M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un sondage CSA-Le Parisien-Aujourd’hui en France de janvier 2006, à la phrase « J’aurais peur de la justice si je devais avoir affaire à elle », 65 % des sondés répondaient « d’accord », contre 34 % « pas d’accord ». Quant à la phrase « Les décisions de justice sont impartiales », les sondés répondaient « pas d’accord » à 54 %.

Ces chiffres résument assez bien la distance qui existe entre la justice et les Français. Le divorce est profond entre l’opinion et la justice. Il existe aujourd’hui une vraie crise de confiance, inégalée dans les autres pays européens.

Cette crise s’est encore renforcée lors de « l’affaire d’Outreau », dont les justiciables ont pu suivre en direct les retournements. Cette affaire demeure aujourd’hui le symbole d’une justice bornée et inefficace.

Mais, bien auparavant, nos concitoyens ne se fiaient plus à la justice. Pourquoi ? Parce que trop de décisions de justice ne sont jamais exécutées. Tel est le cas, trop souvent, dans les « petites » affaires, celles qui empoisonnent la vie : les recouvrements de créances et de dommages et intérêts, les exécutions de peines d’intérêt général, etc.

En tant qu’élus, nous sommes d’ailleurs confrontés à certains de nos concitoyens, qui nous sollicitent pour nous faire part de leur étonnement que des peines ne soient jamais exécutées. Par exemple, les maires sont souvent interpellés au sujet des impayés de logement. Même si la justice a statué, personne ne contrôle l’exécution de la décision et le propriétaire ne récupère que très rarement les loyers impayés.

Cela tombe sous le sens : un justiciable ne se sent ni protégé ni « réparé » si la décision qui a été prise en sa faveur n’est pas exécutée. D’autant plus s’il croise chaque jour au bas de son immeuble celui qui l’a lésé et qui, bien que condamné, ne remboursera jamais ce qu’il doit.

La question à laquelle nous devons répondre ici est la suivante : comment rétablir un lien de confiance entre nos concitoyens et la justice française ?

Diverses pistes sont possibles. Il faut agir sur de nombreux plans : d’abord, il faudrait que chaque plainte soit prise en compte ; ensuite, il faudrait améliorer les taux d’élucidation ; en outre, il faudrait raccourcir les délais de jugement ; enfin, il faudrait assurer le suivi réel de peines prononcées. Or ce texte ne porte que sur ce dernier point. Sera-ce suffisant ?

Espérons que cette proposition de loi aura au moins le mérite de réconcilier tant soit peu quelques justiciables avec la justice, notamment les victimes de petites infractions. Si tel était le cas, ce serait déjà beaucoup. À tout le moins, elle a le mérite de protéger les plus démunis ; je pense notamment aux victimes d’incendies volontaires de véhicules, qui, mal assurés, se trouvent souvent dans l’impossibilité de remplacer leur bien et subissent de ce fait une gêne considérable dans leur vie personnelle.

Pour cette seule et unique raison, nous voterons ce texte.

C’est finalement la décision que nous attendions depuis les émeutes de 2005, lorsque, en dépit de l’incendie de plusieurs centaines de véhicules, le gouvernement avait refusé toute action d’indemnisation exceptionnelle, alors qu’il avait déployé des mesures d’envergure pour faire cesser ces événements.

Notre groupe n’avait déposé qu’un seul amendement sur cette proposition de loi. Or la commission des finances l’a déclaré irrecevable, en application de l’article 40 de la Constitution. Celui-ci visait à étendre le bénéfice de ce texte aux victimes de dommages subis à l’étranger. Il est regrettable que nous ne puissions pas le défendre. Mais mon collègue Richard Yung, qui en était l’auteur, reviendra à la charge au cours de la discussion des articles.

Toutefois, madame le garde des sceaux, je mettrai un bémol. En quoi ce texte, ainsi que l’indique son intitulé, créé-t-il de nouveaux droits pour les victimes ? En fait, il a seulement pour objet de rendre opérant le droit des victimes actuellement en vigueur, celui de voir réparé le dommage causé par autrui. C’est l’objet de l’article 1382 du code civil, qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Il semble donc que ce texte ne fasse que réparer les dysfonctionnements actuels de notre système judiciaire. Or, en l’occurrence, il ne s’agit pas seulement du fonctionnement de la justice en elle-même. Certes, la justice est dans une situation alarmante ; le manque de moyens humains et financiers a pour conséquence de rallonger les délais de décisions et de multiplier les abandons de procédure. Mais ces dysfonctionnements touchent aussi les services de police et les services sociaux.

Au final, ce texte est bien mineur par rapport à la mission qui lui a été assignée : rendre effectives les décisions de justice. Il ne dit rien des délais particulièrement longs des jugements. Si les problèmes actuels de la justice se limitaient au recouvrement des amendes, nous le saurions !

L’application des sanctions a un véritable sens et une grande importance. Nous nous accordons sur le fait qu’une justice ne peut être véritablement efficace si ses décisions ne sont pas appliquées. Toutefois, mes chers collègues, dans quel monde vivons-nous pour nous féliciter d’un texte qui permet aux victimes de recouvrer ce qui leur est dû, qui contraint les condamnés à régler leur dû ? Pouvons-nous réellement nous en féliciter ? En réalité, ce texte n’a d’autre objet que de réparer les retards et le manque cruel de moyens dont souffre la justice depuis plus de vingt ans. S’il est utile, espérons de surcroît qu’il sera efficace, pour que nous n’ayons jamais à corriger de nouveau toutes ces anomalies.

En somme, madame le garde des sceaux, cette proposition de loi n’a d’autre objet que de faire en sorte que la loi s’applique ! Il faut que le système judiciaire soit bien malade pour en être arrivé là ! Quel constat d’impuissance ! Mais ce texte ayant le mérite d’exister, nous le voterons.

Avant de conclure, j’aimerais néanmoins mettre un dernier bémol.

La crise actuelle de confiance entre nos concitoyens et la justice est réelle, nous ne le réfutons pas. Mais il serait utile de se demander pourquoi la justice souffre de tels dysfonctionnements.

Nous avons abordé plusieurs fois cette question, à l’occasion de la discussion de nombreux textes, mais aussi chaque année lors de l’examen des crédits consacrés à la justice, dans le cadre du projet de loi de finances. Les dysfonctionnements de la justice française sont une conséquence directe du manque de moyens humains et financiers. Or le texte qui nous est soumis aujourd’hui ne règle pas du tout ce problème ; il ne comporte pas une seule ligne sur un effort financier de l’État. D’ailleurs, la déclaration d’irrecevabilité de notre amendement en est la démonstration : on abandonne immédiatement toute mesure un tant soi peu coûteuse pour le budget de l’État !

Comment croire, alors, que ce qui était impossible hier deviendra possible demain, puisque aucun moyen supplémentaire n’est octroyé ?

Madame le garde des sceaux, vous aurez compris que, si le groupe socialiste reste sceptique quant à l’utilité réelle de ce texte, il ne s’y opposera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l’amélioration de l’exécution des décisions de justice pénale est une exigence démocratique qui répond à une attente forte et unanime de nos concitoyens.

Même si des progrès importants ont été réalisés au cours des dernières années, le bilan de l’exécution des peines demeure encore aujourd’hui insuffisant.

Ainsi, à titre d’exemple, le taux de recouvrement de l’ensemble des amendes prononcées par ordonnance pénale ou par jugement correctionnel ne dépasse pas 50 %.

Trop souvent, les victimes ne sont pas indemnisées du préjudice qu’elles ont subi ou éprouvent de grandes difficultés pour recouvrer effectivement les sommes auxquelles elles ont droit.

Or, à force d’inexécution ou d’exécution tardive, la justice perd une partie de sa crédibilité, tant auprès des victimes que des délinquants.

Madame le garde des sceaux, comme vous le souligniez à juste titre lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, « c’est parce que les peines sont exécutées que la justice est dissuasive, c’est parce que les amendes sont payées que la décision de justice est efficace, c’est parce que les victimes sont dédommagées que la justice est humaine ». Vous concluiez ainsi : « Il ne sert à rien de juger ni de condamner si les sanctions ne sont pas mises en œuvre. » Permettez-moi d’ajouter, madame le garde des sceaux, que c’est aussi parce que les peines sont exécutées que la justice est respectée.

Les Français veulent une justice plus efficace. C’est leur premier souhait. Une justice plus efficace, c’est une justice plus rapide, plus simple, qui répond mieux à leurs besoins et qui fait respecter les décisions qu’elle rend.

La question de l’exécution des peines n’est pas uniquement quantitative, elle aussi qualitative. En effet, il n’est pas seulement souhaitable et nécessaire que les peines soient effectivement et rapidement mises à exécution ; il est aussi indispensable qu’elles le soient dans des conditions leur permettant d’atteindre le double but de protection de la société et de réinsertion de la personne condamnée.

On assiste aujourd’hui à un mouvement positif dans l’exécution des décisions de justice et dans l’amélioration du fonctionnement de la chaîne pénale.

Dès sa prise de fonction, le Gouvernement a engagé une profonde réforme de notre système judiciaire afin de mieux protéger les Français et de conforter la place des victimes dans notre système pénal.

Au cœur de votre action, madame le garde des sceaux, il y a en effet la volonté d’aider les victimes, et notamment de leur permettre de recouvrer les dommages et intérêts qui leur sont dus.

C’est la raison d’être du service d’assistance au recouvrement des victimes d’infractions, créé par vos soins en juillet dernier, lequel permettra de remédier aux difficultés rencontrées par les victimes d’atteintes aux biens ou de violences légères, qui sont trop souvent privées d’une réparation effective.

La bonne exécution des peines est également une préoccupation majeure du Parlement, comme en témoignent les préconisations formulées par les missions d’information des commissions des lois de nos deux assemblées, portant respectivement sur l’exécution des décisions de justice pénale et sur les procédures rapides de traitement des affaires pénales.

La présente proposition de loi, adoptée à l’unanimité par nos collègues députés et dont nous sommes aujourd’hui saisis, vise à conforter cet élan en améliorant les conditions dans lesquelles les décisions de justice sont exécutées.

Cette proposition de loi est consacrée à deux volets essentiels de la procédure pénale : l’indemnisation des victimes et l’exécution des peines, deux phases de l’après-jugement qui ne sont pas suffisamment suivies alors qu’elles sont fondamentales.

De nouveaux droits sont, tout d’abord, créés pour les victimes d’infractions. En effet, celles qui ne peuvent accéder à la commission d’indemnisation des victimes d’infractions auront désormais la possibilité, grâce au fonds de garantie, de faire valoir leurs droits et, le cas échéant, de recouvrer leurs dommages et intérêts.

L’article 3, qui est essentiel, permet d’assouplir les conditions de dédommagement des propriétaires de véhicules incendiés volontairement par des tiers.

L’indemnisation pourra se faire par le biais de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, dans un délai bref et sans que la victime ait à établir qu’elle se trouve dans une situation matérielle ou psychologique grave.

La proposition de loi améliore également l’exécution des décisions pénales en incitant les prévenus à comparaître aux audiences ou à s’y faire représenter et en facilitant la signification des décisions par les huissiers de justice.

Enfin, le texte comprend des dispositions nouvelles visant à assurer un meilleur taux de recouvrement des amendes et des frais de procédure.

Ces différentes mesures sont utiles et nécessaires, car elles facilitent les procédures et améliorent le fonctionnement de la chaîne pénale, dans l’intérêt de toutes les parties.

Sur l’initiative de son rapporteur, M. François Zocchetto, la commission des lois du Sénat a adopté plusieurs amendements qui complètent utilement et de façon équilibrée le dispositif d’aide au recouvrement des dommages et intérêts.

Les propositions de M. le rapporteur visent en effet à renforcer les garanties accordées aux victimes tout en cherchant, dans le même temps, à mieux prendre en compte la situation des personnes condamnées.

Ces amendements vont dans le bon sens et nous les soutiendrons.

Cette proposition de loi nous permet de franchir une nouvelle étape en faisant en sorte que l’exécution des décisions de justice pénale soit en France non plus un problème mais bien une réalité.

D’autres étapes, toutes aussi importantes, nous attendent demain afin, notamment, de transcrire dans notre ordre juridique interne les règles pénitentiaires européennes et d’accorder toute sa place aux impératifs d’insertion et de réinsertion à la sortie de prison.

À cet égard, nous nous félicitons de la discussion prochaine d’une grande loi pénitentiaire que nous appelons de nos vœux et dont l’objet sera de préciser les droits et les devoirs des détenus, d’améliorer la prise en charge en termes de formation et de santé, mais également de redéfinir les missions de l’administration pénitentiaire.

Soyez assurée, madame le garde des sceaux, de notre ferme détermination pour contribuer, à vos côtés, à l’amélioration du fonctionnement de notre justice, qui doit être, certes, plus ferme, mais également plus humaine.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP du Sénat votera en faveur de cette proposition de loi telle qu’elle est enrichie par les propositions de la commission. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi a pour objet d’apporter des réponses à des problèmes concrets rencontrés par les victimes ou encore à des dysfonctionnements dans l’exécution des décisions de justice.

Néanmoins, comme l’a dit tout à l’heure l’un de nos collègues, le texte qui nous est proposé manque d’ambition eu égard aux travaux parlementaires qui ont été réalisés sur cette question. Je regrette d’ailleurs que le Gouvernement ne se soit pas immédiatement emparé des propositions de la mission d’information, qui ont été remises en décembre dernier. Je suis favorable à l’initiative parlementaire, mais, si l’intention des auteurs de la proposition de loi est louable, son champ d’application est très restreint.

L’introduction du rapport d’information ne manque pas de sel lorsque M. le rapporteur y précise : « pendant longtemps, l’exécution des décisions de la justice pénale a été la grande oubliée de la chaîne pénale. Au cours des deux dernières décennies, l’attention du Gouvernement, du Parlement, des magistrats, des pénalistes, de l’opinion s’est concentrée sur l’instruction, la diversification des modes de poursuite et des sanctions encourues ou encore l’amélioration des droits des victimes, mais l’exécution des peines est longtemps restée à l’écart des préoccupations. » Pour quelles raisons ? La loi prévoit l’exécution des peines, mais, comme l’a dit tout à l’heure notre collègue Charles Gautier, le problème, c’est la volonté et les moyens, ce qui renvoie directement aux politiques gouvernementales.

L’exécution des peines, notamment des peines privatives de liberté, et leur aménagement n’ont jamais été votre priorité, ni depuis 2002 ni depuis 2007. Vous avez fait tout autre chose. Sinon, nous serions plus avancés dans la préparation de la loi pénitentiaire attendue depuis fort longtemps.

Or la mission d’information a formulé 49 propositions, qui, s’agissant des peines privatives de liberté, en reviennent toujours au même constat : il est urgent d’améliorer leurs conditions d’exécution, de favoriser le développement des aménagements de peine et des peines alternatives à l’emprisonnement.

Si la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est bien issue des travaux de la mission d’information, elle ne reprend qu’une infime partie des propositions formulées par la mission, renvoyant celles qui sont relatives aux peines privatives de liberté à l’examen de la future loi pénitentiaire, c’est-à-dire à plus tard. Certes, celle-ci est encore inscrite au calendrier de cette session parlementaire, mais nous pouvons nourrir les plus grandes craintes quant à son aboutissement dans le cadre de votre objectif de réduction draconienne des politiques publiques.

La proposition de loi présentée par MM. Jean-Luc Warsmann et Etienne Blanc ne peut être le cache-misère de tout ce qui relève de l’exécution des peines et qui, faute de volonté, n’est pas et ne sera pas traité.

Le texte en lui-même est plutôt positif, puisqu’il prévoit dans un premier temps d’améliorer l’indemnisation des victimes ne pouvant pas bénéficier d’une indemnisation par la CIVI et des personnes dont le véhicule a été incendié. Je ne reviens pas sur les propos qui ont été tenus à cet égard et que je partage.

La victime pourra toucher une aide du FGTI, plafonnée à 3 000 euros, en l’absence de paiement volontaire des dommages et intérêts par la personne condamnée dans un délai de trente jours.

L’article 1er présente également l’intérêt d’inciter la personne condamnée à verser les dommages et intérêts dans ce délai, car une pénalité au titre des frais de gestion sera appliquée en sus des dommages et intérêts.

Dans cette même logique, les personnes dont le véhicule a été incendié voient leur droit à indemnisation renforcé. Aujourd’hui, le fait de se retrouver sans véhicule à la suite de l’incendie de celui-ci constitue un véritable problème pour nombre de foyers modestes, qui habitent le plus souvent dans des quartiers mal desservis par les transports et mal encadrés par la police de proximité et qui éprouvent par conséquent les plus grandes difficultés pour se rendre à leur travail.

La proposition de loi prévoit donc que, lorsque le bien détruit, dégradé ou détérioré est un véhicule terrestre à moteur, la condition de « situation matérielle ou psychologique grave » causée par l’infraction ne sera pas exigée. J’approuve cette mesure.

Le deuxième volet de la proposition de loi porte sur la présence des prévenus à l’audience. C’est évidemment une bonne chose.

Enfin, nous ne pouvons que partager la volonté des auteurs de la proposition de loi d’améliorer l’exécution des peines d’amendes et de suspension ou de retrait du permis de conduire, même si nous pouvons nous demander si ces mesures relèvent d’une nouvelle loi ou de l’exécution de celles qui existent déjà.

Encore faudrait-il disposer des crédits suffisants. On nous dit que l’application de ces dispositions ne sera pas onéreuse. Or le budget de la justice a beau avoir été augmenté pour 2008, cette amélioration est bien faible compte tenu, d’une part, des besoins des juridictions, notamment en personnels des greffes, et, d’autre part, de la priorité accordée à l’enfermement.

D’ailleurs, la question des effectifs est directement et clairement évoquée dans le rapport de la mission d’information, notamment s’agissant de la transmission des décisions par les juridictions au casier judiciaire qui, aujourd’hui, se fait dans un délai moyen de quatre mois.

M. le rapporteur n’a d’autre proposition que de « doter les greffes correctionnels de personnels suffisants pour enregistrer les décisions en temps réel en améliorant les moyens en personnels des greffes correctionnels et en recourant aux recrutements de vacataires en fonction des besoins des juridictions ».

Je ne compte plus le nombre de nos interventions réclamant l’augmentation des personnels des greffes. C’est également une revendication récurrente des magistrats.

Pourtant, les années passent et les greffes manquent toujours de personnels. La réforme inique de la carte judiciaire que vous avez menée, madame le garde des sceaux, va à l’encontre d’une meilleure efficacité du service public de la justice et donc de l’amélioration des droits des victimes comme de l’exécution des peines.

Elle entre d’ailleurs en contradiction avec le constat de la mission d’information selon lequel la présence d’un bureau de l’exécution des peines, un BEX, dans 176 tribunaux de grande instance a permis des progrès considérables en termes de délai et de taux d’exécution des peines. Les BEX ont aussi deux autres vertus : permettre l’explication de la décision au condamné et assurer l’information de la victime. La réforme de la carte judiciaire va aboutir à la suppression, dans de nombreux endroits, d’une structure qui a fait ses preuves.

Enfin, améliorer l’indemnisation des victimes d’infractions tend incontestablement à renforcer leurs droits ; mais certaines victimes ne pourront de toute façon pas les exercer, car, par manque de moyens financiers, elles ne pourront engager une procédure. L’accès à l’aide juridictionnelle fait donc intégralement partie des droits de la victime. Or les plafonds prévus par la loi de 1991 sont très bas et ne permettent pas à une personne touchant le SMIC de bénéficier de l’aide juridictionnelle totale ; à peine aura-t-elle droit à une aide partielle.

L’article 3 prévoit d’ailleurs l’augmentation du plafond de ressources que la victime ne doit pas dépasser afin de pouvoir prétendre à une indemnisation : il est porté à une fois et demie le montant prévu par la loi de 1991, ce dernier étant considéré comme trop bas par les auteurs de la proposition de loi. C’est tout dire !

Là encore, la question du budget et de l’engagement financier de l’État est centrale. À de multiples reprises, nous avons proposé de relever ces plafonds de ressources à au moins une fois et demie le SMIC pour l’aide juridictionnelle totale et à deux fois le SMIC pour l’aide juridictionnelle partielle.

Les parlementaires sont traditionnellement privés de toute initiative en la matière en vertu de l’article 40 de la Constitution. Désormais, la majorité sénatoriale nous empêche toute discussion publique avant l’application de cet article. C’est pourquoi nous n’avons pas eu d’autre choix que de déposer un amendement visant à « encourager » le Gouvernement à augmenter les plafonds de la loi de 1991. Tout cela n’est guère contraignant, hélas ! Nous regrettons de ne pouvoir engager à cette occasion un vrai débat budgétaire sur la question de l’aide juridictionnelle.

Madame le garde des sceaux, vous avez dit que les victimes du terrorisme étaient particulières. Qui dira le contraire ? Mais permettez-moi de vous faire observer que d’autres victimes sont également particulières : je pense aux victimes de l’explosion d’AZF ou aux victimes de l’amiante dont les employeurs refusent de reconnaître leurs fautes. Bien qu’il ne s’agisse ni des mêmes fonds ni des mêmes juridictions, ces victimes devraient pouvoir bénéficier des mêmes dérogations en matière de délai.

Pour toutes ces raisons, et quoique les dispositions de la proposition de loi soient tout à fait positives, le groupe CRC s’abstiendra.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Charles Gautier, vous avez, à juste raison, évoqué la nécessité de recréer un lien de confiance entre les Français et la justice. Ce lien est en effet quelque peu distendu depuis de nombreuses années.

Je vous rejoins sur cet objectif et je suis, comme vous, persuadée que cette confiance ne peut exister que si les décisions de justice sont effectivement exécutées.

À l’heure actuelle, il revient au justiciable de demander l’exécution d’une décision de justice.

Selon vous, les difficultés de faire exécuter une décision de justice tiendraient à un manque de moyens, à des dysfonctionnements et à la non-augmentation des budgets de la justice. C’est faux, monsieur Charles Gautier ! Une augmentation des moyens de la justice n’améliorerait pas l’exécution des décisions de justice.

La mission de la justice est de rendre une décision, de prévoir des dommages et intérêts ou des intérêts civils. C’est à la victime de procéder à l’exécution de la décision de justice. C’est à elle de mandater un huissier de justice ou de retrouver la personne condamnée.

La justice s’arrête au moment du prononcé de la sanction. Elle peut mettre à exécution les peines privatives de liberté, mais pour les intérêts civils ou les dommages et intérêts, c’est à la victime d’agir.

Selon notre conception, la justice, quand elle restaure la victime dans ses droits et dans sa dignité, doit veiller à ce que la victime, quels que soient ses moyens, soit indemnisée. C’est donc un nouveau droit de la victime.

L’article 1382 du code civil pose le principe de l’indemnisation et de la réparation du préjudice. La justice rend une décision mais c’est à la victime de la mettre à exécution. Quelque 75 000 personnes n’entrant pas dans le cadre de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, il revient souvent à la victime d’aller mettre à exécution la décision. Plusieurs cas de figure se présentent.

Premièrement, l’auteur de l’infraction n’est pas solvable et la victime ne perçoit aucune indemnisation, alors qu’elle a avancé les frais pour l’exécution de la décision de justice.

Deuxièmement, la victime a vécu l’audience comme un traumatisme et elle ne souhaite pas être de nouveau confrontée à l’auteur de l’infraction pour obtenir réparation.

Troisièmement, la victime n’a même pas les moyens de payer un huissier pour obtenir l’exécution de la décision de justice.

Force est de constater qu’aujourd’hui la justice s’arrête au prononcé de la décision.

Nous voulons protéger la victime, la restaurer dans ses droits et sa dignité, mais aussi lui permettre d’obtenir réparation. C’est pourquoi nous souhaitons ajouter un nouveau droit de la victime qui permettra à la victime d’être indemnisée. Ce n’est donc pas une question de moyens : nous confions une nouvelle mission à la justice.

Monsieur Buffet, vous appelez de vos vœux la discussion du projet de loi pénitentiaire.

Je souhaite, comme vous, que le Parlement puisse se saisir de la question, essentielle, de la réinsertion des personnes détenues. Le texte sera présenté au Parlement en juin. Cette loi, la deuxième en soixante ans après celle de 1987, sera d’une importance majeure pour la réinsertion des personnes détenues. Je vous remercie de m’avoir permis de l’évoquer.

Madame Borvo Cohen-Seat, comme je l’ai indiqué en réponse à l’intervention de M. Charles Gautier, l’exécution de la décision de justice est aujourd’hui à la charge de la victime.

Notre conception de la justice est différente de la vôtre : nous sommes guidés non pas par l’idéologie…

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. …mais par le principe de réalité : aujourd’hui, la victime n’a pas à procéder à l’exécution de la décision de justice. Nous souhaitons que les victimes soient réellement indemnisées, réellement restaurées dans leurs droits. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)