Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Quelles sont donc vos propositions ?

M. Bernard Cazeau. Tout cela me rappelle la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, adoptée sous la présidence de Jacques Chirac. Alors qu’on nous avait promis de grandes avancées en faveur de l’installation des médecins en zone rurale, nous étions finalement parvenus à deux ou trois exemptions fiscales mineures, à des bourses dont le versement revenait aux conseils généraux et aux fameuses maisons de santé, payées par les communes. Certes, madame la ministre, vous n’étiez pas en fonctions à cette époque.

Je ne reviendrai pas sur tous les points du titre II tant il paraît difficile de restituer la cohérence d’ensemble de cette partie, véritable fourre-tout législatif.

Je veux toutefois attirer votre attention sur la double question des dépassements d’honoraires et des refus de soins. Ces deux problèmes sont voisins. Ils heurtent pareillement la déontologie : un médecin est non pas quelqu’un qui sélectionne, mais quelqu’un qui soigne. (M. Alain Fauconnier applaudit.)

La lutte contre les discriminations a été consciencieusement abordée par la commission des affaires sociales, qui a rendu plus claires les dispositions prévues initialement. En revanche, s’agissant des dépassements d’honoraires, madame la ministre, vos silences sont pesants. Une condamnation de principe, c’est bien – et Dieu sait si vous en faites –, mais un système préventif et dissuasif, c’est mieux.

Or, à ce jour, l’évaluation de la pertinence et du bien-fondé des dépassements d’honoraires demeure trop imprécise. Sans mesure ni contrôle, ces derniers relèvent du mercantilisme médical. Rien ne justifie qu’ils échappent à un encadrement. Il en va de l’accessibilité aux soins.

M. Guy Fischer. Voilà !

M. Bernard Cazeau. Enfin, je dirai un mot de vos intentions en matière de prévention. Les mesures retenues ne sont pas mauvaises en soi, mais leur faiblesse nous déçoit. Ce projet de loi ne traite de la prévention qu’à la marge. Certes, vous nous promettez un nouveau texte ; attendons-le !

On ne développera pas la citoyenneté médicale par quelques mesures sporadiques d’interdiction, ça et là.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, nous sommes en désaccord sur le fond. Pour vous, l’hôpital public est un problème ; pour nous, il est une solution. Pour vous, il vit sur un mode archaïque ; pour nous, il est plein d’avenir. À vos yeux, la démocratie sanitaire et la démocratie territoriale ne sont qu’un frein aux restructurations ; nous pensons au contraire qu’elles sont les conditions pour rendre les réformes acceptables.

M. Alain Vasselle. Caricature !

M. Bernard Cazeau. Dans votre esprit, les professionnels de santé sont des exécutants indociles ; nous les considérons dans leur très grande majorité comme des acteurs responsables.

Enfin, vous jugez notre système trop coûteux, alors que nous pensons qu’il a un prix, qu’il est certes améliorable, mais somme toute efficace. Faites la comparaison : 11 % de nos ressources économiques sont consacrées à la santé. C’est un peu plus que la moyenne européenne, mais, d’une part, l’Allemagne fait mieux que nous et, d’autre part, c’est 5 % de moins qu’aux États-Unis, où l’on voit les effets d’un exercice médical totalement libéralisé, à l’hôpital comme en ville. D’ailleurs, les réformes à venir en la matière du nouveau président américain s’inspirent de plus en plus, paradoxalement, de notre système.

Madame la ministre, l’organisation marchande de la santé est un miroir aux alouettes ; elle finit toujours par coûter plus cher et finit toujours par soigner moins bien. En refusant de l’admettre, vous condamnez un texte qui aurait pu ouvrir des perspectives nouvelles. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Vous ne formulez pas la moindre proposition ! Pas la moindre !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avant même son examen par le Sénat, le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, notamment son chapitre consacré à la gouvernance, passionne et inquiète non seulement les médecins, mais, plus généralement, le personnel hospitalier.

Au cours de cette discussion générale, tandis que Muguette Dini traitera du volet « offre territoriale de soins », je concentrerai mon intervention sur la réforme de la gouvernance territoriale et de l’hôpital.

Nous attendions cette réforme avec impatience. Pour mémoire, cela fait des années que nous en appelons à une régionalisation de la gouvernance du système de santé, et nous n’avons jamais cessé de dire, depuis l’adoption de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, qu’il ne pourra être question de réformer structurellement le système de santé en s’interdisant d’intervenir sur l’hôpital, qui représente plus de la moitié des dépenses totales de la sécurité sociale.

Deux obstacles devaient être évités : la démarche purement managériale et l’exigence purement financière. Nous voulons une société qui respecte ce qui est marchand, mais qui ne se réduise pas au marché, et nous voulons croire à l’égalité des citoyens devant la santé.

Les services publics doivent répondre à cette exigence publique définie par la loi, laquelle doit bien sûr être évaluée. Je préciserai néanmoins que, dans le domaine de la santé, les résultats s’apprécient non pas uniquement en termes financiers, mais surtout en termes humains.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Évidemment !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. C’est à l’aune de ces principes que nous avons mesuré l’intérêt du projet de loi, et c’est ainsi que nous y avons apporté des modifications de fond, qui associent la démarche médicale, fondamentale, et la démarche gestionnaire.

Le présent projet de loi devait créer les autorités, les pouvoirs et les outils nécessaires à un vrai pilotage régional du système et à une meilleure efficience de l’hôpital.

Pour autant, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale ne nous semblait pas exempt de critiques. Nous en formulions deux, en particulier : d’une part, le système proposé nous semblait par trop bonapartiste, trop dirigiste ; d’autre part, il laissait subsister d’importantes zones d’ombre. Reprenons ces deux points.

L’objectif de la réforme de la gouvernance est d’améliorer l’efficacité du système. Dans ce but, et pour reprendre le champ lexical consacré, on a créé un « pilote » régional et désigné un « patron » à l’hôpital. Mais, tant à l’échelon régional qu’à l’hôpital, le choix a été fait de donner tous pouvoirs à ces patrons, au détriment d’une logique d’équilibre avec les autres parties prenantes au système, comme s’il fallait jouer l’autorité sanitaire contre la démocratie sanitaire, comme s’il y avait un choix à faire entre les deux.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Caricature !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. C’est ainsi que l’on a fait du directeur de l’ARS un super-préfet sanitaire, flanqué, pour le décor, de deux institutions dépourvues de prérogatives réelles : un conseil de surveillance sans rôle de surveillance et une conférence régionale de la santé et de l’autonomie, organe dit de la « démocratie sanitaire », mais en réalité simple organe consultatif occasionnel et secondaire.

À l’hôpital, on retrouve le même schéma : le pouvoir administratif, tout entier incarné dans la personne du directeur, ne trouvait plus face à lui, dans la version du texte issu de l’Assemblée nationale, ni le pouvoir politique des élus ni le pouvoir médical des praticiens. Il contrôlait presque intégralement la composition du directoire, aux fonctions anémiées, et le conseil de surveillance se voyait amputé de certaines prérogatives de contrôle. Quant à sa composition, elle était dans les mains de l’administration. Dans ces conditions, à quoi servait-il d’avoir créé de telles instances collégiales ?

Sans même porter la question sur le terrain des valeurs, le fond du problème est qu’il n’y a pas à opérer un choix entre efficacité et démocratie, tout simplement parce que la démocratie peut être un facteur d’efficacité.

Pour qu’un système de gouvernance fonctionne, il faut certes de l’autorité, mais aussi de l’adhésion. Toute la question est de savoir où positionner le curseur entre principe hiérarchique et nécessaire collaboration des pouvoirs. Ce curseur était placé sans nuance du côté du principe hiérarchique, autrement dit un patron de droit divin, sans contre-pouvoir !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Mon Dieu…

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le primat des Gaules ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. C’est cette extraordinaire insuffisance du texte que les travaux de la commission des affaires sociales sont parvenus à corriger. Nous avons trouvé, me semble-t-il, un équilibre très satisfaisant pour tous, ce dont je remercie le président de la commission et le rapporteur.

Le groupe de l’Union centriste avait déposé quelques dizaines d’amendements en ce sens ; certains d’entre eux ont été adoptés, et beaucoup d’autres ont été satisfaits.

Au passage, je ferai une remarque sur la nouvelle procédure d’examen en commission, dont nous avons essuyé les plâtres.

L’absence des collaborateurs des groupes nous a fait cruellement défaut dans l’organisation de notre travail. Elle est d’autant plus regrettable que rien ne la justifie plus sur le plan des principes, puisque même le ministre et ses collaborateurs assistent aux séances de commission.

En outre, pour que cette réforme porte tous ses fruits, il serait souhaitable que nous ne rééditions pas en séance publique les mêmes débats fructueux que nous avons déjà eus en commission.

M. Roland du Luart. Vous avez raison !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est un doux rêve !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ainsi, le texte issu de nos travaux nous semble désormais infiniment plus équilibré en matière de répartition des pouvoirs. En pratique, il sera ce que nous en ferons.

Dans l’esprit des amendements que nous avions déposés, nous ne pouvons que nous réjouir du renforcement du rôle de la conférence régionale de la santé, au sein de l’ARS. Cette conférence sera non plus une simple officine de consultation, mais un vrai partenaire du directeur de l’ARS dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique régionale de santé. Elle émettra un avis sur le projet régional de santé, et non plus seulement sur le plan stratégique régional, ainsi que sur la définition des territoires de santé.

Ses moyens sont sanctuarisés dans la loi, ainsi que sa composition, du fait de l’adoption de l’un de nos amendements.

La possibilité de nommer une personnalité qualifiée au poste de président du conseil de surveillance de l’ARS se rapproche de notre souhait que cette fonction ne soit pas systématiquement exercée par le préfet de région. Il est en effet absurde que ce soit l’État qui contrôle l’État.

À l’hôpital, l’équilibre des pouvoirs est aussi grandement amélioré en matière de gouvernance, ce à quoi nous étions très attachés.

On constate d’abord un rééquilibrage entre le pouvoir administratif et le pouvoir politique : le conseil de surveillance se voit quelque peu restauré dans son rôle de contrôle. Ainsi, conformément à notre demande, le conseil de surveillance délibérera sur les actes engageant la vie de l’établissement que sont la participation à toute action de coopération ou à une communauté hospitalière de territoire.

Nous demandions également que les moyens de contrôle du conseil de surveillance soient renforcés. C’est en partie chose faite puisqu’il pourra transmettre des observations au directeur général de l’ARS sur le rapport annuel et la gestion de l’établissement.

Toutefois, nous souhaitons rendre encore plus effectifs les moyens de contrôle du conseil de surveillance en affirmant sa capacité à saisir la chambre régionale des comptes. Nous défendrons un amendement allant dans ce sens.

On constate ensuite un rééquilibrage de la composition du conseil de surveillance. Conformément à l’un de nos amendements, les personnalités qualifiées qui y siégeront seront désignées non plus par le directeur de l’ARS, mais par les exécutifs des collectivités territoriales et par le préfet de département.

En outre, le conseil de surveillance gagne en autonomie puisqu’il ne revient plus au directeur de préparer ses travaux et que la présence en son sein de ce dernier est limitée.

Enfin, et c’était pour nous un point important, le conseil de surveillance reconquiert un peu de son pouvoir dans la nomination du directeur, notre amendement imposant au directeur de l’ARS de proposer au Centre national de gestion les noms des trois candidats qu’il a choisis.

La commission a aussi effectué une redistribution de pouvoir salutaire en direction du secteur médical.

Au sein du directoire, les quatre représentants du personnel médical sont nommés après avis du président de la commission médicale d’établissement et information du conseil de surveillance. Les chefs de pôle seront nommés sur proposition, et non plus sur avis, du président de la CME. Le contrat de pôle sera cosigné par le directeur et le président de la CME. Les chefs de pôle seront nommés par le directeur sur une liste élaborée par le président de la CME. Enfin, les praticiens libéraux ne seront admis à exercer dans un établissement public que sur proposition du président de la CME et après avis du chef de pôle. Ce sont quatre points auxquels les médecins étaient très attachés. En outre, le président de la CME ne sera plus placé sous l’autorité du directeur dans son rôle d’élaboration de la politique médicale de l’établissement. Il s’agit là d’une très nette avancée.

Si nous avons progressé en matière de gouvernance, nous avons aussi supprimé d’importantes zones d’ombre que laissait subsister le texte du Gouvernement. Les principales portaient sur la question de savoir comment les ARS s’inséreraient dans leur environnement institutionnel par rapport tant à l’État qu’aux collectivités, et comment devraient s’articuler les politiques nationale et régionales de santé ?

Deux amendements adoptés en commission balayent les craintes et clarifient les choses, d’une part, en précisant que l’ARS applique la politique nationale dans la région de son ressort et, d’autre part, en redéfinissant les missions, jusqu’ici assez floues, du conseil de pilotage chargé de coordonner les agences entre elles.

Deux points, relatifs à l’articulation entre les échelons national et régional, demeurent cependant problématiques à nos yeux ; nous y reviendrons au cours du débat.

Sous réserve des réponses que vous apporterez à nos questions et d’un accueil favorable aux quelques amendements que nous présenterons en séance, notre sentiment sur le projet portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, tel qu’il résulte des travaux de la commission, est donc positif.

Nous félicitons la commission des affaires sociales, en particulier son président, M. Nicolas About, et son rapporteur, M. Alain Milon. Nous les remercions de leur écoute et de l’excellence de leur travail.

Mes chers collègues, nous avons devant nous deux objectifs : une réforme ambitieuse à peaufiner et une pratique nouvelle en séance publique à inventer pour respecter le travail de la commission.

Madame la ministre, le Gouvernement serait bien inspiré, s’il veut que le projet de loi soit voté par le Sénat, de respecter le texte adopté par la commission des affaires sociales, autrement dit de respecter le pouvoir du Parlement. Or, nous sommes inquiets à la lecture de vos premiers amendements, qui semblent quelque peu remettre en cause l’équilibre du texte.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. J’ai le droit de défendre ma position ! Respectez les prérogatives du Gouvernement comme je respecte les vôtres !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je les respecterai, mais j’espère que le dialogue sera constructif !

Le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale devra donner à l’hôpital public, en particulier, et aux ARS les moyens financiers de mettre en œuvre cette nouvelle loi.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Évidemment !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ce chapitre financier, qui sera évoqué plus tard, suscite, peut-être plus que le présent projet de loi, des inquiétudes grandissantes quant à l’avenir de l’hôpital public. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP. –M. Jean Milhau applaudit également.)

M. Guy Fischer. C’est là qu’est le problème !

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà réunis pour discuter du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires. On aurait d’ailleurs dû écrire « médecins » à la place de « patients » : cela aurait sans doute été plus juste et, en tout cas, cela aurait mieux reflété les grandes lignes du texte.

Madame la ministre, il faut reconnaître à ce projet de loi, comme au texte issu des travaux de la commission, le mérite d’éclairer les réformes menées par vos prédécesseurs en matière de santé. On peut même aller jusqu’à dire que c’est ce texte qui leur donne leur cohérence puisque, désormais, tout converge vers la privatisation de notre système de santé ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Cette vision marchande de la santé n’est pas la nôtre.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous avez pourtant été les grands inspirateurs des cliniques privées.

M. François Autain. Elle a beau être conforme aux préconisations des institutions européennes et s’inscrire dans la logique du traité de Lisbonne, elle n’en est pas moins inacceptable.

Nous récusons la subordination de la santé à l’économique, car, partout où elle est mise en œuvre, elle se révèle discriminatoire dans l’accès aux soins et préjudiciable à la qualité de ces derniers.

Pour illustrer cette politique, on cite souvent les États-Unis qui, en consacrant à la santé 16 % de leur produit intérieur brut, contre 11 % pour la France, laissent 41 % de leur population mal ou non assurée, ayant difficilement, voire pas du tout, accès aux soins. (M. Guy Fischer s’exclame.)

Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater que, au moment où les États-Unis prennent comme modèle notre système de santé pour réformer le leur, nous nous inspirons du leur pour réformer le nôtre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Non !

M. François Autain. Cette remise en cause de notre modèle a déjà eu et aura des conséquences désastreuses sur l’hôpital public. Les réformes incessantes dont il a été l’objet ces trois dernières années ont accru ses difficultés, comme si le Gouvernement misait sur sa disparition prochaine au profit du secteur commercial.

Il est vrai que le Gouvernement est allergique aux services publics en général et aux services publics hospitaliers en particulier (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.), …

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Oh !

M. François Autain. … et qu’il ne manque pas une occasion d’apporter sa contribution à la campagne de dénigrement dont l’hôpital public est l’objet.

M. Guy Fischer. C’est la vérité !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Non, je défends l’hôpital public !

M. François Autain. Dans ce domaine, le Président de la République n’est pas le dernier puisque, dans un discours remontant à un peu moins d’un an, il est allé jusqu’à accuser injustement l’hôpital de dilapider chaque année 64 % des dépenses de santé alors que, en réalité, l’hôpital ne représente que 34 % de ces dernières. Quand on veut noyer son chien,… vous connaissez la suite !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Vous travestissez les propos du Président de la République !

M. François Autain. Je ne travestis rien du tout ! Ce propos est tout à fait exact !

Aujourd’hui, vous le savez, madame la ministre, l’hôpital va mal, il est en état de sous-financement chronique, affaibli et déstructuré.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est pour cela qu’il faut le réformer !

M. François Autain. Ses personnels, en nombre insuffisant, sont démoralisés alors que se profilent des vagues de licenciements de milliers de personnes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

La sécurité et la qualité des soins ne sont plus garanties et, paradoxalement, ce projet est muet sur le mode de financement de l’hôpital, qui est pourtant la principale cause de la crise sans précédent traversée par ce dernier.

La tarification à l’activité a déstabilisé l’hôpital public, provoquant une course aux recettes et une sélection des patients, instaurant entre le secteur commercial et le secteur public une concurrence meurtrière pour ce dernier, obligé de prendre en charge toute l’année, sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les patients qui se présentent alors que le secteur à but lucratif peut choisir les patients les plus rentables.

Votre texte, madame la ministre, n’apporte aucune solution à tous ces problèmes. Au contraire, il les aggrave ! Il supprime purement et simplement le service public hospitalier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Le bloc de missions de service public est décliné en une multitude de missions parmi lesquelles le secteur privé à but lucratif peut choisir de n’exercer que celles qui sont rentables.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Vous ne croyez pas à ce que vous dites !

M. François Autain. Les activités privées à l’hôpital, régulièrement dénoncées comme contraires à l’éthique et qui, depuis leur instauration en 1958, perturbent le fonctionnement des services ne connaîtront plus aucune limite puisque le texte organise l’entrée des médecins libéraux à l’hôpital.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Vous défilez pourtant bras dessus bras dessous !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Certaines spécialités seulement sont visées !

M. François Autain. Certes, dans certaines spécialités, l’hôpital manque de médecins ; mais doit-on pour autant chercher à s’attacher leur service au prix fort alors qu’il serait tout à la fois plus rationnel, plus simple et plus juste d’éviter la fuite vers le secteur commercial des praticiens hospitaliers, en particulier des jeunes, en améliorant leurs conditions de travail et de rémunération, notamment en ce qui concerne les retraites ?

Par ailleurs, l’instauration à l’hôpital d’un intéressement aux bénéfices risque de provoquer des conflits d’intérêt préjudiciables aux patients et à la cohésion des équipes médicales.

Enfin, le terme « hôpital », sans doute trop connoté à vos yeux, madame la ministre, est remplacé par celui, plus neutre, d’ « établissement de santé ».

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le mot « hôpital » figure dans l’intitulé du projet de loi. !

M. François Autain. Ce glissement sémantique est tout sauf anodin.

M. François Autain. Il anticipe sur la finalité ultime de votre réforme et sur la privatisation totale ou partielle du secteur public hospitalier. (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Guy Fischer. Après La Poste !

Mme Annie David. Et l’énergie !

M. François Autain. En toute logique, le projet de loi organise cette mutation. Il étend les techniques de gestion de l’entreprise à l’hôpital, au mépris de la spécificité de ses missions et de son fonctionnement, comme si dispenser des soins était une activité mercantile banale, comme si les patients étaient des clients, comme si leur santé pouvait se négocier en parts de marché.

Les élus sont refoulés des instances de décision. Ma collègue Annie David évoquera tout à l’heure ce sujet.

Le conseil d’administration est remplacé par un conseil de surveillance, et le corps médical est tenu en lisière. Le directeur devient le seul patron, celui qui peut décider de tout, y compris du projet médical d’établissement, contre l’avis des professionnels de santé.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est faux !

M. François Autain. Heureusement, sous la pression de la rue – vous pouvez difficilement le nier –, vous avez dû reculer, comme cela était déjà arrivé par le passé, et vous rendre à l’évidence qu’il n’était pas possible de réformer l’hôpital contre les praticiens.

Vous avez également dû reculer en reportant à 2018 la mise en place de la convergence tarifaire public-privé. Je me demande d’ailleurs pourquoi vous ne l’avez pas tout simplement supprimée. Cela aurait été plus courageux, plus honnête et plus franc.

Venons-en aux agences régionales de santé, les ARS.

C’est en 1993, dans le rapport « Santé 2010 » du Commissariat général du Plan, qu’apparaît pour la première fois l’idée de la création de ces agences.

Les textes adoptés depuis lors ne brillent pas par leur cohérence : alors que la loi du 23 février 2005 sur le développement des territoires ruraux est d’inspiration nettement décentralisatrice, le dispositif du 4 mars 2002 amendé par les lois Douste-Blazy et Mattei de 2004 relève plutôt d’une déconcentration technocratique.

Ce projet de loi s’inscrit dans la même perspective : déresponsabiliser les politiques en confiant à des experts non soumis au contrôle démocratique le pouvoir que devraient normalement exercer les élus. Il va sans aucun doute aggraver, alors qu’il vise le contraire, l’imbroglio administratif actuel qui caractérise l’organisation de notre système de santé.

Il y a trop d’agences et d’institutions de toutes sortes. J’en ai dénombré pas moins d’une vingtaine dans le seul domaine de la santé. Ce processus d’« agencisation » de l’État auquel ce projet donne un coup d’accélérateur, loin de simplifier le système, risque de le rendre encore plus opaque. Ma crainte est qu’il ne donne naissance à un monstre bureaucratique ingérable et totalement déconnecté des réalités, qu’il nous faudra réformer dans quelques années.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Pourtant, dans le programme de votre candidat, il y avait la création des ARS !

M. François Autain. En réalité, on réforme l’hôpital à peu près tous les deux ans ! (Mme la ministre s’exclame.)

La rédaction de l’article 26, amendée par la commission, ne me rassure pas. Il apparaît que ces agences sont destinées moins à veiller à la satisfaction des besoins de santé de la population de la région dans le respect, pour chacun, d’une égale accessibilité tarifaire et géographique aux soins, qu’à faire respecter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie établi en fonction de critères essentiellement économiques.

M. Guy Fischer. Tout à fait !

M. François Autain. À cet effet, les ARS – ou plutôt les ARSA, les agences régionales de santé et de l’autonomie, depuis l’adoption, par la commission, d’un amendement visant à les rebaptiser – seront dirigées par un super-préfet…

M. François Autain. … nommé en conseil des ministres qui, hors de tout contrôle démocratique, arrêtera le projet régional de santé, nommera et révoquera les directeurs d’hôpitaux publics,…