M. Hubert Haenel. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. ...comme l'ensemble des partis socialistes d'Europe.

J'aimerais cependant souligner que cet engagement des socialistes pour l'Europe se double d'une ambition, celle de réaliser une Europe du progrès social, et d'une exigence, celle de construire une Europe des citoyens.

Si la construction européenne est un succès indéniable pour la paix du continent, il n'en demeure pas moins que le désenchantement des citoyens face au projet européen montre qu'elle a aujourd'hui besoin d'un nouvel élan, d'un nouveau projet et, surtout, d'une nouvelle méthode.

Ce n'est pas véritablement une avancée que d'éviter de soumettre la ratification du traité de Lisbonne au peuple français alors que ce dernier, cela a été dit plusieurs fois, avait rejeté le traité constitutionnel européen en 2005. C'est au contraire un mauvais service à lui rendre, ou plutôt à ne pas lui rendre.

Qu'on ait été pour le « oui » ou pour le « non » en 2005, il est une leçon indéniable : la participation active des citoyens aux orientations de la construction européenne est devenue un impératif démocratique.

Or le chef de l'État escamote le débat après le référendum de 2005. C'est un jeu dangereux, pour l'engagement européen de la France et des Français, dont il portera la responsabilité.

Il n'est plus possible de continuer à parler d'Europe seulement tous les trois ou quatre ans à l'occasion de la révision d'un traité. L'Union européenne est une réalité quotidienne, qui façonne notre pays.

À vouloir passer en force, les antagonismes trop longtemps tus se cristallisent, sans pour autant faire progresser le projet européen.

Dans ce contexte, notre position sur le projet de révision constitutionnelle exprime cette ambition et cette exigence. Nous nous retrouvons aujourd'hui pour répondre non pas à une question qui porte sur la ratification du traité, mais à une question simple : acceptez-vous de modifier la Constitution pour permettre la ratification ultérieure du traité de Lisbonne ?

Pour cela, il me semble incohérent de répondre négativement à un préalable incontournable au débat sur la ratification du traité.

Nous ne pourrions, en effet, être favorables au traité et contre la révision de la Constitution, qui, si elle était refusée, empêcherait, d'une part, tout recours au référendum ou, d'autre part, tout examen par voie parlementaire.

Les deux procédures de révision constitutionnelle, parlementaire ou référendaire, ne sont pas substituables, interchangeables. Si l'une échoue, l'autre ne peut être utilisée. Cela signerait donc l'interruption du processus de ratification.

Qui peut croire que le Président de la République, malgré ce que j'ai entendu ce soir, accepterait de s'accommoder de la Constitution, en organisant un référendum sur la ratification sans révision préalable ? Qui peut croire à un référendum qui ne porterait que sur la révision constitutionnelle ?

À l'inverse, nous ne pouvons pas non plus donner un blanc-seing à la méthode choisie par Nicolas Sarkozy tout au long de ce processus. Nous avons durant toute la campagne pour l'élection présidentielle - ai-je besoin de le rappeler ? - défendu la voie référendaire pour la ratification. On ne peut, en effet, ignorer l'ampleur du débat de 2005 et faire tout pour qu'il n'existe plus.

Les socialistes s'opposent à la décision frileuse du chef de l'État de recourir à la ratification du traité par voie parlementaire et marqueront leur désaccord en s'abstenant sur la révision constitutionnelle.

C'est pour nous la seule façon d'être en cohérence avec nos idées. C'est pour nous la seule manière d'exiger un débat démocratique sans mettre en péril le traité, de défendre la forme autant que le fond.

Enfin, j'aimerais rappeler que, au-delà des dispositions juridiques du traité, ce qui comptera, en définitive, ce sera la volonté politique de mettre en oeuvre toutes ces dispositions pour faire avancer le projet européen. Car l'aventure européenne est une aventure politique. L'Europe peut être de droite comme elle pourra être demain, je l'espère, de gauche.

Les socialistes ont un message pour l'Europe, un projet alternatif à celui prôné par la droite de ce pays : directive sur les services publics, augmentation du budget communautaire, véritable gouvernement économique européen, politique d'investissements publics dans les infrastructures et la recherche. Nous défendons ces initiatives chaque jour dans les instances européennes.

La France prendra la présidence de l'Union européenne le 1er juillet de cette année. Mes chers collègues, si je puis me le permettre, je demande solennellement au Gouvernement d'engager une véritable délibération collective sur ces questions, par exemple en défendant l'idée d'une directive horizontale sur les services publics en Europe ou en proposant un réel renforcement de la gouvernance de la zone euro et la modification des critères du pacte de stabilité et de croissance.

Les socialistes seront mobilisés pour faire progresser leurs idées et démontrer aux Français que, au-delà des traités, une autre Europe est possible, pas forcément celle qui serait à l'image de la politique menée par Nicolas Sarkozy.

En deux mots, nous ne voulons pas d'une Europe purement intergouvernementale, d'une Europe sécuritaire et néolibérale, d'une Europe des élites contre le peuple. Mais nous aspirons à une Europe démocratique, s'appuyant sur la délibération et l'adhésion des peuples, une Europe solidaire et de progrès social.

Mes chers collègues, ce traité permettra à l'Europe de continuer à avancer vers cette « communauté de destin » qui fonde le rêve européen. Toutefois, nous devons être exigeants, car ce rêve ne sera plus si l'Europe n'apporte pas l'espérance, la perspective de débat et de progrès.

Nous sommes devant un défi immense mais fondateur : réconcilier les citoyens et le projet européen. En d'autres termes, nous devons faire en sorte que le citoyen n'ait plus peur de l'Europe et que l'Europe n'ait plus peur du regard des citoyens.

Il y va de notre responsabilité, de notre conception de la démocratie, mais aussi de notre avenir commun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président du Sénat, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous venons de saluer la mémoire de notre collègue Serge Vinçon, qui restera pour l'ensemble de ses amis l'exemple même de la gentillesse, de la compétence et de la probité, je souhaite rappeler qu'il y a bientôt dix ans, au début du mois de février 1998, nous quittait un collègue qui fut un grand Français et un grand Européen, je veux parler de Maurice Schumann.

M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Raffarin. Porte-parole de la France libre aux côtés du général de Gaulle, fondateur et président du Mouvement républicain populaire, Maurice Schumann était aussi l'ardent défenseur de l'amitié franco-allemande et le promoteur exigeant de la construction européenne.

Il était profondément gaulliste, ardemment Européen, passionnément Français.

L'UMP est fière de ses grands européens, mais elle sait aussi qu'elle doit partager cet héritage avec tous ceux qui ont agi avec tous les présidents de la ve République - il serait injuste de ma part de ne pas saluer ici l'action de Jacques Chirac -, mais aussi toutes celles et tous ceux qui, avec Pierre Pflimlin, Raymond Barre, Jacques Delors ou Simone Veil, ont marqué l'Europe de « leur cicatrice ».

Malgré ces engagements pluralistes, l'Europe s'est progressivement éloignée de ses peuples. Un immense silence a accompagné l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Union, un profond doute s'est exprimé pour le traité de Maastricht et, puisqu'il n'avait pas été entendu comme un avertissement, en 2005, ce doute s'est fait refus.

Dans une démocratie, ce ne sont pas les électeurs qui ont tort, ce sont les candidats ou les projets qui ne sont pas toujours à la hauteur des espoirs qu'ils suscitent !

C'est pourquoi il appartient à chacun d'entre nous de se remettre en cause pour essayer, là où il se trouve, d'apporter des réponses nouvelles à l'avenir de notre continent.

Chers collègues, je vous parle ici avec la sincérité de mon expérience. Le résultat du référendum de 2005, je l'ai vu, très tôt, avec une immense tristesse, inscrit dans l'évolution continue de la déception populaire à l'égard de l'Europe. On peut dire honnêtement que les causes sont multiples : la question de la Turquie, la réforme des retraites, la cassure au sein du PS, les délocalisations, la directive Bolkestein. Tout cela a sans doute compté.

Mais mon sentiment profond est que les Français ont dit tout haut ce que les peuples européens, qui n'ont pas été consultés par référendum, pensaient tout bas. Je crois, en effet, que la contestation est venue, cette fois, de certains pro-européens eux-mêmes.

Je veux dire que le vote des antieuropéens n'auraient pas suffit. Après le « non » néerlandais, j'ai été convaincu de cette analyse par Jean-Claude Juncker, le président de l'Eurogroupe, quand il m'a appris que les jeunes Luxembourgeois avaient voté massivement « non » au référendum du Grand-duché. Comment des jeunes, nés « trilingues », ne connaissant pas le chômage et vivant au coeur de l'Europe peuvent-ils dire « non » à leur avenir ? Ils ne sont pas anti-européens, ils sont sans doute - il nous faut y réfléchir - pour une Europe différente.

Pour la première fois, massivement, les Européens se sont divisés, et une grande partie d'entre eux ont rejoint les anti-européens. Là, je crois est notre erreur, nous nous sommes trompés de message. En plaçant le débat européen sur le terrain constitutionnel, nous avons donné le sentiment que notre projet n'était qu'institutionnel.

Nous avons parlé du moteur quand les peuples nous demandaient de parler de la destination. Les eurocrates nous ont égarés en nous faisant croire que la mécanique c'était de la politique. On nous demandait des projets et nous débattions des structures.

Pour beaucoup d'Européens, l'Europe existe aujourd'hui, le débat traditionnel sur la construction est maintenant dépassé.

La question n'est plus la paix en Europe, mais ce que doit faire l'Europe pour la paix du monde. La question n'est plus la monnaie unique, mais comment l'Europe protège-t-elle sa monnaie pour mieux défendre ses entreprises ? La question n'est plus de multiplier les échanges de jeunes, mais comment améliorer le classement mondial de nos universités ? La question n'est plus « l'Europe, oui ou non ? », mais comment rendre le projet européen, fort, juste et moderne ?

Le Président de la République française a entendu ces messages populaires.

Il a proposé un traité qui, à la fois, débloque la gouvernance européenne et clôt le débat institutionnel.

Il a replacé la question du travail au coeur du projet européen en s'engageant pour que l'emploi en Europe redevienne prioritaire dans la gouvernance économique et monétaire de l'Union.

Il a relancé l'Europe de la défense et, simultanément, il a construit une relation apaisée avec les États-Unis, notamment à propos de l'OTAN.

Il a donné une nouvelle perspective à l'Europe, un nouvel horizon, avec le projet d'Union pour la Méditerranée.

L'espoir européen redevient possible.

Le traité de Lisbonne n'est pas un traité « au rabais », cela a été dit. Au contraire, à bien des égards, il est même plus abouti que ne l'était le traité constitutionnel. Il apporte des réponses précises, à la fois à ceux qui ont voté « non » et à ceux qui souhaitaient que l'Europe aille de l'avant.

Le vote des Français ne pouvait être ignoré.

L'UMP est trop attachée au principe de subsidiarité et à l'existence des États-nations pour mésestimer cette inquiétude qui existe à l'égard de la construction européenne et qui nuit, évidemment, à son avenir. Le traité de Lisbonne apporte donc des réponses concrètes à la crainte manifestée par certains de voir surgir un « super État » européen.

Ce traité renonce, en particulier, à reprendre tous les attributs caractéristiques d'un État pour désigner les institutions européennes. On ne parle plus de « Constitution », mais de « traité ». Le terme de « ministre des affaires étrangères de l'Union » a été abandonné comme celui de « lois européennes ». Les symboles même de l'Europe, comme le drapeau et l'hymne, ne sont plus mentionnés dans le traité ; je souhaite cependant qu'ils restent très présents dans nos pratiques.

M. Hubert Haenel. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Raffarin. Dans le même ordre d'idées, la Charte des droits fondamentaux ne figure plus dans le corps même du nouveau traité et, comme le faisait remarquer tout à l'heure le président Hubert Haenel, si tout cela change peu juridiquement, cela change beaucoup politiquement.

La Constitution européenne était considérée, selon les cas, comme un point d'arrivée pour les « euroréalistes », ou comme un point de départ pour les plus fédéralistes. Le traité de Lisbonne clôt le débat institutionnel pour longtemps.

Ce nouveau traité comporte de nombreuses garanties afin que l'Union européenne ne s'écarte pas de sa mission. L'Union européenne dispose, en effet, de compétences d'attribution qui doivent être exercées de manière stricte. Elle n'a pas la compétence de sa compétence, comme le terme « constitution » pouvait, à tort, le faire croire.

Par ailleurs, le principe de subsidiarité est réaffirmé, l'Union n'est légitime pour intervenir que pour autant qu'elle est mieux à même d'agir que les États membres.

Bien entendu, les mécanismes prévus par le traité constitutionnel pour mieux contrôler l'exercice des compétences de l'Union européenne ont été maintenus.

Je pense à la procédure dite du « carton jaune », qui permet aux parlements nationaux de demander à la Commission européenne de revoir un projet qu'ils jugent contraire à la subsidiarité, et à la procédure dite du « carton rouge », qui leur permet de saisir la Cour de justice après l'adoption d'un texte.

Non seulement le traité de Lisbonne conserve ces avancées, mais il les complète par une troisième procédure dite du « carton orange », qui permet à une majorité de parlements nationaux d'obtenir - et c'est important - l'interruption de la discussion sur un texte au nom du respect du principe de subsidiarité.

En instaurant ainsi cette véritable « question préalable » à l'encontre d'un texte qui outrepasserait les compétences de la Commission européenne, le traité de Lisbonne renforce le contrôle politique - et donc démocratique - de la construction européenne.

Pour le Sénat, le traité de Lisbonne constitue une exceptionnelle avancée.

Jusqu'à présent, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, le Sénat était, comme l'Assemblée nationale, destinataire des projets ou propositions d'actes comportant des dispositions de nature législative. Le Gouvernement, qui pouvait lui soumettre d'autres textes, aura d'autres possibilités, et le Sénat aura également d'autres opportunités. Les pouvoirs du Sénat étaient limités, jusqu'à ce jour, puisqu'il ne pouvait adopter que des résolutions.

Avec le traité de Lisbonne et les modifications qu'il nous est proposé d'apporter à la Constitution, les attributions du Sénat se trouvent substantiellement renforcées.

Le nouvel article 88-6 prévoit que le Sénat peut « émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité », c'est-à-dire sur un projet qui nous paraîtrait en dissonance avec le principe de subsidiarité.

Par ailleurs, le Sénat pourra « former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité ».

Enfin, concernant la procédure de révision simplifiée, le nouvel article 88-7 de la Constitution prévoit qu'il appartiendra à l'Assemblée nationale et au Sénat d'adopter, le cas échéant, une motion en termes identiques pour s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne au titre de la révision simplifiée des traités ou de la coopération civile.

Mes chers collègues, vous le voyez, le traité de Lisbonne est une avancée en matière de renforcement des garanties démocratiques.

Il en est de même de la question de l'élargissement de l'Union, qui a constitué un autre motif d'inquiétude. Là encore, le traité de Lisbonne apporte des améliorations notables, puisqu'il introduit une référence aux fameux critères d'adhésion adoptés en 1993.

À cet égard, le groupe UMP, et le doyen Gélard l'a dit, ne peut que saluer le choix du Gouvernement de ne pas ouvrir, à l'occasion de cette révision constitutionnelle, des débats sans rapport avec le traité, à l'image de l'avenir du débat sur l'article 88-5 relatif aux conditions d'approbation des futures adhésions à l'Union.

C'est là une marque de sagesse, comme l'a dit M. Patrice Gélard, le rapporteur de la commission des lois. Qu'il me permette d'exprimer mon avis : gardons l'arme référendaire tant qu'avec la Turquie on n'aura pas substitué un projet de partenariat privilégié à l'actuel processus d'adhésion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

Le traité de Lisbonne ne change pas substantiellement la nature de l'Union européenne, comme avait pu le faire le traité de Maastricht en 1992 ou le traité constitutionnel. Il s'apparente davantage à l'Acte unique, au traité d'Amsterdam ou au traité de Nice, qui ont tous fait l'objet d'une ratification parlementaire.

C'est pourquoi l'UMP considère que la ratification de ce traité, tout comme la modification constitutionnelle qui doit la précéder en vertu de la décision du Conseil constitutionnel, ne nécessite pas de convoquer un référendum.

Au demeurant, comme l'a observé, là encore, le président Hubert Haenel, il convient de rappeler que Nicolas Sarkozy a toujours été très clair, lors de la campagne pour l'élection présidentielle, sur son intention de faire adopter le traité simplifié par voie parlementaire. Je reconnais que le président Jean-Pierre Bel a dit clairement que, dans le débat présidentiel, sur ces sujets, nos positions étaient contraires. Le peuple a arbitré. Les Français se sont prononcés en toute connaissance de cause.

L'urgence pour la France n'est donc pas aujourd'hui de rouvrir un débat sur l'avenir de l'Europe ni de revenir sur le choix de 2005. Dès l'année prochaine, les Français auront l'occasion de se prononcer, lors des élections européennes. Faisons du rendez-vous de 2009 un grand débat politique ! S'il y a des élections à politiser, je souhaite que ce soient les élections européennes, parce que ce sont elles qui influenceront le cours de l'organisation des institutions telles qu'elles seront mises en application par le traité de Lisbonne.

L'urgence pour la France est de retrouver toute sa place dans l'Union européenne, en montrant qu'elle est exemplaire, c'est-à-dire en ratifiant vite ce traité.

Dans un monde dangereux, nous avons besoin des avancées que prévoit le traité en faveur d'Europol et d'Eurojust. Nous avons également besoin de faire progresser la politique étrangère et de sécurité commune, comme le prévoit le traité.

Enfin, nous avons un besoin urgent d'une gouvernance économique et sociale renforcée. J'observe, à cet égard, que le traité apporte des garanties concernant les services d'intérêt général, qui ont suscité un grand débat en 2005, et qui répondent aux attentes actuelles de la société française.

L'Europe du traité de Lisbonne, mes chers collègues, est plus sociale que celle de l'Acte unique de 1986, plus démocratique que celle du traité de Maastricht de 1992, et plus efficace, bien sûr, que celle du traité de Nice de 2001. Cette Europe n'est certes pas parfaite, mais elle représente un progrès.

Je vous parle directement, très simplement, mais avec une profonde conviction, qui est pour moi une exigence : si je n'avais qu'une idée à retenir, qu'un message à transmettre de mon expérience de trois ans à Matignon, je dirai que j'ai trouvé la France trop souvent avec les volets clos.

On a parfois le sentiment que le monde entre chez nous par inadvertance, malgré nous. On a quelquefois le sentiment que, par l'ignorance ou par l'arrogance, on va s'imposer au monde. Mais ni l'ignorance ni l'arrogance ne nous aident à vivre le monde.

La croissance à deux chiffres de la Chine, la montée de l'intelligence indienne, la balkanisation du monde et ses innombrables conflits régionaux, la mondialisation du terrorisme... tout devient inquiétant, même les bonnes nouvelles. Quand la Chine s'éloigne du communisme et s'engage dans le monde pour la diversité culturelle, certaines voix expriment leur crainte. Pourtant, le danger le plus grand, pour moi, est celui d'une Chine repliée sur son nationalisme, plutôt qu'une Chine ouverte et interdépendante du monde. (M Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

Aujourd'hui, deux véhicules sont lancés à toute vitesse l'un contre l'autre : d'un côté, « la globalisation économique », cette mondialisation qui se veut totale et qui se vit comme la fin de l'histoire ; de l'autre, « la diversité culturelle », qui voit la planète comme un monde multipolaire dans lequel les forces préfèrent l'équilibre à la domination. Plus les deux véhicules se rapprocheront, plus le débat se réduira au dialogue entre la Chine et les États-Unis.

La France ne peut rester spectatrice de l'histoire qui s'écrit sous ses yeux, elle, dont la vocation universelle est de parler à tout le monde, comme l'a encore dit récemment le Président de la République.

C'est en inspirant l'Europe de sa vision de l'histoire que la France mène son combat de civilisation. Parce que la France et l'Europe ont inventé « l'humanisme de la diversité », le monde a besoin d'elles pour assurer son équilibre, pour assurer sa survie.

L'Europe est née pour la paix des siens, son destin est maintenant la paix de tous. Elle seule peut éviter le choc qui se prépare. L'Europe a construit le message que le monde attend : c'est dans le respect de la diversité que se lève l'unité.

Chers collègues, cet enjeu est géant, ne soyons pas minuscules. Approuver ou rejeter, c'est, certes, la responsabilité de chacun de nous. Le choix est respectable, mais, face à l'histoire, le silence, le boycott, l'indifférence seraient coupables.

En concluant, je pense à Helmut Kohl, qui a réussi à rassembler les deux Allemagnes terriblement divisées par des idéologies meurtrières. Il citait souvent cette espérance : « Lorsque l'esprit européen arpente les sentiers de l'histoire, il faut l'attraper par les bords de sa chemise. ».

Le groupe UMP sera donc positivement présent à ce rendez-vous de la France en Europe. (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner un texte dont l'importance est fondamentale pour l'avenir de la France et de la construction européenne.

Le projet de loi constitutionnelle présenté à notre assemblée fait suite à la décision du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 2007, par laquelle il jugeait que la ratification du traité de Lisbonne, signé le 13 décembre dernier, devait être précédée d'une révision de la Constitution française.

La décision du Conseil constitutionnel appelle donc l'intervention du pouvoir constituant pour lever la déclaration d'inconstitutionnalité. On aurait pu légitimement penser, conformément au principe posé par le deuxième alinéa de l'article 89 de la Constitution française, que c'est le peuple qui se prononcerait sur le texte par référendum.

Le deuxième alinéa de l'article 89 dispose en effet : « Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. ».

On aurait même pu envisager pour relancer la construction européenne et pour que l'Union européenne « suscite à nouveau l'enthousiasme de nos concitoyens », selon les mots prononcés par Nicolas Sarkozy le 8 septembre 2006 à Bruxelles, de coupler la révision de notre Constitution et la ratification du traité de Lisbonne dans le cadre d'un seul et même référendum.

On le sait, ce n'est pas l'option retenue par le Président de la République, qui a décidé de contourner le peuple et de recourir à la voie parlementaire, aussi bien pour faire adopter le présent projet de loi modifiant notre Constitution que pour obtenir l'autorisation de ratification du traité de Lisbonne. C'est certainement ce que le Premier ministre appelait tout à l'heure « transcender les clivages »...

Tel est donc l'enseignement tiré du « non » français de 2005 : le peuple ayant manifesté un vif intérêt pour la construction européenne et ayant, en toute connaissance de cause, rejeté le traité constitutionnel, il faut aujourd'hui le contourner, l'écarter de la construction européenne pour adopter une copie de la défunte « Constitution européenne ».

En tout état de cause, la procédure choisie subtilise ce projet de loi à la réflexion citoyenne et alimente le déficit démocratique qui gangrène la construction européenne.

On nous rétorquera bien entendu que les « interprètes de la souveraineté nationale » ont tout autant de légitimité à se prononcer pour la France et pour l'Union européenne. Mais c'est oublier qu'en 2005 ce que les parlementaires validaient à 90 % au Congrès à Versailles, le peuple le rejetait quelques mois plus tard à 55 %.

Ce décalage entre la volonté populaire et ses représentants doit être pris en compte. Aussi réaffirmons-nous que seul le peuple, notre peuple, peut défaire ce qu'il a fait !

Ensuite, le Gouvernement fait valoir que le traité de Lisbonne est différent du traité établissant une constitution pour l'Europe.

Votre Gouvernement, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, prétend qu'il s'agit d'un « traité simplifié [...] tenant compte des fortes craintes exprimées par le ?non? majoritaire ». Raison de plus, mes chers collègues, pour le soumettre au référendum ! Mais, vous le savez bien, tel n'est pas le cas.

Au-delà de la méthode intergouvernementale choisie pour l'élaboration du traité, marquée - comme vous le savez aussi, monsieur le secrétaire d'État - par des marchandages interétatiques au détriment de l'idée d'un intérêt général de l'Union, le contenu même du traité ne répond pas aux attentes de la majorité de nos concitoyens.

Le traité de Lisbonne amende les traités existants : le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne. Le candidat Sarkozy avait annoncé, pendant la campagne pour l'élection présidentielle, qu'il ferait ratifier par la voie parlementaire un « mini-traité » ou un « traité simplifié » qui prendrait en considération les attentes des Français ayant rejeté le traité établissant une constitution pour l'Europe.

Or, le nouveau traité, qui compte plus de 250 pages, n'est pas un « mini-traité ». Ce texte qui empile les amendements aux traités en vigueur avec des modifications d'articles renvoyant elles-mêmes à d'autres articles n'est pas non plus un « traité simplifié ». Vous le savez comme moi, le traité de Lisbonne est tout simplement illisible pour les non-spécialistes. L'ambition initiale de simplification a bel et bien été écartée. L'illisibilité du traité rend ainsi impossible tout débat citoyen - en tout cas, c'est le but recherché !

Plus précisément, comme tous les observateurs peuvent le constater, le traité de Lisbonne reprend, en règle générale, le contenu du traité constitutionnel.

Certes, le terme « constitution » a été abandonné, de même que la référence aux symboles comme l'hymne ou le drapeau, mais le déficit démocratique et l'orientation libérale de toutes les politiques européennes demeurent intacts. D'un point de vue institutionnel, rien n'est fait pour combler le déficit démocratique de l'Union.

Le statut et la fonction de la Banque centrale européenne, par exemple, demeurent fondés sur le principe d'indépendance politique à l'égard des États. Son statut et ses missions confortent son choix d'une politique fondée sur la lutte contre l'inflation et le respect du pacte de stabilité. Ce choix s'inscrit en totale contradiction avec les déclarations de Nicolas Sarkozy qui disait notamment, le 21 février 2007 pendant la campagne électorale, vouloir « une Europe où la politique monétaire ait pour objectifs la croissance et l'emploi et pas seulement l'inflation ».

La Banque centrale européenne restera guidée par les exigences dogmatiques d'un euro fort au service des marchés financiers, contre l'emploi et la croissance réelle. La Banque centrale européenne, en poursuivant son objectif de stabilité des prix, poursuit son cycle de resserrement monétaire, qui se traduit principalement par des taux directeurs élevés par rapport à des taux très faibles de croissance réelle.

Même s'ils ont tenté de minimiser l'incidence de l'aggravation de la crise financière américaine sur l'économie de la zone euro, les ministres européens des finances n'ont pu éviter d'annoncer une prochaine révision significative à la baisse de la croissance économique dans la zone euro pour 2008. Rien n'indique donc que la Banque centrale européenne reverra ses taux à la baisse. Les conséquences risquent d'être dramatiques pour les pays de la zone euro déjà étouffés par ces taux d'intérêt élevés.

En outre, en dépit du mécontentement grandissant et de la méfiance des citoyens à l'égard de la question sociale, de leurs plaintes sur le passage à l'euro qui a fait perdre le sens de la mesure et permis une valse des étiquettes sur les produits de grande consommation notamment, aucune réorientation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne n'a été engagée. Les agitations du Président de la République n'y ont rien changé : il avait promis de donner des « coups de boutoir » sur l'approche européenne des dossiers financiers, nous les attendons toujours...

Si les souhaits des Français avaient été effectivement entendus, le traité de Lisbonne aurait instauré un contrôle politique de la Banque centrale européenne par les Parlements européen et nationaux et une politique monétaire sélective, au service de la réalisation d'objectifs chiffrés et contraignants en termes d'emploi. Les taux d'intérêt de la Banque centrale européenne baisseraient d'autant plus que les crédits qu'elle refinance serviraient à des investissements programmant plus d'emplois et de formation ; les taux seraient relevés pour les crédits servant à financer des opérations financières ou spéculatives. L'actualité illustre l'urgence d'une telle mesure.

Malheureusement, force est de constater que rien n'a changé. Les institutions européennes n'ont pas été réformées, elles n'ont pas été démocratisées non plus. Les pouvoirs seront toujours concentrés dans les instances non élues, comme la Commission européenne ou encore la Cour de justice des communautés européennes qui détient, je vous le rappelle, une part essentielle du pouvoir législatif dans l'Union européenne et, par voie de conséquence, dans chacun des États membres. À la différence de nos juridictions, cette Cour statue pour l'avenir par dispositions générales et opposables à tous, comme la loi elle-même.

Si le traité de Lisbonne, comme le traité établissant une constitution pour l'Europe, semble à première vue amorcer une évolution positive concernant les parlements nationaux, à y regarder de plus près, on constate que les prérogatives reconnues aux parlements sont absolument insuffisantes.

Sans entrer dans le détail, rappelons, tout d'abord, que les résolutions votées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution n'ont aucun caractère contraignant, monsieur Raffarin. Ensuite, concernant l'évolution relative à l'application du principe de subsidiarité, le protocole n° 2 annexé au traité de Lisbonne ne fait pas des parlements nationaux les nouveaux garants du respect du principe de subsidiarité, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, n'est-ce pas, Hubert Haenel ? De plus, le pouvoir reconnu aux parlements nationaux de s'opposer à la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée n'est qu'un pouvoir d'empêchement relatif et ne constitue en aucun cas un pouvoir de proposition.

Enfin, le traité de Lisbonne ne change rien non plus au contenu des politiques économiques et sociales européennes. Le nouveau traité reconduit, contrairement aux déclarations de Nicolas Sarkozy, la « concurrence libre et non faussée ». Car, si cette mention ne figure plus parmi les objectifs de l'Union, elle est reprise dans un protocole annexé au traité qui a la même valeur juridique contraignante que le traité proprement dit. Le principe de la « concurrence libre et non faussée » reste donc la référence de toutes les politiques. Les services publics restent soumis aux règles de la concurrence - article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Prétendre avoir fait un geste fort en faisant disparaître cette mention de la concurrence des objectifs de l'Union ne constitue rien de moins qu'une simulation d'acte politique, un simulacre de rupture.

Par ailleurs, certains d'entre nous l'ont évoqué, la Charte des droits fondamentaux adoptée en 2000, qui faisait partie intégrante du traité constitutionnel européen, a été retirée du corps du texte : quel beau symbole ! Certes, comme le précise l'article 6 du traité sur l'Union européenne, dans sa nouvelle rédaction, elle « a la même valeur juridique que les traités », mais un protocole annexé au traité prévoit que la Charte n'est pas applicable à la Pologne ou au Royaume-Uni, ce qui est fort regrettable !

D'autre part, il est rappelé à l'article 6-1 du traité sur l'Union européenne, dans sa nouvelle rédaction, que « les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union ». De plus, la version de la Charte qui sera retenue est celle qui figure dans l'ancien projet de traité constitutionnel, dont on sait qu'elle vide certains articles de toute substance. C'est ainsi que les droits et libertés inscrits dans la Charte des droits fondamentaux sont restreints ou mis purement et simplement à l'écart. Voilà le prétendu nouveau traité que le Président de la République veut faire ratifier sans la participation du peuple !

Non, les mandataires que nous sommes n'ont pas le droit de bafouer la volonté directement et clairement exprimée par leurs mandants ! Les parlementaires ont le pouvoir de faire respecter la volonté du peuple et d'imposer le référendum, en votant contre cette révision de notre Constitution.

Oui, chaque parlementaire est aujourd'hui placé devant ses responsabilités ! Chers collègues, le déficit démocratique dont souffre l'Union européenne ne sera certainement pas résorbé en contournant le peuple. C'est pourquoi les membres du groupe CRC et moi-même voterons contre ce projet de loi constitutionnelle. J'invite mes collègues soucieux de faire respecter la démocratie dans notre pays à faire de même ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)