PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire
 

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Commission mixte paritaire

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

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Livre blanc sur la défense

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le Livre blanc sur la défense.

La parole est à M. le ministre.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons en partage une responsabilité sacrée : protéger la France et les Français de toute agression.

Nous avons aussi un devoir : contribuer à la sécurité de nos alliés et au respect des règles internationales et des droits de l’homme.

Dans cette perspective, la France déploie une diplomatie active, constructive, destinée à apaiser les tensions du monde. Elle est dotée d’un outil de défense dont les concepts et l’organisation doivent être adaptés en permanence.

En juillet 2007, le Président de la République a confié à une commission réunissant des parlementaires, des militaires, des représentants de l’administration et des personnalités qualifiées la rédaction d’un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Le 17 juin, il en a dévoilé les conclusions.

Penser les engagements de notre pays pour les quinze prochaines années, dans un contexte international fluctuant, était une tâche délicate. La commission placée sous la présidence de Jean-Claude Mallet l’a conduite avec discernement.

Pourquoi l’entreprendre ?

Parce que la France doit demeurer une puissance politique et militaire.

Parce que vingt ans après la fin de la guerre froide, la paix demeure un bien fragile et précieux.

Parce que depuis 1994 et le dernier Livre blanc, le monde a changé.

Au rythme de la mondialisation, les données de la sécurité nationale et internationale ont évolué. La hiérarchie des puissances elle-même s’est modifiée. La révolution imposée à notre appareil de défense par l’effondrement de la bipolarité n’est pas achevée.

Dans la perspective de la loi de programmation militaire que je vous présenterai, il était nécessaire de retracer les lignes de force du paysage stratégique et de notre sécurité.

Le monde est-il devenu plus dangereux ? Pas nécessairement, mais il est devenu moins stable, moins prévisible, plus complexe.

Délitement de certains États, affrontements ethniques et culturels, fanatisme religieux, crises sanitaires, catastrophes naturelles, attaques informatiques, internationalisation des mafias, prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, vulnérabilité des approvisionnements énergétiques et alimentaires : tout cela dessine un large spectre de menaces en évolution constante.

Cet élargissement du « cône des possibles » se traduit par une dissémination accrue des armements. D’ici à 2025, le territoire européen sera à portée des missiles stratégiques développés par de nouvelles puissances.

Il inclut aussi la menace terroriste, devenue d’autant plus redoutable qu’elle joue à son profit des nouvelles technologies de l’information et qu’elle pourrait, un jour prochain, s’emparer d’armes nucléaires, radiologiques, bactériologiques ou chimiques. Hier ponctuelle et contingente, cette menace est devenue – le Livre blanc le constate – une « menace structurelle ».

La France est à présent placée devant un large arc de crise : une zone allant de l’Atlantique à l’océan Indien, où ses intérêts stratégiques se concentrent.

Comme la plupart des pays européens, elle est aujourd’hui plus vulnérable qu’elle ne l’était dans les années quatre-vingt-dix. En effet, à l’époque, l’équilibre de la terreur couvrait et dissuadait la plupart des scénarios conflictuels.

Dorénavant, le spectre des menaces est élargi ; les conflits à venir se déclencheront de manière moins prévisible qu’autrefois. Ils prendront des formes imprévues : le risque extrême prend aujourd’hui la forme de la « surprise stratégique » que reconnaît le Livre blanc.

Une alliance qui se renverse, des comportements diplomatiques qui changent, un mode d’agression qui se réinvente, un groupe de fanatiques qui échappe aux règles de l’affrontement classique, et la surprise stratégique survient, comme la France en a déjà fait la cruelle expérience, dans des périodes d’impréparation, de déni stratégique.

Le 11 septembre 2001, la surprise stratégique plongeait les États-Unis dans la stupeur. La surprise stratégique, c’est le défi que nos sociétés sont le moins capables de prévoir, et c’est justement celui qu’elles doivent dorénavant se préparer à affronter.

Pour cela, il faut intégrer dans notre raisonnement des risques, des attaques, des dangers qui ne relèvent plus exclusivement de l’action militaire traditionnelle.

L’élargissement de notre horizon stratégique et la multiplicité des menaces ont plusieurs conséquences.

La première, c’est que nous devons assurer à la France les garanties les plus larges.

Face aux scénarios extrêmes, la dissuasion doit demeurer la garantie ultime de la sécurité et de l’indépendance de la France. Elle a pour seule fonction d’empêcher une agression d’origine étatique contre les intérêts vitaux du pays, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. Les deux composantes, sous-marine et aérienne, sont maintenues, comme le prévoit le Livre blanc.

Face aux scénarios de conflits extérieurs, notre stratégie de projection doit être musclée. Si nous pouvons être menacés de loin, nous devons être capables de frapper loin.

Le passage à la professionnalisation des forces a été réussi. Il reste maintenant à le compléter et à l’affûter en termes d’organisation et d’équipements. Nos objectifs sont clairs : être capables de projeter 30 000 hommes, 70 avions de combats, un groupe aéronaval et deux groupes maritimes.

Face aux scénarios de crise intérieure, dont le terrorisme de masse constitue l’un des points saillants, nous avons décidé d’inscrire nos choix dans le cadre global d’une « stratégie nationale de sécurité », associant étroitement sécurité et défense.

Au regard des événements du 11 septembre 2001, nous avons intégré les enjeux du « front intérieur ». Dorénavant, dans leurs missions de protection, les forces armées, les forces de police, de gendarmerie, de sécurité civile se verront assigner des objectifs opérationnels conjoints.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette stratégie nationale de sécurité exige une réorganisation des pouvoirs publics.

L’ordonnance du 7 janvier 1959 résulte d’un contexte historique et stratégique radicalement différent du nôtre. Sa révision est nécessaire. Un Conseil de défense et de sécurité nationale sera créé. Il sera présidé par le Président de la République. Il dotera l’État, au plus haut niveau, d’une enceinte où des sujets tels que la programmation militaire, la programmation de la sécurité intérieure, la politique de dissuasion, la lutte contre le terrorisme ou la planification des réponses aux crises majeures pourront être abordés. Le Conseil national du renseignement en sera une des formations. Au Premier ministre reviendra la charge de diriger l’application de l’ensemble des décisions qui y seront prises.

La deuxième conséquence, c’est que nous devons disposer d’un préavis, en prenant la menace en compte le plus en amont possible. Dans un monde rapide, le temps gagné décide de tout.

La fonction « connaissance-anticipation », nouvellement identifiée par le Livre blanc, vise à nous donner le préavis nécessaire à l’action. Cette fonction repose en grande partie sur le renseignement spatial, qui fera l’objet d’un effort important.

Elle repose aussi sur le renseignement humain. Nos services doivent être plus efficaces et mieux coordonnés. Pour cela, nous avons décidé le regroupement des services de renseignement du ministère de l’intérieur au sein de la nouvelle direction centrale du renseignement intérieur. Mme Michèle Alliot-Marie pourra vous en parler tout à l’heure.

Nous avons également décidé de créer le poste de coordonnateur du renseignement. Placé auprès du Président de la République, il sera chargé d’animer et de coordonner les travaux de l’ensemble des services de renseignement.

La troisième conséquence, c’est que nous devons conserver notre aptitude à monter en puissance et à nous réadapter si la situation l’exige.

L’imprévisibilité de la menace nous impose, en effet, de déployer un dispositif de veille technologique poussé. Elle suppose, dans le domaine industriel, le maintien des bureaux d’études et la réalisation de démonstrateurs précurseurs d’une série de matériels qui pourraient être lancés en fonction des besoins.

Dans tous les domaines – prévention, intervention, protection –, nous devons demeurer à un niveau de crédibilité qui garantisse notre capacité de réaction.

La quatrième conséquence, c’est le développement de la notion de résilience. Elle est au centre de l’analyse du Livre blanc. Elle désigne la capacité du pays à maintenir ou à rétablir au plus vite son fonctionnement normal en cas de crise majeure.

Accroître cette résilience implique de développer nos moyens de surveillance des espaces français, de renforcer la capacité de réaction des pouvoirs publics, de mettre les dispositifs de communication et d’alerte massive au centre de la gestion des crises et, enfin, d’assurer la protection des populations.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec une dissuasion qui garantit la préservation de l’essentiel, avec des moyens de renseignement qui nous permettent d’anticiper, avec des capacités de projection qui nous permettent d’agir plus vite et plus fort, avec des outils qui assurent le fonctionnement optimal des pouvoirs publics et la protection des citoyens, notre dispositif peut être considéré comme complet.

Toutefois, il serait insuffisant sans l’adhésion de la nation, et pour cela le Livre blanc suggère plusieurs pistes.

L’une d’entre elles, c’est bien entendu l’intervention du Parlement.

Si le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions est adopté, le rôle du Parlement sera renforcé. Vous serez systématiquement informés de l’envoi de militaires français en opération et consultés par un vote dès lors que se posera la question de leur maintien au-delà de quatre mois dans des opérations extérieures.

Le Parlement sera par ailleurs informé des accords liant la France à des partenaires étrangers s’ils peuvent conduire à engager les moyens de défense de notre pays au bénéfice d’autres États.

La sécurité, mesdames, messieurs les sénateurs, est une affaire collective. Nous partageons plus que nos valeurs avec l’Union européenne et avec les pays de l’Alliance atlantique. Le renforcement des liens que nous entretenons avec l’une et l’autre est indispensable.

L’Europe est une puissance, mais qu’est-ce qu’une puissance sans réels moyens militaires ? L’Union européenne doit donc prendre ses responsabilités en matière de sécurité et de défense. Certes, des progrès ont été réalisés depuis dix ans, notamment depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo. L’Union possède des instruments, des procédures et une expérience en commun acquise dans dix-sept opérations de plus ou moins grande ampleur.

Cependant, le Livre blanc énumère des domaines d’intervention prioritaires, qui concernent avant tout la protection des citoyens européens. Il s’agit du renforcement de la coopération contre le terrorisme et le crime organisé, de la mise en place de capacités européennes de protection civile, de la coordination de la défense contre les attaques informatiques et de la sécurisation des approvisionnements en énergie et en matières premières stratégiques.

Tout cela est utile, mais reste insuffisant. Pour être efficace, l’Europe doit prendre l’initiative et s’employer à prévenir les menaces avant qu’elles ne surviennent, là où elles prennent naissance, c’est-à-dire parfois hors de son territoire.

Je crois que, pour être pleinement respectée, l’Europe doit comprendre qu’avec un effort cumulé de recherche six fois inférieur – et inférieur de moitié en matière de défense – à celui des Américains, elle ne peut être que l’ombre d’elle-même.

Faire de l’Union européenne un véritable acteur de la sécurité internationale et de la gestion des crises, susciter la rédaction d’un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité, multiplier les synergies industrielles : tels sont, notamment, les objectifs que nous nous fixons.

À cet égard, la présidence française de l’Union européenne doit constituer une étape importante pour relancer la défense européenne. Nous allons proposer à nos partenaires des priorités.

Tout d’abord, nous voulons une actualisation et une concrétisation des missions militaires que les Européens se sont assignées, telle que la capacité, par exemple, de déployer 60 000 hommes en soixante jours.

Nous voulons ensuite avancer concrètement avec les pays qui veulent s’engager, ce qui signifie renforcer nos moyens par des coopérations pilotes et des mutualisations entre États membres : la projection de forces avec les Britanniques par hélicoptères ou groupe aéronaval, le transport aérien avec, notamment, l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique, et le domaine spatial avec les Italiens et les Allemands.

Nous voulons enfin que l’Union européenne soit véritablement en mesure de conduire des opérations civiles et militaires. Or, le système actuel, fondé sur cinq états-majors nationaux devant être réorganisés à la hâte à chaque opération, atteint vite ses limites. L’Europe doit disposer d’une capacité de planification et de commandement permanente et crédible.

Quant à l’Alliance atlantique, il faut aborder le sujet avec rigueur et pragmatisme.

M. Didier Boulaud. C’est sûr !

M. Hervé Morin, ministre. Le Livre blanc le rappelle : l’Alliance atlantique est aujourd’hui seule en mesure de conduire des opérations militaires de grande envergure et d’assurer la sécurité de l’espace euro-atlantique. Sur les vingt-sept États membres de l’Union européenne, six seulement ne font pas partie de l’Alliance. Tels sont les faits avec lesquels nous devons composer !

Le Président de la République a déjà eu l’occasion d’exposer la démarche française : au regard des avancées de l’Europe de la défense, la France se montre ouverte, sous certaines conditions, à l’idée de retrouver sa place dans le dispositif militaire de l’Alliance atlantique, sauf pour les questions nucléaires.

Par ailleurs, comme l’a affirmé le Président de la République, la France garderait en toutes circonstances une liberté d’appréciation totale sur l’envoi de ses troupes en opération. Elle ne placerait aucun contingent militaire sous commandement de l’OTAN en temps de paix.

Pour nous, une Europe de la défense renforcée va de pair avec une OTAN rénovée, c’est-à-dire plus souple, plus flexible et dont les moyens militaires puissent être mobilisés par l’Union européenne.

Dans cet esprit, nous contribuerons à la rédaction d’un concept stratégique qui sera débattu lors du prochain sommet de l’OTAN, organisé conjointement par la France et l’Allemagne à Strasbourg et à Kehl.

La France insiste aussi, avec son partenaire allemand, sur la nécessité de respecter la Russie. Cette grande nation européenne, sortie de soixante-dix années de dictature communiste, s’est engagée, pas à pas, sur le chemin de la démocratie. Elle contribue de façon constructive aux équilibres du monde.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la contrainte budgétaire pèse sur les choix à venir, comme elle a pesé sur la réalisation du modèle d’armée 2015. Il aura manqué 24 milliards d’euros de crédits d’équipement sur la période allant de 1997 à 2007 pour réaliser les acquisitions et l’entretien prévus initialement par les programmations.

Dans le même temps, les effectifs du ministère n’ont pas évolué à la baisse, alors même que des efforts financiers d’amélioration de la condition militaire accompagnaient la professionnalisation.

De ce déséquilibre résultent des conséquences que nous connaissons tous : retards dans le renouvellement des matériels et allongement des phases de conception, de développement et de fabrication. Des matériels anciens, parfois à bout de souffle, restent en service, générant à leur tour un surcoût de maintenance.

Ainsi, nos avions ravitailleurs accusent plus de quarante-cinq ans d’âge, tandis que nos blindés légers et nos hélicoptères Puma approchent les trente ans. Leur remplacement simultané dépasse nos possibilités, et pour cause : l’urgence, aujourd’hui, c’est aussi de respecter notre objectif d’équilibre budgétaire à l’horizon de 2012, ce qui suppose que la progression des dépenses de l’ensemble des administrations publiques soit plafonnée à 1,1 % par an.

Compte tenu de l’augmentation tendancielle des pensions et de la dette, cela signifie une stabilisation en valeur de toutes les autres dépenses de l’État, sans compensation de l’inflation. Cet effort de 1,1 % par an que nous nous imposons est considérable ; le ministère de la défense y contribuera naturellement, par le biais de réductions d’effectifs marquées.

Les réformes à venir – y compris celles qu’induira la RGPP, la révision générale des politiques publiques – se traduiront par une baisse des effectifs de 54 000 hommes. D’ici à six ou sept ans, le format global des forces armées, civils et militaires compris, sera de 225 000 hommes. L’armée de terre en comptera 131 000, l’armée de l’air 50 000 et la marine 44 000.

Nous ne sacrifierons pas notre outil militaire à des impératifs financiers. Nous n’hypothéquerons pas notre sécurité de long terme à seule fin de franchir un cap budgétaire. (M. Gérard Longuet manifeste son scepticisme.) Le Livre blanc ne consacre en aucun cas une politique de renoncement.

M. Didier Boulaud. Ah bon ? Nous n’avons pas lu le même !

M. Hervé Morin, ministre. Il pose au contraire les bases de la seule politique durable qui soit : celle qui repose sur un double réalisme, militaire et budgétaire.

Ainsi, la France consacrera à sa défense un effort financier majeur et cohérent avec les choix retenus pour ses capacités. La loi de programmation militaire pour la période allant de 2009 à 2014, qui vous sera prochainement soumise, attestera cette volonté de donner à la France l’outil militaire rénové qui répond à ses besoins.

M. Didier Boulaud. Nous sommes impatients !

M. Hervé Morin, ministre. Les crédits de défense ne baisseront pas.

Dans un premier temps, jusqu’en 2012, ils augmenteront à hauteur de l’inflation. Des ressources extrabudgétaires exceptionnelles seront accordées pour financer la « bosse budgétaire » que nous connaîtrons à partir de l’année prochaine.

Dans un second temps, à partir de 2012, le budget de la défense progressera de 1 % par an en volume, c’est-à-dire 1 % au-dessus de l’inflation. D’ici à 2020, l’effort total consenti pour financer la priorité donnée à la défense atteindra les 377 milliards d’euros.

Cet effort sera rendu possible au premier chef par les marges de manœuvre budgétaires que la réduction des effectifs doit nous donner.

Aujourd’hui – je rappelle des chiffres que nous avons souvent cités –, administration et soutien accaparent 60 % de nos moyens en personnels, contre 40 % pour les forces opérationnelles. Notre objectif est d’inverser ce ratio, pour atteindre une répartition comparable à celle du Royaume-Uni, c’est-à-dire 60 % pour les forces opérationnelles et 40 % pour l’administration générale et le soutien.

D’autres marges de manœuvre naîtront de la restructuration de nos capacités de soutien. Aujourd’hui, ces capacités sont éclatées et dispersées. La nouvelle organisation reposera sur quatre-vingt-dix « bases de défense », réparties dans quatre cents communes ; elles pourront mutualiser leurs moyens de soutien au profit de 2 800 personnes par base en moyenne.

Cette réorganisation se traduira par un certain nombre de fermetures ou de transferts d’unités militaires. Ces mesures seront complétées par un large dispositif d’accompagnement qui comportera un volet social au profit des personnels militaires et civils de la défense touchés par ces transferts et un volet territorial ayant pour objectif principal la création de nouveaux emplois.

Les communes les plus touchées feront l’objet d’un accompagnement personnalisé ; des contrats de site ou des conventions d’aménagement seront proposés. Un dispositif de soutien au financement des communes dont le budget sera fortement déséquilibré est également prévu. Enfin, 320 millions d’euros de subventions d’investissements y seront consacrés.

Les marges ainsi dégagées seront intégralement réinvesties au profit de la condition du personnel et surtout du budget d’équipement, qui passera ainsi, dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire, de 15,5 milliards d’euros à 18 milliards d’euros par an en moyenne.

La trajectoire financière retenue maintiendra la France dans le peloton de tête des pays européens, avec le Royaume-Uni.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut peu de temps pour réviser une stratégie, il faut une ou deux décennies pour concevoir et fabriquer un armement, mais la qualité morale et professionnelle de nos forces armées vient de très loin : ce sont des siècles d’histoire et de traditions qu’il faut pour créer un état d’esprit, une cohésion, une abnégation aussi remarquables que ceux dont font preuve nos armées. Celles-ci font partie des meilleures du monde et je tiens, devant vous – et avec vous, j’en suis sûr –, à rendre ici hommage au courage des hommes et des femmes qui frôlent quotidiennement la mort, loin de leurs familles et de leurs foyers.

M. Hervé Morin, ministre. Leur engagement est porté par des valeurs et des idéaux. Quant à nous, nous avons des devoirs à leur égard. La France ne baisse pas sa garde, car la paix n’est jamais acquise, elle n’est pas une donnée permanente de l’histoire. Notre indépendance n’est pas négociable et la liberté n’est pas dissociable du fil de l’épée. Notre sécurité exige notre vigilance. Ce Livre blanc éclaire notre responsabilité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, la discussion de ce soir revêt, aux yeux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, une importance toute particulière.

Non seulement parce que, pour la première fois depuis qu’il existe des livres blancs, le Sénat est invité à débattre du document fixant la stratégie de défense de notre pays, mais aussi parce que le présent Livre blanc était nécessaire et attendu.

En effet, un peu plus de dix ans après la réforme qui a réorienté notre défense vers les missions de projection et opéré le tournant fondamental de la professionnalisation, le temps était venu de réévaluer les objectifs et les moyens de notre politique à la lumière des évolutions rapides d’un environnement qui, en matière de sécurité, n’est malheureusement pas devenu plus sûr.

La nécessité d’actualiser plus régulièrement notre stratégie de défense et de sécurité est au demeurant soulignée par le Livre blanc. C’est pourquoi il en propose la révision avant chaque loi de programmation militaire.

Je crois qu’il faut également saluer la méthode suivie, depuis le mois de septembre dernier, pour l’élaboration de ce document.

Quoi qu’en disent ceux pour qui les concertations ne sont jamais suffisamment larges et sincères, mais dont on ne se souvient guère qu’ils les mettaient particulièrement à l’honneur lorsqu’ils étaient aux affaires, la préparation du Livre blanc a témoigné d’une ouverture inégalée, qu’il s’agisse de la composition même de la commission, des consultations qu’elle a menées et des échanges réguliers auxquels elle a procédé avec le Parlement, au travers des commissions de la défense.

Saluons également l’approche novatrice de la démarche, élargie à la sécurité nationale dans son ensemble. Je n’y vois d’ailleurs, pour ma part, aucun signe d’un quelconque tropisme « sécuritaire », comme on a pu le lire ici ou là. Il s’agit simplement de constater que, face à des risques multiformes, les réponses ne peuvent se limiter au seul domaine militaire. Le Livre blanc en tire les conséquences pour renforcer l’efficacité de nos politiques.

Au terme d’une analyse pertinente de notre environnement international, plus complexe, moins prévisible que par le passé, il fixe des orientations stratégiques sur lesquelles je me limiterai à formuler quelques observations.

J’aborderai tout d’abord l’importance du renseignement, qui ne constitue pas une nouveauté, puisque le précédent Livre blanc en avait déjà souligné le caractère essentiel.

Cette priorité est très clairement confirmée au travers non seulement d’une accentuation des capacités humaines et techniques, notamment spatiales, mais également d’une organisation remaniée, plus à même de donner l’impulsion politique nécessaire et de veiller à une bonne répartition des moyens.

Le rôle fondamental de la dissuasion est maintenu. Un large consensus s’est exprimé à ce sujet au sein de la commission du Livre blanc. Cela n’exclut pas un ajustement du format de nos forces et notre souhait d’œuvrer au désarmement nucléaire, à condition, bien entendu, que soit consolidé dans le même temps le régime international de non-prolifération.

À juste titre, la protection du territoire et des populations est prise en compte de manière plus complète, dans toutes ses dimensions, y compris les moins évidentes. Je pense aux attaques informatiques, thème sur lequel la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées rendra un rapport d’ici à quelques jours.

La détermination des moyens affectés à la fonction d’intervention comptait en revanche, me semble-t-il, parmi les questions les plus difficiles posées aux rédacteurs du Livre blanc.

Elle touche directement au niveau d’ambition politique et opérationnelle que nous entendons nous fixer. Elle implique de définir ce que nous voulons pouvoir accomplir seuls et ce que nous réservons à des opérations multinationales. Il faut trouver le juste équilibre entre les capacités requises pour le combat de haute intensité, sur lesquelles il serait dangereux de faire l’impasse, et celles qui sont plus couramment utilisées dans les missions de stabilisation, qui, au demeurant, deviennent de plus en plus exigeantes et exposées.

Enfin, et il ne pouvait en être autrement, ces choix devaient être effectués à la lumière d’hypothèses de ressources financières réalistes.

La redéfinition des contrats opérationnels, le resserrement de notre dispositif en Afrique, l’énoncé de critères qui pourraient nous rendre plus sélectifs dans le choix de nos interventions extérieures, si tant est que cela soit possible, témoignent des contraintes fortes que la commission du Livre blanc a voulu concilier en la matière.

Ce Livre blanc tient compte de la situation générale de nos finances publiques et de la nécessité impérative de les redresser. Je ne l’en blâmerai pas, car une stratégie découplée de perspectives de financement crédibles serait des plus fragiles. Par ailleurs, la capacité d’un pays à peser sur le cours des événements et à rester maître de son destin dépend aussi, on l’oublie trop souvent, de la santé de ses finances.