M. Henri Torre, rapporteur spécial. C'est un constat !

M. Christian Estrosi, secrétaire d'État. C'est un constat, certes, mais, en tant que représentant des collectivités territoriales et donc d'hommes, de femmes et de territoires, vous ne pouvez vous contenter de constats ; vous devez tenir compte de la condition de chacun en fonction de son éloignement et des services qui lui sont proposés.

Vous savez que je suis contre les politiques égalitaristes et pour les politiques d'équité et de justice. J'ai été ministre délégué à l'aménagement du territoire, monsieur Torre. Vous-même avez prouvé, dans l'exercice d'autres responsabilités locales, que vous étiez aussi un aménageur de territoire. Vous savez très bien qu'en métropole, on donne plus, par habitant, à l'Ardèche, à l'Ariège, aux Vosges...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. À la Corse !

M. Christian Estrosi, secrétaire d'État.... ou à la Corse, notamment, qu'au septième arrondissement ou au quinzième arrondissement de Paris : le principe de justice et d'équité veut en effet que l'on donne plus à ceux qui ont moins.

À Wallis-et-Futuna, à 26 000 kilomètres au milieu du Pacifique, les petits écoliers - vous le confirmerez, monsieur Laufoaulu, vous qui m'avez accueilli là-bas - n'ont pas à leur disposition autant d'ordinateurs que les enfants de Paris, chaque infirmière n'a pas droit à sa blouse blanche, comme ses collègues de la Pitié-Salpêtrière et si, en pleine nuit, quelqu'un doit être opéré d'urgence, en cas de péritonite, par exemple, le fait qu'une radio soit défectueuse ou qu'aucun avion ne soit disponible pour le transporter à l'hôpital de Wallis, à celui de Futuna ou en Nouvelle-Calédonie peut avoir des conséquences dramatiques et irréversibles.

Vouloir établir une comparaison entre le taux de 5,5 % du budget de l'État et celui de 4,2 % de la population n'est donc ni juste ni équitable.

La métropole devrait se montrer plus solidaire envers les territoires les plus éloignés, envers ceux de nos compatriotes qui sont les plus isolés et qui ont moins que d'autres, lesquels résident sur des territoires favorisés. L'outre-mer le mérite. (Applaudissements.)

C'est cette vision d'équité et de justice que je soutiendrai, fort de la mission que m'a confiée le Président de la République et du soutien qu'il apporte à l'action que je mène au sein du secrétariat d'État à l'outre-mer ; c'est cette même vision que, dans la lettre qu'il a adressée à chacun de nos compatriotes d'outre-mer, il a défendue.

L'outre-mer, c'est beaucoup pour la France, comme la France est beaucoup pour l'outre-mer ; mais l'outre-mer, c'est également beaucoup pour l'Europe. En contrepartie, nous avons des devoirs, des exigences : je m'efforcerai de m'en acquitter dans un esprit de solidarité, d'équité et de justice. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, il était prévu que le Gouvernement dispose d'un temps de parole de trente-cinq minutes au total, pour répondre à la fois aux rapporteurs et à l'ensemble des orateurs. Je tiens à signaler à M. le secrétaire d'État que ce temps de parole est déjà épuisé, alors que seuls les rapporteurs se sont exprimés et que treize intervenants sont inscrits. Je rappelle que, dans l'esprit de la LOLF, le Gouvernement devait répondre aux orateurs.

M. Simon Loueckhote. Il y a tellement à dire sur l'outre-mer !

M. le président. Il faudrait faire en sorte que nous restions dans l'épure qui a été initialement tracée et que chacun s'en tienne au temps de parole qui lui a été imparti.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Nous sommes ici dans un débat budgétaire et non pas dans un débat de politique générale. Je souhaite donc que nous centrions nos propos sur des réflexions d'ordre budgétaire.

Je ne suis pas là pour venir au secours de M. Torre : il est suffisamment armé pour se défendre lui-même. Je tiens simplement à dire, monsieur le secrétaire d'État, qu'il ne suffit pas de dépenser plus pour être efficace.

Si l'on considère tous les efforts faits par la République en faveur de l'outre-mer et si l'on observe la situation du logement, le pouvoir d'achat ou encore le prix de la vie dans nombre de territoires ultramarins, force est de constater que tous les moyens qui leur sont alloués n'ont pas toujours l'efficacité attendue, voire n'atteignent pas leur cible.

Ce n'est pas une question d'ampleur de crédits, c'est une question d'efficacité de la dépense publique. Il m'arrive de penser que plus on octroie d'argent public, plus les prix augmentent et qu'en définitive les fonds ne vont pas là où ils devraient aller. C'est une question essentielle. Je souhaiterais donc, monsieur le secrétaire d'État, que vous mobilisiez des moyens pour observer d'un peu plus près les systèmes de distribution outre-mer. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi de finances pour 2008, adopté par l'Assemblée nationale.

Dans la suite de l'examen des crédits de la mission « Outre-mer », je vais maintenant donner la parole aux différents orateurs inscrits.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d'intervention générale et celui de l'explication de vote.

Je rappelle également qu'en application des discussions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

La parole est à M. Claude Lise.

M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, un constat s'impose : le budget du secrétariat d'État à l'outre-mer pour 2008 est en stagnation, dans la mesure où il n'augmente, à périmètre constant, que de 1,85 %, alors même qu'il fait suite à une série de baisses relativement importantes, de 7 % en 2005 et 2006 et de 12 % en 2007, si l'on raisonne toujours à périmètre constant.

C'est donc un budget qui, loin de s'inscrire dans une dynamique de changement - je ne parle même pas de rupture ! - s'installe dans une très réelle et décevante continuité, laquelle tranche d'ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, avec l'intérêt réel que vous portez à l'outre-mer et que je salue.

Ce budget affiche, bien sûr, les priorités habituelles, mais, il faut bien le reconnaître, une fois de plus, elles sont réduites à de simples mesures d'affichage !

La première est, comme il se doit, l'emploi.

Comment ne pas s'en féliciter quand on est l'élu d'un département d'outre-mer dont le taux de chômage dépasse 25 %, avec une proportion de 45,8 % de chômeurs de longue durée ? Mais, après examen des crédits, comment ne pas être déçu ?

Le seul réel changement réside dans le transfert au ministère de l'économie, des finances et de l'emploi de la gestion de 158 millions d'euros de crédits d'aides à l'emploi.

Pour le reste, on ne note aucun effort budgétaire supplémentaire. Le dispositif d'exonérations de charges patronales de sécurité sociale, mis en place par la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer et par la loi du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, est manifestement sous-doté : seuls 867 millions d'euros de crédits de paiements sont inscrits, quand le montant prévu des compensations à verser aux organismes de sécurité sociale s'élève à 1,1 milliard d'euros.

Surtout, le financement des contrats aidés connaît une nouvelle et très sensible diminution.

Cela traduit la persistance d'une vision péjorative des contrats aidés, notamment ceux qui sont destinés au secteur non marchand. C'est une politique contre laquelle je n'ai cessé de mettre en garde les acteurs concernés, compte tenu des risques qu'elle comporte pour la cohésion sociale dans un département comme le mien ; un département qui, en dehors d'un chômage trois fois plus élevé que dans l'Hexagone, compte 8 % de RMIstes, près de 13 % de personnes vivant de minima sociaux et près de 16 % de travailleurs percevant un revenu qui les place au-dessous du seuil de pauvreté.

Il importe, bien sûr, de promouvoir le plus possible la création d'emplois engendrés par l'activité des entreprises. À cet égard, le dynamisme dont on fait preuve aux Antilles est bien connu : on y obtient des taux de création d'entreprises et d'emplois supérieurs à ceux de bien des départements de l'Hexagone. Néanmoins, il serait irréaliste d'imaginer pouvoir se passer, à court et même à moyen terme, d'un important volet d'emplois aidés, tout particulièrement dans le secteur non marchand.

Bien entendu, je n'ignore pas les espoirs que vous fondez, monsieur le secrétaire d'État, sur la future loi de programme pour l'outre-mer. Mais celle-ci ne peut, surtout dans le domaine de l'emploi, avoir des effets à court terme.

Par ailleurs, la question se pose de savoir si, précisément dans ce domaine, nous avons l'assurance d'en attendre des résultats remarquables.

Pour ma part, je constate que cette loi de programme demeure essentiellement axée sur l'utilisation de l'outil fiscal. On en connaît les avantages, mais il a déjà aussi largement montré ses limites, sans compter ses effets pervers.

De ce point de vue, l'élément nouveau prévu dans ce cadre est le dispositif de zones franches globales d'activités.

Il suscite chez beaucoup d'élus, mais aussi chez nombre d'acteurs économiques, un certain nombre d'interrogations, à la fois sur sa compatibilité avec les règlements européens, sur le risque de suppression d'autres mesures à titre de compensation, sur les pertes qui seront supportées par les collectivités territoriales, mais, surtout, sur le découpage sectoriel qui sera retenu.

Sur ce point, si l'on veut réellement promouvoir l'emploi, il faudra marquer un intérêt particulier pour le secteur des services. J'ai noté avec plaisir, monsieur le secrétaire d'État, que vous insistiez sur les services à la personne. Nous sommes parfaitement en accord sur cet objectif. En outre, il importe de réserver une attention particulière aux TPE, qui représentent 95 % des entreprises du secteur marchand dans les DOM.

Pour tout vous dire, monsieur le secrétaire d'État, je regrette que le dispositif de zones franches globales ait été promu, d'emblée, depuis la campagne présidentielle, au rang de véritable panacée.

Cela a certainement faussé tout le processus d'élaboration de la future loi de programme. Je ne dis pas, et je n'ai pas dit, qu'il n'y a pas eu concertation, mais cette dernière, jusqu'ici en tout cas, n'a pas su réserver le temps nécessaire pour faire remonter les attentes des forces vives locales et pour prendre en compte les projets de développement élaborés localement. Je pense notamment, s'agissant de la Martinique, au Schéma martiniquais de développement économique et à l'Agenda 21, élaborés respectivement par le conseil régional et le conseil général. À cet égard, l'Agenda 21 est une parfaite illustration de ce qu'est trop souvent la concertation outre-mer : alors qu'il est lancé depuis deux ans et demi, on n'en a même pas tenu compte dans le cadre du « Grenelle de l'environnement » ! C'est ce genre de pratiques que je dénonce régulièrement et que j'aurais pu développer si j'avais disposé de plus de temps.

Par conséquent, la portée de la prochaine loi de programme, qui sera votée dans quelques mois, ne peut, selon moi, qu'en être affectée.

La deuxième priorité affichée par ce projet de budget, c'est le logement.

Là encore, l'effort budgétaire ne suit pas. Les 25 millions d'euros de crédits supplémentaires ne suffiront même pas à résorber la dette de l'État envers les entreprises du BTP oeuvrant dans le domaine de l'amélioration de l'habitat ou de la construction très sociale.

À la Martinique, la situation est catastrophique. Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples.

D'une part, le nombre de logements locatifs sociaux financés est passé de 1 306 en 2001 à 325 en 2006, pour tomber à 32 cette année !

D'autre part, le nombre des logements bénéficiant de l'aide à l'amélioration de l'habitat est passé de 882 l'année dernière à 444, cette année.

Voilà la réalité, monsieur le secrétaire d'État !

M. Christian Estrosi, secrétaire d'État. Certes, mais vous ne construisez pas !

M. Claude Lise. Le passage de l'ouragan Dean, au mois d'août dernier, n'a fait qu'aggraver les choses : des centaines de sinistrés vivent toujours dans des conditions particulièrement difficiles ; certains d'entre eux ont d'ailleurs été touchés encore davantage par le récent séisme.

Pour leur venir en aide, le conseil général et le conseil régional ont voté des sommes importantes, s'élevant respectivement à 10 millions d'euros et à 13 millions d'euros. Monsieur le secrétaire d'État, il importe véritablement, me semble-t-il, que l'État envisage une intervention d'envergure dans ce domaine.

Je veux, par ailleurs, attirer votre attention sur les conséquences de la décision d'orienter la défiscalisation vers le logement social, qui provoque de nombreuses réactions. Les montages financiers à prévoir tendront certainement à impliquer les collectivités territoriales - déjà très sollicitées et confrontées à énormément de difficultés -, et ce pour garantir aux investisseurs une bonne sortie du dispositif. À mon sens, en effet, ces derniers n'interviendront pas dans le domaine du logement social s'ils n'obtiennent pas de sérieuses garanties soit de l'État, soit des collectivités.

Je veux maintenant relever brièvement quelques autres domaines pour lesquels le budget me paraît insuffisamment doté.

Il s'agit, d'abord, des actions sanitaires. Pour une raison d'ailleurs assez peu compréhensible, celles-ci ne comprennent pas les crédits permettant de financer certaines études spécifiques, notamment celle qui vise à évaluer l'impact sanitaire des pesticides.

Il s'agit, ensuite, de la continuité territoriale. L'insuffisance des crédits y est criante, en comparaison de ceux qui sont accordés à la Corse. Je préfère d'ailleurs taire les chiffres !

Il s'agit, de même, des dotations aux collectivités territoriales, dont on ne semble décidément pas prendre la mesure des difficultés spécifiques.

Il s'agit, encore, de la coopération régionale, alors que s'ouvrent des perspectives de plus en plus intéressantes en la matière.

Il s'agit, enfin, de la ligne budgétaire regroupant les crédits consacrés à un fonds de secours aux victimes de sinistres : la faible dotation prévue - 1,6 million d'euros seulement -, n'aura pour effet que de retarder la réponse à apporter en cas d'événement important, tel que l'ouragan Dean.

Bref, nous sommes en présence d'un budget réellement sous-doté, même dans les domaines ou il affiche, très justement, une priorité.

Cela tombe mal dans une période où, aux difficultés économiques et sociales habituelles, viennent s'ajouter, pour ne s'en tenir qu'aux Antilles, les conséquences de plusieurs séries d'événements : celles d'un cyclone, qui, en plus d'un grand nombre de sinistrés et d'importants dégâts en termes d'infrastructures, a gravement touché des secteurs comme l'agriculture, la pêche ou le tourisme ; celles d'une grave crise sanitaire et environnementale ; enfin, celles d'un séisme de grande amplitude, dont on n'a pas encore fini d'évaluer les dégâts.

Cela étant, au-delà des problèmes de manque de crédits, se pose la question récurrente, mais à mon sens plus fondamentale, du positionnement de l'instance gouvernementale chargée de l'outre-mer - ministère, secrétariat d'État, mission interministérielle ? - et, partant, celle de son champ de compétences.

Répondre à cette question, c'est, en réalité, exprimer la vision que l'on a de l'outre-mer. Pour l'heure, cette vision me paraît encore incertaine. Il reste à convaincre ceux qui nous gouvernent de la nécessité d'appréhender les « outre-mers » dans toutes leurs diversités, en tenant réellement compte de leurs spécificités et de leurs atouts. Il importe également de les convaincre qu'ils pourront tirer des engagements financiers outre-mer de réels retours sur investissement.

À cet égard, trois conditions s'imposent : les projets de développement doivent essentiellement être pensés par les acteurs locaux ; la logique d'adaptation aux réalités locales doit l'emporter définitivement sur la logique jacobine, encore beaucoup trop prégnante ; surtout, une écoute suffisante doit être accordée aux aspirations des différents peuples d'outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le rapporteur spécial et Mme le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.

Mme Lucette Michaux-Chevry. Monsieur le secrétaire d'État, j'avais l'intention de présenter mes observations sur ce projet de budget de façon traditionnelle. Mais les explications qui ont été fournies ce matin, notamment les vôtres, ainsi que celles du rapporteur spécial et des rapporteurs pour avis, me donnent l'occasion inespérée de dire ce que je pense en toute vérité.

Certes, ce projet est élaboré dans un contexte budgétaire globalement difficile. Malgré tout, il traduit incontestablement le manque de volonté du Gouvernement pour faire avancer l'outre-mer dans une nouvelle direction. En politique, il faut faire preuve de courage. C'est toujours payant.

Ce projet de budget, dont l'architecture est tout à fait nouvelle, suit des axes bien définis, élaborés à partir de deux programmes de fond.

Je n'entrerai pas dans le détail des chiffres. Vous avez magistralement démontré, monsieur le secrétaire d'État, qu'on fait dire aux chiffres ce que l'on veut.

Comme M. le rapporteur spécial l'a dit, les Français considèrent à juste titre que l'outre-mer coûte très cher à la France. Il faut avoir le courage de le dire !

Je souhaite, par ailleurs, rendre hommage à M. le président de la commission des finances, qui a fait remarquer avec raison qu'on ne fait pas évoluer un peuple avec des subventions. Il faut mener une autre politique en outre-mer, monsieur le secrétaire d'État, et vous avez aujourd'hui l'occasion de faire.

Lorsque le candidat Nicolas Sarkozy est venu en outre-mer pendant la campagne présidentielle et qu'il a prononcé des mots forts, prônant la fin de l'assistanat, des conflits sociaux et plaidant pour l'instauration du dialogue, la jeunesse qui était présente s'est levée et l'a applaudi. Sans doute cela ne vous a-t-il pas marqué, mais moi si ! Même les syndicats l'ont approuvé !

Mais il faut aussi préserver les valeurs liées au travail, au mérite et renforcer la place de la famille, qui est le ciment de la société antillaise.

De ce projet de budget, je dégage plusieurs éléments positifs. J'en évoquerai deux.

Le premier élément concerne l'idée de zone franche.

Vous avez affirmé ce matin, monsieur le secrétaire d'État, qu'il fallait soutenir le développement économique et l'emploi. La loi de programme pour l'outre-mer que vous allez présenter a pour corollaire fort la zone franche, qui est une idée géniale du Président de la République. Cela fait longtemps - j'ai retrouvé des écrits qui remontent à 1972 ! - que nous parlons de la nécessité de mettre en place, non pas une intégration, mais une complémentarité économique entre la Caraïbe française et le reste de l'archipel.

L'idée de zone franche est, certes, géniale, mais je suis tout de même triste de constater que certains Français ont la conviction profonde qu'ils peuvent penser pour nous.

J'évoquerai, à ce propos, un événement qui m'a beaucoup peinée.

Voilà près de trente années que je suis parlementaire. Cela fait un bail ! Depuis tout ce temps, personne, ici, n'a pu me reprocher d'avoir trahi mon parti. Or, après avoir transmis des rapports sur la coopération à tous les ministres de la République, après avoir écrit au Président de la République pour le mettre en garde contre l'accord de Cotonou et les accords APE, j'ai eu la tristesse de devoir m'opposer à mon groupe, après l'avoir supplié, en précisant mes motivations, de ne pas ratifier les accords APE.

Le 29 novembre dernier, les pays ACP, eux, ont refusé de signer les accords APE. J'en suis satisfaite, mais également un peu triste, car l'image de la France en a été quelque peu ternie dans les Caraïbes. Le Premier ministre de l'île de la Dominique et les responsables politiques des autres territoires de la région se sont demandé comment le Parlement français, c'est-à-dire le Sénat et l'Assemblée nationale, avait pu ratifier les accords APE alors que, dans le même temps, les pays ACP, directement concernés, avaient refusé de les signer, à cause des zones d'ombre que ces accords contiennent.

Ces zones d'ombre sont tellement nombreuses que vous êtes monté au créneau, monsieur le secrétaire d'État, pour défendre, in limine litis, l'octroi de mer. Vous y êtes d'ailleurs parvenu, mais ce n'est pas satisfaisant. En effet, les pays ACP conservent leur negative list pour douze années encore.

Quel type d'échanges la Caraïbe française peut-elle entretenir avec les pays ACP lorsque ces derniers ont la possibilité de nous matraquer commercialement grâce à leur négative list ? Or si nous n'avions pas ratifié ces accords, nous serions actuellement en position de force !

Certes, vous avez également eu satisfaction dans le dossier du sucre, monsieur le secrétaire d'État, en obtenant une clause régionale de protection pour deux fois dix ans. C'est bien. Mais nous aurions pu aller plus loin et faire profiter de notre barrière commerciale la Caraïbe, qui le demande, notamment l'île de la Dominique et Sainte-Lucie.

De la même manière que les Américains ont su mettre en place une politique d'aide à la banane dans la zone dollar, nous aurions pu impulser une politique de soutien à la Caraïbe qui entre dans le cadre des échanges avec les pays ACP.

Je suis très satisfaite que les Réunionnais siègent au sein de la commission de l'océan Indien. Ils ont ainsi obtenu que le conseil des ministres de la zone fasse admettre à Bruxelles la nécessité de prendre en compte les spécificités réunionnaises.

Mais moi, à quel moment puis-je défendre, avec mes collègues de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane, les spécificités des Antilles-Guyane, alors que la France ne siège pas au Cariforum, instance qui regroupe tous les pays de la Caraïbe, et dont nous sommes par conséquent exclus ? Nous sommes donc obligés de donner un mandat naturel obligatoire à l'Union européenne pour négocier dans la zone Caraïbe.

Nous sommes présents dans cette zone, mais nous n'y avons pas le droit à la parole ! Je réclame depuis des années que la France réintègre le groupe de la Caraïbe, où son influence était considérable. Depuis qu'elle en est sortie, en 2000, nous ne pouvons plus nous exprimer.

Cette idée de zone franche, qui est bonne, que j'approuve, va nous placer également en position de faiblesse. En effet, quel type de zone franche appliquer dans la Caraïbe, alors que tous les pays de l'archipel sont déjà en zone franche ?

Comment pouvez-vous admettre, monsieur le secrétaire d'État, qu'à Trinidad ou à La Barbade, les produits qui représentent l'excellence de la production française soient vendus meilleur marché qu'en Guadeloupe et en Martinique ?

Lorsque nous aurons réglé ce problème et fait de la Guadeloupe un port franc et lorsque l'ensemble de la production française sera disponible à la vente chez nous, ce qui permettra d'attirer les touristes, alors nous serons forts !

Ne mésestimons pas la puissance de la France dans la zone ! De Porto Rico à la Guyane, la présence française est un facteur très important d'équilibre et de respect des institutions.

C'est la raison pour laquelle je n'ai pas approuvé entièrement le projet de zone franche et de loi de programme pour l'outre-mer, projet issu d'une plate-forme de l'excellence réunissant socioprofessionnels et parlementaires.

Nous aurions là une belle occasion de redonner de l'espoir. Comme M. Arthuis l'a très bien dit, dans une zone franche, on doit mettre en valeur le capital humain. Mais peut-on parler de zone franche tout en continuant à mener une politique qui favorise les socioprofessionnels, qui leur accorde toujours plus d'avantages par le biais de leurs organisations professionnelles ?

Lorsqu'un client achète des produits dans un supermarché, il paie tout de suite, ce qui représente du cash pour les socioprofessionnels. Ces derniers, quant à eux, remboursent à trois mois ou quatre-vingt-dix jours. Et ils réclament toujours une amélioration des fonds de roulement, des exonérations par-ci, des exonérations par-là...

J'ai vécu la loi Pons, j'ai vécu les lois Perben et Girardin, j'ai vécu la loi d'orientation pour l'outre-mer, la LOOM. J'ai vu des socioprofessionnels guadeloupéens oser envoyer des mémoires pour demander à bénéficier de tous les avantages possibles en contrepartie de l'engagement qu'ils prenaient de réduire le chômage de 27 % à 20 % dans un délai de dix ans...

Est-ce là la réponse que nous voulons donner à la jeunesse que nous avons formée ? Ce n'est pas possible ! Ce serait méconnaître la réalité locale. Je considère pour ma part, comme notre collègue de la Martinique, Claude Lise, qu'il faut travailler encore le dossier de la zone franche, car la jeunesse attend une autre réponse.

Le deuxième élément sur lequel je souhaite insister est le problème du logement social.

M. le président. Veuillez conclure, madame Michaux-Chevry !

Mme Lucette Michaux-Chevry. Je termine, monsieur le président.

Le logement social, c'est très bien. Mais il n'y aura jamais assez d'argent pour le financer. De plus, il est traité sans qu'il soit tenu le moindre compte ni de la ressource en eau ni de l'assainissement.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous ai adressé deux questions écrites pour vous demander que l'administration ne change pas de casquette à chaque déplacement de préfet.

J'ai entendu, en effet, la presse reprocher à la classe politique de la Guadeloupe de ne pas avoir traité le problème des déchets. C'est faux : ce problème avait été réglé ! Mais j'ai le regret de vous apprendre qu'un préfet a annulé, en violation de toutes les règles du code des marchés, une décision prise en la matière par le conseil général de la Guadeloupe. En conséquence, à la suite d'un arrêt de la cour administrative de Bordeaux, les contribuables guadeloupéens sont obligés de rembourser à une société de travaux publics le coût d'un ouvrage qui n'a pas été construit.

Monsieur le secrétaire d'État, je voterai ce projet de budget, car vous avez lancé une idée nouvelle pour la Caraïbe. Vous avez entrebâillé les portes, ce qui permettra à l'outre-mer de sortir de l'exotisme traditionnel dans lequel il est cantonné.

Vous avez entrebâillé les portes de la responsabilité. Vous devez désormais aller plus loin et vous pouvez le faire. C'est la volonté du Président de la République : essayons de la respecter ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'examen du premier budget pour l'outre-mer de la nouvelle législature reste un exercice paradoxal. De toute la République, les régions et collectivités d'outre-mer sont les seules pour lesquelles le Parlement discute des dépenses engagées, pour elles, par l'État. Mais il le fait à travers le budget du secrétariat d'État à l'outre-mer, qui ne représente qu'une partie de ces dépenses.

Par ailleurs, d'année en année, les périmètres de ce budget sont modifiés et des crédits sont transférés à d'autres ministères. Il est donc difficile de vérifier si les évolutions constatées répondent à la progression démographique, aux exigences sociales ou à l'évolution du coût de la vie.

Ce budget comporte deux principaux programmes : l'emploi et les conditions de vie.

Dans le premier programme, les dépenses liées aux exonérations de charges sociales, soit 867 millions d'euros, restent les plus importantes. Pourtant, les résultats de ce dispositif ne sont pas entièrement prouvés. Des réserves ont été émises dans le rapport d'étape de la commission d'évaluation de la loi programme pour l'outre-mer, dans l'avis du Conseil économique et social, ainsi que dans le rapport d'audit sur les exonérations de charges. Il est indiqué, dans l'un de ces documents, qu'il s'agit d'un « dispositif indifférencié de transfert de la métropole vers les DOM » plutôt qu'un « dispositif ciblé sur la création d'emplois ». Son amélioration appelle donc débat.

Je suis inquiète quant à la baisse des crédits destinés aux contrats aidés. Nous avons, certes, de bonnes performances économiques, mais notre progression démographique gomme en partie ces résultats en termes de création d'emplois. Notre taux de chômage reste le plus élevé de la République. La zone franche globale que vous proposez ne permettra pas de donner une activité ou du travail à tous. Elle ne répond pas à tous les besoins d'une société en mutation. Nous devons donc bâtir, en plus, une véritable économie de la solidarité.

La Réunion va expérimenter le contrat unique d'insertion. D'autres initiatives sont possibles, car des textes nous permettent, à titre expérimental, de déroger aux lois et aux règlements en vigueur. Innovons donc : cherchons les moyens les plus efficaces pour conduire le contrat aidé vers un emploi pérenne ; allons vers une professionnalisation des employés ; passons d'une logique de guichet à celle d'un choix partagé ; trouvons de nouveaux partenaires et d'autres sources de financement, comme l'épargne populaire.

Cela suppose que, de son côté, l'État fasse jouer davantage la solidarité nationale, en augmentant les crédits du Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, le FEDOM.

Je milite pour la transformation des emplois aidés en emplois durables dans deux secteurs, gros utilisateurs de main-d'oeuvre : les services de l'environnement et les services à la personne.

Selon vous, dans le programme « Conditions de vie outre-mer », les crédits du logement social augmentent. Cette évolution est contestée. Vous envisagez, dans le projet de loi de programme, la mise en place d'un dispositif de défiscalisation plus profitable au logement social. Mais le problème est si complexe que des moyens fiscaux supplémentaires et une ligne budgétaire plus ou moins bien dotée ne peuvent, à eux seuls, les résoudre.

Sur ce sujet, nous cultivons une particularité : à la Réunion, l'ensemble des partenaires partagent la même analyse et font les mêmes préconisations. Ils ont signé, en 2004, le Livre blanc sur le logement social. Au rang des signataires partenaires, il y a les collectivités territoriales, l'association des maires, les bailleurs sociaux et le représentant de l'État.

Une telle unanimité impose que l'on étudie les propositions faites et que l'on examine les voies et moyens pour les mettre en oeuvre. Depuis 2004, les gouvernements successifs ont refusé de le faire. Au nom de la rupture dont vous vous réclamez, allez-vous prendre en compte, monsieur le secrétaire d'État, cette contribution en élaborant, par exemple, une loi sur le logement spécifique aux DOM ?

Le Gouvernement veut une mise à plat des dispositifs de la continuité territoriale : passeport mobilité, dotation de continuité territoriale, congé bonifié, etc. Cette réforme va-t-elle marquer un retrait de l'État ? Nous le craignons. L'avion est le moyen qui nous permet d'exercer la liberté de circulation des hommes. La solidarité nationale doit nous aider.

Nous souhaitons être desservis par des Airbus A 380, car ils auraient l'avantage de faire baisser substantiellement les prix des billets d'avion. Allez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous soutenir dans cette démarche ?

Par ailleurs, je vous rappelle ici une question que j'ai posée en commission des affaires sociales : quand les chantiers que le chef de l'État propose pour l'outre-mer, chantiers qui vont de l'école au codéveloppement en passant par le dialogue social et l'amélioration des conditions carcérales, seront-ils donc ouverts ?

Je vous ai aussi interpellé par courrier sur le phénomène de la hausse des prix à la Réunion. Nous cumulons plusieurs handicaps. Nos prix sont plus élevés que ceux de la métropole, et ils le sont dans d'inquiétantes proportions. S'ajoutent à cela la hausse généralisée des prix des matières premières industrielles ou agricoles et leur raréfaction. Très dépendants de l'extérieur pour nos besoins essentiels, nous subissons en plus une hausse du coût du fret maritime, avec une augmentation de 40 % en un an, qui résulte de la hausse du prix des carburants mais surtout d'un manque de cargos, lesquels desservent de moins en moins notre zone.

Ce phénomène de hausse a et aura de nombreuses conséquences, notamment sur la politique que vous comptez mener. Il faut des solutions pour répondre à trois problèmes : la baisse du pouvoir d'achat, la pénurie de matières premières et la desserte maritime de l'île. Je compte sur une action forte du Gouvernement pour nous aider à y faire face.

Monsieur le secrétaire d'État, au-delà de votre budget, d'autres sujets nous préoccupent.

Dans le cadre des négociations sur les APE, la Commission de Bruxelles a signé un accord intermédiaire avec les pays du groupe ESA, ou Eastern and Southern Africa. Un accord définitif interviendrait fin 2008. Nous espérons que nos intérêts seront défendus.

La future départementalisation de Mayotte est désormais inscrite dans les faits. Cette évolution aura de nombreuses conséquences. Dans le seul domaine institutionnel par exemple, ira-t-on vers une région française de l'océan Indien comprenant les deux entités, c'est-à-dire la Réunion et Mayotte ?

La réforme de l'OCM sucre arrivera à échéance en 2014. Notre régime spécifique de l'octroi de mer sous sa forme actuelle prendra fin à la même époque.

Ce sont autant de rendez-vous à court et moyen termes qu'il faut préparer, et nous espérons que la discussion sur votre projet de loi de programme nous donnera l'occasion et le temps de le faire, ce qui n'est pas possible aujourd'hui.

Dans un de ses discours lors de la campagne présidentielle, M. Nicolas Sarkozy saluait les apports significatifs de l'outre-mer à la France et à l'Union européenne.

En effet, nous rejoignant dans l'analyse, le futur chef de l'État notait que l'outre-mer permettait à la France d'être de « plein pied » dans le monde, d'être la quatrième puissance maritime avec une zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés et de bénéficier d'une vaste diversité culturelle. L'outre-mer, c'est aussi, reconnaissait M. Sarkozy, ces hommes et ces femmes qui se sont battus pour la France. C'est aujourd'hui Kourou. C'est une importante biodiversité. C'est une modernité sociale et c'est aussi la coexistence de grandes religions du monde.

« Il est temps de porter une autre image de l'outre-mer », déclarait M Sarkozy. Cela signifie sans doute que, pour mieux reconnaître notre rôle de « frontières actives » de la France et de l'Europe aux confins des continents, nous soyons considérés comme des partenaires. Cela signifie que la nation apprécie ce que nous lui apportons et qu'elle ne lésinera pas sur sa solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)