Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 1er

M. Bernard Frimat. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, il faut attacher à un article de presse la même valeur juridique qu’à un article de la Constitution. C’est à cette étonnante affirmation que l’on nous demande de croire, monsieur le Premier ministre, depuis la parution, dans le journal Le Monde, des propos du Président de la République. Le Président a parlé : inclinez-vous devant ces nouvelles tables de la loi élyséenne ! Réjouissez-vous de ces promesses ultimes faites en réponse à un appel dérisoire et pathétique !

Quelle inconvenance a donc été la nôtre de présenter, au même moment, au vote du Sénat, des amendements correspondant à certaines des déclarations présidentielles ! Nous n’avions rien compris. Il fallait adopter sans en changer une virgule le projet de révision voté par l’Assemblée nationale mais, dans le même temps, nous féliciter de lire des engagements différents gravés dans un marbre un peu tendre : le papier journal.

Les sénateurs UMP refusaient un amendement reprenant la proposition du comité Balladur favorable à une évolution du collège électoral sénatorial, et nous étions invités à nous satisfaire de la très modeste proposition de loi du sénateur de Raincourt, texte dont on nous annonçait, après dix ans de sommeil, la possible exhumation. De qui se moque-t-on ? Du Parlement, sans aucun doute ! C’est une curieuse manière de revaloriser les travaux parlementaires que d’attendre l’achèvement du débat pour promettre ce que, par ailleurs, l’on refuse d’inscrire dans la Constitution.

Laissons donc de côté ce qui n’est qu’une opération de communication montée selon le procédé bien connu du teasing – d’abord l’expression du désir, ensuite la réponse tant attendue, enfin le remerciement enthousiaste – pour en venir aux nombreuses raisons, monsieur le Premier ministre, qui conduisent les sénateurs socialistes à voter contre votre projet de révision constitutionnelle.

Nous sommes opposés à tout renforcement des pouvoirs du Président de la République.

M. Jérôme Bignon. Des pouvoirs du Parlement, oui !

M. Bernard Frimat. Ils sont suffisamment étendus, d’autant plus que, dans sa pratique, le Président n’hésite jamais à s’en arroger de nouveaux que ni la Constitution ni la loi ne lui accordent.

Le droit de s’adresser au Congrès participe de l’« omniprésidence ». Il réduit à un simple exercice formel la déclaration de politique générale du Premier ministre. J’ai l’intime conviction que cette prise de parole devant un Congrès muet est la raison essentielle pour laquelle cette révision a été engagée. Dans le lieu le plus illustre de la monarchie, nous verrons peut-être, selon les termes de Robert Badinter, « la monocratie triomphante en majesté à Versailles ». (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Le retour automatique des ministres dans leur assemblée d’origine accentue la responsabilité directe des ministres devant le Président. Il pourra ainsi les nommer et les congédier à sa guise, sans craindre une sanction électorale. L’application immédiate de cette mesure aux ministres en exercice peut certes les rassurer par rapport au remaniement annoncé, mais l’octroi de ce privilège rétroactif n’en reste pas moins choquant par le sort qu’il réserve aux parlementaires qui les ont suppléés, lesquels passeraient ainsi du statut de parlementaires de plein exercice à celui d’intérimaires.

L’encadrement du pouvoir de nomination du Président est souvent présenté comme une avancée significative. Il est pourtant plus virtuel que réel. En effet, donner au Parlement le droit de s’opposer à une nomination à la majorité des trois cinquièmes, c’est fixer le seuil d’approbation aux deux cinquièmes. Quel exploit pour le Président qui dispose de la majorité de recueillir l’assentiment de 40 % des parlementaires ! Nous sommes donc en présence d’un droit formel, d’un leurre. Ce faux-semblant ne contribue pas à favoriser une démocratie respectueuse du pluralisme d’opinion.

La modernisation des institutions implique, pour le moins, que soit respecté le principe le plus élémentaire de la démocratie : l’expression du suffrage universel détermine la majorité d’une assemblée parlementaire. Ce n’est pas le cas du Sénat. Le comité Balladur avait reconnu la nécessité de supprimer le verrou constitutionnel qui interdit toute évolution du collège électoral sénatorial. Le Gouvernement, dans son projet initial, affirmait sa volonté de surmonter ce blocage. Il admettait qu’une prise en compte de la population était indispensable. Toutes ces bonnes intentions gouvernementales se sont envolées. Toute référence à la population a disparu. Le Gouvernement a cédé aux injonctions des sénateurs UMP. Ceux-ci conserveront leur mode d’élection si confortable et leur pouvoir de bloquer toute révision qui tenterait de mettre fin à cette anomalie.

Peu importe que les citoyens accordent par le suffrage direct une large majorité aux formations politiques de gauche dans toutes les catégories de collectivités territoriales : le Sénat, qui est censé en assurer la représentation, doit rester inexorablement à droite ! Il faut beaucoup d’aveuglement pour reconnaître dans ce paysage institutionnel l’image d’une démocratie irréprochable.

Revaloriser le Parlement, monsieur le Premier Ministre, ne consiste pas à augmenter, comme vous le proposez, les pouvoirs de la majorité, mais à garantir par la Constitution les droits de l’opposition, le pluralisme de la représentation et le droit d’amendement.

Les droits de l’opposition ne sont pas inscrits dans la Constitution, mais renvoyés, ou plutôt relégués au règlement de chaque assemblée. Ils dépendront donc exclusivement du bon plaisir de la majorité, qui seule décidera des concessions qu’elle daignera octroyer.

Même la journée mensuelle réservée, dans le projet initial, à l’opposition n’a pas survécu dans son intégralité. C’était sans doute trop pour vous. Ce temps sera partagé avec les groupes minoritaires. La réalité du nouveau pouvoir de fixer l’ordre du jour, un des fleurons de votre révision, se déclinerait donc ainsi : tout pour le Gouvernement et l’UMP, sauf un jour, à partager entre tous les autres groupes politiques. Quelle curieuse façon de respecter le pluralisme !

Le pluralisme, parlons-en. Vous acceptez avec difficulté d’en faire figurer le principe dans votre texte, mais vous vous opposez à sa réalisation. Or le seul moyen de garantir la représentation du pluralisme, c’est d’inscrire dans la Constitution l’obligation d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale. Vous avez rejeté tous les amendements qui le proposaient, quels qu’en soient leurs auteurs, refusant ainsi de conjuguer nécessité d’une majorité et respect de la diversité politique. La revalorisation du Parlement exige pourtant l’amélioration de sa représentativité.

Le droit d’amendement, aujourd’hui garanti par la Constitution, fait l’objet d’une très grave mise en cause puisque les conditions de son exercice seront fixées par le règlement des assemblées. Quelles garanties pour l’opposition ? Aucune. Rien, dans votre projet, n’assure à un parlementaire qu’il conservera le droit d’amendement en séance publique. Quel paradoxe de prétendre revaloriser le Parlement et de faire dépendre l’exercice d’un droit qui devrait être intangible, là encore, du bon plaisir de la majorité de chaque assemblée !

Quelle qu’en soit l’issue, monsieur le Premier ministre, ce Congrès sera celui des occasions gâchées.

Occasion gâchée que d’avoir, une nouvelle fois, refusé d’accorder le droit de vote aux élections locales aux étrangers installés dans notre pays depuis plusieurs années. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Occasion gâchée que d’avoir refusé de garantir, dans les médias, l’expression pluraliste et équitable des différentes opinions politiques face à la présence lancinante du Président.

Occasion gâchée, enfin, que d’avoir refusé le dialogue constructif avec toute l’opposition, pour privilégier un monologue interne à l’UMP et la quête inlassable, par tous les moyens dont le pouvoir dispose, des voix qui vous sont nécessaires.

Débauchage, découpage et marchandage n’étaient pas la bonne stratégie pour recueillir l’adhésion, du moins la nôtre.

Vous avez délibérément recherché la victoire d’un camp sur ceux que le Président a récemment qualifiés d’ennemis.

Là où nous attendions des progrès pour la démocratie, vous nous proposez le renforcement de la monocratie.

En conséquence, les sénateurs socialistes rejetteront votre révision. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, en 1958, ils n’étaient pas nombreux, les dirigeants de la gauche non communiste qui s’opposaient à l’adoption de la Constitution de la Ve République. Ils s’appelaient Pierre Mendès-France, Jean Baylet – eh oui ! –, Maurice Bourgès-Maunoury, ou encore François Mitterrand.

Ils refusaient, de façon courageuse et isolée, la nouvelle loi fondamentale car ils la regardaient, non seulement comme une ratification du 13-Mai, mais comme sa consolidation, par le déséquilibre patent des pouvoirs au profit de l’exécutif.

M. Jean-Pierre Brard. Cela reste vrai !

M. Jean-Michel Baylet. François Mitterrand allait même jusqu’à condamner « le coup d’État permanent » opéré par la Constitution de 1958 et par sa pratique.

M. Jean-Pierre Brard. Quelle lucidité !

M. Jean-Michel Baylet. Les principales réformes constitutionnelles intervenues depuis 1958, celle de 1962 sur l’élection du Président de la République au suffrage universel, celle de 2000 sur le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, ont encore renforcé ce déséquilibre et ont produit ses conséquences les plus visibles, à savoir la permanence du fait majoritaire et l’effacement progressif du Premier ministre.

Pour leur part, les radicaux n’ont pas changé de position. (Murmures sur divers bancs.) Nos aînés étaient hostiles à la Constitution de 1958 et nous y restons opposés.

Nous avons milité, depuis, pour l’avènement d’une VIe République, dont la Constitution garantirait la stricte séparation des pouvoirs, de même que l’épanouissement des libertés individuelles, dans le respect des principes de justice, de solidarité et de laïcité.

Pour ce faire, les députés et les sénateurs radicaux de gauche ont même déposé, lors de la précédente législature, une proposition de loi constitutionnelle visant à l’instauration de cette « République moderne » au Parlement libéré et aux citoyens replacés au cœur de l’action publique.

Nous avions déduit les conséquences logiques de la situation actuelle, qu’on pourrait résumer ainsi : tous les inconvénients de la présidentialisation sans les avantages du régime présidentiel. Nous proposions donc la suppression de la fonction de Premier ministre et l’abolition symétrique du droit de censure et du droit de dissolution.

En conséquence, les radicaux n’ont pas dissimulé leur déception lors de la présentation du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République : nous sommes encore loin de la réforme en profondeur que nous appelons de nos vœux.

Ils n’ont toutefois pas caché non plus leur intérêt pour ce texte (Rires et exclamations et sur plusieurs bancs) : dans ses dispositions essentielles, il propose des améliorations que nous réclamions – et vous aussi, d’ailleurs – depuis bien longtemps.

M. Christian Bataille. Tartuffe !

M. Jean-Michel Baylet. Tout en défendant leurs propres amendements – de même que le RDSE au nom duquel je m’exprime aujourd’hui –, les radicaux de gauche ont participé, de manière loyale, constructive et pragmatique aux travaux des deux assemblées sur cette réforme. Et ils ont exprimé cet intérêt lors de chacun des votes, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, en précisant que leur abstention était une position ouverte et attentive.

Nous voici aujourd’hui à l’heure du bilan de ce travail. Et, je le dis sans plus d’ambages, les radicaux de gauche, dans leur grande majorité – ainsi que les autres membres du RDSE –, vont approuver la réforme qui nous est proposée. (Applaudissements sur de nombreux bancs. – « Quel courage ! » et exclamations sur de nombreux autres bancs.)

Et puisque la polémique s’est installée, sans trop de spontanéité, d’ailleurs, autour de notre position, je veux dire ici, dans la solennité du Congrès, en pesant chacun de mes mots, mais avec la plus grande fermeté, que nul n’est autorisé, si ce n’est nos électeurs, à juger le choix des radicaux, un choix dicté par nos convictions, un choix libre, opéré en conscience et à mille lieues des spéculations que certains ont cru pouvoir nous prêter. (Applaudissements sur de nombreux bancs. – Exclamations sur de nombreux autres bancs.)

Je n’ai donc pas, mes chers collègues, à justifier la position prise par les radicaux. Je veux cependant l’expliquer, en fonction des valeurs constitutives du radicalisme.

D’abord, nous sommes républicains. Et nous regardons comme un progrès tout ce qui rééquilibre les institutions au profit des citoyens et de leurs représentants. Il en va ainsi du respect du pluralisme politique, du droit d’initiative législative des citoyens, du droit de réponse de l’opposition au Président de la République, des nombreuses améliorations du travail parlementaire, qu’il s’agisse de la procédure législative ou des pouvoirs de contrôle et d’investigation des deux assemblées.

Bien loin de nous satisfaire totalement, ces différentes avancées contribuent indiscutablement à une plus large respiration de notre démocratie.

M. Christian Bataille. Quel souffle !

M. Jean-Michel Baylet. Ensuite, les radicaux ont la raison pour méthode. Et il nous semble que la raison ne trouve pas son compte si l’on voit des formations politiques voter contre des réformes qu’elles ont toujours demandées (Applaudissements sur quelques bancs) ou si l’on voit, tout à l’heure, un Parlement refuser l’extension de ses prérogatives.

J’entends les motifs qui sont avancés pour des choix aussi paradoxaux et je connais ceux qui ne sont pas exprimés : on a voulu transformer une réflexion nationale en une action partisane. Quoi qu’il en soit des motifs des uns et des autres, je dis, en résumé, qu’on peut avoir de bonnes raisons et n’avoir pas raison.

Les radicaux ont aussi une vision pragmatique de l’action politique.

M. Jean-Jacques Candelier. Oui ! Des cadeaux à Nanard !

M. Jean-Michel Baylet. Ils savent que le mieux est souvent l’ennemi du bien, et que l’on ne peut rêver d’idéal et d’absolu sans composer avec la réalité. Je l’ai déjà dit, nous regrettons – oui, nous regrettons – que la réforme ne soit pas allée plus loin, en particulier vers une concrétisation effective du pluralisme politique dans les modes de scrutin et dans la redéfinition du corps électoral du Sénat. Mais si nous allions, au nom de ces regrets, refuser ce que nous approuvons par ailleurs, nous aurions tous perdu sur les deux tableaux.

Enfin et surtout, mes chers collègues, les radicaux de gauche sont laïques. La laïcité n’est pas, comme ses adversaires voudraient la caricaturer, une pensée de combat anti-religieux. C’est bien plus et c’est bien mieux. La laïcité, c’est l’exigence d’un rempart de neutralité qui garantit la liberté des choix de conscience, la liberté d’entreprendre ou la liberté d’opinion.

M. Christian Bataille. Tartuffe !

M. Jean-Michel Baylet. Voilà pourquoi notre République laïque affirme le rôle fondamental des partis politiques tout en proscrivant les mandats de vote impératifs. La discipline de vote qu’on souhaiterait, à droite comme à gauche, imposer dans ce débat n’est pas l’interdiction de penser. Et nous pensons que, sur un sujet aussi capital que les institutions, nous devons dépasser les clivages partisans traditionnels et nous laisser guider par la seule préoccupation du bien public. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Pour autant, nous n’estimons pas que ces clivages soient désuets ou inutiles. Les radicaux de gauche sont dans l’opposition et ils s’y tiennent fermement. (Exclamations sur quelques bancs.) Vous avez pu, monsieur le Premier ministre, comme plusieurs membres du Gouvernement, éprouver cette fermeté dans le débat depuis plus d’un an : les radicaux de gauche s’opposent sans réserve à votre politique, et notamment à ses effets sociaux. Ils ne seront pas moins déterminés demain qu’hier, soyez en assuré.

Mais pour aujourd’hui, nous avons à nous prononcer sur un sujet qui dépasse l’opposition habituelle entre la droite et la gauche. Voulons-nous, oui ou non, faire un pas significatif dans le sens de la modernisation et de la démocratisation de notre Constitution ? Pour les radicaux de gauche, pour le RDSE, la réponse est oui, clairement oui ! (Applaudissements sur de nombreux bancs. – Huées sur de nombreux autres bancs.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt, pour le groupe Union pour un mouvement populaire du Sénat.

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, cette journée est donc l’aboutissement des réflexions menées par nos deux assemblées au service d’un objectif clair : offrir à nos concitoyens une modernisation de notre démocratie.

Le Président de la République avait dessiné, en janvier 2007, les contours d’une réforme courageuse, reconnaissant la nécessité d’adapter et de rééquilibrer nos institutions. Sous son impulsion, un travail considérable, éclairé par le comité présidé par Édouard Balladur, a été entrepris pour porter ce projet novateur et équilibré.

La France d’aujourd’hui n’est plus celle de 1958 : les Français veulent être davantage associés à la vie démocratique, la décentralisation s’est imposée, l’Europe a pris une place déterminante dans notre vie, le monde a changé. Notre société a connu de profondes mutations.

Parallèlement, la mise en place du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont bouleversé notre équilibre institutionnel. L’accélération du rythme de la vie politique, le renforcement du rôle du chef de l’État et la réalité de notre société nous imposent de traduire ces évolutions dans le fonctionnement de nos institutions et d’inventer un nouvel équilibre des pouvoirs.

Aujourd’hui est un rendez-vous historique : jamais, depuis 1958, le constituant ne s’était attelé à une tâche aussi exigeante et ambitieuse, parce qu’elle est globale.

C’est également une chance pour notre démocratie, car cette révision constitutionnelle repose sur trois piliers essentiels : encadrer les pouvoirs présidentiels ; renforcer ceux du Parlement ; créer des droits nouveaux pour nos concitoyens.

Dans une démocratie responsable, le Président doit pouvoir expliquer sa politique devant les représentants du peuple réunis en Congrès.

Dans une démocratie transparente, le Parlement doit pouvoir, formellement, donner son avis sur certaines décisions prises par le pouvoir exécutif. Il doit avoir les moyens de contrôler l’action du Gouvernement et de participer à la programmation de ses propres travaux.

Dans une démocratie moderne, les citoyens doivent disposer d’outils efficaces leur permettant de s’impliquer dans la vie démocratique et de faire reconnaître leurs droits.

Notre groupe n’aurait pas accepté une réforme qui aurait mis à mal la force et l’adaptabilité de notre loi fondamentale. Vous connaissez notre attachement aux institutions de la Ve République, que nous avons toujours soutenues. Depuis leur origine, elles ont fait la preuve de leur efficacité, mais aussi de leur souplesse, avec des majorités et des configurations politiques différentes.

Notre volonté est bien de préserver les principes de ce socle institutionnel, contre les attaques de ceux qui seraient tentés, peut-être, un jour, de le dénaturer. C’est donc parce que nous croyons réellement dans la force de nos institutions que nous voulons les adapter.

Ce projet de réforme est fort de cette double exigence : il préserve la nature profonde de nos institutions tout en les inscrivant dans une démarche moderne d’efficacité et de transparence.

Les travaux parlementaires, placés sous le signe de l’écoute et du respect de l’expression de chacun, ont permis de bâtir un édifice harmonieux, équilibré et novateur. Je veux remercier nos deux présidents rapporteurs, Jean-Luc Warsmann et Jean-Jacques Hyest, pour leur talent, leur travail et leur volonté de rechercher les convergences nécessaires.

Je veux également dire notre sincère reconnaissance au Premier ministre et au Gouvernement pour avoir écouté et compris nos préoccupations et nos priorités.

Je tiens à saluer la qualité de notre dialogue avec l'Assemblée nationale, qui n’a ressemblé en rien à la caricature que l’on en a faite parfois. Les arguments ont été échangés, admis, compris, et la légitimité de la contribution de chacun respectée.

La plupart des dispositions de ce projet sont le fruit de cet état d'esprit entre les deux chambres. C'est la preuve que le bicamérisme est utile à la démocratie.

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Très bien !

M. Henri de Raincourt. Je pense par exemple à la référence aux langues régionales, auxquelles beaucoup, ici, sont attachés (Applaudissements sur quelques bancs) et qui ont trouvé leur juste place dans la loi fondamentale.

D'autres points étaient, pour la majorité sénatoriale, primordiaux. Ainsi, le texte qui nous est présenté sur les modalités de ratification des adhésions à l'Union européenne répond à la volonté de laisser la parole au peuple sans stigmatiser personne. Par ailleurs, les sénateurs, représentants constitutionnels des collectivités territoriales, tenaient à réaffirmer le lien privilégié qui doit exister entre les élus locaux et le corps électoral sénatorial. (Applaudissements sur quelques bancs.) La proposition de loi que, avec d’autres, j’avais déposée en 1999 n’était pas aussi modeste que Bernard Frimat a bien voulu le dire tout à l’heure. C’est nous qui avons réduit le mandat à six ans. C’est nous qui avons fixé la proportionnelle à compter de quatre sénateurs. (Applaudissements sur quelques bancs.) C’est nous qui avons abaissé l’âge d’éligibilité.

Néanmoins, l'écoute et le souci du dialogue avec nos collègues de l’opposition ont également primé. Nous avons notamment répondu à leur souhait que la Constitution fasse référence – c’est écrit – à la liberté, au pluralisme et à l'indépendance des médias. Nous avons également retenu leur proposition de consacrer les commissions d'enquête dans notre loi fondamentale.

Mes chers collègues, chacun doit mesurer, en conscience, ce qui est en jeu aujourd'hui. Dès octobre prochain, et peut-être pour longtemps, il sera difficile à une majorité de réunir les trois cinquièmes des membres du Parlement pour adopter une réforme aussi ambitieuse. Voilà le défi qui nous est posé. Pour le relever, nous avons voulu faire nôtres des propositions qui figuraient également dans d'autres programmes électoraux. Si ce texte contient quarante-cinq mesures, la moitié d'entre elles proviennent de la gauche.

Ce projet favorise une démocratie plus à l’écoute de ceux que nous avons l'honneur de représenter. Exception d'inconstitutionnalité, référendum d'initiative populaire, défenseur des droits : comment les Français pourraient-ils comprendre que certains parmi nous refusent de telles avancées ?

Ce texte propose un renforcement des pouvoirs du Parlement – c'est ce que nous appelons tous de nos vœux – : partage de l'ordre du jour, discussion en séance publique du texte des commissions, droits de l'opposition. Je ne puis croire que l'opposition se prive de ce renforcement sans précédent du rôle du Parlement. Au nom de quoi refuserait-elle ce qu’elle réclamait hier et depuis si longtemps ?

Mes chers collègues, j'en appelle à l'esprit de responsabilité de chacun. Seule l'ambition de servir l'intérêt général doit nous animer. Nous sommes ici à Versailles. Ne nous trompons pas de Congrès ! (Applaudissements sur quelques bancs.)

Nous avons aujourd'hui entre nos mains un outil qui redonnera de l'oxygène à la démocratie. Démontrons notre capacité à nous rassembler autour de cet intérêt qui nous dépasse ; en votant ce texte, nous moderniserons et rajeunirons la démocratie française. (Applaudissements sur de nombreux bancs. – Protestations sur d’autres bancs.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine de l’Assemblée nationale.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, oui, il faut de nouvelles institutions à notre République. Il nous faut, monsieur le Premier ministre, une nouvelle Constitution, non pas pour dépoussiérer la Ve République ou même rejouer les vieux conflits entre partisans d'un régime présidentiel et partisans d'un régime parlementaire. Il faut une nouvelle Constitution pour rendre à la politique ses lettres de noblesse, son pouvoir sur le cours des choses ; tout simplement la maîtrise partagée entre toutes les citoyennes et tous les citoyens des choix politiques qui fondent leur vie.

Il faut une nouvelle Constitution pour créer les conditions d'une démocratie réelle et globale. La mondialisation, pour être bénéfique au peuple, appelle à dépasser l'exercice centralisé de tous les pouvoirs comme leur éclatement. Il nous faut de nouvelles institutions pour réinventer la politique dans le monde tel qu’il est aujourd'hui.

On le voit chaque jour avec la montée en puissance des questions de l'alimentation, de l'énergie, du climat. On le voit avec l'ouverture possible des frontières de la connaissance et des savoirs à tous les hommes et toutes les femmes de la planète. On le voit avec l'exigence d’une nouvelle citoyenneté. C’est toute l’humanité qui est désormais confrontée au défi d'une démocratie nouvelle, d’une démocratie enfin capable d’affronter les grands défis de notre époque.

Cette réforme institutionnelle que j'appelle de mes vœux, je sais qu’elle ne se fera pas en un jour. C'est un chantier difficile. Votre texte en contiendrait-il quelques prémices ? Non, mille fois non !

Pour une grande partie de ses dispositions, ce projet de loi constitutionnelle se contente de maigres redistributions de pouvoirs entre le Parlement, le Gouvernement et le chef de l'État.

Ainsi, l’article 16 est déjà tombé en désuétude. Cela ne coûte donc rien de l'amender, même à la marge. Le Gouvernement perdra une partie de la maîtrise de l'ordre du jour du Parlement, certes. Mais il la retrouvera vite, tant la relation de dépendance des majorités parlementaires envers le président assure son soutien plein et entier. Quant aux ouvertures faites dans la presse par le Président de la République à l’opposition, je constate simplement qu'elles relèvent quasi systématiquement de la loi ou du règlement de nos assemblées. Et en nous dictant ainsi le futur règlement de celles-ci, le Président nous donne un signe assez paradoxal de sa soi-disant volonté de couper le cordon entre l'Élysée et les représentants du peuple.

On pourrait considérer utile le toilettage proposé par certaines des dispositions du texte soumis à notre vote. Encore faudrait-il qu'il s'accompagne d'une volonté réelle de transformer le système de pouvoir de la Ve République. Et c'est là évidemment que le bât blesse. Aucun des fondements de la soumission du Parlement au chef de l'État n'est remis en cause. Comment s'en étonner quand une des motivations premières de cette réforme constitutionnelle est justement l'agrément du Président, et notamment sa volonté de s’exprimer du haut de la dernière tribune qui lui est encore interdite : celle du Congrès ?

En effet, ce qui fait événement dans ce projet de loi, ce ne sont pas les quelques articles que l'on nous demande de réécrire, ce sont tous ces articles, et les plus importants, qui sortiront inchangés de la réforme. C'est donc la réaffirmation du caractère intouchable de la toute-puissance présidentielle.

C'est cette conception de la légitimité du pouvoir présidentiel qui ne pourrait souffrir aucune contestation, quels que soient l'évolution des idées de l'opinion ou les changements de la situation politique. C’est enfin la confirmation de la volonté de polariser la vie parlementaire autour de la fonction présidentielle.

Avec ce texte, notre vie politique sera encore plus structurée qu'elle ne l'est aujourd'hui entre les soutiens du Président et son opposition, quelle que soit la diversité de celle-ci. Cela va enrégimenter encore davantage notre débat public dans un système complètement aseptisé et bipartite.

Avec les nouvelles mesures de restriction du droit d'amendement et du temps de débat en séance publique, vous semblez rechercher une vie politique scénarisée, où tout pourrait se régler d'avance, loin du contrôle d’un peuple spectateur, selon les instructions d’un metteur en scène doté – je n’y reviens pas – de pouvoirs considérables.

De timides avancées étaient possibles. Je pense au référendum d'initiative populaire, que vous n’avez eu de cesse de limiter. Je pense à la réforme des modes de scrutin de chacune de nos assemblées. Tout cela a été sacrifié sur l'autel du conservatisme. (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs.) Et, à l'image de cette résistance à la moindre audace, il y a cet ultime et, disons-le, misérable symbole de renoncement, cette consécration constitutionnelle de l’objectif d' « équilibre des comptes des administrations publiques ». Il y a dans cette victoire de la courte vue comptable comme une certaine défaite de la politique.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

Mme Marie-George Buffet. Chers collègues, vous êtes, comme moi, régulièrement sur le terrain. Honnêtement, au regard de cette réalité-là, imaginez-vous la moindre seconde que le vote de ce projet de réforme constitutionnelle puisse positivement aider à recréer ne serait-ce qu'un peu la confiance perdue entre notre peuple et ceux qui le dirigent ?

Mme Marie-George Buffet. Non, évidemment !

Cette confiance en la capacité de la politique à changer leur vie, nos concitoyens et nos concitoyennes ne pourront la retrouver avec des institutions empreintes d'une profonde méfiance à l'égard du peuple et de ses interventions.

C'est vrai de l'Europe, qui ne peut plus imposer de décisions dans l'opacité qui est la sienne aujourd'hui.

Vous prétendez relever les pouvoirs du Parlement sans même évoquer que 80 % des lois ne sont que les modalités d'application de directives avalisées à Bruxelles directement par le gouvernement français, en violation manifeste avec le principe selon lequel, en démocratie, le Parlement vote la loi et le Gouvernement l'exécute. Ainsi, il est temps de reconnaître au Parlement la compétence de participer réellement à la construction des choix de l’Union européenne. Ce serait un minimum indispensable avant la remise à plat nécessaire de l'ensemble du fonctionnement de l'Union européenne et des relations entre l'Europe et les États membres. Je dis indispensable au vu du peu de cas fait du vote du peuple irlandais, bel exemple de démocratie où l'on veut faire revoter le peuple tant qu'il ne vote pas dans le sens souhaité par ses soi-disant élites. (Applaudissements sur quelques bancs.)

Mais ce sentiment de ne pas peser sur les grandes orientations politiques de l'Europe est tout aussi vif pour ce qui concerne la France. Et il appelle un même volontarisme de notre part, la même recherche de réponses visant à mieux partager les pouvoirs et donc à mieux associer les citoyens et les citoyennes à leur exercice.

Aussi, il est impératif que nos concitoyens, ou indirectement les idées qui sont les leurs, aient un véritable accès à tous ces lieux de pouvoir. Voilà pourquoi nous demandons la proportionnelle à toutes les élections, la création d'un véritable statut de l’élu, une plus grande rotation des mandats.

Voilà pourquoi nous demandons l'élargissement du droit de suffrage à toutes les intelligences, à toutes celles et ceux vivant dans notre pays et donc aussi aux résidents étrangers. (« Très bien ! » sur quelques bancs.)

Voilà pourquoi nous demandons qu’on reconnaisse toutes les innovations ayant cours en matière de démocratie participative, en reconnaissant un véritable référendum d'initiative populaire.

Voilà pourquoi, encore, à l'heure où seuls les salariés sont intéressés au développement de leur entreprise, leurs actionnaires ne pensant qu'à leurs dividendes, nous demandons de reconnaître aux salariés une véritable citoyenneté dans leur entreprise.

Voilà pourquoi nous demandons enfin de promouvoir un pluralisme réel dans les médias, à mille lieues de la télévision aux ordres que vous êtes en train de construire. (Protestations sur quelques bancs.)

Je n’ai pas eu le temps de développer toutes les propositions « pour une République solidaire et démocratique ». Nous les avons défendues, ces dernières semaines, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Je les ai moi-même portées au Président de la République et exposées devant la commission présidée par M. Balladur. Je vous les ai remises, monsieur le Premier ministre. Vous avez fait le choix de les repousser d'un revers de main. (Protestations sur quelques bancs.)

Je ne m'en étonne pas, votre volonté de concentrer les pouvoirs à l'extrême étant radicalement inconciliable avec notre souhait de les partager. Aussi, monsieur le Premier ministre, les députés de la Gauche démocrate et républicaine rejetteront avec la plus grande fermeté votre projet de réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche de l’Assemblée nationale.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Congrès, pendant cette réforme, les députés socialistes ont défendu avec la même constance et fidélité l’ambition de leur vision pour la démocratie française. Ils ont dessiné, par leurs contrepropositions, en héritiers dignes et raisonnables de Jean Jaurès, l’esprit et la lettre de la VIe République qu’ils seront certainement, si l’histoire les y appelle, amenés à établir avec les Français. C’est au nom de cette ambition exigeante, sans jamais varier d’un pouce, que nous avons affirmé notre disponibilité pour un compromis, même imparfait, dans lequel nous aurions pu nous retrouver et que nous aurions voulu voir s’accomplir pour la République et pour la France.

Nous avons pris le soin, à chaque instant, de tendre la main, en donnant ses chances à cette réforme qui aurait pu être celle de tous. Nous avons multiplié les occasions publiques de dialogue. Nous avons présenté avec la même patience et le même goût de construire, au-delà des graves désaccords qui nous opposent, monsieur le Premier ministre, sur d’autres terrains, nos justes et raisonnables revendications.

Les réformateurs passionnés et les amoureux de la démocratie ont été, dans nos rangs, malheureusement dédaignés, et leurs propositions le plus souvent rejetées.

Si nous avons défendu avec force l’exigence de la séparation des pouvoirs, c’est parce que nous déplorons chaque jour un peu davantage les pratiques actuelles du pouvoir, du régime, de confusion et de concentration des pouvoirs.

Malheureusement, cette réforme entérine et institutionnalise dangereusement une forme nouvelle de monocratie, tous les pouvoirs dérivant d’un seul. Car la première victime de cette réforme, monsieur le Premier ministre, c’est vous et votre gouvernement. De nombreuses dispositions accroissent l’emprise du pouvoir présidentiel (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs), lui-même incontrôlable, au détriment de celui, contrôlable, du Gouvernement.

Vous avez déjà ainsi perdu le pouvoir de prononcer seul le discours de politique générale, qui sera désormais celui du Président s’adressant à ce Congrès.

M. Jean-Pierre Brard. Le discours du trône !

M. Arnaud Montebourg. À cet amoindrissement s’ajoute encore la perte d’autorité supplémentaire sur vos ministres, qui deviennent désormais révocables entre les mains capricieuses du Prince, créant une instabilité ministérielle, d’origine cette fois présidentielle, du fait de la facilité condamnable pour un ministre de retrouver son fauteuil au Parlement, sans repasser devant les électeurs.

Vous verrez, monsieur le Premier ministre, que, bientôt, vos ministres auront perdu la substance réelle de leur pouvoir. Ils seront de fait remplacés, comme c’est déjà un peu le cas aujourd’hui, par les collaborateurs directs du Président de la République, lesquels ne répondent jamais de rien devant personne, inaccessibles désormais à toute autorité, sauf celle du Président, en tout cas échappant à notre contrôle parlementaire. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

C’est donc l’accroissement de l’irresponsabilité politique, l’éloignement des possibilités de contrôle sur l’exécutif et, au total, l’augmentation du danger pour les Français, pour notre pays, de l’hyperconcentration des pouvoirs présidentiels qui est implicitement programmé dans cette réforme. C’est l’avènement non dit mais malheureusement engagé d’une monocratie à la française.

Car la deuxième victime de cette réforme, c’est nous, l’opposition, ou plutôt les oppositions (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs), c’est-à-dire les contre-pouvoirs, tous ceux qui, un jour ou l’autre, sous une forme ou sous une autre, ne seront pas d’accord avec les choix, les décisions, les pratiques de cette monocratie et de celui qui tente de l’affermir aujourd’hui. Et il y en a dans tous les camps, mes chers collègues : à gauche comme à droite ! Ceux-là sont les sacrifiés de cette réforme.

Ce qui nous est présenté, monsieur le Premier ministre, comme un accroissement des pouvoirs du Parlement est en réalité une augmentation des pouvoirs du parti du président, de la majorité parlementaire (Applaudissements sur de nombreux bancs) : c’est-à-dire tout le contraire d’un contrepouvoir ! En vérité, c’est un accélérateur de la puissance du pouvoir !

Mme Marylise Lebranchu. Très juste !

M. Benoist Apparu. Non, c’est faux !

M. Arnaud Montebourg. Le pays, lorsqu’il prend une décision, a autant besoin d’une majorité que d’une opposition.

Pourtant, cette réforme programme, je vous le dis tout net, la restriction du droit d’amender les textes de loi, droit imprescriptible et sacré pour le législateur. Elle refuse d’instaurer dans le texte constitutionnel des droits nouveaux de contrôle de l’opposition sur l’exécutif. Pire, elle renvoie de façon aussi spectaculaire qu’inacceptable à dix-neuf lois organiques, ordinaires, ou au règlement des assemblées : on a systématiquement refusé de nous éclairer sur ces lois sur lesquelles nous n’avons d’ailleurs pas la moindre influence, puisque c’est la majorité, dans sa bonté ou sa souveraineté, qui décidera de nos droits : soit de les réduire, soit de les anéantir. Pourtant, c’est le président du groupe de l’UMP lui-même qui avait, comme nous, demandé à les connaître « à la virgule près ». Ni lui ni nous n’en connaissons ni les virgules, ni d’ailleurs le texte figurant entre ces virgules ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. Jean Glavany. Absolument !

M. Arnaud Montebourg. Il eût été si simple, monsieur le Premier ministre, de dire à quelle sauce on veut manger l’opposition ! Le Parlement que vous prétendez renforcer, c’est la majorité – et vous l’avez déjà – mais c’est aussi l’opposition : donnez-lui des droits ! (« Elle en a déjà ! » sur plusieurs bancs.)

Pour prémunir la France et les Français de ces dangers préoccupants, nous avons, avec une patience exemplaire, demandé des garanties sérieuses, charpentées et concrètes quant aux droits de l’opposition. Nos amendements ont été lamentablement et invariablement repoussés. Nous avons demandé des garanties précises pour l’indépendance de la justice et la protection des magistrats à l’encontre du risque d’intrusion des intérêts partisans de l’exécutif ; là aussi, nos amendements ont été rejetés. Nous avons demandé des garanties de pluralisme et de représentativité à l’intérieur d’un Sénat non démocratique, comme à l’intérieur de tout le système politique (Protestations sur plusieurs bancs.- Applaudissements sur plusieurs autres bancs.) Nous avons été éconduits et nos propositions ont été rejetées.

Nous avons demandé – point essentiel – la fin de la monopolisation du temps de parole médiatique par le pouvoir. Non seulement notre proposition a été rejetée, mais le Président de la République a annoncé que le pouvoir prendrait le contrôle direct de la télévision publique, assumant sans scrupule la restauration de l’ORTF (Exclamations sur plusieurs bancs) et ouvrant la voie à une forme nouvelle et perverse d’absolutisme médiatique. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Alors, on invoque le courrier du président de l’Assemblée nationale – dont je salue les efforts – que nous avons reçu in extremis, à la clôture des débats, prenant des engagements sur les droits du Parlement et de l’opposition. Mais, pourquoi alors, avoir, à quatre reprises, rejeté des amendements garantissant nos droits pour nous promettre ensuite par voie d’un courrier du président de l’Assemblée, puis d’un entretien du Président de la République paru dans la presse, publié après la clôture des débats parlementaires, la mise en œuvre ultérieure de ce qu’on nous a refusé pendant des mois avec obstination ? Pourquoi promettre pour plus tard, dans une lettre sans aucune valeur, ce qu’on pouvait accepter avant, par voie d’amendements,…

M. Jean Glavany. C’est ce qu’on appelle le respect des droits du Parlement !

M. Arnaud Montebourg. …et qu’on pouvait, ensemble, inscrire dans le marbre de la loi constitutionnelle, dans un compromis de vaste et de solide ampleur ? (Applaudissements sur de nombreux bancs.)