Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la discussion d’aujourd’hui porte en fait sur la proposition de loi déposée par M. Carle, M. Yves Détraigne et plusieurs de leurs collègues.

Je vous le dis d’emblée, le Gouvernement se félicite de cette initiative et la soutient totalement, car le texte que nous examinons est clair, éloigné des débats idéologiques et des pétitions de principe.

Cette proposition de loi vise avant tout à apporter des solutions concrètes, respectueuses de l’équité et susceptibles de répondre au besoin de sécurité de l’ensemble des acteurs de terrain, qu’il s’agisse des maires ou des établissements scolaires. De fait, elle est porteuse de clarté, ce qui est le propre d’un bon texte.

Je le rappelle, l’article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales visait à corriger une disparité de traitement entre le public et le privé concernant le financement, par les communes de résidence, des élèves scolarisés à l’extérieur du territoire de la commune. Ce dispositif partait d’une intention louable et d’une intuition juste. Pour autant, chacun en conviendra avec moi, sa mise en œuvre a rencontré des difficultés liées à des divergences d’interprétation.

Finalement, un compromis a pu être trouvé. Il a été acté dans l’accord de 2006 entre le secrétaire général de l’enseignement catholique, l’Association des maires de France et le ministère de l’intérieur. Ce compromis éclaire d’ailleurs l’interprétation de la loi, laquelle s’inscrivait tout naturellement dans la logique du respect de la parité entre public et privé, telle que la loi Debré l’avait clairement posée dès 1959 et qui n’a jamais été remis en cause.

M. Xavier Darcos, ministre. C’est ce compromis qui a été repris dans la circulaire de septembre 2007.

Pour apaiser définitivement les craintes, Jean-Claude Carle nous propose d’ancrer les principes de ce compromis et de la circulaire dans la loi. On ne peut que s’en féliciter, car il n’est pas souhaitable que les difficultés d’application rencontrées par les maires soient tranchées par le juge, alors même que des solutions ont été envisagées et négociées.

Il est heureux que ce soit précisément le compromis de 2006 qui ait inspiré les auteurs de cette proposition de loi : il s’appuie sur les réalités auxquelles sont confrontés les acteurs de terrain.

Car quel était véritablement le problème posé sinon avant tout celui de l’application du droit à l’enseignement privé ?

Nous ne saurions l’oublier, la loi Debré prévoit que les classes de l’enseignement sous contrat sont financées dans les mêmes conditions que celles du public. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur ce principe incontestable que le Sénat avait adopté l’article 89. Pourtant, il n’a pas permis de résoudre le problème du financement de la scolarisation des élèves non résidents, car, à l’usage, cet article n’est pas apparu assez précis ni suffisamment en phase avec les règles applicables au public.

C’est donc le grand mérite de cette proposition de loi que de répondre à cette double difficulté.

Le texte qui vous est soumis réaffirme que la commune de résidence sera obligée de financer la scolarisation d’un élève dans le privé à l’extérieur de son territoire uniquement dans les cas qui sont prévus par la loi pour la scolarisation dans les écoles publiques.

En revanche, je tiens à le souligner, après Henri de Raincourt, ni les dépenses d’investissement dans l’école ni les amortissements, comptables ou financiers, ne figurent dans le calcul du forfait. M. Carle m’ayant posé la question tout à l’heure, je le lui confirme ici.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ainsi, c’est clair !

M. Xavier Darcos, ministre. La commune de résidence participera obligatoirement à cette dépense si elle ne dispose pas de capacités d’accueil sur son territoire ou si l’élève est scolarisé à l’extérieur de la commune pour des motifs contraignants liés aux obligations professionnelles des parents, à l’inscription d’un frère ou d’une sœur dans un établissement scolaire de la même commune ou à des raisons médicales.

Cette proposition de loi répond donc pleinement aux préoccupations des maires soucieux de préserver le réseau des écoles publiques, notamment en milieu rural. Elle apporte un élément de sécurité aux communes, qui connaîtront dorénavant clairement les cas dans lesquels elles devront payer pour leurs enfants scolarisés dans une école privée en dehors de leur territoire.

En établissant les mêmes obligations que pour le public, les auteurs de la proposition de loi ont voulu exprimer clairement que le texte obéissait strictement au respect des règles de parité.

Pour les établissements privés, si le périmètre peut paraître réduit, le texte apporte également une garantie dans la mesure où le champ d’application sera désormais clairement délimité et ne souffrira pas de contestation.

Enfin, le texte est porteur d’une méthode qui facilitera l’application de la loi sur le terrain, puisque le préfet pourra être saisi en cas de différend entre une commune et une école privée. Il disposera de trois mois pour faire connaître sa position avant tout recours contentieux, lequel ne saurait intervenir que comme ultime solution. Le préfet pourra également prendre des avis et mettre ce délai à profit pour rapprocher les points de vue.

Tout est donc fait pour éviter les contentieux et le recours tant dans la précision des termes de la proposition de loi que dans la mise en place d’une procédure de règlement à l’amiable sous l’autorité du préfet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincu que cette proposition de loi permettra de régler définitivement les questions épineuses qu’a soulevées de manière répétée l’application de l’article 89. Je suis certain que, dans un esprit républicain, vous serez nombreux à lui apporter votre voix. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est un fondement de la République. Ce principe a constamment guidé l’organisation du service public de l’éducation.

En 1984, sous l’impulsion d’Alain Savary, le gouvernement de Pierre Mauroy avait souhaité mettre en œuvre un « grand service unifié et laïque d’éducation nationale » ; l’opinion publique n’était, hélas ! pas prête à l’accepter.

M. Jean-Luc Mélenchon. Les réacs seulement !

M. Yannick Bodin. En 2004, l’égalité entre les établissements publics d’enseignement et les établissements privés d’enseignement sous contrat d’association était rompue par l’adoption du fameux article 89 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, remettant en cause, par là même, l’application du principe de laïcité dans l’organisation de l’enseignement scolaire en France.

Cet article a mis en place une participation forfaitaire des communes de résidence aux dépenses de fonctionnement liées à la scolarisation des enfants dans les écoles élémentaires privées sous contrat d’association installées dans d’autres communes, sans même qu’il soit tenu compte des cas d’obligation et d’exonération de participation de la commune de résidence prévus par les alinéas 4 et suivants de l’article L. 212-8 du code de l’éducation. Est ainsi devenue obligatoire une ancienne « possibilité » de contribution au financement des écoles privées, hors du territoire de la commune, précédemment fixée par voie conventionnelle.

L’application de l’article 89 est lourde de conséquences, notamment dans les petites communes rurales où les élus se voyaient contraints de financer l’école privée d’une autre commune, parfois au détriment du maintien de leur école publique ou d’une classe dans leur propre commune.

Cet article pose également des problèmes d’équité entre les établissements publics et les établissements privés sous contrat. En 2004, l’enseignement privé n’accueillait que 17 % des élèves, mais disposait déjà de 20 % des postes d’enseignant. Le déséquilibre en faveur de l’enseignement privé a été accentué par l’octroi de cette aide supplémentaire aux dépenses de fonctionnement des établissements privés.

En outre, l’application de l’article 89 a engendré de lourdes difficultés financières pour les collectivités locales concernées.

Le dispositif s’appliquait potentiellement, pour l’ensemble des communes, à environ 120 000 élèves. Le forfait annuel s’élevant à 400 euros ou 500 euros en moyenne par élève, le coût annuel de la mise en œuvre du dispositif de l’article 89 a été évalué par l’Association des maires de France à 60 millions d’euros. Les petites communes, déjà exsangues, sont celles qui ont subi le plus lourdement l’augmentation des charges.

Sur le terrain, de nombreux élus se sont émus du profond déséquilibre créé par l’application aléatoire de ce dispositif. Le vote de cet article par le Parlement a en effet immédiatement suscité l’émoi dans de nombreuses communes, tous bords politiques confondus.

L’inégalité en faveur de l’enseignement privé sous contrat instaurée par ce texte a eu de graves conséquences dans la vie quotidienne des communes. C’est ainsi que des contentieux ont surgi entre des communes et des établissements privés, entre des communes et des préfets. L’Union des maires de Seine-et-Marne – son président, M. Houel, ici présent et que je salue, ne m’en voudra pas de le rappeler – appelle même unanimement, à chacun de ses congrès annuels depuis 2004, les communes du département à refuser de payer pour les établissements privés.

Les organisations syndicales, opposées à ce texte, ont déposé un recours devant le Conseil d’État contre la circulaire n° 2005-206 du 2 décembre 2005 prise en application de l’article 89 de la loi du 13 août 2004. Cette circulaire a été annulée en 2007. Cependant, aucun sujet de fond n’a été examiné par le Conseil d’État, la circulaire ayant été annulée pour vice de forme. La nouvelle circulaire adoptée en août 2007 a de nouveau fait l’objet d’un recours devant cette instance.

Bref, pour reprendre la formule de M. Carle, ce « feuilleton » médiatico-judiciaire aurait pu continuer longtemps. Une nouvelle loi était donc nécessaire pour clarifier et apaiser la situation.

Ce constat avait d’ailleurs conduit l’an dernier, souvenez-vous, mes chers collègues, les sénateurs socialistes à déposer une proposition de loi tendant à abroger purement et simplement l’article 89, dont le premier signataire était Jean-Marc Todeschini. La question centrale motivant le dépôt de ce texte était la suivante : pourquoi accorder à l’enseignement privé des droits nouveaux, lesquels droits sont soumis à des conditions restrictives lorsqu’ils s’appliquent à des établissements publics ?

L’égalité entre l’enseignement public et l’enseignement privé étant rompue, la braise qui couvait sous le foyer de la guerre scolaire risquait de s’enflammer à nouveau. Et chacun le sait, surtout en la matière, il ne faut pas jouer avec le feu !

M’exprimant en séance, en février 2008, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de mon groupe, j’ai moi-même, face à l’hostilité de la majorité sénatoriale envers cette proposition d’abrogation –  pardonnez-moi ce rappel, mes chers collègues –, appelé à un texte de compromis – c’est le mot que j’avais utilisé – afin de mettre un terme à une situation devenue ingérable pour tous. Ce compromis devait être fondé sur une égalité de traitement entre les droits et les devoirs, entre les écoles privées sous contrat et les écoles publiques.

Notre proposition de loi a malheureusement été rejetée par la majorité du Sénat, même si un certain nombre de nos collègues s’étaient abstenus. En tout cas, une année supplémentaire s’est écoulée, maintenant les élus locaux dans le désarroi et la plus grande incertitude.

Le statu quo n’était assurément pas viable. Il était une source de conflits permanents et entretenait des débats aussi itératifs qu’inutiles. Remettre à plat cette législation était devenu une nécessité absolue. Il était donc du devoir du Gouvernement de faire en sorte que les communes soient rassurées et que la paix scolaire soit maintenue. Heureusement, que le Parlement est là pour prendre cette initiative !

Ce texte, d’origine parlementaire donc, est le résultat d’un compromis. En supprimant l’article 89, il rétablit une égalité entre les établissements publics et les établissements privés sous contrat en utilisant les mêmes critères que ceux qui sont posés par l’article L. 212-8 du code de l’éducation, c'est-à-dire l’article qui organise la participation financière de la commune de résidence pour le financement des établissements publics.

Le financement par la commune de résidence de la scolarisation de l’enfant d’un établissement élémentaire ou primaire, qu’il soit public ou privé sous contrat, ne sera donc obligatoire que dans quatre cas : s’il n’y a pas de capacité d’accueil dans la commune, s’il existe une obligation professionnelle des parents justifiant la scolarisation hors de la commune, si des raisons médicales l’imposent ou si un frère ou une sœur sont déjà scolarisés dans cette autre commune.

L’égalité des possibilités de financement et des obligations pour les établissements privés et publics est donc rétablie.

Je me permettrai cependant d’émettre quelques réserves.

Je pense en effet que ce texte sera source de difficultés sérieuses pour les communes qui n’ont pas d’école publique sur leur territoire,…

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et cela ne va pas s’arranger !

M. Yannick Bodin. …comme il en existe par exemple dans l’ouest de la France, et qui seront dans une position difficile. Je suggère que l’on réfléchisse à des dispositions ad hoc, monsieur le ministre, afin de leur éviter d’être pénalisées.

Notre objectif, vous l’avez bien compris, n’est pas de rouvrir la guerre scolaire dans les collectivités locales.

Les plus grandes organisations intéressées par ces questions se sont déclarées plutôt favorables à ce texte. Le Comité national d’action laïque « note avec satisfaction » que la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui reprend sa propre analyse de l’article 89, même s’il indique que ce texte ne peut le « satisfaire entièrement ».

Lors du quatre-vingt-onzième congrès des maires de France, au mois de novembre dernier, l’Association des maires de France a exprimé le souhait « que soit rapidement adoptée la proposition de loi qui vise à garantir la parité pour la scolarisation des enfants en dehors de leur commune de résidence ». L’AMF s’est très fortement investie dans ce débat sur l’article 89, multipliant les demandes de clarification en direction du ministère de l’intérieur, et n’hésitant pas à porter devant le Conseil d’État les premières circulaires détaillant cet article.

Sa volonté d’arriver à un accord acceptable pour tous lui a valu d’être l’un des inspirateurs du texte qui nous est présenté aujourd’hui. Nous ne sommes pas insensibles à la recherche de compromis qui a été réalisée. C’est pourquoi nous donnons aujourd’hui notre accord à cette proposition de loi, afin de lever toutes les difficultés rencontrées par de très nombreuses communes en France et de préserver ainsi la paix scolaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne peux que me réjouir de voir cette proposition de loi venir en discussion devant notre assemblée et bientôt, je l’espère, devant l’Assemblée nationale. J’en suis certes cosignataire, mais, surtout, je suis convaincu que l’adoption de cette proposition de loi va enfin régler un problème pendant depuis plusieurs années, sur lequel j’avais appelé l’attention des autorités compétentes par une question écrite dès le mois de février 2005.

J’ai ensuite « récidivé » avec un amendement, soutenu par l’Association des maires de France, que j’avais défendu lors de la discussion de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005, mais qui n’avait pas abouti. Je suis également intervenu plusieurs fois en séance publique sur différents textes concernant les collectivités locales ; j’ai été reçu par le ministre de l’éducation nationale de l’époque, M. Gilles de Robien, sur ce sujet en janvier 2006, avant finalement de déposer une première proposition de loi, en mars 2006, puis une autre, en octobre 2008, qui a été en quelque sorte fusionnée avec celle que nous examinons aujourd’hui.

Je tiens donc à saluer notre rapporteur, Jean-Claude Carle, qui nous propose aujourd'hui de mettre un terme à cette course d’obstacles, à la suite notamment de la décision du tribunal administratif de Dijon. Au mois de février 2008, ce tribunal a en effet annulé la délibération d’un conseil municipal qui refusait de prendre en charge les frais de scolarité exposés par les enfants inscrits dans une école privée située sur une autre commune. (M. Michel Charasse s’exclame.)

Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement observait que, telle qu’elle résultait des modifications législatives successives, l’obligation de prise en charge des frais de scolarisation s’imposait de manière plus contraignante lorsque les enfants étaient scolarisés dans le privé plutôt que dans le public.

Ce faisant, notre collègue Jean-Claude Carle confirme l’engagement qu’il avait pris ici même, le 6 février dernier, lors de la discussion de la proposition de loi socialiste tendant à abroger l’article 89, selon lequel mes propositions seraient examinées par le Sénat si le juge administratif confirmait la lecture que je faisais dudit article.

La proposition de loi de M. Jean-Claude Carle que nous examinons aujourd’hui est donc en quelque sorte en partie la mienne, d’autant plus qu’il m’a invité à la cosigner, et je l’en remercie.

Que l’on me comprenne bien, il n’a jamais été question, pour moi, de « rallumer » avec ce texte la guerre scolaire. Je souhaite simplement que le législateur prenne ses responsabilités et aboutisse enfin à un texte équilibré, à une véritable parité dans le financement des écoles publiques et privées.

Je n’ai cessé de le rappeler, il n’est pas normal que les communes assument, dans le même temps, les frais de fonctionnement d’une école communale en partie inoccupée parce que désertée pour des écoles situées ailleurs et les frais de scolarisation de ceux des enfants que leurs parents ont souhaité inscrire dans une école située sur le territoire d’une autre commune, alors même que leur commune de résidence leur offrait la possibilité de les scolariser.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est le cœur du scandale !

M. Yves Détraigne. La presse s’est fait l’écho, ces derniers jours, de l’inquiétude des parents dont les enfants sont scolarisés dans le privé, mais je ne pense pas que ce texte constitue un retour en arrière pour eux. Au contraire, dans de nombreux cas, aujourd'hui, les communes refusent de payer et bien des situations sont ainsi en attente.

Je pense donc que ce texte, en inscrivant dans la loi l’accord conclu en mai 2006 entre l’Association des maires de France, le secrétariat général de l’enseignement catholique et le ministère de l’intérieur, permettra de clarifier les choses et, finalement, de débloquer les contentieux actuels.

Car autant il était contestable qu’une commune de résidence soit totalement dispensée, et ce quelles que soient les circonstances, de participer au financement de la scolarisation d’un de ses enfants dans une école privée d’une commune voisine avant le fameux article 89, autant il est inéquitable, voire risqué pour le maintien de l’école dans la commune de résidence, que celle-ci soit obligée de participer au financement de la scolarisation d’un de ses enfants dans l’école d’une commune voisine, quelles que soient, là encore, les circonstances.

Les circonstances dans lesquelles la commune de résidence doit payer la scolarité dans l’école publique d’une autre commune sont fixées par la loi et acceptées par les maires depuis de nombreuses années. Elles ne posent plus de problème d’application. En les étendant au financement des écoles privées, on va mettre fin aux résistances et aux conflits en rétablissant l’équité dans le financement de la scolarisation d’un enfant dans l’école d’une autre commune, qu’elle soit publique ou privée.

Vous le savez, une réforme, pour être acceptée et comprise, doit être équitable. Avec cette proposition de loi, nous rétablissons l’équité. Cette réforme devrait donc être comprise et effectivement appliquée. C’est pourquoi je voterai, avec le groupe de l’Union centriste, les conclusions du rapport de la commission. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Xavier Darcos, ministre. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons, pour la deuxième fois cette année, débattre de l’article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, article qui étend aux écoles privées sous contrat d’association l’obligation de participation des communes au financement de la scolarité d’un enfant dans une autre commune.

Ce débat, mon groupe l’a porté à maintes reprises depuis 2004, notamment par le biais d’une proposition de loi déposée en 2005 par Annie David, demandant l’abrogation de l’article 89. Notre collègue avait alors mené un travail d’auditions très poussé au sein de la commission des affaires culturelles. Cet article, nous l’avions alors souligné, avait introduit de fait une véritable différence de traitement entre l’école publique et l’école privée, au détriment de la première.

À chaque fois que nous avons défendu cette position, la majorité de droite comme le Gouvernement nous ont opposé une fin de non-recevoir. M. le rapporteur, qui officiait déjà en février dernier pour la proposition de loi déposée par mes collègues du groupe socialiste, avait alors jugé, pour refuser l’abrogation de cet article, que cette interprétation ne pouvait être retenue.

Vous aviez même indiqué dans cet hémicycle, monsieur le rapporteur, qu’il était urgent d’attendre la décision du Conseil d’État, saisi sur le fond de la deuxième circulaire, et qu’il vous semblait donc inutile « de remettre en cause ou de modifier des dispositions qui, pour l’heure, font l’objet d’un compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré. »

Le juge administratif s’est-il prononcé ? Non ! Or nous voici réunis aujourd’hui, sur votre initiative, pour examiner une proposition de loi qui, en son article 3, abroge l’article 89. Que de temps perdu ! Car, vous le savez bien, contrairement à ce que vous affirmiez en février dernier, cette question est loin de faire l’objet d’un « large accord ».

Quid du « compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré » que vous aviez tant vanté ? Le relevé de conclusions issu de la rencontre du 16 mai 2006 entre le secrétaire général de l’enseignement catholique et le président de l’Association des maires de France, sous le patronage de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, n’a jamais eu force de loi et ne réglait pas les divergences d’interprétation. Vous le saviez, sinon vous ne nous proposeriez pas un texte aujourd’hui.

Vous n’ignorez pas que, le 28 février 2008, le tribunal administratif de Dijon a annulé une délibération du conseil municipal de Semur-en-Brionnais qui avait refusé de participer aux frais de scolarisation de trois enfants résidant sur sa commune mais inscrits dans une école élémentaire privée sous contrat située sur le territoire d’une autre commune.

La commune invoquait, d’une part, l’absence d’accord préalable de son maire à la scolarisation de ces enfants dans une autre commune et, d’autre part, l’existence dans sa commune d’une garderie et d’une cantine. Le tribunal administratif lui avait donné tort, considérant que la notion de capacité d’accueil suffisante ne pouvait être retenue, dans la mesure où les établissements privés ne sont pas soumis à la carte scolaire et sont choisis principalement en fonction de leur caractère propre.

Il existe donc bien une réelle divergence d’interprétation, qui n’est pas le fait de simples inquiétudes.

Votre démarche, nous expliquez-vous, est guidée par un souci de clarification, souci qui vous conduit à abroger l’article 89. Dont acte ! C’est ce que mon groupe réclame depuis le début de cette affaire. Mais, en lieu et place de l’article 89, vous nous proposez un nouveau régime de financement des classes élémentaires privées sous contrat par les communes de résidence, système qui ne nous satisfait pas pleinement.

Vous expliquez que ce dispositif prévoit, au nom du principe de parité, qu’une commune aura à verser une contribution à une classe élémentaire privée sous contrat dans tous les cas où elle aurait dû la verser pour une classe publique. Pour autant, les modalités que vous avez retenues pour encadrer cette obligation de contribution ne sont pas exactement les mêmes.

Il suffit de comparer le texte proposé avec l’article L. 212-8 du code de l’éducation, qui règle la question quand il s’agit de deux écoles publiques. Le cinquième alinéa de cet article indique en effet qu’une « commune est tenue de participer financièrement à la scolarisation d’enfants résidant sur son territoire lorsque leur inscription dans une autre commune est justifiée par des motifs tirés de contraintes […] ».

Or cette notion de « justification », qui existe pour le public, ne se retrouve pas dans votre texte, monsieur le rapporteur, et ne s’applique donc pas au privé. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons déposé un amendement.

Les parents ne seront pas non plus tenus, comme c’est le cas lorsque la question se pose entre deux écoles publiques, de soumettre leur demande de dérogation à l’approbation du conseil municipal.

De plus, il n’est pas fait mention dans votre texte des regroupements pédagogiques intercommunaux, les RPI. Cela signifie qu’une commune qui n’a plus d’école publique sur son territoire propre mais dont les élèves sont accueillis dans une autre commune du RPI sera pourtant soumise à l’obligation de financement si des enfants de sa commune sont scolarisés dans une école privée sous contrat.

Dans ces conditions, les communes rurales qui ont bataillé pour maintenir la présence d’une école publique sur leur territoire ou à proximité courent toujours le risque d’une « double peine ».

Cette question ne peut être ignorée, au moment où l’éducation nationale fait face à des restrictions budgétaires sans précédent, à une disparition de la carte scolaire et à une future généralisation du principe d’autonomie des établissements.

Quid des efforts entrepris par les communes rurales pour maintenir sur leur territoire un service public de l’éducation vivant, seul garant – je le rappelle – d’une école gratuite et laïque pour toutes et tous ?

Où seront l’égalité et la liberté de choix pour les enfants et les parents des communes rurales lorsque les écoles publiques seront contraintes de fermer, faute de moyens ?

La situation qui prévalait lors de l’adoption de l’article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales n’est pas la même qu’aujourd’hui. Il est impossible de l’ignorer. Faut-il rappeler qu’en deux ans près de 25 000 postes ont été supprimés au sein de l’éducation nationale ? Quelle en sera l’incidence, notamment dans les communes rurales ?

En France, 12 000 communes ne disposent plus d’école communale et 28 % des écoles ont au plus deux classes. Nous savons par ailleurs que la situation ne va pas en s’arrangeant.

Dans ces territoires, un tel surcoût sera donc préjudiciable au maintien de petites structures publiques.

L’ensemble de ces interrogations et inquiétudes me conduisent donc à beaucoup de réserves et à émettre, pour l’instant, un avis négatif sur la proposition qui nous est faite. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

(M. Guy Fischer remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)