M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la richesse de ce débat, qui prouve à quel point les PPP, loin d'être un sujet purement technique, sont importants pour notre pays et pour sa modernité.

Monsieur Doligé, c'est avec grand plaisir que je range le collège du Loiret dans la catégorie des ouvrages d'art réalisés grâce à un instrument juridique de qualité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Messieurs les rapporteurs, je voudrais remercier chacun d'entre vous de la qualité de vos rapports et de vos interventions, ainsi que de la modernité dont vous avez fait preuve dans l'appréhension des questions soulevée par le PPP. Monsieur le président de la commission des lois, je salue la façon dont vous avez conduit des travaux parlementaires de grande qualité.

Je vous ai parlé tout à l'heure de Pierre-Paul Riquet - nous sommes au moins deux, monsieur Dubois, à nous préoccuper des voies navigables ! - l'architecte génial du canal du Midi, qui a été le vecteur de ce nouvel instrument juridique qu'était la concession. J'ai oublié de vous préciser que M. Riquet avait également été un visionnaire en matière sociale : le mécanisme qu'il avait mis en place - il y a plus de trois cents ans - pour permettre une prise en charge du risque des salariés peut être considéré comme l'ancêtre de la sécurité sociale. Cette anecdote me renforce dans la conviction que la commande publique se trouve à la frontière de l'économique et du social, et qu'elle est certainement aussi un déterminant de l'attractivité du territoire.

Comme l'a souligné M. Béteille, les PPP répondent sans aucun doute à une exigence de rendement en permettant à un même acteur privé d'assurer une prestation dans toutes ses phases, du début jusqu'à la fin. Le cas qu'évoquait M. Doligé en est la parfaite illustration, tant les éléments comparatifs étaient convaincants ! Cependant, si la commande est globale, le paiement est scindé. L'État gagne ainsi sur les deux tableaux : sur le caractère global de la commande, y compris au regard des règles de la concurrence, et sur le caractère scindé du paiement, qui est parfaitement légitime pour une utilisation efficiente des deniers publics.

La fiabilité et l'ambition du service public trouvent, quant à elles, leur traduction dans la diversité des travaux lancés : l'éclairage public de la ville de Rouen en février 2007, l'informatisation des collèges d'Eure-et-Loir à la même époque, la billetterie électronique du château de Versailles en janvier 2007, ou la construction d'un troisième lot d'établissements pénitentiaires en sont le témoignage. Mais elles supposent également un strict respect de la procédure, notamment en ce qui concerne l'évaluation préalable. Non seulement notre projet de loi ne revient pas sur cette exigence, mais, bien au contraire, il la renforce en procédant à certains aménagements de la procédure de passation pour les adapter aux spécificités du contrat de partenariat.

Je voudrais rappeler à M. Sueur que le PPP doit rester une procédure exceptionnelle.

Mme Christine Lagarde, ministre. Nous ne revenons pas sur ce point, mais il peut se trouver que, pour des périodes limitées ou pour répondre à certains critères, l'exception tende à être prolongée ou étendue, au-delà en tout cas de ce que permettrait la condition d'exceptionnalité entendue trop strictement, c'est-à-dire de manière excessivement rigoriste.

Pour ceux d'entre vous qui s'en soucieraient, il s'agit donc non pas d'une privatisation du service public sous quelque forme que ce soit, mais bien plutôt d'une utilisation des compétences privées dans un cadre juridique moderne au service du public.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais à présent répondre à vos questions de la manière la plus précise possible, vos commentaires et vos interrogations ayant été particulièrement exhaustifs et de qualité.

Le partenariat entre le public et le privé vise un objectif : celui de favoriser l'investissement public qui, comme l'a relevé M. Guené, est un facteur d'attractivité pour notre pays. Lorsque l'on interroge les investisseurs directs étrangers - ils classent toujours la France comme troisième destination au monde -, l'un des critères fréquemment évoqués pour justifier l'attractivité de la France est la qualité des infrastructures publiques et le contexte dans lequel elles se trouvent. Or un mécanisme qui est intelligent à la fois sur le plan juridique et sur celui du financement contribue grandement à la qualité de ces infrastructures.

Monsieur Billout, je relève que vous partagez le souci du Gouvernement de favoriser l'investissement public. Je vous indique que, loin de constituer l'importation en France d'un concept britannique, il s'agit simplement, avec le PPP, de généraliser sur notre territoire un système juridique qui existe actuellement dans des pays aussi peu anglo-saxons sur le plan de l'application du droit que l'Espagne, le Portugal ou même l'Allemagne. On cite souvent le private finance initiative, ou PFI, parce qu'il est le mécanisme le mieux connu et le plus ancien, mais le PPP est également utilisé dans des pays de droit continental.

Monsieur Houel, vous avez évoqué la nécessité d'aborder les PPP avec pragmatisme et vigilance. Je ne peux qu'être d'accord avec votre approche. Je suis ainsi sensible à vos propositions qui visent à développer l'évaluation préalable des grands projets. L'État doit en effet être exemplaire en la matière. L'extension de la pratique de l'évaluation favorisera, d'une part, la réflexion en amont et donc la maîtrise ou, en tout cas, la bonne appréciation des risques et, d'autre part, des économies en aval, en tout cas nous l'espérons !

Je crois également souhaitable, comme l'a proposé M. Béteille, de préciser davantage encore les conditions dans lesquelles l'urgence peut être regardée comme établie. Nous y reviendrons dans le courant de la discussion.

La méthodologie des organismes-expert doit également être affinée. Ce projet de loi sera l'occasion d'une mise à jour du guide des bonnes pratiques - certains d'entre vous y ont fait référence - rédigé par les services de mon ministère. La mission d'appui aux PPP assurera ainsi la diffusion de la méthodologie qu'elle a pu développer, en particulier en matière d'analyse des risques.

Plusieurs d'entre vous, dont M. Girod, ont mentionné le fait qu'il était bien agréable de pouvoir se reposer sur la compétence et l'expertise de partenaires privés, dont le métier est de mettre en place des solutions complètes comportant à la fois le financement, les propositions de réalisation, la mise en oeuvre et la gestion.

Il est aussi important de disposer en parallèle d'un centre d'expertise et de comparaison des meilleures pratiques. À cet égard, la mission d'appui aux PPP peut être une ressource tout à fait utile au service de toutes les collectivités locales. En tout cas, j'y veillerai lors de la mise en oeuvre de ce texte, s'il est adopté.

J'ai également été interrogée sur les moyens susceptibles de favoriser le caractère attractif du régime juridique du contrat de partenariat.

La question du régime spécifique de la cession de créance propre aux contrats de partenariat a ainsi été évoquée, notamment en comparaison avec le système de cession Dailly. Le projet de loi vise à accroître l'intérêt de ce régime pour les collectivités publiques comme pour les partenaires privés, en incluant dans son assiette certains des frais financiers jusque-là exclus et en prévoyant une sécurisation analogue à celle produite par le mécanisme de l'acceptation en cession Dailly. J'entends bien prendre en compte les remarques qui m'ont été adressées ; nous en reparlerons donc plus en détail lors de l'examen des amendements portant sur ce sujet.

Certains d'entre vous - notamment M. Houel - ont évoqué la question du rôle que peut jouer le PPP à l'égard des PME et de la manière d'encourager ces dernières à y participer.

Le Gouvernement est particulièrement soucieux dans toute son action du sort des PME, en l'espèce en leur permettant d'être parties prenantes du développement souhaité des PPP. J'aurai bientôt l'occasion de soumettre un certain nombre de dispositions à votre assemblée dans le cadre du projet de loi de modernisation de l'économie. Le Sénat pourra ainsi constater que le Gouvernement prévoit de nombreuses dispositions pour encourager les PME.

En matière de PPP, cet encouragement se traduit de deux façons. Les PME ont d'abord la possibilité de participer aux PPP en premier rang pour les opérations de taille petite ou moyenne. J'en profite pour indiquer à cet égard qu'il ne me paraît pas souhaitable d'exclure le PPP des petites opérations : c'est précisément là que les PME peuvent intervenir. Les PME peuvent aussi contribuer à l'exécution des contrats en tant que prestataires du groupement choisi pour des opérations plus importantes en volume et en gestion de risques.

Pour la participation en tant que titulaires du contrat, une forte proportion des projets en contrat de partenariat ont été développés par des collectivités locales. Cela a été souligné à plusieurs reprises lors de la discussion : plus des trois quarts d'entre eux sont passés par ces collectivités, pour des projets qui sont, en général, de taille limitée, c'est-à-dire de moins de 30 millions d'euros d'investissement. Ces contrats sont à la portée des PME, soit seules quand elles sont moyennes, soit à plusieurs quand elles sont petites. En outre, l'ordonnance ne prévoit aucun seuil minimum d'engagement pour recourir à un contrat de partenariat.

Par ailleurs, vous vous êtes interrogés sur la situation des architectes, la question étant de savoir si les PPP les pénalisent. L'architecture est évidemment d'intérêt public. Ainsi les bâtiments publics, qui participent à l'identité de la ville, ont-ils besoin de l'intervention d'architectes de qualité. Fort heureusement, il en est de nombreux en France.

C'est pour ces raisons que les responsables des collectivités publiques, lorsqu'ils ont recours à des partenariats pour la construction, puis, ultérieurement, l'exploitation de leurs équipements, conservent, je l'ai déjà rappelé, la liberté de désignation du concepteur et de choix du projet architectural. Le mécanisme prévu dans le projet de loi permet bien entendu de reprendre l'ensemble des contrats qui ont été passés pour retenir tel ou tel concepteur d'ouvrage. Les responsables des collectivités publiques pourront donc déterminer le meilleur projet architectural puis, dans un second temps, consulter en contrat de partenariat, garantissant la qualité du projet et favorisant la transparence de la consultation.

Aussi a-t-il été expressément prévu dans l'ordonnance que la personne publique, préalablement à la procédure de choix d'un partenaire privé, puisse garder tout ou partie de la conception des ouvrages et la confier au concepteur, en particulier à l'architecte, qu'elle aura choisi en pleine responsabilité.

Cette clause a déjà été mise en oeuvre. Nous disposons donc d'un retour d'expérience. Sur la vingtaine d'avis relatifs à des projets à caractère « bâtimentaire » rendus par la mission d'appui à la réalisation des partenariats public-privé depuis l'origine, trois concernent des projets pour lesquels la conception a été dissociée de la réalisation, confiée à un partenaire privé. Pour votre information, il s'agit de la rénovation du zoo de Vincennes, dans une première version, et des théâtres de Perpignan et de Rambouillet, dont M. Gérard Larcher nous a parlé lors de la réunion de la commission.

Certains d'entre vous, en particulier M. Dubois, ont suggéré que, compte tenu de la complexité et de la multiplicité des modes de passation de la commande publique, on envisage un véritable code de la commande publique, à des fins de simplification. Cela me paraît être une excellente initiative, à condition qu'un tel code soit non pas simplement l'accumulation de tous les textes existants, mais le résultat d'un travail d'harmonisation et de consolidation. Dans ces conditions, un tel code serait opportun.

Je vous signale à cet égard qu'Éric Besson a été chargé par le Premier ministre d'une mission sur l'articulation entre eux des différents instruments de la commande publique. Il doit remettre son rapport au Premier ministre très prochainement. Un code de la commande publique pourrait ensuite parfaitement être envisagé.

Je répondrai maintenant très précisément à M. Guené concernant les cinq règles d'or de la commission des finances du Sénat pour la réussite financière des PPP.

La première règle d'or que vous avez fixée, je la rappelle, est de limiter les possibilités de recours aux PPP, à la lumière en particulier de l'expérience du Royaume-Uni.

Il est évidemment un peu tôt pour se fonder simplement sur le bilan de l'expérience française. L'expérience britannique est bien sûr précieuse, et nous devons nous en inspirer. Compte tenu des enseignements britanniques, il faut renforcer l'exigence de vigilance. Ils ne doivent toutefois pas nous conduire à fixer hâtivement des règles générales dont l'application au cas français, et au droit continental, ne serait pas nécessairement adaptée. Je précise que, dans le cadre de la mission que lui a confiée le Premier ministre, Éric Besson a également examiné en Grande-Bretagne la manière dont fonctionnent les private finance initiatives, les fameux PFI, et vérifié si les collectivités publiques britanniques sont ou non satisfaites des résultats de l'expérience.

Votre deuxième règle d'or, monsieur le rapporteur pour avis, est de mesurer la performance de l'investissement public grâce à des indicateurs spécifiques mesurant eux-mêmes le respect des délais et des budgets initiaux. Les résultats seraient ensuite présentés au Parlement dans le projet de loi de finances.

Vous avez raison : il est effectivement impératif de se doter d'instruments de mesure de l'efficacité économique de l'investissement public, notamment dans le cadre de contrats complexes. Mais ces indicateurs ne seront pas adaptés s'ils sont génériques : ils doivent être, me semble-t-il, construits par secteurs, par exemple l'immobilier ou les technologies de l'information et de la communication. Les indicateurs de performance pourraient également différer selon qu'ils s'appliquent à du corporel ou à de l'incorporel. Certains indicateurs mentionnés existent déjà dans le cadre de la procédure dite de « justification au premier euro ». Cette démarche doit être poursuivie, car elle me semble aller dans le sens de la deuxième règle d'or proposée par la commission des finances.

J'en viens à la troisième règle d'or : la construction d'un référentiel d'évaluation commun aux administrations publiques et à la Cour des comptes. Une telle démarche me paraît en effet tout à fait souhaitable à moyen terme.

La quatrième règle d'or est d'étoffer les équipes de maîtrise d'ouvrage des différents ministères.

Le Gouvernement est parfaitement conscient de la nécessité de doter les différents ministères des compétences permettant de professionnaliser l'acheteur public et d'ouvrir l'accès à une expertise indépendante. On peut à cet égard noter que le projet en cours de réforme des achats de l'État vise précisément à créer au sein de chaque ministère un pôle « achats », avec un niveau accru de compétence. Ce pôle pourrait également servir pour les opérations de maîtrise d'ouvrage publique.

La direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé remplissent déjà une mission interministérielle d'expertise publique et de conseil. Le fait de conférer la maîtrise d'ouvrage à des partenaires privés ne doit pas conduire - c'est crucial - à une perte de compétences au sein de l'administration. Au contraire, l'expertise ex ante des financements de projets doit être renforcée.

Le plan de stimulation des contrats de partenariat dont le présent projet de loi constitue le volet législatif comporte également un programme de formation intensive d'une sorte de corps d'élite spécialisé dans les partenariats public-privé, auquel viendront s'ajouter dans chacun des ministères un certain nombre de spécialistes, formés par la mission d'appui et l'ensemble des corps spécialisés dans ces matières.

Votre cinquième règle d'or, monsieur le rapporteur pour avis, est que les contrats de partenariat ne doivent pas être utilisés comme un outil d'optimisation de la dette budgétaire. Je ne peux que souscrire à cette exigence.

Vous avez rappelé que si 15 % des investissements publics étaient réalisés en partenariats public-privé et déconsolidés, on parviendrait à diminuer de 0,6 point de PIB par an la dette publique au sens de Maastricht.

M. Girod a évoqué la distinction établie par la norme Eurostat, dont la clarté, j'en conviens, peut parfois échapper aux plus aguerris d'entre nous. Il me paraît tout à fait légitime d'établir la liste des engagements hors bilan qui seraient conformes aux critères d'Eurostat et néanmoins extraits de la dette de l'État. En outre, une telle mesure serait conforme à la sincérité budgétaire que j'appelais de mes voeux au début de la discussion générale.

Je ne rappellerai pas les critères de distinction d'Eurostat, vous l'avez fait, monsieur Girod. Il est vrai qu'ils présentent un degré d'incertitude parfois bien délicat lorsqu'il s'agit de classer telle ou telle opération de tel ou tel côté. En l'espèce, la grande vigilance dont fait généralement preuve l'INSEE est de nature à nous rassurer. L'INSEE a en effet toujours plutôt tendance à classer un engagement dans la dette, au sens maastrichtien, plutôt que hors la dette.

Je répondrai maintenant à M. Sueur, qui a évoqué le pari de Pascal. À défaut de vous convertir, monsieur Sueur, permettez-moi au moins de tenter de vous convaincre de la constitutionnalité des dispositions que nous vous soumettons. (Sourires.)

La création d'un troisième cas de recours aux contrats de partenariat que vise à introduire dans l'article 2 de l'ordonnance l'article 2 du projet de loi a été validée par le Conseil d'État et présente les garanties de constitutionalité au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003.

J'ai pris soin de relire les deux décisions du Conseil constitutionnel, car vous êtes tous ici de fins juristes, et de vérifier avec exactitude les termes qui y étaient utilisés, en ayant à l'esprit les arguments que vous avez avancés. Je souhaitais une nouvelle fois m'assurer de la constitutionnalité du dispositif que nous vous soumettons, même si, bien évidemment, le Conseil d'État, qui l'a examiné à la lumière des deux décisions du Conseil constitutionnel, nous a déjà donné des assurances en ce sens.

Permettez-moi de vous faire part de certains des éléments qui plaident en faveur de la conformité aux décisions du Conseil constitutionnel des deux possibilités supplémentaires de recours aux contrats de partenariat prévues dans le projet de loi.

Lorsque le Conseil constitutionnel fait référence aux notions d'urgence et de complexité, il n'énumère pas de manière exhaustive et limitative les cas dans lesquels il est possible d'avoir recours à un contrat de partenariat. Il les cite à titre d'exemple. C'est ainsi qu'il parle de « situations répondant à des motifs d'intérêt général » - ces termes sont importants - « tels que l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable ».

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel précise que « l'urgence qui s'attache à la réalisation du projet envisagé est au nombre des motifs d'intérêt général pouvant justifier la passation d'un contrat de partenariat ».

L'utilisation par le Conseil constitutionnel dans les deux considérants des termes « tels que », dans le premier, et « au nombre de », dans le second, me paraît donc indiquer que le Conseil constitutionnel a simplement souhaité donner deux exemples d'un principe - le motif d'intérêt général, qui recouvre celui du bon usage des deniers publics.

Dans ces conditions, l'extension des possibilités de recours au contrat de partenariat prévue dans ce projet de loi - le critère étant, d'une certaine manière, l'efficience, et donc la bonne gestion des deniers publics, à la lumière d'une évaluation nécessaire et renforcée - me paraît répondre aux exigences de constitutionnalité que le Conseil d'État nous a indiquées.

Je n'ignore pas, par ailleurs, que nous allons beaucoup discuter du quatrième cas d'ouverture d'un contrat de partenariat prévu dans ce texte, notamment des trois critères que sont la limitation dans le temps, la limitation dans les matières et le caractère non manifestement défavorable de l'évaluation préalable.

Telles sont, monsieur le président, les réponses que je souhaitais apporter aux intervenants dans la discussion générale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux contrats de partenariat
Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi, par Mme Mathon-Poinat, M. Billout, Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°96, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif aux contrats de partenariat (n° 211, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, auteur de la motion.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les contrats de partenariat sont apparus dans le paysage de la commande publique avec l'ordonnance du 17 juin 2004.

Je ne remonterai pas le cours de l'histoire avec vous, madame la ministre, ni d'ailleurs le cours du temps. Je rappellerai simplement que les ébauches de partenariats public-privé avaient été instaurées en 2002 par deux lois, respectivement la loi d'orientation et de programmation pour la justice et la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Ces textes permettaient déjà à l'administration de signer de tels contrats dans le but de construire ou de rénover des prisons et des gendarmeries.

Néanmoins, c'est avec la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit que le Gouvernement a officialisé les contrats de partenariat et décidé de généraliser cet outil nouveau de la commande publique.

Seulement voilà, un obstacle, et non des moindres, est venu briser l'élan gouvernemental : le Conseil constitutionnel, saisi de la loi d'habilitation, a certes validé le principe des contrats de partenariat, mais il en a en revanche refusé la généralisation prévue à l'époque.

Le Conseil constitutionnel a en effet considéré que les contrats de partenariat étaient non pas des outils juridiques équivalents aux marchés publics, aux délégations de service public ou aux concessions, mais des dérogations. Il a ainsi estimé que « la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics ».

À ce titre, les contrats de partenariats doivent être réservés, toujours selon le Conseil constitutionnel, « à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé. »

La décision du Conseil constitutionnel est ainsi venue quelque peu bouleverser les plans du Gouvernement qui, sans y renoncer, a tout de même dû intégrer dans l'ordonnance de 2004 les réserves d'interprétation du Conseil.

Le recours aux contrats de partenariat n'est donc possible que pour les projets qui relèvent de l'urgence et pour ceux dont la complexité le justifie.

Mais, malgré un régime fiscal intéressant, les partenariats public-privé n'ont pas connu l'essor escompté. Vingt-deux contrats de partenariat ont été signés par les collectivités territoriales et leurs établissements publics, et sept par l'État.

Ainsi, dans une lettre adressée au Premier ministre au mois d'octobre dernier, le Président de la République a exprimé sa volonté de redynamiser et de relancer les partenariats public-privé.

Madame la ministre, en présentant le projet de loi en conseil des ministres, vous avez indiqué que celui-ci visait à « faire du contrat de partenariat un instrument qui trouve pleinement sa place dans la commande publique, et non plus un simple outil d'exception ». Vous l'avez d'ailleurs répété ici-même.

À première vue, cette seule affirmation semble contraire à la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003. Jugeant les réserves d'interprétation des sages trop rigides et trop restrictives, le Gouvernement a décidé de développer le recours aux partenariats public-privé.

Votre volonté de contourner la décision du Conseil constitutionnel est à peine masquée. Elle nous est d'ailleurs confirmée par la lecture du projet de loi, dans lequel deux nouveaux cas d'ouverture de contrats de partenariat apparaissent.

Premièrement, le projet de loi prévoit le recours à ces contrats lorsque l'intérêt économique et financier est démontré à l'issue d'une évaluation des différents modes d'action dont la personne publique dispose pour répondre à ses besoins. En d'autres termes, si le bilan est manifestement avantageux au regard des autres outils de commande publique, le recours aux contrats de partenariats devient possible.

Deuxièmement, ce texte envisage également le recours aux partenariats public-privé jusqu'au 31 décembre 2012 pour les secteurs de l'action publique présentant un besoin immédiat en investissements.

En clair, dès qu'une décision du Conseil constitutionnel est gênante, il faut la contourner !

Madame la ministre, avec ce projet de loi, vous ne respectez ni la lettre ni l'esprit de la décision du Conseil constitutionnel. D'ailleurs, vous ne vous en cachez même pas, puisque vous avez clairement l'intention d'ôter aux contrats de partenariat leur statut d'exception et de les banaliser.

Examinons d'un peu plus près le contenu du projet de loi.

La première nouvelle voie de recours présentée par le texte concerne le bilan positif entre les coûts et les avantages par rapport aux autres outils de la commande publique.

Un tel choix est étrange, car l'évaluation préalable prévue aux articles 2 et 14 de l'ordonnance du 17 juin 2004 est déjà destinée à exposer les motifs, notamment économiques et financiers, ayant conduit la personne publique ou la collectivité territoriale à retenir le projet envisagé après une analyse comparative en termes de coût global, de performance et de partage des risques.

Cette évaluation préalable constitue déjà une sorte de bilan entre les coûts et les avantages. C'est la loi. Il s'agit d'une une étape préliminaire qui ne sort pas du cadre défini par le Conseil constitutionnel. De toute façon, les projets faisant l'objet d'une telle évaluation doivent être complexes ou présenter un caractère d'urgence.

Et votre objectif est précisément de rendre les contrats de partenariat systématiquement plus avantageux que tous les autres outils de la commande publique. C'est d'ailleurs le seul intérêt pour vous. Il s'agit essentiellement de faire apparaître les marchés publics et les autres outils de la commande publique comme ceux qui sont toujours les plus onéreux.

La deuxième nouvelle voie de recours aux contrats de partenariat est, quant à elle, sectorielle. Jusqu'à la fin de l'année 2012, elle est réservée à certains secteurs réputés présenter un caractère d'urgence, tels que l'enseignement supérieur et la recherche, la justice ou la santé publique.

Mais lorsque de tels besoins urgents existent - et, en l'occurrence, c'est effectivement le cas ! -, l'ordonnance de 2004 prévoit déjà la possibilité de recourir aux contrats de partenariat. Alors, quel besoin serait plus impérieux ?

Une fois de plus, pour comprendre la finalité d'une telle mesure, il faut lire entre les lignes. L'article 2 énumère certes avec précision les secteurs dans lesquels les projets seront réputés présenter un caractère d'urgence, mais il ouvre un champ plus vaste encore. En effet, les besoins sont grands en matière de rénovation urbaine et d'amélioration des conditions d'étude et de vie étudiante, d'accessibilité des personnes handicapées ou d'efficacité énergétique des bâtiments publics.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Ce sont quasiment tous les champs des marchés publics habituellement utilisés par les administrations dans de tels domaines qui sont ici mentionnés. Or ces projets seront a priori à même de présenter un caractère d'urgence - on peut effectivement parler d'« urgence » en la matière - et pourront donc faire l'objet d'un contrat de partenariat.

En procédant de la sorte, le Gouvernement permet, voire impose, aux administrations concernées de ne signer que des contrats de partenariat pour les projets énumérés à l'article 2. De fait, il exclut a priori les autres outils de la commande publique pour ces projets. Ou comment faire encore progresser les contrats de partenariat dans le droit de la commande publique !

Ainsi, vous pensez discrètement parvenir à généraliser les contrats de partenariat, qui sont théoriquement cantonnés au rôle d'exceptions, à l'ensemble des projets qui auraient dû aboutir, pour les uns, à des marchés publics et, pour les autres, à des délégations de service public ou à des concessions.

Or le Conseil constitutionnel s'est précisément opposé à une telle généralisation et a justifié l'énoncé de sa réserve d'interprétation par les principes d'égalité devant la commande publique, de protection des propriétés publiques et de bon usage des deniers publics.

S'agissant de l'égal accès à la commande publique, le risque que les petites et moyennes entreprises ne disposent pas de la taille nécessaire pour se porter candidates à de tels contrats globaux a été soulevé en 2003.

Si l'article 6 de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit prévoit « un accès équitable des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans aux contrats prévus » par cet article, une telle précaution n'atténue en rien l'atteinte portée au principe d'égal accès à la commande publique, tant elle relève d'un voeu pieux plus que d'une obligation.

Nous le savons parfaitement, les entreprises les mieux placées pour répondre aux critères de ces contrats globaux sont les grandes entreprises de travaux publics. Elles n'ont d'ailleurs pas démérité ces dernières années pour encourager le développement des partenariats public-privé.

La généralisation des contrats de partenariat, telle qu'elle est prévue par le projet de loi, prive les petites et moyennes entreprises, les artisans et les architectes d'accès direct à la commande publique.

Le risque d'atteinte au principe d'égal accès à la commande publique était déjà justifié en 2003 - c'est ce qui a motivé le Conseil constitutionnel à limiter le recours aux contrats de partenariat -, et il le sera encore plus avec cette loi. À n'en pas douter, une telle disposition encourt toujours la censure du Conseil constitutionnel.

Les contrats de partenariat présentent pour vous un autre intérêt, celui de masquer artificiellement l'endettement des personnes publiques. Pourtant, malgré tout ce que vous pouvez prétendre, leur coût est particulièrement élevé pour l'État et les collectivités locales.

Dans sa décision du 26 juin 2003, le Conseil constitutionnel a consacré pour la première fois le principe de « bon usage des deniers publics ». Si ce principe est bien présent dans le code des marchés publics, où il est fait référence à la « bonne utilisation des deniers publics », le Conseil constitutionnel semble l'avoir fait découler de l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui dispose ceci : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi ».

Or les partenariats public-privé représentent un coût élevé pour la collectivité en raison de leur mode de financement. Si ces contrats prévoient que le cocontractant assure le financement, ou plutôt le préfinancement, de l'ouvrage objet du contrat, il n'est pas envisagé de rémunération par l'usager. De fait, les deniers publics couvrent in fine la totalité des frais engagés par le contrat de partenariat.

En effet, c'est la personne publique qui rémunère le cocontractant privé par des loyers sur la durée du contrat. Or la phase de l'exécution du contrat la plus onéreuse étant évidemment non la maintenance, mais la construction même de l'ouvrage, le cocontractant privé devra, pour l'honorer, prendre en charge le préfinancement de l'ouvrage en faisant appel à des organismes bancaires. Cela revient donc à autoriser le paiement différé de tels contrats.

Le paiement différé a toujours été prohibé par le code des marchés publics. Cette formule contractuelle représente un endettement indirect qui pèsera sur les contribuables à plus ou moins long terme. Elle permet également de contourner les règles d'endettement maximum des collectivités locales.

Le rapport de la Cour des comptes pour l'année 2008 illustre parfaitement ces effets pervers. À propos du Centre des archives diplomatiques du ministère des affaires étrangères et européennes, qui a d'ailleurs été évoqué tout à l'heure, la Cour dresse le constat suivant : « De manière générale, cette opération pose la question des conséquences budgétaires et financières des opérations de partenariat public-privé, notamment dans le cas des autorisations d'occupation temporaire du domaine public. Cette formule apparaît inopportune s'agissant d'un service public non marchand puisqu'en l'absence de recettes elle fait entièrement reposer sur les finances de l'État une charge disproportionnée au regard de l'allégement de la charge budgétaire immédiate qu'elle permet sur le montant du déficit comme sur celui de la dette publique. »

En guise de conclusion, la Cour des comptes « invite à une réflexion approfondie sur l'intérêt réel de ces formules innovantes qui n'offrent d'avantages qu'à court terme et s'avèrent finalement onéreuses à moyen et long termes ».

La généralisation de la formule du partenariat public-privé entraînera donc d'importantes conséquences financières tant pour l'État que pour les collectivités territoriales. Ainsi, l'atteinte portée au principe de bon usage des deniers publics est ici incontestable.

Qu'est-ce qui pousse le Gouvernement à tenter vaille que vaille d'imposer les contrats de partenariat dans le paysage de la commande publique ? Certainement pas la valorisation du bien commun ! Le partenariat n'est pas un mode de cofinancement entre la personne publique et la personne privée, qui sera intégralement remboursée de ses frais.

L'idée de partenariat traduit surtout le mouvement croissant de sous-traitance au secteur privé de la définition des besoins de l'administration, de leur financement et de la gestion ultérieure des équipements, mouvement qui ira peut-être un jour jusqu'à la privatisation des services publics concernés !

Il n'y a pas d'autre explication. En effet, il n'existe ni insécurité ni vide juridiques justifiant le recours à ces contrats de partenariat. Avant la création de ces derniers, la jurisprudence a justement comblé le vide qui pouvait exister entre marché public et délégation de service public. Le champ des marchés publics s'est ainsi étendu, de telle sorte que les deux régimes juridiques du marché et de la délégation étaient bord à bord.

L'objectif est donc de modifier les relations entre l'administration et son cocontractant, et ce pour des raisons non pas juridiques, mais bien politiques. Il s'agit, d'une part, d'échapper aux règles du code des marchés publics et à la législation sur la maîtrise d'ouvrage publique et, d'autre part, de disposer de possibilités accrues de privatisation de certains services publics.

Le projet de loi élargit donc la voie, déjà ouverte par l'ordonnance de 2004, de contournement du code des marchés publics et de ses règles, qui sont certes contraignantes, mais qui garantissent l'égalité d'accès et l'équité de la mise en concurrence.

Théoriquement, le régime des partenariats ne peut être utilisé que dans les deux séries d'hypothèses exceptionnelles prévues par le Conseil constitutionnel. C'est pourquoi ce projet de loi contourne sciemment cette décision.

Par conséquent, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)