute, en conclusion, qu'elle n'en reste pas moins la première au monde en termes de production, de consommation et de prestige, et que nous pouvons conserver bon espoir de la maintenir à ce niveau d'excellence, dès lors que nous nous en serons donné les moyens, notamment financiers. La présente proposition de résolution, que nous avons adoptée à l'unanimité, ce matin, en commission des affaires économiques, après l'avoir enrichie grâce aux apports très opportuns de mes collègues Roland Courteau et Gérard Le Cam, tend à y contribuer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de l'OCM vitivinicole a lieu dans un contexte de crise particulièrement sévère pour nos viticulteurs. Nombre d'entre eux perdent jusqu'à 1 000 euros par hectare, certains optent pour l'arrachage, véritable crève-coeur, tandis que d'autres sollicitent le revenu minimum d'insertion, ou RMI.

Le moral est en perte de vitesse, dans nos régions, face à la violence de cette crise. Il faut en finir avec ce marasme. Il y va de la vie ou de la mort de pans entiers de notre économie et de nos territoires.

Pourtant, je l'affirme encore une fois, grâce à des efforts immenses de qualité, notre viticulture, dont les produits sont porteurs d'une image forte, a largement les moyens de ses ambitions. La diversité et la complémentarité de ses productions, l'image d'authenticité qui est la sienne, son ancrage dans de remarquables terroirs, comptent parmi ses meilleurs atouts. Ce ne sont pas mes collègues Bernard Dussaut, Marcel Rainaud, Robert Tropeano, Claude Domeizel, ou M. le rapporteur, Gérard César, qui me contrediront.

M. Bernard Dussaut. Je confirme !

M. Roland Courteau. Les causes de la crise sont connues : baisse de la consommation en France, diminution de nos exportations et, enfin, affaiblissement des mécanismes de régulation du marché de l'actuelle OCM vitivinicole.

Cette OCM a montré, en effet, toutes ses limites et son impuissance face à la crise actuelle. Une réforme en profondeur, qui corrigerait les faiblesses de l'actuelle organisation, s'avère donc indispensable.

Il est effectivement nécessaire, monsieur le ministre, de conserver pour la filière vitivinicole une véritable organisation de marché communautaire, spécifique et dotée d'instruments de soutien adaptés.

Je souscris donc aux propos de M. le rapporteur.

M. Gérard César, rapporteur. Je vous remercie !

M. Roland Courteau. La Commission européenne a, certes, fait des propositions de réforme, mais il s'agit de réformes à caractère ultralibéral, oserais-je dire, pour certaines d'entre-elles et sans aucune ambition pour les autres.

Le danger est là, et la copie doit donc être revue et corrigée.

Il arrive, d'ailleurs, souvent à l'Europe de faire fausse route. Comme me le faisait remarquer le président d'une grande confédération nationale, cela n'est pas sans rappeler que ce n'est qu'après coup que l'Europe, qui a, par le passé, encouragé et financé la friche dans les grandes cultures, découvre aujourd'hui que la production est insuffisante, ce qui provoque des hausses très importantes des prix des matières premières.

Point numéro un dans l'échelle des dangers des propositions de la Commission sur l'OCM vin, la libéralisation des plantations à l'horizon 2013 est bien une mesure à caractère ultralibéral, qui met en cause l'existence même des appellations d'origine et des indications géographiques.

Voilà aussi une proposition qui menace le secteur des vins de table. En effet, la liberté de planter conduira à des plantations massives dans les pays qui bénéficient de législations fiscale et sociale plus avantageuses.

Je persiste à dire qu'il nous faut assurer la maîtrise du potentiel de production et que cela passe par un encadrement des plantations. C'est une priorité absolue, et ce n'est ni négociable ni amendable !

M. Bernard Dussaut. Très bien !

M. Roland Courteau. C'est donc à un rejet clair et net que nous vous invitons, monsieur le ministre.

En effet, comment ne pas relever l'incohérence - sauf à penser qu'il s'agit d'un acte réfléchi de la Commission - qu'il y a à inciter, dans un premier temps, à l'arrachage de 200 000 hectares pour laisser, dans un deuxième temps, la liberté totale de planter ?

M. Bernard Dussaut. C'est incohérent !

M. Roland Courteau. Ainsi disparaîtront un grand nombre d'exploitations familiales, qui laisseront, à l'horizon 2013, toute la place à de grands groupes financiers. Serait-ce, in fine, l'objectif de la Commission européenne ?

Cette proposition est, si je puis dire, « du même tonneau » que celle qui, dans les premières esquisses de propositions, visait à autoriser la vinification des moûts importés ou le mélange de vins communautaires.

Je viens d'évoquer la question de l'arrachage. Elle m'interpelle sur un deuxième plan. Je considère, en effet, que la priorité aurait dû être donnée au règlement en urgence du dossier des 120 000 ou 150 000 hectares de plantations illicites.

Certes, monsieur le rapporteur, le directeur général de l'agriculture nous a bien dit, au cours de notre rencontre à Bruxelles, que le processus était engagé avec l'Espagne et devrait se poursuivre ensuite avec l'Italie, selon un certain nombre de modalités.

M. Gérard César, rapporteur. J'en doute...

M. Roland Courteau. Franchement, j'espérais mieux et plus vite, d'autant que ce dossier ne date pas d'hier.

S'agissant toujours de l'arrachage, j'insiste pour réaffirmer que cette mesure doit être non pas une fin en soi, mais un dispositif suffisamment encadré et intelligent pour éviter de trop grandes coupes dans notre potentiel de production.

Ce dispositif doit aussi être accompagné des outils nécessaires pour éviter la disparition des vignes en zone difficile, ainsi que le « mitage » des vignes et les atteintes aux paysages.

Par ailleurs, il est regrettable que la proposition que nous avons formulée auprès de la Commission européenne sur l'arrachage temporaire se soit perdue dans les sables.

On me dit enfin que l'arrachage, pour moi un véritable crève-coeur, peut aussi être un moyen d'accompagnement social pour des viticulteurs en difficulté. Certes, mais ne pouvait-on régler ce problème social par d'autres moyens que par la destruction d'une partie du potentiel de production, surtout lorsque l'on affiche l'ambition de rester le premier pays viticole du monde ?

L'accompagnement social peut aussi être conforté par des formules de préretraite d'un niveau autrement plus élevé que celles qui sont actuellement en vigueur. Mais, comme il s'agit d'un cofinancement, il faut que des crédits nationaux soient disponibles.

Je rappelle qu'une telle possibilité avait été proposée par l'Union européenne pour un montant de 18 000 euros par an, cofinancés à 50 % par l'Europe et à 50 % par les États membres. Pouvez-vous, monsieur le ministre, me préciser votre position sur cette question, qui mérite réflexion ?

Je veux également insister sur l'absolue nécessité de pouvoir s'appuyer sur un dispositif obligatoire de gestion de crise, complété, comme le suggère la proposition de résolution, par des instruments préventifs. Il importe, en effet, de disposer d'outils efficaces pour assurer, en cas de conjoncture difficile, l'équilibre entre l'offre et la demande, y compris par la mise en place d'outils de régulation de marché des interprofessions.

Vouloir supprimer de tels outils relève d'un calcul totalement erroné de la part de la Commission européenne. Cette dernière a-t-elle seulement réfléchi aux conséquences des surplus d'offre conjoncturels ?

Dire que ces mesures n'ont pas à être maintenues puisqu'elles ont été inefficaces par le passé, c'est ignorer que ladite inefficacité a souvent été la conséquence du caractère facultatif de la mesure et de son application, qui a presque toujours était trop tardive. Je pense, bien entendu, à la distillation de crise.

Nous avions d'ailleurs, monsieur le rapporteur, soulevé le problème en 2002, dans notre rapport sur l'avenir de la viticulture française.

M. Gérard César, rapporteur. Tout à fait !

M. Roland Courteau. Bref, monsieur le ministre, il faut absolument mettre en place un filet de sécurité pour faire face à des chocs conjoncturels parfois répétitifs.

Le calcul est tout aussi erroné pour ce qui concerne la suppression des financements viniques et des financements communautaires que propose la Commission européenne, qui semble privilégier la recherche d'économies au détriment de la prise en compte des exigences qualitatives et environnementales. Ces prestations viniques doivent être maintenues pour tenir compte de ces exigences.

Il est assez incroyable que l'on puisse oser dire, comme l'a fait la commissaire Mme Fischer Boel, que l'épandage des marcs et des lies peut constituer une solution !

Je souhaite insister sur un autre sujet, tout aussi inquiétant, celui de la libéralisation de l'étiquetage, sujet à propos duquel nous nous étions expliqués devant le directeur général de l'agriculture à Bruxelles.

La Commission européenne envisage de donner la possibilité d'utiliser, pour les vins sans indication géographique, la mention du cépage et du millésime afin de concurrencer davantage les vins des pays tiers sur le marché communautaire ainsi que sur le marché mondial.

Certes, il est nécessaire de rechercher et de développer des débouchés pour le vin communautaire, mais je considère que la proposition de la Commission aura un effet contraire à celui qui est recherché.

En effet, une telle mesure pourrait déstabiliser totalement la filière de production. Elle engendrerait la confusion dans l'esprit du consommateur, qui aurait toutes les difficultés à faire la différence, du fait de la mention du cépage et du millésime, entre les vins agréés et les vins sans discipline de production.

La lisibilité de l'étiquetage, déjà difficile, serait perturbée, le consommateur ayant du mal à faire la distinction entre un vin de pays avec indication de cépage, une AOC avec indication de cépage et un vin de table avec indication de cépage !

Certains professionnels n'hésitent, d'ailleurs, pas à dire qu'une concurrence déloyale serait ainsi créée entre deux types de produits disposant des mêmes possibilités d'étiquetage et de valorisation, alors que leurs conditions de production et d'élaboration sont totalement différentes, les uns respectant un cahier des charges qualitatif strict et les autres disposant de grandes libertés.

Je note également qu'une telle proposition ne pourra que favoriser l'apparition de mélanges de vins de différents pays de la Communauté avec indication de cépage, mais à la composition pour le moins incertaine...

Enfin, il y a fort à craindre que l'on n'ait une surproduction de vins de table avec indication de cépage, ce qui pourrait avoir pour effet mécanique de faire chuter les cours de tous les vins. On aurait alors un marché des vins de cépage à deux vitesses, c'est-à-dire à deux prix différents, et le risque serait grand que ce marché ne s'oriente vers celui qui serait le moins rémunérateur pour le producteur. Les producteurs de vins de pays estiment que l'on assisterait, si cette mesure était retenue, à la déstructuration de toute leur filière de production.

Certes, la Commission a raison de préciser qu'il existe, au niveau mondial, un développement de la consommation de vins, notamment de vins de cépage. C'est justement pour en bénéficier qu'ont été créés les vins de pays « vignobles de France », label qui confère un véritable standard qualitatif et assure une traçabilité certaine.

Je remercie à cet égard M. le rapporteur d'avoir bien voulu, ce matin, en commission, intégrer dans la proposition de résolution l'amendement que je proposais, visant à empêcher l'apposition de l'indication du cépage et du millésime sur les étiquettes des vins sans indication géographique.

Quant au régime de la chaptalisation, vous connaissez, monsieur le ministre, la position du Languedoc-Roussillon sur ce point : nous serions plutôt enclins à suivre, sur cette question, la Commission européenne, tout en faisant remarquer, entre autres raisons, que l'enrichissement par moûts concentrés rectifiés permettrait de retirer du marché national de 4 millions à 5 millions d'hectolitres de vin, ce qui, en période de surproduction, n'est pas négligeable.

J'ai cependant bien compris que, dans cet hémicycle, ma position n'était pas majoritaire sur ce dossier (M. le rapporteur, sourit), un grand nombre de mes collègues originaires d'autres régions considérant qu'il faut maintenir un régime ancré de façon traditionnelle dans de nombreux territoires viticoles.

M. Roland Courteau. Toutefois, au nom de l'équité, je demande le maintien des aides à l'enrichissement par moûts concentrés rectifiés.

M. Gérard César, rapporteur. Moi aussi !

M. Roland Courteau. Concernant l'abondement d'enveloppes nationales, il est absolument nécessaire que la clé de répartition soit maintenue. C'est également, selon moi, un point non négociable.

De même, les instruments finançables dans ce cadre doivent surtout concerner les actions de recherche et de développement, les mesures de modernisation de la filière - je préfère « modernisation » à « restructuration » - ou encore le soutien aux organisations de producteurs.

Sur ce dernier point, j'avais proposé à la commission des affaires économiques, en juillet dernier, un amendement portant sur une précédente proposition de résolution.

En effet, comme l'ont souligné des professionnels, « pour produire du vin demain, il faut améliorer notre capacité à vendre aujourd'hui ». Cela passe par un indispensable soutien aux investissements des entreprises, dans le cadre de véritables projets qui puissent redonner à ce secteur plus de compétitivité et plus de poids à l'exportation.

Autre sujet préoccupant : le transfert de compétences du Conseil vers la Commission en matière de pratiques oenologiques, par exemple l'étiquetage ou d'autres points aussi importants que ceux que je viens de citer, m'apparaît particulièrement dangereux, tant la question est décisive pour l'avenir de la viticulture européenne. Il est important, monsieur le ministre, que vous vous y opposiez.

Concernant la promotion intracommunautaire, je suis stupéfait de constater les sommes extrêmement faibles, pour ne pas dire ridicules, qui lui sont consacrées, soit environ 3 millions d'euros. Comment peut-on négliger à ce point un marché européen qui représente près de 80 % du marché mondial ?

Sur ce point aussi, nous nous rejoignons, monsieur le rapporteur, pour demander une revalorisation substantielle de ces financements, afin de mener, à l'échelle européenne, des campagnes de communication pour une consommation responsable et modérée.

La même remarque vaut pour les crédits proposés pour la promotion vers les pays tiers : des financements à hauteur de 120 millions d'euros, c'est trop peu - même si je note un incontestable progrès - pour aller à la reconquête des marchés, surtout si on les compare aux crédits consacrés à la promotion par différents pays du monde ; je pense, notamment, à l'Australie ou à l'Espagne.

Faut-t-il rappeler, en effet, que le salut de la viticulture française et européenne est à l'export, alors que la demande à l'échelle mondiale est en progression ? À l'horizon 2010, l'augmentation de la consommation sur dix ans sera, en effet, de 20 % aux États-Unis et de 20 % à 30 % en Russie ou en Chine.

À ce propos, comment ne pas saluer l'immense travail réalisé par la région Languedoc-Roussillon, qui vient d'inaugurer, à Shanghai, la Maison du Languedoc-Roussillon ? C'est la première région française - à ma connaissance - à y ouvrir une maison, afin de faire la promotion de ses vins et de ses produits durant toute l'année. Plusieurs grandes entreprises audoises du secteur viticole ont déjà signé des accords avec la Chine.

Dans le contexte actuel de crise, de telles initiatives, conjuguées à l'augmentation de la consommation mondiale, apportent une note d'optimisme : le marché vitivinicole demeure un marché d'avenir.

Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer le thème du vin et de la santé, que nous avons évoqué ce matin en commission. (M. le rapporteur approuve.)

Nous sommes convaincus qu'il faut mettre davantage l'accent sur les bénéfices pour la santé d'une consommation modérée et responsable de vin dans le cadre d'une alimentation équilibrée.

Ce point a été largement développé, en 2002, par la commission des affaires économiques dans son rapport sur l'avenir de la viticulture française. On peut y lire, en effet : « La diffusion de ce message apparaît opportune, d'une part, parce qu'il existe désormais un corpus d'études suffisamment fiables et, d'autre part, parce que les consommateurs apparaissent aujourd'hui disposés à entendre un tel message ».

Peut-être serions-nous bien inspirés de réaliser une expertise collective - c'est une proposition que je fais à la commission des affaires économiques - synthétisant les études relatives aux effets sur la santé de chaque type de boisson.

Les outils proposés par la Commission européenne ne permettront pas d'atteindre les objectifs de compétitivité, de qualité et de reconquête des marchés ; c'est ce que nous avons répété, avec Gérard César, devant la Commission européenne. C'est même le contraire qui pourrait arriver, avec un bouleversement des équilibres de la filière, si les propositions d'inspiration très libérale de la Commission européenne étaient maintenues en l'état.

Aux côtés de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal, la France se doit de jouer un rôle de leader pour constituer un front uni sur les points principaux de cette négociation.

Sur la base de cette proposition de résolution, nous soutenons M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Dussaut. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.

Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France serait-elle la France, sans sa diversité à laquelle nous sommes tous attachés ?

Sans doute est-ce l'une des raisons pour lesquelles le projet de réforme en profondeur du secteur viticole, présenté par la Commission européenne en juillet dernier, a soulevé un tollé général chez les viticulteurs.

Il est vrai que la plupart des propositions qui sont faites par Mme Fischer Boel, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, ne peuvent recueillir notre adhésion. Ce projet de réforme divise les vingt-sept ; il se heurte au refus de l'ensemble des pays producteurs, alors que les autres États membres souhaitent aller encore plus loin pour réduire le coût des crédits alloués à ce secteur par l'Union européenne.

Les propositions de la Commission européenne sont, en effet, fondées sur une analyse partiellement erronée de la situation de la filière vitivinicole, conduisant à des propositions mal adaptées.

Certes, l'augmentation des stocks européens est réelle, mais elle est liée davantage à une perte de parts de marché qu'à une baisse de la consommation. En effet, la consommation mondiale de vin a repris son ascension et augmente de l'ordre de 5 % par an. La nouvelle 0CM vitivinicole devrait donc non pas être axée sur une politique massive d'arrachage, mais plutôt sur une politique de communication, de promotion et d'accompagnement, pour une adaptation des produits aux consommateurs.

Si la nécessité d'une nouvelle réforme de l'OCM vitivinicole fait aujourd'hui consensus chez l'ensemble des acteurs de la filière à l'échelle européenne, la France, premier pays viticole de l'Union européenne, doit faire entendre sa voix pour s'opposer à un certain nombre de dispositions de la réforme qui vont clairement à l'encontre des intérêts de la viticulture française et européenne ainsi que des objectifs de compétitivité.

Face aux propositions de la Commission européenne, la commission des affaires économiques du Sénat a décidé d'établir un rapport d'information sur le sujet. Elle l'a confié à notre collègue Gérard César, président du groupe d'études de la vigne et du vin, à qui je tiens à rendre hommage pour l'important travail qu'il a réalisé, avec la grande compétence qu'on lui connaît.

En ma qualité de vice-présidente de ce groupe d'études, de représentante d'un département de viticulture, le Rhône, et aussi d'élue locale du Beaujolais, je veux, aux côtés de mon collègue Gérard César, plaider pour le maintien d'une OCM spécifique au secteur vitivinicole.

Les observations critiques et les propositions du rapport d'information sénatorial ont été soutenues par nos collègues devant la Commission européenne à Bruxelles, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, et ont permis d'entrevoir des possibilités de négociation sur certains sujets. Néanmoins, de nombreuses divergences d'approche ont été confirmées sur la majorité des éléments de réforme. C'est la raison du dépôt de la proposition de résolution que le Sénat s'apprête à adopter ce soir, qui réaffirme les positions françaises sur le projet de réforme de la Commission européenne, et à laquelle le groupe UMP apporte son entier soutien.

On ne peut pas dire que la Commission européenne n'ait tenu aucun compte des observations qui lui ont été adressées par le Sénat ; elle n'a cependant que très partiellement amendé ses propositions par rapport aux précédentes.

Ainsi, si l'on considère ses nouvelles suggestions sur l'arrachage, on observe que son ampleur est sensiblement réduite, l'objectif retenu passant de 400 000 à 200 000 hectares. Des outils sont désormais prévus pour éviter la disparition des vignes de coteaux, le mitage des vignes, l'atteinte aux paysages. La réforme paraît donc moins exclusivement orientée vers la réduction du potentiel de production ; c'est une satisfaction.

S'agissant de la promotion, pratiquement négligée jusqu'à présent, des moyens apparaissent désormais, mais il ne s'agit que de promotion collective, pas très efficace, si ce n'est en complément d'une meilleure structuration de la filière vers la commercialisation.

Si ces avancées sont louables, elles restent toutefois largement insuffisantes au regard des besoins de soutien des produits vitivinicoles européens et des objectifs fixés par la Commission européenne, celle-ci ayant motivé la réduction de certaines aides par sa volonté d'augmenter substantiellement les moyens alloués à la conquête de nouveaux marchés.

Avec les AOC, la France possède un immense atout commercial pour gagner des marchés dans le monde. Elles constituent la locomotive du système viticole français, fondé sur une longue pratique qui a permis, au cours des siècles, d'identifier les meilleures zones aptes à la culture de la vigne et les cépages les mieux adaptés. Il importe donc qu'elles soient reconnues et protégées.

Alors que le marché mondial du vin se développe, les vignerons français doivent avoir les moyens de faire connaître et apprécier leur travail, grâce à une politique nationale et européenne de soutien à la promotion et à l'éducation au vin sans commune mesure avec ce qui a été fait jusqu'à aujourd'hui, afin de pouvoir résister à la pression des lobbies agro-industriels mondiaux du vin.

Les crédits mobilisés pour la promotion dans le secteur du vin sur le marché intracommunautaire sont notoirement insuffisants et nous demandons leur revalorisation substantielle afin de mener, à l'échelle européenne, une campagne de communication pour une consommation responsable et modérée. Nous demandons également une revalorisation des crédits affectés à la promotion vers les pays tiers, ainsi que la possibilité de les utiliser en vue de financer directement des projets d'entreprises.

Par ailleurs, la Commission européenne ne propose plus de lever l'interdiction de vinifier des moûts importés, ni d`autoriser le coupage entre vins communautaires et vins non communautaires. Cette évolution significative fait suite, encore une fois, aux observations très pertinentes du Sénat

Il s'agit là de quelques sujets de satisfaction pour le Sénat, la commission des affaires économiques et le groupe sénatorial d'études de la vigne et du vin.

Malheureusement, plusieurs aspects des autres propositions définitives restent très préoccupants, et donc inacceptables pour la filière vitivinicole française.

C'est le cas, notamment, de la suppression du régime des droits de plantation à partir de 2013.

Cette dérégulation complète nous semble très dangereuse. Le système des droits de plantation est nécessaire et doit absolument être maintenu, sinon on s'acheminera très rapidement vers un déséquilibre du marché. Avec une dérégulation complète en 2013, on verra rapidement la production des nouveaux vignobles s'ajouter brutalement à celle des vignobles existants et l'on connaîtra une nouvelle crise de surproduction. De plus, on risque d'assister à une délocalisation des vignes pour profiter de la réputation de certaines zones.

Le deuxième sujet très controversé est celui de l'interdiction de la chaptalisation. L'enrichissement en saccharose constitue pourtant une pratique traditionnelle, quasi immémoriale, dans de nombreuses régions de l'Union européenne. Cette méthode, qui permet de doser très finement l'augmentation du degré d'alcool souhaité, entre dans le processus qualitatif. Son abandon conduirait à de substantiels surcoûts pour des producteurs déjà confrontés à d'importantes contraintes économiques et impliquerait d'y substituer un enrichissement par moûts concentrés, dont la majeure partie proviendrait d'autres pays que la France. Il ne paraît donc pas opportun de modifier la législation sur le sujet.

Enfin, il est impératif de conserver un filet de sécurité en cas de crise conjoncturelle, c'est-à-dire de garder un dispositif de distillation de crise obligatoire, complété par des instruments préventifs propres à amortir les chocs conjoncturels du secteur et les conséquences des aléas climatiques. La suppression de la totalité des distillations empêcherait la souplesse nécessaire liée à ces variations de production. Abandonner les instruments majeurs de gestion de la production viticole européenne relève d'une politique absurde.

Avec mes collègues, nous estimons totalement inopportun de vouloir supprimer l'ensemble des mesures de régulation du marché, qui plus est de façon brutale et radicale. Il n'est pas pensable de faire peser sur les exploitations des risques lourds et imprévisibles que des mécanismes de régulation des marchés adaptés permettent de prévenir.

Je voudrais, pour terminer, évoquer l'aspect environnemental, qu'il me semble important de faire valoir dans les négociations.

La Commission européenne veut supprimer le régime des prestations viniques, système obligatoire de traitement des sous-produits. Ce projet nous paraît en tout point critiquable. Ce mécanisme est, en effet, indispensable à la qualité et au respect de l'environnement : d'une part, il préserve la qualité des vins en évitant le sur-pressurage des raisins et la filtration excessive des lies ; d'autre part, il préserve l'environnement en évitant la dispersion dans la nature et dans l'atmosphère des sous-produits de vinification, qui sont très polluants. Ce dernier point est essentiel.

A l'heure où l'Union européenne s'oriente résolument vers des modes de production respectueux de l'environnement et qu'elle est en passe d'adopter une directive visant à garantir l'absence de pollution des sols, il serait pour le moins malvenu que la viticulture communautaire s'engage sur une telle voie. Mme Fischer Boel porte pourtant bien le titre de commissaire européen à l'agriculture et au développement durable...

Ainsi, le projet de réforme de la Commission européenne constitue, pour nous, une remise en cause des efforts du monde viticole, notamment français, en matière de qualité. Jusqu'au début des années quatre-vingts, les vins de table représentaient près de la moitié de la production de la région Rhône-Alpes. La récolte est aujourd'hui composée de 90 % de produits sous signe de qualité, dont 70 % en AOC, ce qui traduit bien la reconversion qualitative de l'encépagement engagé dans les principaux vignobles et l'évolution maîtrisée du potentiel de production dans les zones d'appellation.

Loin de résoudre la crise viticole, le projet de réforme de la Commission européenne risque de nous conduire au désastre économique, social et territorial. Les seuls bénéficiaires de cette réforme seront les pays producteurs du Nouveau monde, les sociétés de négoce international, la grande distribution et, sans doute aussi, les spéculateurs fonciers.

Mme Élisabeth Lamure. L'heure est grave. L'avenir de la viticulture française, de milliers de vignerons et de territoires entiers est en jeu.

Avant toute décision engageant la France sur le projet de réforme de l'OCM vitivinicole, nous vous demandons, monsieur le ministre de l'agriculture, de vous engager solennellement devant la Haute Assemblée à défendre tous les points de cette proposition de résolution devant la Commission européenne, et de vous battre pour une politique européenne du vin ambitieuse, tournée vers des mesures de développement et de reconquête des marchés, et non pas vers l'abandon de nos terres viticoles, de nos savoir-faire et de notre culture de la vigne.

Nous comptons sur votre détermination, dont évidemment nous ne doutons pas, pour infléchir la position communautaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est de rares occasions où les sénatrices et les sénateurs savent mettre leur énergie en commun afin de s'élever contre les graves atteintes de la politique libérale menée par la commission européenne.

La cause du Vin - avec un grand V - a su réunir nos forces.

Il faut dire que l'objectif de la réforme de l'OCM est d'introduire dans l'Union européenne un modèle vitivinicole industriel et productiviste, accompagné de techniques oenologiques correctives, et même reconstructives, qui contredisent largement l'exigence de qualité et de diversité des vins européens.

Ainsi, sous couvert de satisfaire les goûts des consommateurs et de mettre un terme à la crise vitivinicole, les instances européennes proposent de démanteler les dispositifs de régulation du marché et de libéraliser les pratiques oenologiques, afin de fabriquer un vin de masse, standardisé, sans identification géographique.

Le règlement communautaire est d'une étonnante clarté quant aux intentions de la Commission. Ainsi, le paradoxe, souligné par tous, qui tient à la poursuite de la politique d'arrachage, avec un système d'aides dégressif, au moment même où l'on envisage la libéralisation des droits de plantation à l'horizon 2013, répond, en réalité, à une logique effroyable.

Le dogme de la compétitivité s'impose à nos viticulteurs, alors que la qualité des vins, le savoir-faire et le lien entre le vin et son terroir - en un mot, tout ce qui a permis à nos vins de bénéficier d'une forte valeur ajoutée - se trouvent balayés d'un revers de main.

L'objectif de l'Union européenne est de sortir du marché à moindre coût, « dans la dignité », ceux qui ne sont pas compétitifs, et de permettre aux autres d'augmenter encore leurs surfaces de production vinicoles et leurs rendements.

Et ce n'est pas l'arrachage de 200 000 hectares de vignes, au lieu des 400 000 initialement annoncés, présenté par Marianne Fischer Boel comme un recul de Bruxelles, qui changera quoi que ce soit à cette réalité.

La réduction du potentiel de production constitue, en effet, une question délicate. Estimé à plus de deux millions d'hectolitres par an d'ici à 2010, le marché mondial du vin est porteur. Une politique d'arrachage systématique, considérée comme le dernier recours pour des viticulteurs exsangues qui n'auraient pas d'autre choix, risque donc de représenter une véritable démission face à la concurrence mondiale.

Ainsi, Mme Pascale Oriol, la directrice d'une fédération départementale de caves coopératives, expliquait : « Il faut être lucide. Les viticulteurs entament leur troisième année sans revenus ».

Le coût direct de cette politique représente plus de un milliard d'euros de fonds communautaires, sans parler des conséquences économiques, sociales, territoriales ou même environnementales induites. Quand ils auront touché leurs subventions et que leur potentiel de production aura diminué, que restera-t-il aux viticulteurs ? Aucune mesure d'accompagnement sur le long terme n'est prévue !

Alors que quasiment tous les vignobles du monde se développent, ceux des pays européens se sont réduits en 2006. En passant à 51,7 millions d'hectolitres prévus en 2006, contre 52,1 millions d'hectolitres produits en 2005, la France est le pays européen qui a le plus diminué sa production de vin.

Or, la consommation de vin dans le monde, notamment en Europe du Nord et dans les nouveaux États membres de l'Union européenne, a crû de 1,4 % en 2006, ce qui pose sérieusement la question d'une éventuelle sous-production d'ici à dix ans - je constate, d'ailleurs, que nous sommes unanimes à percevoir ce danger, devenu depuis peu une réalité pour des productions qui connaissaient des excédents voilà quelques années.

Toutefois, si le risque de sous-production ne doit pas être négligé, il serait désastreux pour l'environnement et les cours du vin de tomber dans l'excès inverse et de libéraliser les droits de plantation.

Dans sa proposition de résolution, la commission des affaires économiques prend très clairement position sur ces questions, et nous espérons que le Gouvernement français sera intransigeant s'agissant de la libéralisation des droits de plantation.

Dans son projet de règlement, la Commission européenne propose également de supprimer la quasi-totalité des outils de gestion du marché. Ainsi, les aides à la distillation des sous-produits viniques, qui visent à favoriser la qualité du vin en évitant le sur-pressage et à préserver l'environnement en assurant l'élimination de sous-produits très polluants, les aides à la production d'alcool de bouche et à la distillation des vins issus de variétés à double classement, les aides au stockage privé, ainsi que les restitutions à l'exportation ne seraient pas maintenues.

Nous approuvons la proposition de résolution de la commission des affaires économiques, qui estime nécessaire de conserver un dispositif de crise obligatoire. En effet, si les outils de gestion n'ont pas toujours fait preuve d'une efficacité structurelle, ils ont permis à de nombreux producteurs de traverser les crises.

En ce qui concerne la libéralisation des pratiques oenologiques, la Commission a toujours pour objectif d'aligner nos productions sur les pratiques viticoles et commerciales extracommunautaires, même si elle a dû abandonner en cours de route sa vieille idée qui consistait à autoriser les importations de moûts destinés à la vinification et l'assemblage de vins de l'Union européenne et de vins importés.

Pour les vins destinés à l'exportation, les restrictions applicables pour les pratiques oenologiques sont celles qui sont reconnues par l'Organisation internationale de la vigne et du vin, OIV. Si la référence qui est faite à cette organisation est plus rassurante qu'un renvoi à l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, il est important de noter que, même au sein de l'OIV, les exigences en matière de pratiques oenologiques ont été dangereusement revues à la baisse.

Toutefois, nous nous réjouissons de l'abandon du projet imaginé initialement, aux termes duquel les vins destinés à l'exportation auraient pu être fabriqués conformément aux pratiques oenologiques applicables dans le pays de destination.

S'agissant de cette dérogation pour les vins à l'exportation, nous restons très sceptiques, car nous craignons certains abus, des fraudes et, plus tard, la légalisation de fait de pratiques jusque là interdites.

Cela dit, il semblerait qu'une partie du monde viticole y soit favorable, notamment pour vendre à l'étranger un certain type de produits de moindre qualité.

Dès lors, il est fondamental, selon nous, que la dénomination « Vin » soit réservée aux produits issus de la fermentation de raisins frais et de moûts frais, respectant les pratiques oenologiques traditionnelles reconnues à l'échelle communautaire.

Pour promouvoir nos vins à l'échelon international, il est important d'interdire la vente de produits fabriqués sans contrainte, de manière industrielle et sous le même nom que des vins réalisés de manière classique.

Par ce biais, on pourrait anticiper certaines des difficultés qui ne manqueront pas de surgir avec les vins de fruits, les vins intercontinentaux, les assemblages de vins fractionnels et les vins aromatisés.

Nous avions déposé un amendement en ce sens en commission, mais nous ne l'avons pas maintenu, dans la mesure où il existe aujourd'hui une définition du vin dont nous tâcherons de faire en sorte qu'elle joue pleinement son rôle dans le règlement de ces difficultés.

M. Gérard César, rapporteur. C'est vrai !

M. Gérard Le Cam. En ce qui concerne l'interdiction de la chaptalisation, il est très difficile de prohiber l'ajout de sucre de canne ou de betterave dans le vin, qui constitue une pratique très ancienne, très répandue dans les vignobles du Nord et très difficile à contrôler. Néanmoins, il est essentiel de maintenir l'aide aux viticulteurs qui utilisent les moûts de raisins concentrés.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Gérard Le Cam. Enfin, la question de la détermination des pratiques oenologiques et de l'étiquetage doit relever de la compétence du Conseil européen.

En ce sens, nous nous félicitons que la commission des affaires économiques ait repris notre amendement visant à affirmer notre opposition à tout transfert de compétence. En effet, celui-ci reviendrait à abandonner entièrement ces questions à la Commission, qui disposerait alors d'un pouvoir d'initiative, d'élaboration des textes et de décision !

En conclusion, la réforme que propose la Commission dans son projet de règlement est dangereuse pour nos vignobles et nos vignerons. Ces derniers sont frappés par la crise vitivinicole et, pour certains d'entre eux, par la baisse chronique de leurs revenus. Or ces problèmes ne seront pas réglés par la promotion d'une viticulture de masse standardisée et concentrée dans quelques grandes exploitations, au contraire.

Il sera malheureusement très difficile pour la France de faire entendre sa voix face à une Commission européenne résolue et dévastatrice. Toutefois, qu'un consensus ait été trouvé au Sénat sur la nécessité de résister à cette politique nous rend optimistes quant à la défense d'une viticulture classique et de qualité.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vin est le produit d'une longue histoire et de nombreux savoir-faire. Il est habité par son lieu de production, il comporte une forte dimension intergénérationnelle et possède un pouvoir de sociabilité. C'est pourquoi nous ne devons pas accepter la disparition de ce produit et des centaines de milliers d'exploitations qui lui donnent sa richesse et sa diversité.

Il suffit d'écouter Baudelaire faire chanter « L'âme du vin » pour le comprendre :

« Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,

De peine, de sueur et de soleil cuisant

Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme ;

Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant ». (Bravo ! et applaudissements.)

M. Roland Courteau. Comme c'est beau !

M. le président. Mon cher collègue, merci de cette très belle conclusion !

La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le continent européen, leader mondial du secteur vitivinicole, jouit d'une réputation d'excellence dans ce domaine.

Couvrant environ 45 % des superficies viticoles de la planète, assurant en moyenne 59 % de la production mondiale de vin et représentant près de 54 % de la consommation mondiale en 2005, le secteur vitivinicole européen reste à la fois le plus grand exportateur et le premier importateur au monde, et continue d'apporter une contribution très positive au solde du commerce extérieur de l'Union européenne.

La France jouit elle-même d'une place à part en Europe : premier producteur mondial, elle est le pays de référence de la civilisation du vin.

Dans un essai intitulé Mythologies, Roland Barthes écrivait en 1957 : « Le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre, au même titre que ses trois cent soixante espèces de fromages et sa culture ».

C'est pourquoi il est indispensable de préserver notre capital vitivinicole, que celui-ci soit agricole, humain, économique et culturel - je dis bien préserver, et non conserver, car des adaptations sont indispensables, eu égard à la crise récurrente que traverse l'ensemble de la filière depuis quelques années.

Les causes de ces difficultés sont connues ; il s'agit de pratiques de consommation en pleine mutation, d'une baisse de la consommation en Europe, compensée par une hausse sur les nouveaux marchés, tels l'Asie ou l'Océanie, et d'une concurrence accrue des vins du nouveau monde.

Face à cette situation, qui est dramatique pour nombre de nos viticulteurs, il est indispensable de réformer l'outil d'accompagnement qu'est l'OCM vitivinicole. Cette dernière, instaurée en 1962, a été modifiée à plusieurs reprises. Son ultime révision, entrée en vigueur le 1er août 2000, a consolidé en un même texte l'ensemble des dispositions communautaires applicables au secteur. Elle visait à favoriser les restructurations et à réduire les soutiens au marché, qui avaient tendance à se transformer en aides permanentes.

Ainsi, deux voies ont été privilégiées.

Tout d'abord, la simplification des mécanismes de marché par la rationalisation des différents types de distillation, l'accroissement de leur transparence et l'introduction de plus de subsidiarité.

Ensuite, l'intégration d'un nouvel instrument visant à financer la restructuration et la reconversion des vignobles, afin d'orienter la production vers des débouchés plus rémunérateurs.

Toutefois, cette réforme n'a pas permis d'éviter certaines dérives, ce qui rend aujourd'hui indispensable une nouvelle adaptation des instruments.

Elle a échoué, en premier lieu, à prévenir un déséquilibre entre l'offre et la demande, en particulier à la suite d'une récolte importante. Ainsi, la stabilisation du vignoble communautaire n'a pas empêché une surproduction globale liée à la hausse des rendements dans certains États membres, et plusieurs millions d'hectolitres de vin ont dû être distillés durant les dernières campagnes.

L'OCM de 1999 n'a pas non plus favorisé la conquête de nouvelles parts de marché : les exportations européennes se contractent, alors que les importations de vins de pays tiers ne cessent d'augmenter. Le développement des marchés constaté à l'échelle internationale n'a donc pas profité aux producteurs européens, et ce parce que la compétitivité de notre secteur vitivinicole a stagné.

Les instruments de distillation, censés offrir des débouchés artificiels aux surplus de production, ont été dévoyés. En effet, les producteurs ont pris l'habitude d'y souscrire en fonction de l'écart entre le prix de la distillation et celui du marché et de s'en servir à plus long terme comme d'un débouché structurel pour leur production.

Ainsi - pour parler d'un vignoble que nous connaissons bien, Mme Lamure et moi -, alors que la saison du beaujolais nouveau bat son plein, je souhaite rappeler la situation dramatique de certains viticulteurs du Beaujolais : deux cents à trois cents exploitations se trouvent en difficulté et quarante sont à la limite de la faillite, et ce malgré le plan de sauvetage du Beaujolais et le plan d'arrachage et de soutien à la commercialisation et à la promotion mis en place par le département du Rhône, conjointement avec la profession. La sortie de crise est, aujourd'hui, difficilement envisageable.

Nous nous trouvons donc à la croisée des chemins. Toutefois, il faut garder à l'esprit que la réforme de l'organisation commune de marché conditionne l'avenir de la viticulture. C'est pourquoi le projet initial de réforme de l'OCM, proposé par la commissaire européenne, Mme Fischer Boel, le 22 juin 2006, était totalement inacceptable en l'état.

Après un an de négociations et de confrontations entre les parties prenantes, plusieurs avancées ont eu lieu, permettant à la commissaire européenne de présenter, le 4 juillet dernier, de nouvelles propositions notablement amendées.

L'arrachage reste volontaire et il serait limité à 200 000 hectares. Pour inciter les viticulteurs qui souhaitent se retirer, la prime serait supérieure la première année de 30 % aux niveaux actuels, puis dégressive pendant cinq ans.

Par ailleurs, les États membres auraient la possibilité d'aménager l'arrachage, « pour éviter des difficultés d'ordre social ou environnemental ».

La commissaire européenne à l'agriculture, Mme Fischer Boel, a également intégré dans son plan une politique de promotion, dont l'absence, dans ses premières propositions l'année dernière, avait été critiquée.

L'interdiction d'importer des moûts destinés à la vinification et de mélanger des vins européens avec des vins importés est maintenue.

La Commission européenne prévoit d'opérer des transferts de fonds du budget du développement rural en faveur de la viticulture, afin de développer plusieurs mesures : aide à l'installation de jeunes viticulteurs, aide à la commercialisation, aide à la formation, aide aux organisations de producteurs, aide à l'entretien des « paysages à valeur culturelle », retraite anticipée. Les régions vinicoles passant en paiement unique seront soumises à l'écoconditionnalité.

L'arrachage, la restructuration des vignes, la vendange en vert « devront satisfaire à des exigences minimales en matière d'environnement ».

Malgré la vive opposition des gouvernements et des organisations professionnelles, Mme Fischer Boel entend supprimer le régime des droits de plantation à compter du 1er janvier 2014, de manière à permettre aux viticulteurs compétitifs « d'accroître leur production ». Sont également prévues la suppression de la distillation de crise, de la distillation alcool de bouche, de la distillation des sous-produits, la fin de l'aide au stockage privé et l'interdiction de l'enrichissement par ajout de sucre.

Même si elles sont moins radicales que les précédentes, ces propositions ne peuvent nous satisfaire, ni apporter de solutions viables à nos viticulteurs.

Tout d'abord, on ne peut que souligner l'incohérence des propositions de la Commission européenne en matière de gestion du potentiel de production.

En effet, celle-ci suggère à la fois de réduire les capacités de production en procédant à un arrachage massif et de favoriser l'extension de ces capacités en supprimant le régime d'encadrement des droits à plantation et replantation. Il y a là une contradiction manifeste !

De plus, nous pouvons craindre que la libéralisation des droits de plantation ne soit néfaste à l'économie vitivinicole de chaque région et à l'organisation même de toute la profession. Dans les secteurs de vignes à appellation, elle pourrait ainsi conduire à des plantations sans contrôle et à des choix individuels là où, jusqu'à présent, la gestion collective avait toujours prévalu. Quant aux secteurs hors appellation, la fin du contrôle des plantations pourrait entraîner l'apparition d'un vignoble de vin de table en bordure de l'aire d'appellation.

C'est pourquoi je partage pleinement la position du rapporteur, auteur de cette proposition de résolution. Comme l'ensemble des membres du groupe UC-UDF, je suis fermement opposée à la libéralisation des droits à plantation et suis contre tout traitement différencié entre vins de table et vins d'appellation.

Je me félicite néanmoins des dernières avancées du comité spécial agricole du 5 novembre dernier, qui laissent espérer un compromis sur le futur régime d'arrachage agricole.

En ce qui concerne le régime des distillations, je suis là encore pleinement d'accord avec M. César...

M. Jacques Blanc. M. César est remarquable ! (Sourires.)

M. Gérard César, rapporteur. N'est-ce pas ? (Rires.)

Mme Muguette Dini. ...et la commission des affaires économiques : il me semble inutile, et même dangereux, de se priver d'un outil de régulation du marché. En effet, le secteur viticole est affecté par des aléas naturels et économiques très importants, qui font peser sur les exploitations des risques lourds et imprévisibles que des mécanismes de régulation des marchés adaptés permettent de prévenir.

Dès lors, plutôt que de supprimer cet instrument et de se priver ainsi de la possibilité d'agir sur les stocks en cas d'excédents conjoncturels, dont on peut craindre qu'ils ne soient amenés à se reproduire, il serait grandement préférable de réfléchir aux moyens de le réformer.

Au total, le coût des distillations est de 537 millions d'euros sur un budget vitivinicole communautaire de 1,3 milliard d'euros. Depuis vingt-cinq ans, 26 millions d'hectolitres de vin environ ont fait l'objet d'une distillation, soit une part moyenne de la production soumise à distillation de 15 %. De même, la distillation dite de crise a tendance à devenir monnaie courante, alors qu'elle ne devrait être qu'exceptionnelle.

Il est donc indispensable de renforcer l'aspect préventif de la distillation et, surtout, de la rendre obligatoire, afin de renforcer son efficacité.

Toutefois, la distillation ne doit pas constituer l'unique mécanisme de gestion des excédents. C'est pourquoi vous proposez, monsieur César, dans votre excellent rapport, toute une palette de mesures auxquelles je souscris pleinement.

En ce qui concerne la politique de la qualité, il est indispensable que la définition des appellations d'origine et des indications géographiques soit modifiée pour garantir l'obligation de vinifier des vins dans l'aire de l'appellation et maintenir un lien fort avec le terroir.

Il faut également mettre en place, par le biais de l'étiquetage, une distinction claire entre les vins d'appellation d'origine protégée et d'indication géographique protégée, qui ont des contraintes de production très strictes, et les autres vins.

Il importe, ensuite, que les vins d'appellation d'origine existants soient automatiquement reconnus, enregistrés et protégés comme indication géographique, afin que l'équilibre historique du système viticole français soit préservé.

Enfin, il est nécessaire d'instaurer une politique de reconquête des marchés ambitieuse, notamment dans les marchés émergeants dont le potentiel se développe rapidement. Pour cela, la filière vitivinicole a besoin de moyens plus importants pour connaître ces marchés et y déployer des stratégies de communication et de promotion.

Pour conclure, je tiens à féliciter M. César de son initiative et à lui dire combien je m'en réjouis. J'espère, monsieur le ministre, que, à l'issue du vote de cette proposition de résolution par le Sénat, que je souhaite unanime, vous serez conforté dans votre position lors des prochaines échéances qui vous attendent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Madame Dini, je suis conforté dans ma position avant même le vote de ce texte et je ne doute pas de l'être encore plus après ! (Sourires.)

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer par saluer le travail du Sénat sur cette question.

Je n'en suis pas étonné. En effet, le temps n'est pas si lointain où je faisais partie de la Haute Assemblée ; j'ai donc pu mesurer à cette époque la précision, la compétence, le scrupule dont elle fait preuve dans le suivi tant de l'action du Gouvernement - assumant ainsi la fonction de contrôle qui incombe au Parlement - que de la politique de la Commission européenne, organe exécutif européen aux côtés du Conseil européen et du Parlement européen, ce qui est très important,. Je le mesure aujourd'hui en tant que ministre comme j'ai pu le faire naguère en tant que commissaire européen.

C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de ce travail solide sur lequel je compte beaucoup m'appuyer.

Je me souviens d'ailleurs, monsieur le rapporteur, que vous avez été le premier parlementaire à frapper à ma porte pour évoquer avec moi votre précédent rapport sur le sujet, alors que je n'étais ministre de l'agriculture et de la pêche que depuis quelques heures !

M. Gérard César, rapporteur. C'est vrai !

M. Michel Barnier, ministre. Vous avez ensuite déposé une première proposition de résolution, en en reprenant les principales conclusions. Aujourd'hui, alors que la négociation communautaire entre dans sa dernière ligne droite, vous proposez le vote d'une nouvelle proposition de résolution, afin que le Sénat exprime une fois encore de manière claire et détaillée sa position par rapport au projet de réforme de la Commission.

Je tiens à vous dire d'emblée, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, que j'adhère pleinement aux conclusions de la commission des affaires économiques sur cette proposition de résolution, qui affirme avec force les priorités que nous devons défendre dans cette dernière phase de la négociation.

Elle correspond entièrement à la position que je continuerai de défendre jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la fin de cette année, puisque la présidence portugaise espère conclure cette difficile négociation avant la fin du mois de décembre prochain. Je le ferai dès demain matin, puisque je me rends à Bruxelles pour rencontrer Mme Fischer Boel à ce sujet.

J'emporterai, d'ailleurs, avec moi le texte de cette proposition de résolution,...

M. Gérard César, rapporteur. C'est bien !

M. Michel Barnier, ministre. ...qui sera un appui très précieux lors de ces discussions communautaires. En effet, en tant qu'ancien commissaire européen, je peux témoigner que la Commission est sensible au fait qu'un ministre s'exprime sur un dossier, fort de l'unanimité du Parlement de son pays et des professionnels concernés. Je ne prétends pas que ce soit toujours déterminant, mais cela compte. Le débat que nous avons ce soir est donc important.

Le 4 juillet dernier, la commissaire à l'agriculture Mme Fischer Boel a présenté un projet de réforme profonde de l'OCM vitivinicole, qui affiche la volonté de redonner à la viticulture européenne toute sa compétitivité sur un marché mondial en expansion.

Nous pouvons partager cet objectif. À l'heure où les « nouveaux marchés », comme les États-Unis et le Japon, sont en progression et où de nouveaux marchés émergents, comme la Chine ou l'Inde, ouvrent de vraies perspectives, la viticulture européenne, riche d'une grande histoire et d'une longue tradition de qualité, est capable, sans état d'âme, sans complexe et de manière offensive, de se positionner avec succès sur tous ces marchés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec plus de 7 milliards d'euros, les vins et spiritueux représentent de très loin le premier poste d'excédents de nos exportations agroalimentaires. Le marché mondial est porteur, nous devons être à même d'en tirer tous les bénéfices.

Toutefois, si je partage totalement la perspective de conquête que propose la Commission, je suis beaucoup plus réservé sur certaines voies qu'elle préconise, pour ne pas dire que j'y suis parfois totalement opposé.

Redonner de la compétitivité, c'est certainement desserrer des contraintes, c'est certainement moderniser nos dispositifs, mais ce n'est sûrement pas le libéralisme sans règle.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Michel Barnier, ministre. Je reprends en cela les propos très justes qu'a tenus Roland Courteau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous rappeler ma position sur les différents sujets en discussion, telle que j'ai eu l'occasion de l'exposer très fréquemment, que ce soit à la commissaire européenne, Mme Fischer Boel, au ministre portugais de l'agriculture, du développement rural et de la pêche, M. Jaime Silva, président en exercice du Conseil européen, à mon collègue hongrois à Budapest lundi dernier, ou en Italie avant-hier, et comme je le referai dès demain. Je continuerai d'ailleurs à m'entretenir avec tous mes collègues et partenaires, puisque, dans ce domaine comme pour ce qui concerne l'ensemble des questions agricoles et piscicoles, nous sommes dans une perspective totalement européenne.

Je tiens à souligner ici que cette position a fait l'objet de discussions suivies avec les professionnels, qui ont été associés à son élaboration. Je compte donc la défendre jusqu'au bout, avec la même détermination.

Le premier point, qui est le plus important, le plus central et sur lequel je ne cèderai pas, porte sur les droits de plantation.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Michel Barnier, ministre. Le maintien du régime actuel des droits de plantation est une demande absolument essentielle pour moi.

M. Jacques Blanc. Tout à fait !

M. Michel Barnier, ministre. Sans cela, nous perdons l'outil principal de maîtrise de la production, comme l'a dit avec beaucoup de force Élisabeth Lamure.

Proposer dans le même temps la libéralisation totale des plantations et un important plan d'arrachage constitue d'ailleurs - vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur - un véritable paradoxe.

M. Gérard César, rapporteur. Oui !

M. Michel Barnier, ministre. Le secteur européen de la viticulture n'est pas encore suffisamment adapté. Il serait totalement prématuré de démanteler dès 2013 notre seul dispositif de gestion structurelle de la production communautaire ; il faut le maintenir bien au-delà.

Par ailleurs, la maîtrise du potentiel de production n'a de sens que si elle concerne l'ensemble de la production, c'est-à-dire tous les types de vin et, bien sûr, tous les pays producteurs. Il est donc totalement hors de question pour moi d'accepter un dispositif qui serait maintenu seulement pour certains vins ou pour certains pays.

Vous l'aurez compris, c'est un sujet sur lequel il ne nous sera pas possible de transiger.

M. Gérard César, rapporteur. Très bien !

M. Michel Barnier, ministre. Le deuxième point concerne l'arrachage, qui constitue un autre élément structurel ; vous l'avez évoqué les uns et les autres.

Dans certains cas, nous le savons, l'arrachage du vignoble est encore nécessaire pour adapter l'offre à la demande. Il doit être maîtrisé et raisonné, afin de conserver un objectif cohérent, défini par zone de production, comme l'a souligné Élisabeth Lamure. La mesure d'accompagnement doit être incitative et fondée sur le volontariat, ce que le Sénat avait d'ailleurs proposé.

Comme vous le précisez à juste titre dans votre proposition de résolution, monsieur le rapporteur, il n'est pas possible d'engager une action structurelle sur le vignoble sans régler auparavant le problème des plantations illicites pratiquées dans certains États membres. Je l'ai rappelé à la Commission.

M. Gérard César, rapporteur. Très bien !

M. Michel Barnier, ministre. Cela me permet de répondre à la question que m'a posée M. Courteau.

Comme le prévoit la Commission, les propriétaires de vignes plantées avant le 1er septembre 1998 doivent s'acquitter de droits majorés, et les vignes plantées après cette date doivent être arrachées.

M. Gérard César, rapporteur. Voilà !

M. Michel Barnier, ministre. Nous sommes loin du compte !

Le troisième point a trait à la distillation de crise.

Au-delà de la maîtrise du potentiel de production, il est impératif de conserver des outils de régulation des marchés, pour les raisons qu'a très précisément exposées Muguette Dini.

La production viticole est particulièrement fluctuante d'une année sur l'autre : nous devons maintenir un dispositif qui permette de faire face aux crises cycliques de la production. La distillation de crise, qui, bien sûr, n'est pas un but en soi, est un outil efficace, notamment dès lors qu'elle peut être rendue obligatoire, par exemple par le biais d'accords interprofessionnels.

Je suis ouvert pour discuter des modalités d'encadrement et de financement de cette mesure dans le cadre de nos enveloppes nationales, mais il est absolument indispensable de prévoir cette distillation dans des conditions qui garantissent son efficacité.

Je demanderai donc à la commissaire Mme Fischer Boel, comme vous le suggériez, monsieur le rapporteur, que cette mesure soit réintroduite dans le projet de la Commission.

J'en viens au quatrième point : l'enrichissement. Vos travaux très approfondis, monsieur le rapporteur, vous ont conduit à refuser la suppression de la chaptalisation proposée par la Commission.

En effet, il serait infondé de rejeter cette méthode qui fait partie, comme l'a souligné M. Le Cam, des pratiques traditionnelles dans plusieurs régions de France et d'Europe. Je suis ouvert à un développement des méthodes soustractives autorisées par l'Office international de la vigne et du vin, mais l'ajout de saccharose doit rester possible, au côté de l'ajout de moût concentré rectifié.

M. Jacques Blanc. Le moins possible !

M. Michel Barnier, ministre. Il est certainement possible de discuter des marges d'enrichissement tolérables ; mais, là aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, il n'est pas possible de remettre en question des pratiques réelles et anciennes, qui concernent non seulement le nord ou l'est de la France, mais aussi des régions viticoles très importantes, en particulier le Bordelais et la Bourgogne.

Un cinquième point, celui de la mention du cépage sur les vins sans indication géographique, a été évoqué notamment par M. Roland Courteau. Vous le soulignez dans votre rapport, monsieur César, cette question est sensible. Il est important de tenir compte du marché mondial, de ses attentes, de son mode de fonctionnement.

La mention du cépage est aujourd'hui réservée aux vins à indication géographique. Pour ma part, je suis réservé sur l'extension de la mention de cépage aux vins sans indication géographique : d'une part, il ne faudrait pas contrarier les efforts importants entrepris par les producteurs français de vins avec indication géographique et, d'autre part, il convient d'être très vigilant sur l'information et la protection des consommateurs.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Michel Barnier, ministre. Ainsi, toute extension de la mention de cépage ne peut être envisagée que dans un cadre parfaitement défini, apportant des garanties très fortes sur les conditions d'usage du nom du cépage. Un système parfaitement fiable de cahier des charges communautaire et d'agrément national devrait alors être mis en place.

Le sixième point a trait aux prestations viniques. Nous l'avions déjà évoqué au cours de notre tout premier entretien, monsieur le rapporteur, voilà cinq mois.

Les prestations viniques, c'est-à-dire la distillation des sous-produits, jouent un rôle à la fois qualitatif - elles évitent le surpressurage du raisin - et environnemental essentiel. Je suis très engagé, vous le savez, sur la question de l'environnement, aussi suis-je très attentif à votre argument.

M. Gérard César, rapporteur. Très bien !

M. Michel Barnier, ministre. La Commission a rayé ces bienfaits d'un trait de plume, d'ailleurs de façon totalement contradictoire avec ses objectifs affichés de défense de la qualité et de l'environnement. Pour moi, ce n'est pas acceptable.

Il est donc nécessaire de continuer à favoriser cette pratique, même si nous devons très certainement chercher à en diminuer le coût.

Je partage la position que vous avez exprimée sur ce sujet, monsieur Courteau : les décisions en matière de prestations viniques doivent rester de la compétence du Conseil.

Le septième point concerne les enveloppes nationales.

Dans les premiers jours qui ont suivi ma nomination, au mois de juin dernier, j'ai rencontré Mme Fischer Boel afin d'évoquer la proposition de répartition des enveloppes nationales, qui ne nous convenait pas. Nous avons ainsi obtenu une amélioration sensible de la clé de répartition permettant de déterminer le montant des enveloppes nationales, vous l'avez rappelé, en faisant augmenter la part liée aux données objectives - la surface et le volume produit -, plutôt que les seules données historiques. C'est à la fois plus logique et plus réaliste.

Ces enveloppes nationales joueront un rôle très important dans la nouvelle Organisation commune de marché. La France disposerait, en régime de croisière, d'une enveloppe de 200 millions d'euros environ et de 150 millions d'euros en 2009.

Il est toutefois indispensable que la liste des opérations finançables soit complétée judicieusement en ajoutant, par exemple, des actions de recherche et de développement, ainsi que des actions de restructuration des entreprises, y compris des entreprises d'aval ; je pense aux caves coopératives et aux entreprises de négociants.

Cela permettrait de compléter le dispositif auquel travaillent les professionnels par la mise en place, au niveau national, d'un fonds d'investissement pour les entreprises viticoles.

Le huitième point, que Mme Dini a rappelé, est la promotion. Le projet de la nouvelle OCM accorde une place centrale aux actions de promotion. Je crois que c'est une bonne chose, mais il faut aller encore plus loin dans cette direction. Les chiffres que M. Le Cam a cités sont justes et prouvent que nous avons raison de vouloir conquérir des marchés de manière volontariste.

Ainsi, il faut que les entreprises puissent être éligibles aux programmes de promotion sur les pays tiers, pour lesquels, je vous le rappelle, la France percevra une enveloppe annuelle spécifique de 32 millions d'euros. En outre, il faut introduire la possibilité d'actions collectives de communication sur le marché intérieur, qui représente encore les deux tiers de la consommation mondiale, afin de soutenir une consommation responsable du vin. Enfin, les études de marché devraient pouvoir entrer dans le cadre de ces financements.

Je voudrais évoquer un point dont vous n'avez pas traité aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs : le projet de la Commission de transférer, à terme, 400 millions d'euros du premier vers le second pilier de la PAC - 100 millions d'euros en 2009 pour arriver à 400 millions d'euros en 2014 -, soit un tiers du budget total.

Ce niveau me semble très exagéré, compte tenu des missions qui devront, à budget constant, être financées dans le cadre de l'enveloppe nationale. En outre, le transfert de fonds vers le second pilier ne doit pas constituer une perte pour les filières viticoles. Ces nouveaux fonds doivent pouvoir être ciblés vers des actions concernant la viticulture.

Cette position vaut également pour la réforme de la PAC, sur laquelle la Commission a ouvert hier le débat. S'il doit y avoir des transferts de crédits vers le second pilier - je préfère, pour ma part, que l'on conforte le premier pilier, le pilier communautaire dont relèvent les questions économiques - je m'attacherai à ce que ceux-ci soient attribués, d'une manière ou d'une autre, à l'agriculture.

Vous le voyez, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, sur ces différents sujets, votre proposition de résolution rejoint les positions que je défendrai dans les discussions sur la nouvelle OCM.

Cette négociation sera difficile. Sachez que nous mettrons tout en oeuvre pour aboutir à une OCM forte, acceptable par tous, dans l'esprit de la résolution que vous présentez.

La nouvelle OCM doit être le cadre d'un développement équilibré et durable de la viticulture européenne. Pour cela, elle doit assouplir sans démanteler, elle doit libérer sans fragiliser, elle doit être offensive et efficace.

Dans cette perspective, le Président de la République m'a confié, sur le plan national, la mission de bâtir un plan de modernisation de la viticulture, afin de conquérir, ou de reconquérir, toute notre place sur le marché mondial.

C'est ainsi que, le 11 octobre dernier, j'ai invité l'ensemble des professionnels à travailler autour de trois grands thèmes : premièrement, la recherche-développement et le transfert de connaissances ; deuxièmement, la compétitivité des entreprises, exploitations viticoles et entreprises d'aval ; troisièmement, enfin, l'organisation et la gouvernance de la filière.

Sur ces trois sujets, les groupes de travail me feront leurs premières propositions à la fin de l'année. Je m'attacherai à vous en informer et à vous consulter à leur sujet. La réflexion sera ensuite finalisée afin qu'un ensemble cohérent de mesures puisse être élaboré avant la fin du premier trimestre de l'année 2008.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, inspiré par Roland Barthes et par Charles Baudelaire, conforté par la force unanime de votre résolution, vous pouvez compter sur ma propre détermination ! (Applaudissement.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre. Le Sénat a apprécié vos propos.

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la proposition de résolution adoptée par la commission des affaires économiques.

J'en donne lecture :

Le Sénat ;

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu la proposition de règlement portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements (COM [2007] 372 du 4 juillet 2007) ;

Rappelant l'importance, sur les plans commercial, territorial, environnemental et culturel, de la filière vitivinicole à l'échelle européenne ;

Considérant que cette dernière, affectée depuis plusieurs années par une grave crise structurelle, conserve de grandes potentialités de développement sur un marché mondial en expansion ;

Reconnaissant que l'actuelle organisation commune de marché (OCM) n'est plus adaptée aux évolutions récentes de la filière et doit être réformée en vue d'asseoir les producteurs européens dans leur position traditionnelle de leaders du secteur ;

Soulignant la nécessité, au regard des particularités de la filière, de conserver une organisation du marché communautaire spécifique dotée d'instruments de soutien adaptés ;

Prend acte de l'affectation d'une part importante du budget de l'OCM à l'abondement d'enveloppes nationales, souhaite que la clef de répartition en soit maintenue et demande à ce que les instruments finançables par ce moyen soient extensivement entendus, incluant notamment les actions de recherche et développement, les mesures de restructuration de la filière ou encore le soutien aux organisations de producteurs ;

Consent à la reconduction d'un dispositif d'incitation à l'arrachage pluriannuel, dégressif, basé sur le volontariat et géré par bassin de production, tout en rappelant que la régularisation des plantations illicites dans certains États membres doit être menée à terme, ainsi que s'y est engagée la Commission européenne ;

S'oppose fermement au projet de libéralisation des droits à plantation à l'horizon 2013, qui serait totalement contradictoire avec la politique d'arrachage ;

Insiste de façon très appuyée sur la nécessité de conserver un dispositif de distillation de crise obligatoire, complété par des instruments préventifs, propres à amortir les chocs conjoncturels affectant régulièrement le secteur ;

Demande également très fermement le maintien du régime des prestations viniques et ses financements communautaires en tant qu'il permet, en les incitant à donner à traiter le sous-produit de leurs récoltes, de garantir le respect par les producteurs des contraintes environnementales ;

Souhaite que les projets de transfert, pour le secteur vitivinicole, d'enveloppes financières du premier vers le second pilier de la politique agricole commune (PAC), soient révisés au regard des actions réellement à mener ;

Refuse que soit supprimé le régime de la chaptalisation, ancré de façon traditionnelle dans de nombreux territoires viticoles européens, et demande à ce que soit conservé un dispositif d'enrichissement respectueux des spécificités locales ;

S'oppose à tout transfert de compétences du Conseil vers la Commission européenne, s'agissant en particulier de l'étiquetage et des pratiques oenologiques ;

S'oppose à l'ouverture sans conditions à tous les vins de la possibilité d'indiquer sur l'étiquette le cépage et le millésime. S'oppose également très fermement à toute autorisation d'assemblage entre des vins de différents États membres ;

Juge notoirement insuffisants les crédits mobilisés pour la promotion dans le secteur du vin sur le marché intracommunautaire, et demande par conséquent leur revalorisation substantielle en vue de mener à l'échelle européenne une campagne de communication pour une consommation responsable et modérée, ainsi que la mise en place d'un observatoire du marché vitivinicole ;

Demande également une revalorisation des crédits affectés à la promotion vers les pays tiers, ainsi que la possibilité de les utiliser en vue de financer directement des projets d'entreprises.

Vote sur l'ensemble

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements (E 3587)
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Je ne suis saisi d'aucun amendement.

Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution, je donne la parole à M. Jacques Blanc, pour explication de vote.

M. Jacques Blanc. Monsieur le président, bien que n'étant pas membre de la commission des affaires économiques, j'ai suivi ses travaux avec intérêt. Je voudrais porter ici le témoignage d'un membre de la délégation pour l'Union européenne et de la commission des affaires étrangères du Sénat ayant vécu très directement l'évolution exceptionnelle de la viticulture dans cette grande région viticole qu'est le Languedoc-Roussillon.

Je veux rendre hommage à l'auteur de cette proposition de résolution, notre ami Gérard César, à la fois en tant que Languedocien-Roussillonnais, mais aussi en tant que membre et ancien responsable, à l'échelon européen, du Comité des régions. Je crois, en effet, que c'est rendre service à l'Europe que d'adopter des positions aussi fermes. Ainsi, je me réjouis que le rapporteur de la commission des affaires économiques ait réussi à créer un consensus, au-delà des différentes sensibilités politiques et territoriales.

Je souscris à cette proposition de résolution parce qu'il est capital que la France puisse être portée, dans les débats européens, par l'unanimité du Sénat, des territoires et des régions viticoles. Je suis convaincu qu'un tel consensus politique et territorial est un élément déterminant qui peut conforter la position de notre pays dans les négociations européennes. M. le ministre, ancien commissaire européen, le sait mieux que quiconque.

M. Gérard César, rapporteur. Tout à fait !

M. Jacques Blanc. Nous nous opposons tous fermement au projet de libéralisation des droits à plantation, en totale contradiction avec la politique d'arrachage.

En Languedoc-Roussillon, près de 100 000 hectares de vignes ont été arrachés et la production a diminué de manière conséquente. Après de tels efforts d'arrachage, comment pourrions-nous accepter l'idée de libéraliser des plantations n'importe où et n'importe comment ? Et je suis un libéral, il ne s'agit donc pas d'un choix doctrinaire !

Il est donc essentiel que nous affirmions que l'arrachage ne peut être qu'une réponse limitée, maîtrisée, à laquelle nous sommes globalement défavorables et que nous n'acceptons que dans des conditions particulières.

J'espère d'ailleurs qu'il sera permis aux régions qui ont appliqué la politique d'arrachage de relancer des productions agricoles, par exemple de protéines végétales. En effet, il n'y a rien de plus abominable que des terres abandonnées, des terres non cultivées qui abiment le paysage, font courir le risque d'incendies et perdre un potentiel de production. À l'heure du développement des biocarburants, alors qu'une grande unité de production de diester a été ouverte à Sète, il importe que nous puissions revaloriser les friches. Nous sommes contre les friches !

Je dis qu'il faut être prudent par rapport aux analyses qui nous expliquent que l'on connaît des surproductions. On peut le voir cette année ! Nous avons donc besoin de régulation, de distillation.

S'agissant de la chaptalisation, j'espère que M. le rapporteur ne m'en voudra pas, mais je ne partage pas son point de vue. Dans ma région, elle est interdite. Il faut dire que j'ai connu trop de vins européens qui n'étaient pas de très bonne qualité et qu'on améliorait par le saccharose. Je pense -qu'ils me pardonnent - à nos amis allemands !

M. Gérard César, rapporteur. Ce n'est pas le cas en France !

M. Jacques Blanc. Effectivement !

C'est pourquoi je suis partisan de l'interdiction. Toutefois, pour ne pas mettre à mal ce beau consensus, et parce qu'il a été dit qu'on encouragerait les moûts concentrés, je m' « écraserai », comme on dit chez moi. (Sourires.)

M. Gérard César, rapporteur. Je vous en remercie !

M. Jacques Blanc. Nous devons tous faire des efforts !

Cela étant, je voudrais insister sur un point, qui n'a pas été assez abordé à mon sens.

Dans le domaine de la promotion, osons dire clairement que le vin, à condition qu'il soit consommé dans des conditions maîtrisées, n'est pas dangereux pour la santé !

M. Roland Courteau. Je l'ai dit !

M. Jacques Blanc. Voyez que l'on peut se retrouver, même si, sur le terrain, c'est parfois un peu dur ! En tout cas, à Bruxelles, il faudra que nous soyons tous ensemble.

Il est essentiel de valoriser cet aspect, et je vous demande de nous soutenir, monsieur le ministre. Je vous signale que des recherches importantes ont été menées au sein de l'Institut européen vin et santé des régions viticoles. Le professeur Rossi a ainsi démontré que, bu dans des conditions maîtrisées, le vin non seulement n'était pas dangereux, mais qu'il était surtout positif pour la santé.

M. Gérard César, rapporteur. C'est vrai !

M. Jacques Blanc. Et c'est le médecin qui vous parle !

À cette occasion, permettez-moi de rendre hommage à un grand défenseur de la viticulture, je veux parler du député Paul-Henri Cugnenc. Ce grand patron de médecine avait organisé à Béziers une rencontre entre des hautes autorités médicales et le monde de la viticulture, qui a montré que la recherche scientifique permet d'affirmer que le vin peut être un produit utile pour la santé.

M. Roland Courteau. Je l'ai dit !

M. Jacques Blanc. Sachez qu'il ne s'agissait pas là d'une approche démagogique pour faire plaisir aux viticulteurs, qui sont déjà emplis de bonheur d'exercer ce métier extraordinaire !

De toute façon, nous le savons tous, le vin est un facteur de convivialité et de joie. De plus, la viticulture favorise le développement durable.

Monsieur ministre, nous défendrons tous, chacun à notre poste, l'avenir de la viticulture, qui représente non seulement un élément indispensable de nos paysages, mais aussi un facteur essentiel de la culture française et européenne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque, pour explication de vote.

M. Dominique Mortemousque. Je suis touché par le consensus qui se dégage. C'est pourquoi je tiens à saluer le rapport de grande qualité de Gérard César et la pertinence avec laquelle ont travaillé la commission des affaires économiques et le groupe d'étude de la vigne et du vin du Sénat.

Monsieur le ministre, moi qui suis du Périgord où, je ne sais pas si vous le savez, on produit le vin du bergeracois, ...

M. Jacques Blanc. Et le foie gras !

M. Dominique Mortemousque. ... je voudrais vous dire que mes vignerons vont mal. Ils ont un peu perdu le fil conducteur. Néanmoins, ce beau consensus et l'intervention passionnée que vient de faire à l'instant Jacques Blanc nous ouvrent des perspectives.

Par conséquent, si, demain matin, vous ne partez pas galvanisé à Bruxelles en vue de retourner la position de la Commission européenne, nous ne serons pas très contents.

Nous avons entendu vos propos et je pense que l'ensemble des groupes vous fait confiance. En tout cas, le groupe UMP, que je représente, soutient cette proposition de résolution avec beaucoup d'enthousiasme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Pour le représentant du Rhône, et également du Beaujolais, que je suis, la tâche m'est grandement facilitée. (Sourires.)

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution n° 68 rectifié.

M. Roland Courteau. Nous votons pour !

(La proposition de résolution est adoptée.)

M. le président. Je constate que la proposition de résolution est adoptée à l'unanimité. (Applaudissements.)

En application de l'article 73 bis, alinéa 11, du règlement, la résolution que le Sénat vient d'adopter sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.

À titre personnel, permettez-moi d'ajouter que je suis heureux d'avoir participé à cette oeuvre commune.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements (E 3587)
 

8

Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision-cadre du Conseil modifiant la décision-cadre 2002/475/JAI relative à la lutte contre le terrorisme.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3696 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision-cadre du Conseil relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (Passenger Name Record - PNR) à des fins répressives.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3697 et distribué.

9

Dépôt d'un rapport

M. le président. J'ai reçu de M. Gérard César un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur sa proposition de résolution (n° 68 rect.) présentée en application de l'article 73 bis du règlement sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements (n° E-3587).

Le rapport sera imprimé sous le n° 89 et distribué.

10

Dépôt d'un rapport d'information

M. le président. J'ai reçu de M. Hubert Haenel un rapport d'information fait au nom de la délégation pour l'Union européenne sur le dialogue avec la Commission européenne sur la subsidiarité.

Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 88 et distribué.

11

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 22 novembre 2007 à onze heures, à quinze heures et, éventuellement, le soir :

Discussion du projet de loi de finances pour 2008, adopté par l'Assemblée nationale (n° 90, 2007 2008).

Rapport (n° 91, 2007-2008) de M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.

- Discussion générale.

Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la première partie : jeudi 22 novembre 2007 à onze heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD