M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.

M. Alain Houpert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, n’étant pas issu du sérail de la fonction publique, je centrerai mes propos sur les principes du recrutement de la haute fonction publique.

Je viens d’une région dont l’identité a été façonnée non pas tant par ses contours géographiques, ses monts ou ses vaux, son relief ou son climat, que par les hommes.

En effet, la Bourgogne n’est devenue une unité économique, sociale, historique et politique qu’à force de volontés, qui ont fait de ce lieu de passage une terre chérie des hommes, dans un profond sentiment d’unité.

Je veux dire par là que, par-delà la diversité des territoires qui la forment, la diversité des traditions qui l’animent et la diversité des hommes qui y vivent, ce sont des volontés qui ont façonné la Bourgogne.

Quel est le lien avec notre présent débat sur le recrutement de la haute fonction publique ?

Laissez-moi vous rapporter l’un des combats fondateurs pour l’histoire de ma région, qui ne manquera pas de poser les termes du débat.

Un bourguignon fameux, Philippe le Hardi, premier des grands ducs de Bourgogne, a poursuivi un grand projet : celui d’unifier la Bourgogne en fortifiant sa vocation dans le royaume de France.

Or la lutte de Philippe le Hardi ne vit triompher cette vision de « la Bourgogne dans la France » qu’au prix d’un conflit farouche qui opposa le duc Philippe aux marmousets du roi, de proches conseillers qui tendaient alors à disposer de l’ensemble des leviers de pouvoirs dans le royaume.

Ainsi, le projet d’une Bourgogne dans la France soutenu par Philippe le Hardi avait une contrepartie pour Charles VI, celle de concevoir la France plurielle, ouverte à la Bourgogne. Ainsi, la naissance de cette entente féconde eut un prix : la renonciation à une certaine forme de privatisation du royaume de France au bénéfice des seuls praticiens du pouvoir central.

Il fallait que le roi renonce à laisser entre les mains des fameux marmousets l’ensemble des leviers de pouvoirs dont ses propres amis avaient alors la disposition.

Ce bref rappel historique ne manquera pas de jeter des lumières sur la manière dont il convient de poser les termes d’un débat sur le recrutement de la haute fonction publique. Tout État doit disposer d’une fonction publique performante, qui soit garante de sa continuité, de son indépendance et de son efficacité.

Cependant, à cette haute vocation, il convient d’opposer un vice pernicieux : la tendance à la privatisation de l’État au bénéfice de ses hauts fonctionnaires.

Ainsi, la France ne s’est grandie que lorsqu’elle s’est attachée à intégrer de nouveaux profils parmi ses décideurs.

Pour filer l’analogie, je dirais que la France a rayonné lorsqu’elle a su priver les marmousets d’une partie des leviers de pouvoirs dont ils avaient le privilège.

Aujourd’hui encore, la France doit se montrer grande en ouvrant davantage sa haute fonction publique à la diversité du pays. Il ne s’agit pas de dénoncer un corps de privilèges ni une absence de contre-pouvoirs. Il s’agit de faire de la France un pays d’intégration sociale et politique.

Les critiques sont excessives lorsqu’elles véhiculent les clichés suivant lesquels notre haute fonction publique n’est qu’un creuset de reproduction sociale. Ces critiques, quoique fondées à certains égards, sont excessives au sens où elles font peser sur les personnes qui forment l’honorable corps de la haute fonction publique le poids des malaises économiques et sociaux dont souffre le pays.

C’est pourquoi je vous proposerai de voir dans les mécanismes de recrutement de la haute fonction publique non pas un système de reproduction sociale, tant décrié, mais un système de production sociale.

Tout l’enjeu de ce débat n’est-il pas de prendre la mesure des représentations sociales qui se sont ordonnées autour des mécanismes de recrutement de la haute fonction publique, dans un État particulièrement centralisé, où le poids de l’administration réel ou supposé, historique et actuel, nourrit et fait enfler une vision qui est véhiculée de l’administration ?

Il faut savoir jouer des modalités de recrutement de la haute fonction publique comme de forts symboles.

Oui, il faut d’abord avoir conscience du rôle joué par l’administration auprès des jeunes, et par là même dans l’ensemble du corps social. Ce rôle est symbolique.

Aujourd’hui, 75 % des jeunes entendent devenir fonctionnaires.

Ces jeunes aspirent à intégrer la fonction publique, notamment la haute fonction publique, quelle que soit leur formation initiale : il s’agit de jeunes formés dans les Instituts d’études politiques, ou IEP, mais aussi de jeunes formés à l’université, dans des écoles d’ingénieurs, voire dans des écoles de commerce.

Oui, il n’a pas fallu attendre la crise pour que mêmes les plus grandes écoles de commerce préparent aux concours de la haute fonction publique. N’y a-t-il pas là un paradoxe ? La société civile française n’offre-t-elle donc pas aux jeunes la moindre réponse à leur attente de réussite sociale ? En France, la société civile est-elle donc synonyme d’échec social ?

Le véritable problème est que, dans notre pays, le poids de l’administration et ses modalités de recrutement ont fait de la haute fonction publique le moyen prépondérant de réussite sociale. Je veux dire qu’en France, bon gré mal gré, la réussite ne veut voir qu’un visage.

Réfléchir sur les modalités de recrutement de la fonction publique suppose de bien prendre la mesure des représentations sociales que véhicule, voire que renforce, la haute fonction publique elle-même.

Permettez-moi alors d’esquisser quelques pistes de réflexion.

Tout d’abord, les concours de la haute fonction publique doivent redonner une place aux filières universitaires.

Est-il normal que, en France, un jeune n’ait de réelles chances de succès à un concours de la haute fonction publique qu’en sortant des grandes écoles ?

Autrement dit, est-il normal que, en France, les concours d’accès à la haute fonction publique soient conçus de manière à n’offrir de réelles chances de succès qu’aux étudiants qui proviennent de ces grandes écoles ?

La crise actuelle que traverse le monde universitaire trouverait écho à adapter les concours d’accès à la haute fonction publique à des candidats issus de filières monodisciplinaires, telles que les filières universitaires.

Il faut que l’État reconnaisse le premier la qualité des formations universitaires délivrées en philosophie, en histoire, en sociologie, en gestion, en économie, en droit privé, en droit public, en mathématiques, en physique, en biologie, voire en médecine et en pharmacie.

Les étudiants issus de ces filières universitaires n’ont pas moins de capacités que ceux qui sortent de filières pluridisciplinaires des grandes écoles. Seulement, leur formation initiale ne leur permet pas d’atteindre le même degré de préparation dans chacune des disciplines par lesquelles sont aujourd’hui évalués les candidats aux concours de la haute fonction publique.

Ainsi, il serait plus républicain que les concours de recrutement de la haute fonction publique prennent la forme de trois épreuves dont les coefficients sont encore à fixer : une discipline forte, déterminée selon les catégories du Conseil national des universités ; une note de synthèse ; une langue vivante.

Voilà une proposition concrète qui tendrait à offrir à tout jeune une chance raisonnable de succès à un concours de la haute fonction publique sans qu’il y consacre pour autant un, deux ou, souvent, trois ans de préparation, en plus de sa formation initiale, généralement un master, mais aussi un doctorat.

En outre, il s’agit d’une proposition à moindre frais dans la mesure où il est aisément concevable d’intégrer une formation en note de synthèse et en langue vivante dans l’ensemble des parcours universitaires.

L’idée est bien de créer des parcours de formations communs aux hauts fonctionnaires et aux décideurs de la société civile.

Ensuite, une redéfinition des modalités de recrutement de la haute fonction publique doit être l’occasion de rapprocher la fonction publique des usagers.

En ce sens, ne serait-il pas souhaitable de supprimer tout bonnement le premier concours de recrutement pour ce qui concerne la haute fonction publique ?

Cela dégagerait plus de marge en faveur de la promotion interne au sein de la fonction publique dans le cadre du deuxième concours.

Cela inciterait les jeunes français à s’orienter davantage vers la création de richesse au sein de la société civile plutôt que de faire le choix de prolonger indéfiniment leurs études en vue de présenter des concours.

Cela favoriserait non seulement la promotion interne, mais encore le recrutement dans le cadre du troisième concours à destination des personnes ayant des parcours professionnels significatifs et remettrait en valeur les parcours professionnels.

La philosophie d’une telle proposition consiste à rendre plus efficace l’administration du pays en favorisant le recrutement de la haute fonction publique au sein de deux viviers : soit des fonctionnaires expérimentés dont la qualité du service aurait été reconnue, soit des professionnels issus de la société civile et du monde de l’entreprise afin de rendre plus sensible la haute fonction publique aux évolutions de la société.

La société évolue plus rapidement que l’État. Elle le précède toujours.

Oui, la philosophie de ces propositions est de faire de l’État le prolongement de la vie réelle, et non, comme cela semble trop souvent le cas aujourd’hui, de faire de la vie civile le prolongement de l’État.

Prenons l’exemple du recrutement des magistrats. L’affaire d’Outreau a largement démontré qu’il serait souhaitable que les juges connaissent le métier d’avocat et apprennent l’épaisseur de la vie aux côtés des victimes.

Procèdent de la même philosophie les difficultés posées par le projet de loi « hôpital, patients, santé et territoires » que nous examinerons prochainement ici même. Si l’on conçoit que le pouvoir administratif doit jouer un rôle dans la gestion des établissements de santé, on ne saurait pour autant concevoir qu’il y joue le rôle principal. Dans de tels établissements, le métier de base est la médecine ; la gestion administrative n’en est qu’une fonction « support ».

Enfin, la redéfinition des modalités de recrutement de la haute fonction publique doit prendre en considération quelques archaïsmes.

Le niveau de recrutement de la haute fonction publique ne doit pas non plus conduire à une surenchère des diplômes généralistes.

Il est nécessaire de réduire l’inflation des diplômes généralistes sans perspective professionnelle. Or les modalités actuelles de recrutement de la fonction publique ont pour conséquence directe de faire de l’inflation des diplômes généralistes une norme de réussite sociale.

Il semble donc temps de mettre fin au premier concours de recrutement, au profit des deuxième et troisième concours. Les modalités de recrutement de la haute fonction publique jouent un rôle éminent dans les canons de reconnaissance sociale, qui doivent aujourd’hui mettre à l’honneur des parcours professionnels civils.

Dans le même ordre d’idée, la fonction publique ne doit pas offrir de formation initiale à proprement parler, et ce pour plusieurs raisons.

Il n’appartient pas aux écoles de la fonction publique de délivrer une formation initiale en dehors du cadre normal de l’enseignement supérieur. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.) En effet, l’idée même de formation initiale suppose que la situation professionnelle n’est pas acquise.

Si toutefois le principe suivant lequel de telles écoles devraient délivrer une formation initiale était acquis, il semble évident qu’il ne faut pas assortir cette formation d’une rémunération au titre du statut de fonctionnaire stagiaire dans la mesure où la formation dispensée est une formation managériale.

Prenons l’exemple d’un amphithéâtre d’histoire à la Sorbonne.

M. Yannick Bodin. Et l’heure ?

M. Charles Gautier. Il faut respecter le temps de parole !

M. Alain Houpert. Est-il normal qu’entre deux étudiants préparant l’agrégation, l’un étant normalien est rémunéré comme fonctionnaire stagiaire, l’autre ne l’étant pas doit travailler pour financer son année de préparation ?

Ce serait trop élargir le sujet des préparations aux concours de la haute fonction publique que d’examiner l’ensemble des verrous qui empêchent toute mobilité sociale dans notre pays.

Pour conclure, quand Yannick Bodin parle de classe sociale, je préfère parler de milieu social, car il est plus facile de s’extraire d’un milieu social que d’une classe sociale.

M. Yannick Bodin. Je n’ai pas parlé de classe sociale ! J’ai parlé de milieu socioculturel !

M. Alain Houpert. Cependant, une telle extraction peut paraître presque impossible pour un certain nombre de jeunes français qui n’ont pas eu la chance de naître dans une bonne famille d’un beau quartier, de suivre une scolarité dans un bon collège, dans un beau lycée, de bénéficier d’une bonne classe préparatoire aux grandes écoles et d’une belle école.

Nos valeurs doivent être le pluralisme, l’égalité des chances et la mobilité sociale.

Lorsqu’on parle de recrutement de la haute fonction publique, on touche nécessairement aux symboles. Il est aujourd’hui plus que temps d’envoyer notamment aux filières universitaires des signes forts et de dire à tous les jeunes qui en sont issus qu’ils ont encore une place dans le camp de la liberté, et qu’il y a un sens à servir la France. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ma réponse sera un peu longue, par respect pour tous ceux qui se sont exprimés et compte tenu de la densité des interventions, je pense en particulier à celle de M. Josselin de Rohan.

Avant de répondre point par point à chacun des orateurs ayant bien voulu nous faire part de ses remarques sur la réforme de l’ENA, je souhaite en quelques minutes préciser les grandes lignes de cette réforme.

Il faut avant tout rappeler qu’il s’agit d’une demande du Président de la République, qui a souhaité cette réforme lors de ses vœux aux corps constitués, en janvier 2008.

Je veux redire, c’est un propos liminaire indispensable, l’attachement du Gouvernement à l’ENA, non parce que cette école est un symbole ou un emblème, mais parce que l’ENA est au cœur de notre construction républicaine d’après-guerre, au cœur également de notre fonction publique.

L’ENA a été créée en même temps que la Direction générale de la fonction publique et que le corps des administrateurs civils. Elle a même précédé la création du statut général des fonctionnaires de 1946. J’aime aussi à rappeler que la première promotion de l’ENA, « France combattante », était ouverte à tous, sans distinction de diplôme ou de classe sociale. Seuls comptaient, à l’époque, les titres de guerre.

Pourtant, au fil des années, de nombreuses critiques se sont élevées à son endroit : une provenance des élèves pas assez diverse, une scolarité de vingt-sept mois trop longue et trop académique, des recruteurs qui, paradoxalement, ne peuvent choisir leurs futurs collaborateurs – vous en conviendrez, c’est une véritable aberration.

Notre objectif n’est pas de porter une énième réforme de cette école en ignorant tout ce que nos prédécesseurs ont déjà fait. Notre objectif est de concevoir pour elle une nouvelle ambition s’appuyant sur ses atouts. De même, nous n’avons pas voulu élaborer une réforme uniquement polarisée sur la suppression du classement de sortie.

Cette suppression est un moyen, et non une fin en soi. Elle n’épuise pas l’ensemble des enjeux de l’État.

Pour élaborer de nouvelles orientations, nous avons conduit une concertation avec tous les acteurs du dossier. Nous avons réalisé de nombreuses auditions auprès d’employeurs, d’experts en recrutement, d’élèves, d’anciens élèves. Nous avons aussi réalisé un sondage auprès des trois dernières promotions d’étudiants et mené un groupe de travail avec la direction de l’ENA.

Ces travaux ont notamment mis en lumière une importante adhésion à la mesure de suppression du classement de sortie. Mais ils ont également mis en exergue les deux risques principaux qui s’y attachent, et que vous avez évoqués cet après-midi : la reconstitution des réseaux du favoritisme dans l’affectation des élèves, souvent décrits comme une caractéristique du système des concours particuliers d’avant-guerre ; la diminution de l’intérêt et de l’investissement des élèves de l’ENA au cours de leur formation à compter du moment où celle-ci ne serait plus sanctionnée par un classement final. Nous nous sommes donc attachés à construire un projet capable de prévenir ces deux risques.

À l’issue de ces mois de concertation, le Gouvernement a retenu plusieurs axes de réforme avec un double objectif. D’une part, nous avons voulu fournir à nos futurs hauts fonctionnaires la meilleure formation possible dans le respect des valeurs du service public et avec le souci d’une plus grande ouverture sur la société. D’autre part, nous avons souhaité « professionnaliser », le terme a été employé, le mode de recrutement des employeurs publics tout en garantissant la plus grande impartialité dans la procédure.

Quels sont les axes de la réforme ?

Le premier axe vise à ouvrir davantage l’ENA pour favoriser la diversité des talents et l’égalité des chances. Compte tenu de son statut, il est bien évident que l’ENA doit être exemplaire en la matière. Dès l’automne prochain, on l’a rappelé, l’ENA se dotera d’une classe préparatoire spécifiquement réservée aux publics défavorisés, c'est-à-dire des candidats issus de milieux modestes ayant effectué, par exemple, tout ou partie de leur scolarité en zone d’éducation prioritaire. Cette classe préparatoire réunira quinze élèves, soit plus de 30 % des places ouvertes au concours externe.

Je veux insister sur l’ambition du Gouvernement en la matière. Il ne s’agit pas de créer des voies parallèles qui seraient spécifiquement réservées à ces publics prioritaires. L’idée que nous trouvons plus porteuse, plus conforme à notre modèle méritocratique, c’est d’aider les candidats les plus méritants issus de la diversité sociale à réussir le même concours que les autres. C’est une belle ambition, qui nous permettrait de renouer pleinement avec les origines de l’ENA.

Le deuxième axe de la réforme porte sur la formation des élèves au sein de l’École. Nous n’ignorons pas que l’ENA a dû évoluer au cours de ses plus de soixante ans d’existence.

La réforme la plus récente a d’ailleurs permis de repenser le cursus des élèves en mettant l’accent sur certains points forts comme l’alternance entre les stages et les enseignements thématiques.

Nous ne sommes pas allés au bout de cette logique de professionnalisation. Nous voulons une formation à la fois plus courte et encore plus opérationnelle.

Les principes directeurs du nouveau cursus seront donc les suivants : la durée de formation commune, aujourd'hui de vingt-sept mois, sera réduite à vingt-quatre mois ; les stages représenteront au moins la moitié de la durée totale de formation, et l’un d’entre eux se déroulera sur plusieurs mois dans une entreprise ; l’aspect professionnel des enseignements sera renforcé ; enfin, après le recrutement, les élèves suivront une formation en alternance entre leur poste et l’ENA, et ce n’est qu’à l’issue de celle-ci qu’ils seront titularisés.

Le troisième axe de la réforme concerne évidemment la nouvelle procédure de sortie. Nous voulons sortir d’une logique, propre au classement, qui fait que les élèves sont affectés en fonction d’un rang, plutôt que recrutés par les employeurs pour leurs compétences et aptitudes.

Nous avons voulu tenir compte des conseils, parfois des craintes évoquées aujourd'hui aussi, en mettant en place une procédure qui réponde aux objectifs d’impartialité, de liberté de choix pour les élèves et de responsabilisation des employeurs.

Je souhaite donc répondre à la quasi-totalité des orateurs sur cette question.

La procédure de recrutement par les employeurs à la fin de la formation à l’ENA reposera sur de nombreux garde-fous.

La liberté de candidature est assurée pour les élèves. Ceux-ci pourront se porter candidat librement auprès de tous les employeurs, qui formaliseront et diffuseront une fiche de poste précise pour chaque poste ouvert au recrutement.

Le dossier d’aptitude de chaque élève sera étoffé : il comportera les notes obtenues ainsi que des appréciations littérales.

Les épreuves passées par les élèves conserveront donc toute leur importance, dans la scolarité comme dans le recrutement à la sortie de l’école.

L’anonymat sera respecté : les dossiers d’aptitude seront transmis sous une forme anonyme aux employeurs, ce qui constitue une garantie dans la phase de présélection sur dossiers.

C’est à partir des dossiers, en fonction des critères précisés dans les fiches de postes à pourvoir, que les employeurs pourront sélectionner les candidats qu’ils souhaitent auditionner.

À l’issue de la sélection sur dossiers anonymes, les employeurs conduiront des entretiens personnalisés. La décision de recrutement d’un candidat sera prise de manière collégiale. Enfin, un comité veillera à la régularité de la procédure de sortie.

La nouvelle procédure, encadrée par ces règles strictes, sera donc à même de limiter les risques d’arbitraire dans le choix des candidats.

Dernier point, vous parlez de « classement transparent et juste », mais permettez-moi de relativiser.

D’abord, pour un point de plus ou de moins à la note de stage – et Dieu sait quelle part d’arbitraire une telle note peut comporter –, un élève peut perdre jusqu’à dix places dans le classement, selon la confidence que je tiens de l’un de mes collaborateurs.

Ensuite, c’est négliger le côté guillotine — mot qui fleure bon la Révolution – de l’« amphi-garnison », méthode qui ne paraît pas particulièrement heureuse.

Je souhaite revenir maintenant plus en détail sur les différents points soulevés par les brillants orateurs de votre Haute Assemblée.

Monsieur de Rohan, la suppression du classement de sortie est une réforme profonde de l’accès à la fonction publique ; elle est guidée par le souci d’assurer aux administrations des recrutements d’énarques dont le profil correspond à leurs besoins spécifiques, et non seulement au prestige que reflète la place dans le classement.

Cette réforme suppose une professionnalisation de la part des employeurs : définition précise, objective, transparente de leurs critères de sélection ; conduite d’entretiens avec les candidats qui soient non pas des épreuves de classement, mais des tests permettant d’apprécier les aptitudes professionnelles ; collégialité dans les décisions.

Pour les élèves, comme l’a relevé Yann Gaillard, l’objectif est de les faire bénéficier non pas de vingt-sept mois d’épreuves visant à les classer, mais d’une formation, qui leur permette notamment de mieux exercer leurs fonctions, ainsi que d’un accompagnement qui les oriente vers les perspectives de carrière correspondant à leurs aspirations et à leurs talents.

Le rôle du comité ad hoc sera capital pour établir les règles assurant le respect des principes fondateurs de notre fonction publique et pour veiller à leur application.

S’agissant du dossier d’aptitude, il revient au comité ad hoc de le définir précisément. Toutefois, je le répète, il comportera non seulement des notes, mais aussi des appréciations littérales sur les candidats, ce qui constitue déjà une importante différence par rapport au seul classement. Par ailleurs, son élaboration sera entourée des nombreuses garanties mises en place pour assurer la transparence du processus.

Pour ce qui est de la mobilité à l’issue de l’ENA, il est tout à fait juste qu’elle doit être développée. Cette mobilité est, certes, prévue dans le parcours de tout énarque, mais le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, déjà voté par le Sénat et en cours d’examen à l’Assemblée nationale, permettra de renforcer cette tendance, encore trop faible, j’en suis d’accord.

Par ailleurs, je tiens à rassurer Yann Gaillard – brillant ancien élève de l’ENA (Sourires) – dont l’intéressante intervention a en particulier porté sur les stagiaires étrangers.

Le Gouvernement entend maintenir l’accueil et la formation qui sont accordés aux stagiaires étrangers à l’ENA, notamment au travers du cycle international long. C’est en effet un gage de rayonnement de cette école, mais aussi, au-delà, de notre modèle d’administration et de nos valeurs républicaines.

À titre d’illustration, voilà quelques semaines, sur l’initiative de l’un de mes collaborateurs, énarque bien sûr, nous avons voulu vérifier combien d’ambassadeurs de pays étrangers en poste à Paris étaient issus de l’ENA. Eh bien, et c’est assez extraordinaire, ils sont dix ! Il y a parmi eux l’ambassadeur de Chine – par ailleurs authentique descendant de Confucius –, l’ambassadeur d’Allemagne, l’ambassadeur de Géorgie, l’ambassadeur de Tchéquie, l’ambassadeur de Singapour, l’ambassadeur de Mongolie, qui nous a assurés avoir été le premier Mongol à l’ENA, et qui sera sans doute le dernier…

Cela démontre que l’ENA a joué un rôle considérable et nous devons être fiers de l’action menée.

S’agissant de l’indispensable connaissance de la réalité du pays, monsieur Fortassin, elle sera renforcée par le développement de la place des stages, qui représenteront désormais la moitié de la scolarité et s’étendront sur douze mois. Les stages de préfecture, notamment de plus de quatre mois, devraient donner aux élèves une expérience concrète de nos territoires ; les stages en entreprise, que nous avons rajoutés et dont la durée sera également portée à quatre mois, déboucheront de même sur une expérience concrète.

À ce propos, je vous rassure, monsieur Sueur, la durée des stages sera équivalente pour les trois types de stage, Europe, territoire, gestion.

Concernant la connaissance, je ne suis pas très inquiet pour les élèves de l’ENA, souvent surdiplômés, d’où d’ailleurs le problème : lorsque l’on a fait Normal sup’ et Sciences Po, faut-il encore suivre un cycle de formation à l’ENA ? Vous soulevez la question par rapport à l’université : aujourd'hui, la difficulté est d’éviter la redondance entre les enseignements de l’ENA et ceux des formations précédentes.

Pour ce qui est du concours et de ses vertus pour assurer l’impartialité et l’objectivité, je tiens à dire que le Gouvernement y est très attaché et que le concours d’entrée à l’ENA constitue un exemple en la matière. Cependant, pour que la sortie de l’ENA soit juste, il est indispensable d’aller plus loin et de faire mieux correspondre les compétences et les aspirations des élèves avec le profil des postes et carrières qui leur sont offerts.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. André Santini, secrétaire d'État. Je vous en prie, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, avec l’autorisation de l’orateur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, n’y a-t-il pas un risque – pour nous, ce risque est réel – qu’avec la suppression du classement de sortie s’instaurent des procédures qui ne donnent pas les garanties d’impartialité et d’objectivité nécessaires, ce qui aurait pour effet de réintroduire le népotisme et le favoritisme ?

Quelle réponse pouvez-vous apporter à cette question très simple et très précise qui a été posée par de nombreux orateurs ? Comment pouvez-vous garantir que la procédure à laquelle vous pensez sera équitable, et le sera au moins autant que le classement de sortie ?