M. Denis Badré. Chacun son appréciation !

M. Michel Billout. Ainsi, pour obtenir un nouveau référendum en Irlande, des concessions importantes ont été accordées par la Commission, notamment sur l’application de la charte des droits fondamentaux. Accorder des exceptions à l’application de cette charte revient, finalement, à la priver de toute portée juridique réelle.

Le traité de Lisbonne porte en lui toutes les racines de la crise : principe de libre circulation des capitaux, indépendance de la banque centrale, interdiction des aides d’États. Nous continuons donc de le contester non seulement parce que son adoption constituerait une procédure antidémocratique, mais encore en raison des politiques qu’il sous-tend.

Les peuples de plusieurs pays ont manifesté leur exigence de ne pas voir imposer comme unique objectif à la construction européenne la mise en concurrence des hommes, des entreprises et des territoires.

Vous refusez d’entendre ce message, y compris quand tous les indicateurs sont au rouge. Nous en appelons donc une nouvelle fois au Gouvernement français pour qu’enfin une impulsion soit donnée à une Europe politique des peuples, fondée sur la volonté de progrès partagée et celle d’une harmonisation par le haut dans les domaines sociaux, écologiques et fiscaux.

Sur le plan institutionnel encore, le Conseil extraordinaire du 1er mars a permis aux chefs d’État de renouveler leur confiance dans les travaux de la Commission pour trouver des réponses à la crise. Nous trouvons cette prise de position contestable, dans la mesure où elle signe le retour d’une commission omnipotente, clé de voûte des institutions européennes, et ce alors que la présidence française avait permis de renforcer le poids du Conseil européen.

Fixer un ordre du jour est un exercice parfois complexe, mais nous regrettons que la situation internationale, hormis la question des partenariats orientaux et de l’Union pour la Méditerranée, ne soit pas traitée.

Cette situation a beaucoup évolué depuis décembre. Par exemple, une guerre sans précédent s’est déroulée sur les territoires de la bande de Gaza, faisant plus de 1 300 victimes, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Cette agression insupportable, ainsi que les crimes de guerre qui ont été commis, appellent une réaction forte de la communauté internationale, et notamment de l’Union européenne ; le Parlement européen s’est déjà prononcé par voie de résolutions.

L’Europe doit donc s’engager cette fois-ci fermement pour obtenir d’Israël l’arrêt de sa politique de colonisation et de ses exactions à l’encontre du peuple palestinien. C’est la base de toute reprise du processus de paix.

Dans la situation actuelle, la question du rehaussement des relations avec Israël doit être abandonnée jusqu’à la création effective de deux États viables et souverains.

Tels sont les quelques éléments que je voulais rapidement aborder en vue du prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

(M. Guy Fischer remplace Mme Catherine Tasca au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’occasion de ce débat préalable au Conseil européen, je voudrais tout d’abord rendre hommage à la présidence française de l’Union européenne, qui a réalisé un travail remarquable en faisant aboutir des dossiers clés pour l’avenir de nos économies, au premier rang desquels le paquet « énergie-climat ».

Témoignant du rôle moteur de la France sur la scène européenne, cette présidence a démontré que notre pays était capable de conduire ses partenaires sur la voie du compromis, en particulier sur les questions économiques et environnementales, alors même que le contexte aurait pu nous inciter au repli national.

En ces temps de crise, en effet, il serait particulièrement tentant de céder au protectionnisme ou de reléguer au second plan les problématiques environnementales, par exemple. En réalité, nos économies ont plus que jamais besoin de solidarité et de coordination pour atténuer les effets du ralentissement conjoncturel et mettre en œuvre les mutations nécessaires pour aller vers des modèles plus durables.

Le Conseil européen des 19 et 20 mars prochains, sous présidence tchèque, s’inscrit dans ce contexte de crise économique et financière sans précédent. Il doit, pour cette raison, nous inviter, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à faire preuve de volontarisme.

Il conviendra, dans cette perspective, de faire le point sur les progrès réalisés pour renforcer la stabilité, la supervision et la transparence des marchés financiers, et d’envisager, le cas échéant, si des mesures complémentaires doivent être arrêtées par les chefs d’État et de gouvernement.

L’Union européenne doit progresser en matière de régulation financière si elle souhaite restaurer la confiance dans nos économies. Dans cette perspective, l’assainissement du secteur bancaire et financier constitue la principale priorité. Par ailleurs, sans rétablissement du crédit bancaire, il n’y aura pas de reprise durable : les entreprises ont besoin d’avoir accès au crédit, et tout particulièrement les petites et moyennes entreprises, qui composent notre tissu industriel et qui créent aujourd’hui des emplois.

S’agissant du plan européen pour la relance économique, il doit lui aussi faire l’objet d’une évaluation lors du Conseil européen. À cet égard, il me semble nécessaire, même si cela peut paraître plus délicat en temps de crise, de ne pas négliger les objectifs budgétaires à moyen terme, conformément au pacte de stabilité et de croissance.

J’ajoute que les mesures de relance doivent faire l’objet d’une coordination. Plus précisément, c’est le soutien à l’industrie qui doit, me semble-t-il, animer en priorité les réflexions au sein du Conseil. Je rappelle ainsi que la part de l’industrie dans la valeur ajoutée française est passée de 20 % à 12 % en dix ans. La question est simple : voulons-nous qu’il existe encore une industrie européenne dans les dix prochaines années ?

Si nous répondons par l’affirmative, alors il faudra renforcer l’innovation et la recherche. Nous devons en particulier travailler à la reconfiguration du paysage automobile européen. Nous voulons tous sauvegarder les emplois et les technologies dans ce secteur, mais nous savons également qu’il faudra accepter et accompagner les évolutions nécessaires, afin de conserver une industrie automobile compétitive.

Par ailleurs, la crise économique que nous traversons doit nous inciter à progresser plus rapidement dans la mise en œuvre de l’ensemble des piliers de la stratégie de Lisbonne. À cet égard, l’amélioration de l’employabilité des salariés constitue un levier important pour amortir les effets de la crise sur le marché du travail. C’est pourquoi une attention particulière doit être accordée à l’emploi des jeunes, des seniors et des moins qualifiés, particulièrement exposés aux conséquences du ralentissement de l’activité.

En outre, si nous voulons faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde, il est nécessaire de prendre les bonnes décisions en matière de soutien à l’innovation. La stratégie de Lisbonne présente de nombreux aspects positifs, mais elle demeure purement déclaratoire. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je soutiens pleinement votre proposition de faire du ratio des dépenses publiques consacrées à l’innovation – aujourd’hui fixé à 3 % du produit intérieur brut – un objectif prioritaire, et non plus un simple indicateur.

À terme, l’enjeu est bien de définir une véritable politique économique et industrielle européenne.

Je souhaiterais, à ce point du débat, connaître les intentions de l’Europe sur le dossier de l’Organisation mondiale du commerce, plus précisément sur la problématique de la signature de l’accord de Doha. Toute signature en la matière génère deux à trois points de croissance mondiale supplémentaire, mais vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'État, qu’un accord sur la base des conclusions de juillet dernier est aujourd’hui inconcevable. Il serait pertinent que l’Europe reprenne l’initiative.

Je voudrais à présent aborder plusieurs dossiers majeurs dans le domaine économique, qui devront être traités en priorité avant le renouvellement du Parlement européen de juin prochain.

L’aboutissement du paquet « télécom » dépendra de la capacité de la présidence tchèque à trouver un compromis sur des questions aussi cruciales que celles de la régulation européenne ou encore des tarifs de roaming.

La commission des affaires économiques s’était prononcée contre la création d’une autorité européenne du marché des communications électroniques, proposant au contraire une harmonisation des pratiques nationales de régulation en Europe. La commission avait fermement rappelé le besoin de mieux assurer les droits et la protection des consommateurs de services de communications électroniques, notamment en matière tarifaire.

Le dossier de l’énergie et du changement climatique doit lui aussi faire l’objet d’un compromis. Le Conseil européen est ainsi invité à arrêter une série d’orientations concrètes en vue de renforcer la sécurité énergétique de l’Union à moyen et long terme. Les voies et moyens à privilégier pour sécuriser nos approvisionnements en Europe ont d’ailleurs été très bien identifiés dans différents travaux sénatoriaux, en particulier ceux de nos collègues Bruno Sido, sur l’approvisionnement électrique de la France, ou encore Marcel Deneux, sur le paquet « énergie-climat ».

Dans cette perspective, et pour faire face aux risques de crise d’approvisionnement, il convient de développer nos infrastructures énergétiques, de renforcer les stocks de pétrole et de gaz, mais aussi et surtout d’améliorer l’efficacité énergétique, tout en diversifiant notre bouquet énergique au profit des énergies renouvelables.

S’agissant de l’important dossier du marché intérieur de l’énergie, si nul ne remet en cause la nécessité de le rendre plus opérationnel et plus efficace, la libéralisation de ce secteur doit être envisagée avec prudence. En effet, comme cela a été réaffirmé par notre Haute Assemblée, il convient de privilégier l’option de la régulation, qui préserve des opérateurs intégrés au niveau européen, plutôt que celle de la séparation patrimoniale, qui aboutirait au démantèlement et à l’affaiblissement de grands groupes européens dans un contexte économique déjà dégradé.

Dans ce domaine, il faut saisir l’occasion de la crise économique pour accélérer la mutation de nos économies vers des modèles plus respectueux de l’environnement. Nous devons réaliser les réformes économiques indispensables à l’émergence d’une économie sûre, durable, économe des ressources disponibles et à faible teneur en carbone.

À cet égard, la lutte contre le changement climatique constitue une priorité, tant pour l’Union européenne que pour ses partenaires. Nous pouvons d’ailleurs nous féliciter, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, d’avoir désormais à Washington une administration résolument engagée sur ces questions.

Ce Conseil européen doit ainsi être l’occasion pour les vingt-sept États membres d’arrêter les grands axes concernant le cycle de négociations sur le changement climatique de Copenhague. Le conseil des ministres de l’environnement du 2 mars dernier a déjà affiné la position qu’il souhaitait voir défendue par l’Union européenne dans ces négociations. Ainsi, il demande aux pays développés de s’engager sur des réductions pour 2020, de traduire le plus rapidement possible les objectifs en mesures contraignantes, et les invite à annoncer leurs intentions à la mi-2009 au plus tard.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance du rendez-vous de décembre prochain à Copenhague, car, en cas d’accord international, l’Union européenne réduira ses émissions de gaz à effet de serre non pas de 20 %, mais de 30 %.

Il est indispensable d’obtenir des autres pays développés qu’ils s’engagent sur des exigences similaires à celles qui ont été adoptées au niveau de l’Union européenne, afin d’éviter tout risque de distorsion de concurrence fondée sur un « dumping environnemental ».

Les pays en développement doivent contribuer eux aussi, en fonction de leurs facultés respectives, à l’effort en faveur du climat. Bien évidemment, cela rend nécessaire la promotion de mécanismes de solidarité et un soutien financier en direction des pays les plus pauvres.

Aussi, afin de mesurer les efforts des uns et des autres, le conseil Environnement préconise de retenir quatre critères, qui me paraissent relever d’une approche fondée sur l’équité économique : la richesse, le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’évaluation des actions déjà réalisées et l’évolution de la démographie.

Le conseil propose également aux partenaires européens de s’engager dans une vision « à long terme » pour parvenir à un taux moyen global d’émission de 2 tonnes de C02 par an et par habitant en 2050, contre 6,2 en France et 20,4 aux États-Unis.

Si nous ne pouvons que nous féliciter de ces propositions, une question n’est pas encore tranchée à ce jour, celle de leur financement. Il conviendra d’y être très attentif afin de ne pas pénaliser les entreprises et, au final, l’emploi.

En définitive, à la veille de ce sommet européen, je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, réaffirmer solennellement que l’Union européenne doit défendre le principe d’une croissance durable compatible avec la protection de l’environnement et de la santé et qu’il n’y aura de réponses à la crise qu’européennes. Tous ceux qui croient au primat de solutions nationales non concertées sont dans l’erreur.

Je forme donc le vœu que ce Conseil européen soit l’occasion de débattre ensemble des différents sujets qui viennent d’être abordés et d’envoyer un signal fort d’unité et de solidarité à l’échelon européen. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les trois « E » de la présidence tchèque seront à l’ordre du jour du Conseil européen des 19 et 20 mars prochains : économie, énergie, relations extérieures.

Mon propos concerne la politique de l’énergie dans la perspective du partenariat oriental.

Le 7 mai prochain, la présidence tchèque lancera le partenariat oriental regroupant six États stratégiques en matière énergétique : l’Azerbaïdjan – producteur important d’hydrocarbures –, l’Arménie, la Géorgie, l’Ukraine – pays de transit –, la Moldavie et la Biélorussie.

La sécurité d’approvisionnement est enfin devenue une priorité de l’Union européenne depuis la présidence allemande. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de cohésion communautaire, mais le rapport Mandil a fait évoluer cette conception et a étroitement lié la sécurité d’approvisionnement à la solidarité énergétique entre les membres de l’Union.

L’absence de politique européenne de l’énergie nous a privés d’une opportunité formidable en 2006, lorsque les pays producteurs d’Asie centrale – Kazakhstan, Ouzbékistan et Turkménistan – attendaient une réponse à leur appel à l’Union européenne. Notre indigence politique et notre manque de réactivité a renforcé le monopole de Gazprom. Aujourd’hui, cette société achète 80 % du gaz exportable de l’Asie centrale.

Cette politique énergétique extérieure, par le biais de la politique de voisinage, se développe fortement au sud et à l’est : un espace de sécurité, de démocratie partagée et de prospérité se forme aux portes de l’Union.

Monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes un littéraire, vous n’ignorez pas que la belle Europe, enlevée par les Grecs en représailles, était une princesse phénicienne venant des rivages du Liban. Le rapprochement entre l’Union européenne et ses voisins orientaux et méridionaux est finalement un retour aux origines. Il faut qu’il se traduise dans le partenariat sud de l’Union pour la Méditerranée. L’UPM doit mettre en place les jonctions convoyant les hydrocarbures de la Caspienne et de l’Iran vers l’Union européenne.

Guidé par le même principe, mais selon des modalités différentes et plus souples, le partenariat oriental améliore la politique européenne de voisinage. Le principe de « l’intégration sans les institutions », proposé par M. Romano Prodi, permet de rapprocher de l’Union des pays qui ont fait le choix des coopérations économiques et politiques et du développement de projets communs. Réciproquement, l’Union européenne doit s’engager résolument avec ces pays dans une relation souple.

Cette structure de dialogue et de coopération entre eux, et avec l’Union européenne, constituera une enceinte particulièrement importante en matière énergétique. Ce dialogue régional est un facteur de stabilisation dans des zones conflictuelles comme la Géorgie et le Nagorny-Karabakh, où se situent des voies d’évacuation majeures des hydrocarbures russes et caspiens : Bakou-Supsa, Bakou-Tbilissi-Ceyhan et Bakou-Tbilissi-Erzurum. L’Union marque ainsi sa volonté de s’impliquer dans la résolution des conflits « gelés » à ses portes comme ceux de l’Abkhazie, de l’Ossétie du Sud, de la Transnistrie ou du Nagorny-Karabakh.

Soyons vigilants sur l’articulation du partenariat oriental avec la « synergie de la mer Noire », car l’idée est la même : assurer un espace de sécurité, de prospérité et d’avancées démocratiques. La « synergie de la mer Noire » ambitionne de donner une nouvelle dynamique aux pays de la région. La coopération régionale apporte une véritable valeur ajoutée dans des domaines d’intérêt communs, en particulier celui de l’énergie. Mais la portée d’un certain nombre d’actions dépasse la mer Noire et inclut les régions voisines. Les relations avec l’Asie centrale, et l’Europe du Sud-est s’en trouveront renforcées.

Monsieur le secrétaire d’État, comment optimiserez-vous les relations entre les différents organismes ? En particulier, comment la stratégie de la mer Noire se coordonnera-t-elle avec la stratégie pour l’Asie centrale, les États riverains de la mer Noire et de la Caspienne, comme le prévoit l’initiative de Bakou ?

Au-delà du partenariat oriental, les rapports avec la Russie sont vitaux. Ce pays a toujours tenu ses engagements de fournisseur majeur de l’Union européenne : 50 % du gaz et 20 % du pétrole consommés en Europe sont russes.

Par l’importance de ses réserves gazières, les premières du monde, de ses exportations et de l’orientation de ses pipelines, la Russie est naturellement liée à l’Union européenne par un partenariat stratégique et refuse d’être mise sur le même plan que les autres voisins de l’Union.

Je soutiens depuis très longtemps une coopération accrue avec la Russie. Soyons cohérents, ne soyons pas schizophrènes, ne lui demandons pas à la fois de devenir une économie de marché et de pratiquer des tarifs préférentiels pour les pays qui sont situés dans son ancienne sphère d’influence. Parlons, négocions et coopérons.

La présidence tchèque lancera le corridor sud sur l’axe Caspienne-mer Noire. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur son tracé, monsieur le secrétaire d’État?

Il faut que les États de l’Union s’entendent pour élaborer des itinéraires de pipelines en concertation. Il est contreproductif et absurde que des projets s’opposent, comme c’est le cas de South Stream et de Nabucco. L’Union européenne dans son ensemble doit comprendre que son intérêt est de diversifier et de sécuriser ses sources d’approvisionnement. Elle doit absolument mettre en œuvre cet argument de bon sens lors de l’examen de la réalisation d’infrastructures prioritaires dans le plan d’action européenne en matière de sécurité et de solidarité énergétiques.

Les deux principaux projets de pipelines vers l’Union européenne impliquent la Russie. Celle-ci coopère avec l’Allemagne pour le North Stream, qui traverse la Baltique mais contourne la Pologne, et avec l’Italie pour le South Stream, qui traverse la mer Noire vers l’Italie du Sud et l’Autriche, via la Bulgarie et les Balkans.

La Russie est un partenaire à tel point incontournable que le seul projet de tracé qui l’évite, Nabucco, a un avenir plus qu’incertain.

Le sous-secrétaire d’État adjoint américain, en visite à Ankara, s’est opposé à la participation de l’Iran au projet Nabucco. De quoi se mêle-t-il ? (Sourires.)

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Çà !

M. Aymeri de Montesquiou. Plus alarmant, le Conseil vient d’exclure ce projet de la liste des projets prioritaires de l’Union européenne. Pourtant, l’Union ne doit renoncer à aucune opportunité pour diversifier ses sources d’approvisionnement, même si Nabucco doit s’approvisionner en Iran pour être rentable.

J’insiste à nouveau sur la coopération avec l’Iran non seulement pour ramener ce pays dans le concert des nations, mais aussi pour assurer une source importante d’approvisionnement à l’Union européenne. Les États-Unis n’ont pas les mêmes intérêts que nous avec l’Iran. Notre politique envers ce pays doit être indépendante de celle des États-Unis.

La Turquie est un voisin puissant, pays de transit où aboutissent plusieurs pipelines et qui garde de l’influence sur un certain nombre de conflits régionaux. Elle ne participe pas au partenariat oriental et elle est dans une situation particulière de préadhésion. Pourquoi ne pas envisager d’aborder le monde turcophone comme un ensemble ?

Enfin, le marché du gaz, qui était jusqu’à présent régional, devient mondial par le développement du gaz naturel liquéfié. Les entreprises françaises étant à la pointe de cette technologie, elles ont des parts de marché à conquérir sur tous les continents, ce qui leur permettra de mieux assurer l’approvisionnement de l’Union européenne.

Si je me réjouis des progrès évidents dans la stratégie extérieure, la politique énergétique intérieure commune est toujours à développer. Le découplage me semble inapproprié, car il fragilise les entreprises de l’Union. Pour affronter la concurrence, il faut être plus pragmatique qu’idéologue. Monsieur le secrétaire d’État, pendant combien de temps l’énergie va-t-elle demeurer le talon d’Achille de l’Europe ?

Vous qui êtes un homme de culture, réalisez les rêves d’Anaximandre. Philosophe présocratique, il avait dessiné la première carte géographique traçant les contours de l’Europe, du Moyen-Orient et de la proche Asie. Rendez-lui hommage en concrétisant les routes modernes de l’énergie dont il avait rêvé en son temps. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen devra dégager une position commune ambitieuse pour peser lors de la réunion du G20 de Londres, le 2 avril prochain. Il devra notamment tirer toutes les leçons de la crise pour l’ensemble des économies. Mais il nous faudra aussi être capables de tirer chez nous, en Europe et pour l’Europe, les leçons de la gestion de cette crise.

Tout d’abord, que s’est-il passé en Europe et pouvons-nous faire aujourd’hui comme si rien ne s’y était passé ?

Personne ne peut nier que la crise financière a ébranlé les certitudes les mieux établies.

Sur le plan institutionnel, le constat est assez simple : on assiste au grand retour des États ; on l’a vu avec l’effacement de la Commission, avec la remise en question du fonctionnement de l’Eurogroupe, qui s’est réuni au niveau des chefs d’État, et qui a d’ailleurs accueilli le chef d’un État non-membre de la zone euro.

Déjà, pendant la crise géorgienne, on avait vu la présidence française agir avec succès, mais en dehors de tout dispositif communautaire.

La présidence française comme la crise ont changé la donne, avec ce constat incontournable : la gestion d’une crise grave ne peut être assumée que par les seuls gouvernements nationaux, parce qu’ils sont responsables devant leur peuple.

Une situation de crise majeure appelle nécessairement le retour du politique, donc le retour du fait national, non pas comme une situation de repli, mais plutôt comme un espace de solidarité, un espace de volonté où s’exprime la démocratie, et par conséquent la responsabilité politique. D’ailleurs, Jean-Louis Bourlanges, qui n’est pas un philosophe présocratique, mais qui était fort intelligent, avait formulé ce principe : « L’Union européenne n’est pas parvenue à franchir la porte sacrée du politique. » Il s’agit de le constater, sans pour autant porter de jugement de valeur.

Si la présidence française a été une réussite, c’est bien parce que Nicolas Sarkozy a su sortir du carcan bruxellois pour prendre appui directement sur les États.

Au-delà des institutions, il faut également changer le logiciel économique pour construire une Europe qui protège et qui ne se limite pas, comme ce fut trop souvent le cas, à être le marchepied d’une mondialisation sauvage. Il faut moins de dogmatisme et plus de pragmatisme, plus de réalisme et moins d’angélisme.

Avec la crise, que reste-t-il de la doctrine économique bruxelloise ?

Pour la régulation du grand marché, il a fallu mettre à l’écart les règles de la concurrence et celles des aides d’État.

Pour la régulation monétaire, avec pour une fois, il faut le reconnaître, un certain réalisme, la Banque centrale européenne a dû mettre de côté son obsession traditionnelle : la lutte contre l’inflation.

Pour la régulation budgétaire, il y a bien eu des tentatives pour rappeler les États à la discipline du pacte de stabilité, mais avec le succès que l’on sait.

Pour la régulation de l’union douanière, nous avions jusqu’à présent le désarmement commercial unilatéral au nom d’une concurrence libre et non faussée. Désormais, c’est l’idée d’une véritable préférence européenne qui s’impose.

Si nous voulons éviter de nouvelles crises pour demain, il faut absolument tirer les leçons de cette catastrophe financière. Il y aurait un curieux paradoxe à exiger, sur le plan international, l’abandon d’un libéralisme débridé sans balayer devant notre propre porte européenne.

L’autre grand chantier de la prochaine réunion du G20, monsieur le secrétaire d’État, c’est la refondation d’une régulation financière mondiale, qui devra s’articuler autour de trois principes : d’abord, celle-ci devra être « contracyclique » ; ensuite, elle devra être beaucoup plus transparente ; enfin, elle devra être globale, et non locale.

La nouvelle régulation devra être « contracyclique » car, aujourd’hui, toutes les règles ne sont pas des amortisseurs de chocs ; elles sont au contraire des démultiplicateurs de crise. Cela est vrai des règles prudentielles et des normes comptables qui, en se combinant, ont amplifié la chute du prix des actifs. Pour les normes comptables, la valeur de marché n’a jamais exprimé la valeur fondamentale, à long terme, des richesses des actifs et, surtout, elle a conduit à des décotes excessives qui ont eu un effet cumulatif.

Il faut aussi réformer les règles des agences de notation, qui n’ont qu’une vision à court terme du marché et qui ont eu, elles aussi, un rôle procyclique. Le plus choquant, c’est le conflit d’intérêts auxquelles elles sont confrontées ; ce sont elles qui paient ceux qui émettent les produits financiers les plus toxiques !

La nouvelle régulation devra ensuite permettre aux intermédiaires financiers de faire leur métier en toute transparence. Et leur métier, c’est de collecter de l’épargne à court terme pour prêter à long terme. Le risque de liquidité est inhérent à cette activité de transformation de l’épargne. Il ne faut surtout pas l’interdire, mais on peut l’encadrer.

On peut l’encadrer, d’abord, en mettant de l’ordre dans le système de rémunération des institutions financières, lequel est profondément amoral et antiéconomique.

On peut l’encadrer, ensuite, et surtout, en instaurant plus de transparence : c’est la question des paradis fiscaux et de la titrisation, qu’il serait idiot de vouloir interdire ; il faut reconnaître que, pour l’instant, celle-ci a surtout consisté à propager des risques en les rendant indétectables.

Plus généralement, et sans revenir à l’économie de troc, les marchés financiers ne doivent plus fonctionner en eaux troubles, dans l’opacité la plus totale, parce que c’est précisément ce qui a détruit la confiance.

Tous les marchés, toutes les institutions financières, et pas seulement les banques, doivent être régulés, puisque, en cas de crise, c’est l’État qui est prêteur en dernier ressort. C’est ce qui fonde la légitimité des États à vouloir refonder une régulation.

Enfin, cette nouvelle régulation devra être globale et non locale, sinon des zones offshore auront tôt fait de ruiner les efforts des plus méritants, ce qu’il faut à tout prix empêcher.

Pour conclure, cette refondation du système financier international est un objectif ambitieux. Celui-ci sera-t-il atteint en une ou en plusieurs réunions ? Peu importe ! Toujours est-il que l’on n’a pas le droit d’échouer, d’abord pour que le monde ne revive pas demain le même scénario, ensuite, et surtout, pour toutes celles et tous ceux qui sont ou qui seront touchés par cette crise dans leur vie quotidienne et qui seront les victimes innocentes et fragiles d’un système profondément immoral. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)