M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Le Gouvernement ayant déposé un certain nombre d’amendements que les commissions n’ont pas eu le temps d’examiner, nous allons nous réunir dès à présent à cette fin. J’invite M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur pour avis à se joindre à nous.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Monique Papon.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la gendarmerie nationale
Demande de renvoi à la commission

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en préambule, de revenir sur l’imbroglio temporel qui nous conduit à examiner ce texte aujourd’hui.

Le Gouvernement, par votre entremise, madame le ministre, avait déclaré l’urgence au motif que le rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie nationale devait intervenir au 1er janvier 2009.

Dans le même temps, vous aviez renvoyé l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du début de l’année prochaine. Finalement, le Sénat l’examine aujourd’hui, sans que la future loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 », soit connue des parlementaires.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Quel rapport ?

Mme Virginie Klès. Je vais vous l’expliquer !

Cette valse à trois ou quatre temps est pour le moins inquiétante. Au mieux, cela signifie qu’il n’a pas été assigné un cap clair à cette réforme, qu’elle est dénuée de toute cohérence, tant sur la forme que sur le fond ; au pire, il faut y voir une absence de conviction, si l’on en juge à l’état d’aboutissement du texte, ou, plutôt, de non-aboutissement.

Cela étant dit, madame le ministre, je préfère être aujourd’hui à ma place, afin de défendre des valeurs et une opposition auxquelles je crois, qu’à la vôtre, vous qui êtes en train de soutenir un projet de loi auquel, j’en suis persuadée, vous n’adhérez pas.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je puis vous rassurer sur ce point, madame la sénatrice ! Cela dit, je ne souhaite pas, pour notre pays, que vous deveniez ministre de l’intérieur ! (Sourires.)

Mme Virginie Klès. À ce jour, je ne le souhaite pas non plus ! (Nouveaux sourires.)

Pourtant, la nécessité de réformer les dispositions légales relatives à la gendarmerie n’est contestée par personne. Cette réforme est d’ailleurs présentée par le Premier ministre comme majeure, historique et essentielle. Une fois n’est pas coutume, nous serons, sur ces termes, en accord parfait. Mais là s’arrêtera notre convergence d’opinion…

En effet, alors que les objectifs sont, toujours selon M. le Premier ministre, de « pérenniser le modèle de pluralisme policier à la française auquel notre nation est attachée » sans « rompre les équilibres qui permettent à la gendarmerie de remplir la fonction particulière qui lui est assignée au profit de la collectivité nationale », votre projet de loi peut, mais à court terme uniquement, sembler avantageux pour les gendarmes. Le contexte budgétaire est plus sécurisé pour le ministère de l’intérieur que pour celui de la défense, lequel est perpétuellement considéré comme la variable d’ajustement. Mais vous vous affranchissez totalement d’une vision à moyen et à long terme qui devrait caractériser tout projet politique d’envergure. Et cette réforme en est un.

Le texte que nous examinons aujourd’hui va inéluctablement et, contrairement aux ambitions affichées, fortement fragiliser, et non pérenniser, tout à la fois le statut militaire de la gendarmerie nationale, le dualisme des forces de sécurité et des moyens mis à la disposition de la justice, étrangement absente de ce texte, et le maillage territorial actuel.

Ce projet de loi vise donc à poursuivre l’évolution engagée depuis 2002 en rattachant la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, tout en prétendant préserver son statut militaire.

Disons-le tout net, on engage là une évolution grave, qui conduira inéluctablement à l’adoption d’un statut civil. Pourquoi les gendarmes accepteraient-ils de conserver un statut militaire plus contraignant si, pour le reste, leur sort est comparable à celui des fonctionnaires de la police nationale ?

Je suis donc résolument hostile à cette évolution, qui, à terme, nous conduira à une gendarmerie de statut civil, comme c’est déjà le cas en Belgique, pays voisin dont il est difficile d’affirmer aujourd’hui que le maillage territorial initial n’a pas subi quelques dommages collatéraux.

Alors que cette évolution est présentée sous couvert de modernisation et de synergie des services et des deniers publics, de cohérence accrue et de simplification, nobles objectifs dont nous sommes tous soucieux, je relève, dès l’article 1er, une complexité nouvelle : on confie au ministre de l’intérieur la gestion du personnel, mais le ministre de la défense conserve les compétences disciplinaires, cependant que les mises en disponibilité d’office restent l’apanage du ministre de l’intérieur. Dans ces conditions, la gestion d’un dossier disciplinaire en interministériel sera particulièrement lourde et complexe.

Il me semble également important de s’interroger sur les conséquences, en termes d’organisation, du placement sous l’autorité des préfets des groupements de gendarmerie.

À quoi serviront désormais les généraux de gendarmerie ? À quoi serviront les régions de gendarmerie ? Va-t-on confier à des généraux de division le soin d’assurer la gestion déconcentrée du personnel, le soutien et la gestion des infrastructures ? C’est un peu court, me semble-t-il.

On peut nourrir la même crainte pour la direction générale de la gendarmerie nationale elle-même. De la même façon que la direction générale de la police nationale, la DGPN, la DGGN risque de se transformer, à l’image de la direction centrale de la sécurité publique, échelon de synthèse et d’information, en une structure dépourvue de toute autorité opérationnelle, à l’exception du planning d’emploi des escadrons de gendarmerie mobile.

Où est alors la cohérence avec l’évolution vers un statut de quatrième armée, avec, à sa tête, un directeur général général d’armée, un inspecteur général du même rang et un major général ayant rang de général de corps d’armée ?

Ces objectifs de rationalisation et de modernisation pouvaient et auraient dû être l’occasion de soulever bien d’autres questions. Comme elles n’ont pas été posées, nous n’avons évidemment aucune réponse…

Ainsi, qu’en sera-t-il du maintien des missions militaires de la gendarmerie ? Depuis l’abandon des missions de défense opérationnelle du territoire et la suspension du service national, ces missions sont résiduelles et inadaptées à l’évolution de la situation nationale et internationale.

Quid de l’avenir des missions de prévôté aux armées, qui ne correspondent plus guère à grand-chose du fait de la quasi-disparition de la justice militaire ?

On peut aussi regretter que l’on ne profite pas de ce projet de loi pour supprimer ou réformer quelques formations spécialisées de la gendarmerie nationale, telles que la gendarmerie de l’armement.

La réduction du format de la Délégation générale pour l’armement comme l’inutilité du gardiennage des établissements subsistants de ces formations spécialisées laissent à penser que les effectifs trouveraient ailleurs un meilleur emploi, évitant, par exemple, la suppression de brigades rurales.

Plus grave, avec les articles 2 et 3 du projet de loi, on renonce au principe de réquisition et, ainsi, à une disposition majeure du décret du 20 mai 1903, qui réserve à l’autorité militaire le commandement de la gendarmerie nationale, décret que l’article 8 du présent projet de loi abroge purement et simplement.

Ce décret prévoit expressément que les autorités locales, en rapport avec la gendarmerie, ne peuvent « dans aucun cas, prétendre exercer un pouvoir exclusif sur cette troupe ni s’immiscer dans les détails intérieurs de son service ».

La suppression de ce principe de réquisition constitue, vous l’aurez tous compris aujourd'hui, mes chers collègues, une pierre d’achoppement pour le groupe socialiste, notamment.

Parlons clairement : même si cette procédure de réquisition nécessite d’être toilettée, simplifiée et même, leitmotiv de ce texte, « modernisée », je ne vois pas pourquoi la suppression ou l’assouplissement de la réquisition impliquerait nécessairement la subordination aux préfets.

Dans la pratique, les préfets exercent, sans s’immiscer dans le service intérieur de l’arme, une autorité quotidienne sur la gendarmerie nationale, qu’il s’agisse de la préparation d’une visite ministérielle, d’un service d’ordre à l’occasion d’une manifestation quelconque ou d’une demande d’attention particulière à une zone ou à une forme de délinquance.

Le problème de la réquisition adressée aux généraux de région de gendarmerie ne se pose que pour obtenir le concours d’escadrons de gendarmerie mobile, parce qu’il s’agit de forces de troisième catégorie.

Il suffirait, par exemple, de déclasser ces forces pour que les préfets puissent obtenir le concours d’escadrons dans les mêmes formes que pour les compagnies de CRS, sur demande adressée à la DGGN, comme c’est le cas pour la DGPN.

On pourrait même imaginer une cellule conjointe, rattachée directement au cabinet du ministre, et chargée de la gestion des forces de maintien de l’ordre. Il existe déjà d’ailleurs un officier de liaison de la DGGN auprès du directeur général de la police nationale.

En d’autres termes, la simplification des procédures de réquisition n’implique aucunement l’acceptation de l’autorité permanente des préfets sur la gendarmerie.

Revenir sur la disposition qui lui permet de bénéficier d’une relative indépendance, garante de son éthique, c’est aligner complètement la gendarmerie nationale sur la sécurité publique, avec tous les risques de dérives possibles.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Des forces armées indépendantes ? C’est un concept nouveau !

Mme Virginie Klès. C’est aussi se priver de cette dualité de forces et d’approches qui contribue au bon fonctionnement de la police au sens large, et dont la France se glorifie depuis vingt ans dans toutes les réunions de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE.

Sans revenir sur la transformation de la gendarmerie nationale en quatrième armée, il me semble donc préférable de placer celle-ci sous les ordres non seulement du ministère de l’intérieur, mais aussi du ministère de la justice, grand oublié de votre texte, tout en la laissant, pour l’exécution des missions qui pourraient lui être confiées, aux ordres de ses chefs.

En effet, il est primordial de réaffirmer le principe de non-ingérence d’une autorité civile, tant celle des préfets que celle des procureurs, dans l’exécution du service intérieur de la gendarmerie nationale et de laisser subsister sur ce point les dispositions du décret de 1903.

Ne pas maintenir cette originalité, c’est accepter le principe d’un glissement rapide de la gendarmerie vers un statut civil et, à moyen terme, sa fusion avec les services de police, et ce quoi que vous prétendiez, madame le ministre.

S’agissant de ce dernier point, votre projet de loi, s’il était voté, conduirait à un indiscutable recul des libertés publiques et des droits individuels dans notre pays en supprimant des obstacles à d’éventuels excès de pouvoir.

En matière judiciaire, le fait de placer les deux forces de police judiciaire disponibles sous une seule et même autorité, celle de la place Beauvau, n’est pas de nature à faire gagner en indépendance les procédures menées par les magistrats, et cela n’a rien d’accessoire, puisque l’exercice de cette compétence représente de 40 % à 50 % de l’activité totale des gendarmes.

Fusion et confusion des forces et des pouvoirs ne font que rarement bon ménage avec la démocratie. Le passé devrait nous l’avoir appris sur notre propre territoire ; le présent nous le démontre chaque jour dans des pays à gouvernement totalitaire.

Enfin, madame le ministre, qu’y avait-il, jusqu’à présent, de commun entre le haut plateau ardéchois, la forêt ardennaise et l’arrière-pays breton ? Un bureau de poste, une école, une gendarmerie ! En un mot, une certaine continuité des services publics, une certaine idée de la République.

On ne peut donc qu’être inquiet quant au maintien de la densité du maillage des brigades territoriales, notamment en zone rurale, maillage qui sera inévitablement remis en cause sous l’effet de la réduction des effectifs et de la rationalisation menées au nom de la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Quelle complémentarité sera recherchée après la mise en œuvre de cette réforme, alors que s’imposera la subordination aux préfets ? Madame le ministre, cette complémentarité se fera en fonction de l’évolution de la délinquance. Cette affirmation n’est pas la mienne : elle est écrite et réécrite, sous diverses formes, dans le rapport d’étape de la RGPP, présenté au Président de la République le 3 décembre dernier.

En clair, cela signifie que les implantations des brigades seront revues en fonction des « faits constatés », afin de rationaliser l’emploi des forces vers ce seul objectif de lutte contre la délinquance. En d’autres termes, c’est le principe même du maillage territorial qui sera remis en cause ; une nouvelle fois, des services publics seront ôtés au monde rural et aux petites communes.

Nous ne pouvons que redire notre inquiétude face à ces perspectives.

De regroupement en redéploiement de brigades, on est en train de créer des inégalités fortes au sein des populations, qui ne bénéficieront pas d’un égal accès à la sécurité et au « service de proximité attentif aux sollicitations de nos concitoyens » décrit par M. le Premier ministre

Enfin, l’article L.4145-2 du code de la défense évoque le logement des gendarmes en caserne. Il faut sans doute poser à cette occasion la question des casernements de gendarmerie, dont le financement incombe depuis longtemps aux collectivités locales. Je suggère ainsi de ne plus subordonner le versement de la subvention d’État à une maîtrise d’ouvrage effective par une collectivité, afin de permettre, de façon pérenne, le recours à une maîtrise d’ouvrage déléguée. Le recours à des sociétés, tel le groupe SNI, aujourd’hui filiale de la Caisse des dépôts et consignations, et à d’autres opérateurs pourrait ainsi être encouragé.

L’examen du dossier immobilier – casernement et logement – aurait dû être inclus dans ce projet de réforme. Des dispositions évitant aux collectivités territoriales de supporter des distorsions importantes entre les loyers consentis par la DGGN et les intérêts des emprunts souscrits y auraient sans aucun doute eu plus leur place que les allusions au classement indiciaire des gendarmes, qui relève, lui, du domaine réglementaire.

La convention de délégation de gestion signée le 28 juillet 2008 entre le ministre de la défense et le ministre de l’intérieur permettait, et permet toujours, de mutualiser les moyens et d’engager une meilleure synergie entre les services pour un meilleur service public de la sécurité à un coût maîtrisé.

Il n’y avait donc pas urgence à légiférer comme nous le faisons, à la hâte, sur un projet non abouti et imparfaitement réfléchi, dont les conséquences mettront à mal, à court terme, le statut militaire de la gendarmerie nationale et menacent fortement, à moyen terme, les principes fondateurs de notre République et de notre démocratie.

Il ne me reste qu’à espérer, comme d’autres orateurs l’ont fait avant moi, que l’avenir me donnera tort ou, mieux encore, que le législateur reviendra en arrière, comme il l’a déjà fait trois fois par le passé.

Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, madame le ministre, nous ne voterons pas votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, notre pays a deux forces de sécurité, et c’est très bien ainsi. Les Français, dans leur immense majorité, y sont attachés.

En effet, nos concitoyens sont habitués à voir des fonctionnaires de police dans les zones urbaines et des gendarmes dans les zones rurales, même si la situation a évolué, si les compétences territoriales ont été à plusieurs reprises aménagées.

Le projet de loi qui nous est soumis vise à organiser le rattachement de la gendarmerie nationale au ministre de l’intérieur à partir du 1er janvier 2009. Il s’inscrit dans la droite ligne du placement de la gendarmerie, pour emploi, auprès de ce ministère depuis 2002.

Cette réforme est lourde de conséquences et donc source d’interrogations pour les deux forces concernées, plus particulièrement pour la gendarmerie nationale, qui est à un tournant de son histoire.

Le Sénat l’a fort bien perçu puisqu’il avait, en 2007, créé une mission d’information. Puis, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été saisie au fond, ce qui démontre l’attachement de notre assemblée au statut militaire de la gendarmerie.

C’est sur ce point que je souhaite insister puisque l’essentiel réside dans le maintien et la réaffirmation de certaines de particularités de ce corps.

Le statut militaire est un des éléments qui peuvent motiver le choix d’un jeune de s’engager dans une force plutôt que dans l’autre. L’existence du statut militaire entre donc en ligne de compte, mais il faut préciser qu’il n’est que la juste contrepartie des contraintes, notamment d’horaires et de disponibilités, acceptées par les gendarmes.

C’est pourquoi ce statut doit être non seulement maintenu de manière durable, mais également conforté. En effet, ces dernières années, les réformes se sont succédé au point d’entretenir l’incertitude et de rendre une stabilisation plus que jamais indispensable.

Si les missions de la gendarmerie doivent être confortées, leur originalité doit encore être davantage mise en relief, car nous ne pouvons perdre de vue que la zone de compétence de la gendarmerie recouvre 95 % du territoire et 50 % de la population.

Les gendarmes, nous les rencontrons tous les jours. Or ce texte les inquiète. Madame le ministre, pouvez-vous nous donner des assurances entre autres sur le logement en caserne, sur l’âge d’accession des gendarmes à la retraite et sur le décompte des annuités, sur la qualité des formations – des écoles de gendarmerie ont été supprimées – ainsi que sur le maintien des gendarmeries en milieu rural ? Des rumeurs de fermeture circulent. Or les élus et la population sont profondément attachés à la présence de la gendarmerie. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je serai brève, mais la courtoisie et le respect de la représentation nationale et du débat démocratique me font obligation de répondre aux questions qui m’ont été posées.

Même si cela peut faire sourire, certains intervenants ont qualifié ce texte de liberticide. Je me demande vraiment en quoi ce projet de loi pourrait constituer une menace pour les libertés.

Mais je me tourne vers les travées de la gauche : aucun ministre ne disposera d’un pouvoir exclusif sur la gendarmerie, mesdames, messieurs les sénateurs.

L’autorité judiciaire, qui est protectrice des libertés individuelles, au même titre que le ministère de l’intérieur, restera, j’insiste sur ce point, responsable de la gendarmerie pour ses missions judiciaires et mention doit en être faite dans le texte.

Certains esprits nostalgiques font preuve d’un conservatisme intellectuel qui m’étonne parfois.

M. Jean-Louis Carrère. C’est une experte qui parle !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je conçois que l’on puisse être nostalgique, mais en l’occurrence, c’est assez surprenant.

M. Jean-Louis Carrère. N’en faites pas trop !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Haenel, l’équilibre entre la police et la gendarmerie est une condition du succès du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur. Je vous rassure : il n’est pas question de dépouiller la gendarmerie nationale de ses missions de police judiciaire. Chacune des deux forces doit pouvoir exprimer toutes ses potentialités au service de la sécurité des Français, mais cela n’exclut pas la coordination. Le projet de loi prévoit le respect du libre choix du magistrat dans ce domaine.

De nombreuses inquiétudes se sont manifestées quant à une éventuelle disparition du statut militaire. Si certaines me paraissent compréhensibles, d’autres me semblent plutôt relever de la mauvaise foi.

En effet, les groupes qui, aujourd’hui, manifestent leurs inquiétudes avaient, hier, supprimé le recrutement des officiers de gendarmerie par Saint-Cyr. C’est moi qui l’ai rétabli ! C’est encore moi qui ai fait en sorte qu’il y ait un gendarme à la tête de la gendarmerie nationale !

Messieurs de la gauche, vous avez été au gouvernement pendant un certain nombre d’années. Pourquoi ne pas l’avoir fait ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai constaté, dois-je le rappeler, que vous aviez prévu toutes les conditions nécessaires à la mise en place de syndicats dans la gendarmerie et les armées. Sous mon impulsion, les textes que vous aviez préparés sur le Conseil supérieur de la fonction militaire ont été modifiés afin d’empêcher cela. Je suis en effet profondément convaincue qu’il y a antinomie entre statut militaire et syndicalisme ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est cela, le conservatisme !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, quand vous vous posez en défenseurs du statut militaire de la gendarmerie, vous faites preuve d’amnésie. Vous devriez montrer plus de sagesse et d’honnêteté.

M. Jean-Louis Carrère. C’est vous qui êtes conservatrice !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Le présent projet de loi a précisément pour objet d’affirmer et de conforter le statut militaire de la gendarmerie.

Je l’ai toujours dit, et mes actes ont toujours été en harmonie avec mes paroles : je crois au statut militaire de la gendarmerie. J’ai tout fait pour maintenir ce statut et je continuerai dans cette voie. Ce texte est d’ailleurs la preuve de mon attachement à ce qui est une garantie pour la démocratie et pour la République. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Dans cet esprit, le texte réaffirme l’autorité du ministre de la défense sur la gendarmerie pour certaines de ses missions militaires et le maintien de certaines dispositions liées aux spécificités du statut militaire. Il n’y a aucune ambiguïté dans ce domaine.

J’ai souhaité, avec le ministre de la défense, que la gendarmerie conserve cet ancrage au ministère de la défense afin que personne ne puisse remettre en cause son statut militaire.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Fouché, le projet de loi prévoit également des sujétions, des obligations d’emploi et de logement qui conditionnent la capacité de l’État à assurer le maillage territorial.

Des craintes se sont élevées, fondées sur un vieux document interne qui émanait d’un conseiller de Matignon. J’observe que ce document a parfois été utilisé d’une façon pour le moins abusive, quelques jours avant les élections sénatoriales, contre le Gouvernement. J’en avais pourtant démenti la mise en œuvre.

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas nous qui l’avons écrit !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai la conviction que les brigades de gendarmerie, comme les petites sous-préfectures, affirment la présence de l’État dans les zones où son autorité doit être réaffirmée et, là encore, mes actes ont toujours été en accord avec mes paroles.

Cela dit, mesdames, messieurs de la gauche, vous êtes libres de fantasmer sur des documents internes qui n’engageaient que leur auteur. Cette assemblée a pour habitude d’appréhender les sujets graves avec sérieux. Je ne pense pas que vous respectiez cette tradition lorsque vous avancez à l’appui de vos idées des documents qui ne sont pas d’actualité, si tant est qu’ils l’aient jamais été. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Nous savons tous ici que porter atteinte au statut militaire de la gendarmerie reviendrait à porter atteinte à la sécurité des Français. Je m’y refuse ; mon engagement a toujours été en sens inverse.

Mme Klès a évoqué la dualité des forces de sécurité, dans une intervention pleine de confusions et mêlant des sujets sans rapport avec le présent projet de loi.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Ne mélangeons pas tout : l’autorité des préfets sur la gendarmerie nationale ne remet nullement en cause la dualité des forces de sécurité dans notre pays pour l’exercice de la police judiciaire. Je ne sais pas où, madame le sénateur, vous avez pu trouver trace du contraire dans le projet de loi. La dualité est bien la condition du libre choix des magistrats, tel qu’il est défini dans le code de procédure pénale.

MM. Faure et Haenel ainsi que Mme Demessine se sont inquiétés des conditions de l’exercice de l’autorité du préfet. Je tiens à les rassurer, et avec eux tous ceux qui m’ont fait part de leurs interrogations, notamment lors de mon audition par la commission des affaires étrangères : pourquoi voulez-vous que le préfet décide de commander directement les brigades ? En fait, le texte vise à formaliser une pratique vieille de six ans qui, à ma connaissance, n’a soulevé aucune difficulté.

Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, il revient au préfet de décider, en cas de troubles importants à l’ordre public, d’envoyer ou non des forces de gendarmerie sur les lieux, mais ce n’est pas lui qui dirigera les opérations : il n’en a ni les compétences ni la capacité.

Il ne faut pas soulever des problèmes qui n’existent pas, susciter des oppositions là où il n’y en a pas. L’exercice de l’autorité de l’État repose aussi sur le bon sens, mesdames, messieurs les sénateurs.

En ce qui concerne maintenant les zones de compétence, je répète qu’elles ont été définies par la loi : la police intervient dans les zones urbaines et la gendarmerie, dans les zones rurales ; dans certaines zones périurbaines, les interventions peuvent être partagées. Il faut tenir compte de la capacité de la gendarmerie à mettre en œuvre ses compétences spécifiques.

Les préfets ont déjà des instructions strictes pour respecter ces zones et il n’est absolument pas question que la gendarmerie puisse, de manière permanente, intervenir en zone police.

Dans certaines circonstances, le soutien de la gendarmerie peut être requis en zone police et, inversement, celui de la police en zone gendarmerie. Toutefois, cette répartition a lieu en fonction des besoins et ne constitue en rien une organisation générale et permanente.

Je ne pense pas que, parmi vous, certains aient à l’esprit d’interdire, par exemple, la présence de gendarmes mobiles lors des manifestations en zone urbaine ou celle de CRS en cas de problèmes avec les vignerons. Or c’est exactement la même chose : il s’agit d’un soutien réciproque ponctuel et non d’une organisation territoriale qui mettrait à mal la répartition entre la gendarmerie et la police.

Les réquisitions ont fait, comme en commission, l’objet de plusieurs interventions. Je pense notamment à celles de M. Kergueris, de M. Haenel, de Mme Escoffier.

Là aussi, ne nous trompons pas de débat. Nous ne voulons pas faire disparaître tout formalisme. La liberté de manifestation, qui honore notre pays, impose en effet des règles pour assurer la sécurité, y compris celle de nos concitoyens qui exercent cette liberté.

Il est évident que le recours à des moyens lourds ne se produira qu’en de rares circonstances. Si l’on supprime la réquisition, comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est pour une simple question de logique. En effet, comment se réquisitionner soi-même ? Car c’est finalement à cela que l’on aboutirait, du fait du rattachement.

Nous voulons simplement tirer les conséquences du rattachement. Des dispositions réglementaires doivent donc permettre d’assurer les mêmes garanties qu’aujourd’hui contre les excès et pour le respect des libertés.

En fait, nous souhaitons procéder à un certain nombre de simplifications, car nous avons changé d’époque.

Ceux qui ont tant insisté sur les réquisitions en connaissent-ils exactement le nombre et savent-ils quels sont les personnels concernés ?