PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.

M. Joseph Kergueris. Sans être impertinent, monsieur le ministre, et au risque de répéter ce qu’a dit notre collègue Jean-Pierre Chevènement, je pense que, en nous proposant de nous prononcer sur les crédits de la mission « Défense », vous nous conviez à un exercice un peu paradoxal. Voilà en effet le Sénat invité à voter la première année de mise en œuvre d’une loi de programmation militaire qui n’a pas encore été soumise à son approbation !

Considérant que ce projet de loi s’inspirera du Livre blanc de la défense et de nos débats du 26 juin dernier, il reste possible d’examiner le projet de budget que vous nous soumettez. Toutefois, nous vous saurons gré de bien vouloir déposer rapidement le projet de loi de programmation afin de nous sortir de cet embarras.

En attendant, je limiterai mon propos à quelques observations générales concernant les grandes lignes du projet de budget.

Il y a tout juste cinquante ans, en décidant d’instaurer une force nucléaire qui n’est plus vraiment contestée, le général de Gaulle a donné à notre pays une garantie ultime contre l’agression majeure d’un État étranger, sans doute, pense-t-on, peu imaginable de nos jours, mais toujours possible.

Aujourd’hui, la France demeure une puissance nucléaire. Il ne faut pas renoncer à ce choix. Quelles qu’en soient les modalités, c’est encore une priorité. Les crédits de la mission ne remettent pas en cause cette option, et c’est un élément tout à fait positif.

Pour ce qui concerne nos forces aériennes, le Gouvernement n’a pas perdu de vue leur indispensable modernisation. Nous maintenons en vol 300 avions de combat permettant la mise en ligne de 270 appareils, sans parler des systèmes de détection et de contrôle de type Awacs ou de notre flotte de ravitaillement et de transport.

Cependant, pour 2009, nous ne passerons commande que de 286 Rafale alors que le programme en prévoyait 294. C’est sans doute regrettable, car nous devons demeurer attentifs à l’évolution de notre armée de l’air. Elle reste une arme majeure des guerres modernes.

Permettez à l’élu breton que je suis d’en venir à notre marine. Ces jours derniers m’a été rappelée fort à propos cette phrase du cardinal de Richelieu : « Les larmes des souverains sont remplies des souvenirs de la marine oubliée. » À mon tour, je forme le vœu que la nôtre ne le soit pas.

Pourtant, avec quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et six sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire, nous avons atteint une limite en deçà de laquelle nous ne pouvons pas descendre, sauf à mettre en jeu notre crédibilité. Il est donc souhaitable de revenir à un schéma de six sous-marins lanceurs d’engins, conformément au triptyque missions, réserves et réparation.

Monsieur le ministre, nous ne pouvons nous contenter d’un seul groupement aéronaval. Un Charles-de-Gaulle, si illustre soit-il, ne peut à lui seul remplacer un Foch et un Clemenceau(Sourires.) Nous ne pouvons avoir, dix-huit mois durant, un porte-avions en cale sèche pour révision.

Puis-je vous dire que, selon des modalités à déterminer, et je sais que l’exercice est difficile, les chantiers navals bretons sont impatients de voir la France se doter d’un second porte-avions ?

Devrais-je ajouter que votre projet de budget revoit à la baisse le nombre de nos frégates multi-missions, qui passent de dix-huit à onze, ce qui est regrettable ?

Certes, même si nous, Bretons, avons le pied marin, nous avons aussi l’obligation de garder les pieds sur terre. (Sourires.) C’est pourquoi je dois reconnaître, monsieur le ministre, que vous avez engagé une indispensable modernisation de notre armée terrestre.

Nous devons nous protéger avec une force professionnelle, équipée, mobile et capable de s’engager fortement et avec efficacité.

Ne négligeons pas pour autant ce qui fait la richesse de notre armée, à savoir sa diversité. Je me souviens du débat qui a eu lieu sur la force alpine ; celle-ci a besoin d’être partie prenante à la modernisation. Nous voyons en Afghanistan à quel point la guerre de montagne demeure une réalité. À mon sens, l’entraînement à la guerre alpine constitue un élément important pour un corps expéditionnaire projetable.

Ne négligeons pas non plus l’éventualité d’un conflit conventionnel de type classique, toujours possible en Europe, comme nous l’avons vu l’été dernier avec le conflit en Géorgie. Le char Leclerc demeure un fleuron de notre arme blindée, une réussite de notre industrie d’armement. Nous devons veiller à son maintien en capacité dans notre armée de terre.

Cependant, monsieur le ministre, laissez-moi vous dire que l’objectif louable de rééquilibrage de nos finances publiques ne peut se faire de façon excessive au détriment de notre effort de défense.

Hors pensions et gendarmerie, nous ne dépensons que 1,65 % de notre PIB à la défense, contre 2,33 % pour le Royaume-Uni, même si notre effort en dépenses d’équipement est comparable.

Nous devons nous rappeler que la France demeure une puissance continentale en Europe ; cela lui crée de réelles obligations en matière de défense.

Certes, des économies sont nécessaires. Essayons de les réaliser, comme vous avez commencé à le faire, en mutualisant les services et les dépenses d’administration. Cependant, continuons à être attentifs à la situation des personnels, c’est-à-dire à celles et ceux qui donnent de leur temps, toujours, et leur vie, parfois, à la mise en œuvre de la mission « Défense » dont nous débattons aujourd’hui.

Respectons, honorons leur choix : accompagnons humainement ces femmes et ces hommes dans l’exercice de leur métier, et dans leur parcours en cas de retour prématuré à la vie civile, compte tenu de l’évolution des effectifs.

Pour conclure, monsieur le ministre, dans les contraintes financières actuelles, vos propositions budgétaires sont en deçà de ce que pouvait nous laisser espérer le Livre blanc, singulièrement en matière d’équipement des forces. Nous en prenons acte, mais nous le déplorons. Nous veillerons, avec vous j’en suis sûr, à ce que les programmes engagés soient effectivement exécutés.

Sous le bénéfice de ces observations, monsieur le ministre, notre groupe soutiendra le budget de la défense. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le budget de la défense qui nous est soumis pour 2009 est un budget ambigu, qui suscite de notre part quelques interrogations et de fortes oppositions.

D’un strict point de vue de technique budgétaire, on pourrait dire, comme vous l’affirmez, monsieur le ministre, que c’est un bon budget.

M. Hervé Morin, ministre. C’est sûr !

Mme Michelle Demessine. En effet, dans un environnement contraint, vous prévoyez de réaliser des économies et d’obtenir ainsi des marges de manœuvre qui vous permettraient de mieux équiper nos forces et d’améliorer la condition des personnels.

Toutefois, en y regardant de plus près et, de façon plus réaliste, en resituant les choses dans leur contexte, cette logique, qui a l’apparence de l’évidence, est tout à fait contestable. Il apparaît ainsi clairement que votre budget repose sur des hypothèses incertaines et, surtout, qu’il traduit une politique à laquelle nous nous opposons dans ses principales orientations.

Votre budget est également ambigu car on comprend mal sa place dans la chronologie budgétaire qui structure la défense nationale. Un grand nombre des mesures que nous examinons aujourd’hui sont directement issues de la révision générale des politiques publiques, mais elles sont surtout issues de la mise en place des orientations stratégiques et capacitaires du Livre blanc par la prochaine loi de programmation militaire dont nous n’avons pas encore discuté.

Avec 47,8 milliards d’euros d’autorisations d’engagement, 37,4 milliards d’euros de crédits de paiement et 5,4 % d’augmentation des ressources totales, hors pensions, la mission « Défense » est l’un des premiers budgets du Gouvernement. En matière d’équipement des forces, avec 10 % d’augmentation, c’est aussi le premier budget d’investissement de l’État.

Cependant, on ne peut qu’être sceptique sur les possibilités réelles d’application de ce budget, dans la mesure où il a été élaboré avant que la crise financière mondiale bouleverse toutes les données.

Certes, vous avez défini des objectifs d’équipement plus réalistes, conformément au nouveau modèle d’équipement issu du Livre blanc, et vous avez revu à la baisse les contrats opérationnels de nos armées.

Mais vous faites surtout le pari de financer les équipements nouveaux par la réduction draconienne des dépenses de fonctionnement qui résultera de la suppression de 54 000 postes d’ici à 2015, dont 8 390 pour la seule année 2009.

Avec cette saignée, vous escomptez faire 2,7 milliards d’euros d’économies, auxquels s’ajouterait un milliard d’euros provenant de la restructuration de nos implantations.

C’est dire à quel prix seront, dans un premier temps, réalisées ces économies : des territoires sinistrés par la suppression ou le départ de certaines unités, des emplois supprimés sur ces territoires et, sur le plan industriel, des programmes annulés ou étalés, comme le second porte-avions, les véhicules blindés de combat d’infanterie, les hélicoptères Tigre ou bien encore les frégates multi-missions.

Vous le savez parfaitement, monsieur le ministre, la restructuration de la carte de nos implantations induit d’abord des coûts importants en dépenses d’infrastructures et en accompagnement social et territorial. Je crains donc que les économies espérées ne se traduisent l’année prochaine par des surcoûts.

En tout état de cause, toutes les économies qui sont attendues de la réorganisation et de la réforme de votre ministère auront automatiquement des incidences, souvent négatives, à tous les niveaux : sur le volume et la structure des forces, sur les équipements et la situation des personnels, tant civils que militaires, sur le soutien, ou encore sur le maintien en condition opérationnelle.

C’est la raison pour laquelle nous serons particulièrement vigilants, au cours de l’exécution de ce budget, sur les économies que vous nous annoncez et nous vérifierons qu’elles sont bien là et qu’elles sont totalement réinvesties dans les équipements, comme vous vous y êtes engagé à la suite des promesses du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Nous serons également vigilants sur les mesures d’accompagnement des territoires et d’accompagnement social et nous vérifierons qu’elles correspondent réellement aux besoins et aux promesses annoncées.

Je comprends la grande inquiétude des personnels civils, particulièrement touchés par la restructuration des implantations. Leur reclassement est beaucoup plus difficile que pour les militaires. Une priorité de maintien sur les sites, auprès des armées ou dans la fonction publique territoriale, doit vraiment leur être garantie.

Les ressources exceptionnelles extrabudgétaires me semblent également aléatoires et incertaines. Il est, en effet, aventureux de prétendre résorber la « bosse » budgétaire engagée par votre prédécesseur sur des programmes non financés en faisant reposer son financement sur des cessions d’actifs calculées avant la crise du marché immobilier !

Il en va de même de la cession des fréquences électromagnétiques à des opérateurs de téléphonie mobile. Je souhaite que l’on ne brade pas ces fréquences et que cette opération ne se transforme pas ainsi en aubaine pour des groupes avides de rentabiliser immédiatement leurs investissements.

Au-delà de l’aspect technique de l’utilisation de vos crédits, monsieur le ministre, nos critiques portent sur la politique que vous mettez en œuvre à travers ce budget. Parmi les aspects que nous critiquons particulièrement se trouve la trop grande place accordée à la dissuasion nucléaire. Nous admettons qu’il est nécessaire d’assurer le niveau de crédibilité de notre système de dissuasion, mais nous pensons que votre politique, en ce domaine, n’est pas conforme au principe de stricte suffisance.

Vous ne vous contentez pas de moderniser nos armements nucléaires : à l’instar de vos prédécesseurs, vous continuez à les développer.

Ainsi, les crédits destinés à la dissuasion représentent 23 % des crédits d’équipement de nos forces et progressent fortement en raison de la conclusion de plusieurs contrats résultant de décisions prises au cours des années antérieures.

C’est pourquoi nous restons opposés à la construction d’un quatrième sous-marin nucléaire lance-engins, ainsi qu’aux missiles M51 qui l’équiperont en 2010.

Sur le fond, nous pensons que, dans les conditions actuelles, la dissuasion nucléaire n’est plus la clef de voûte de notre sécurité et que les armes nucléaires ne sont plus adaptées aux menaces du monde d’aujourd’hui. Elles sont, par exemple, inefficaces pour lutter contre les terroristes et les États qui les protègent.

La politique de développement des armements nucléaires que vous menez est encore moins pertinente pour lutter contre la prolifération. Elle incite, au contraire, à la course aux armements, alors que celle-ci doit être combattue de façon multilatérale par la diplomatie, en prenant des initiatives fortes auprès des instances internationales de concertation que sont le Conseil de sécurité de l’ONU ou son organisme de contrôle, l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons fortement que la France fasse des propositions ambitieuses de désarmement lors de la prochaine conférence de révision du traité de non-prolifération nucléaire, prévue à New York en 2010.

Être vraiment crédible et efficace dans la lutte contre le terrorisme et la prolifération nucléaire nécessiterait, au contraire, d’augmenter beaucoup plus sensiblement que vous ne le faites les crédits affectés à la recherche et à l’espace militaire, pour développer nos capacités autonomes de renseignement et d’observation.

Pour assurer l’autre pilier de nos armées à côté de la dissuasion, le modèle issu du Livre blanc fait des forces projetables sur des théâtres d’opérations extérieures une priorité. Cela explique certainement que le coût des OPEX ait explosé en 2008, pour atteindre plus de 800 millions d’euros, alors que vous aviez initialement prévu 460 millions d’euros.

Nous apprécions que vous ayez obtenu une augmentation plus réaliste de la provision pour 2009 et, surtout, que le financement de ces opérations soit désormais assuré par une réserve interministérielle, qui mettra fin à un financement par le seul budget de la défense.

Cependant, face à cette inflation, il convient d’élargir la réflexion sur le sens et la légitimité de nos interventions, car elles risquent, comme en Afghanistan, de se transformer en actions de guerre contre un ennemi difficilement identifiable et de ne plus se limiter au maintien de la paix. C’était le sens de notre refus de voter le renforcement de notre contingent dans ce pays, parce que nous considérions que vous acceptiez sans aucune condition les demandes américaines qui changeaient la nature de cette opération.

Nous continuerons à refuser que notre pays participe à des interventions extérieures sans un mandat explicite de l’ONU. Sinon, ce sont des opérations qui portent atteinte aux valeurs de la Charte des Nations unies et au multilatéralisme qui est aujourd’hui, plus que jamais, une condition nécessaire pour régler les conflits.

Il devient donc urgent et impératif de déterminer si le coût de toutes nos interventions extérieures est en adéquation avec des priorités politiques définies en concertation avec la représentation nationale. Nous ne pensons pas qu’une telle adéquation existe. Aussi, nous vous demandons d’associer étroitement le Parlement à la réflexion que vous menez actuellement sur les redéploiements et la réduction de notre présence sur ces théâtres d’opération.

Concernant l’OTAN et l’Europe de la défense, l’affirmation du Président de la République, aux termes de laquelle un retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN est conditionné à des résultats tangibles dans la relance de l’Europe de la défense, nous paraît être un leurre pour masquer un alignement de fond sur la politique extérieure des États-Unis.

L’OTAN est en effet devenue une organisation sans doctrine, servant uniquement les intérêts stratégiques des Américains. C’est flagrant au vu de la politique d’élargissement effréné menée par cette organisation en direction des anciens pays du bloc soviétique, qui, vous le savez, est vécue par la Russie comme une véritable provocation.

On pourrait dire la même chose en ce qui concerne le projet de bouclier antimissile, qui est loin de faire consensus au sein des pays de l’Alliance atlantique.

Le bilan de la relance de l’Europe de la défense, qui était l’une des quatre priorités de la présidence française de l’Union, risque tout compte fait d’être bien mince à la fin du mois de décembre.

L’annonce de nombreux projets, faite à la suite de la réunion informelle des ministres européens de la défense à Deauville, cache mal l’absence de réels progrès politiques : ceux-ci ne seront pas possibles tant que vous n’aurez pas réussi à convaincre les Britanniques de l’utilité de la PESD, et d’autres pays de s’affranchir de l’OTAN pour assurer leur défense.

Dans le domaine des industries de l’armement, vos progrès sont d’une autre nature puisqu’ils visent essentiellement à préserver les intérêts financiers des grands groupes.

Le rôle de l’Agence européenne de défense, qui devrait impulser la coopération entre les industries de défense, restera malheureusement mineur. En revanche, vous poussez à une recomposition de ces industries sur une base essentiellement financière en favorisant les regroupements, les fusions et les prises de participation, ce qui aboutira à briser leur identité ainsi que leur cohérence industrielle et à abandonner notre maîtrise publique et nationale sur celles-ci. Nous en avons des exemples concrets et inquiétants avec ce que vous préparez dans le domaine de la construction navale avec DCNS, dans celui de l’armement terrestre avec Nexter, ou encore avec les combustibles fabriqués par la Société nationale des poudres et explosifs, la SNPE.

Ainsi, je suis tout particulièrement inquiète de l’avenir de DCNS. Certes, le plan de charge semble assuré pour plusieurs années. Mais n’oublions pas que, par exemple, les contrats de construction des sous-marins comportent plus de 80 % de transferts de technologie, ce qui aura à terme des répercussions sur l’emploi en France. De plus, lors du dernier comité d’entreprise, plusieurs scénarios d’étalement des programmes ont été présentés par la direction ; ils auront aussi des conséquences sur l’emploi. Enfin, et surtout, la privatisation de DCNS est clairement inscrite dans la prochaine loi de programmation militaire. La proposition de modifier son statut pour autoriser la création de filiales et permettre ainsi à l’État de ne plus être majoritaire est bien la preuve que vous avez abandonné toute volonté de souveraineté nationale sur nos industries d’armement. À cet égard, vous pouvez d’ores et déjà être assuré de notre ferme opposition à ces mesures lorsque nous examinerons la nouvelle loi de programmation militaire.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, puisqu’un budget est la traduction d’une politique, le groupe CRC-SPG s’opposera à la vôtre en votant contre les crédits de la mission « Défense » pour 2009.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, je voudrais réagir aux interventions de mes collègues, que j’ai écoutées avec beaucoup d’attention et d’intérêt. Je me concentrerai sur deux d’entre elles, celle de mon ami Jean-Pierre Chevènement et celle de Didier Boulaud, avant d’indiquer la conclusion que m’inspire notre débat.

Monsieur Chevènement, je vous le dis en toute amitié, je crois que l’on ne peut pas parler d’une « petite armée » destinée à faire des OPEX.  Lorsque, dans les années à venir, nos forces seront engagées, je pense qu’elles le seront nécessairement à l’extérieur de notre territoire : c’est l’« arc de crise », comme on dit maintenant, qui nous y contraindra.

Monsieur Boulaud, nous sommes présents en Afghanistan,…

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. …à la suite d’une intervention qui a été décidée conjointement, sous la cohabitation, par le Premier ministre de l’époque…

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. …et par le Président de la République, et que d’ailleurs les assemblées ont ratifiée récemment. Je ne voudrais pas, mon cher collègue, déformer votre propos en vous demandant s’il faut en déduire que, ce que vous nous demandez, c’est le retrait de nos troupes de l’Afghanistan ; au fond, cela aurait sa logique ! Mais, si elles y sont, c’est pour mener la mission qui leur a été confiée…

M. Jean-Louis Carrère. Elle a changé !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. …et qui est de se battre pour mettre en place un État afghan, pour créer des conditions qui, demain, nous permettront effectivement de nous retirer. La cause que nous défendons là-bas, c’est tout de même celle de la lutte contre le terrorisme, contre le totalitarisme et contre l’obscurantisme rétrograde, soit dit en passant.

Les opérations extérieures ont de l’importance pour nous, car, cela a été rappelé, elles sont la conséquence de notre responsabilité en tant que membre du Conseil de sécurité. Et je crains bien, cher Jean-Pierre Chevènement, que nous n’en ayons encore un certain nombre à mener, parce que le monde dans lequel nous vivons nous y contraindra !

Reste à savoir s’il faut les mener partout et, sur ce point, je vous suis : que ce soit en Côte d’Ivoire ou au Kosovo, j’espère que nous pourrons réduire la voilure le plus vite possible. Pour autant, vous ne savez pas, ni moi non plus, si nous ne serons pas amenés, compte tenu de l’instabilité qui existe en Afrique, à intervenir de nouveau dans ces contrées pour y maintenir la paix. En tout cas, la mission que nous menons au Tchad est nécessaire, je le crois, pour éviter des affrontements beaucoup plus graves.

S’agissant de l’armée de conscription, j’ai vécu la même expérience que vous, mon cher collègue : vous et moi avons fait un service militaire, même si ce n’était pas exactement dans les mêmes conditions. Je n’ai pas gardé de la conscription l’idée qu’elle puisse, aujourd’hui, être compatible avec l’armée. En effet, l’armée de 2008 est une armée de spécialistes, une armée qui requiert l’utilisation d’armes extrêmement sophistiquées. Je ne crois pas que la conscription soit en mesure d’y répondre.

Au demeurant, mon cher collègue, vous avez participé à un gouvernement : lorsque a été décidée l’expédition en Irak, il n’a pas été question d’y envoyer des conscrits. Il me semble qu’aucun chef de l’État, aujourd’hui, ne pourrait envoyer en opération extérieure des hommes issus de la conscription.

Monsieur Boulaud, vous avez évoqué un « héritage calamiteux ». Cher collègue, je n’aime pas beaucoup la polémique en matière de défense nationale. La défense nationale, c’est notre bien commun, c’est notre sécurité, et je souhaiterais que nous puissions, d’une certaine manière, avoir un consensus le plus large possible et le plus durable possible. Vous m’obligez malheureusement, quand vous mentionnez l’héritage calamiteux du quinquennat précédent,…

M. Hervé Morin, ministre. Parlons du leur !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. …à vous rappeler que, s’il y a eu un moment calamiteux,…

M. Jean-Louis Carrère. …À cause du Front populaire !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. …c’était bien sous le gouvernement de M. Jospin !

M. Alain Gournac. Voilà la vérité !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Et cet inventaire, je vous le promets, sera fait lors de l’examen de la loi de programmation militaire.

M. Alain Gournac. Nous le ferons !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Nous nous livrerons à cet exercice, et nous analyserons comment ont été exécutées les lois de programmation précédentes.

Si, aujourd’hui, la « bosse » est assez considérable, c’est que durant cinq ou six années les budgets de la défense ont été laminés et les programmes reportés, si bien que la loi de programmation militaire n’a pu être exécutée dans le respect des ambitions qui avaient été fixées. Les retards que nous avons alors accumulés atteignent tout de même près de 8 milliards d’euros !

Mon cher collègue, il faut être extrêmement prudent quand on dresse des réquisitoires et être sûr que l’on n’a absolument rien à se reprocher. Ce gouvernement-là, mon cher ami, vous l’avez soutenu de vos votes, comme j’ai soutenu de mes votes les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin. Et si, aujourd’hui, le retard est loin d’être comblé, vous me concéderez que ces deux gouvernements ont consenti un effort considérable pour œuvrer en ce sens.

J’aurais également aimé que l’on rappelle ce que le ministre de la défense a obtenu, et qui n’est pas négligeable : toutes les économies qui seront réalisées par son ministère dans le cadre de la RGPP seront consacrées à l’exécution du budget de la défense. Aucun de ses prédécesseurs n’avait obtenu de résultat de cette nature !

J’espère, monsieur le ministre, que ces ressources exceptionnelles vous permettront de réaliser les programmes d’équipement, puisque c’est à cela qu’elles sont affectées – encore une innovation ! Nous savons néanmoins que la conjoncture est incertaine et qu’il n’est pas exclu que cela ne se réalise pas. Je souhaite de tout mon cœur que ce sera possible.

L’objectivité me conduit à dire que le budget que vous nous présentez est un budget lucide, un budget courageux. C’est pourquoi, pour ma part, je souhaite que nous le votions. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, il apparaît que, si nous poursuivions maintenant l’examen des crédits de la mission « Défense » – le ministre n’y serait pas hostile –, le vote pourrait intervenir aux environs de vingt et une heures quarante-cinq. S’il n’y a pas d’opposition, nous procéderons ainsi. Dans le cas contraire, bien sûr, je suspendrai la séance.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Dans ces conditions, je donne la parole à M. le ministre.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de finances pour 2009 s’inscrit dans un contexte rendu difficile par la crise financière internationale et ses conséquences économiques, et certains observateurs expriment des doutes sur l’adéquation du projet de budget de la défense pour 2009 à cette nouvelle situation économique.

Je voudrais tout d’abord indiquer au Sénat que la mission « Défense » dont il examine aujourd’hui les crédits est une mission qui participe à la relance de l’activité économique et que je vois plutôt dans ce projet de budget la confirmation des choix que nous avons faits en faveur de l’équipement, au prix d’un immense effort sur le fonctionnement. M. de Rohan l’a rappelé, nous avons obtenu un résultat exceptionnel – je crois pouvoir affirmer que cela ne s’était encore jamais produit dans l’histoire de la Ve République – puisque les économies que nous effectuons sur le fonctionnement sont réaffectées en totalité à l’investissement ou à l’amélioration de la condition du personnel.

L’impact de la mission « Défense » est important. En effet, l’industrie de défense représente 165 000 emplois directs et au moins autant d’emplois indirects, et un chiffre d’affaires de 15 milliards à 16 milliards d’euros. Ses sites de production sont implantés sur le territoire français, ce qui signifie que l’intégralité de la dépense publique va soutenir l’économie nationale. La défense dépense également environ 1,2 milliard d’euros par an pour les infrastructures, ce qui irrigue, sur tout le territoire, les grands groupes du BTP, certes, mais aussi des PME.

L’investissement de défense est donc une composante déterminante de l’investissement public dont le dynamisme doit permettre, en 2009, d’atténuer les effets de la crise. Ces flux profitent à de grands donneurs d’ordre, mais aussi à un tissu très important de petites et moyennes entreprises, directement ou au titre de la sous-traitance ; ils irriguent d’autres secteurs que l’armement, ne serait-ce que par le biais des crédits de recherche duale : on sait bien qu’une grande partie des crédits de recherche consacrés aux sujets relevant de la défense ont aussi des conséquences sur les programmes civils. Je l’affirme devant le Sénat, la défense est en mesure de participer au plan de relance que le Président de la République et le Gouvernement annonceront très prochainement.

Avant d’aborder le projet de budget lui-même, je rappellerai le contexte et les étapes de l’élaboration du budget triennal, ce qui me donnera l’occasion de répondre à certaines observations.

Le Livre blanc a marqué la première de ces étapes. En définissant les missions, les formats et les contrats opérationnels des armées, il a reconfiguré nos besoins et les a hiérarchisés pour une période de douze à quinze ans. Vous affirmez, monsieur Chevènement, que nous sommes en train de mettre sur pied « une petite armée de projection », pour reprendre vos termes. Pourtant, et le Président de la République lui-même l’a souligné, le contrat opérationnel précédent était virtuel ! Celui qui a été fixé dans le Livre blanc, au contraire, permet à la France de rester une grande puissance militaire : une capacité de projection de l’armée de terre de 30 000 hommes sur un théâtre majeur, 5 000 hommes sur un théâtre secondaire, 70 avions de combat sur le long terme sur un théâtre extérieur, un groupe aéronaval, un groupe amphibie…

Jamais depuis 1945 – c’est un fait historique – la France n’a déployé 30 000 hommes sur un théâtre d’opération extérieur.