M. Jean-Pierre Sueur. C’est très convaincant !

M. Pierre-Yves Collombat. Les personnes qui ne sont pas très modernes, comme moi,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous êtes un conservateur !

M. Pierre-Yves Collombat. En ce domaine, oui, et je m’en flatte !

… tiennent le bon usage des deniers publics, au même titre que la motivation d’intérêt général, pour la substance même de la commande publique, et non pour l’exception, même heureuse. Le principe du bon usage des deniers publics s’impose à l’ensemble des procédures communes de la commande publique. Il n’est en rien une circonstance particulière justifiant que l’on puisse prendre des libertés avec le droit commun. Au contraire, seules des circonstances exceptionnelles, telle l’urgence – et, dans ce cas, le résultat devient la première exigence –, permettent de s’en affranchir légitimement.

Pour vous, c’est le contraire. Vous rangez au titre des exceptions justifiant une procédure dérogatoire « un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que celui d’autres contrats de la commande publique ». Autrement dit, la fin justifie les moyens ! Telle est votre conception de l’État de droit.

Cet argument a été repris, en première lecture, par M. le rapporteur : « si le projet de loi ouvre significativement – c’est un aveu ! – la possibilité de recourir au contrat de partenariat, il ne la généralise pas pour autant. En effet, en réalisant un bilan, l’évaluation préalable doit prouver que le contrat serait effectivement le meilleur outil pour mener à bien le projet concerné. »

Encore une fois, la recherche du meilleur usage possible des deniers publics n’est pas une particularité des contrats de partenariat ; il s’impose, en principe, à l’ensemble de la commande publique.

De plus, un tel bilan comparatif est illusoire ; il s’apparente à un faux-nez destiné à masquer des décisions prises au préalable. Cela me fait penser à ces études qui, il y a vingt ans, démontraient la supériorité de la gestion déléguée des services publics de l’eau.

Au mieux, le coût final du montage pour la collectivité ne pourra être établi qu’une fois la décision politique prise d’utiliser un contrat de partenariat plutôt qu’une autre formule. D’ailleurs, pour des situations complexes ou des engagements de longue durée, aucun chiffrage sérieux n’est envisageable.

En effet, comment pourrait-on évaluer les coûts de fonctionnement d’un équipement à dix, vingt ou trente ans ? Quel prix de l’énergie faut-il retenir pour apprécier à l’avenir le coût d’un système de chauffage, quel cours des denrées alimentaires faut-il prendre en compte pour évaluer celui de la restauration des élèves, des malades ou des détenus ? Comment évaluer le coût du renouvellement des installations dans dix ou quinze ans ? Que sait-on aujourd’hui de l’évolution à venir de la réglementation ou de la fiscalité environnementale, éléments pourtant décisifs dans les choix initiaux effectués par les élus ? Je pourrais ainsi multiplier les exemples : ils démontrent que ces bilans ne sont que des camouflages.

En tout état de cause, leur biais rédhibitoire est qu’ils comparent l’option du contrat de partenariat public-privé à une autre option, telle que le marché par exemple, pour laquelle on ne dispose d’aucune donnée dans un environnement dont on ne sait comment il va évoluer.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Pierre-Yves Collombat. Chacun sait bien que c’est au moment de l’ouverture des plis que le coût réel d’un projet apparaît. Les surprises ne sont pas rares, vous en conviendrez, mes chers collègues.

Autrement dit, s’il est difficile d’établir le coût exact d’un partenariat public-privé, il est impossible d’établir qu’une autre solution ne serait pas plus avantageuse, ce qui rend toute comparaison totalement illusoire !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est lumineux !

M. Éric Doligé. C’est sombre !

M. Pierre-Yves Collombat. D’ailleurs, si vous ne doutiez pas de la solidité de votre argumentation, madame la ministre, vous n’auriez pas pris la précaution d’inclure dans le projet de loi ce véritable « canot de sauvetage » qu’est le III des articles 2 et 16.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Pierre-Yves Collombat. Ainsi, jusqu’en 2012, et sous réserve que les résultats de l’évaluation soient « non défavorables » – et non « plus favorables », vous aurez remarqué la nuance, mes chers collègues ! –, toute commande publique deviendra urgente en France !

Je vous fais grâce du catalogue à la Prévert des opérations décrétées « urgentes », et qui échapperont ainsi à la censure du Conseil constitutionnel, au moins jusqu’en 2012. C’est à se demander si nous vivons en France, ou dans un pays en voie de développement, sans gouvernement ni collectivités locales responsables depuis des lustres !

Cela étant, une telle généralisation de dérogations au droit commun ne contrevient pas seulement aux exigences constitutionnelles inhérentes à l’égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques ou au bon usage des deniers publics ; elle prend également des libertés avec l’exigence, non moins constitutionnelle, de continuité du service public.

Aucun article du projet de loi ne fait référence à cette obligation, qui est également ignorée du fameux bilan des avantages et des inconvénients. Le cocontractant devra donc en faire son affaire et sera censé assurer la continuité du service public pendant dix, vingt ou trente ans, sinon plus. Mais que se passera-t-il en cas de défaillance du cocontractant privé ou de l’une des entreprises constituant le groupement de cocontractants ? Qui se substituera alors au partenaire défaillant ? Comment sera assurée la continuité du service public ? Nul ne le sait, rien n’est prévu à cet égard dans le texte !

Pourtant, qui connaît les difficultés engendrées par la défaillance des entreprises de construction ne peut que s’inquiéter pour la maintenance des équipements et leur gestion sur longue période, lorsque la formule des partenariats sera généralisée, et donc, fatalement, ouverte à des partenaires financièrement fragiles.

Le dilemme est finalement le suivant : soit seuls quelques groupes puissants, et donc financièrement solides, peuvent concourir, et l’entorse au principe d’égalité d’accès à la commande publique est alors manifeste ; soit cet accès est large, ce que vous soutenez, madame la ministre, et c’est alors la garantie financière qui fait défaut.

Encore une fois, les entorses aux exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique, de protection de la propriété publique, de bon usage des deniers publics et de continuité du service public, admissibles pour des finalités spécifiques et dans des conditions particulières, ne sauraient devenir le droit commun.

Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, nous vous demandons de voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en écoutant M. Collombat, je me demandais s’il ne souhaitait pas purement et simplement supprimer la délégation de service public, qui, à l’entendre, serait extrêmement dangereuse pour l’ensemble des collectivités territoriales. Est-il vraiment raisonnable, somme toute, qu’une collectivité fasse appel à une entreprise privée, ne serait-ce que pour construire un bâtiment ou un équipement public ? (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Tout à l’heure, M. Sueur nous disait qu’il était désobligeant de légiférer après une décision du Conseil constitutionnel, qui ferait descendre, en quelque sorte, les tables de la loi sur les parlementaires et sur l’ensemble de la nation…

En réalité, ce qui est vraiment désobligeant pour une juridiction, quelle qu’elle soit, c’est de lui faire dire ce qu’elle n’a pas dit ! En l’espèce, la décision du Conseil constitutionnel, quelles que soient les explications, longues et parfois difficiles à suivre, données à l’instant par nos collègues, signifie simplement que l’on ne peut pas recourir aux contrats de partenariat de la même façon qu’aux autres modes de la commande publique et qu’il faut justifier le recours à ce type de contrats.

Le Conseil constitutionnel cite deux cas dans lesquels il est possible de recourir à de tels contrats : l’urgence et la technicité. Mais ce ne sont que des exemples, je le redis. Dès lors que le contrat de partenariat, contrairement aux autres modes de la commande publique, emporte la contrainte, pour la puissance publique, de procéder à une évaluation préalable, ce système fait exception au regard du droit commun de la commande publique, et les exigences du Conseil constitutionnel sont alors satisfaites.

Si, après évaluation, une collectivité territoriale estime que le contrat de partenariat est la forme qu’elle doit privilégier, pourquoi devrait-elle y renoncer et choisir un autre mode de la commande publique, moins favorable, sous prétexte de vouloir à tout prix s’accrocher au droit commun ? Certes, le contrat de partenariat n’est pas le droit commun, mais y recourir dans les conditions précisées n’est en rien contraire à la décision du Conseil constitutionnel.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable et demande au Sénat de rejeter cette motion. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. J’ai déjà largement répondu par avance aux arguments développés par M. Collombat lorsque, tout à l’heure, j’ai réagi aux propos de M. Sueur. Je n’y reviens pas, et j’invite le Sénat à voter contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

M. Éric Doligé. Vous pouvez nous faire confiance !

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous faisons nôtres les arguments présentés par notre collègue Collombat au nom du groupe socialiste, et qui ne sont nullement caricaturaux, comme semble le croire M. le rapporteur.

Cela étant, puisque des lectures différentes de la décision du Conseil constitutionnel s’opposent dans cet hémicycle, il serait peut-être judicieux de le saisir de nouveau, afin qu’il puisse se prononcer sur ce texte.

En tout état de cause, le groupe CRC votera la motion.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 4, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi relatif aux contrats de partenariat
Question préalable (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n °3 tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux contrats de partenariat. (n° 425, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, auteur de la motion.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, nous examinons un projet de loi sans que l’urgence ait été déclarée !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Réjouissons-nous !

Mme Josiane Mathon-Poinat. En effet, nous nous en réjouissons, monsieur Hyest !

Toutefois, je comprends mal les raisons ayant poussé le Gouvernement à inscrire à l’ordre du jour de la session extraordinaire un texte aussi déterminant pour l’État, pour les collectivités locales et pour les contribuables, qui engage les finances publiques pour des décennies en reportant la charge financière sur les générations futures.

Les conditions de débat durant les sessions extraordinaires sont souvent déplorables, le Gouvernement et la majorité souhaitant voir adopter le plus vite possible les projets de loi, au détriment de la discussion parlementaire.

M. Laurent Béteille, rapporteur. Ce n’est pas le cas en l’occurrence !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Un vote conforme est néanmoins demandé…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. L’Assemblée nationale nous a déjà très bien entendus ! Nous n’avons donc pas besoin de revenir sur ce texte !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Ce débat est pourtant d’autant plus nécessaire que ce projet de loi conduit à un désengagement financier de l’État au profit du secteur privé avec la généralisation des contrats de partenariat.

Plusieurs raisons devraient vous inciter, madame la ministre, à ne pas poursuivre sur cette voie.

Tout d’abord, et je ne m’y attarderai pas, puisque mon collègue socialiste vient d’en parler, il existe une limite constitutionnelle à la pratique des contrats de partenariat.

Le Conseil constitutionnel nous semble, à ce sujet, parfaitement clair. Il considère les contrats de partenariat comme des dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique, dont la généralisation « serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l’égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics ». Ces contrats doivent donc être réservés « à des situations répondant à des motifs d’intérêt général tels que l’urgence qui s’attache, en raison des circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d’un équipement ou d’un service déterminé ».

Pourtant, les premières paroles prononcées par Claude Goasguen, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, pour défendre ce projet de loi furent explicites. Selon lui, « l’objectif est d’améliorer le régime juridique issu de l’ordonnance du 17 juin 2004, et de faire du contrat de partenariat un mode de commande publique de droit commun, en élargissant les conditions de recours à cet instrument juridique ».

L’ambiguïté n’est plus de mise ! Le projet de loi entre manifestement en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel. Malgré cela, vous persistez, madame la ministre !

Une autre raison de ne pas poursuivre l’examen de ce texte tient à son caractère artificiel sur le plan financier.

En effet, les contrats de partenariat présentent l’astucieux avantage de faire baisser artificiellement les dépenses d’investissement de l’État, puisqu’il n’est pas tenu compte de ces investissements dans le calcul de la dette publique, entendue au sens du traité de Maastricht.

Une personne publique pourra donc s’endetter subrepticement, les loyers étant enregistrés en dépenses de fonctionnement. La dette réelle se trouve ainsi masquée, alors qu’en fait elle augmente considérablement.

La tentation était donc forte, pour le Gouvernement, en ces temps de rigueur budgétaire et face au demi-échec que constitue jusqu’à présent cette nouvelle forme juridique de la commande publique, d’élargir le champ des contrats de partenariat aux investissements lourds, quitte à aggraver la facture budgétaire sur le long terme et à lier les mains de l’État pour plusieurs décennies.

En effet, le champ des partenariats public-privé est considérablement élargi par ce projet de loi. Le texte initial prévoyait deux nouvelles hypothèses dans lesquelles le recours aux contrats de partenariat deviendrait possible.

La première concernait les cas où ces contrats présentent « un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique ».

La seconde est sectorielle, et réserve le recours aux contrats de partenariat à des projets censés présenter un caractère d’urgence, dans des secteurs réputés prioritaires qui pouvaient faire appel à ces partenariats jusqu’au 31 décembre 2012.

Or le Sénat a élargi cette liste aux projets qui répondent aux besoins de l’enseignement français à l’étranger, à ceux qui sont relatifs à la réduction des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments publics, ainsi qu’aux projets concernant les infrastructures de transports et leurs ouvrages et équipements annexes, tels que les gares et les aéroports. La liste était déjà longue dans le projet de loi initial ; elle s’est transformée, comme l’a déjà dit M. Collombat, en un véritable inventaire à la Prévert.

Ainsi, d’ici à 2012, tous les projets ou presque pourront revêtir, et de manière quasi artificielle, un caractère d’urgence. Cette nouvelle possibilité de recours a bien pour objectif de généraliser les contrats de partenariat.

Quant au bilan coûts-avantages, notre scepticisme est proportionnel à votre empressement à généraliser un tel mode de commande publique. Les exemples étrangers d’échec financier de ces contrats sont suffisamment nombreux pour démontrer que le système est bien souvent déséquilibré, au détriment de la collectivité publique. Quid d’ailleurs du droit comparé ?

Depuis la promulgation de l’ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, et plus encore depuis quelques mois, nous assistons à une véritable campagne de propagande en faveur des contrats de partenariat. À titre d’exemple, les Dossiers européens du mois de janvier 2008 sont presque entièrement consacrés aux partenariats public-privé en Europe. Je pourrais également mentionner le numéro de mars-avril 2008 du Journal du Club des partenariats public-privé ou la newsletter de ce même club spécialement consacrée en mai dernier à ce projet de loi.

Étrangement, aucune de ces publications n’évoque les échecs cinglants qui ont été constatés, notamment au Royaume-Uni. Même si les PPP d’outre-Manche ne sont pas identiques aux contrats de partenariat français, on peut tirer du bilan britannique, peu flatteur, des enseignements sur les écueils à éviter en France.

En outre, dans son rapport pour l’année 2008, la Cour des comptes a pris soin de mettre en garde contre le surcoût à long terme des PPP.

Ces contrats risquent donc de coûter cher aux contribuables !

Malgré cette mise en garde, le Gouvernement étend le champ d’application des contrats de partenariats et en renforce l’attractivité fiscale.

J’en viens à présent à la troisième raison de rejeter ce projet de loi. Les contrats de partenariat ainsi encouragés renforceront de fait l’hégémonie des grands groupes du secteur du bâtiment et des travaux publics, le BTP, car le dispositif ne pourra pas s’appliquer aux PME. En effet, un PPP repose sur un cahier des charges précis et des études parfois lourdes, ce qui en réserve l’accès aux grandes entreprises.

Depuis que le présent projet de loi a été inscrit à l’ordre du jour, nous sommes sans cesse alertés par les PME, les artisans et les architectes, qui dénoncent le caractère global et inaccessible des contrats de partenariat. Tous ces professionnels regrettent que la procédure des PPP soit inaccessible aux petites entreprises du bâtiment et fausse ainsi le libre jeu de la concurrence.

En effet, l’entreprise artisanale ne trouvera jamais le soutien financier du secteur bancaire pour le montage d’un contrat de partenariat, alors que de nombreux projets de proximité, comme la construction d’une école communale ou d’une gendarmerie, sont souvent réalisés par des artisans dans des conditions compétitives.

Ainsi, si le projet de loi rend possible la construction d’écoles en contrat de partenariat, les artisans du bâtiment et les très petites entreprises ne pourront plus être chargés de tels ouvrages, comme le leur permet aujourd'hui le code des marchés publics, dans le cadre de l’allotissement. Désormais, ils seront systématiquement des sous-traitants.

Ces inquiétudes sont légitimes, mais le Gouvernement y reste sourd, malgré les nombreux relais dont elles font l’objet au sein des deux assemblées.

En l’occurrence, l’objectif du Gouvernement est de pouvoir contourner la contrainte du code des marchés publics. Manifestement, vous ne vous écarterez pas de cette ligne.

Par ailleurs, le caractère global des contrats de partenariat ravive le souvenir, pourtant malheureux, des anciens marchés d’entreprise de travaux publics, les METP. Il n’est, me semble-t-il, pas nécessaire de démontrer combien ceux-ci ont favorisé la corruption.

Or force est de constater que les domaines d’application des anciens METP seront largement couverts par ce projet de loi, s’il est adopté. Permettez-moi de vous fournir deux illustrations des points communs qui existent entre les deux formules.

D’une part, dans la liste des secteurs jugés prioritaires figurent les projets répondant aux besoins d’éducation et conduisant à l’amélioration des conditions d’enseignement et d’accueil des élèves dans les collèges et les lycées ou des étudiants dans les universités.

D’autre part, le paiement différé, pourtant prohibé par le code des marchés publics, sera possible.

Si les contrats de partenariat, qui présentent donc certains traits communs avec les METP, sont généralisés, il y a un grand risque de favoriser ententes et corruption. Ainsi, Vinci, Eiffage et Bouygues se partagent déjà le marché.

Inutile de rappeler les collusions entre certaines de ces entreprises et le pouvoir politique. Qu’en sera-t-il demain avec des contrats de partenariat généralisés ?

Enfin, la quatrième et dernière raison qui devrait vous conduire à rejeter ce projet de loi concerne l’avenir des missions de l’État et des services publics.

Les collectivités publiques, c'est-à-dire l’État et les collectivités territoriales, doivent assurer les activités indispensables pour produire les biens et services nécessaires. Ces activités sont soit exercées directement par la puissance publique, soit déléguées, auquel cas elles doivent l’être sous réserve d’un cahier des charges précis et d’un contrôle public et social approprié.

En l’occurrence, les contrats de partenariat signent en fait le désengagement total de l’État dans un nombre important de services publics. Et même si des missions de souveraineté ne sont pas expressément déléguées au secteur privé, il faut néanmoins s’interroger sur le risque qu’il y aurait à confier à la personne privée, en plus de la réalisation de l’équipement, une mission de service public.

Cette interrogation est d’autant plus légitime que Bouygues a remporté un contrat juteux de construction de six établissements pénitentiaires et qu’il devra également en assurer l’exploitation. D’ailleurs, son contrat est celui qui va le plus loin dans les missions confiées à une personne privée.

En effet, pendant les vingt-sept ans du contrat, outre le financement de la construction, Bouygues devra assurer la maintenance et le nettoyage des locaux, mais également les services aux personnes, comme la blanchisserie, la restauration, les soins, le transport des détenus, ainsi que l’accueil des familles et même la gestion du travail des détenus et leur formation professionnelle, moyennant un loyer annuel de 48 millions d’euros. Il ne manque plus que la surveillance des détenus pour que le transfert de la mission de service public pénitentiaire à Bouygues soit intégral !

Le Gouvernement a tout intérêt à continuer sa politique pénale ultra-répressive, qui s’accompagne étrangement d’un programme de construction de prisons afin d’atteindre un total de 63 500 places disponibles en 2012. Le nombre de prisonniers a déjà presque atteint ce chiffre. Les majors du BTP ont de beaux jours devant elles...

M. Éric Doligé. Et alors ? Tant Mieux !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous croyez vraiment ?

M. Éric Doligé. Oui ! Je n’ai pas envie qu’elles ferment !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Décidément, même si le service public n’est pas encore tout à fait mort, vous tenez à l’enterrer par avance !

L’avenir du service public pénitentiaire semble lui aussi réglé, tout comme celui des services publics dans leur ensemble et des agents qui en assurent les missions.

Là encore, les contrats de partenariat accompagnent parfaitement le mouvement de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, visant à réduire de manière draconienne les effectifs de la fonction publique.

Il faut voir dans ces contrats la préférence accordée à la gestion privée des ouvrages publics, voire des services publics, plutôt qu’à la gestion publique. À cet égard, permettez-moi de faire référence aux propos de M. Jacques Fournier, éminent commis de l’État, qui évoquait non pas l’économie de marché, mais l’économie des besoins.

En conclusion, les raisons qui doivent vous conduire à ne pas prévoir la généralisation des contrats de partenariat sont multiples.

Il est vain de voir dans ce dispositif une solution miracle en termes de réduction des charges publiques et d’augmentation des capacités d’investissement des collectivités publiques. En revanche, les contours de l’investissement public seront considérablement modifiés.

Avec de tels contrats, les services publics, qui sont les outils de la solidarité, de la citoyenneté et de la cohésion sociale, ont vocation à disparaître, et c’est particulièrement inquiétant.

C’est pourquoi je vous invite, chers collègues, à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

Les auteurs de la motion contestent l’utilité même du contrat de partenariat. Pour notre part, nous estimons qu’il s’agit d’un mode de commande publique utile.

Lors de la discussion générale, j’ai évoqué les avantages des PPP en termes de développement durable. Avec un tel dispositif, les responsables d’une construction seront tenus dès l’amont, dès la conception, de prendre en compte le fonctionnement futur de leur ouvrage, ce qui n’est pas le cas avec les systèmes traditionnels de commande publique.

Actuellement, nous avons, d’un côté, la personne privée qui assure la construction et, de l’autre, la personne publique qui prend en charge le bâtiment ou l’équipement public et qui doit le faire fonctionner, et ce dans des conditions parfois plus difficiles que prévu. En effet, comme le soulignait tout à l’heure M. Michel Billout, l’entreprise qui a livré un bâtiment peut se désintéresser de sa gestion ultérieure.

En revanche, dans le cadre d’un PPP, l’entreprise est obligée de tenir compte non seulement de la construction de l’ouvrage, mais également de son fonctionnement futur. À mon sens, il s’agit d’un progrès très important. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Compte tenu des explications que j’ai apportées tout à l’heure et des excellents arguments qui viennent d’être avancés par M. le rapporteur, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis assez surpris par l’argumentation de M. le rapporteur.

En effet, l’entreprise construit l’ouvrage qui lui a été commandé conformément aux objectifs qui lui ont été assignés. Dès lors, si le bâtiment est mal conçu, c’est parce qu’elle a reçu des mauvaises consignes de la part des commanditaires. Cela relève donc de la responsabilité des élus locaux.

En clair, la prestation fournie sera bonne si le cahier des charges est précis, y compris sur fonctionnement futur du bâtiment, et mauvaise si ce n’est pas le cas.

Quoi qu’il en soit, je ne vois vraiment pas pourquoi l’exigence évoquée par M. le rapporteur serait spécifique aux PPP. De ce point de vue, les contrats de partenariat ne changent rien.