M. François Fillon, Premier ministre. C'est faux !

Mme Michelle Demessine. ...avant même d'obtenir des garanties de nos partenaires, n'est pas une façon de procéder digne de notre pays.

Bien que l'OTAN s'embourbe en Afghanistan, le Président de la République accepte donc de suivre sans sourciller une stratégie belliqueuse, inefficace et inadaptée. En cédant ainsi aux demandes répétées du commandement militaire de l'OTAN et aux pressions des États-Unis, il concrétise son alignement atlantiste. Comment, dès lors, ne pas s'indigner devant une telle complaisance dangereuse à l'égard de l'administration finissante du président Bush, alors même que la politique étrangère américaine pourrait changer dans quelques mois ?

M. Paul Girod. C'est vous qui le dites !

Mme Michelle Demessine. Dans ces conditions, renforcer notre dispositif militaire dans ce pays apparaît clairement comme un gage d'allégeance donné aux États-Unis.

C'est aussi, à n'en pas douter, la contrepartie à la réintégration annoncée de notre pays dans les structures de commandement militaire d'une Alliance atlantique encore largement soumise aux États-Unis.

Admettez-le, c'est une position qui rompt brutalement avec la politique d'indépendance de la France. À la veille du sommet de Bucarest, cette position est malheureusement conforme à la volonté des États-Unis de transformer l'OTAN en une « Alliance globale », une alliance du monde occidental opposée aux pays émergents, agissant hors du cadre des Nations unies et se comportant en gendarme du monde, au service de la politique américaine.

Nous présiderons bientôt l'Union européenne, et cette réintégration laisse peu de crédibilité à une Europe de la défense réellement autonome. Tout cela éclaire d'un jour nouveau ce que nous avions dénoncé lors de la ratification du traité de Lisbonne, quand nous vous interpellions, ici même, mes chers collègues, sur le risque de subordination de la politique européenne de défense à l'OTAN.

Il faut en être conscient : en procédant de la sorte, c'est-à-dire en ramenant notre pays à un rang de supplétif des États-Unis, le capital de sympathie que la France a acquis dans le monde depuis une cinquantaine d'année serait rapidement dilapidé.

Monsieur le président, mes chers collègues, l'attitude du Président de la République, avec ses annonces répétées qui anticipent sur la réflexion engagée dans le cadre de la rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité, traduit une crainte du débat démocratique. Il n'est plus acceptable que des changements d'orientation aussi fondamentaux en matière de politique étrangère et de défense puissent s'opérer à la suite d'un simple débat concédé sous la pression des parlementaires, sans qu'il soit arbitré par le vote du Parlement.

Monsieur le Premier ministre, vous ne pouvez être, en paroles, favorable aux propositions de la commission Balladur tendant à revaloriser le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et de défense, et refuser aujourd'hui un vote du Parlement. Accepter ce vote donnerait plus de crédibilité à vos bonnes intentions.

Mme Michelle Demessine. En conclusion, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, vous comprendrez que nous condamnions fermement le projet de renforcer nos effectifs militaires en Afghanistan.

M. René Garrec. C'est étonnant !

Mme Michelle Demessine. Cette décision, qui irait à l'encontre des objectifs affichés, ne permettra pas de trouver une solution politique et économique à la crise que connaît ce pays. Elle aurait, au contraire, pour effet d'aggraver les tensions dans la région.

Refusons désormais de participer à des interventions extérieures sans un mandat explicite de l'ONU ! De telles opérations portent atteinte aux valeurs de la Charte des Nations unies et au multilatéralisme, qui est aujourd'hui, plus que jamais, une condition impérative pour contribuer à régler les conflits.

En Afghanistan comme ailleurs, ce n'est qu'au niveau de cette unique institution multilatérale, l'Organisation des Nations unies, que peut être mis en oeuvre et garanti par les grandes puissances membres du Conseil de sécurité un véritable processus de reconstruction et de démocratisation de ce pays.

Plutôt que d'annoncer directement l'augmentation de notre contingent, le Président de la République aurait donc été mieux inspiré de proposer d'abord à nos alliés de l'OTAN une réorientation de leur stratégie donnant la priorité à un processus politique de résolution de cette crise.

M. Dominique Braye. C'est fini ?

Mme Michelle Demessine. Il n'y a pas d'autre alternative si nous voulons véritablement aboutir à une solution conforme aux intérêts de nos peuples. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Braye, c'est moi qui préside et non vous !

M. Dominique Braye. Absolument, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord souligner l'initiative de Mme Goulet et de mon groupe, le RDSE, en faveur de ce débat.

Le 11 septembre 2001, le monde fasciné, effaré, consterné, assistait au plus effroyable attentat jamais fomenté et concrétisé : les États-Unis avaient été frappés au coeur !

Deux jours auparavant, le Commandant Massoud, chef de l'Alliance du Nord, avait été assassiné à Khodja Bahouddin, au nord de l'Afghanistan, par deux tueurs commandités par Al-Qaïda.

La communauté internationale réalisait enfin le danger que représentait le fondamentalisme islamiste, jusqu'alors ignoré avec une surprenante insouciance, peut-être parce que les Américains avaient, pendant la guerre froide, considéré que l'Islam fondamentaliste constituait la meilleure barrière contre le communisme et que cette politique a continué sur son aire comme un lourd tanker, ou parce que, des stratégies économiques étant en jeu, les sociétés américaines Unocal et Delta espéraient acheminer les hydrocarbures d'Asie centrale vers le Pakistan.

M. Robert Hue. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Ou encore parce que, l'Afghanistan étant loin, la France prônait alors une neutralité active, aphorisme étonnant.

Les États-Unis ne pouvaient laisser l'agression impunie et la communauté internationale prenait enfin en compte la menace de cet islamisme fanatique. La corrélation entre les attentats contre le World Trade Center et les talibans apparaissait évidente. L'ONU décidait d'éradiquer un mal devenu planétaire, exporté par lesdits talibans.

Le 13 novembre, les troupes américaines, en coordination avec l'Alliance du Nord, balayaient les talibans et occupaient Kaboul. Les Allemands, les Français, les Britanniques et les Néerlandais renforçaient les troupes américaines. Les soldats alliés furent accueillis comme des libérateurs.

Six ans après, la situation s'est considérablement dégradée. Les attentats se multiplient. Les talibans évoluent impunément dans certaines villes. Pourtant, les troupes de la coalition sont passées de 20 000 à 58 000 soldats. Peut-être n'avons-nous pas pris en compte le fait qu'il s'agissait d'une guerre asymétrique ?

Peut-on attendre de l'envoi de 1 000 soldats supplémentaires une inversion de cette tendance à la détérioration ?

La guerre constitue toujours la pire des solutions et on ne doit y avoir recours qu'en dernière extrémité.

M. Robert Hue. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. A-t-on tout tenté ? Sans doute pas.

Les 5 milliards de dollars promis ont-ils entièrement bénéficié à la population ? Non !

Ne faut-il pas totalement réorganiser et, surtout, contrôler l'utilisation de ces crédits ? Certainement !

A-t-on tout fait pour éradiquer la culture du pavot, qui finance en grande partie les talibans ?

M. Aymeri de Montesquiou. Bien évidemment, non !

Il est inconcevable, étant donné les moyens d'observation satellitaires dont on dispose, que l'on ne défolie pas ces champs de pavots et que l'on ne détruise pas les laboratoires. Hélas ! c'est pourtant le cas.

M. Robert Hue. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. A-t-on mis en place une coopération coordonnée avec le Tadjikistan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan et l'Iran pour poser un garrot sur les flux de drogues qui, à travers l'Asie centrale et la Turquie, parviennent jusqu'en Europe, dont ils constituent plus des trois quarts de la consommation ? Non !

Pourquoi a-t-on laissé la charia servir de socle à la Constitution afghane, ...

M. Aymeri de Montesquiou. ... alors que nous aurions pu l'éviter, non pas en faisant acte d'ingérence, mais en soulignant qu'il fallait à tout prix marquer une rupture constitutionnelle avec le régime des talibans et donner un plus grand sentiment de liberté à la population, en particulier aux femmes, tout en affirmant qu'il n'y avait pas opposition entre démocratie et religion ? Là non plus, nous n'avons pas de raison à opposer.

Je me suis rendu à plusieurs reprises en Afghanistan. J'ai vécu quinze jours chez le Commandant Massoud. Il me rappelait que, dans ce pays, toutes les troupes étrangères avaient été vaincues. Nous gardons en mémoire qu'une armée britannique de 12 000 hommes y a été anéantie, à l'exception d'un médecin épargné pour témoigner, et que les Soviétiques y furent saignés alors qu'ils avaient engagé la première armée du monde.

L'Afghanistan est constitué de peuples différents. Mais toute présence militaire étrangère les rassemble, ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Robert Hue. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. ... génère un sentiment national très fort et, plus encore, un nationalisme virulent.

Tous les chefs de guerre représentant les diverses provinces afghanes partageaient cette affirmation : ils désiraient être aidés par des envois d'armes et d'argent, mais soulignaient l'allergie des Afghans à toute présence armée étrangère. Cela dit, lorsque les forces de la coalition ont mis en déroute les talibans, elles ont été accueillies, je le répète, en libératrices. Les années sombres pendant lesquelles les femmes avaient replongé dans une servitude moyenâgeuse, la musique avait été interdite, les Bouddhas de Bamyian détruits et les petites filles condamnées à l'analphabétisme, étaient rejetées par la population.

Comme ces guerriers, grands patriotes afghans, me l'avaient prédit, aujourd'hui, les soldats de l'OTAN sont considérés non plus comme des libérateurs, mais comme des occupants par une grande partie de la population qui affirme que la situation économique ne s'est pas améliorée et que, dans de nombreuses régions, l'insécurité et la peur règnent.

Certains regrettent même la paix de l'époque des talibans. En 2003, je m'étais entretenu avec des militaires afghans. Ils me déclaraient qu'au moins, du temps des talibans, ils étaient payés !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C'était le bon temps ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Aymeri de Montesquiou. Les troupes de la coalition ressentent cette atmosphère hostile. Elles ne sortent qu'armées et en groupes de leurs camps retranchés, et ne fraternisent guère avec une population réticente.

Augmenter le nombre de soldats, est-ce la bonne réponse à l'aggravation de l'insécurité ? Les effectifs n'ont pas cessé de croître, l'insécurité aussi. Faut-il, alors, envoyer 1 000 hommes supplémentaires ?

Au-delà de toute stratégie, le coût de ce contingent supplémentaire sera d'environ 150 millions d'euros, pour un budget militaire total de la coalition de 35 milliards. Cette dépense sera-t-elle décisive ? On peut en douter.

Bien sûr, la menace islamiste est réelle et nous devons faire preuve de solidarité vis-à-vis des alliés qui luttent contre elle. Mais n'oublions pas que tous les présidents de la Ve République ont maintenu notre pays, dans le concert des nations, à une place supérieure à son poids économique.

M. Robert Hue. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Vous en connaissez la raison, monsieur le Premier ministre, vous qui vous réclamez très justement du général de Gaulle : si notre pays est toujours resté fidèle à ses alliances, il s'est aussi toujours montré indépendant dans ses analyses et dans ses choix.

Si le coût de cet effort de guerre est évalué à 150 millions d'euros, ne peut-on réfléchir à l'alternative que représenterait un effort de paix financé à cette hauteur ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Robert Hue. Parfait !

M. Aymeri de Montesquiou. Ne peut-on consacrer ces 150 millions aux infrastructures électriques du pays, afin que chaque village ait la conviction d'être relié et d'appartenir à un État, l'État afghan ?

Ne peut-on consacrer ces 150 millions d'euros à l'alphabétisation du pays, de ses petits garçons et de ses petites filles, afin de lutter contre l'obscurantisme taliban ?

Ne peut-on consacrer ces 150 millions à l'Internet, afin que ce pays puisse s'intégrer dans la communauté internationale et ne nourrisse pas le sentiment d'en être exclu ?

En conclusion, ne peut-on privilégier notre effort de paix, plutôt qu'un effort de guerre dont l'incidence sera très faible sur l'issue de cette confrontation vitale pour la stabilité de cette région stratégique, alors qu'un effort pour le développement économique et social du pays aurait une incidence majeure ?

Ne doit-on pas prendre en considération la spécificité géographique, culturelle et historique du monde indo-persan ? L'Afghanistan, l'Asie centrale, l'Iran, le Pakistan, et même l'Inde, appartiennent, depuis Alexandre de Macédoine, à ce monde : tous sont concernés par ce conflit.

Les pays d'Asie centrale représentaient, et représentent toujours, une cible pour les talibans. Je m'étais entretenu avec des responsables talibans, qui m'avaient affirmé vouloir transformer le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan en émirats. Prenons en compte cet élément essentiel ! Les Turkmènes, les Ouzbeks et les Tadjiks sont des minorités importantes en Afghanistan.

Les talibans ont massacré des Hazaras, minorité perse, et des diplomates iraniens ; l'Iran a accueilli plus de 2 millions de réfugiés afghans ; le farsi et le dari sont des langues quasiment identiques. Par conséquent, impliquer l'Iran dans une dynamique de paix, ne serait-ce pas la meilleure façon de réintégrer ce pays dans le débat international ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ces applaudissements sont quelque peu inattendus, mais tout à fait satisfaisants ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Bernard Kouchner, ministre. Pas si inattendus !

M. Aymeri de Montesquiou. Le Pakistan et l'Afghanistan partagent, selon le pays, des minorités baloutches, pathanes ou pachtounes. Les talibans utilisent le sanctuaire des zones tribales comme refuge. Il faut arrimer le Pakistan, pays difficile, à un ensemble régional et international afin qu'il s'autocontrôle. Pour cela, il convient de lui garantir la sécurité sur sa frontière avec l'Inde.

Ce sont tous ces pays du monde indo-persan, premiers concernés par le fondamentalisme islamiste, qui doivent être coordonnés par la communauté internationale pour stabiliser la région.

M. Dominique Braye. « Y a qu'à, faut qu'on » !

M. Aymeri de Montesquiou. Notre effort doit être orienté vers cette coordination et le développement économique de l'Afghanistan.

Nous devons impliquer ces pays beaucoup plus fortement dans la paix en mettant en place une initiative régionale comparable à l'Organisation de coopération économique, l'OCE, qui existe mais reste à l'état de veille. La diplomatie française s'honorerait si elle prenait cette initiative de paix innovante, qui n'a pas encore été tentée.

La misère constitue partout le meilleur humus pour le terrorisme. Les Afghans savent que 5 milliards de dollars leur ont été promis et qu'ils ont sans doute été affectés. Ils savent aussi que ce n'est pas la population qui en a profité. Cela attise leur ressentiment contre leurs dirigeants, et donc contre l'Occident.

Les Afghans constatent la progression de la culture du pavot. Ils en profitent un peu, beaucoup moins que de nombreux notables. L'impuissance de la coalition ou, peut-être, son indifférence sont assimilées à son incapacité de lutter contre les talibans.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Aymeri de Montesquiou. Avant de conclure, je privilégierai trois points.

Les alliés doivent s'engager à rester en Afghanistan tous pour la même durée. En effet, aujourd'hui, nous sommes incapables de donner un calendrier de fin de conflit.

M. François Fillon, Premier ministre. C'est ce qu'on leur a demandé !

M. Aymeri de Montesquiou. Pour qu'il y ait sécurité, il faut développement économique, et réciproquement.

M. Dominique Braye. Il faut que M. de Montesquiou soit ministre !

M. Aymeri de Montesquiou. Nous sommes condamnés à lutter sans concession contre le fondamentalisme islamiste. Il faut frapper fort, mais cet effort sera totalement inutile s'il n'est pas précédé, accompagné, suivi par un effort économique et social très important.

Soyons solidaires et fidèles à nos alliés dans l'effort de guerre, mais il faut que la France se tienne aux avant-postes pour l'effort de paix. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, c'est d'un sujet, bien sûr, extrêmement important dont nous débattons aujourd'hui : la présence française en Afghanistan.

Il n'est pas anodin de rappeler que, si cette opération est menée dans le cadre de l'OTAN, c'est sur mandat de l'ONU. De plus, depuis le début de l'opération, en 2001, la France a choisi de n'apporter qu'une participation très inférieure à celle de pays européens comparables tels que la Grande-Bretagne ou l'Allemagne - environ 2 000 hommes sur 60 000.

Aujourd'hui, ce n'est plus un secret pour personne, la France a décidé de renforcer sa présence militaire en Afghanistan.

Alors que, au départ, le Président de la République semblait souhaiter réserver la primeur de sa décision à nos partenaires de l'OTAN à l'occasion du sommet qui se tiendra à partir de demain à Bucarest, il a changé d'avis, l'annonçant à Londres au cours de son intervention devant le Parlement britannique. Demain, cette décision sera confirmée à Bucarest. L'effet d'annonce imaginé, d'abord, en direction des nos 25 partenaires de l'Alliance atlantique est donc tombé à plat et nous autres, parlementaires français, sommes placés devant le fait accompli !

C'est donc « plié », la décision est prise : la France va envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan. Elle possède actuellement sur ce théâtre 1 600 hommes, si l'on inclut ceux qui sont basés au Tadjikistan, et 2 200, si l'on comptabilise les forces embarquées sur les navires français dans le cadre du volet maritime de l'opération « Liberté immuable », que les Américains dirigent.

Mille hommes sur un contingent total déjà existant de 1 600 ou 2 200, ce n'est pas négligeable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : cela fait 60 % d'hommes en plus ! C'est même une inflexion très substantielle, si substantielle que le Gouvernement a jugé bon d'en informer officiellement la représentation nationale et de lui permettre de s'exprimer sur le sujet. Nous ne pouvons que le saluer.

Mais, après avoir salué, notre premier mouvement est de nous interroger.

Je le disais en introduction de cette intervention, le sujet dont nous débattons est très important. Certes, mais deux questions s'imposent d'emblée à nous, qui sont les suivantes : pourquoi débattons-nous ? Et, de quoi, au juste, débattons-nous ?

À ces deux questions, nous ne voyons aujourd'hui aucune réponse claire se profiler.

La première question - « pourquoi débattons-nous ? » - pose un problème, certes formel, mais qui touche au coeur de l'équilibre de nos institutions. Je l'ai dit, les parlementaires sont placés devant le fait accompli, la décision est prise. Nous le savons, la présente déclaration gouvernementale ne sera suivie d'aucun vote.

Cela, nous pouvons le comprendre, puisque c'est la Constitution qui le veut ainsi. En effet, en vertu de son article 15, « Le Président de la République est le chef des armées » et, selon son article 35, seule « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». La Constitution est appliquée, rien que la Constitution. Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous réjouir que ce débat ait été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Quand on décide d'appliquer la Constitution à la lettre, une telle application ne doit pas être à géométrie variable.

Nous ne voterons donc pas. Cependant, l'association du Parlement à la décision présidentielle étant purement politique, n'aurait-il pas été possible, toujours de façon purement politique, de voter tout de même ? La légitimité de la décision présidentielle ne s'en serait-elle pas trouvé grandement renforcée ? À ces deux questions, je crois que l'on peut aisément répondre par l'affirmative.

Contrairement à ce qui a pu parfois être dit au cours des derniers jours, le Parlement français a déjà voté lors de l'envoi de troupes à l'extérieur. C'était en 1991, pour la participation de notre pays à la première guerre du Golfe.

De plus, dans un avenir proche, la Constitution pourrait rendre de tels votes systématiques. L'avant-projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République dont nous disposons ajoute un alinéa à l'article 35 de la loi fondamentale, en vertu duquel « lorsque la durée d'une intervention excède six mois, sa prolongation est autorisée par le Parlement ». Cet alinéa, pour l'heure encore bien énigmatique à nos yeux, signifie-t-il que, pour la question qui nous occupe, un vote du Parlement aurait été requis ? Cela ne nous semble pas à exclure. Donc, dans l'affirmative, et puisque nous sommes dans « le purement politique », n'aurait-il pas été plus « politique » d'anticiper l'application de la réforme des institutions sur ce chapitre en nous faisant voter ? La question se pose.

La question, « pourquoi débattons-nous ? », pose le problème de l'équilibre, ou plutôt du déséquilibre général de nos institutions. En l'occurrence, quelle image va donner le Parlement ? Pas même celle d'une chambre d'enregistrement, mais bien celle d'une chambre stérile. Une fois de plus, nous le répétons, nos institutions doivent être rééquilibrées en faveur de la représentation nationale. Ce n'est qu'à ce prix que nous parviendrons à redynamiser notre démocratie parlementaire.

Voilà pour la première des questions que nous nous posions : « pourquoi débattons-nous ? ». Reste maintenant la question de fond : « de quoi débattons-nous ? »

Nous débattons d'une question dont les implications et les enjeux sont majeurs.

Le premier enjeu, évidemment le plus important, est celui des vies humaines, de la vie de nos soldats. C'est à une vraie guerre qu'ils sont confrontés là-bas ; ils subissent des pertes réelles. D'où le problème de leur exposition plus ou moins grande en fonction de leur zone de déploiement. Pensons aussi à la vie des civils afghans. C'est donc de la paix ou de la guerre dont il est question ; les guerres « propres » auxquelles on essaye de nous faire croire n'existent pas.

Peut-être est-il aussi question de la vie des victimes de futures attaques terroristes, où qu'elles aient lieu dans le monde.

Le deuxième enjeu, qui, bien sûr, n'est pas du même ordre, mais qui n'est pas négligeable pour autant, est l'enjeu budgétaire. Mille hommes de plus en Afghanistan, cela a un coût, mes chers collègues.

Le troisième enjeu, plus global, est l'enjeu géopolitique et géostratégique. La décision de renforcer nos troupes en Afghanistan n'entre-t-elle pas dans le cadre d'une inflexion majeure du positionnement géostratégique de la France sur la scène internationale ? Une telle inflexion, si elle se confirmait, pourrait avoir des incidences très importantes. Ne serait-il pas utile de revoir nos engagements européens dans le cadre d'une Europe cohérente et organisée militairement ?

Face à ces enjeux, la question que nous nous posons - « de quoi débattons-nous » - prend toute son ampleur. Examinons-la à leur aune.

Pour ce qui est de l'enjeu vital, celui du passage de la guerre à la paix, la question reste entière : pourquoi envoyons-nous 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ?

Le contingent canadien, qui tient le sud du pays et qui se trouve au feu face à la guérilla des talibans, avait réclamé des renforts. Les Canadiens avaient précisément demandé 1 000 hommes supplémentaires à leurs alliés, sous peine de retirer leur propre contingent.

Les 1 000 soldats français sont-ils envoyés pour aider nos alliés canadiens ? Il aurait été parfaitement légitime de venir en renfort de l'un de nos alliés dans le cadre d'une opération internationale approuvée par l'ONU à laquelle nous participons. Mais tel n'est pas le cas, puisque les 1 000 soldats français supplémentaires seront déployés dans l'est du pays. Les États-Unis ont, d'ailleurs, déjà déclaré redéployer 1 000 de leurs GI's dans le Sud, à l'appel des Canadiens.

Alors, pourquoi ces 1 000 hommes ? Pour pacifier et lutter contre le terrorisme, nous dit-on. Mais la question se pose : depuis sept ans que nous sommes là-bas, la situation s'est-elle vraiment améliorée ?

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Oui !

M. Philippe Nogrix. L'opération avait pour but de stabiliser le pays, d'éradiquer le terrorisme des talibans et celui d'Al-Qaïda. Mais n'y a-t-il pas enlisement ? N'assiste-t-on pas en Afghanistan à un Irak, un Vietnam, une Algérie bis ? C'est, en tous les cas, l'avis de James Jones, une personnalité qui sait de quoi elle parle puisqu'il n'est autre que le prédécesseur de John Craddock à la tête de l'OTAN !

Dans un rapport, il a souligné « l'impasse » où se trouvent les troupes alliées en Afghanistan. Et nous en envoyons encore d'autres ! Pour lui, « nos forces ne pourront éliminer les talibans par des moyens militaires aussi longtemps qu'ils pourront à tout moment se replier au Pakistan ». Les éliminer ici, c'est les voir réapparaître ailleurs.

La question de fond est celle de la position que nous allons réellement adopter pour gérer la sortie du conflit, la transition vers la paix. Sachant que, à ce sujet, des divergences importantes d'appréciation existent entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, les deux principaux protagonistes de la coalition, quel camp allons-nous choisir ?

Ce que nous pensons, nous, c'est que le futur de l'Afghanistan sera déterminé par les progrès ou les échecs dans le domaine civil. Dans ces conditions, la guerre que nous menons limite-t-elle vraiment l'essaimage du terrorisme ou, au contraire, ne l'alimente-t-elle pas ?

Dès lors, est-il prévu que nos troupes participent plus activement à des actions civiles, à la reconstruction, au développement ? C'est ce que peut laisser espérer la déclaration sur la stratégie politico-militaire qui devrait être adoptée au sommet de l'OTAN de Bucarest, déclaration qui plaide en faveur d'une prise de relais à terme du conflit par l'armée afghane et, surtout, d'une approche « globale » de la question associant action militaire et efforts de développement et de reconstruction.

Mais, pour reconstruire et développer, il faut, certes, des hommes, mais il faut surtout des moyens, donc, de l'argent. Or, plus du tiers de l'aide promise à l'Afghanistan par les pays occidentaux pour la période 2002-2008 n'a pas encore été fournie !

Nous envoyons 1 000 hommes supplémentaires, mais la part de l'aide internationale de la France - 80 millions de dollars - restera proportionnelle à son engagement militaire actuel. Elle est très inférieure à celle de la Grande Bretagne -  1,2 milliard de dollars - et à celle de l'Allemagne - 768 millions de dollars. A-t-on l'intention de l'augmenter en proportion ?

Par ailleurs, quelle part de l'aide promise jusqu'ici avons-nous réellement versée ?

Alors, c'est vrai, tout cela a un coût. Parlons-en, justement de ce coût ! C'est le deuxième grand enjeu que nous voyons, l'enjeu budgétaire.

La part de l'aide française à l'Afghanistan est faible, comparée à celle de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne. Mais, dans le même temps, celui du budget de nos OPEX, nos opérations extérieures, s'envole.

Les OPEX sont systématiquement sous-financées en lois de finances, ce qui pose, une fois encore, la question du rôle du Parlement.

Même s'il est vrai que, ces dernières années, des efforts ont été entrepris pour limiter le gap entre ce qui est provisionné et ce qui est vraiment dépensé, le problème demeure. Vous le savez, monsieur le ministre, à la fin de 2007, il a fallu combler un trou de 273 millions d'euros. Et, contrairement à ce que vous avez dit, aucune rallonge n'est intervenue. Les millions manquants ont été ponctionnés sur les crédits d'équipement. C'est autant de moins pour la modernisation de nos armées !

Pour 2008, le problème revient, plus énorme que jamais, surtout avec la décision dont nous débattons. Les OPEX devraient représenter 850 millions d'euros, alors que le budget 2008 n'en avait provisionné que 460 millions ! Où trouvera-t-on la différence ?

M. Jean-Louis Carrère. Dans le RSA ! (Sourires.)

M. Philippe Nogrix. Et combien coûtera exactement le renforcement de notre présence en Afghanistan ? Le ministre de la défense avait chiffré entre 150 millions et 200 millions d'euros en année pleine les surcoûts liés aux 2 200 soldats déjà présents en Afghanistan.

Et les 1 000 hommes supplémentaires ? Sur le même ratio, on peut estimer ce coût à environ 70 millions d'euros.

Reste le troisième grand enjeu : l'enjeu géostratégique.

Est-il opportun, d'un point de vue strictement stratégique, d'envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ? La réponse pourrait ne pas être positive si l'on considère que, aujourd'hui, le déséquilibre du déploiement de nos forces dans le monde ne nous garantit peut-être pas de pouvoir faire face à des menaces d'urgence. L'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan posera des problèmes techniques, des problèmes très concrets : où trouverons-nous les hommes pour faire face à nos engagements ?

Cette question, nos états-majors se la posent avec d'autant plus d'acuité que cet envoi pourrait ne pas être compatible avec les engagements que nous avons pris par ailleurs avec nos alliés, afin de pouvoir répondre en urgence à toute menace, selon les critères de Petersberg.

Alors, posons toujours la même question, cette fois sous l'angle géostratégique : pourquoi ces 1 000 hommes ? Cela ne correspond pas à une demande de nos partenaires. Nous l'avons vu, les Canadiens avaient besoin de renforts, mais dans le Sud et non dans l'Est. Cela ne semble pas être non plus une demande de nos états-majors sur le terrain.

Les autres pays de la coalition ne modifient pas leurs engagements. Alors, pourquoi la France le fait-elle ainsi, unilatéralement ?

Seules des considérations géostratégiques plus globales peuvent l'expliquer.

Le renforcement des positions françaises en Afghanistan pourrait n'être qu'un des éléments du repositionnement de la France sur la scène internationale. Pour parler clairement, ce pourrait être l'un des éléments du glissement de la France vers l'atlantisme.

Le choix de déployer des troupes supplémentaires dans l'est du pays n'est pas indifférent au fait qu'elles y seront moins exposées que dans le sud. Certes, mais, surtout, le choix de l'est afghan conforte le rapprochement franco-américain. En effet, c'est de là qu'est menée la guerre contre les positions frontalières d'Al-Qaïda.

Dès lors, ces 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ne constituent-ils pas un élément du glissement atlantiste de notre pays ? Il est permis de le croire.

Dans ces conditions, se pose la question de la pertinence de ce glissement. Ne risque-t-il pas d'entraver très fortement la politique européenne de sécurité et de défense, sachant que les signaux envoyés par la France en direction de la Grande-Bretagne et des États-Unis peuvent ne pas toujours être compris par notre partenaire privilégié au sein de l'Union, l'Allemagne ?

Cette inflexion n'exprime-t-elle pas de vives inquiétudes quant à la stabilité de l'ordre géopolitique international ? Jusqu'où ira le glissement atlantiste de la France ? La vision géostratégique que le général de Gaulle avait su imposer est-elle en train d'être remplacée par de nouveaux engagements auprès de nos alliés ?

Cela fait tout de même beaucoup de questions - et quelles questions ! - qui sont sans réponse ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Carrère. Heureusement pour le Gouvernement qu'il n'y a pas de vote !

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si j'avais eu connaissance de la teneur des propos de mon collègue Aymeri de Montesquiou, je ne serais pas intervenu en cet instant, tant il est vrai que je partage nombre de ses arguments.

N'étant pas un spécialiste des questions de politique étrangère, c'est en simple sénateur, voire en citoyen de base, que je souhaite exposer ici mes principales préoccupations.

Qu'est-ce qui sous-tend nos différentes indignations ?

Comment déterminons-nous nos choix d'intervention ? Pourquoi l'Afghanistan, plutôt que l'Iran, la Tchétchénie, le Tibet ou le Darfour ?

Comment apprécions-nous l'efficacité de notre intervention ? Faut-il envoyer plus de soldats ou donner plus de moyens aux Afghans pour qu'ils puissent décider eux-mêmes de leur propre avenir ?

Quel calendrier de désengagement avons-nous prévu ? Serons-nous condamnés à rester en permanence dans ce pays ?

Personnellement, si un vote avait eu lieu à l'issue de ce débat, j'aurais eu tendance à accorder à M. le Premier ministre la confiance qu'il nous aurait demandée, tout en l'assortissant d'un certain nombre de conditions, dont, en premier lieu, la tenue, comme l'a réclamé le président de la commission des affaires étrangères, d'un débat de politique étrangère servant de base à une intervention extérieure ou à notre devoir d'ingérence.

En second lieu, j'aurais insisté sur la priorité à donner à la prise en main par les Afghans eux-mêmes de leur avenir, ce qui implique l'affectation des moyens financiers nécessaires à leur évolution plutôt que l'envoi de soldats supplémentaires.

Enfin, j'aurais souligné la nécessité de prévoir un calendrier de retrait de manière que nous ne soyons pas enlisés dans un conflit sans fin.

Messieurs les ministres, en l'absence d'un vote, j'ai considéré qu'il était de mon devoir de faire état de mes interrogations et, en conclusion, je voudrais vous assurer de mon soutien, car j'ai confiance en votre appréciation de la situation.

J'espère simplement que nous pourrons sortir de ce conflit en ayant le sentiment du devoir accompli ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)