M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans mon département, nous avons engagé, voilà une dizaine d'années, et nous en sommes satisfaits, un système de marchés d'entreprise de travaux publics ; il s'agit, en quelque sorte, de l'ancêtre du partenariat public-privé. J'interviens donc ici sans hostilité de principe à l'égard de ce texte, ce qui ne m'empêche pas d'émettre quelques réserves.

Les collectivités représentent 73 % de l'investissement public. Il y a, certes, beaucoup de retard dans la réalisation des projets.

Les contrats de partenariat public-privé ont été créés par une ordonnance du 17 juin 2004 ; ils doivent permettre aux personnes publiques de rémunérer, sur la totalité de la durée du contrat, un partenaire privé chargé de financer, de réaliser, de gérer et d'exploiter un équipement ou une infrastructure nécessaire au service public. Leurs avantages sont incontestables, en particulier une souplesse accrue.

Ce type de contrat permet à la collectivité de réaliser rapidement des équipements, alors qu'elle manque souvent de services techniques performants. De plus, il peut générer des économies, dans la mesure où celle-ci n'a pas forcément recours à des bureaux d'études, qui coûtent très cher.

Les collectivités locales y ont un intérêt évident, les organismes bancaires également, lesquels ne prennent aucun risque, puisque le remboursement est assuré in fine par la personne publique, peu susceptible de faire défaut.

Il reste des inconvénients, qui ne doivent pas être balayés d'un revers de main.

Tout d'abord, une réserve tient à la position du Conseil constitutionnel. La généralisation des partenariats public-privé est contraire à trois principes de nature constitutionnelle : l'égalité devant la commande publique, la protection des propriétés publiques et le bon usage des deniers publics.

Ensuite, cette forme de partenariat aboutit à une privatisation larvée. Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui des TOS, qui ont été transférés aux départements et aux régions en vertu des lois de décentralisation. Ni les conseils généraux ni les conseils régionaux ne souhaitent s'en charger ; les TOS peuvent, demain, être supprimés progressivement, dès l'instant où l'on s'engagerait dans ce système de partenariat public-privé.

Du fait de l'inégalité d'accès à ces contrats entre les PME et les grands groupes, le risque est grand de voir disparaître de nombreuses PME, qui sont pourtant indispensables à notre économie locale.

Autre inconvénient, qui n'est pas mince pour la collectivité : qu'adviendrait-il si l'une de ces entreprises, durant la durée du contrat, venait à « fondre les plombs », si vous me permettez cette expression familière ? C'est incontestablement un problème, évoqué d'ailleurs par mes éminents collègues rapporteurs ; leur attitude prudente tranche légèrement, je dois le dire, avec l'enthousiasme de Mme la ministre.

Je voudrais également souligner un inconvénient beaucoup plus pernicieux : des collectivités qui n'auraient pas de crédits immédiatement disponibles pourraient s'engager à réaliser très rapidement des investissements. Ce serait une traite tirée sur l'avenir et les successeurs risqueraient de se trouver dans des situations extrêmement délicates. Au final, ces investissements généreraient un surcoût.

Vous me permettrez aussi, madame la ministre, d'évoquer la méfiance que suscite le modèle anglo-saxon qu'on voudrait nous présenter comme étant la panacée : celui-ci est radicalement opposé à la logique du service public français auquel un certain nombre d'entre nous sont particulièrement attachés.

J'ai évoqué la méfiance que pouvait susciter votre enthousiasme, madame la ministre, bien que celui-ci soit légèrement tempéré, je l'ai dit tout à l'heure, par l'attitude beaucoup plus prudente de mes collègues rapporteurs. Cette prudence me paraît de mise, de même qu'il me paraîtrait utile d'engager une simplification. Il faudrait en effet que ces contrats soient parfaitement compris par nos concitoyens, qui sont en même temps des contribuables !

Donc, pas de précipitation, pas de généralisation. N'oublions tout de même pas que de nombreux investissements réalisés par les collectivités ne sont absolument pas rentables et, dans ces cas-là, le privé ne sera pas au rendez-vous. Je constate qu'il y a peu de piscines privées, de stades privés dans notre pays ; c'est tout de même curieux !

M. Paul Girod. Il en existe à Lille !

M. Jean-Claude Gaudin. Et à Marseille !

M. François Fortassin. Il en existe, certes, quelques-uns ; ce ne sont d'ailleurs pas toujours des réussites. J'aimerais savoir, monsieur le maire de Marseille, combien de stades privés ont été édifiés dans des villes de 2 000 ou 3 000 habitants...

Enfin, je voudrais vous faire part de notre très grande méfiance au sujet d'une baisse des fonctionnaires qui ne dit pas son nom.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

M. François Fortassin. À l'évidence, vous êtes dans la logique que vous défendez, mais il faut aller au bout de la vérité, madame la ministre. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux contrats de partenariat
Discussion générale (suite)

11

situation en afghanistan

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan.

Au nom du Sénat tout entier, je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de venir devant nous aujourd'hui, car nous pouvons ainsi débattre, au même titre que l'Assemblée nationale et peu de temps après nos collègues députés, sur cette question si importante de l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan.

Après avoir consulté les groupes politiques, j'ai cru nécessaire de réunir en urgence la conférence des présidents afin d'organiser ce débat. Les modalités d'organisation ont été communiquées à chaque sénatrice et sénateur au sortir de la conférence des présidents.

Voici le déroulement de ce débat.

À la suite de l'intervention de M. le Premier ministre, nous entendrons le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui disposera ès qualités de dix minutes.

Ensuite, chaque groupe politique disposera d'un temps de parole de dix minutes et la Réunion des sénateurs non inscrits de cinq minutes.

Ainsi, chacun pourra faire part à notre assemblée de son sentiment.

Puis, le Gouvernement répondra aux orateurs par la voix du ministre des affaires étrangères et européennes et du ministre de la défense.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons tous encore en mémoire les attentats du 11 septembre 2001. Nous avons alors découvert avec effroi la violence du terrorisme de masse.

Ce jour-là, un défi sanglant et morbide était lancé à toute la communauté internationale. La source de cet attentat se situait en Afghanistan, avec le soutien du régime obscurantiste des talibans.

Dès l'automne 2001, six résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sont venues préciser le cadre dans lequel devait s'exercer la réponse des nations. La résolution 1368 ouvrait le droit à la légitime défense, la résolution 1373 appelait à la collaboration de tous les États contre le terrorisme, la résolution 1378 définissait le cadre dans lequel devait s'inscrire l'avenir démocratique de l'Afghanistan, la résolution 1386 créait la Force internationale d'assistance à la sécurité, dont le mandat a été renouvelé chaque année et étendu progressivement à l'ensemble de l'Afghanistan.

Le 7 octobre 2001, les États-Unis engageaient les opérations militaires, épaulés notamment par la France, qui avait ouvert son espace aérien, noué une coopération navale et offert son appui en matière de renseignements.

Le 10 octobre 2001, Lionel Jospin, alors Premier ministre, venait exposer au Parlement la position française à la suite des attentats du 11 septembre. Puis, le 21 novembre, il venait préciser à l'Assemblée nationale les termes de l'engagement de la France en Afghanistan.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a souhaité que la représentation nationale soit informée de la politique de la France en Afghanistan.

M. Jean-Louis Carrère. Un peu tard !

M. François Fillon, Premier ministre. II a voulu ce débat afin d'éclairer les décisions que prendra notre pays, décisions qui ne sont pas encore arrêtées.

Tout au long de la Ve République, et contrairement à ce qu'on laisse entendre, le Parlement a été régulièrement informé des opérations militaires.

M. Jean-Louis Carrère. Cela reste à voir !

M. François Fillon, Premier ministre. Mais il est exact qu'il ne partage pas la responsabilité de l'engagement de nos forces.

Une raison l'explique : la Constitution de la VRépublique ne le prescrit pas. Son article 35, selon lequel « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement », est aujourd'hui tombé en désuétude. Les formes modernes de la guerre nous ont heureusement éloignés de cet article. L'engagement des forces militaires est du ressort du pouvoir exécutif et notamment du Président de la République, chef des armées. Notre situation est, en cela, comparable à celle de la Grande-Bretagne. Cette prérogative du pouvoir exécutif n'exclut pas pour autant l'information et le débat, et je souhaite que celui-ci soit utilisé de manière plus systématique.

M. Jean-Louis Carrère. En informant un parlement étranger avant le parlement français ?

M. François Fillon, Premier ministre. Et cela d'autant plus que, depuis les années quatre-vingt, les grands engagements stratégiques et militaires de notre pays ont tous été conclus dans un esprit d'union nationale, ce dont nous devons nous féliciter.

L'implication du Parlement relève de l'information et du débat en fonction des situations.

M. Jean-Louis Carrère. Il vaut mieux être parlementaire anglais !

M. François Fillon, Premier ministre. L'opération sur Kolwezi en 1978 avait donné lieu à une information de la représentation nationale, de même que notre intervention au Tchad en 1983, mais, je le note au passage, pas celle de 1984.

Notre intervention au Kosovo, en mars 1999, avait été l'occasion d'un débat sans vote, deux jours après le début des bombardements.

En 2006, un débat a eu lieu deux mois après le vote de la résolution créant la FINUL II.

Enfin, la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan à partir de décembre 2001 a donné lieu à un débat sans vote, après une intervention de Lionel Jospin.

Seul notre engagement militaire au cours de la première guerre du Golfe a fait l'objet d'un vote consécutif au débat, selon la procédure du premier alinéa de l'article 49, à l'Assemblée nationale, et du quatrième alinéa de l'article 49, au Sénat. II s'agissait d'une opération massive analogue à une entrée en guerre contre un État souverain qui avait envahi son voisin, et personne ici ne peut confondre cet événement avec celui qui nous occupe à présent.

Dois-je également rappeler que ce vote est intervenu quelques heures seulement avant le déclenchement des hostilités armées, et alors même que l'ensemble du dispositif Daguet de 12 000 hommes était déjà positionné depuis plusieurs mois ? Certains d'entre vous ont participé à ce débat et en conservent un souvenir aigu ; je reconnais que je l'avais oublié, car je me trouvais à cet instant auprès des forces françaises en Arabie saoudite ...

Aujourd'hui, une partie de l'opposition souhaite un vote. Je lui réponds en reprenant les propres termes de Lionel Jospin, le 9 octobre 2001, en réponse à une question d'actualité posée par Alain Bocquet, qui réclamait un débat avec vote à l'Assemblée nationale.

M. Robert Bret. Il avait raison !

M. François Fillon, Premier ministre. « Vous savez que nous ne pouvons pas faire appel à l'article 35 de la Constitution qui concerne la déclaration de guerre, car ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Vous savez que l'on peut toujours utiliser l'article 49-1, mais que celui-ci suppose un vote de confiance. [...] Ce n'est pas un article qui a été prévu pour l'engagement de la France dans ce genre d'opérations. » Voilà ce que disait Lionel Jospin en 2001 avant d'envoyer 1 700 soldats français en Afghanistan ! (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.)

M. Didier Boulaud. Ce n'est pas tout à fait ça, l'histoire !

M. François Fillon, Premier ministre. Je ne puis être plus clair que mon prédécesseur, qui avait raison de considérer que la procédure du vote de confiance n'est pas adaptée à l'engagement de nos forces dans une opération de maintien de la paix - ou alors, il faudrait engager la responsabilité du Gouvernement à chaque fois que nous engageons des forces dans des opérations de maintien de la paix - ...

M. François Fillon, Premier ministre. ... comme nous en conduisons en Côte d'Ivoire, au Liban ou au Kosovo. Chacun comprendra que ce n'est pas une réponse adaptée à la situation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la situation institutionnelle actuelle.

Cinquante ans après la création de la Ve République, il vous sera bientôt proposé de renforcer le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et d'intervention militaire.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous ne croyons pas à cette bonne volonté !

M. François Fillon, Premier ministre. L'avant-projet de loi constitutionnelle prévoit que le Parlement sera tenu informé dans les meilleurs délais de l'envoi de nos forces sur des théâtres d'opérations extérieures, ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous auriez pu donner l'exemple avant !

M. François Fillon, Premier ministre. ... et surtout - c'est l'innovation la plus importante - qu'il autorisera la prolongation éventuelle de ces opérations au-delà de six mois.

En outre, les deux assemblées auront le pouvoir de voter des résolutions, y compris en matière de politique étrangère. Je ne doute pas que ces dispositions feront l'unanimité sur vos travées ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est un leurre !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous sommes en Afghanistan depuis décembre 2001, et il s'agit de prolonger un effort engagé de longue date.

Aujourd'hui, avec un peu plus de 2 300 hommes, dont 1 700 dans la force internationale, sur près de 61 000, l'engagement militaire de la France la situe au septième rang des quarante nations contributrices de troupes. Nous nous plaçons ainsi entre les Pays-Bas et la Pologne, loin derrière les contributions de plusieurs de nos partenaires européens, qui sont presque tous présents sur le théâtre afghan : la Grande-Bretagne, avec près de 8 600 hommes ; l'Allemagne, avec près de 3 500 hommes ; l'Italie, avec plus de 2 400 hommes ; les Pays-Bas, avec environ 2 000 hommes ...

Installés autour de Kaboul, les soldats français remplissent des actions de sécurisation, ainsi que des missions d'encadrement des troupes afghanes en opération. Ils sont engagés dans des actions de combat.

Six Rafale et Mirage 2000 participent au dispositif allié de protection des troupes. Ces avions sont appuyés depuis les pays voisins par des moyens de transport et de ravitaillement en vol.

Enfin, vous le savez, une force navale française opère depuis l'océan Indien dans le cadre de l'opération « Liberté immuable ».

Depuis plus de six ans, nos soldats contribuent donc à la sécurisation de l'Afghanistan.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour quel bilan ?

M. François Fillon, Premier ministre. Je voudrais, à l'instant où j'ai l'honneur de m'exprimer devant le Sénat, avoir une pensée particulière, empreinte de gravité et de considération, pour ceux qui sont là-bas et qui risquent leur vie.

À ce jour, quatorze de nos soldats sont tombés en Afghanistan. Ils sont tombés pour une certaine idée de la dignité humaine à laquelle le peuple afghan aspire. Ils sont tombés pour qu'il n'y ait plus de 11 septembre. Ils sont tombés pour rendre ce monde plus sûr.

Je suis certain que votre assemblée soutient nos forces armées et qu'elle ne les oublie pas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

L'Afghanistan ne doit plus jamais redevenir le foyer du terrorisme.

Ce pays, encore tellement vulnérable, est un carrefour stratégique sensible où voisinent une Asie centrale qui cherche sa voie, un Iran qui biaise avec les règles de la communauté internationale, une démocratie indienne qui lutte contre la menace des attentats et un Pakistan qui, possédant l'arme nucléaire, est sous la pression des fondamentalistes.

Quelle était, mesdames, messieurs les sénateurs, la situation de l'Afghanistan en 2001 ?

C'était une dictature médiévale, un foyer de violence, une base arrière du terrorisme international. Al-Qaïda y avait implanté ses camps d'entraînement. Des extrémistes, illuminés par une vision dévoyée de l'islam, y trouvaient accueil et soutien.

Sa population était soumise au joug de fer des talibans : abolition des droits les plus fondamentaux ; oppression de la femme ; intolérance érigée en doctrine de gouvernement ; interdiction de la musique, du théâtre, de la télévision ; ...

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Et des cerfs-volants !

M. François Fillon, Premier ministre. ... destruction des bouddhas de Bamiyan ; lapidation publique des condamnés.

L'Afghanistan d'avant 2001, mesdames, messieurs les sénateurs, c'étaient 15 millions de femmes sans visage, interdites d'école, privées de soins.

M. Robert Hue. Avec le soutien des Américains !

M. François Fillon, Premier ministre. C'étaient 30 millions d'Afghans ployant sous le régime du fanatisme et de la haine.

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Eh oui !

M. Jean-Louis Carrère. Qui l'avait mis en place ?

M. François Fillon, Premier ministre. Depuis 2001, les efforts de la communauté internationale, des autorités locales et du peuple afghan ont commencé à porter leurs fruits.

M. François Fillon, Premier ministre. L'Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques.

M. François Fillon, Premier ministre. Les femmes y jouissent de droits similaires à ceux des hommes. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) Le nombre d'enfants scolarisés est passé de 900 000 en 2001 à 6,4 millions à l'heure actuelle.

À Kaboul, il existe aujourd'hui cinq universités comprenant quatorze facultés et 10 000 étudiants.

En matière de santé, la mortalité infantile a baissé de 26 %. A l'heure actuelle, 80 % de la population a accès aux soins, contre 8 % seulement en 2001.

En matière d'infrastructures, 4 000 kilomètres de routes ont été construits.

Sur le plan économique, les pays de l'OTAN ont conduit plus de 1 000 projets de développement. La croissance de l'économie afghane atteint aujourd'hui un rythme de 13 %.

L'Union européenne a engagé une aide de 3,7 milliards d'euros pour la période 2002-2006. Par ailleurs, 600 millions d'euros ont été annoncés par la Commission entre 2007 et 2010. Ces fonds sont principalement réservés à l'amélioration de l'état de droit, à la réforme des services publics et aux infrastructures.

À la demande du président Karzaï, la France organisera à Paris, au mois de juin prochain, une grande conférence, propre à entraîner une mobilisation accrue de la communauté internationale.

Dans le domaine sécuritaire, l'armée afghane atteint désormais 50 000 hommes, et bientôt 80 000. La France prend une part très active à la formation de cette armée. L'Union européenne et les États-Unis travaillent à la mise en place d'une police moderne, déjà dotée de 75 000 hommes. Aujourd'hui, 70% des incidents sécuritaires sont cantonnés à 10 % du territoire.

Tous ces résultats, mesdames, messieurs les sénateurs, sont encore insuffisants et, évidemment, très fragiles.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surtout, on ne les voit pas !

M. François Fillon, Premier ministre. Ils réclament de notre part de la persévérance et un renouvellement de la stratégie commune, un renouvellement pour amplifier la sécurisation du pays, approfondir son développement économique et social, accélérer le plein exercice de la souveraineté nationale par les autorités afghanes.

Ce sont ces objectifs que le Président de la République défendra demain, à Bucarest.

Comme il l'a indiqué « La France a proposé à ses alliés de l'Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire un avenir de paix. Si ces propositions sont acceptées, la France proposera, lors du sommet de Bucarest, de renforcer sa présence militaire ».

Voilà ce qui a été précisément dit, et voilà pourquoi je vous indique que les modalités de cet effort ne sont pas encore arrêtées. Elles ne le seront pas tant que nous n'aurons pas satisfaction sur les demandes que nous avons effectuées.

Le 26 février, le chef de l'État, dans une lettre qui a été rendue publique, et qui est donc connue de tous, a écrit à ses homologues de l'OTAN pour leur indiquer ces conditions.

Il a demandé la confirmation par tous les alliés de leur détermination à maintenir leur effort dans la durée ; il n'est évidemment pas question que la France s'engage si les autres pays européens ne s'engagent pas.

Il leur a demandé l'adoption d'une stratégie politique partagée. Il s'agit de faire plus pour la reconstruction, pour le soutien aux populations afghanes.

Il leur a demandé une meilleure coordination des efforts civils et militaires sur le terrain.

Enfin, il leur a demandé l'accroissement de l'effort de formation au profit des forces de sécurité afghanes. Cet effort de formation, dans lequel nous sommes particulièrement engagés, doit permettre une véritable « afghanisation » de la sécurité du pays, c'est-à-dire la prise en charge par les Afghans de leur propre sécurité. Rien ne nous paraît plus important que cette « afghanisation », qui dessine, à moyen terme, l'autonomie de l'État afghan, et donc notre retrait.

Ces conditions seront débattues demain, et le Président de la République précisera, au regard de vos analyses et au vu des conclusions du sommet, notre engagement. Cet engagement devra tenir compte de notre dispositif sur place, des réalités du terrain et des réponses de nos partenaires à nos questions.

Nos forces armées engagées en Afghanistan peuvent être amenées à s'investir davantage dans les échelons de commandement, en particulier à Kaboul, dans la formation de l'armée afghane et dans les unités qui assurent la sécurité des populations et garantissent les progrès de la reconstruction. Car il est clair qu'aucune reconstruction ne peut intervenir dans des zones où la sécurité n'est pas assurée.

Les effectifs pourraient être de l'ordre de quelques centaines de soldats supplémentaires.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, derrière notre débat, trois voies se dessinent.

Ou bien nous retirons nos troupes : ce serait alors le signe que nous n'assumons plus nos responsabilités à l'égard de l'ONU et que nous rompons la solidarité qui nous unit à nos plus fidèles alliés, dont plusieurs s'apprêtent à accroître leurs effectifs. En quelque sorte, cela signifierait que le sort de l'Afghanistan nous deviendrait indifférent.

Ou bien nous choisissons le statu quo : ce serait l'enlisement de nos objectifs et l'impuissance de la France à peser sur la stratégie de la communauté internationale.

Ou bien nous accentuons nos efforts dans le cadre des conditions que nous avons posées : nous pourrons ainsi amplifier, ensemble, les chances de la paix.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette paix pour l'Afghanistan conditionne largement une part de notre sécurité, donc de notre liberté.

C'est un combat difficile, mais c'est un combat qui est juste et auquel je vous demande d'apporter votre soutien. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord me féliciter de ce que, par anticipation de la réforme constitutionnelle que nous aurons prochainement à étudier, le Gouvernement ait proposé au Sénat un débat qui lui avait été refusé en 2001 lorsque nos troupes ont été envoyées en Afghanistan. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Louis Carrère. C'est le président Chirac qui l'avait refusé !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. La permanence de notre engagement et son renforcement avaient été clairement annoncés par le Président de la République dans son allocution à la conférence des ambassadeurs le 27 août 2007. Il y avait affirmé : « Notre devoir, celui de l'Alliance atlantique, est aussi d'accentuer nos efforts en Afghanistan ».

En répondant à l'appel de nos alliés canadiens et américains, notamment, nous poursuivons l'action que nous menons depuis plusieurs années pour combattre un terrorisme fanatique, qui menace nos intérêts vitaux, et pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime d'établir une paix durable sur son territoire et de construire un État capable d'assurer la sécurité et le développement de ses habitants.

Nous entendons, depuis quelques jours, d'assez étranges déclarations.

Pour d'aucuns, les forces de l'OTAN seraient une armée d'occupation. C'est oublier qu'elles sont présentes sur le sol afghan en vertu d'un mandat des Nations unies et qu'elles n'ont d'autre but que de lutter pour rendre à l'Afghanistan sa stabilité, sa souveraineté et son intégrité, en aucun cas pour y instaurer un protectorat !

Pour d'autres, il ne s'agirait pas moins que de rechercher les bonnes grâces des États-Unis et de s'aligner sur leur politique. Nous sommes librement en Afghanistan. Nous pouvons retirer nos troupes à tout moment.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Alors, faisons-le !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait pour nos forces spéciales.

La situation exige aujourd'hui que nous renforcions notre dispositif, mais nous n'envoyons pas dans ce pays un corps expéditionnaire, ni une division, comme en 1991 en Irak ; nous y envoyons des renforts.

Sur le terrain, nos soldats, auxquels je veux rendre hommage, exercent leur mission avec un courage et un professionnalisme reconnus de tous. Ils ont droit à notre soutien et à notre reconnaissance.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Tout à fait !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Pour autant, la situation en Afghanistan nous conduit à nous interroger sur un certain nombre de points.

Nous nous interrogeons tout d'abord sur la capacité du gouvernement de M. Karzaï à assumer ses responsabilités et à affirmer son autorité.

La corruption en Afghanistan demeure encore endémique.

M. Robert Bret. Le Premier ministre n'en a pas parlé !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. La lutte contre le trafic de drogue ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Premier producteur mondial !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. ... est souvent rendue inefficace par l'implication directe d'un certain nombre de responsables administratifs ou politiques, parfois au plus haut niveau.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'était parfait, d'après le Premier ministre !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. La réforme de l'État, en particulier du secteur de la justice, reste à faire.

Nous souhaitons que soit maintenu l'engagement d'un certain nombre de nos alliés, qui doivent continuer à nos côtés à participer à l'effort commun.

Nous mettons en doute, parfois, la capacité de l'OTAN à assurer la sécurité de l'État et des populations alors que l'insurrection des talibans paraît progresser et que l'autorité du gouvernement ne s'étend que de manière imparfaite aux régions dominées par les seigneurs de la guerre.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Robert Bret. Le Premier ministre nous a dit que tout allait bien !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Si le gouvernement central est affaibli par la corruption, le népotisme ou le favoritisme ethnique, nous connaîtrons des échecs en matière de réconciliation, de reconstruction et de développement économique.

De quoi l'avenir sera-t-il fait alors que les élections générales et présidentielles doivent se tenir en 2009 et que la politique intérieure afghane doit assurer la recomposition des équilibres entre forces politiques ? Quelle est l'efficacité de l'aide à la reconstruction de ce pays ?

La prochaine Conférence de Paris devra examiner le problème de l'aide liée, qui représente 57 % du total, le coût des intermédiaires, qui absorbent plus de la moitié de l'aide, les moyens d'augmenter les aides budgétaires et de lancer le débat sur les PRT, Provincial reconstruction team, mais elle devra aussi poser la question de la capacité des autorités et de la disponibilité des élites afghanes à participer à la reconstruction et au développement de leur pays.

Ces interrogations et ces incertitudes sont celles de toute la communauté internationale, comme en témoigne le texte de la résolution 1806 adoptée le 20 mars dernier par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Elles ne doivent cependant pas masquer d'indéniables succès, dont le premier est sans discussion la chute du régime des talibans en 2001 qui a privé Al-Qaïda de sa base territoriale sanctuarisée. L'action internationale a permis le retour de 7 millions de réfugiés, la scolarisation de 6 millions d'enfants et la mise en place d'un certain nombre d'institutions nationales prévues par la Constitution, telles les deux chambres du parlement afghan, dont nous sommes les partenaires clés depuis 2006.

De plus, comme l'a souligné le Secrétaire général de l'OTAN et en dépit d'une certaine controverse, notons que 72 % des incidents ont lieu sur 10 % du territoire, habité seulement par 6 % de la population.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous croyez au père Noël !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Pour autant, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour obtenir une normalisation de la situation.

Le retour à la sécurité sur le territoire implique la poursuite, voire le renforcement de l'engagement militaire dans la mesure où des bandes armées, souvent encouragées de l'extérieur, veulent imposer par la violence leur loi. Tant que l'armée afghane ne sera pas en mesure d'assumer seule la tâche du maintien de l'ordre, la présence des forces de la coalition sera indispensable.

Nous le savons, la paix ne peut être acquise par le seul recours aux armes et la réduction des problèmes afghans à leurs seules composantes militaires. C'est la raison qui a conduit le Président de la République à annoncer quatre préalables au renforcement de nos effectifs.

Le premier est l'affirmation d'une commune détermination de tous les alliés à rester engagés dans la durée : il semble désormais qu'un consensus existe sur ce point.

Le deuxième préalable est la mise en oeuvre d'une politique globale et coordonnée qui permettrait à l'effort militaire de s'inscrire dans une perspective de développement sous l'égide du nouveau représentant spécial des Nations unies, M. Kai Eide, qui sera chargé de coordonner les tâches de l'ONU, de l'OTAN et de l'Union européenne. La nomination de M. Eide et le soutien qu'il a reçu du gouvernement afghan permettent un certain optimisme.

Le troisième préalable est la perspective claire de transfert progressif des responsabilités aux Afghans à tous les niveaux et dans tous les projets : cette « afghanisation », qui suppose une implication plus forte des autorités et des structures locales à tous les niveaux, devrait permettre aux alliés de se concentrer sur les zones les plus difficiles, à commencer par le Sud.

Enfin, le quatrième préalable est l'adoption d'une stratégie politique partagée pour l'Afghanistan qui traite également de la question des relations avec ses voisins et avec l'ensemble de la région. En effet, la sécurité passe également par le soutien de la politique de réconciliation nationale du président Karzaï et par une politique de voisinage active.

En particulier, un très important effort diplomatique doit être effectué pour réduire les tensions et les antagonismes entre l'Afghanistan et le Pakistan. De ce point de vue, la constitution du nouveau gouvernement pakistanais devrait permettre d'espérer une ouverture et un rapprochement. Auparavant, le Pakistan doit renoncer aussi à sa politique ambiguë qui consiste à la fois à lutter contre certaines tribus islamistes et à ménager le sanctuaire dans lequel se sont réfugiés les responsables d'Al-Qaïda.

Je constate que le projet de déclaration publique des chefs d'État et de gouvernement sur la stratégie politico-militaire de l'Alliance en Afghanistan, qui doit être adoptée à Bucarest prochainement, reprend, dans les titres de ses différentes parties, les quatre critères proposés par le Président de la République française.

À ceux qui nous annoncent un nouveau Vietnam, qui s'opposent, non sans véhémence, à l'envoi d'un contingent français en Afghanistan ou qui préconisent - sans trop oser le dire - le retrait de toutes les forces alliées de ce pays, nous demandons s'ils ont réfléchi aux conséquences d'un retour au pouvoir des talibans en Afghanistan.

Se souviennent-ils de l'oppression que les talibans ont fait régner dans ce pays, qu'il s'agisse, comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le Premier ministre, de la défense faite aux habitants d'entendre de la musique, d'assister à la projection de films, de lire des ouvrages profanes, de professer des opinions politiques hétérodoxes, de jouir des libertés publiques élémentaires ?

Nous avons encore en mémoire le spectacle de ces femmes lapidées dans le principal stade de Kaboul parce qu'elles étaient soupçonnées d'adultère.

Trois d'entre nous - Didier Boulaud, Gisèle Gautier et moi-même - ont constaté le vandalisme culturel qui avait donné lieu à la destruction des admirables bouddhas de Bamiyan. Nous avons en mémoire aussi l'affreuse régression économique, culturelle et sociale, sans précédent, imposée au peuple afghan.

Ceux qui réclament le retrait sont-ils disposés à laisser les sinistres et sanglants assassins d'Al-Qaïda retrouver les repaires où ils préparaient leurs attentats ?

Sont-ils insensibles au sacrifice de ceux qui, tel l'héroïque Massoud, ont libéré leur peuple, avec un acharnement et un courage dignes de tous les éloges, de l'envahisseur soviétique puis des tyrans talibans ?

Parce que nous voulons que les Afghans demeurent libres, eux qui, au cours des siècles, n'ont jamais été domptés, parce qu'un Afghanistan indépendant et pacifié est indispensable à l'équilibre de l'Asie, nous approuvons la présence des troupes françaises aux côtés de nos alliés et nous souhaitons que tout soit mis en oeuvre pour trouver une solution politique durable à un conflit qui n'a que trop longtemps duré. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)