Mme la présidente. La parole est à Mme Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens au préalable à remercier le président Badinter pour son combat, qui trouvera peut-être aujourd'hui sa récompense.

C’est évidemment avec une grande satisfaction que nous accueillons l’examen du deuxième dispositif d’adaptation à notre droit interne du statut de la Cour pénale internationale. Notre pays a en effet trop longtemps tergiversé et, aujourd’hui encore, je regrette de constater une certaine « frilosité » de la part des rédacteurs du projet de loi au regard des dispositions du statut de Rome. J’y reviendrai lorsque nous débattrons des amendements.

L’opportunité nous est pourtant donnée de porter haut la volonté de la France d’agir comme un membre actif d’une communauté internationale débarrassée des barbaries qu’elle a hélas ! subies et auxquelles elle pourrait de nouveau être confrontée ; une opportunité de porter haut les valeurs qui ont fondé la Charte des Nations unies à laquelle les rédacteurs du statut de Rome font largement référence.

Rappelons-nous que celle-ci s’est imposée comme une réponse de la conscience universelle à l’indicible des crimes commis au milieu du XXe siècle.

Hélas ! les génocides au Cambodge, en Yougoslavie ou au Rwanda sont là pour rappeler que l’horreur peut encore survenir. Dans le même temps, la création du tribunal de Nuremberg, du tribunal de Tokyo, du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, du tribunal pénal international pour le Rwanda, ou encore les poursuites diligentées à l’encontre du général Pinochet, sont incontestablement révélatrices d’une aspiration profonde de transparence et de justice de la part de la conscience universelle, et peut-être des opinions publiques.

Dans ces conditions, les droits de l’homme apparaissent davantage, malgré toutes leurs vicissitudes, comme une référence éthique universelle nécessaire, qui ne manquera pas d’être rappelée à la fin de cette année 2008, à l’occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Il est de ce point de vue positif que le droit et la légalité tentent, certes difficilement, de se frayer un chemin, en dépit - ou probablement en raison – des tragédies toujours menaçantes, voire à l’œuvre. Les rédacteurs du statut de Rome n’ont-ils pas souligné dès le début du préambule que les États parties sont « conscients que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, et soucieux du fait que cette mosaïque délicate puisse être brisée à tout moment » ?

Avec la Cour pénale internationale, il s’agit bien sûr d’en finir à l’échelle du monde avec l’impunité dont ont trop souvent bénéficié les auteurs de génocides, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Mais il s’agit aussi de plus que cela : la création de la Cour pénale internationale par la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations unies, le 17 juillet 1998, fruit d’un progrès venu de loin dans la conscience collective, comme la teneur des dispositions de son statut me paraissent potentiellement porteuses d’une évolution majeure de l’ordre international.

Bien entendu, le rôle de la CPI, ses compétences, ses droits n’ont pas manqué de susciter un débat serré, notamment au regard des nécessités – des priorités ? – politiques liées à la négociation des solutions aux conflits. Ce nouvel instrument judiciaire devait être acceptable par une majorité d’États pour être crédible et efficace dans les relations internationales d’aujourd’hui.

Pourtant, malgré la complexité de l’enjeu, la communauté internationale a su parvenir à se doter de cet outil juridique qui lui permet de sanctionner les crimes les plus graves commis à son encontre et qui vient par exemple de permettre l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, poursuivi pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » en République centrafricaine entre 2002 et 2003.

Elle a su se donner des moyens nouveaux en faveur du respect des droits humains les plus fondamentaux. Elle a su donner, et c’est l’essentiel, une vraie place aux victimes. Sur ce point, il était positif qu’ait disparu du projet de loi le monopole des poursuites donné au ministère public. Aujourd’hui, hélas ! deux amendements dont nous aurons à débattre visent, semble-t-il, à le rétablir.

Naturellement, la route est encore longue pour que s’établisse durablement un ordre international fondé sur une justice véritable, qui ne soit pas la justice des plus forts. Il y a tellement d’intérêts et de stratégies de puissances à bousculer ! Le refus d’un nombre encore trop important de pays, dont de grandes puissances, d’adhérer à la convention de Rome illustre les difficultés. La France elle-même ne s’est-elle pas protégée avec la réserve de l’article 124 ?

Mais faire progresser l’expression du droit et de la justice constitue, en soi, une avancée de civilisation. C’est aider à faire percevoir que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides et, plus largement, les catastrophes humanitaires ne sauraient en aucun cas être considérés comme des fatalités, comme des conséquences inévitables liées aux guerres, aux conflits, aux dictatures, voire à la faim, à la misère.

Civiliser l’international pour faire reculer la violence politique est une ambition qui dépasse évidemment l’enjeu judiciaire. Cette ambition-là peut sembler relever de l’utopie, tellement le monde d’aujourd’hui est traversé de fractures profondes, de dominations, de crises et de frustrations sociales, mais elle doit être la nôtre. Les luttes menées pour la paix, contre le colonialisme et l’apartheid, contre la discrimination raciale et sexuelle, contre l’esclavage et pour l’abolition de la peine de mort nous montrent la voie à suivre.

Nous voyons bien que l’attente suscitée par la CPI est d’autant plus grande que le contexte de l’après-11-Septembre a consacré un recul du respect des normes internationales des droits de l’homme. Nombre d’États ont profité de l’aubaine symbolisée par Guantanamo ou Abou Ghraïb et consacrée par la doctrine de la guerre préventive pour renforcer leur autoritarisme au prétexte de lutter contre le terrorisme. Mon collègue Robert Bret, soutenant le premier projet de loi d’adaptation, ne rappelait-il pas que, dès décembre 2001, le Sénat américain adoptait une loi refusant aux États-Unis le droit de coopérer avec la future CPI ?

Dans ces conditions, le texte qui nous est proposé est-il à la hauteur des enjeux ?

Nous ne sommes pas, vous le savez, de celles et de ceux qui n’ont comme solution à proposer que l’aggravation constante de la répression et des peines. Nous sommes par ailleurs convaincus que la prévention des conflits ou des massacres ainsi que la fin de l’aide aux dictatures doivent être des priorités des acteurs des relations internationales. Ce n’est pas, hélas ! le chemin pris par ceux qui avancent l’idée d’un prétendu « choc des civilisations » susceptible de promettre les pires choses ou par ceux qui s’exonèrent du soutien aux droits de l’homme dans le monde en donnant la priorité aux intérêts économiques.

Nous ne sommes pas, disais-je, pour la sanction à tout prix, mais les crimes relevant de la compétence de la CPI sont d’une nature particulière, exceptionnelle, dans leur horreur même. Et par leur horreur même, ils touchent l’ensemble de la communauté humaine !

Notre pays a été particulièrement actif en faveur de la création de la CPI, puis il a beaucoup hésité. Tous les avant-projets élaborés depuis 2002 ont été critiqués par la CNCDH, par la quarantaine d’organisations réunies au sein de la coalition française pour la CPI, par la Croix-Rouge internationale. Le texte qui nous est soumis n’est pas non plus exempt de critiques, même si la commission des lois s’est attachée à l’améliorer quelque peu.

Aujourd’hui, la France accuse un véritable retard par rapport aux autres États parties, notamment européens, alors pourtant qu’elle s’apprête à présider l’Union européenne. L’occasion nous est aujourd’hui offerte de lui permettre de donner un signal fort dans la lutte contre l’impunité et, comme je l’ai dit, dans le combat qu’elle doit absolument mener en faveur de la justice, de la paix, de cet universalisme des valeurs que porte la CPI.

Je suis convaincue que la consolidation d’un système de justice pénale internationale fait partie de ces motifs d’espoir – parfois ténus – en la construction de la paix par le droit et la justice. Car la CPI est l’une de ces configurations qui surgissent à partir du réel chaos que notre pauvre monde nous donne à voir et qui rendent possibles des situations moins injustes. C’est pourquoi notre groupe défendra un certain nombre d’amendements en faveur d’une plus grande conformité avec le statut de Rome et avec les valeurs qu’il porte. Ainsi, nous défendrons l’imprescriptibilité des crimes de guerre et la compétence territoriale élargie.

Pour terminer, permettez-moi de citer Mme Delmas-Marty : « Dans la mesure où il est l’expression des intérêts de l’humanité entière, le droit peut sauver le monde de sa potentielle barbarie ». Hélas ! nous en sommes bien loin. Je vous invite, mes chers collègues, à l’entendre et à agir en ce sens, c’est-à-dire en allant le plus loin possible dans la conformité au statut de Rome. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste – M. Louis Pinton applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un sujet qui s’intègre dans une réflexion générale sur la construction d’un nouvel ordre mondial. En effet, le processus d’évolution des sociétés contemporaines, ce que nous dénommons « mondialisation », dépasse de plus en plus les cadres nationaux, voire continentaux.

Dans cette perspective, nous devons nous poser la question de ce que nous souhaitons. Quelle organisation mondiale voulons-nous construire, sur quels principes et sur quelles valeurs, sur quel fondement et sur quelle légitimité ? Faute de quoi nous nous abandonnerions à une mondialisation anarchique, grosse de bien des dangers.

Bien entendu, cette question ne se pose pas dans tous les domaines, mais je pense par exemple à l’environnement, au commerce, au transport, à la pêche, aux migrations et à tant d’autres sujets pour lesquels nous nous apercevons que les cadres nationaux ou continentaux ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Il m’apparaît que le droit pénal international fait également partie de ces domaines qui s’inscrivent dans une réflexion générale sur les caractères, disons-le, d’une civilisation mondiale à construire.

La question de la justice pénale internationale est très importante, car elle nous conduit à réfléchir sur la pertinence de certaines des règles juridiques traditionnelles auxquelles nous sommes mentalement habitués. En la matière, le droit communautaire apporte quelques enseignements utiles, mais le contexte de la Cour pénale internationale n’est pas le même : il se situe davantage sur le terrain de ce que l’on nomme communément la coopération « conventionnelle », ce qui implique une approche différente.

Cette justice d’une dimension nouvelle nous oblige donc à confronter les nouveaux principes d’une justice internationale avec ceux qui régissent notre droit pénal traditionnel et, je n’hésite pas à le dire, qui le font craquer ici ou là. Car qui dit structure mondiale nouvelle dit rupture avec certains des principes actuels de notre droit ; c’est adhérer à des constructions juridiques qui échappent aux conceptions nationales pour s’adapter à la mondialisation.

L’adhésion à des schémas nouveaux se fait petit à petit en signant des conventions et en procédant à des adaptations qui obligent à inscrire dans notre ordonnancement juridique des termes qui sont parfois nouveaux. C’est tout l’intérêt d’aborder un tel sujet, qui nous impose une réflexion profonde et novatrice.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui appelle ce type d’exercice. Il tente de faire coïncider les notions de la convention avec nos notions juridiques.

C’est le deuxième texte de nature législative. Cette fois-ci, il s’agit essentiellement de permettre d’intégrer les incriminations prévues par la convention ne figurant pas dans le code pénal, en particulier celles qui concernent les crimes de guerre. Par ailleurs, il est proposé d’incriminer l’incitation directe publique à commettre un génocide et de retenir la qualification de complicité d’un crime contre l’humanité.

Au-delà de ces mesures, quelques questions se sont vite imposées. En effet, l’adaptation de notre droit à la convention de Rome impose de confronter quelques-uns de nos principes fondateurs avec ceux d’une justice internationale. Il en est ainsi de la compétence dite un peu abusivement « universelle », des prescriptions, questions qui ont été évoquées tout à l’heure par Robert Badinter, ou encore de l’harmonisation des définitions nationale et internationale des crimes.

Je m’attarderai sur deux points particuliers, qui feront l’objet d’amendements présentés par mon collègue François Zocchetto et moi-même : il s’agit de la « compétence universelle » des tribunaux nationaux et de la définition dans le code pénal des crimes contre l’humanité et des génocides.

En ce qui concerne la compétence dite universelle, qui est le principal point de difficulté, je rappelle qu’il s’agit de permettre à des juges nationaux de réprimer des infractions commises par des particuliers en dehors du territoire de la République alors que ni le criminel ni la victime ne sont des ressortissants français. C’est évidemment tout à fait novateur.

Cette question soulève d’importantes difficultés, notamment celles concernant le respect de la souveraineté des États. L’affaire qui a opposé la Belgique et la République démocratique du Congo en est l’exemple caractéristique.

J’ai souhaité soutenir cette position et intervenir dans le débat pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, dans notre code de procédure pénale, sont déjà prévus quelques cas de compétence extraterritoriale des tribunaux français : il s’agit, notamment, des crimes de terrorisme et des crimes de torture.

La question est donc simple : pourquoi ne pas prévoir cette possibilité pour les crimes visés par la convention de Rome, qui sont, qui plus est, les plus graves et les plus inhumains, à savoir les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ?

Comme l’a rappelé M. Bruno Cotte lors de son audition par la commission, le préambule du statut dispose : « Il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ».

Certes, M. le rapporteur l’a souligné – notre excellent rapporteur, aurais-je dû dire (sourires) –, l’application de la compétence universelle des tribunaux français en matière de terrorisme et de torture soulève quelques incertitudes, dont celle portant sur le champ d’application géographique, celle tenant aux difficultés pratiques de sa mise en œuvre et celle tenant au lien de rattachement entre la personne soupçonnée et nos juridictions. Dans ces domaines, il faut incontestablement innover et dépasser, en quelque sorte, nos habitudes mentales.

Sur cette dernière difficulté, j’avoue humblement avoir hésité entre le critère de résidence, qui me paraissait plus prudent et plus raisonnable, et celui de simple présence, qui est plus radical. Ce matin, la commission des lois, se rendant à l’argumentation ô combien ! convaincante et éloquente de M. Badinter, a tranché à une large majorité en faveur de la simple présence, qui correspond d’ailleurs à ce que prévoit déjà notre procédure pénale pour le terrorisme et la torture.

J’ai donc rectifié mon amendement en ce sens. Cependant, je reste ouvert à la discussion, d’autant que j’ai cru comprendre que M. le rapporteur n’était pas encore totalement convaincu en dépit du vote de la commission. D’ailleurs, c’est son droit le plus strict de continuer ses méditations, qui sont, comme chacun le sait, très profondes, très informées et très averties. Le débat m’éclairera sans doute. Il n’est pas impossible que je revienne à la rédaction que M. Zocchetto et moi-même avions conçue à l’origine.

Quoi qu’il en soit, dans les deux rédactions, l’essentiel de mon propos est satisfait.

Premièrement, par ce texte, nous voulons affirmer notre volonté de refuser que la France devienne un espace d’impunité et qu’elle accepte d’apparaître – c’est ce qui me choque le plus – comme une terre de refuge sécurisée pour des criminels particulièrement odieux. La notion de résidence satisfait à ce souci.

Deuxièmement, je crois à l’effet dissuasif de cette mesure. Il faut bien le dire, madame le garde des sceaux, les sanctions pénales que nous ne cessons d’aggraver ont peu d’effet dissuasif dans la plupart des cas. Mais, en l’occurrence, on peut penser que tel ne sera pas le cas, car les autorités de par le monde seront informées des dispositions que nous prenons et elles ne pourront pas ignorer le risque que cette compétence leur fera courir, même si nous adoptions la rédaction plus modérée à laquelle je faisais allusion.

Rappelons que la France a été l’un des acteurs les plus actifs lors de l’institution de la Cour pénale internationale. Elle a donc le devoir d’être exemplaire. En effet, la France demeure l’un des rares pays à ne pas avoir intégré dans sa législation le principe d’une compétence universelle. Il serait regrettable que cette carence persiste.

Certes, nos voisins européens ont intégré ce principe de manière partielle ou très encadrée – le doyen Patrice Gélard a exploré ce sujet avec la sagacité qui le caractérise et a constaté que ce n’était pas si évident –, mais ils l’ont reconnu, ce qui est le principal, parce qu’il témoigne d’une réelle volonté de combattre les crimes internationaux.

Enfin, le principe de la complémentarité, inscrit dans le statut de Rome, veut que la France déclare ses tribunaux compétents pour juger les auteurs de crimes qui se trouveraient en France, comme elle le fait déjà pour les auteurs de certains crimes de torture, de terrorisme, de corruption.

Pour l’ensemble de ces raisons, je crois nécessaire que nous inscrivions dans le code de procédure pénale la compétence universelle pour les crimes les plus graves, ceux qui affectent la communauté internationale tout entière.

J’en viens à une autre question liée à la Cour pénale internationale, sur laquelle je serai plus bref, à savoir la définition du génocide et des crimes contre l’humanité, plus particulièrement l’exigence de l’exécution d’un plan concerté pour les reconnaître.

Dans le code pénal et dans le projet de loi qui nous est soumis, l’un des éléments constitutifs du génocide et du crime contre l’humanité est la réunion de faits réalisés en exécution d’un plan concerté. Or cette condition me semble inutile et extrêmement difficile à satisfaire.

Dès lors que les faits sont constitués, il doit être possible de les qualifier de génocide ou de crime contre l’humanité, car ces définitions correspondent à la réalité des faits tels qu’ils sont établis. Il s’agit de crimes suffisamment graves pour ne pas ajouter des conditions trop contraignantes et des preuves généralement impossibles à établir.

Quand on décide de perpétrer un génocide, on n’établit pas un procès-verbal que l’on déposera ensuite chez le notaire. Il ne faut donc pas espérer trouver un plan concerté. Si des concertations ont sans doute lieu, elles se déroulent verbalement et ne laissent pas de trace. Même si nous savons que, lors de l’horrible génocide des juifs, il y a eu une célèbre réunion qui a effectivement été un plan concerté, il s’agit d’une exception historique qui ne peut pas servir de base à l’édification de règles systématiques et générales. C’est pourquoi je proposerai deux amendements visant à supprimer cette condition.

Il est évident que ce texte constitue un progrès considérable, car il permet d’incriminer la quasi-totalité des infractions visées par la convention de Rome et donc de poursuivre les crimes internationaux les plus graves. Toutefois, j’espère que vous saurez répondre à nos attentes, qui ne feront qu’améliorer notre participation dans la mise en place d’une justice pénale internationale. Ainsi, un message fort serait envoyé non seulement à l’ensemble des signataires de la convention, mais aussi aux criminels, qui ne verraient plus la France comme un asile doré.

Vous avez dit, madame la garde des sceaux, qu’il s’agirait de satisfaire sans réserve aux engagements de la France. Nous placerions ainsi notre pays au premier plan dans la lutte contre les crimes internationaux, ce qui lui donnerait le droit de revendiquer le beau titre de patrie des droits de l’homme. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter d’un projet de loi extrêmement complexe, mais passionnant, puisqu’il vise à mettre en conformité notre droit pénal avec le statut de la Cour pénale internationale.

Loin de n’intéresser que les juristes, ce texte constitue une occasion fondamentale de réaffirmer notre engagement à lutter de manière efficace et constructive contre l’impunité des crimes reconnus comme les plus graves par le droit international.

L’exercice est ardu : on n’adapte pas le droit pénal international comme on transpose une directive ; chaque mot compte, chaque définition doit être pesée et appréciée en fonction non seulement du statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais également des contraintes de notre propre système juridique. Notre tradition pénale, nos critères de qualification et d’imputabilité, voire notre vocabulaire pénaliste, diffèrent de ceux du droit international.

C’est ce qui rend cet exercice d’adaptation aussi passionnant que complexe. Comment garantir la fidélité de notre droit pénal au statut de Rome de la Cour pénale internationale sans pour autant se laisser emporter par des règles internationales parfois impossibles à convertir en raison de leur caractère éminemment politique ?

Dans un autre sens, comment garantir l’effectivité des règles internationales en droit interne sans les vider de leur contenu, sans les dénaturer, sans les détourner de leur sens initial à force d’adaptation ?

La relation de la France à la Cour pénale internationale est ambiguë. Notre pays s’est largement investi dans sa mise en place. Pourtant, l’article 121 du traité lui a permis, durant sept ans, de se soustraire aux dispositions dudit traité relatives aux crimes de guerre.

Aujourd’hui, cette réserve est caduque ; il faut donc que la France prenne ses responsabilités. Nos militaires ont été protégés contre toute poursuite durant toutes ces années, notamment en raison de leurs engagements à Srebrenica et au Rwanda.

Nous devons maintenant assumer la mission qui est la nôtre : permettre à nos tribunaux de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves.

En raison de son objet, ce texte est en soi un bon texte : il améliore de manière substantielle, par exemple, la lutte contre les crimes contre l’humanité. Au régime embryonnaire de l’ancien article 212-1 du code pénal se substituera enfin une liste complète d’incriminations, conforme au statut de la Cour pénale internationale.

Je n’en dirai pas autant en ce qui concerne les crimes de guerre.

Après sept années de non-droit en la matière en raison de la réserve de la France au titre de l’article 121, ce projet de loi se situe en deçà des engagements internationaux de la France. En effet, il édulcore littéralement les crimes de guerre. Nous aurons tout le loisir de revenir sur ces carences, mais permettez-moi dès à présent de formuler quelques commentaires sur trois points qui me paraissent essentiels.

Je constate, d’abord, que la liste des infractions figurant dans l’article 7 du présent projet de loi n’englobe pas toutes les incriminations définies dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale. Je prendrai pour exemple le viol, qui est absent de cette liste, alors même qu’un nouvel article, l’article 461-4, est spécifiquement consacré aux crimes de guerre de nature sexuelle.

Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un oubli. N’est-ce pas tout simplement une survivance contestable de l’article 121 de la convention de Rome, qui empêchera de faire condamner pour crime de guerre des soldats français qui procèderont à de tels actes ?

Ce projet de loi entretient ni plus ni moins une prime à l’impunité, alors même que son objet est justement d’y mettre fin.

Refuser d’inscrire le crime de viol dans la liste des infractions est une abdication de la France devant ses obligations internationales ! Non seulement cette carence est contraire au statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais elle est également contraire aux conventions de Genève et à ses protocoles.

Concernant la compétence universelle, nous déplorons la timidité de la France, laquelle se distinguerait de la plupart de ses partenaires européens et mondiaux. En effet, si le statut de Rome n’oblige pas les États à reconnaître cette compétence à leurs propres tribunaux, la France devrait-elle attendre d’y être obligée pour s’engager avec la même détermination que les autres pays dans la lutte contre l’impunité s’agissant des crimes les plus graves ?

Notre pays donne ainsi l’impression d’entrer à reculons, peut-être contre son gré, dans un système de justice pénale internationale dont, pourtant, il a été l’un des architectes il y a dix ans.

Quant à l’obligation pour un pays de remettre l’auteur d’un de ces crimes à la Cour pénale internationale, elle n’existe pas puisque le statut de Rome donne la priorité aux tribunaux nationaux. La Cour pénale internationale ne peut être saisie que par défaut si les tribunaux nationaux ne peuvent ou ne veulent se saisir eux-mêmes, sauf si le Conseil de sécurité des Nations unies en décide autrement.

Enfin, je salue le travail de la commission, qui a permis d’avancer sur ce point.

Je rappelle qu’en refusant de juger les criminels internationaux qui se trouvent sur son territoire, en prétendant laisser cette responsabilité à la seule Cour pénale internationale, la France donnerait une image regrettable ; elle deviendrait peut-être une terre d’impunité au lieu d’être cette terre de justice que nous défendons.

Pour conclure, madame la ministre, j’insisterai sur un dernier point, qui me semble capital : l’imprescriptibilité des crimes de guerre est elle aussi absente du projet de loi.

Notre mission de parlementaire ne doit pas se traduire par un acquiescement aveugle face à la technicité de ce texte. Il nous revient de pointer du doigt les carences de ce projet de loi et, le cas échéant, d’obtenir des explications crédibles sur les points que nous estimons fondamentaux.

Pourquoi ne pas reconnaître l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des peines qui y sont attachées ? Je sais que les crimes de guerre sont différents des crimes contre l’humanité, mais les deux me semblent nécessiter une justice, car, comme l’a dit M. Badinter, sans justice il n’existe pas de paix durable.

Loin de traduire simplement une mise en conformité de notre droit avec le statut de Rome de la Cour pénale internationale, ce texte est également, j’en suis consciente, un outil de transcription d’une certaine conception politique de la lutte contre les crimes de guerre ; j’y reviendrai lors de la défense de mes amendements. La France doit affronter ses vieux démons et inscrire sa politique pénale dans la démarche volontariste et universaliste qui est prévue dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Notre pays doit donner l’exemple : fidèle à sa tradition de défense des droits humains, patrie des droits de l’homme, la France doit aller de l’avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)