M. Robert Bret. Très bien !

Mme Évelyne Didier. Avant d’aborder le contenu très dense du projet de loi relatif à la responsabilité environnementale, je voudrais dire quelques mots sur la procédure parlementaire choisie, qui en a dicté les modalités d’examen.

Le texte que nous examinons a été déposé au Sénat le 5 avril 2007. Il transpose en droit interne une directive du 24 avril 2004 sur la responsabilité environnementale relative à la prévention et la réparation des dommages environnementaux, transposition dont la date limite était fixée au 30 avril 2007.

Force est de constater le retard pris dans la transposition de cette directive, retard qu’on ne saurait raisonnablement justifier par un ordre du jour surchargé. La surcharge en question n’existe que par la volonté et les choix du Gouvernement.

Or cette mauvaise organisation du calendrier a de fâcheuses conséquences sur le travail parlementaire. En effet, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, l’urgence a encore été déclarée, alors que la technicité des dispositions justifiait largement deux lectures.

De plus, la limite de dépôt des amendements a été fixée à lundi, à midi, alors que nous avons eu connaissance du rapport, document essentiel à la compréhension de la volonté majoritaire, seulement en fin de semaine dernière.

Enfin, nous regrettons vivement que la transposition de quatre directives, à savoir la directive 2005/35/CE du 7 septembre 2005 relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infractions de pollution, la directive 2002/3/CE du 12 février 2002 relative à l’ozone dans l’air ambiant, la directive 2004/107/CE du 15 décembre 2004 concernant l’arsenic, le cadmium, le mercure, le nickel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques dans l’air ambiant, enfin, la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides, se fasse via des amendements, sorte de cavaliers que nous découvrons une semaine avant les débats en séance et qui n’ont donné lieu à aucune audition.

M. Thierry Repentin. Très bien !

Mme Évelyne Didier. À l’heure des grandes déclarations sur le renforcement des pouvoirs du Parlement, permettez- moi de protester énergiquement !

M. Robert Bret. Drôle de façon de travailler !

Mme Évelyne Didier. Sur le fond, il aura fallu une dizaine d’années à la Commission européenne pour adopter le projet de directive sur la responsabilité environnementale, preuve de la complexité du texte.

Quant à nous, nous devons nous contenter d’une semaine et de quelques minutes de temps de parole. Nos réflexions ne seront donc pas exhaustives.

Le texte communautaire issu d’une conciliation est déjà en retrait par rapport aux exigences qu’il eût été nécessaire d’avoir afin d’assurer une pleine responsabilité en matière environnementale.

Ainsi, le principe pollueur-payeur aurait pu être appliqué avec beaucoup plus de rigueur aux côtés d’un régime de garantie financière obligatoire et immédiat.

Rappelons que rien n’empêche la France, en vertu du principe de subsidiarité, de prendre des mesures plus contraignantes afin de garantir la mise en œuvre d’une politique forte en matière de développement durable, comme elle s’en est fixé officiellement l’objectif avec le Grenelle de l’environnement. Malheureusement, le projet de loi manque d’ambition au regard des enjeux de protection des sols, des eaux, des espèces et des habitats protégés.

En premier lieu, le texte reste flou sur un certain nombre de notions juridiques. Son champ d’application limité, les exonérations de responsabilité prévues sont autant de limites aux objectifs affichés.

L’article L. 161-1 fait allusion à des « dommages causés à l’environnement ». Conformément à l’article 2.2 de la directive, il fait référence à des « modifications négatives mesurables affectant gravement » les sols, eaux, espèces et milieux naturels.

Qu’entendez-vous par là exactement, madame la secrétaire d’État ? Je suppose que vous allez nous donner des précisions. La réponse à cette question est importante, car elle détermine en grande partie l’efficacité du dispositif. Il nous semble que la seule mention de dommages aurait suffi.

Ensuite, le dommage causé au sol n’est concerné que dans la mesure où la pollution aurait un risque d’incidence « négative grave » sur la santé humaine. Il paraît anormal d’écarter du dispositif toutes les autres pollutions des sols sous le prétexte qu’elles ne nuiraient pas gravement à la santé de l’homme.

Nous reviendrons dans le débat sur la limitation du champ d’application du dispositif. Nous avons d’ailleurs déposé des amendements afin d’apporter des corrections.

L’article L. 161-1 transpose également les exceptions prévues par la directive dans les cas où la responsabilité ou l’indemnisation est prévue par une convention internationale. Nous exposerons lors des débats pourquoi cette limitation ne se justifie pas et pourquoi nous demandons sa suppression.

En second lieu, je voudrais insister sur la notion d’ « exploitant ». Ce point est pour nous la pierre angulaire du dispositif. Le groupe communiste républicain et citoyen, je le dis clairement, demande que la responsabilité des sociétés mères puisse être engagée.

Le projet de loi prévoit un texte flou qui n’exclut pas cette possibilité, sans l’affirmer pour autant. Je reviendrai plus en détail, lors des débats, sur l’exemple de Metaleurop. S’il n’est pas possible d’engager la responsabilité des sociétés mères, celles-ci vont créer des filiales auxquelles elles vont apporter les outils utiles à l’activité. On aura des scissions de société et des apports partiels d’actifs. Tant qu’il n’y a pas d’accident grave, les bénéfices des filiales remontent à la société mère sous forme de dividendes.

M. Jean Desessard. Absolument !

Mme Évelyne Didier. En cas de dommage environnemental, cette dernière ne sera pas concernée, la filiale pourra être liquidée, et les moyens dégagés risqueront de ne pas être à la hauteur des réparations nécessaires. Nous déposerons donc un amendement visant à corriger cette imperfection.

À ces limites matérielles s’ajoutent des limites temporelles. En effet, l’article L. 161-5, conformément à l’article 17 de la directive, pose le principe de la prescription trentenaire. Les demandes de réparation resteront lettre morte lorsque plus de trente ans se seront écoulés depuis l’émission, l’événement, ou l’incident ayant causé le dommage.

Cette disposition présente l’inconvénient majeur de dédouaner l’exploitant peu scrupuleux qui aurait caché avec succès un tel événement. De plus, elle sera difficile à appliquer pour les pollutions multicausales. Nous avons déposé un amendement pour que le point de départ de cette prescription soit porté au jour où le titulaire d’un droit a ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Venons-en maintenant au chapitre II relatif au régime. La section 1 pose les principes du régime de responsabilité sans faute pour les activités les plus dangereuses et avec faute pour les autres, mais uniquement pour les dommages aux espèces et habitats naturels. Qu’en est-il des sols ? La liste des activités professionnelles dont la responsabilité peut être engagée au regard du risque est fixée par décret en Conseil d’État ; au moins faudrait-il que cette liste ne soit pas considérée comme exhaustive.

L’article L. 162-4 précise qu’une personne victime d’un dommage ne peut en demander réparation sur le fondement du présent titre et exclut, entre autres, les actions des associations de défense de l’environnement. Nous souhaitons que la loi indique expressément que cette exclusion ne vaut pas pour les autres régimes de responsabilité en vigueur.

Je voudrais évoquer ici, eu égard au rôle remarquable des associations de défense de l’environnement, la question des lanceurs d’alerte. Il nous semble utile de mettre en place un statut afin de protéger les scientifiques et les employés d’entreprise qui avertissent le public des dangers éventuels de certaines activités, produits, etc.

Au-delà des déclarations de principe contenues dans le projet « Grenelle I », nous aimerions connaître les intentions du Gouvernement sur cette question.

Par ailleurs, qu’il s’agisse de la section sur les mesures de prévention ou de réparation des dommages, ou de la sous-section relative à la mise en œuvre des mesures de prévention ou de réparation, les dispositions sont à la fois imprécises, insuffisantes et laissent, selon nous, trop de marges de manœuvre à l’exploitant. La prévention est limitée par l’existence d’une menace imminente. On est donc loin des mesures de prévention, qui devraient être encouragées dans n’importe quelle activité présentant un risque pour l’environnement.

Le projet de loi n’apporte pas de solutions à la question de l’évaluation des dommages ; il n’aborde pas la nécessité de garantir une expertise indépendante et impartiale. Au contraire, il ouvre la possibilité pour l’autorité administrative de demander à l’exploitant de procéder à sa propre évaluation. Ne risque-t-on pas, face au manque de moyens, de valider sans autre contrôle une telle évaluation ?

Cela me conduit à évoquer la section 3 relative aux pouvoirs de police administrative reconnus au préfet.

Les nouvelles missions du préfet, chargé de conseiller et de négocier avec les entreprises les mesures préventives ou réparatrices, supposent des compétences et des pouvoirs qui, jusque-là, ne lui étaient pas dévolus. Or le texte ne dit rien des moyens qui seront mis en œuvre afin de renforcer les corps de contrôle, dont le rôle sera primordial pour l’application des nouvelles mesures.

Enfin, les dispositions relatives au coût des mesures de prévention et de réparation nous semblent, et c’est un euphémisme, perfectibles.

Le patronat a ainsi obtenu satisfaction en matière d’exonération de l’exploitant pour « risque de développement ». Il est précisé que l’exploitant ne supporte pas les coûts de réparation lorsqu’il apporte la preuve qu’il n’a pas commis de faute et que le dommage résulte d’une activité qui n’était pas considérée comme susceptible de causer des dommages à l’environnement compte tenu de l’état des connaissances scientifiques au moment du fait générateur.

Nous souhaitons la suppression de cette disposition. Il est, en effet, difficile d’établir l’état des connaissances scientifiques à un moment donné, notamment lors d’un procès qui pourra se dérouler plusieurs années après les faits. Dans certains cas, on se sait plus très bien quelle était la législation en vigueur à l’époque et les textes sont parfois difficiles à retrouver.

Sous le bénéfice de toutes ces remarques qui, je le répète, sont loin d’être exhaustives, le groupe communiste républicain et citoyen réserve son vote à la prise en compte des amendements qui viseront à renforcer les dispositifs mis en place.

Cela étant dit, je tiens, d’ores et déjà, à réitérer notre fort attachement à la question de la responsabilité des sociétés mères. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi relatif à la responsabilité environnementale, qui est en fait la transcription en droit français d’une directive européenne d’avril 2004 qui aurait dû être transposée en avril 2007.

Dans le même temps, il nous est proposé plusieurs autres transcriptions de diverses directives européennes par voie d’amendements parlementaires concernant l’arsenic, le cadmium, l’ozone dans l’air ambiant, le quota d’émission de gaz à effet de serre, la pollution causée par les navires, le marché des produits biocides, ou encore le règlement REACH sur les 30 000 substances chimiques, enregistrement, évaluation et autorisation.

Toutes ces questions sont d’une extrême importance ; elles touchent à la vie de notre planète et peuvent avoir un impact sur la santé de nos concitoyens et des travailleurs exposés quotidiennement aux substances chimiques, par exemple.

Nous sommes donc nombreux, ma collègue Odette Herviaux, bien d’autres sénateurs et moi-même, à nous étonner de la précipitation avec laquelle vous nous proposez ces textes, madame la secrétaire d’État. Ce n’est pas de cette manière que l’on respecte le pouvoir parlementaire, et encore moins l’opposition politique qui n’a eu que quelques jours, voire quelques heures pour assimiler et comprendre les répercussions de ces mesures.

Cela me paraît tout à fait dommageable eu égard aux espoirs soulevés par la vraie concertation menée dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Nous avons, de plus, le sentiment que vous nous avez proposé une transposition a minima afin que ses impacts en droit français soient réduits au minimum.

Je ne prendrai que l’exemple du principe pollueur-payeur, qui méritait une réflexion beaucoup plus approfondie, d’autant que l’on a déjà bien du mal, chacun peut le constater, à l’appliquer dans le domaine de la politique de l’eau, ce principe étant trop souvent contourné par l’existence de conditions d’exonération de responsabilités beaucoup trop extensives.

L’intérêt de ce projet de loi est, bien sûr, de présenter l’arsenal juridique des mesures de prévention et de réparation assorties de la possibilité de mesures compensatoires. De ce point de vue, il constitue donc une avancée significative et positive. L’objectif est bien de définir une compétition vertueuse de la part des acteurs économiques pour polluer moins et de proposer une réglementation environnementale avec les sanctions qui s’y rattachent.

Il ne faut pas oublier qu’un tiers des plaintes et des cas d’infractions en instance relatifs à des manquements à la législation européenne concernent ce domaine particulier ; c’est dire si le sujet est brûlant et explosif.

Il importe que les entreprises connaissent leurs droits et leurs devoirs en matière environnementale. D’ailleurs, nombre d’entre elles ont d’ores et déjà entamé cette démarche responsable en acceptant, notamment, de se soumettre à la norme ISO 14001. Même si l’on peut estimer que ce système est peu contraignant en ce qu’il appelle plus à une obligation de moyens que de résultats, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’une norme grâce à laquelle les entreprises affichent une responsabilité environnementale.

Cela étant dit, il subsiste, il faut bien le reconnaître, une petite minorité d’entrepreneurs qui ne jouent pas le jeu, perturbant ainsi les lois de la concurrence, et dont les comportements environnementaux sont déloyaux.

M. Paul Raoult. C’est pourquoi toute réglementation doit être assortie de sanctions qui, je l’espère, joueront un rôle dissuasif.

Ce texte soulève quelques interrogations.

En premier lieu, on passe de la responsabilité fondée sur la faute individuelle à une responsabilité reposant sur l’idée du risque et de la sécurité, ce qui, de mon point de vue, est très judicieux. Toutefois, ce virage suppose que les marges d’incertitudes scientifiques soient les plus minces possibles, que les savoirs et les expertises soient partagés par toutes les forces vives de la nation, afin de gérer au mieux ces risques inhérents à toute activité humaine que sont les risques sanitaires, les risques industriels et les risques environnementaux.

En deuxième lieu, il convient, pour que cette législation soit applicable, que les pouvoirs politiques et judiciaires soient en mesure d’échapper à la pression des groupes d’intérêt, les lobbies, qui ne poursuivent que leur intérêt propre sans penser au bien public. Or j’ai parfois le sentiment que la rédaction, à Bruxelles, d’un certain nombre de directives européennes est fortement influencée par ces lobbies.

En troisième lieu, il importe de prendre en compte, dans le même temps, une demande forte, croissante, de sanctions, de réparations assorties d’indemnisations, dans une société de méfiance où le contentieux tient souvent lieu de lien social. Il nous faut donc tenir un discours simple, perceptible par tous nos concitoyens, et élaborer une législation claire. Or je ne suis pas sûr que ces textes répondent complètement à cette préoccupation.

La peur du renouvellement de grandes catastrophes, telle que celle de Bhopal, en Inde, en décembre 1984, lorsque quarante tonnes de gaz se sont répandues dans l’atmosphère, provoquant plus de 4 000 décès dans une ville de plus de 600 000 habitants, ou encore les échouages répétés de pétroliers avec leur cortège de pollutions marines, font que la société demande aujourd’hui des comptes aux responsables de telles catastrophes, par le biais de réparations et de sanctions.

Cela ne doit pas pour autant brider l’innovation et la recherche. Il faut donc trouver un équilibre judicieux qui permette aux activités économiques de se développer, mais dans le respect absolu des normes environnementales.

Or nous savons aujourd’hui que cet équilibre harmonieux est loin d’être acquis. Il suffit de constater la poursuite des processus de dégradation des sols en termes de réserve organique – à cet égard, j’espère que la directive européenne actuellement en préparation paraîtra rapidement pour qu’elle puisse être transcrite en droit français –, ou encore la dégradation de la qualité de l’eau dans certains champs captants par les nitrates et les pesticides, exemples parmi bien d’autres que je pourrais citer pour illustrer mon propos. Il est nécessaire que chacun, dans les actes quotidiens de sa vie, se sente responsable et que toute transgression tombe sous le coup d’une sanction, afin que les normes environnementales soient totalement respectées.

Il convient donc de réfléchir à une cohésion plus grande du droit environnemental.

L’accumulation de textes devient une entrave à leur applicabilité. Au niveau européen, ce sont ainsi 200 directives, 708 textes, dans lesquels le droit reste trop souvent imprécis et le vocabulaire approximatif, ce qui implique des ajustements permanents qui sont d’ailleurs le plus souvent actés par la jurisprudence.

En conclusion, si le texte qui nous est soumis constitue une certaine avancée, personnellement, je reste sur ma faim. On aurait pu aller plus loin et je suis persuadé que nous devrons un jour revenir sur l’ensemble de ces dispositions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi arrive enfin en première lecture devant le Sénat. Il représente un pas supplémentaire vers une meilleure conformité de notre législation aux normes communautaires environnementales et surtout il constitue une avancée sensible en faveur du principe de réparation du dommage écologique pur.

Toutefois, ce texte n’est pas facile d’accès. Notre assemblée ayant le redoutable privilège de l’examiner en premier, il faut savoir gré à la commission des affaires économiques et à son rapporteur, Jean Bizet, de nous avoir éclairés efficacement sur sa portée et sur les marges de manœuvre dont nous disposons dans le cadre de la transposition de la directive.

Le travail parlementaire, cela a été dit, est extrêmement contraint. Un délai supplémentaire n’aurait pas été superflu, notamment pour examiner les quarante-six amendements portant sur des sujets aussi divers que la lutte contre l’effet de serre, le renforcement de la répression de la pollution marine, la qualité de l’air, les produits biocides et autres dispositions diverses d’adaptation au droit communautaire de l’environnement.

Permettez-moi ici de saluer cette volonté forte de mise en conformité avec les directives européennes, même si je tiens aussi à dire que le respect du droit communautaire n’est pas forcément, et surtout pas uniquement, un problème de transposition. Le plus souvent, en effet, il s’agit d’une question d’application effective du droit de l’Union dans un contexte où l’Europe nous laisse le choix des moyens, mais nous impose une obligation de résultat. J’aurai l’occasion, dans les prochaines semaines, de refaire le point sur les contentieux en cours et les risques financiers qu’ils feraient courir à la France si celle-ci venait à être condamnée.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui sur la responsabilité environnementale définit un régime novateur, qui dépasse le cadre traditionnel de la responsabilité civile, la responsabilité pénale, ou même la responsabilité administrative.

La responsabilité environnementale consacre la réparation du dommage écologique pur causé aux biens communs comme l’eau, l’air, la faune ou la flore, là où les avancées législatives permettaient difficilement de dépasser la simple couverture du préjudice causé aux personnes et aux biens.

Nous sommes là en présence d’une application juridique opérationnelle du principe de réparation et du principe de prévention, inscrits tous deux dans la Charte de l’environnement adossée à notre Constitution.

La responsabilité environnementale participe également à l’application du principe pollueur-payeur, même si ce dernier ne se superpose pas complètement au principe de réparation.

Aujourd’hui, nous devons déterminer précisément les paramètres de ce nouveau régime de responsabilité. À quels biens environnementaux s’appliquera-t-il ? Pour quel type de dommages ? Quels seront les opérateurs économiques concernés ? Le dommage devra-t-il être réparé même si le pollueur n’a commis aucune faute ? Quelles sont les obligations qui pèseront sur les acteurs économiques, en termes de prévention et de réparation ?

La directive laisse des marges de manœuvre, s’agissant notamment des exonérations possibles ou de la question des instruments de garanties financières.

La commission des affaires économiques a été préoccupée par les risques de distorsion de concurrence que pourrait faire peser sur nos entreprises un régime trop contraignant. Elle a été soucieuse d’établir « un compromis satisfaisant entre exigences économiques et protection des milieux naturels ».

Cette préoccupation est légitime, mais je considère que le champ d’application du texte est trop restreint, les causes d’exonération trop nombreuses et le système de garanties financières inexistant.

C’est pourquoi je défendrai trois amendements.

Le premier vise à inclure les activités nucléaires et le transport d’hydrocarbures dans le champ de la responsabilité environnementale. En effet, une harmonisation efficace à l'échelle nationale implique de prendre en compte l’ensemble des activités à risque et de ne pas en affranchir certaines au simple motif qu’elles font l’objet de conventions internationales.

Le deuxième amendement tend à remettre en cause la théorie dite « du risque de développement ». La responsabilité de l'exploitant doit être reconnue même si le risque n'est pas totalement identifié au moment des faits. Il s'agit tout simplement de décliner le principe de précaution.

Enfin, un troisième amendement a pour objet d’instaurer un système de provisionnement pour risques au sein des entreprises. En effet, un dispositif de garanties financières, ou d’assurances, aurait l’immense mérite de contraindre les entreprises à attribuer un prix aux dommages environnementaux qu’elles sont susceptibles de générer. Il permettrait de prévenir l’intervention des fonds de l’État ou des collectivités territoriales en dernier ressort, mais aussi de faire entrer les entreprises dans un cercle vertueux où la prise en compte du coût d’un dommage encourage à réduire ce dernier.

Par ailleurs, je m’opposerai à l’amendement de la commission des affaires économiques qui vise à simplifier la définition de l’exploitant par le biais d’une référence à la notion d’activité économique effective. En effet, une telle disposition aurait pour effet d’exonérer les sociétés mères, qui ne doivent pas se voir exemptées de toute responsabilité : dans son discours de clôture des travaux du Grenelle de l’environnement, le Président de la République lui-même s’était engagé à soutenir le principe de la reconnaissance de la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leurs filiales en cas d’atteintes graves à l’environnement.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà les quelques réflexions et propositions que je souhaitais formuler à propos de ce projet de loi, afin que nous puissions mieux progresser dans la reconnaissance de la réparation du dommage écologique. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner le projet de loi visant à transposer en droit national la directive relative à la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

Cette directive du 21 avril 2004 arrive au terme d’un long processus législatif communautaire : il aura fallu attendre une quinzaine d’années pour que l’Union européenne se dote enfin d’une législation relative à une telle responsabilité ; les catastrophes de l’Erika ou du Prestige avaient malheureusement démontré le vide juridique en la matière, donc la nécessité de ces mesures.

La France, coutumière des retards, attendra encore une année pour transposer ladite directive ; elle devait en effet le faire au plus tard le 30 avril 2007. À l’approche de la présidence française de l’Union européenne, il était plus que temps de nous mettre en conformité avec le droit communautaire à ce sujet. Et nous ne pouvons que nous réjouir que la France intègre enfin dans son droit national une réglementation strictement fondée sur le principe pollueur-payeur.

Je déplore néanmoins le délai très court – une semaine ! – dans lequel le Gouvernement nous demande d’examiner ce projet de loi.

M. Thierry Repentin. Ce n’est pas sérieux !

M. Jean Desessard. Une fois encore, c’est dans l’urgence que vous nous soumettez un projet de loi, nous privant du même coup, à propos d’un texte important qui engage notre responsabilité vis-à-vis des générations futures, d’une expertise qui nous aurait été précieuse, ainsi que de la consultation des associations œuvrant dans le champ de la protection de l’environnement !

Mme Évelyne Didier. Très bien !

M. Jean Desessard. Permettez-moi de vous dire qu’il ne s’agit pas là d’une façon sérieuse de travailler, sauf à considérer que les parlementaires n’ont d’autre rôle que d’enregistrer.

Cette méthode est critiquable. Je tiens d’ailleurs à évoquer le refus catégorique du Gouvernement de décaler, ce qui aurait répondu à la demande de diverses associations, la date d’examen de ce projet de loi sur la responsabilité environnementale.

Pour citer notre collègue rapporteur à double visage, M. Jean Bizet (M. le rapporteur s’étonne.), « on est un peu bousculé » ! Vous me demanderez sans doute, mes chers collègues, pourquoi je dis « à double visage » ? (Oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est un Janus !

M. Jean Desessard. C’est parce qu’il est tout de même cocasse que le rapporteur d’une loi aussi irresponsable sur le plan écologique et environnemental que la loi OGM exerce les mêmes responsabilités s'agissant d’un texte sur la responsabilité environnementale !

M. Raymond Couderc. Vous dites n’importe quoi !

M. Jean Bizet, rapporteur. Je vous expliquerai, monsieur Desessard !

M. Jean Desessard. Je ne puis donc que dénoncer la volonté du Gouvernement de déclarer l’urgence sur ce texte. Notre retard ne justifiait pas une telle précipitation !

Madame la secrétaire d'État, comment travaillez-vous au ministère de l’environnement ? Pour ma part, je croyais naïvement, comme tous les Français sans doute, que dans votre administration un responsable était chargé de réfléchir …