M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les accords de gestion concertée des flux migratoires constituent l’un des éléments phares de la politique d’immigration « choisie » prônée par le Président de la République, et leur signature fait l’objet d’une forte médiatisation.

C’est un sujet très sensible en ce qui concerne aussi bien la France, où l’immigration a parfois été instrumentalisée, que l’Afrique, où elle est vécue comme étant l’une des voies de l’avenir.

Aujourd’hui, vous sollicitez l’autorisation du Sénat pour ratifier quatre de ces conventions bilatérales, dont celle avec le Sénégal, signée en 2006 par Nicolas Sarkozy, alors ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

Permettez-moi, avant d’en venir au fond, de formuler une remarque sur la forme. Si la signature des accords est très médiatisée, en revanche, la méthode utilisée pour leur élaboration et leur préparation fait l’objet d’une certaine opacité. En particulier, les représentants de la société civile, tant du côté français que du côté africain, n’ont pas du tout été associés à leur préparation.

En ce qui concerne l’immigration légale, la valeur ajoutée de ces conventions bilatérales est relative : la plupart les dispositions concernant l’immigration professionnelle sont déjà prévues dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou CESEDA.

Les mesures relatives à l’immigration légale visent à restreindre la venue de travailleurs, car seul le séjour de certaines personnes qualifiées sera accepté.

Les quatre accords prévoient des facilités pour obtenir une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié ». Les candidats à l’immigration devront présenter une promesse d’embauche dans l’un des secteurs professionnels listés : cent cinq pour le Sénégal, quinze pour le Congo – c’est la portion congrue ! –, seize pour le Bénin – c’est un peu mieux ! – et soixante-dix-huit pour la Tunisie.

Cependant, à l’exception du Sénégal, ces listes sont trop restrictives et ne concernent que des emplois très qualifiés : informaticiens, chefs de chantiers, cadres de l’audit, etc. Par ailleurs, il y a fort à craindre que la crise économique n’aboutisse à une situation de non-délivrance de ces titres de séjour.

Or une partie de l’immigration professionnelle pourrait, et devrait, concerner des emplois non qualifiés. Il n’y a rien de honteux à employer des travailleurs immigrés non qualifiés ! Nous en avons besoin, car ils ont vocation à occuper des emplois souvent délaissés par les Français. Rien ne s’opposerait donc à de telles immigrations professionnelles.

Certaines dispositions de ces accords visent à faciliter l’accueil et le séjour des étudiants. Nous nous en réjouissons, car la France avait pris du retard dans ce domaine par rapport à un certain nombre d’autres pays développés. Ces mesures concernent, notamment, ceux qui, à l’issue de leur cursus universitaire, souhaitent acquérir une première expérience professionnelle dans notre pays.

Cependant, là encore, des conditions restrictives ont été posées à l’attribution de la carte de séjour portant la mention « salarié » : les intéressés devront être titulaires d’un master ou d’un diplôme de niveau équivalent, exercer un emploi en lien avec leur formation et percevoir un salaire au moins égal à une fois et demie le SMIC mensuel. Il s’agit là de trois conditions cumulatives et lourdes à remplir.

Par ailleurs, vous l’avez dit, l’accord avec le Congo prévoit que l’autorisation provisoire qui sera attribuée aux étudiants souhaitant rechercher un emploi ne sera pas renouvelable.

Tous ces accords prévoient aussi d’attribuer plus facilement des visas de circulation. Le principe de l’attribution de visas de circulation est une bonne chose, car il est nécessaire de faciliter les allers-retours entre la France et les pays d’émigration, l’émigration n’étant pas nécessairement continue, la personne pouvant entrer et sortir du territoire à plusieurs reprises. Cela a longtemps été demandé par les pays concernés. Cependant, il est critiquable que seules les personnes qualifiées soient visées.

Actuellement, de tels visas sont essentiellement délivrés à des hommes d’affaires, des financiers, et très peu à d’autres catégories de demandeurs, par exemple des artistes ou des chercheurs. À cet égard, nos consulats font preuve d’une grande timidité.

Des quotas annuels sont fixés pour la délivrance des cartes de séjour portant la mention « compétences et talents » – belle appellation ! –, soit mille pour le Sénégal, cent cinquante pour le Congo, cent cinquante pour le Bénin et mille cinq cents pour la Tunisie. Mais aucune clause ne prévoit l’obligation de les atteindre, ce qui peut se comprendre. Toutefois, permettez-moi d’exprimer ma crainte de voir se développer une politique extrêmement restrictive de délivrance de ces visas.

Les accords dont nous débattons comprennent également une partie consacrée à la lutte contre l’immigration irrégulière.

Nous partageons complètement la volonté de lutter, avec tous les moyens possibles, contre cette immigration qui porte préjudice non seulement à notre économie et aux pays dont elle provient, mais à l’idée même d’émigration.

Les accords prévoient, en particulier, la réadmission par les États de leurs ressortissants qui sont dans une situation d’émigration irrégulière, ce qui paraît légitime, sauf s’il s’agit de contourner les réticences de certains États, notamment la Tunisie, à délivrer des laissez-passer consulaires. Il ne nous appartient pas, en effet, de nous substituer à la politique des autres États en la matière.

Dans ce domaine, nous nous heurtons à deux difficultés.

Tout d’abord, nous ne savons pas si le pays d’origine acceptera d’accueillir ses ressortissants nationaux.

Ensuite, vous vous êtes fixé l’objectif de « faire du chiffre », comme on dit, soit 26 000 personnes en 2008, autant en 2009, sachant que seulement un tiers de celles qui seront retenues seront finalement expulsées, en particulier parce que le pays receveur ne délivre pas de laissez-passer.

Plus grave encore, les accords avec le Congo et le Bénin, où l’immigration est pourtant faible, obligent ces États à accueillir des ressortissants d’États tiers expulsés et ayant séjourné sur leur territoire. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Mali a refusé de signer le projet d’accord qui était en négociation.

Une telle clause est choquante, en particulier sur le plan des principes. Elle fait peser une charge considérable sur ces États de transit, qui n’ont pas les moyens d’y faire face. Leur superficie très vaste nécessiterait une organisation de contrôle de l’émigration difficile à mettre en œuvre. Il n’est pas possible de reconstituer les régiments méharistes sur les frontières nord, est et ouest du Mali ! En outre, cette clause met les personnes expulsées dans une situation difficile, puisque celles-ci se retrouvent dans un pays qui n’est pas le leur.

J’en viens au troisième et dernier point abordé par ces accords : le développement solidaire.

Il y a tout d’abord un problème de sémantique. Pour moi, il s’agissait de codéveloppement : les activités de développement étaient imaginées et mises en œuvre par la personne qui retournait dans son pays et nous aidions celle-ci à constituer une PME, à fonder une exploitation agricole, etc.

Or on est passé du concept de codéveloppement à celui de développement solidaire. Les glissements sémantiques n’étant jamais neutres, je crains que le nouveau concept ne soit, sinon un cheval de Troie – l’expression est un peu forte ! – du moins un prétexte pour transférer au service de la politique de lutte contre l’immigration les crédits du ministère des affaires étrangères dédiés normalement à l’activité de développement. Ce n’est pas ce que nous voulons !

Pour le Bénin et le Congo, sont prévus des financements par l’Agence française de développement, l’AFD, dans les domaines de la santé ou de l’agriculture. L’accord avec la Tunisie mentionne le développement solidaire dans tous les domaines d’activité. Seul l’accord avec le Gabon fait état de codéveloppement, mais chacun sait que, en dehors de ceux qui profitent de la rente pétrolière, très peu de Gabonais émigrent en France. Nous ne serons donc pas dans ce cas de figure.

Les activités de codéveloppement devraient être strictement définies comme des actions menées par les personnes qui sont rentrées dans leur pays. Le ministère de l’immigration dispose d’une enveloppe de 29 millions d’euros pour financer de telles actions. J’espère qu’il s’agira vraiment de codéveloppement et non pas du transfert d’une partie des crédits du ministère des affaires étrangères au ministère de l’immigration.

Par ailleurs, à l’instar de notre rapporteur, je souhaite que les conditions de mise en place et les conséquences de ces accords soient évaluées rapidement.

Compte tenu de ces remarques, vous comprendrez, mes chers collègues, que le groupe socialiste refuse d’autoriser la ratification de ces quatre accords. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à examiner quatre accords relatifs à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement signés entre la France et les pays africains d’émigration suivants : le Bénin, la Tunisie, le Sénégal et le Congo.

Chacun sait, dans cet hémicycle, que ces accords s’inscrivent dans la politique d’« immigration choisie » prônée par la France et par l’Europe.

Ces accords correspondent aux priorités définies par le Pacte européen sur l’immigration et l’asile adopté, le 16 octobre dernier, par le Conseil européen, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne

On peut affirmer que la politique française et européenne de l’immigration consiste à instrumentaliser l’aide au développement et la migration légale dans le but de renforcer sa lutte contre l’immigration illégale.

Cette vision des migrations a encore été confirmée lors de la conférence interministérielle euro-africaine en matière de migration et développement, qui s’est tenue le 25 novembre dernier et pendant laquelle a été adopté un programme de coopération triennal visant à encadrer la migration légale, contrecarrer l’immigration illégale et organiser le développement solidaire.

Les accords que vous faites signer aux pays africains de départ vous permettent de faire pression sur eux, d’exercer une sorte de chantage : vous leur promettez des possibilités de migrations légales, qui restent toutefois très limitées, et une aide au développement.

En contrepartie, vous leur demandez d’être les « gendarmes » de l’Europe, c’est-à-dire de contrôler les flux migratoires depuis les pays de départ, mais aussi de transit, et de faciliter les réadmissions des personnes expulsées par la France.

M. Jean-Louis Carrère. Avec l’UMP, il n’y aura bientôt plus de gendarmes !

Mme Éliane Assassi. À l’évidence, ces accords sont loin d’être équitables. La France a tout à y gagner, tandis que les pays d’émigration sont pieds et poings liés et se voient dans l’obligation de faire la police chez eux en devenant les sous-traitants de la gestion des flux migratoires pour obtenir d’hypothétiques possibilités de migrations et autres aides au développement.

Une telle situation résulte du déséquilibre entre les parties signataires avec, d’un côté, des pays aux conditions économiques et politiques encore fragiles et, de l’autre, la France, qui fait partie d’un ensemble de pays économiquement forts et dotés d’institutions communes telle que l’Union européenne.

J’en viens aux principales critiques que je forme à l’égard de ces accords.

Tout d’abord, on nous dit que les pays signataires bénéficieront de possibilités de migrations légales pour leurs ressortissants. Toutefois, ces dernières seront limitées en nombre et dans le temps. Ce sont avant tout des migrations temporaires fondées sur la mobilité et l’incitation au retour des compétences dans le pays d’origine.

Ces possibilités de migrations légales concernent essentiellement des personnes hautement qualifiées et qui intéressent la France, notamment des hommes d’affaires, des sportifs de haut niveau, des artistes. Il s’agit de la carte « talents et compétences » qui existe déjà dans le cadre du CESEDA.

Un tel intérêt pour les métiers hautement qualifiés qui contribue à la « fuite des cerveaux » est contraire aux intérêts des pays de départ. En effet, ces fuites de « matière grise » qui caractérisent l’émigration du Sud vers le Nord entraînent pour les pays d’origine un manque de personnel, notamment dans le domaine de la santé et de techniciens, ainsi que la perte de revenu national par le biais de l’impôt.

À l’inverse, la main-d’œuvre peu qualifiée dont ces pays disposent en grand nombre n’est que peu concernée par la migration de travail, alors même que les besoins existent en France, ce qui risque de renforcer les déséquilibres dans les pays d’origine.

On voit bien là, monsieur le secrétaire d'État, le « tri » que veut faire le gouvernement français en application de sa politique d’immigration choisie. C’est cette même logique qui prévaut avec le projet de « carte bleue » européenne.

Ensuite, s’agissant de l’aide au développement, je considère qu’elle ne doit pas être un moyen de faire pression sur les migrants établis en France, encore moins une monnaie d’échange dans le cadre de négociation d’accords de gestion concertée des flux migratoires.

Ainsi que le souligne la déclaration des Nations unies sur le droit au développement, le développement est un droit et, en tant que tel, il ne peut être soumis à conditions.

En ce qui concerne la lutte contre l’immigration illégale, les accords prévoient des clauses relatives à la réadmission des personnes en situation irrégulière et une coopération policière visant à renforcer la surveillance des frontières, au démantèlement des réseaux criminels de passeurs et à la lutte contre la fraude documentaire.

Je tiens à préciser que je ne suis pas favorable à ce que ce genre de coopération soit comptabilisé au titre de l’aide au développement.

La France et l’Europe veulent désormais non plus empêcher les migrants de pénétrer en Europe, mais les empêcher de quitter leur pays d’origine. Ce contrôle des flux migratoires en amont est moins cher et moins aléatoire qu’une expulsion du territoire français, expulsion qui n’est pas toujours effective. Cela fait autant de sans-papiers potentiels en moins qui pourraient, une fois entrés sur le sol français, s’y maintenir en situation irrégulière.

Les clauses de réadmission contenues dans ces accords sont très importantes pour la France. Car pour pouvoir renvoyer de façon effective les personnes en situation irrégulière arrêtées et placées en centre de rétention, il est indispensable de s’assurer de la coopération des autorités des pays concernés – ce n’est pas toujours le cas – singulièrement en ce qui concerne la délivrance des laissez-passer, lesquels permettent d’organiser le renvoi des personnes que l’on souhaite expulser.

Certains pays sont en effet peu coopératifs en matière de laissez-passer, et pour cause ! Il faut savoir que les migrants envoient dans leur pays d’origine des sommes bien supérieures à celles qui sont prévues par le budget de l’aide publique au développement. Ils participent ainsi au développement sur place des villages et de projets locaux, et ils font vivre les membres de leur famille restés au pays.

Ces accords permettront donc de formaliser une obligation de réadmission et d’obtenir plus facilement les laissez-passer permettant d’assurer le renvoi effectif des étrangers.

À l’exception, monsieur le secrétaire d'État, des accords avec le Sénégal et la Tunisie, pays davantage concernés par la migration de transit, les accords prévoient un engagement à réadmettre également les migrants des pays tiers en situation irrégulière qui, pour venir en France, seraient passés par leur territoire. Ces dispositions sont particulièrement intéressantes pour le ministère de l’immigration, qui se fixe chaque année des objectifs chiffrés en matière d’expulsion effective du territoire.

Pour 2009, l’objectif est de 30 000 expulsions. Afin d’atteindre cet objectif, la France souhaite également favoriser les retours volontaires en proposant son dispositif d’aide au retour volontaire aux personnes qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, une OQTF.

Le renforcement du volet sécuritaire a des conséquences sur les droits et les parcours des migrants. Ces derniers sont alors contraints d’emprunter des itinéraires de plus en plus longs, de plus en plus coûteux et de plus en plus dangereux.

On retrouve cette logique répressive dans la directive européenne sur le retour, qui généralise l’enfermement des étrangers jusqu’à dix-huit mois, ainsi que leur éloignement. On la retrouve aussi avec les renvois groupés par avion.

Pourtant, ceux qui migrent le font non pas par goût des voyages, mais par obligation. Ils tentent d’avoir ailleurs une vie meilleure, y compris au péril de leur vie.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder ces femmes, ces enfants, ces hommes qui embarquent sur des radeaux de fortune et dérivent ensuite des jours et des nuits en mer ; il n’y a qu’à faire le décompte annuel des morts en Méditerranée. Ils savent que c’est dangereux. Pour autant, ils sont toujours aussi nombreux à tenter leur chance vers l’Eldorado européen.

Vouloir que les flux migratoires s’adaptent aux capacités d’accueil d’un pays – marché du travail, situation du logement, existence de services sanitaires, sociaux, scolaires, etc. –, c’est méconnaître ou ignorer la réalité des migrations dans le monde, lesquelles ont des causes multiples : famines, guerres, maladies, catastrophes climatiques, misère, etc. C’est nier le droit à la liberté de circulation des hommes et des femmes dans le monde.

En tout état de cause, dans le contexte actuel de crise économique et de récession, la France et l’Europe ne pourront pas accueillir les migrants issus d’une migration de travail. L’immigration illégale, dans ces conditions, ne pourra que perdurer.

L’aide au développement évoquée dans les accords que nous examinons aura bien du mal à se concrétiser compte tenu de la baisse continuelle des autorisations d’engagement pour les actions bilatérales de développement solidaire. Cela pose la question du sort des migrants de retour chez eux avec l’aide à la réinstallation : ils risquent de se retrouver rapidement confrontés à des difficultés financières.

Si les possibilités de circulation ne sont pas au rendez-vous, si l’aide au développement est absente, que restera-t-il de ces accords ? Uniquement le volet relatif à la lutte contre l’immigration illégale, avec le renforcement de la coopération policière qui profitera à la France et à l’Europe, lesquelles veulent être à n’importe quel prix des « forteresses imprenables ».

À la lumière de ces observations, vous comprendrez que nous ne puissions voter en faveur de tels accords.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de m’avoir écoutée avec attention. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a quelques mois, j’interpellais M. Hortefeux dans le cadre d’une question d’actualité sur cette politique dite « d’immigration choisie » et sur ces accords. M. le ministre m’a alors répondu à propos de la signature de ces accords que « la nouvelle politique d’immigration française est parfaitement comprise, partagée, approuvée et encouragée par les pays qui sont des terres d’émigration ». Cet enthousiasme me semble devoir être quelque peu atténué.

La raison d’être de ces accords est non pas, comme M. le ministre nous l’avait vendu ici même, de favoriser l’immigration économique, mais de la réduire à néant, tout comme cela a été fait pour l’immigration familiale. Il suffit de voir le sort qui est réservé à la carte « compétences et talents » pour s’en rendre compte.

Prenons, par exemple, l’accord signé le 25 octobre 2007 avec la République du Congo, qui prévoit de délivrer 150 cartes « compétences et talents ». Plus d’un an après la signature, aucune carte n’a été délivrée à un Congolais !

Pour 2008, vous aviez évoqué un objectif global de 2 000 cartes « compétences et talents ». Où en sommes-nous aujourd’hui ? Il est intéressant de faire le point de la situation.

En ce qui concerne les ressortissants des États signataires des accords dont nous discutons aujourd'hui, une carte a été délivrée à un ressortissant sénégalais, trois cartes à des ressortissants béninois et trente-six cartes à des ressortissants tunisiens.

Au total, trois cent vingt-six cartes ont été délivrées en 2008 pour un objectif de deux mille cartes. Nous en sommes encore très loin !

Est-ce là la destinée que vous réservez à ces accords ? Est-ce ainsi que vous appréhendez les compétences et talents de ces pays : en ne leur laissant aucune place ?

En créant cette carte, vous avez signifié à ces pays que la France pouvait s’enrichir de leurs talents, que leurs ressortissants pouvaient contribuer au rayonnement de la France, mais aussi de leur pays d’origine, dans les domaines culturel, scientifique et humanitaire. Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : ces immigrés ne vous intéressent pas !

Dans ces conditions, à quoi servent ces accords ? La réponse se trouve dans les clauses relatives à la réadmission. En effet, si l’on étudie de plus près ces accords, il faut admettre que leur raison d’être est moins la mise en œuvre d’une politique concertée des flux migratoires qu’une politique efficace de refoulement des étrangers vers les pays signataires.

La question de la réadmission est omniprésente dans ces accords, sous des formes variées et en prenant des précautions lexicales qui ne parviennent pas à masquer la réalité de ce que la France souhaite imposer aux États signataires : l’obligation de reprendre sur leur territoire des ressortissants en situation irrégulière.

D’une politique censée limiter l’immigration familiale au profit de l’immigration professionnelle on passe à une politique visant à proscrire les étrangers de notre territoire. Vous ne pouvez pas nier, monsieur le secrétaire d'État, que la question de la réadmission a posé des problèmes lors de la négociation de ces accords.

Vous le savez également, la délivrance des laissez-passer consulaires est très faible. On peut même dire que le nombre de laissez-passer consulaires ne cesse de baisser. Pour la République du Congo, sur cent douze demandes formulées par la France en 2007, seuls vingt-trois laissez-passer ont été octroyés, soit un taux de 20 %. L’exemple du Sénégal à cet égard est également frappant : alors qu’en 2005 le Sénégal répondait positivement à 55 % des demandes de réadmission, ce taux est passé en 2007 à 37 %.

Comment pouvez-vous dire que votre politique est comprise, partagée, si les États signataires de ces accords refusent de plus en plus de reconnaître leurs ressortissants ? À un taux de demande constante, jamais les États n’ont aussi peu reconnu leurs ressortissants, d’où la nécessité de ces accords, notamment avec le Sénégal. L’avenant signé par cet État en février 2008 constitue un bijou d’ingéniosité : il n’est rien d’autre qu’un « tour de vis » pour obliger les États à reconnaître leurs ressortissants.

En lieu et place d’une reconnaissance explicite de la part de l’État supposé d’origine, vous avez mis en place un système de présomption de nationalité largement favorable à une augmentation du taux d’attribution des laissez-passer.

L’article 3 de l’avenant complète en effet l’article 42 de l’accord du 23 septembre 2006, en mettant en place une procédure d’une complexité inouïe, venant se substituer à la reconnaissance habituelle. Autrement dit, il s’agit non plus d’une demande de reconnaissance, mais d’une quasi-obligation de reconnaissance.

Sans détailler cette procédure, je souhaite en dire quelques mots.

La reconduite se fondera non plus sur une reconnaissance explicite, mais sur une présomption de nationalité. Ainsi, il pourra y avoir éloignement sur la simple base d’un document faisant état d’un commencement de preuve de nationalité, par exemple un procès-verbal des déclarations de l’étranger.

L’ironie du sort est que certains des États auxquels vous demandez de reconnaître l’un de leur ressortissant sont considérés par le ministère de l'immigration, par décret, comme ayant un état-civil défaillant ou frauduleux, conformément à l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif aux tests ADN !

Vous vous contentez de n’importe quel document pour établir l’état-civil de certains étrangers quand il s’agit de les renvoyer dans leur pays. En revanche, vous exigez un test ADN, en doutant de la fiabilité de leur état-civil, quand il s’agit d’une demande de regroupement familial, et ce pour le même pays. C’est un comble ! C’est la reconnaissance d’un état-civil à géométrie variable pour certains États.

Telle est la réalité de ces accords ! Leur véritable raison d’être est tout simplement d’organiser la réadmission de manière plus efficace pour permettre une augmentation des reconductions à la frontière. Ce schéma est le même pour tous les accords, avec des variations mineures, notamment au sujet des délais.

Monsieur le secrétaire d'État, en droit, on qualifie de « léonins » les accords déséquilibrés, où une partie prend sans donner, à l’image du lion dans la fable de La Fontaine. Les accords que vous nous présentez aujourd'hui sont de ce type : ils imposent des sujétions importantes aux États à la seule fin de satisfaire la France dans sa frénésie des chiffres concernant les reconduites à la frontière.

Tout cela, au mépris de l’aide publique au développement et de toute politique active en matière de développement solidaire et démocratique, ramenée à une banale coopération interétatique. Il suffit de regarder les chiffres de l’aide au développement pour voir l’importance qui est accordée à celle-ci !

Si l’on compare ces accords de gestion concertée des flux migratoires avec le droit commun issu de la loi du 24 juillet 2006, force est de constater qu’ils sont, en réalité, beaucoup plus sévères que celui-ci. Loin de mettre en œuvre le droit existant, ils créent de nouvelles règles plus restrictives, éparses, variables d’un État à l’autre, afin d’obliger l’État signataire à collaborer à une politique qui exclut plus qu’elle ne protège, qui refoule plus qu’elle n’accueille.

Pour toutes ces raisons, les Verts ne voteront pas en faveur de la ratification de ces accords. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous apporter quelques éléments de réponse.

Madame le rapporteur, j’ai noté que vous vous étiez félicitée de l’augmentation des visas de circulation. Ce thème a également été repris par M. Yung et vos propos apportent presque une réponse aux interrogations de ce dernier : il y a bien, effectivement, une augmentation importante des visas de circulation.

Mme le rapporteur a posé une question relative au Conseil de modernisation des politiques publiques : il est vrai que ce dernier a demandé que soient examinées les modalités d’intervention géographiques et sectorielles. La réflexion est en cours, car le problème est complexe : il est encore un peu tôt pour annoncer quelle sera la traduction de ces recommandations pour chacun des pays de la zone de solidarité prioritaire. Le Gouvernement a pris des engagements, et ils seront respectés ; vous connaissez son attachement à cette zone de solidarité prioritaire.

Pour répondre à M. Yung, les métiers qualifiés ne sont pas les seuls concernés par ces accords. Il suffit de lire les listes, notamment pour le Sénégal ou la Tunisie, pour constater que de nombreux métiers y figurent. Vous avez également regretté, monsieur le sénateur, que les visas de circulation ne soient pas attribués en nombre suffisant. Le Gouvernement partage cette appréciation ; c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles ces accords sont conclus. Nous pouvons d’ores et déjà constater une hausse relativement importante : pour prendre à nouveau l’exemple du Sénégal, le taux de délivrance des visas de circulation est passé de 15 % en 2004 à 22 % en novembre 2007.

Madame Assassi, vous avez employé le terme « chantage » ; le mot est un peu fort ! C’est tout le contraire : dans un grand nombre de cas, après avoir, il est vrai, suscité quelques inquiétudes, ces accords ont finalement été sollicités par bon nombre de pays avec lesquels Brice Hortefeux est entré en discussion. Je vous fais grâce de tous les commentaires positifs qui me sont parvenus à la suite des entretiens et des négociations conduits par mon collègue avec les chefs d’États africains : les observateurs s’accordent à dire que cette politique est aujourd’hui acceptée par les pays de départ, qui y trouvent très souvent une contrepartie intéressante. Nous ne menons donc pas une politique à sens unique.

Le ministère de l’immigration, malgré une équipe restreinte de dix personnes, a mené quasiment à terme plus de cent vingt projets concernant vingt-trois pays qui sont une source d’immigration. Sept accords de gestion concertée ont été conclus, madame le rapporteur, avec le Gabon, le Congo, le Bénin, le Sénégal, la Tunisie, l’île Maurice et le Cap-Vert. D’autres accords sont en discussion et seront rapidement soumis au Parlement pour ratification.

Mme Boumediene-Thiery a regretté que le nombre de cartes « compétences et talents » accordées soit encore insuffisant.