M. Roland Courteau. C’est sûr !

Mme Odette Terrade. Or, dans le climat de crise économique et sociale que nous connaissons, il semble que le Gouvernement privilégie d’autres choix.

Pourtant, les violences faites aux femmes coûtent cher à la société. Selon une estimation du Service des droits des femmes et de l’égalité, le coût associé s’élèverait à 1 milliard d’euros. Je propose de consacrer cette somme à lutter contre ce fléau.

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Et on n’invoquerait pas l’article 40 ! (Sourires.)

Mme Odette Terrade. Tout à fait, la dépense serait gagée !

Cependant, le Gouvernement fait le choix inverse : devant l’explosion des besoins, il tarit les ressources. J’en veux pour preuve la situation dramatique de l’accueil d’urgence, qui, chacun le sait, devrait jouer un rôle fondamental pour permettre aux femmes de se soustraire à leur compagnon violent. En raison de votre politique budgétaire, l’accueil d’urgence se trouve dans une situation de quasi-indigence. Cette compétence, pourtant nationale selon les textes, est trop souvent assumée par les départements. Or cet échelon territorial, qui intervient dans de trop nombreux cas à la place d’un État défaillant dans le domaine de la solidarité, est aujourd’hui menacé. Si l’État ne prend pas toutes ses responsabilités, qu’adviendra-t-il de ces centres ?

Enfin, permettez-moi de rendre ici hommage aux associations nationales, départementales et locales qui, par leurs réseaux de proximité, viennent quotidiennement en aide aux femmes victimes, aux côtés des professionnels de terrain. Ces associations, ces professionnels manquent cruellement de moyens. Il faut accroître l’aide financière aux associations et renforcer le service public de proximité, qui montre tous les jours son efficacité.

Le chantier est immense, madame la secrétaire d’État. Pourtant, soyons tous convaincus qu’en avançant sur ce sujet, en faisant reculer les violences faites aux femmes, c’est bien la société tout entière que nous ferons progresser.

Aujourd’hui, des femmes meurent encore sous les coups de leur conjoint. Je vous invite donc à faire nôtre le slogan de la Marche mondiale des femmes contre la violence et la pauvreté : « No more ! Ni una mas ! Pas une de plus ! » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, tous les trois jours, une femme meurt du fait des violences qu’elle subit.

Je ne reprendrai pas les arguments qui ont été développés notamment par Mme Michèle André et M. Roland Courteau. Je partage leurs interrogations, leurs analyses. Leur réquisitoire a été fort et douloureux ; ne pas s’attaquer de manière concrète à cet épineux problème serait lourd de conséquences sociales et humaines.

Je saisis l’occasion de ce débat pour élargir notre approche et l’étendre aux violences sociales que subissent les femmes.

L’accroissement des inégalités constatées entre les hommes et les femmes n’est pas un symptôme mineur, la queue de comète d’un combat achevé ou le dernier soubresaut d’un monde ancien. Il traduit malheureusement un renforcement des pressions et des contraintes qui pèsent sur les femmes et qui nous obligent, en tant que parlementaires, à regarder la situation en face et à nous mobiliser pour inverser la tendance.

Les chiffres sont là, les faits divers sont révélateurs, les témoignages des femmes éloquents, et pourtant le sujet n’est pas au cœur de nos préoccupations. La question se pose même de savoir si notre société a encore conscience de l’importance de ce combat.

Or la violence sociale que subissent les femmes est sensible dans tous les domaines : travail, carrière, statut, vie quotidienne, mais aussi perspectives d’émancipation, liberté de choix de vie et épanouissement individuel.

En matière d’emploi, ce sont les femmes qui alimentent en masse le vivier des travailleurs sous contrats précaires ou à temps partiel. Elles représentent 82 % des actifs à temps partiel et occupent 78 % des emplois non qualifiés. Sachant que moins les emplois sont qualifiés, moins le temps partiel est choisi, cela donne une idée de la situation de nombre de femmes au regard tant de la nature de leur emploi que de la rémunération de leur travail !

Loin de se résorber, ces inégalités s’accentuent depuis les années quatre-vingt-dix : la part des femmes parmi les salariés les moins bien rémunérés et occupant des emplois à temps partiel est de dix points supérieure à celle qui était constatée à l’époque. Et avec la crise, cette situation ne fera qu’empirer ! Il serait bon de garder cela présent à l’esprit chaque fois que, dans cette enceinte, on légifère pour durcir les conditions de travail et développer le recours aux emplois précaires. Il y a eu, au cours des deux dernières années, pléthore de textes allant dans ce sens.

L’existence de telles inégalités, et surtout leur cumul, constituent une véritable violence faite aux femmes.

À cet égard, le cas des « familles monoparentales » est édifiant. Cette expression neutre masque hypocritement une situation monolithique puisque, neuf fois sur dix, il s’agit de femmes élevant seules leurs enfants. Certaines d’entre elles sont en grande difficulté. Ce sont des femmes souvent jeunes qui, au-delà de l’absence du père de leurs enfants, cumulent tous les facteurs de la précarité : solitude familiale, rupture affective, isolement social, horaires inadaptés, travail précaire et fins de mois impossibles.

Ces situations sont largement passées sous silence et n’émergent souvent qu’à travers des événements dramatiques dont, en général, l’enfant est la victime. Ces femmes sont soumises à une pression qui jamais ne se relâche. Leur vie est un véritable combat pour survivre, qui nous rappelle de manière cuisante notre incapacité à réduire la violence sociale.

Pourtant, il est possible d’agir pour lutter contre l’isolement de ces femmes, dont les enfants sont également victimes. En repérant les situations de détresse au moment de l’accouchement ou du suivi de grossesse, on pourrait mettre en place un accompagnement à domicile et, ainsi, entourer ces femmes d’un réseau de professionnels qui conseilleraient, rassureraient, aideraient et rompraient leur solitude.

Lorsque j’ai débuté ma carrière professionnelle, dans les années soixante, le suivi de jeunes mères à domicile fut ma première mission. Ce n’était pas si mal ! (Mme la secrétaire d’État approuve.) Remettre à l’ordre du jour ce mode d’intervention serait une initiative pertinente. Cela vaudrait mieux que de réduire insidieusement les subventions aux associations qui interviennent dans ce domaine.

Par ailleurs, la liberté des femmes et leur émancipation n’échappent pas à la violence sociale, notamment dans les quartiers sensibles.

Les droits des femmes sont récents, pourtant ils ne cessent d’être insidieusement remis en cause. Au travers des faits divers et de leur cortège de drames, ce sont les tensions de notre société qui nous sont révélées. Dans les cas de « crime d’honneur », de viol collectif, de mariage forcé, de fille brûlée pour avoir refusé de se soumettre à la loi des hommes, c’est le caractère exceptionnel des faits qui frappe d’abord, puis c’est leur répétition qui inquiète.

Ces exemples extrêmes dévoilent la violence quotidienne que subissent les femmes dans ces banlieues que l’absence de mixité sociale a transformées en ghettos. Les débats qui en découlent montrent la résurgence d’un discours obscurantiste sur la place des femmes et leur soumission à un ordre présenté comme naturel.

En France, le poids du sexisme, de la religion et de la tradition est une réalité dont pâtit un nombre croissant de femmes, qui se trouvent assignées à résidence dans un statut inférieur, voient leurs faits et gestes contrôlés, subissent une restriction de leur liberté d’aller et venir, ne peuvent pas s’habiller comme elles le souhaitent et sont entravées dans leurs choix de vie. Dans ce cadre, toute tentative d’émancipation est vécue comme une trahison envers la famille, la culture d’origine, l’identité sociale.

Pour ces femmes, s’affirmer en tant qu’individus revient alors à rompre toutes les solidarités, ce qui est souvent impossible. Il ne leur reste plus qu’à intérioriser la norme et à participer à l’oppression, à la fois victimes consentantes et actrices de leur propre enfermement et de celui des autres.

C’est une situation que peu de responsables politiques dénoncent, dans cette enceinte ou ailleurs. Le travail d’un mouvement comme « Ni putes ni soumises » a eu le mérite de révéler le problème. Mais, concrètement, la situation des femmes de ces quartiers n’a guère évolué, si ce n’est dans le mauvais sens.

Dans son livre Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Didier Lapeyronnie dresse un tableau très sombre de la situation des quartiers de relégation sociale. Il décrit un univers où le racisme est fortement lié au sexisme. Il explique comment, au fur et à mesure que le racisme et la ségrégation se sont renforcés, le contrôle des femmes est devenu un principe central d’organisation de la vie du quartier. Cela se traduit par une séparation nette des genres, par une pression forte sur les femmes, non seulement par la violence, mais aussi par les rumeurs et les réputations.

Cette étude sociologique démontre ainsi que, lorsqu’une population est placée dans une situation de pauvreté à laquelle s’ajoute la relégation, elle se replie sur des définitions très traditionnelles des rôles sociaux, notamment familiaux, et sur une morale rigide et souvent bigote.

Ce constat, qui nous interpelle, reflète l’explosion des inégalités sociales en France et les échecs en matière d’intégration. Nous le faisons aussi dans nos quartiers : ce n’est pas un cas d’école, mais il est largement absent du discours politique.

Cet abandon est d’autant moins acceptable qu’il repose également sur la crainte de vexer des communautés dont l’emprise sur leurs membres est jugée telle que l’on agit davantage en fonction de leur capacité à mobiliser des votes que du respect des valeurs sur lesquelles nous avons construit notre idéal social. Il est d’autant moins justifié qu’en abandonnant ces femmes à leur sort, on abandonne, plus largement, ces territoires à leur misère éducative et sociale.

À travers ce prisme, ce sont les effets d’une politique de gribouille menée dans les banlieues que nous observons. Le refus de faire de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, une vraie arme pour faire vivre la mixité sociale et arrêter de concentrer l’exclusion et la misère dans les mêmes territoires a de terribles conséquences.

L’abandon de la parole politique et du discours laïque a indiqué aux intégristes de tout poil que ceux qui sont chargés d’incarner et de porter les valeurs de notre société avaient déserté ce combat.

Enfin, l’absence de réflexion, en France, sur les politiques de genre, alors que l’Europe du Nord travaille sur ces questions pour faire avancer concrètement la cause des femmes, est dommageable dans notre situation.

Analyser les violences faites aux femmes sous cet angle est rare. Pourtant, travailler pour faire évoluer les mentalités et mettre en œuvre les solutions concrètes qui permettront de changer la donne est la mission du politique. Il s’agit là d’un enjeu non seulement pour les femmes, mais pour la société tout entière.

Madame la secrétaire d’État, vous me direz peut-être que je suis peu ou prou hors sujet, et j’en prendrai alors acte.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Ce n’est pas le cas !

Mme Raymonde Le Texier. Il me semblait cependant important de vous alerter sur ces violences faites aux femmes, dont vous n’ignorez rien et qui méritent, me semble-t-il, toute notre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, depuis le temps où Valéry Giscard d’Estaing nommait Françoise Giroud première secrétaire d’État à la condition féminine, les politiques menées en faveur des femmes se sont largement développées afin de défendre leurs droits et de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes. Bien sûr, dans les années soixante-dix, la question des violences subies par les femmes n’avait pas l’acuité qu’elle a aujourd’hui. Sans doute était-elle plus cachée, plus tue ; elle était en tout cas plus taboue.

L’ampleur du phénomène, qui ne peut être considéré comme un ensemble de faits divers et qui ne doit pas être une fatalité, est maintenant pleinement prise en compte par les pouvoirs publics. Je me réjouis d’ailleurs que cette cause ait reçu le label « campagne d’intérêt général » pour l’année 2009. Nous savons également le rôle absolument fondamental joué par les associations dans ce domaine et le travail de terrain qu’elles accomplissent.

De nombreuses mesures et dispositions ont été adoptées depuis quelques années, notamment des plans globaux. Le premier a donné lieu à une évaluation remise au Gouvernement en juillet 2008, évaluation dont il a été tenu compte pour améliorer le deuxième plan que vous avez lancé à l’automne dernier, madame la secrétaire d’État, accompagné d’une large campagne de communication rénovée et percutante.

Un certain nombre de lois ont pris en compte cette réalité, notamment celle du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, que nous avons longuement évoquée aujourd’hui. Je me félicite de ce que le rapport prévu à son article 13 soit disponible, car il nous fournit des éléments sur l’application de cette loi et les points à améliorer. Cette démarche s’inscrit pleinement dans le renforcement des droits et des prérogatives du Parlement, s’agissant notamment de son rôle de contrôle et d’évaluation des politiques publiques tel qu’issu de la révision de la Constitution de juillet dernier.

Au-delà de l’ensemble de ces dispositifs, je voudrais insister sur quelques points qui doivent constituer, me semble-t-il, le cœur de la politique de lutte contre les violences subies par les femmes.

Il est nécessaire de développer et de privilégier une approche transversale et globale, seule à même de permettre une lutte efficace contre ce fléau.

Cela implique de traiter l’ensemble des thématiques de façon articulée : prévention, éducation, information et sensibilisation, répression et suivi des auteurs de violences, accompagnement et réinsertion des victimes. Des acteurs du milieu associatif m’ont rapporté que la prise en charge et le suivi des hommes violents est un aspect insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics. Or, si une femme sur dix est violentée, combien d’hommes sont violents…

Cela suppose par ailleurs une coordination de l’ensemble des intervenants : gendarmerie, police, hôpital, justice, travailleurs sociaux, éducation nationale… Le deuxième plan triennal va dans ce sens et repose sur une démarche interministérielle.

Toutefois, nous savons – les témoignages des femmes ayant déposé plainte l’attestent – que le volet social et le suivi des victimes sont encore insuffisants. Or ces femmes doivent pouvoir être certaines qu’elles auront les moyens d’être autonomes pour trouver la force de dire « stop, ça suffit ! ». Elles doivent être sûres que le chemin vers l’indépendance et la liberté ne sera pas barré par des obstacles insurmontables.

Cette démarche transversale, que vous avez engagée, madame la secrétaire d’État, est essentielle. Elle mériterait à mon sens d’être développée dans les territoires : il revient aussi aux élus locaux, dont nous sommes les représentants, de la mettre en œuvre à leur échelle. Nous devons les y inciter.

En ce qui concerne maintenant les moyens et les structures, un corpus juridique doit certes être élaboré afin de donner un cadre à ce combat, mais il restera lettre morte s’ils sont insuffisants. Il faut faire vite, le temps presse ! Nous avons toutes et tous en tête ce chiffre terriblement effrayant : tous les trois jours, une femme meurt des suites de violences. Les violences contre les femmes progressent plus que l’ensemble des violences commises contre les personnes. Le rapport d’évaluation du premier plan a pointé ce manque de structures et de moyens, garanties préalables pourtant indispensables pour que les femmes victimes de violences franchissent le pas et déposent plainte.

Des progrès législatifs majeurs ont été accomplis ces dernières années, et le cadre législatif français paraît assez complet. Le rapport ne préconise d’ailleurs pas l’adoption d’une loi-cadre comme il en existe par exemple en Espagne. Aussi aimerais-je connaître votre sentiment sur ce point, madame la secrétaire d’État.

Développer les structures, se donner des moyens suffisants, changer les mentalités afin de modifier les comportements des hommes violents et aider les victimes : tels sont les impératifs. En un mot, il faut agir, et je sais, madame la secrétaire d’État, que vous partagez pleinement cet objectif !

Pour changer les comportements des hommes et faire comprendre aux femmes que la violence, physique ou psychologique, n’est ni normale ni acceptable, je crois beaucoup à l’éducation et à la sensibilisation, dès le plus jeune âge, des filles mais surtout des garçons. À cet égard, je regrette que la sensibilisation soit principalement à destination des filles et des femmes, ce qui les place toujours en situation de victimes et de coupables.

M. Alain Gournac. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly. Il me semble essentiel qu’un effort tout particulier soit désormais accompli en direction des garçons. Ainsi, madame la secrétaire d’État, ne pourrait-on pas concevoir, pour les garçons, un livre similaire à celui que recevront toutes les jeunes filles de 18 ans lors des journées d’appel de préparation à la défense ? Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier les petites filles victimes de viols commis au sein de leur famille et qui portent ce poids toute leur vie.

Les stéréotypes, les clichés, les images ou les propos sexistes sont intériorisés très tôt, parce que largement diffusés, de façon consciente ou inconsciente, d’ailleurs. Les équipes éducatives doivent faire comprendre aux enfants que filles et garçons sont égaux et leur inculquer le respect de l’autre, quel que soit son sexe.

Toutefois, face à l’influence des médias et d’Internet, leur tâche est lourde. C’est pourquoi cette politique de lutte contre les violences doit être menée de pair avec un combat contre les stéréotypes et clichés, véhiculés notamment au travers des médias. J’ai évoqué ce sujet en tant que rapporteur du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. J’espère que, fort de son nouveau cahier des charges, le service public de l’audiovisuel, qui doit être exemplaire dans ce domaine, sera attentif à cette question de la représentation des femmes.

Si des représentations stéréotypées perdurent dans les médias, plus inquiétant encore est ce qui se passe sur Internet. Les jeunes, surfant pendant des heures et sans barrières sur le réseau, sont confrontés à ces représentations déconnectées de la réalité, qu’ils considèrent alors comme vraies. Ils sont exposés à des images dégradantes, humiliantes, qui banalisent la violence sous toutes ses formes. Comment les femmes peuvent-elles ensuite être respectées ? Aussi l’accompagnement des jeunes dans le monde numérique, qui offre par ailleurs, il ne faut pas le nier, de formidables possibilités, doit-il être envisagé très sérieusement : la commission des affaires culturelles y réfléchit actuellement. Il faudrait une sorte de CSA de l’Internet, qui veille au bon usage de la « toile » et au respect de la dignité humaine.

Mme Reiser vous a remis en septembre dernier, madame la secrétaire d’État, un rapport sur l’image des femmes dans les médias, dans lequel elle parle « d’invisibles barrières bloquantes pour les femmes et les jeunes filles françaises qui ont un rôle à jouer dans la société ». Eu égard à votre forte implication sur cette question, pourriez-vous nous préciser quelles suites vous comptez donner à ce rapport ?

Célébrer des journées comme le 8 mars, journée internationale des femmes, ou du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, est indispensable pour alerter chaque année l’opinion publique. Mais nous rêvons tous du jour où nous n’aurons plus à célébrer ces journées, parce que les droits et le respect des femmes seront pleinement acquis partout dans le monde.

En attendant, comme vous, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, j’ai une pensée pour cette petite Brésilienne violée par son beau-père et dont la mère a été excommuniée à la suite de l’avortement de sa fille. Que de souffrances qui auraient pu, qui auraient dû être évitées !

La France, pays des droits de l’Homme – avec une majuscule –, a aussi un rôle à remplir pour faire progresser cette cause sans frontières de la lutte contre les violences physiques, psychologiques et morales faites aux femmes, et doit, au sein de chaque instance internationale, jouer de toute son influence.

Je vous remercie des réponses que vous voudrez bien nous apporter, madame la secrétaire d’État, au terme de ce débat. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer le choix de votre assemblée d’inscrire à son ordre du jour, dès sa première semaine de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, la question des violences faites aux femmes. Cela montre combien le Sénat, où les femmes sont, en proportion, plus nombreuses qu’à l’Assemblée nationale, est attentif à tous les sujets de société et à quel point l’image que certains veulent bien en donner est éloignée de la réalité. (Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et Mme Catherine Procaccia applaudissent.) Il faut combattre de tels clichés qui, comme les stéréotypes de genre, ont la vie dure…

Les violences faites aux femmes constituent un phénomène inacceptable dans nos démocraties modernes. Nous ne devons tolérer aucune atteinte à l’intégrité physique et psychologique des femmes, car ces violences qui s’exercent au quotidien sont une réalité dévastatrice. Elles touchent toutes les catégories sociales, tous les âges, et restent pour les femmes la plus grave violation de leurs droits fondamentaux, ainsi qu’un obstacle récurrent à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Dans les faits, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, cela signifie que les femmes sont davantage en danger chez elles que dans la rue ou sur leur lieu de travail.

M. Roland Courteau. C’est certain !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Par conséquent, il est essentiel de mener une politique nationale active de lutte contre ces violences que, pour l’heure, il faut bien l’avouer, le progrès social n’a pas permis de supprimer.

Mmes Kammermann, Dini, Terrade et Le Texier ont rappelé des chiffres qui restent terribles : une femme sur dix est victime de violences physiques, sexuelles, verbales ou psychologiques au sein de son couple ; 166 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint ou de leur concubin en 2007, soit une tous les deux jours et demi ; 47 500 faits de violences volontaires sur femmes majeures par le conjoint ou l’ex-conjoint ont été enregistrés en 2007, soit une augmentation de 30 % – les femmes osent plus qu’avant briser le tabou et déposer plainte, cela a été dit, mais 400 000 d’entre elles déclarent avoir été victimes de violences. Selon le dernier rapport de la délégation aux victimes, le nombre de décès survenus à la suite de violences commises au sein du couple a augmenté de 14 % par rapport à 2006.

Mme Kammermann s’est également interrogée sur notre capacité à prendre la mesure de ce fléau. Nos chiffres reflètent-ils l’entière réalité des violences commises au sein du couple, compte tenu de la réticence de certaines victimes à porter plainte ?

Pour approcher au plus près la réalité que recouvrent les chiffres, l’INSEE, en partenariat avec l’Observatoire national de la délinquance, conduit en France métropolitaine une enquête annuelle de victimation destinée à compléter les éléments issus de l’état 4001, lequel recueille les données de la police et de la gendarmerie. Il résulte des enquêtes menées en 2007 et en 2008 que près de 2 % des femmes de 18 à 60 ans déclarent avoir subi des violences au sein de leur couple.

Je tiens également à signaler qu’une enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, l’ENVEFF, est en cours à la Martinique ; ses résultats seront connus à la fin du premier semestre de 2009. Une enquête similaire a déjà été réalisée à la Réunion, et il est prévu d’en mener une en Guadeloupe. La connaissance du phénomène est en effet loin d’être précise pour les départements d’outre-mer, et il était urgent de remédier à cette situation.

Ce constat suffit à montrer à quel point il est nécessaire de rester mobilisés. Dès maintenant, je puis vous rassurer sur le point suivant : il n’existe bien évidemment aucun projet de fermer le Service des droits des femmes et de l’égalité, le SDFE, dont je tiens à saluer l’implication et le professionnalisme des agents. Ce service est essentiel à la mise en œuvre de la politique du Gouvernement, puisqu’il assure la coordination de son action en faveur des femmes. Non seulement il ne sera pas supprimé, mais, au contraire, il sera rattaché à la déléguée interministérielle aux droits des femmes qui sera prochainement créée. De plus, cela a été évoqué tout à l’heure, un document de politique transversale conduira chaque ministère à faire apparaître la part affectée à la promotion des droits des femmes dans son champ de compétences. Ce sont autant d’outils qui renforceront les moyens à notre disposition pour faire progresser les droits des femmes.

Permettez-moi, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, de vous remercier d’avoir été à l’origine de ce débat. Je sais que ce combat vous tient tout particulièrement à cœur, et ce depuis de nombreuses années, vous qui occupiez dans le gouvernement de M. Michel Rocard les fonctions qui sont aujourd’hui les miennes.

Dès 1989, vous aviez pris l’initiative de mettre en place dans chaque département une commission d’action contre les violences faites aux femmes, afin que tous les partenaires institutionnels et associatifs s’impliquent dans cette lutte et travaillent ensemble. Depuis, les gouvernements successifs ont progressé, mais, malheureusement, le phénomène est loin d’avoir disparu.

Vous l’avez souligné : sur le plan international, la situation des femmes est souvent critique. La participation de la France à la conférence de Durban II est subordonnée, comme l’a indiqué Bernard Kouchner, à une décision européenne qui sera prise en fonction de la qualité du texte préparatoire à cette conférence, notamment bien sûr du point de vue des droits des femmes et du respect de l’égalité.

En effet, nombre des intervenants l’ont relevé, à l’heure où l’actualité remet chaque jour cette question au premier plan, nous devons faire preuve de vigilance. Il faut rappeler que toutes les formes d’intégrisme mènent forcément au sexisme, à l’intolérance, qu’il nous faut savoir combattre.

La question du renouvellement du titre de séjour des femmes immigrées victimes de violences conjugales a également été abordée. Comme l’a indiqué Brice Hortefeux dans sa réponse à une question écrite du 19 février 2008, des instructions ont été données aux préfets pour qu’ils appliquent avec la plus grande rigueur les règles protectrices du droit au séjour des femmes victimes de violences conjugales. Je transmettrai néanmoins à Éric Besson votre demande renouvelée, madame André, afin que ces instructions soient rappelées en tant que de besoin.

Par ailleurs, vous avez rappelé, ainsi que M. Courteau et Mme Laborde, l’obligation pour le Gouvernement de remettre au Parlement le rapport prévu à l’article 13 de la loi du 4 avril 2006. Ce rapport a été déposé sur le bureau des assemblées lundi 16 mars. Il nous a paru essentiel – au risque, il est vrai, de retarder son dépôt – d’y intégrer des mesures mises en œuvre récemment et de disposer de données précises. Nous avons pu nous appuyer sur le rapport d’évaluation du premier plan triennal global 2005-2007, réalisé à ma demande par l’Inspection générale des affaires sociales, l’Inspection générale des services judiciaires et l’Inspection générale de l’administration, avec le concours de l’Inspection générale de la police nationale. Ce rapport a été rendu public à la fin de l’été dernier et les recommandations qu’il comporte ont été présentées par leurs auteurs le 1er octobre 2008 devant les membres de la Commission nationale de lutte contre les violences envers les femmes.

En outre, un groupe interministériel copiloté par le ministère de la justice et par le SDFE a été constitué le 2 juillet dernier. C’est dans ce cadre que se traite la question importante de l’ordonnance de protection juridique évoquée par Mme Terrade. Mme la garde des sceaux et moi-même avons effectivement souhaité que soit engagée une réflexion sur l’évolution du cadre juridique, afin de définir et d’explorer des pistes d’amélioration, portant notamment sur la reconnaissance des violences psychologiques et sur l’articulation entre procédures pénales et procédures civiles. Ce groupe rendra ses conclusions très prochainement. Nous ferons alors des propositions concrètes, madame la présidente. Nous formulerons également des propositions en vue de lutter contre les violences au travail, en nous fondant sur les conclusions de la mission confiée à Mme Grésy, de l’IGAS, sur un autre volet de l’action du ministère, celui de la promotion de l’égalité professionnelle. La note d’orientation que cette mission rendra au début de l’été constituera la base d’une concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité salariale, sur l’accès des femmes aux responsabilités, ainsi que sur les questions liées aux violences.

Le rapport qui vous a été remis au début de la semaine dresse le bilan des actions menées en 2006 et en 2007, mais aussi celui de la première année de mise en œuvre du plan 2008-2010 de lutte contre les violences faites aux femmes.

Avec le document de politique transversale relatif aux droits des femmes, dont le Parlement a inscrit le principe dans la dernière loi de finances et qui paraîtra pour la première fois dans les documents annexés au projet de loi de finances pour 2010, nous disposerons ainsi d’un état des lieux précis de toutes les actions engagées, dont nous pourrons, à l’avenir, évaluer précisément l’efficacité. Afin que la loi soit respectée, le prochain rapport au Parlement sera remis en 2010, ce qui permettra, d’une certaine façon, de « rattraper » le retard du premier rapport. Encore une fois, nous avons préféré, pour ce premier bilan, attendre de disposer d’éléments qui nous paraissaient extrêmement utiles et que nous n’aurions pu intégrer si nous l’avions établi plus tôt.

Vous avez été également nombreux à le souligner, la politique de lutte contre les violences conjugales et, plus largement, de lutte contre les violences faites aux femmes présente un caractère transversal et interministériel. Elle mobilise le Gouvernement tout entier : chaque ministère intervient dans son domaine de compétences, mais l’approche adoptée reste globale.

C’est cette approche transversale que je défends depuis mon arrivée au secrétariat d’État. Dans cet esprit, j’ai lancé en novembre 2007 le deuxième plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes. Le rapport permet de présenter les avancées obtenues collectivement par le Gouvernement, avec le concours des collectivités territoriales.

Dans ce travail collectif, je tiens à souligner l’importance de l’apport de la Commission nationale contre les violences envers les femmes, composée de représentants de l’État et des associations, ainsi que de personnalités qualifiées. Renouvelée en décembre dernier, cette commission, que j’ai réunie en séance plénière à trois reprises – en novembre 2007, en mars et en octobre 2008 – et que je convierai de nouveau à la fin du mois d’avril, est une instance essentielle de concertation et d’animation du réseau des conseils départementaux. Elle garantit les échanges de bonnes pratiques, elle émet des recommandations et des propositions de nature législative ou réglementaire. Elle peut aussi faire réaliser des analyses, des études, des recherches, et recueillir des données. Son impulsion, sa vigilance et sa mission de veille sont fondamentales pour assurer la cohérence de notre action.

Au-delà du niveau institutionnel, vous avez rappelé, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur Courteau, madame Laborde, combien la mobilisation des associations sur le terrain est remarquable et leur action nécessaire. Bien évidemment, je partage ce constat, et nous savons tous que ce réseau associatif joue un rôle extrêmement important et puissant dans toutes les politiques en faveur des droits des femmes. Il est au cœur de nos préoccupations et mérite véritablement d’être soutenu.