M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Bernard Fournier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux opérations spatiales nous fait prendre la mesure, aujourd'hui, de l'importance et des enjeux liés à l'espace, dont les implications sont considérables sur les plans tant civil que militaire.

En dehors des grandes explorations planétaires qui marquent les esprits, les préoccupations plus générales de la société liées aux questions environnementales, en particulier, au réchauffement planétaire, relancent d'une certaine façon l'intérêt du grand public pour les spécialistes de l'espace. Celui-ci est désormais présent dans la vie quotidienne ; il touche tous les citoyens et doit, par conséquent, les mobiliser.

C'est la raison pour laquelle il faut que la France se dote aujourd'hui d'une législation spécifiquement dédiée aux opérations spatiales.

Si, dès les débuts de la conquête spatiale, les pouvoirs publics ont pris la mesure de l'enjeu stratégique que représentait la maîtrise de l'espace, ainsi que de l'intérêt commercial qui pouvait y être lié, la France ne possédait pas de véritable loi spatiale nationale. Aujourd'hui, les résultats de l'effort consenti par la France, depuis cette époque, en faveur des opérations spatiales, que ce soit dans un cadre national ou au sein de l'Agence spatiale européenne, sont tellement évidents que notre pays est devenu une puissance spatiale de niveau mondial.

En effet, à travers le Centre national d'études spatiales, la France a joué un rôle de premier plan dans le développement des lanceurs Ariane, qui ont réussi, dans un environnement commercial très concurrentiel, à faire reconnaître leur fiabilité et leurs qualités techniques. Les lanceurs sont la pierre de base, le fondement de toute politique spatiale ; ils nous ont permis d'être autonomes.

Je le répète, la France est devenue une grande puissance spatiale, puisqu'elle occupe la première place en Europe et la troisième à l'échelle mondiale, derrière les États-Unis et la Russie.

Jusqu'à présent, les opérations spatiales ont essentiellement été conduites par l'Etat, notamment par l'intermédiaire du Centre national d'études spatiales.

Le besoin d'un cadre juridique national, spécifique aux opérations spatiales, c'est-à-dire aux activités ayant pour objet de lancer et de guider, dans l'espace extra-atmosphérique, des objets qui permettront ensuite d'offrir au consommateur final un certain nombre de services, ne s'était donc pas vraiment fait sentir. L'État exerçait un contrôle de fait sur l'ensemble des activités spatiales développées sur son territoire ou avec son concours.

Cependant, cette configuration est aujourd'hui révolue, et il est désormais temps que la France possède, en matière spatiale, sa propre législation, digne de son rang de puissance spatiale mondiale.

L'explosion du marché des télécommunications et de la télévision par satellite ainsi que le formidable succès des lanceurs Ariane ont fait augmenter considérablement la demande sur le marché des opérations spatiales. L'État doit désormais compter avec des partenaires qui remettent en cause la place qu'il occupait jusqu'à présent. En outre, il devrait connaître prochainement de nouvelles expositions aux risques juridiques liés aux activités spatiales, du fait de la politique d'ouverture du centre de Kourou à des lanceurs originaires de nouveaux pays.

Ainsi, à partir du premier semestre 2009, le centre spatial guyanais devrait voir décoller des fusées russes de type Soyouz et des lanceurs italiens de type Vega, ce qui rend d'autant plus nécessaire la mise en place d'un cadre national applicable à l'ensemble des situations.

L'espace représente à l'évidence un objectif stratégique pour la France ; il est à la fois un outil de développement économique et une composante essentielle de l'autonomie de décision et d'action de notre pays.

L'intensification des opérations spatiales, tant nationales qu'internationales, et la multiplication des opérateurs dans ce domaine ont donc conduit le Gouvernement, dès 2004, à demander au Conseil d'État une étude sur le cadre juridique des opérations spatiales ; le projet de loi qui est présenté aujourd'hui par Mme le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche s'inspire directement des conclusions du rapport élaboré par cette institution en 2006.

En application du droit international, la France se trouve in fine financièrement responsable pour tous les dommages causés par les objets spatiaux lancés depuis son territoire ou par des opérateurs français, y compris lorsque ces objets sont envoyés dans l'espace depuis l'étranger.

Dans ce nouveau contexte d'exploitation commerciale accrue de l'espace, la France doit pouvoir honorer ses engagements internationaux en se dotant aujourd'hui, à l'instar des États-Unis, de la Russie ou de l'Allemagne, d'une législation dédiée aux opérations spatiales.

En visant un double objectif - mettre le droit interne en conformité avec le droit international et offrir un cadre juridique contribuant à la compétitivité globale de nos activités spatiales -, le projet de loi relatif aux opérations spatiales tend essentiellement à instaurer un régime d'autorisation permettant aux autorités françaises d'assurer un contrôle effectif sur les activités spatiales, et ce dans les différentes hypothèses susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat.

En contrepartie, le texte prévoit l'octroi d'une garantie financière de l'Etat au-delà d'un plafond des sommes dues par les opérateurs, au titre de la réparation des dommages causés par leurs activités.

Parallèlement à ce nouveau système d'autorisation et de garantie, sur lequel repose son équilibre global, le présent projet de loi vise à consolider, voire à créer, un cadre juridique sur des points plus spécifiques, tels que la gouvernance du centre spatial guyanais, les règles de la propriété intellectuelle applicables aux activités réalisées dans l'espace extra-atmosphérique, ou encore l'encadrement juridique de l'utilisation des données d'origine spatiale, notamment au regard des exigences de la sécurité nationale.

Enfin, je tiens à rendre hommage à notre excellent collègue Henri Revol, rapporteur de ce projet de loi au nom de la commission des affaires économiques, et à l'important travail qu'il a accompli, avec la très grande compétence que nous lui connaissons tous, ...

M. Henri Revol, rapporteur. Merci !

M. Bernard Fournier. ... dans un laps de temps extrêmement court, en raison de la modification de l'ordre du jour du Sénat.

M. Daniel Raoul. Effectivement !

M. Bernard Fournier. Avec mes collègues du groupe UMP, j'apporterai mon soutien aux pertinents amendements de clarification et de précision que proposera, au nom de la commission, notre rapporteur, amendements qui contribueront à améliorer significativement et à compléter ce texte.

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, dans la situation où nous nous trouvons, l'espace s'impose aujourd'hui indiscutablement à tous, qu'ils soient ou non décideurs, et nos concitoyens en sont bien conscients. Cette loi spatiale française est donc aujourd'hui essentielle ; le groupe UMP la votera bien entendu. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, la 179e fusée Ariane était lancée depuis la base spatiale de Kourou, en Guyane. À la fin du mois de janvier, le lanceur doit emporter l'engin le plus prometteur de l'Europe spatiale, l'ATV, ou Automated Transfer Vehicle, chargé de ravitailler la Station spatiale internationale en air, en fret ou en eau.

Le lanceur franco-européen domine depuis quelques années le marché des gros satellites commerciaux. Pas moins de 57 fusées sont actuellement en cours de montage pour faire face aux futures commandes.

La base spatiale de Kourou se trouve, elle aussi, en pleine croissance : à la suite de l'accord de coopération qui a été conclu, le 7 novembre 2003, entre la France et la Russie pour permettre l'exploitation du lanceur russe Soyouz à Kourou, un nouveau pas de tir géant pour Soyouz est en passe d'être achevé, qui devrait être opérationnel au début de 2009. Parallèlement, un troisième pas de tir est construit pour une fusée italienne Vega, qui emportera dès la fin 2008 de petites unités.

C'est donc une sorte d'aéroport spatial qui se crée en Guyane. Ce chantier est à la mesure des projets en cours : outre l'ATV, l'Europe spatiale travaille actuellement sur le système Galileo, sur le tourisme spatial, avec Astrium, ou encore sur le remplacement du télescope Hubble par le James Webb Space Telescope, que la Nasa a sous-traité à Arianespace.

Devant une telle réussite, il est tentant de voir dans l'absence de loi spatiale française une anomalie, une lacune qu'il est urgent de combler. Cette situation découle de la période durant laquelle l'État était, par l'intermédiaire du Centre national d'études spatiales, à la fois le premier actionnaire d'Arianespace, le maître d'oeuvre du lanceur Ariane et l'actionnaire de nombreuses entités créées pour commercialiser les utilisations potentielles des satellites ou des sondes envoyés dans l'espace extra-atmosphérique.

Dans cette configuration où l'État se trouvait en mesure d'exercer un contrôle de fait sur l'ensemble des activités spatiales développées sur son territoire, ou avec son concours, il n'y avait rien de paradoxal à ce que l'adoption de règles de droit en la matière n'apparaisse pas comme une priorité.

Toutefois, cette époque est aujourd'hui révolue : le secteur spatial s'est transformé, rapidement et en profondeur. C'est la conséquence de l'ampleur considérable prise par l'exploitation commerciale de l'espace : l'explosion du marché des télécommunications et de la télévision par satellite s'est répercutée sur le marché des opérations spatiales et y a augmenté la demande.

Confrontés à cette pression accrue, les industriels ont fusionné, ce qui a conduit à une dilution des participations, autrefois substantielles, que l'État détenait dans leur capital ; de nouveaux acteurs, sans lien financier avec l'État, se sont imposés sur le marché des opérations spatiales, comme la société Starsem, constituée en 1996 avec des capitaux français et russes afin d'effectuer des lancements à partir du cosmodrome de Baïkonour. L'État n'exerce donc plus aujourd'hui l'emprise qui était la sienne hier sur le secteur des opérations spatiales.

Du point de vue des opérateurs, il est impératif de bénéficier d'un environnement où la sécurité juridique est garantie. C'est là, en effet, l'une des conditions nécessaires du développement, dans la durée, des activités économiques qui exigent des investissements considérables.

Du point de vue de l'État, il est en outre indispensable de s'assurer la capacité de contrôler les opérations spatiales. Il y va, d'abord, du respect par la France des conventions internationales qu'elle a souscrites.

À cet égard, l'article VI du traité du 27 janvier 1967 sur l'espace, signé et ratifié par la France, est formel : tout État partie à ce traité a « la responsabilité internationale des activités nationales dans l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes » et doit « veiller à ce que les activités nationales soient poursuivies conformément aux dispositions énoncées dans le [...] Traité » ; à cette fin, « les activités des entités non gouvernementales dans l'espace extra-atmosphérique [...] doivent faire l'objet d'une autorisation et d'une surveillance continue de la part de l'État approprié partie au Traité ».

L'exercice par l'État d'un contrôle sur les opérations spatiales s'impose également compte tenu des risques élevés que celles-ci font peser sur les biens et les personnes, et parce que les dommages éventuellement causés engagent, dans les conditions prévues par la convention du 29 mars 1972, la responsabilité internationale de la France, dès lors que notre pays a la qualité d'État de lancement. Il se justifie, enfin, dans la mesure où la maîtrise des opérations spatiales représente un enjeu de sécurité nationale, en raison de l'usage qui peut être fait des satellites d'observation ou de télécommunication.

Le groupe UC-UDF est favorable à ce projet de loi, qui apporte des solutions effectives à ces problèmes.

Tout d'abord, ce texte accorde aux autorités françaises les moyens juridiques d'exercer un contrôle sur les opérations spatiales susceptibles d'engager la responsabilité internationale de la France, en mettant en place un régime d'autorisation préalable de ces opérations.

Surtout, en lui donnant un fondement législatif, ce texte sécurise le régime de responsabilité en limitant la responsabilité de l'opérateur spatial à raison des dommages causés aux tiers à concurrence d'un plafond, avec obligation pour l'opérateur de souscrire une assurance ou de fournir une garantie, et en accordant la garantie de l'État pour les dommages dont le montant excéderait ce plafond.

L'équilibre du texte semble donc assez cohérent. D'une part, le principe d'une indemnisation par l'État des dommages causés lors d'une opération spatiale menée depuis le territoire européen, essentiellement Kourou, au-delà d'un certain montant est de nature à garantir l'indemnisation effective des victimes et à rassurer les acteurs du monde spatial. D'autre part, cette possibilité est encadrée ; elle est en particulier conditionnée à l'obtention d'une autorisation administrative de l'opération étant à l'origine de l'incident et à l'information de l'État en cas de mise en cause de la responsabilité de l'opérateur.

J'observe par ailleurs que le montant des seuils permettant la mise en jeu de la responsabilité de l'État ne figure pas dans ce projet de loi. En effet, il s'agit du domaine exclusif des lois de finances. À cet égard, il serait souhaitable qu'au moment d'examiner ces seuils le Parlement bénéficie non seulement de modèles lui permettant d'évaluer la probabilité de survenue de tels incidents mais également d'informations sur la comptabilisation de ce risque par l'État.

Enfin, je souhaite insister sur trois points qui me semblent essentiels.

Premièrement, il est nécessaire de mieux exploiter la complémentarité des régions polaires avec les missions spatiales (M. Daniel Raoul rit.), comme je l'ai rappelé dans mon rapport sur la recherche polaire française intitulé Se donner les moyens de l'excellence : la recherche polaire française à la veille de l'année polaire internationale.

Aujourd'hui, de nombreuses missions spatiales sont préparées ou validées par des travaux dans les régions polaires. L'Antarctique est de plus en plus reconnu comme un lieu très favorable à la préparation des missions de longue durée pour l'exploration du système solaire, que ce soit pour le matériel ou pour les hommes. Cette dimension scientifique et technologique est réellement prometteuse et mérite d'être prise en compte à sa juste mesure.

Deuxièmement, je rappellerai une préoccupation que j'avais déjà exprimée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2008, en tant que rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Non directement liée au présent projet de loi, elle concerne néanmoins un sujet très connexe, à savoir l'évolution de la dette du CNES à l'égard de l'Agence spatiale européenne.

Comme je l'avais alors fait remarquer, cette dette, selon les propres données du Gouvernement, doit encore augmenter au cours de cette année, pour atteindre 372,7 millions d'euros à la fin de 2008. Dans ces conditions, l'objectif de ramener la dette à zéro à la fin de 2010 paraît très difficile à atteindre, voire irréaliste. Pour y parvenir, il faudrait soit une réduction drastique des programmes de l'Agence spatiale européenne lors de la prochaine conférence ministérielle de l'Agence, perspective ni vraisemblable ni même souhaitable, soit une augmentation très importante de la contribution de la France en 2010, de façon à couvrir la participation de l'année de notre pays et l'ensemble des arriérés accumulés à cette date.

Estimant nécessaire de poser clairement le problème afin de prévenir tout risque de nouvelle dérive financière de l'Agence spatiale européenne, la commission des finances a, sur mon initiative, demandé une enquête à la Cour des comptes sur cette question, selon la procédure définie à l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances.

Une audition se tiendra au Sénat cette année, après que la Cour des comptes aura remis sa communication. Madame la ministre, peut-être pourriez-vous déjà nous livrer quelques pistes sur la maîtrise de l'endettement du CNES et la future programmation de l'Agence spatiale européenne ?

Troisièmement, si l'adoption de ce projet de loi est un préalable indispensable, il ne faut pas s'arrêter en chemin : il est nécessaire de poursuivre la réflexion dans un cadre européen.

Un certain nombre des questions qui se posent en matière spatiale ne peuvent trouver de réponse que dans un cadre supranational. Il en va ainsi de la question de la surveillance de l'espace extra-atmosphérique. En outre, comme l'a souligné notre collègue Alain Gournac, se posera également un jour la question de l'harmonisation du droit spatial applicable dans les différents États européens, notamment en ce qui concerne la propriété intellectuelle ou les obligations d'assurance ou de garantie qui incombent aux opérateurs spatiaux.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Christian Gaudin. Une question politique doit également être tranchée, celle qui concerne la répartition des compétences entre l'Agence spatiale européenne et l'Union européenne en matière spatiale.

Madame la ministre, l'Europe a besoin d'une industrie spatiale compétitive à l'échelon mondial et doit tirer pleinement parti de l'espace pour soutenir ces politiques de portée internationale, notamment une politique industrielle efficace. La France a aujourd'hui le devoir d'y garder toute sa place. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous venons d'examiner, dans des conditions extrêmement difficiles, la proposition de loi relative aux tarifs réglementés d'électricité et de gaz naturel, nous sommes à nouveau amenés à débattre d'un projet de loi de trente articles dans une précipitation telle que nous n'aurons même pas eu la possibilité d'auditionner les principaux acteurs concernés. Cette observation ne fait que souligner le travail remarquable accompli par notre collègue Henri Revol, dans le temps très bref qui lui a été imparti.

M. Henri Revol, rapporteur. Merci !

M. Daniel Raoul. Les délais extrêmement courts dont nous disposons ne peuvent que nuire à la qualité de nos travaux. J'espère néanmoins que la navette parlementaire nous permettra de progresser.

Nous nous voyions imposés, hier, un calendrier parlementaire très chargé, prévoyant l'examen de nombreux textes, ce qui nous a contraints à étudier en un seul jour le projet de loi, le rapport et les amendements.

Nous subissons aujourd'hui les bouleversements de l'ordre du jour, qui témoignent des grandes difficultés que rencontre le Gouvernement, notamment sur la question des organismes génétiquement modifiés, les OGM, à propos desquels le Président de la République vient d'invoquer la clause de sauvegarde.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est très important puisqu'il concerne la régulation et le contrôle des opérations spatiales, c'est-à-dire de « toute activité consistant à lancer ou tenter de lancer un objet dans l'espace extra-atmosphérique ou à assurer la maîtrise d'un objet spatial pendant son séjour dans l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, ainsi que, le cas échéant, lors de son retour sur Terre », selon la définition qui se trouve dans ce projet de loi.

Historiquement, l'État a longtemps exercé l'activité de contrôle sur les activités spatiales, parce qu'il était, par l'intermédiaire du CNES, le premier actionnaire d'Arianespace, le maître d'oeuvre du lanceur Ariane et l'actionnaire de nombreuses entités créées pour commercialiser les utilisations des satellites. Dans un tel contexte, il ne semblait pas forcément nécessaire de se doter d'un arsenal juridique pour établir un certain nombre de règles contraignantes à destination d'opérateurs majoritairement publics. Les traités et conventions internationaux définissaient, quant à eux, un certain nombre de règles internationales.

La nécessité s'est fait ressentir avec l'explosion du marché des télécommunications et de la télévision par satellite. Le contexte de déréglementation et de privatisation, qui n'a épargné aucun des secteurs économiques, a également entraîné la dilution des participations de l'État dans le capital des différents opérateurs intervenant dans ce domaine. Cela s'est traduit de fait par un affaiblissement du rôle de l'État et du contrôle qu'il exerçait sur les opérations spatiales, dont il avait, pour ainsi dire, le monopole.

Pour ces raisons, le vice-président du Conseil d'État faisait voilà peu la remarque suivante : « Du point de vue des opérateurs, il est impératif de bénéficier d'un environnement où la sécurité juridique est garantie. [...] Du point de vue de l'État, il est en outre indispensable de s'assurer la capacité de contrôler les opérations spatiales, alors même qu'elles ont vocation, de plus en plus, à être exercées par des acteurs privés, dans le cadre d'activités commerciales et sur un marché concurrentiel. »

Force est de reconnaître que de nombreuses entreprises privées - Eutelsat, Astra... - ou semi-publique - Arianespace - agissent dans l'espace pour fabriquer des satellites, lancer des fusées... Les opérations de lancement se multiplient et ont tendance à se banaliser, tandis qu'apparaissent des opérateurs low cost.

Dans ce nouveau contexte de déréglementation et d'essor d'opérateurs privés, le risque d'accidents augmente, comme l'a souligné M. le rapporteur. Alors que, dans un tel secteur, les dommages causés aux personnes et aux biens peuvent être très importants, la responsabilité financière de l'État sur le territoire duquel il a été procédé au lancement demeure engagée, d'après les règles internationales.

Le projet de loi a donc pour but de prévoir l'instauration d'un régime d'autorisation permettant à la France d'assurer le contrôle sur les activités spatiales, d'obliger les opérateurs à apporter les garanties financières nécessaires, même si elles sont plafonnées, et de limiter ainsi la responsabilité de l'État.

Si le contenu de ce projet de loi semble, de prime abord, assez consensuel, il n'en demeure pas moins que deux principales observations peuvent être formulées.

En premier lieu, ce projet de loi contient un grand nombre de décrets sur le contenu desquels nous ne disposons guère d'informations à l'heure actuelle. Et M. le rapporteur s'apprête même à en prévoir d'autres par voie d'amendements. Toutefois, leur objet aurait, semble-t-il, été négocié avec quelques industriels et serait suffisamment souple pour donner toute satisfaction à ces derniers... Comme je l'ai fait remarquer au début de mon propos, la commission des affaires économiques n'a pas eu l'occasion d'organiser les auditions nécessaires.

Pourtant, monsieur le rapporteur, j'observe que vous présentez à l'article 4 un amendement qui tend à assouplir encore le régime d'autorisation, en mettant en place un régime de licence valant autorisation. Autant dire qu'un pas supplémentaire serait ici franchi, puisque la banalisation du régime d'autorisation entraînerait la suppression de toutes les contraintes pesant sur les opérateurs. Mais nous y reviendrons lors de l'examen de cet amendement.

En second lieu, vous consacrez dans votre rapport, et je m'en félicite, un passage au rôle premier et historiquement moteur qu'a joué le CNES en matière de politique spatiale. Force est de reconnaître que c'est surtout grâce à cet acteur que la France a pu se hisser au rang de troisième puissance spatiale mondiale et de première puissance spatiale européenne.

Ainsi pouvons-nous être fiers des belles réussites qui doivent être portées à l'actif du CNES, et ce dès le milieu des années soixante, comme le lancement de la fusée civile Diamant A et du satellite Astérix.

On ne peut donc que se féliciter du rôle particulier qu'a joué le CNES par le passé, notamment en favorisant la promotion d'une véritable politique de coopération au sein de l'Europe, en oeuvrant pour la création en 1975 de l'Agence spatiale européenne - madame la ministre, je préfère le sigle ASE à celui d'ESA, lorsque nous sommes au Sénat -...

M. Alain Gournac. Oui ! Il a bien raison !

M. Daniel Raoul. ...en jouant un rôle moteur dans la création du programme Ariane, et en assurant la maîtrise d'ouvrage pour développer le lanceur européen.

Créé en 1961, en pleine guerre froide, pour assurer l'indépendance de la France dans le secteur spatial - il s'agissait bien d'une vision gaulliste des enjeux stratégiques -,...

M. Alain Gournac. Exactement !

M. Daniel Raoul. ...le CNES a été pourvu du statut d'établissement public à caractère industriel ou commercial. Il s'est vu confier plusieurs missions de recherche d'intérêt national qui ont permis à la France d'assurer le lancement de satellites civils et nucléaires et de se maintenir dans la compétition mondiale.

Je pourrais d'ailleurs faire la même remarque concernant l'énergie et le parc nucléaires, qui datent exactement de la même époque - celle du gouvernement Messmer -, ce qui nous permet de détenir aujourd'hui cette fameuse rampe nucléaire que nous évoquerons lors de la discussion d'un prochain texte.

Avec l'appui d'un réseau de laboratoires et d'établissements techniques, notamment les trois centres techniques de Toulouse où sont élaborés les satellites, de Guyane, base de lancement française et européenne, et d'Évry où l'activité principale est de contribuer à la conception des lanceurs, le CNES dispose de compétences techniques indiscutables et mondialement reconnues d'ailleurs.

Mais il faut aussi s'interroger aujourd'hui sur le rôle qu'il pourra jouer à l'avenir, alors que la concurrence ne cesse de s'accroître et que des exigences nouvelles émergent.

Madame la ministre, comment préserver ce haut niveau de compétences en matière de recherche, dans le domaine technique et industriel, avec toutes les retombées que cela a sur l'ensemble de notre économie ?

Le CNES est-il encore en mesure de jouer un rôle moteur dans la politique spatiale française et d'être coeur de la compétition européenne et mondiale ?

Dispose-t-il de moyens suffisants ?

Je fais là miennes un certain nombre d'interrogations que mes collègues ont formulées avant moi.

Monsieur le rapporteur, dans le rapport intitulé Politique spatiale : l'audace ou le déclin - Comment faire de l'Europe le leader mondial de l'espace, que vous avez rédigé avec notre regretté collègue député Christian Cabal dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, vous souhaitiez que le CNES puisse « se livrer sans crainte à sa mission fondamentale, proposer aux pouvoirs publics une stratégie scientifique, technique et industrielle de l'espace, ambitieuse et innovante, et mettre en oeuvre les décisions prises, par le pouvoir politique », et qu'il se voie « habilité à proposer une gamme de projets de l'ambition la plus grande, susceptibles de faire de la France un acteur mondial de tout premier plan », c'est-à-dire que son rôle actuel soit conforté.

Vous estimiez à l'époque que la nouvelle loi en préparation sur le droit spatial, à savoir le texte que nous examinons aujourd'hui, devrait donner de nouvelles compétences au CNES pour la réglementation des activités spatiales - c'est bien ce qui se passe - et pour la certification, lesquelles exigeraient des crédits supplémentaires et donc, sans doute dans votre esprit à l'époque, une loi de programme. Or force est de souligner que les crédits accordés au titre de la loi de finances pour 2008 ne sont pas à la hauteur des besoins du CNES et risquent de compromettre les missions et le rayonnement international de ce dernier. Je ne reviendrai pas sur la dette à l'égard de l'ASE qu'a évoquée mon collègue Christian Gaudin.

Par ailleurs, je m'interroge sur certains des amendements présentés par la commission. Je souhaite que Mme la ministre m'éclaire notamment sur l'amendement n° 22, déposé à l'article 8, dont la rédaction actuelle nous convient tout à fait.

En effet, tel qu'il est actuellement rédigé, cet article prévoit un pouvoir nouveau, celui de donner à tout moment des instructions aux opérateurs en vue d'assurer la sécurité des personnes, des biens et de l'environnement en matière de lancement ou de maîtrise d'un objet spatial.

Il précise que ces instructions peuvent consister en la suspension, l'arrêt ou l'interdiction d'un lancement, voire la destruction d'un objet spatial.

Il confie cette nouvelle compétence à l'autorité administrative ou, sur délégation de celle-ci, au président du CNES ou aux agents habilités par ce dernier. On reconnaît ainsi la compétence et l'expertise technique du CNES en matière de lancement. Tel était bien le souhait du Conseil d'État qui avait réaffirmé dans son rapport intitulé Pour une politique juridique des activités spatiales, publié en 2006, la nécessité de maintenir le CNES comme le bras armé de l'État en matière de contrôle des opérations spatiales.

Sur ce point, le rapport du Conseil d'État précisait ceci : « il ne paraît pas souhaitable, comme cela est le cas pour la régulation d'autres secteurs économiques, comme les télécommunications ou l'énergie » - on pourrait toutefois en rediscuter -, « de confier cette fonction à une autorité administrative indépendante ». Force est de relever, en la matière, les aléas rencontrés par certaine haute autorité. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, on peut cependant se poser des questions sur l'indépendance susvisée !

Et le Conseil d'État d'ajouter que le ministère chargé de l'espace ne disposait pas de ressources et de compétences nécessaires pour assurer l'instruction technique des demandes et que, en l'état, seul le CNES possédait la compétence technique requise à cette fin, notamment au sein de sa direction de lanceur.

Or, la rédaction que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, ne risque-t-elle pas d'aboutir au démantèlement du CNES en confiant, d'un côté, le domaine régalien et l'expertise à une autorité indépendante et, de l'autre, la recherche au CNES ?

En séparant le domaine régalien de la recherche, ne risque-t-on pas, par la même occasion, de mettre à mal toute la capacité actuelle d'expertise du CNES, dont chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître la qualité ?

Ne va-t-on pas y perdre sur les deux tableaux ? Dans le domaine du régalien, la qualité de la régulation et du contrôle s'en fera ressentir. En matière de recherche, notre compétence pourrait s'amenuiser.

Le domaine spatial, comme l'a souligné le Conseil d'État, n'est pas comparable au secteur du nucléaire. La mise en place d'une autorité indépendante comme l'ASN, dont l'intérêt a d'ailleurs suscité de vifs débats au sein même de cette assemblée, est-elle souhaitable ?

Il est, par ailleurs, nécessaire d'assurer la continuité de l'action de l'État à travers celle du CNES. Dans un domaine où les risques sont élevés, l'on ne peut se contenter d'une délégation de compétence qui, relevant du domaine réglementaire, pourrait varier au cas par cas et selon le ministère de rattachement du domaine spatial.

Il faut, au contraire, que soit assurée une délégation permanente de compétence de la part de l'autorité administrative, afin d'assurer précisément cette continuité de l'action de l'État.

La délégation de compétence ne peut être soumise aux aléas du monde politique, des changements de gouvernement et des remaniements ministériels. Il en va du respect même du principe de continuité de l'État.

Enfin, le risque mis en évidence par le Conseil d'État de possibles conflits d'intérêt avec les activités qu'exerce le CNES, ce qui aurait pu remettre en cause la mission de ce dernier quant à la régulation des activités spatiales, a été écarté. Comme le recommandait le Conseil d'État, le CNES s'est progressivement désengagé de ses activités commerciales en les cédant à l'Agence des participations de l'État. J'espère d'ailleurs que tel est bien le cas actuellement, car un paragraphe du rapport de la commission a semé le doute dans mon esprit sur ce point. Mais s'il en est bien ainsi, l'indépendance et la neutralité du CNES ne sont manifestement plus contestables.

Nombre d'interrogations demeurent sur l'objet de l'amendement de la commission. J'y vois, à terme, un risque de démantèlement du CNES et donc d'affaiblissement de l'un des maillons essentiels de notre politique spatiale. Je demeure perplexe et j'attends les explications que vous voudrez bien nous donner tout à l'heure, monsieur le rapporteur, à l'occasion de la présentation dudit amendement, ainsi que celles de Mme  la ministre.

Quoi qu'il en soit, je souhaite en cet instant avoir plus de détails sur les nombreux décrets prévus par le projet de loi et plus de temps pour les examiner.

Malgré un préjugé favorable à l'égard du projet de loi que vous nous soumettez, madame le ministre, j'apporterai à votre copie, par déformation professionnelle, l'appréciation suivante : « Peut mieux faire en matière d'information du Sénat ».

Par conséquent, en attendant la deuxième lecture, les membres du groupe socialiste s'abstiendront.