M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. On ne peut pas dire cela !

M. Gaston Flosse. Ensuite, les dispositions du projet de loi qui pourraient paraître positives sont réduites à néant par la loi de finances qui a été adoptée en décembre 2008. Je prendrai un seul exemple.

La loi d’orientation pour le développement de l’outre-mer, la LODEOM, affiche la possibilité de financer la pose de câbles sous-marins par la défiscalisation. Bravo et merci ! Nous applaudissons tous ! Malheureusement, la loi de finances limite les avantages de la défiscalisation à un seuil si bas qu’il est absolument impossible de financer des investissements d’un tel coût. Autrement dit, madame le ministre, il est tout simplement inenvisageable pour nous de financer par la défiscalisation la pose de câbles sous-marins, la construction d’hôtels, l’achat d’avions ou n’importe quel projet économique significatif. Ces dispositions, et bien d’autres, hélas ! relèvent de la pure hypocrisie.

Enfin, ma troisième observation, que mes collègues veuillent bien m’en excuser, est spécifique à la Polynésie.

Les métropolitains l’ont peut-être oublié, mais les Polynésiens, non ! Ils savent quelle contribution ils ont apportée à la défense de la nation.

Par décision de Jacques Chirac, les essais nucléaires ont pris fin en 1996. C’est moi qui ai eu l’honneur de signer à Fidji, au nom de la France, l’engagement de l’État de renoncer définitivement aux expérimentations nucléaires.

Mais, entre 1966 et 1996, c’est-à-dire pendant trente années, la France a procédé à quarante-six tirs aériens, sans aucune mesure sérieuse de protection des personnels travaillant à Mururoa ni des populations des îles avoisinantes, et à cent quarante-sept tirs souterrains.

Personne aujourd’hui ne peut nier que plusieurs dizaines de Polynésiens sont morts des suites des retombées radioactives engendrées par les essais nucléaires français à Mururoa et à Fangataufa. Les Polynésiens ont payé, et continuent de payer, un lourd tribut à la défense de la France.

Les plus hautes autorités de la République reconnaissaient alors le rôle de la Polynésie et le prix qu’elle avait payé.

En 1996, j’ai signé avec le Premier ministre, M. Alain Juppé, la convention créant pour dix ans un fonds de 150 millions d’euros par an destiné à permettre à la Polynésie de restructurer son économie déstabilisée par la fin des activités du Centre d’expérimentation du Pacifique.

En 2001, le Président de la République française, Jacques Chirac, a décidé de pérenniser ce fonds et de le transformer en dotation globale de développement économique, DGDE. Il voulait ainsi reconnaître que la France avait envers les Polynésiens une dette qui ne s’éteindrait jamais. Il faisait évidemment référence à notre contribution à la défense nationale.

J’ai signé en 2002, avec le Premier ministre de l’époque, M. Jean-Pierre Raffarin, la nouvelle convention créant cette dotation globale pérenne.

En juillet 2003, lors de sa visite en Polynésie française, le Président de la République a solennellement réaffirmé que la France avait à notre égard une dette imprescriptible.

Cet engagement solennel a été respecté jusqu’en 2007. Malheureusement, ce n’est plus le cas. La compensation de la dette imprescriptible de la France est devenue, depuis deux ans, la réponse universelle de l’État à toutes ses obligations contractuelles avec la Polynésie.

Chaque fois que nous demandons à l’État de verser les contributions prévues par des conventions spécifiques concernant la solidarité, la santé ou l’éducation, le secrétaire d’État à l’outre-mer nous répond invariablement : « Nous n’avons pas les moyens, vous n’avez qu’à puiser sur votre DGDE. »

Pardonnez-moi ce résumé brutal, mais c’est la stricte vérité. L’engagement solennel du Chef de l’État de reconnaître la dette de la France à l’égard des Polynésiens par le versement d’une dotation supplémentaire de 150 millions d’euros est devenu depuis deux ans un subterfuge pour limiter à cette somme la totalité des aides de l’État à notre collectivité.

La parole de la France n’est pas respectée. L’engagement solennel d’un Président de la République et de deux Premiers ministres n’est pas respecté.

Le projet que l’on nous demande d’adopter n’est pas une réponse acceptable à la situation de crise actuelle. La solution raisonnable, à nos yeux, serait de respecter la loi de programme pour l’outre-mer de 2003, dite loi Girardin, en lui apportant simplement les correctifs justifiés par la crise économique.

J’ai déposé plusieurs amendements. Certains portent sur des points techniques, tels que la distinction entre les taxes remboursables et non remboursables ou l’extension aux établissements publics des aides de l’État au travers du fonds exceptionnel d’investissement outre-mer.

J’ai également déposé des amendements visant à réintégrer dans les secteurs éligibles des investissements nécessaires pour la Polynésie, par exemple, la construction et la rénovation des navires de croisière, les équipements de santé et les énergies renouvelables.

Les amendements les plus importants sont ceux qui visent à reporter jusqu’en 2013 l’application des mesures les plus pernicieuses, c’est-à-dire la limite à 40 000 euros et l’exclusion du logement intermédiaire du bénéfice de la défiscalisation.

Je souhaite évidemment la suppression pure et simple de ces mesures, mais pour éviter le pire, nous devrions au moins en suspendre l’application jusqu’au redémarrage de l’économie mondiale, après la fin de la crise actuelle.

La commission des finances n’a pas retenu ces amendements au motif qu’ils créaient des nouvelles dépenses sans proposer de nouvelles recettes. Je le déplore.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est une règle constitutionnelle !

M. Gaston Flosse. C’est à croire que certains n’ont encore tiré aucune leçon des événements de la Guadeloupe, puis de la Martinique et maintenant de la Réunion.

Reporter ces mesures restrictives au moins jusqu’en 2013 est une mesure de bon sens dans cette période de crise et d’agitation. Le refus de ce moratoire pour des motifs de principe budgétaire relève de la provocation.

M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot.

M. Jacques Gillot. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer intervient dans un contexte où nos territoires se trouvent, aujourd’hui plus encore qu’hier, à la croisée des chemins.

Le raz de marée social qui a submergé la Guadeloupe, puis l’ensemble des DOM, marque incontestablement les limites d’un système caractérisé par les inégalités sociales et par les pesanteurs d’une économie engluée dans le consumérisme et l’assistanat, un système où excès et injustices se combinent à la violence multiforme : violence des prix et des rapports sociaux, violence du colonialisme économique, comme dirait notre collègue Jean-Paul Virapoullé, violence faite aux jeunes, trop souvent exclus de tout avenir viable et contraints de dériver vers l’oisiveté, les addictions et les conduites déviantes, et, pour finir, violence contre l’identité et la culture, en dépit de quelques concessions faites par la République comme l’enseignement de la langue et de la culture créoles.

À la violence initiale de l’histoire s’est ajoutée la violence imposée par l’éloignement géographique, sous la forme d’une économie marquée par la logique quasi exclusive de l’import-substitution.

Nous le savons tous, lorsque l’Histoire engendre des dénis de dignité, on assiste toujours au retour du refoulé sous forme d’explosions, d’exigences et de révolutions.

Ce n’est donc qu’en faisant preuve d’imagination et d’audace que nous sortirons l’outre-mer, et singulièrement la Guadeloupe, de l’impasse actuelle.

Tout cela, mes chers collègues, pour vous dire que ce mouvement social n’est ni une saute d’humeur, ni un coup de colère passager, ni la traduction d’un racisme inversé.

C’est, au contraire, le symptôme d’un mal-être profond, d’un malaise réel, d’un dysfonctionnement structurel, auxquels nous nous devons de répondre en respectant la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.

Le peuple guadeloupéen aspire à exister, à être reconnu, à habiter son destin au sein de la République ; c’est un peuple en demande d’avenir, tout simplement !

Pourtant, chaque fois que cette aspiration a été exprimée, elle s’est heurtée, soit à la surdité jacobine, soit à l’incompréhension de la République. Et il est dommage que, sur ces dossiers comme sur bien d’autres, la rue doive se faire entendre quand la République ne tient pas suffisamment compte des signaux d’appel répétés des parlementaires ultramarins.

Aujourd’hui, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une refondation s’impose. Cette refondation est en marche, dans les consciences, et elle demande à être prise en compte par les pouvoirs publics.

La réponse doit se mesurer à l’aune de la justice, de l’équité et de l’audace. Elle doit bousculer les idées reçues, les archaïsmes, les blocages et les inerties pour faire émerger une Guadeloupe plus caribéenne et plus guadeloupéenne.

Contrairement à la vision étroite qui nous assigne à résidence dans l’assistanat ou qui brandit le spectre de l’indépendance, il est nécessaire de repenser les rapports entre l’État et l’outre-mer.

Le projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer devrait constituer un premier jalon de cette démarche.

Vous le savez, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, j’étais de ceux qui avaient initialement sollicité le report de l’examen de ce texte pour rendre le projet de loi plus conforme aux enjeux de l’outre-mer.

C’est précisément l’ambition et l’audace que vous avez affichées, monsieur le secrétaire d’État, dans vos engagements au cœur de la crise en Guadeloupe, qui m’ont conduit, avec d’autres, à demander finalement l’examen de ce projet de loi en procédure d’urgence.

Soyons audacieux et faisons preuve d’ambition pour l’outre-mer !

Soyons audacieux en garantissant l’attractivité et l’efficacité des dispositifs d’exonération de charges sociales, notamment en supprimant le mécanisme de dégressivité !

Soyons audacieux et étendons les zones franches globales aux petits commerces et aux entreprises de restauration de moins de onze salariés !

Soyons audacieux et renforçons la stabilité des économies ultramarines en supprimant le caractère temporaire et dégressif, après cinq ans, des exonérations prévues dans les zones franches globales !

Soyons audacieux et favorisons la mise en place de mesures exceptionnelles d’accompagnement de nos entreprises pour relancer notre économie après la crise, particulièrement dans les îles du Sud : Marie-Galante, la Désirade et les Saintes !

Soyons audacieux et conditionnons la réduction des cotisations de sécurité sociale des entreprises de plus de vingt salariés à la mise en œuvre préalable d’un accord salarial d’entreprise !

Soyons audacieux en développant fortement des secteurs porteurs comme l’agro-nutrition, les énergies renouvelables et la biodiversité !

L’ambition, mes chers collègues, c’est proposer qu’une taxe sur le produit des jeux de hasard contribue à améliorer les finances des collectivités locales.

C’est faire en sorte que cette taxe leur permette notamment d’abonder, aux côtés de l’État, un plan d’urgence pour l’emploi et la formation de ces 56 % de jeunes de quinze à vingt-quatre ans frappés par l’échec scolaire, la désocialisation et le chômage. Monsieur le secrétaire d’État, ce sont eux qui ont érigé des barrages !

C’est aussi étendre aux DOM le contrat d’autonomie mis en place ici en faveur des jeunes défavorisés des banlieues !

C’est tenter d’améliorer et de rendre beaucoup plus attractif le dispositif de soutien à l’emploi des jeunes diplômés plutôt que de le supprimer !

L’ambition, mes chers collègues, c’est garantir la pérennisation du financement du logement social par la ligne budgétaire unique, ou LBU, sur la base de paramètres équilibrés et orienter la défiscalisation en priorité vers le logement intermédiaire, sans pour autant pénaliser le logement libre.

C’est permettre l’alignement du « forfait charges outre-mer » sur celui de la France hexagonale. Monsieur le président de la commission des finances, ce forfait fait partie de l’accord signé par le préfet de la Guadeloupe. Il serait dommage que nous apprenions que l’État n’a pas tenu parole en Guadeloupe.

L’ambition et l’audace, c’est casser les monopoles et taxer les superprofits des compagnies pétrolières !

L’ambition et l’audace, monsieur le secrétaire d’État, c’est garantir la compensation des finances des collectivités locales et nous indiquer le calendrier du projet de loi de finances rectificative, qui permettra, en Guadeloupe, la mise en œuvre dès le mois d’avril du revenu supplémentaire temporaire d’activité, le RSTA.

C’est surtout permettre demain aux Guadeloupéens de jeter collectivement, sans carcan ni limite, les bases d’un nouveau contrat social.

L’ambition et l’audace au service de l’outre-mer, c’est bien l’objet des amendements que je défendrai devant vous avec le groupe socialiste en espérant votre soutien, mes chers collègues, car il y va de l’avenir de nos territoires.

Mes chers collègues, la Guadeloupe aspire tout simplement à maîtriser son avenir dans le monde.

Le chemin que nous voulons prendre, c’est celui de la responsabilité, pour que l’espérance triomphe des pulsions de la peur et de l’affrontement. Ce chemin doit être non pas solitaire, mais solidaire, car c’est ensemble que nous serons capables de démarrer l’histoire de l’outre-mer.

Vous le voyez mes chers collègues, ce qui nous rassemble au-delà de nos différences, c’est bien notre foi dans une France davantage ouverte à la diversité de ses composantes.

Nous avons commencé en Guadeloupe, à vous de continuer avec nous pour que la République soit à la hauteur de nos espérances.

Contrairement aux apparences, ces espérances ne sont pas l’affaire exclusive de l’outre-mer. Elles s’élargissent à la nation entière, car la question posée est bien celle de la condition humaine ou, si vous préférez, de l’humaine condition de l’ensemble du peuple français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste. - Mme Lucette Michaux-Chevry applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 1er de la loi de programme du 31 décembre 1986 relative au développement des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte dispose notamment : « L’effort de la nation en faveur des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte tend au développement économique, à l’emploi des jeunes, à la mobilité des populations entre ces collectivités et la métropole […].

« Les départements d’outre-mer et les collectivités territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte se voient ainsi confirmés dans leur rôle de pôle de rayonnement de la France en Amérique et dans l’océan Indien. »

Force est de constater, vingt-trois ans plus tard, que nous sommes malheureusement encore loin de cet objectif !

Or l’outre-mer est une chance pour la France et pour l’Europe.

Grâce à l’outre-mer, la France est la troisième puissance maritime mondiale, avec plus de 10 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive. Présente dans tous les océans de la planète, elle est également représentée sur tous les continents.

L’outre-mer fait bénéficier la France d’une exceptionnelle richesse en matière de biodiversité. À l’heure du Grenelle de l’environnement, cet atout, qui est également une responsabilité, ne doit pas être négligé. De l’île de la Réunion au pôle Sud, la France assure dans l’océan Indien sa souveraineté sur tout ce gradient de latitude. Aucun autre pays au monde ne dispose de cette richesse écologique dans l’hémisphère sud, des îles Éparses aux Terres australes, aux îles subantarctiques jusqu’au continent antarctique.

Vous savez l’intérêt que je porte à la recherche et à ces sujets en particulier. Ils sont fondamentaux et reconnus comme tels par la communauté scientifique internationale.

Grâce à l’outre-mer, aussi, l’Europe dispose d’une base de lancement de satellites : le centre spatial de Kourou, en Guyane. J’arrêterai là cette énumération, qui est loin d’être achevée.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de permettre le développement économique de l’outre-mer. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette volonté du Gouvernement.

Cependant, ce texte, adopté en conseil des ministres en juillet dernier, a été élaboré dans un contexte totalement différent de celui qui prévaut aujourd'hui. La crise économique mondiale a bouleversé le fragile équilibre socio-économique de l’outre-mer français, révélant des problèmes structurels plus profonds, parmi lesquels se démarquent tout particulièrement l’important taux de chômage, la cherté de la vie et les problématiques liées au manque de logements sociaux.

Depuis l’adoption de ce projet de loi, tous les DOM ont été confrontés à des mouvements sociaux lourds, de très grande ampleur et s’inscrivant dans la durée, d’abord en Guyane, puis en Guadeloupe et en Martinique, et maintenant à la Réunion. Le malaise social de nos concitoyens ultramarins est donc général et demande rapidement des réponses de fond. Le Gouvernement s’est engagé sur un certain nombre de mesures.

Ce projet de loi, qui peut paraître annexe par rapport à la multiplication des plans et des accords récents, doit conserver sa légitimité en répondant mieux aux attentes de nos concitoyens ultramarins.

C’est en ce sens que la commission des finances a adopté l’amendement de son président, Jean Arthuis, qui prévoit qu’un décret en Conseil d’État réglemente, dans les départements d’outre-mer, le prix de vente de cent produits de première nécessité.

En effet, tous les départements d’outre-mer, et, plus généralement, les collectivités d’outre-mer sont confrontés à des surcoûts liés à l’éloignement et à l’étroitesse des marchés, mais aussi à la fiscalité locale, notamment l’octroi de mer, ainsi qu’au caractère faiblement concurrentiel des réseaux de grande distribution, qui, de fait, sont en situation de quasi-monopole sur les marchés tant de détail que de demi-gros.

À cette situation particulière, il est nécessaire de répondre par des mesures particulières. Il n’est pas acceptable qu’une partie importante des populations ultramarines peine à accéder aux produits de première nécessité. Des mesures ont déjà été prises par le passé, comme la création, dans les DOM, d’observatoires des prix pouvant formuler des recommandations, mais sans impact réel.

La proposition de la commission des finances, qui peut sembler à première vue quelque peu surannée, me semble cependant adaptée à la situation que connaissent les DOM. Il n’est pas normal que les produits de première nécessité, et notamment d’hygiène, y soient jusqu’à deux fois plus chers qu’en métropole !

C’est pourquoi le groupe centriste est favorable à la position adoptée par la commission des finances.

Nous avons également déposé un amendement visant à ce que les DOM soient clairement mentionnés dans le champ d’intervention de la nouvelle Autorité de la concurrence.

Parce que ce projet de loi vise à favoriser le développement économique de l’outre-mer, il est essentiellement tourné vers les entreprises ultramarines. Ce projet de loi pose au fond la question de savoir quel type de développement nous souhaitons pour nos départements d’outre-mer.

Il est en effet indispensable de mettre en place les conditions d’un développement économique harmonieux, permettant de fournir des emplois aux populations ultramarines et d’accompagner les entreprises locales, y compris les plus petites d’entre elles.

Pour cela, il faut remettre les entreprises et les entrepreneurs au cœur de l’activité économique. Nombre de dispositions de ce projet de loi vont en ce sens. Ainsi, la principale mesure vise à mettre en place des zones franches d’activités, où les entreprises pourront bénéficier d’abattements à hauteur de 50 % sur les bases de l’impôt sur les bénéfices, de la taxe professionnelle et de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Par ailleurs, un certain nombre de secteurs prioritaires ont été identifiés, qui seront éligibles au régime d’abattement à 80 %. Ce sera notamment le cas des exploitations et des entreprises exerçant leur activité dans la recherche-développement, les nouvelles technologies, le tourisme, les énergies renouvelables ou l’agro-nutrition.

Nous avons déposé un amendement visant à rendre éligibles tous ces secteurs d’activité dans l’ensemble des DOM.

En effet, à l’heure actuelle, les économies des DOM doivent entrer résolument dans une nouvelle phase de leur développement.

Contrairement à la métropole, les DOM sont en concurrence directe avec les pays moyennement avancés, dont les prix de production sont extraordinairement inférieurs aux leurs. Le rapport est ainsi de un à dix entre la Réunion et l’île Maurice, et même de un à cinquante avec Madagascar !

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur pour avis. C’est vrai !

M. Christian Gaudin. De plus, l’absence de normes dans ces pays fausse totalement la concurrence. À cela s’ajoute la distance par rapport à la métropole et aux marchés importants. C’est pourquoi les mesures instaurant des abattements fiscaux sont à ce point primordiales.

En outre, ce projet de loi modifie profondément le régime actuellement applicable à la défiscalisation en matière de logement. Jusqu’à maintenant, celle-ci, du fait qu’elle favorise le logement libre, a en effet fortement porté préjudice au logement social, pour deux raisons principales.

D’une part, les entreprises de construction choisissent prioritairement les opérations réalisées au titre de la défiscalisation, qui sont plus rémunératrices. D’autre part, le prix du foncier augmente en raison des opérations mises en œuvre grâce à la défiscalisation, ce qui rend les terrains indisponibles pour la construction de logements sociaux.

Il en résulte qu’un très grand nombre de dossiers de demandes de logement social sont en attente : plus de 30 000 pour la seule île de la Réunion et 2 500 à Mayotte.

Je souhaiterais insister sur la nécessité de mettre en place une véritable politique de formation des populations ultramarines qui réponde aux besoins des entreprises locales.

Il est important d’avoir intégré dans les conditions requises pour bénéficier de l’abattement celles qui sont relatives aux dépenses de formation professionnelle. On sait à quel point la qualification obtenue par cette voie constitue un véritable levier pour le développement, la compétitivité et l’innovation dans l’entreprise.

Enfin, pour conclure, j’approuve la création d’une commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, composée majoritairement de parlementaires. Il est nécessaire d’analyser aussi bien le coût des mesures spécifiques consacrées à l’outre-mer, que la manière dont ces mesures sont ajustées. Il faut aussi évaluer leur impact sur les mécanismes de formation des prix, sur l’organisation des circuits de distribution et sur les niveaux de rémunération des fonctionnaires de l’État exerçant leur fonction outre-mer.

Prenons date avec ce texte de loi, comme le souhaite le Président de la République, pour valoriser les atouts de l’outre-mer, d’abord au profit des populations ultramarines, mais aussi pour le rayonnement de l’outre-mer, c'est-à-dire de la France, dans le monde. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur pour avis. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours des vingt dernières années, chaque nouvelle législature a vu l’adoption rapide d’un texte de loi sur l’outre-mer.

Bien que sa préparation ait débuté en 2006, avec la publication de plusieurs rapports d’audit ou des discussions menées par les préfectures, c’est seulement maintenant que ce projet de loi arrive en discussion, et encore est-ce sous la pression des événements que l’on connaît.

Avant l’examen du texte, plusieurs annonces ont toutefois été faites. Nous avons donc du mal à nous y retrouver, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État !

À la fin du mois de janvier, à la Réunion, vous laissiez entendre qu’une centaine de projets seraient retenus au titre du plan de relance, pour un montant de 250 millions d’euros de dépenses. Actuellement, une douzaine de projets seulement seront financés, pour 25 millions d’euros. En novembre dernier, vous faisiez la promotion d’une stratégie de croissance pour l’outre-mer – la STRACOM – déclinée en vingt actions et une centaine de mesures. À la mi-février, le Président de la République changeait de cap et proposait des « États généraux de l’outre-mer ».

Pour en revenir au présent projet de loi, et au regard des événements actuels, le texte apparaît limité. Il lui manque notamment une dimension essentielle, la dimension sociale ou, pour le dire plus d’une façon plus générale, tout ce qui touche à l’humain.

De plus, les engagements pris à l’égard de l’outre-mer par Nicolas Sarkozy en tant que candidat à la présidentielle ne se sont pas non plus concrétisés ici. Le 16 juillet 2006, il préconisait des moyens pour développer le dialogue social et il invitait à faire plus d’efforts pour l’éducation, pour l’amélioration de l’offre de soins ou encore pour le développement de la coopération régionale. Or ces thèmes ne sont pas évoqués dans le texte.

Dans l’avis qu’il a rendu, le conseil régional de la Réunion invitait le Gouvernement à lier les avantages obtenus par les entreprises en matière d’exonérations fiscales ou de charges patronales à des augmentations de salaires ou à une baisse des prix. Il proposait également d’introduire dans le texte un chapitre consacré au développement humain. Cet avis n’a pas été suivi.

Depuis le second semestre 2006, comme je l’ai évoqué, les préfets ont mené officieusement des consultations sur le projet de loi. Ensuite est intervenue la consultation officielle, mais les organisations syndicales de salariés n’ont pratiquement pas été entendues.

Dans ces conditions, on peut comprendre l’ampleur des mouvements sociaux que connaissent nos départements d’outre-mer.

La crise qui frappe ces derniers ne résulte pas seulement du dérèglement financier qui secoue actuellement la planète entière. Elle découle aussi de plusieurs décisions prises depuis quelques années au niveau national.

En présentant, à la veille de la manifestation du 5 mars dernier, un catalogue de soixante-deux points concernant l’emploi, les salaires, les prix, le pouvoir d’achat ou encore le logement, le Collectif des organisations syndicales, politiques et associatives de la Réunion, le COSPAR, a rappelé que « la notion d’urgence sociale est arrivée à son paroxysme ».

Ces revendications ne trouveront guère de réponses satisfaisantes dans ce projet de loi. Il faut espérer que les États généraux de l’outre-mer, qui seront organisés au mois de mai, puissent répondre à toutes les attentes.

Il conviendra cependant de prendre en compte tous les défis qui nous seront posés d’ici à 2019, date à laquelle le présent projet de loi arrive à échéance, et d’appréhender au mieux les atouts et les perspectives que nous pouvons offrir.

En ce qui concerne les défis, la signature dans notre zone de la version définitive des accords de partenariat économique, les APE, entre l’Union européenne et les pays ACP – Afrique, Caraïbes, Pacifique – est prévue pour le début de l’année 2010. Ces accords modifieront profondément les termes de l’insertion de la Réunion dans son environnement géographique et économique.

En outre, l’Afrique du Sud a décidé de s’investir de nouveau dans ces accords de partenariat économique. Nous ne pouvons donc pas négliger le rôle que cette puissance régionale est appelée à jouer dans notre environnement.

Nous avons subi, en 2008, les effets de la crise frappant les matières premières, notamment les intrants et les carburants, qui se sont traduits par une augmentation des coûts de ces produits. Nous nous interrogeons à cet égard sur ce qui pourrait se passer dans les mois et les années à venir.

Nous n’avons guère non plus de visibilité en ce qui concerne l’évolution de la crise alimentaire mondiale, dont les effets les plus graves ont été ressentis l’année dernière.

En 2014, le règlement sucrier européen arrivera à échéance. Au moment où s’engagent parallèlement la réforme du budget de l’Union européenne et celle de la politique agricole commune, on peut se demander quel sera le niveau de compensation pour le prix du sucre des départements d’outre-mer. Comment bâtir une stratégie de développement de l’agro-nutrition alors que nous n’avons aucune visibilité et aucune garantie, à moyen et à long terme, sur la filière sucre, qui constitue le pivot de l’agriculture réunionnaise ?

L’année 2014 verra aussi l’expiration du régime actuel de l’octroi de mer, ce système fiscal spécifique propre aux DOM. Peut-on espérer que Bruxelles acceptera la reconduction d’un tel dispositif dérogatoire, et, si oui, à quelles conditions ?

Cette réforme s’ajoutera à l’exonération des taxes foncières proposées dans ce projet de loi ainsi qu’à la suppression de la taxe professionnelle, envisagée au niveau national avec des modalités de compensation qui sont encore imprécises.

Cette situation ne manquera pas de fragiliser les budgets des collectivités locales, lesquelles doivent aussi répondre aux nouvelles contraintes que leur fixe la loi de finances pour 2009.

L’année 2014 correspond également à la fin des documents contractuels de programmation financière pluriannuelle que sont le contrat de projets avec l’État et les programmes opérationnels avec l’Europe. L’hypothèse d’une évolution à la baisse du montant des aides de l’Union européenne doit être prise en compte. D’une manière plus générale, c’est le concept de régions ultrapériphériques qui sera discuté, avec sans doute une remise à plat de la conception des relations qu’entretiennent ces régions avec l’Union européenne.

Tous ces éléments pèseront sur l’économie et sur l’environnement des entreprises. S’ils ne sont pas maîtrisés, ils risquent de neutraliser tous les effets positifs de la zone franche globale d’activités.

D’autres facteurs globaux continueront à produire silencieusement, mais irréversiblement, leurs effets. La Réunion poursuivra sa progression démographique. Des projections réalisées récemment pour l’année 2030 par l’INSEE confirment la perspective du million d’habitants pour l’île, avec l’accroissement des besoins que cela entraînera dans tous les domaines, notamment en termes de création d’emplois, de logements et d’équipements.

Notre département, situé sur le chemin des cyclones, ne sera pas à l’abri des conséquences de l’accélération du changement climatique. Il faut donc anticiper, notamment au titre de la politique de prévention des risques et de l’aménagement du territoire.

Enfin, les négociations pour la mise en œuvre des règles de l’OMC ne sont pas achevées. Toutefois, les flux des échanges des hommes, des marchandises, des capitaux et des informations sont déjà en train de changer. La Réunion, qui se trouve à quelques heures de vol de 65 % de la population du monde, peut vite se retrouver isolée si nous ne faisons rien.

La conjonction de tous ces facteurs, si nous ne prenons pas en compte chacun d’entre eux, aura pour conséquence de réduire encore la portée – sinon l’efficacité – de la loi.

Cependant, nous avons dans les DOM des atouts à faire valoir.

Nos populations sont relativement jeunes et bien formées. Ces deux leviers peuvent être utilisés à la fois pour développer nos départements et favoriser leur intégration dans leur zone géographique.

Nous disposons de capacités de recherche non négligeables, que nous avons sollicitées pour atteindre l’objectif, fixé par le conseil régional de la Réunion, de l’autonomie énergétique de l’île en 2025.

La combinaison de ces moyens et de cette volonté politique fait de la Réunion une pionnière dans le domaine des énergies renouvelables. Ses acquis peuvent profiter à d’autres.

Notre longue expérience d’île sucrière nous a permis d’introduire de nombreuses innovations, tant agricoles qu’industrielles, que nous exportons partout dans le monde.

Nous possédons une biodiversité unique. La sauvegarde et la mise en valeur de ce patrimoine peuvent se réaliser, chez nous, par le parc national de la Réunion, qui couvre 42 % du territoire, et dans la réserve naturelle marine. Il en est de même pour la collecte, le tri systématique et la valorisation des déchets.

C’est là, je l’ai déjà dit, que nous pouvons trouver des milliers d’emplois à offrir, en mettant en place un véritable service d’intérêt public de l’environnement.

Nos sociétés, qui sont à peine sorties de la période coloniale, connaissent une mutation, avec d’importantes conséquences sociales. Ainsi, de plus en plus de personnes de générations plus anciennes ont besoin du soutien de la société. À la Réunion, les offres d’accueil et d’encadrement pour les personnes âgées, mais aussi pour les personnes handicapées et pour la petite enfance sont dramatiquement insuffisantes.

Il est indispensable, si l’on veut assurer la cohésion sociale, de donner à cette population fragile les moyens nécessaires pour vivre décemment. Dans ce secteur aussi les besoins en emplois se chiffrent par milliers. Seule la création d’un grand service public dédié à cette fonction permettrait de satisfaire les demandes et de ne laisser personne sur le bord du chemin.

La Réunion a déjà élaboré son plan régional de développement durable, qui sera créateur de richesses et d’emplois. Ce plan est fondé sur les énergies renouvelables, les grands travaux, le développement des technologies de l’information et de l’image, l’utilisation de nouveaux modes de déplacement, comme le tram-train, la consolidation de l’identité réunionnaise – avec le projet de Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise – et la coopération régionale.

Bref, la Réunion est prête à participer aux États généraux de l’outre-mer, annoncés par le Président de la République et dont le but est le développement des DOM.

De plus, le siècle qui vient de débuter sera celui de l’espace et de la mer, comme le répète l’un de nos anciens collègues, M. Paul Vergès. Or, l’outre-mer offre à la France et à l’Europe des entrées formidables dans ces deux domaines.

La base de Kourou, en Guyane, donne une ouverture incomparable sur l’espace. Nos zones économiques exclusives font de la France et de l’Europe de véritables puissances maritimes, avec des accès à d’importantes richesses halieutiques et sous-marines.

Notre positionnement géographique place la France et l’Europe aux portes de plusieurs continents. Nous pouvons ainsi jouer le rôle de frontières actives.

Quand nous additionnons tout cela, nous ne nous sentons pas dans une position d’assistés : nous savons que nous apportons de vraies richesses, même si elles sont difficilement quantifiables.

Aussi, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque l’on énumère à l’opinion publique les actions que l’État met en œuvre chez nous, lorsque l’on insiste sur les sommes que représentent ces actions, mais que, dans le même temps, on oublie de signaler que ces efforts résultent de la nécessité de l’équité et de la justice sociales, de même que l’on omet de rappeler tout ce que nous apportons, on contribue à accréditer l’idée que l’outre-mer coûte cher au contribuable de métropole.

Votre texte, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, pour avoir une certaine efficacité, doit être amendé. C’est à cette tâche que je vais m’atteler tout au long du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)