compte rendu intégral

Présidence de M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures cinq.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Commission mixte paritaire

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant modernisation du marché du travail.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

3

Modification de l'ordre du jour

M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a modifié l’ordre d’examen des textes inscrits à l’ordre du jour prioritaire de notre séance du jeudi 15 mai après-midi.

L’ordre du jour de cette séance s’établira donc comme suit :

À dix heures :

- Projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres des Communautés européennes ;

- Sept conventions internationales examinées selon la procédure simplifiée ;

À 15 heures :

- Questions d’actualité au Gouvernement ;

- Deuxième lecture du projet de loi organique relatif aux archives du Conseil constitutionnel et du projet de loi relatif aux archives ;

- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Acte est donné de cette communication.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

5

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, la situation en Birmanie, après la catastrophe qu’a connue ce pays, ne manque pas de susciter des inquiétudes, qui sont, je le crois, largement partagées sur l’ensemble des travées. La manière dont le régime en place gère cette catastrophe suscite de nombreuses interrogations.

C’est pourquoi nous souhaiterions entendre M. le ministre des affaires étrangères soit lors d’une audition devant la commission des affaires étrangères, soit à l’occasion du débat sur la politique étrangère de la France qui doit se dérouler demain ici même, afin qu’il nous fasse connaître les actions menées par la France et l’Europe pour faire face à cette catastrophe.

Le Sénat s’honorerait de prendre une telle initiative, qui permettrait de nous éclairer sur cette question difficile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Monsieur Bel, nous allons dès maintenant informer M. le ministre des affaires étrangères que vous avez l’intention de l’interroger sur la situation en Birmanie.

Je pense qu’il n’y aura aucune difficulté à ce que vous puissiez intervenir demain sur ce sujet dans le cadre du débat qui doit avoir lieu dans cet hémicycle, puisque celui-ci a trait à la politique étrangère de la France dans son ensemble.

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Langues régionales ou minoritaires

Discussion d’une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 18 de M. Nicolas Alfonsi à Mme la ministre de la culture et de la communication sur la sauvegarde et la transmission des langues régionales ou minoritaires.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Nicolas Alfonsi attire l’attention de Mme la ministre de la culture et de la communication à propos des mesures envisagées par le Gouvernement pour donner un cadre légal afin de créer des obligations à la charge de l’État en vue de la sauvegarde et de la transmission de langues régionales ou minoritaires pratiquées sur son territoire.

« Par sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution certaines clauses de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires signée à Budapest le 7 mai 1999.

« Le Conseil constitutionnel a toutefois relevé dans sa décision que l’application de l’article 2 de la Constitution ne devait pas conduire à méconnaître l’importance que revêt en matière d’enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle la pratique des langues régionales ou minoritaires.

« Il s’agit maintenant de savoir si le Gouvernement entend soumettre au Parlement des dispositions de nature législative en la matière ou s’il choisit au contraire de trancher par la voie réglementaire. »

La parole est à M. Nicolas Alfonsi, auteur de la question.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la France a signé à Budapest, le 7 mai 1999 – il y a plus de neuf ans –, avec les États membres du Conseil de l’Europe, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Destinée à maintenir et à développer le pluralisme des traditions et la richesse culturelle de l’Europe, cette charte vise à protéger et à promouvoir des langues pratiquées traditionnellement sur le territoire d’un État par des ressortissants appartenant à un groupe numériquement minoritaire et différent de la langue officielle de cet État. Pour cela, elle met à la charge des États signataires l’obligation de mener un certain nombre d’actions en faveur de l’emploi des langues régionales et minoritaires dans différents domaines, dont trois au moins choisis parmi l’enseignement, la culture, la justice, les services publics, les médias, la vie économique et sociale.

Cependant, par sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution plusieurs clauses de cette charte. Il a en effet jugé que les principes constitutionnels fondamentaux d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance.

II a en outre considéré, en se fondant sur le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution, lequel dispose : « La langue de la République est le français. », que l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public et que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage.

Cette jurisprudence peut nous apparaître d’une sévérité excessive, voire anachronique. On peut convenir en tout cas que les questions relatives à l’usage de langues autres que le français ne se posent pas aujourd’hui dans les mêmes termes que sous la Révolution française. Les temps sont loin où la répression des patois pouvait être considérée, avec l’Abbé Grégoire, comme une œuvre de progrès.

Le Conseil constitutionnel a, il est vrai, relevé dans sa décision que l’application de l’article 2 de la Constitution ne doit pas conduire à méconnaître l’importance que revêt, en matière d’enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d’expression et de communication.

Il a également admis que n’était contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des engagements souscrits par la France autres que ceux qui ont été examinés dans sa décision. Il a estimé que la plupart de ces engagements se bornaient à reconnaître des pratiques déjà mises en œuvre par la France en faveur des langues régionales.

Cette jurisprudence empêche néanmoins la ratification des dispositions de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires déclarées contraires à la Constitution, qui ne peut en l’état actuel être autorisée par le Parlement.

Le Sénat a déjà débattu à plusieurs reprises de cette situation et des conséquences à en tirer.

En dernier lieu, lors de l’examen, le 29 janvier dernier, du projet de loi constitutionnelle visant à permettre la ratification du traité de Lisbonne, nous avons examiné un amendement à la Constitution autorisant la ratification de la charte dans le respect de l’article 2 de la Constitution.

Mme le garde des sceaux avait alors indiqué que la question serait réexaminée – j’y insiste, madame le ministre – lors de la révision constitutionnelle qui suivrait les travaux du comité présidé par M. Balladur : « Nous aurons l’occasion d’examiner à nouveau cette question lors de la révision constitutionnelle […]. Le Premier ministre s’y est d’ailleurs engagé à l’occasion de la présentation du même amendement à l’Assemblée nationale ».

Le Sénat a manifesté à cette occasion son attachement résolu aux langues régionales parlées en France, qui font partie de notre patrimoine culturel. Cet attachement est légitime, tout particulièrement, vous le comprendrez aisément, en ce qui concerne la langue corse.

C’est en ayant à l’esprit ces considérations que mon groupe a été conduit aujourd’hui à demander au Gouvernement de faire connaître sa position : quelles mesures entend-il prendre en vue de garantir la sauvegarde des langues régionales ?

À ce stade, chers collègues, quelques observations s’imposent.

Il est sans doute inutile de succomber aux images habituelles, et de renouveler nos déclarations d’attachement à la défense du corse, de l’alsacien, du breton, etc.

M. Nicolas Alfonsi. Car je demeure persuadé que même les plus ardents défenseurs des valeurs républicaines qui siègent dans cette assemblée partagent notre objectif commun de sauvegarde de ces langues.

Néanmoins, il convient de combattre quelques idées fausses et de rappeler quelques évidences qui rendent le débat difficile.

Ainsi, la vigueur d’une langue régionale n’est pas nécessairement liée à l’existence d’un texte. Si la loi Jospin a donné un cadre légal à l’application de l’enseignement du corse, …

M. Jean-Luc Mélenchon. Loi très importante !

M. Nicolas Alfonsi. … rien n’indique que la vigueur du breton, faute de texte, soit moins bien assurée que celle du corse, l’environnement politique, culturel, les motivations des associations et des enseignants pouvant suppléer avec efficacité l’absence de texte.

De même, ce ne sont pas les sanctions de l’instituteur de la IIIe République, même si elles ont pu particulièrement y contribuer, qui ont réduit l’influence des langues régionales. En effet, la punition de l’élève n’a jamais empêché la vigueur de celles-ci dans le monde rural ; c’est seulement la désertification qui a conduit à leur dépérissement.

De même, c’est la grande diversité de ces langues, dont la richesse va toujours de l’oralité à un écrit plus ou moins élaboré, qui rend complexe l’homogénéité de traitement. Dès lors, comment en sortir ?

Une première voie a été suggérée lors de la discussion du 29 janvier par notre collègue Michel Charasse : procéder, sans révision préalable, à la ratification des seules dispositions de la charte qui n’ont pas été déclarées contraires à la Constitution et qui permettraient de donner une meilleure place aux langues régionales.

Cette voie est séduisante, mais des doutes raisonnables subsistent sur la divisibilité de la charte : peut-on autoriser sa ratification pour ainsi dire par morceaux sans porter atteinte à son économie générale ?

En outre, nous gardons à l’esprit que le Conseil constitutionnel a entendu contrôler la constitutionnalité de la charte, indépendamment de la déclaration interprétative donnée par le Gouvernement de son sens et de sa portée

L’autre voie qui vient naturellement à l’esprit est donc de procéder à la révision constitutionnelle nécessaire à la ratification de la charte, par exemple en inscrivant dans la Constitution la garantie du respect des langues régionales.

Devons-nous nous en tenir à un débat de principe ? Croyez-vous profondément, madame le ministre, que le respect des langues régionales, qui font partie de notre patrimoine culturel, porte par lui-même une réelle atteinte au principe d’égalité et à l’unité du peuple français ?

Une troisième voie consiste à emprunter d’autres moyens qu’un instrument international et à renforcer, en droit interne, le cadre légal institué en faveur de nos langues régionales ; je pense notamment aux efforts accomplis en la matière dans le domaine de la culture, de l’enseignement et des médias.

En revanche, la pire des voies serait de considérer – à notre sens à tort – que la loi prévoit déjà tout ce que la Constitution permet et, en conséquence, de ne rien faire ou de codifier des textes existants.

Comment surmonter, madame le ministre, de tels obstacles ? Comment ne pas éprouver, d’ailleurs, une forte émotion quand un ancien nous quitte, emportant avec lui le secret d’une langue ?

Comment ne pas penser à l’oralité de certaines langues ? Si Jules César avait invité Cicéron à adhérer à sa politique, il lui aurait dit tout simplement : « veni cum ego ». Je pourrais tout autant inviter à venir avec moi un militant, partisan de la défense des langues régionales, pour faire campagne sur cette question.

J’ai déclaré à l’Assemblée de Corse, car il faut toujours nuancer son propos, que j’étais prêt, s’agissant des langues régionales que l’on parle facilement mais que l’on écrit difficilement, …

M. Jean-Louis Carrère. C’est exact !

M. Nicolas Alfonsi. … à donner trois heures de cours de langue corse à des élèves. J’estime que c’est sans doute la meilleure méthode et qu’il faut dans ce domaine éviter un intégrisme linguistique excessif, si j’ose dire.

En ce qui concerne la communication, il faut se méfier. Car comment procède-t-on aujourd'hui dans les médias ? On propose un thème, encore qu’on ne sache jamais très bien, s’agissant des langues régionales et de la langue française, quel est le thème et quelle est la version ! Un inspecteur général de l’instruction publique n’avait-il pas très prudemment évité d’utiliser ces deux termes, disant simplement que c’était une traduction en langue corse d’un texte français ?

Selon Pirandello, la langue régionale exprime les sentiments et la langue nationale les concepts. Nous buttons souvent sur cette difficulté de trouver les concepts et c’est pourquoi nous éprouvons un peu le sentiment de tourner à vide.

M. Jean-Luc Mélenchon. Cela arrive aussi avec le vocabulaire technique !

M. Nicolas Alfonsi. J’ai déposé cette question orale le 18 avril 2008, madame le ministre ; elle est parue au Journal officiel le 24 avril. Le 30 avril, la conférence des présidents a jugé utile d’inscrire ce débat à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 7 mai.

Je n’ai pas la vanité de croire que j’ai pu jouer un rôle quelconque dans cette inscription. Je pense plutôt que c’est votre souci de « déminer » ce dossier avant la discussion de la réforme constitutionnelle qui vous a conduite à anticiper, en tenant compte des disponibilités du calendrier parlementaire.

Ma question devient donc, en quelque sorte, sans objet. Je constate cependant la présence dans cet hémicycle de nombreux collègues souhaitant défendre les langues régionales.

Georges Dumézil écrivait dans Le Monde, voilà quelques années, qu’il avait réussi à sauver une langue indo-européenne qui n’était plus parlée en Ouzbékistan que par une seule personne. J’espère, madame le ministre, que vous nous laisserez encore quelque espoir ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a près de dix ans, au moment où la France s’engageait sur la voie de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Bernard Cerquiglini, alors directeur de l’Institut national de la langue française recensait, à la demande du Premier ministre Lionel Jospin, 75 langues « parlées par des ressortissants français sur le territoire de la République », dont 55 langues dans les DOM-TOM, répondant aux exigences de la charte, c'est-à-dire remplir au minimum trente-cinq critères sur les trente-neuf retenus par la France pour la ratification de la charte.

C’est dire, madame la ministre, si notre République est riche d’un patrimoine culturel et linguistique important !

Dans la pratique, de nombreuses initiatives voient le jour pour faire vivre les langues régionales, plus ou moins bien soutenues par les pouvoirs publics et autorisées dans notre réglementation.

Dans le domaine de l’éducation, treize langues régionales peuvent être présentées au baccalauréat, introduites progressivement depuis la loi du 11 janvier 1951 qui a défini les principes régissant l’enseignement des langues et des cultures régionales de l’école élémentaire à l’université.

On pourrait s’interroger sur la baisse des programmes en langue régionale sur le service public audiovisuel depuis quelques années. Mais France 3, en région, est, de façon générale, en perte de vitesse depuis que les conseils régionaux sont majoritairement passés à gauche, sous un gouvernement de droite : cherchez l’erreur !

Radio France s’acquitte mieux de cette mission de promotion des différentes langues et cultures régionales.

Des initiatives privées ont également vu le jour avec plus ou moins de succès. La plus importante est TV Breizh, portée par l’ancien patron breton de TF1, Patrick Le Lay.

Je viens moi-même d’une région, l’Aquitaine, où les diversités linguistiques et culturelles constituent une réalité. En Aquitaine, le conseil régional mène une politique active en faveur d’une politique publique volontariste et concertée. Effectivement, sur le territoire de cette région, deux langues régionales parlées ont cours : l’occitan et le basque.

La politique que nous menons en faveur de la valorisation et de la sauvegarde de ces deux langues vise à promouvoir le plurilinguisme, mais dans le strict respect de l’usage du français, langue de la République.

Je m’attarderai quelques instants sur les grandes lignes de notre politique régionale en faveur de ces deux langues, vecteurs de deux cultures très riches.

Pour ce qui a trait à la langue occitane, l’Institut occitan, installé dans l’agglomération paloise, fédère les partenaires institutionnels et associatifs qui œuvrent, dans le domaine scientifique et culturel, pour la socialisation de la langue occitane et le développement du patrimoine occitan.

L’Amassada, conseil de développement pour la langue occitane en Aquitaine, a permis de mettre en place un schéma d’aménagement linguistique avec les différents partenaires, sous l’égide du conseil régional.

En ce qui concerne la langue basque, qui me tient particulièrement à cœur, nous avons créé, depuis quelques années, en collaboration entre le conseil régional d’Aquitaine, le conseil général des Pyrénées-Atlantiques, le Conseil des élus du pays basque et le Syndicat intercommunal pour le soutien à la culture basque, l’Office public de la langue basque. Il s’agit d’un groupement d’intérêt public, basé à Bayonne, qui a pour objet de définir et de mettre en œuvre des politiques publiques en faveur de la langue basque : structurer et développer l’enseignement du basque, en promouvoir son usage dans la vie sociale, accompagner les partenaires concernés.

En outre, un Institut culturel basque permet d’accompagner des projets associatifs ou individuels visant à promouvoir la langue et la culture, et propose différentes activités et un site en ligne.

Je viens de vous donner l’exemple de ce qui se fait en faveur des deux langues régionales du Sud-Ouest, mais je présume que ma collègue Odette Herviaux vous fera part, tout à l’heure, du même type d’initiatives ayant cours en Bretagne.

Je n’arrive donc pas à comprendre pourquoi l’esprit jacobin qui règne sur notre République et ses lois nous interdit de mieux envisager globalement l’intégration de la richesse et la diversité que constituent les langues et cultures des régions : toute tentative d’intégrer les cultures régionales et de favoriser leur développement, dans le cadre de nos institutions républicaines et laïques, a toujours été vouée à l’échec.

Je rappellerai deux précédents remontant à moins de dix ans.

Il s’agit, d’abord, de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

En 1999, Lionel Jospin, alors Premier ministre, sensible à la valorisation des diverses langues et cultures de notre pays, décide d’engager un processus de ratification de cette charte adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992. Trente-neuf des quatre-vingt-dix-huit engagements proposés par la charte sont retenus par la France, au regard des pratiques existant dans notre pays et des exigences juridiques et constitutionnelles, car l’article 2 de la Constitution dispose : «  La langue de la République est le français. »

Le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, Jacques Chirac, décide, le 15 juin 1999, que certaines dispositions de la charte retenues par la France sont contraires à la Constitution, notamment le « droit imprescriptible » à pratiquer une langue régionale dans la vie publique, clause jugée contraire à l’article 2 et aux principes d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi, d’unicité du peuple français, dans la mesure où elles tendent à conférer des droits spécifiques collectifs à des groupes linguistiques.

Plus récemment, ce que l’on appellera « l’affaire des écoles Diwan » a également prouvé que la pratique des langues régionales dans notre République devait connaître certaines limites.

Je rappelle rapidement les faits.

En 2001, Jack Lang, alors ministre de l’éducation nationale, afin de prouver son attachement au développement et à la promotion des langues et cultures régionales, signe un protocole d’accord avec le président de l’association Diwan, qui fédère des établissements pratiquant l’enseignement en langue bretonne par immersion, afin d’intégrer les écoles Diwan et les 194 personnes exerçant dans ces écoles dans le service public de l’éducation.

Contestant sur le fond et sur la forme le protocole d’accord et les textes d’application, …

M. Jean-Luc Mélenchon. J’en étais !

M. Jean-Louis Carrère. … le Comité national d’action laïque, le CNAL, qui fédère I’UNSA, le SE-UNSA, la Ligue de l’enseignement, la FCPE, et la Fédération des délégués départementaux de l’éducation, a saisi le Conseil d’État en référé, compte tenu de l’urgence de la situation qu’il dénonçait, et, sur le fond, les différentes décisions rendues par la haute juridiction administrative ont donné raison aux requérants.

M. Jean-Louis Carrère. Le Conseil d’État – dont je fais partie – a suspendu l’intégration des écoles Diwan et de ses personnels dans l’enseignement public,…

M. Jean-Luc Mélenchon. Je l’ai fait aussi !

M. Jean-Louis Carrère. … considérant que la méthode d’enseignement par « immersion », proposée par ces écoles, réduisait l’enseignement en français au-delà de ce que la loi autorise. Le Conseil d’État précisait néanmoins qu’il n’entendait nullement « contester la nécessité de sauvegarder le patrimoine que constituent les langues régionales ».

Ainsi, personne, à l’instar des magistrats du Conseil d’État, ne semble contester la richesse constituée par ce patrimoine et la nécessité de la préserver et de la valoriser.

Néanmoins, force est de constater que la France n’a toujours pas pu ratifier la charte alors que, depuis 1993, sa ratification constitue une condition sine qua non à l’adhésion d’un État à l’Union européenne.

Vous connaissez, chers collègues, mon esprit laïc et républicain ; je ne saurais être taxé d’autonomiste, d’élément perturbateur de nos institutions. Néanmoins, je pense qu’il serait grand temps que l’on songe à donner une base légale générale à l’ensemble des expériences qui permettent de faire vivre notre patrimoine culturel dans sa diversité.

Je suggère donc, pour conclure, madame la ministre, que l’on reconsidère la question de la ratification de la charte, en repartant sur d’autres engagements que ceux qui ont été retenus en 1999 et en étant préalablement plus attentifs à la compatibilité constitutionnelle des engagements intégrés dans notre ratification. Peut-être alors ferons-nous œuvre utile pour la légalisation de nos langues et cultures régionales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la sauvegarde des langues régionales est une question fort ancienne qui suscite toujours de vifs débats.

Aujourd’hui, on peut dire que notre pays est fortement attaché à deux principes : d’une part, le principe d’unité de la République avec le français comme langue commune ; d’autre part, un principe de préservation de notre patrimoine, dont fait partie la diversité des pratiques linguistiques. Les deux démarches sont parallèles et mon intervention vise à démontrer qu’elles sont conciliables.

Je pense qu’il ne faut pas tomber dans les excès. Certains partisans des langues régionales sont les acteurs plus ou moins conscients du communautarisme et du repli identitaire, au risque de l’affaiblissement de notre République. À l’opposé, il existe des intégristes de la langue française qui désignent les langues régionales comme un fléau pour la République.

Ces combats sectaires sont contraires à l’esprit de notre République et aux aspirations de nos concitoyens.

Le débat sur la place des langues régionales a été rouvert lors de la révision constitutionnelle de janvier dernier. Cette révision était préalable à la ratification du traité européen de Lisbonne. Des députés et des sénateurs, de droite comme de gauche, ont profité de ce débat pour demander l’adhésion de la France à la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, afin de donner à celles-ci un statut légal.

Or, le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel avait jugé certaines clauses de cette charte contraires à plusieurs principes essentiels de la Constitution. Selon le Conseil, elles « portent atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ».

La question étant extérieure au débat sur la ratification du traité européen, les amendements déposés n’ont pas eu de suite. Mais le Gouvernement s’est engagé à tenir un débat spécifique sur les langues régionales devant le Parlement dans les mois qui allaient suivre. Notre groupe se réjouit que cette promesse soit tenue, puisqu’un débat a eu lieu la semaine dernière à l’Assemblée nationale, débat prolongé aujourd’hui devant notre Haute Assemblée.

Je voudrais évoquer le contexte juridique et historique dans lequel se pose la question de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

La langue française est garante de l’unité de notre pays.

Depuis la Révolution et surtout à partir du XIXe siècle, les pouvoirs publics ont voulu apprendre le français à tous les citoyens. Il s’est agi d’une condition sine qua non pour une République égalitaire, offrant à chacun l’accès à l’instruction publique et la possibilité d’une progression sociale. Le but n’était pas de faire disparaître les langues régionales. Cependant, l’hégémonie du français a provoqué fatalement leur marginalisation.

De plus, les moyens employés par l’école pour parvenir à cette unicité de la langue ont été douloureusement ressentis, ce qui explique en partie que le sujet soit si sensible. La première génération, après avoir difficilement acquis le français sur les bancs de l’école, a voulu éviter cette épreuve à ses enfants en les éduquant en français. Les langues régionales ont amorcé leur déclin.

En 1992, il a été inséré un article dans la Constitution énonçant : « La langue de la République est le français. » Cette voie paraît la seule praticable au regard des conséquences qu’impliquerait l’emploi des langues régionales dans la vie publique. On peut citer, par exemple, les problèmes qu’engendrerait l’utilisation des langues régionales dans les procédures civiles et pénales, ou l’obligation de traduction des textes officiels, comme l’envisage la charte européenne.

La langue française est depuis fort longtemps celle qui rassemble les peuples de France. C’est indéniable. Ainsi Albert Camus disait-il : « J’ai une patrie, la langue française ». Une fois ce principe posé, rien n’empêche d’agir pour préserver nos langues régionales.

Il y a cent cinquante ans, au moins 90 % des communes du Var ou du Finistère étaient déclarées non francophones. Les enquêtes dont nous disposons aujourd’hui ont révélé des taux de locuteurs de la langue régionale atteignant en moyenne 10 %, auxquels il faut ajouter 40 % qui la comprennent mais ne la parlent pas.

La transmission familiale des langues régionales n’est guère plus assurée aujourd’hui avec la disparition des dernières générations de locuteurs naturels. Dans ces conditions, l’enseignement est devenu la voie privilégiée et déterminante de la sauvegarde de notre patrimoine linguistique.

Depuis la loi Deixonne de 1951, les langues régionales possèdent un véritable statut. Les pouvoirs publics ont d’abord permis l’enseignement du breton, du basque, de l’occitan et du catalan. Cette possibilité a été étendue au corse en 1974, au tahitien en 1981, puis aux langues mélanésiennes en 1992.

Un ensemble de textes, législatifs et réglementaires, a permis aux collectivités locales intéressées d’assurer l’émergence d’un enseignement structuré autour d’une pédagogie et de recrutements adéquats, en collaboration avec l’État, perçu comme un partenaire et non plus comme un oppresseur. Plus de 400 000 élèves reçoivent aujourd’hui un enseignement de langues régionales et ces effectifs sont en constante augmentation.

La France est particulièrement attachée à la diversité de ses cultures régionales. Face à la mondialisation, qui pourrait nous faire oublier nos racines, nous souhaitons maintenir nos traditions et je pense que nous en avons l’obligation vis-à-vis des générations futures.

Nombreux sont ceux, jeunes ou moins jeunes, qui réveillent le monde d’hier par la langue, la chanson, la littérature, la fête. Les pouvoirs publics ont permis que des émissions en langue régionale soient diffusées sur des chaînes audiovisuelles ou les radios publiques. Il existe bien d’autres dispositions visant à ce que les langues restent vivantes. Je citerai la signalisation routière bilingue ou la possibilité d’émettre des chèques libellés en langue régionale.