M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse, sur l’article.

M. Gaston Flosse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement nous demande d’approuver un projet de loi qui va porter gravement atteinte aux populations d’outre-mer, Calédoniens, Polynésiens, Wallisiens, notamment. Tous nos fonctionnaires seront touchés. Même les retraités actuels, qui auraient dû pouvoir compter sur la sécurité juridique d’une pension légalement acquise, seront plafonnés, sans considération pour leurs différentes fonctions antérieures. Un fonctionnaire qui prendra sa retraite à partir de 2009 perdra, du jour au lendemain, la moitié de ses revenus. Celui qui partira en retraite dans vingt ans perdra 60 % de ses revenus. Est-ce légitime ? Est-ce équitable ?

Si c’est juste, alors, il faut aussi réduire de moitié les revenus des fonctionnaires métropolitains qui prennent leur retraite. Cela vous paraît déraisonnable, n’est-ce pas ? Vous pensez que ce serait une provocation inacceptable. Alors, pourquoi, monsieur Jégo, voulez-vous faire subir ce traitement injuste à vos concitoyens éloignés ? Oui, pourquoi ? Nous connaissons tous, malheureusement, la honteuse réponse : parce qu’ils sont loin, parce qu’ils sont dispersés parce qu’ils n’ont aucun pouvoir de nuisance pour troubler votre quiétude et votre autosatisfaction !

Avant même que les premières répercussions financières ne se concrétisent, la future « loi Jégo » fait déjà pas mal de dégâts. En Polynésie française, par exemple, environ 150 enseignants ont décidé de prendre leur retraite immédiatement pour ne pas être lourdement pénalisés pendant tout le reste de leur vie. Nous aurons, jusqu’à la fin de l’année scolaire, 150 classes, soit près de 4 000 enfants sans enseignant qualifié. Mais quelle importance ? Après tout, ce ne sont que de petits indigènes. Ils ont déjà la chance de vivre au soleil toute l’année ; on ne va pas, en plus, se soucier de la qualité de l’enseignement qu’ils reçoivent ! (Exclamations sur plusieurs travées de lUMP.) Faire sa cour à Bercy, aux frais de quelques milliers de fonctionnaires sans se rendre impopulaire en métropole, c’est tellement plus important et plus gratifiant !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Comment peut-on dire cela !

M. Gaston Flosse. Les élus, les organisations syndicales et l’ensemble des populations se sont émus de la brutalité de cette réforme ; ils se sont indignés de l’absence totale de concertation entre toutes les parties concernées.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On en parle depuis tant d’années !

M. Gaston Flosse. Je partage évidemment ce point de vue et je me joins à leurs protestations.

Mais je voudrais surtout mettre en évidence ce qui me choque le plus : le mensonge et l’hypocrisie du Gouvernement dans cette affaire. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. André Lardeux. Il ne faut pas exagérer !

M. Gaston Flosse. Pour s’assurer le soutien du Parlement et de l’opinion publique, le Gouvernement a fondé sa communication sur deux énormes mensonges.

Premier mensonge : on vous a dit et répété, chers collègues, que l’indexation des retraites dans les collectivités d’outre-mer était injuste parce qu’elle profitait à des milliers de fonctionnaires qui, après avoir accompli toute leur carrière en métropole, venaient s’installer en outre-mer pour leur retraite, afin de bénéficier de cette aubaine. C’est une grossière caricature de la réalité. C’est un mensonge.

Certes, il y a en Polynésie française quelques dizaines de retraités qui n’avaient jamais exercé chez nous avant leur retraite. Mais, à une écrasante majorité, les retraités vivant actuellement en Polynésie française sont des Polynésiens d’origine ou des métropolitains qui y ont travaillé très longtemps.

La mesure que nous propose ou plutôt que nous impose le Gouvernement ne vise pas à mettre fin à une aubaine injustifiée pour des fonctionnaires métropolitains. Elle légalise la situation de ces quelques profiteurs et tricheurs mais, surtout, elle pénalise les populations autochtones que sont les Calédoniens, les Polynésiens, les Wallisiens.

D’ailleurs, s’il y avait une once de sincérité dans le discours de M. Jégo, il suffirait que ce dernier nous propose un article unique imposant aux fonctionnaires dix ans d’activité outre-mer pour pouvoir bénéficier des conditions actuelles de retraite.

Vous voyez bien que cet article n’a rien à voir avec le discours officiel ! Vous voyez bien que quelques dizaines de métropolitains opportunistes servent de paravent commode à une opération de Bercy contre les populations d’outre-mer ! Vous voyez bien que les vraies victimes sont les fonctionnaires d’État originaires de l’outre-mer : ce sont les Calédoniens, Polynésiens et Wallisiens !

Je peux vous assurer que nos populations ne s’y trompent pas. Juste avant mon départ, un fonctionnaire polynésien âgé d’une quarantaine d’années m’a dit avec une grande amertume : « tant que la retraite indexée bénéficiait surtout aux métropolitains, ils l’ont maintenue. Maintenant que c’est nous, les Maohi – comprenez “ les indigènes ” –, qui occupons la majorité des emplois de la fonction publique, ils la suppriment ».

Deuxième mensonge : l’indexation, d’après M. Jégo, n’aurait rien à voir avec le coût de la vie.

Lors de sa dernière visite touristique en Polynésie française, le secrétaire d’État chargé de l'outre-mer, qui s’est plus intéressé aux mânes de Jacques Brel qu’aux angoisses des fonctionnaires polynésiens (Rires sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) a consenti, lors d’une brève escale à Tahiti à son retour des îles Marquises, à s’exprimer sur les ondes de RFO.

La journaliste qui l’interrogeait lui a naturellement demandé si l’indexation des fonctionnaires en activité allait être également supprimée puisque le coût de la vie est en principe équivalent pour un actif et pour un retraité. C’était une bonne question.

Savez-vous ce qu’a répondu notre ineffable secrétaire d’État ? (Protestations sur plusieurs travées de lUMP.) Je vais vous le dire, car vous ne le devineriez jamais ! M. Jégo a tout bonnement osé dire que l’indexation des fonctionnaires en activité n’avait rien à voir avec le coût de la vie ! Selon lui, l’indexation des fonctionnaires en activité reste indispensable parce qu’il faut bien une carotte pour que des fonctionnaires métropolitains acceptent de venir travailler chez nous.

Je suis un vieux routier de la politique, vous le savez, monsieur le président ! (Rires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela se voit et surtout s’entend !

M. Gaston Flosse. Je croyais avoir tout vu et tout entendu en matière d’arrogance parisienne et de mépris colonial, mais là, vraiment, je tire mon chapeau à M. ]égo ! (Exclamations au banc de la commission.) Il a battu tous les records. Je n’arrive pas à voir comment on pourrait accumuler autant d’insultes et de mensonges en une seule phrase. Il y aurait des quantités de réponses à faire à ce monument d’âneries.

Je me contenterai de deux questions.

Tout d’abord, pourquoi l’indexation s’applique-t-elle aux instituteurs, aux agents de service, aux douaniers et aux agents de l’administration pénitentiaire qui sont des autochtones ? Si l’indexation n’est pas justifiée par le coût de la vie, il faut les « désindexer » tout de suite. Ils n’ont pas besoin d’une belle carotte, pour travailler chez eux.

Par ailleurs, lorsqu’il ne sera plus nécessaire de tendre des carottes aux fonctionnaires métropolitains pour les attirer chez nous parce que les autochtones occuperont tous les emplois, on supprimera l’indexation des actifs. Nous apprécierions que M. Jégo nous dise plus précisément combien de métropolitains nous devrons garder chez nous pour éviter que nos fonctionnaires ne subissent le sort de nos retraités.

Évidemment, vous avez tous compris comme moi que ce discours était absurde. L’indexation des fonctionnaires actifs et retraités est uniquement justifiée par le coût de la vie. Ceux qui ont vécu chez nous le savent ; l’argument de M. Jégo n’est qu’une hypocrisie de plus pour tenter de justifier le mauvais coup qu’il porte à nos retraités.

Mes chers collègues, je sais que cet article a déjà été adopté par l’Assemblée nationale et je connais aussi les moyens de pression que le Gouvernement sait mettre en œuvre. Je n’ai pas d’illusions. J’ai proposé, comme beaucoup de mes collègues d’outre-mer, quelques amendements pour tenter de réduire un peu les plus gros dégâts qu’occasionnera cet article. J’espère que vous les adopterez.

Mais en vérité, c’est le dispositif tout entier qu’il faudrait rejeter afin d’entreprendre une concertation sereine et honnête avec toutes les parties concernées.

Je sais que les élus de l’outre-mer n’ont pas un poids suffisant pour parer le coup qu’on leur porte.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Flosse !

M. Gaston Flosse. Mais avant que vous ne preniez votre décision, chers collègues, permettez-moi de vous adresser deux messages.

Demandez-vous, avant de voter, ce que vous feriez si le Gouvernement proposait que tous les fonctionnaires de votre circonscription perdent la moitié de leurs revenus le jour où ils prendront leur retraite. Essayez de penser aux sentiments qu’éprouvent les populations d’outre-mer. Je sais bien que les mouvements de grève et de protestations à 20 000 kilomètres de la métropole ne vous émeuvent pas beaucoup. Mais si l’image de la France dans l’esprit de ces populations et la pérennité de sa présence vous intéressent, vous devriez bien réfléchir avant de vous déterminer.

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, je voterai contre cet article inique et injuste, monsieur Jégo !

M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava, sur l’article.

M. Richard Tuheiava. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France, comme le rappelait voilà peu le Président de la République, Nicolas Sarkozy, « ne peut s’imaginer sans l’outre-mer ». Est-ce la ligne politique adoptée par le Gouvernement ?

L’indexation des traitements des fonctionnaires expatriés et locaux fut fondée sur la loi de 1950 afin de pallier les inconvénients de la vie chère, l’éloignement géographique et les conditions de vie résultant de la résidence dans les colonies françaises ultramarines.

Le 10 septembre 1952, fut aussi adopté un décret portant attribution d’une indemnité temporaire aux personnels retraités en résidence dans la plupart des colonies d’outre-mer.

En Polynésie, l’implantation en 1966 du Centre d’expérimentation du Pacifique s’est s’accompagnée de la création du corps d’État pour l’administration de la Polynésie française », le CEAPF, qui a aussi bénéficié de la même indexation outre-mer.

La politique ultramarine d’après-guerre de la France a donc provoqué le bouleversement d’une société traditionnelle en équilibre avec son environnement et ses ressources propres. C’est un véritable modèle social « artificiel » qui s’est rapidement imposé dans chacune des contrées lointaines de la France d’outre-mer. Toutes les tentatives locales de résistance politique à ce modèle social étaient neutralisées au nom de la « raison d’État ».

On ne peut refaire l’histoire passée, certes, mais nous sommes là pour écrire le futur en tenant compte du présent.

Aujourd’hui, pour la Polynésie, le versement de l’indexation des traitements des fonctionnaires actifs s’élève à 250 millions d’euros.

Le versement de l’ITR représente une ressource pour la Polynésie évaluée à plus de 83 millions d’euros, soit 0,02 % du budget de l’État pour la Polynésie française.

Ces deux ressources réunies équivalent donc, pour l’économie de la Polynésie, à un montant total de 333 millions d’euros. C’est peu à côté de l’incidence du bouclier fiscal : 3 milliards d’euros. Voilà ce qu’est le poids financier de la fonction publique en Polynésie. Et vraisemblablement dans tout le reste de l’outre-mer, son poids dans les économies locales est substantiel.

Sur la base de rapports datant de 1990, de 2003, puis de 2006, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'État, a voulu, au travers de cet article 63, opérer une réforme, que je qualifierai de « sournoise », de réforme menée « à la hussarde », du régime des surpensions en outre-mer.

« À la hussarde », car il n’y a eu aucune concertation préalable avec les partenaires sociaux et les organisations représentatives d’outre-mer.

« À la hussarde » aussi, car cet article 63 ne repose sur aucune argumentation chiffrée actualisée.

« À la hussarde » enfin, car ni les élus locaux ni les parlementaires, d’outre-mer en premier lieu, n’ont été associés à l’élaboration de cette réforme.

Où sont les mesures de contrôle de nature à enrayer les abus tant dénoncés ? Où sont les éléments comparatifs du coût de la vie dans chaque collectivité d’outre-mer ? Quels systèmes de compensation des retraites envisagez-vous concrètement, pour toutes les fonctions publiques d’outre-mer ?

Cette réforme est sournoise, car, planifiée depuis 2006 – avouez-le ! – par le Gouvernement, elle a été proposée sciemment en pleine période de récession économique.

Sournoise encore, car le Gouvernement a annoncé une réaffectation des économies résultant de la réforme de l’ITR vers l’outremer ; or j’ai relevé qu’un amendement, récemment adopté par l’Assemblée nationale, prévoyait un redéploiement des crédits résultant de la réforme de l’ITR en faveur de programmes pédagogiques inscrits au budget général de la nation. Où sont ces redéploiements ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Sournoise enfin, car cette réforme de l’ITR en cache une autre, en embuscade, celle sur la désindexation des rémunérations de nos fonctionnaires. Nous ne sommes pas dupes !

Les fruits de ce cynisme sont déjà là. Mon collègue sénateur de la Polynésie française, M. Gaston Flosse, l’a rappelé : d’ores et déjà, 150 enseignants, parmi les plus expérimentés, souvent des directeurs d’établissement, ont posé leurs droits à la retraite. À l’échelle de la Polynésie, c’est près de 10 % du corps enseignant. Cela représente aussi plus de 5 000 jeunes élèves qui vont ainsi aborder la rentrée prochaine sans avoir la garantie d’un enseignement qualifié.

Faut-il vous rappeler, monsieur le secrétaire d’État, que, les 27 octobre et 4 novembre derniers, plusieurs milliers de fonctionnaires d’État en outre-mer sont descendus dans les rues afin de s’opposer à cette réforme ? On me rétorquera sans doute que tout cela est scandaleux. Mais, ne l’oublions-pas, une grève illimitée de tous les services de la fonction publique d’État frappe actuellement la Polynésie, avec pour revendication principale la suspension de cette réforme.

Vous le voyez, mes chers collègues, avant même son application, cette réforme de l’ITR, à peine annoncée, provoque déjà des dégâts !

Non, monsieur le secrétaire d’État, il ne s’agit pas simplement d’une réforme budgétaire. Vous vous attaquez, rien qu’en Polynésie française, à 6 300 fonctionnaires retraités et à 11 000 fonctionnaires actifs.

C’est un bouleversement du « modèle de société artificiel » qui s’annonce, celui-là même qui nous avait été imposé depuis les années soixante et en échange duquel vous ne nous offrez ni perspective concrète ni visibilité en matière de développement économique et social.

Bien au contraire, l’article 43 du projet de loi de finances initiale pour 2009 peut déjà s’analyser comme un sérieux coup porté au développement économique de l’outre-mer, par la restriction significative des mesures d’incitation fiscale.

En tant que souverainiste, je devrais plutôt me réjouir de ce véritable effort mené par le Gouvernement pour doper notre électorat local. Pourtant, en tant que sénateur de la République, et au nom du respect de cette fraternité inscrite au frontispice de notre maison, nous ne pouvons accepter que l’on brade ainsi le destin de l’outre-mer français.

Ainsi que le montrent les amendements que nous vous soumettrons, il ne s’agit pas pour nous d’aller à l’encontre du sens de l’histoire. Nous vous proposons simplement de prendre le temps de la concertation.

Une suspension de l’application de cette réforme de l’ITR serait accueillie comme une preuve de respect et de considération de la part de l’État pour l’outre-mer français.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur ce dossier sensible pour l’outre-mer, voilà les convictions que je voulais partager avec vous en guise de préliminaire aux amendements que je soutiendrai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Bernard Frimat. Une intervention de qualité !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais des chiffres inexacts !

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé, sur l’article.

M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion de cet article constitue un moment difficile parce que ce texte tend à remettre en cause une situation acquise pour les fonctionnaires en exercice et à plafonner les retraites des futurs fonctionnaires. C’est pourquoi je voudrais revenir à la source du débat qui nous rassemble aujourd'hui.

Depuis quatre ans, à l’occasion de chaque discussion budgétaire, un certain nombre de nos collègues, sur toutes les travées, se posent la question de savoir s’il est juste que des fonctionnaires qui n’avaient pas travaillé outre-mer viennent passer leur retraite au soleil, en profitant d’une combine : leur pension sera indexée et ils bénéficieront d’un système d’imposition avantageux, notamment en Polynésie. Il est vrai, comme l’a indiqué mon collègue Gaston Flosse, que ces fonctionnaires sont en nombre limité, mais la situation, elle, est bien réelle et concerne même des personnes extrêmement importantes : on parle d’amiraux, de généraux, de hauts fonctionnaires…

Cela étant dit, à partir du moment où le ver était dans le fruit, il était évident que la représentation nationale se devait de prendre ce sujet à bras-le-corps, parce que ce problème risquait d’entraîner une remise en cause de l’indexation pour tous les fonctionnaires. Je veux être très clair : personnellement, j’estime que l’abus du système tue le système !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela a doublé en douze ans !

M. Jean-Paul Virapoullé. Par conséquent, il était temps que les parlementaires aient le courage de supprimer ce que j’appelle la « retraite cocotier » : les fonctionnaires qui n’ont pas quinze ans d’exercice outre-mer et qui n’ont pas un lien matériel avec l’outre-mer ne doivent pas avoir droit à cet avantage. Sur ce sujet, il n’y a pas de désaccord.

Je voudrais attirer l’attention de l’ensemble de la représentation nationale et du Gouvernement sur le point suivant : les choses sont rendues un peu plus compliquées par le fait que nous discutons du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui sera obligatoirement soumis à l’examen de la plus haute juridiction française, le Conseil constitutionnel.

N’étant pas un fin connaisseur du droit constitutionnel, je me dois, en tant que modeste sénateur, de vérifier comme chacun d’entre vous s’il n’y a pas péril en la demeure pour la réforme pour le cas où l’article 63 serait examiné en l’état par le Conseil constitutionnel. Or, j’ai deux inquiétudes à cet égard.

Ma première inquiétude concerne le plafonnement de l’ITR, qui sera prévu par décret, pour les fonctionnaires en exercice et pour ceux qui sont déjà à la retraite. Cela ne pose-t-il pas un problème de rétroactivité ?

M. le président de la commission des affaires sociales connaît bien la question et sait que le Conseil constitutionnel a, en matière fiscale, bien encadré le principe de la rétroactivité : il peut y avoir rétroactivité de la loi eu égard, notamment, à l’autorité de la chose jugée, mais à condition qu’elle serve un seul objectif, à savoir l’intérêt général. Les économies financières ne sont pas reconnues comme un motif valable par le Conseil constitutionnel.

Or nous sommes ici dans le cas d’économies budgétaires. J’attire donc l’attention de la Haute Assemblée sur la situation de ceux qui sont déjà à la retraite et qui vont connaître une régression, même si elle est faible, de leur pouvoir d’achat. Il n’échappera à mon avis pas au Conseil constitutionnel que le principe de la non-rétroactivité de la loi est remis en cause, et le Conseil sera peut-être amené à sanctionner cette disposition.

J’en viens à ma seconde inquiétude, qui concerne un problème plus grave. Ceux qui prendront leur retraite en 2009 subiront un plafonnement, ce que je veux comprendre, mais ceux qui partiront à partir de 2019 se verront appliquer une dégressivité. Selon l’année de votre départ à la retraite, le montant total perçu – retraite de base plus ITR – variera.

À mon avis, il aurait été préférable de traiter la question de la dégressivité dans la loi plutôt que de renvoyer au décret, lequel n’est pas publié puisque la loi n’est pas encore votée. Sur le plan de la sécurité juridique, je ne suis pas membre du Conseil constitutionnel, mais il me semble que cela risque de soulever un problème. Il sera en tout cas intéressant d’analyser la décision que rendra le Conseil constitutionnel sur cette question.

Monsieur le secrétaire d’État, c'est la raison pour laquelle j’ai déposé l’amendement n° 226 rectifié, qui ne remet en cause que la dégressivité à partir de 2019. Pourquoi vouloir tout réformer tout de suite au risque de précipiter les choses et de créer un traumatisme outre-mer ? J’ai envie de dire : « basta » ! Nous pouvons faire un grand pas ce soir, puis marquer une pause et examiner la situation dans les mois qui viennent, voire dans un ou deux ans. D’ailleurs, il nous a bien fallu quatre ans pour en arriver là ce soir !

Il y a déjà des avancées : certains syndicats à la Réunion discutent de la durée de résidence, qu’ils préféreraient voir fixée à dix ans au lieu de quinze ans. S’ils débattent sur les chiffres, c’est bien qu’ils admettent le principe de la résidence. Il y en a même qui acceptent le principe du plafonnement.

Pourquoi prévoir la dégressivité dans cet article, au risque d’encourir la censure du Conseil constitutionnel ? Ce n’est raisonnable ni socialement, ni politiquement, ni juridiquement.

L’approche qu’il convient, à mon sens, de privilégier est la suivante : nous devons faire évoluer le dispositif, mais avec mesure, humanité et raison. Il n’est pas nécessaire de chambarder l’économie de l’outre-mer, comme l’ont si bien indiqué les orateurs précédents. L’économie de l’outre-mer, ce sont le sucre, le tourisme, la pêche, l’industrie du bâtiment, ainsi – il faut bien le dire – que la fonction publique. Si vous touchez un pan de cette économie, vous mettez en péril l’économie de l’outre-mer, et ce à un moment où personne dans le monde ne peut prédire quelles seront les conséquences économiques de la crise financière.

Je ne suis pas en train de faire un caprice pour exiger que rien ne bouge et que l’on en reste aux avantages acquis. J’indique juste que nous devons procéder avec raison et mesure, en respectant les droits fondamentaux et l’équilibre économique des territoires d’outre-mer. Nous ne devons pas aller trop vite, car la loi risque d’être jugée contraire à la Constitution de notre pays par le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP, de lUnion centriste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Yves Jégo, secrétaire d'État chargé de l'outre-mer. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous expliquer les raisons pour lesquelles le Gouvernement – point n’est besoin, me semble-t-il, de personnaliser cette réforme ; du reste, selon l’adage, tout ce qui est excessif est insignifiant – a proposé cette réforme de l’ITR et vous préciser en quoi consiste cette dernière.

Cette réforme est indispensable, et ce pour deux raisons majeures.

Premièrement, le système actuel est inéquitable. Tout d’abord, il s’applique non pas à toutes les fonctions publiques, mais seulement à la fonction publique d’État. Quid de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale ? Ensuite, il ne concerne pas tous les territoires : je vous rappelle que les Antilles et la Guyane en sont privées, pour des raisons que personne n’est capable d’expliquer. Enfin, les taux de l’ITR, qui est une prime perçue en complément de la pension de retraite, sont variables, passant de 75 % en Polynésie à 40 % à Saint-Pierre et Miquelon et à 35 % dans l’océan Indien. L’ITR n’a d’ailleurs jamais été une prime de compensation de la vie chère. À l’origine, en 1952, elle a été créée par décret pour compenser les taux de change et figure toujours dans le système administratif de notre pays sur cette base.

Deuxièmement, nous sommes face à un système qui connaît une croissance exponentielle. Voilà douze ans, on comptait 17 000 bénéficiaires de l’ITR dans l’ensemble de l’outre-mer ; aujourd'hui, ils sont 34 000. Toutes nos prévisions montrent que ce chiffre va croître de façon exponentielle.

Le coût pour l’État est passé de 120 millions d’euros à plus de 300 millions d’euros, et les perspectives sont élevées.

Certains estiment que cette réforme est brutale, d’autres qu’elle n’a pas fait l’objet d’une expérimentation ou d’une évaluation, ce qui n’est pas vrai ! Le premier rapport parlementaire qui recommandait de modifier le dispositif de l’ITR date de 1990. Voilà dix-huit ans que s’accumulent les rapports, dont celui par lequel la Cour des comptes, en 2003 – M. le sénateur de la Polynésie ne peut l’oublier –, imposait au Gouvernement de procéder à cette réforme, avant de le lui rappeler en 2006.

Voilà les raisons qui ont poussé le Gouvernement à vous proposer aujourd'hui cet article 63.

Pourquoi avons-nous choisi de transformer complètement le dispositif de l’ITR ? Comme M. Virapoullé l’a très justement indiqué, nous aurions en effet pu nous contenter de nous attaquer aux excès du dispositif, à ces fonctionnaires profiteurs qui ne sont certes pas la majorité, mais qui sont toujours plus nombreux : ils ont choisi de s’installer dans un territoire d’outre-mer avec lequel ils n’ont aucun lien pour cumuler les avantages financiers ; en Polynésie, par exemple, le taux de l’ITR est de 75 %, et il n’y a pas d’impôt sur le revenu.

Pourquoi ne pas tout simplement fermer le robinet aux profiteurs ? C’est impossible pour des raisons juridiques. Le dispositif de l’ITR étant inéquitable, puisqu’il ne concerne pas tous les fonctionnaires ni tous les territoires, une réforme qui ne serait que partielle entraînerait la sanction du Conseil constitutionnel, ce qui aurait pour conséquence de supprimer purement et simplement ce système.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. Yves Jégo, secrétaire d'État. La situation deviendrait alors bien pis que celle que nous dénonçons aujourd’hui.

Le Gouvernement propose donc de transformer le dispositif sur vingt ans en apportant quatre garanties importantes aux fonctionnaires de l’outre-mer.

Premier engagement, tous les retraités qui bénéficient actuellement de l’ITR la conserveront à vie. Je dis bien « à vie » ! Leur pouvoir d’achat ne baissera donc pas. Seuls ceux qui perçoivent les plus hautes retraites, soit 12 % des pensionnés, verront l’ITR plafonnée sur dix ans. En Polynésie, le plafond sera fixé à 18 000 euros par an. Compte tenu du montant des retraites dans le secteur privé, en particulier en Polynésie française, je ne pense pas qu’une telle indemnité, qui plus est garantie à vie et versée en plus de la retraite, puisse être considérée comme un scandale républicain. L’avantage me paraît maintenu dans de bonnes conditions.

Deuxième engagement, tous les fonctionnaires qui prendront leur retraite dans les dix prochaines années, pour peu qu’ils aient un lien avec le territoire d’origine ou qu’ils aient servi quinze ans outre-mer, bénéficieront à vie de l’ITR.

L’Assemblée nationale a voulu distinguer les territoires situés dans le Pacifique et ceux situés dans l’océan Indien. Les députés ont considéré à juste titre que partir d’une majoration de 75 % ou de 35 % d’ITR pour amener tout le monde au même plafond nécessitait un traitement par pallier pour les territoires du Pacifique, d’où l’amendement adopté par l’Assemblée nationale.

Afin que la Haute Assemblée soit pleinement informée, j’indique que le plafond pour tous les fonctionnaires qui partiront à la retraite dans les dix prochaines années dans l’océan Indien sera fixé à 8 000 euros au maximum ; cette indemnité est garantie à vie et versée en plus de la retraite.

Monsieur Flosse, votre calcul est faux. On ne peut pas additionner les choses comme vous le faites. En affirmant que les fonctionnaires perdront la moitié de leur revenu, vous comptabilisez le traitement du fonctionnaire en activité et l’ITR du fonctionnaire à la retraite. Vous savez très bien que, en partant à la retraite, le revenu d’un fonctionnaire subit une décote de 25 %. Vos chiffres sont donc destinés à frapper les esprits, mais ils ne correspondent pas à la réalité.

Il en va de même des 300 millions d’euros que l’État voudrait, selon vous, économiser sur le dos de la Polynésie. Cette somme de 300 millions d’euros représente l’ITR pour l’ensemble de l’outre-mer. Pour la Polynésie, la dépense de l’État s’élève à 88 millions d’euros. Dans dix ans, si la réforme est adoptée et appliquée, il y aura donc 10 millions d’euros en moins. Mais ne venez pas me dire que cela mettra à mal l’économie de la Polynésie, même si j’ai bien conscience du poids des fonctionnaires dans l’économie locale !

Je le répète, le Gouvernement n’a pas pour ambition de faire de la Polynésie un lieu de résidence pour retraités de la fonction publique ! Il souhaite que ce territoire puisse prospérer grâce au tourisme et à l’activité des entreprises. Dans dix ans, les 10 millions d’euros de dépenses en moins de l’État seront largement compensés par les efforts qu’il réalisera dans ces secteurs.

Troisième engagement, pour les fonctionnaires qui prendront leur retraite entre les années 2019 et 2028, il y aura chaque année un plafond différent d’ITR, mais nous leur garantissons à eux aussi une indemnité à vie.

Quatrième engagement, le Gouvernement mettra en place un système de retraite complémentaire fondé sur des cotisations. Ce système de prélèvement sera cette fois-ci juste et incontestable, puisque tous les agents de toutes les fonctions publiques sur tous les territoires, y compris les Antilles qui pour l’instant ne bénéficient pas du dispositif, seront concernés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, le Gouvernement ne supprime pas l’ITR pour laisser les fonctionnaires en déshérence. Les réalités économiques ne lui ont pas échappé. Nous transformons un système injuste afin de parvenir à plus d’équité, en prévoyant une génération pour le faire.

Je sais que beaucoup de parlementaires sur les travées de cette assemblée auraient souhaité que nous allions plus vite et plus fort. Cela me permet de répondre à l’argument de brutalité que l’on oppose au secrétaire d’État chargé de l’outre-mer. Pour ma part, j’ai essayé de préserver les équilibres du dispositif et d’éviter les effets négatifs qui ont été soulignés.

Enfin, je voudrais dire que le Gouvernement n’impose rien. Il ne cherche pas à vous priver du débat ni de votre droit d’amendement, que vous exercerez très librement ce soir.

Je veux surtout souligner que le dialogue social a bien eu lieu. Ce n’est pas parce qu’un consensus ne s’est pas dégagé que la concertation ne s’est pas déroulée. J’ai en effet passé de longues heures avec l’ensemble des organisations syndicales (M. Gaston Flosse fait un signe de dénégation.) à discuter de la mise en œuvre de ce dispositif dans les territoires. Contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, je n’ai pas le sentiment qu’en réalisant vingt et un déplacements en neuf mois, en passant quarante-deux nuits dans les avions et en parcourant plus de 350 000 kilomètres, j’ai fait du tourisme. J’ai fait mon métier, celui qui consiste à être proche des territoires.

Je le répète, j’ai rencontré toutes les organisations syndicales. La CFDT, qui est un grand syndicat et l’un des premiers dans le Pacifique, a approuvé cette réforme et annoncé qu’elle l’accompagnera. Tel n’aurait pas été le cas si aucune concertation n’avait eu lieu. Ce n’est pas parce qu’un certain nombre de syndicats ne sont pas d’accord avec ce dispositif qu’il n’y a pas eu de discussions préalables.

Voilà donc une disposition qui était attendue : elle est juste, parce qu’elle évolue dans le temps ; elle prend en compte les réalités très différentes des territoires ; elle apporte une garantie forte aux fonctionnaires, celle que l’ITR sera transformée en retraite complémentaire pour l’outre-mer.

Ce système juste répond aux attentes et aux nombreux rapports des parlementaires, qui, depuis dix-huit ans, demandent cette réforme. Ce sera l’honneur de cette majorité de l’avoir accomplie dans des conditions aussi souples et négociées que celles que vous propose le Gouvernement aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)