M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Monsieur Le Cam, l’intervention que j’ai faite à la tribune répond, me semble-t-il, dans son esprit, à vos interrogations sur la défense de notre modèle de nutrition et de nos filières agroalimentaires. C’est une préoccupation qui dépasse les clivages politiques.

Le Gouvernement a démontré, par la position qu’il a prise sur le projet de la Commission et par ses initiatives, qu’il entendait préserver la diversité des produits français, les spécificités agroalimentaires de nos terroirs, qui favorisent le développement économique de ceux-ci.

Au nombre des opérations réalisées par le Gouvernement, en particulier par Michel Barnier, je mentionnerai le plan d’action qui découle du Programme national nutrition santé, le PNNS. Ce plan prend en compte la nécessité d’avoir une approche alimentaire liée à notre culture et à nos terroirs. Je pourrais également citer l’action que nous avons menée sur le roquefort auprès de nos amis Américains, pour défendre ce label et affirmer l’identité de ce fromage.

Le Gouvernement a donc su affirmer sa position face aux propositions initiales de la Commission.

Madame Mélot, vous me demandez pourquoi le Sénat n’a pas été informé plus en amont. À ce jour, je le rappelle, il n’y a aucune proposition officielle de la Commission. Jusqu’à présent, le débat est resté à un niveau technique.

Nos services ayant alerté le Gouvernement sur les préoccupations et les inquiétudes que pourrait impliquer la mise en œuvre de la proposition initiale de la Commission, nous nous sommes mobilisés. M. Barroso nous a entendus : il a modifié le projet initial de la Commission et a demandé à sa direction de réfléchir à de nouvelles propositions.

À ce jour, ces propositions ne sont pas officielles. Le Gouvernement et les services travaillent afin d’orienter la position de la Commission européenne, conformément aux remarques de M. Bizet. Nous devrons faire preuve d’une grande vigilance dans les semaines qui viennent afin que les propositions finales de la Commission prennent bien en compte la réorientation voulue par M. Barroso et, surtout, les préconisations que j’ai défendues dans mon intervention liminaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le secrétaire d'État, je me réjouis que la nouvelle mouture du projet de la Commission soit très éloignée de la version initiale. Je remercie le Gouvernement d’avoir entendu l’appel du Parlement sur ce point précis.

Je me réjouis également que, grâce à la révision constitutionnelle de juillet 2008, qui nous permet d’anticiper sur le traité de Lisbonne, le Parlement soit désormais plus réactif.

Réactivité du Parlement, mise en exergue de ce que l’on appelle la proportionnalité et de la subsidiarité nous permettront de mieux faire accepter par nos concitoyens la dimension et l’action de l’Europe dans leur quotidien.

Il est important de créer un nombre croissant de passerelles, au sens noble du terme, entre le monde de l’entreprise et le Parlement. Si les industries de la transformation laitière ne m’avaient pas alerté, ces dispositions nous auraient littéralement échappé. La filière laitière traverse une période de turbulences. Si ce dossier avait suivi son cheminement législatif, on mesure sans peine les conséquences qu’il aurait eues sur l’ensemble de la filière laitière, les industries de transformation et, en amont, les producteurs de lait.

J’espère que notre débat sera entendu au-delà de cet hémicycle. Les créateurs de richesses que sont les chefs d’entreprises doivent savoir que le Parlement est à l’écoute de leurs préoccupations, attentif à leurs soucis, même si l’on ne peut pas vraiment formaliser des passerelles entre le Parlement et le monde de l’entreprise. C’est ainsi, me semble-t-il, que nous devons désormais fonctionner.

Je souhaite que, dans les mois à venir, le traité de Lisbonne devienne une réalité, car il nous permettra d’être plus efficaces dans le quotidien des entreprises et des consommateurs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Ce sera le cas !

M. le président. Nous en avons terminé avec ce premier thème.

Un débat sur la crise de la filière laitière est inscrit à l’ordre du jour du Sénat du 25 juin.

II. - Vin rosé

M. le président. Dans le débat sur le vin rosé, la parole est à M. Gérard César.

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, nous sommes aujourd’hui réunis non pas pour critiquer l’action des instances communautaires en matière agricole, mais pour nous féliciter de leur absence d’action, définitive, je l’espère !

Le projet de la Commission européenne d’autoriser le coupage pour la production de vins rosés de table est finalement abandonné. Pour combien de temps ? C’est la question que l’on peut se poser.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est en effet une bonne question !

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Il est vrai que l’on peut voir le verre soit à moitié plein, soit à moitié vide. (Sourires.)

Dans le premier cas, on se réjouit que nos producteurs puissent continuer à produire des vins d’excellence qui ne seront pas concurrencés déloyalement par des productions venant des pays tiers.

Mais le verre reste à moitié vide, car ce dossier révèle, une fois de plus, le degré d’incompréhension de la Commission pour les réalités et les enjeux agricoles et viticoles dans les États membres.

Souvenons-nous : le « combat » – osons prononcer le mot – était pourtant mal engagé. À la fin du mois de janvier, lorsque le comité de gestion des vins, qui réunit les experts des vingt-sept États membres, vote, à titre indicatif, le projet de règlement sur les pratiques œnologiques au sein de l’Union, aucun des participants – la France y compris – n’y voit rien à redire.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Pourtant, figure dans ce texte d’application de la grande réforme de l’OCM vitivinicole, votée en 2007, la levée de l’interdiction de produire des rosés de table par coupage.

Pour le commissaire européen à l’agriculture, le coupage est censé permettre aux producteurs européens de jouer à armes égales face à leurs concurrents – Américains, Australiens ou Sud-Africains – qui peuvent commercialiser un mélange rouge et blanc sous le nom de rosé sur le territoire communautaire.

Une fois qu’est prise la mesure de la réforme, la « résistance » s’organise. Le ministre de l’agriculture, M. Michel Barnier, s’alarme de ce projet auprès de Mme Fischer Boel, commissaire européen. Un compromis est concocté le 23 mars, au sein du comité de gestion du vin. On y entérine la possibilité pour le vin rosé authentique, élaboré par des méthodes traditionnelles de vinification, et non par coupage, de bénéficier de l’appellation « vin traditionnel », mentionnée sur l’étiquette.

Or, on le sait, nos professionnels ne veulent pas de cette mesure. Le vin rosé est un produit jeune, apprécié par les femmes et par les jeunes.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Par les hommes aussi !

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Certes, mais je mentionne les femmes, car ce sont de fins connaisseurs ! (Les sénatrices de l’UMP applaudissent.) J’ajoute que ce sont les femmes qui, dans les magasins, achètent ce produit magnifique.

Les professionnels redoutent que l’adjectif « traditionnel » ne donne à ce produit une image poussiéreuse.

L’opposition au projet de la Commission est donc reconduite, mais le partage des forces ne joue pas en notre faveur. La France est isolée et ne dispose pas véritablement d’appui pour bloquer la mesure, dont l’adoption est renvoyée au Conseil des ministres de l’agriculture du 19 juin 2009.

C’est à ce moment-là que notre assemblée se saisit du dossier. Avec mon collègue Simon Sutour, et en qualité de président du groupe d’études de la vigne et du vin, je dépose auprès de la commission des affaires européenne, présidée par M. Hubert Haenel, une proposition de résolution européenne invitant le Gouvernement à « s’opposer à la disposition permettant d’obtenir du vin rosé par coupage de vins rouges et de vins blancs ».

Le texte est renvoyé devant la commission des affaires économiques, qui me confie la mission de rapporteur. Je procède alors, en accord avec mon collègue Roland Courteau, à une série d’auditions des principaux acteurs de la filière.

Le rapport et la proposition sont adoptés à l’unanimité – il est important de le souligner – par la commission, le 3 mai dernier. Le texte, devenu résolution du Sénat dix jours plus tard, invite le Gouvernement à « s’opposer fermement à la suppression de l’interdiction du coupage de vins sans indication géographique de couleurs différentes pour produire des vins tranquilles rosés ».

Parallèlement, les viticulteurs s’organisent et, ainsi que nous le préconisions dans le rapport, mènent des actions importantes de communication sur le sujet auprès du grand public et de leurs collègues des autres États membres concernés. Le 26 mai, ils organisent une conférence de presse à Bruxelles à laquelle les producteurs italiens et espagnols s’associent.

La campagne « coupé n’est pas rosé » est lancée de façon très efficace. La pétition contre le rosé coupé, circulant sur internet, recueille plusieurs dizaines de milliers de signatures. Un récent sondage montre que 87 % de nos compatriotes sont opposés à l’autorisation de coupage et que 86 % n’en achèteraient jamais si un tel vin venait à être commercialisé.

Sont mises en avant les qualités et l’originalité du vin rosé « authentique », ainsi que l’importance économique du secteur. Ni vin blanc, ni vin rouge, ni mélange des deux, le vin rosé « traditionnel » est en effet un vin à part, compte tenu de ses spécificités de couleur, de texture, de goût et de conservation.

Le marché du vin rosé se porte bien, surtout dans notre pays. La France est le leader mondial du secteur, avec 38 % de la production européenne, qui provient principalement de la Provence, de la Loire, du Rhône, et aussi de la Gironde. Il constitue 11 % de notre vignoble, génère un milliard d’euros de chiffre d’affaires et occupe 11 000 personnes directement et 66 000 emplois induits.

La demande de vin rosé ne cesse d’augmenter. Il représente 24 % de la consommation française totale de vin, contre 11 % en 1990, soit plus que le vin blanc désormais. Plusieurs explications expliquent cet engouement pour le vin rosé : des caractéristiques qui correspondent bien aux attentes du public, une plus grande facilité d’accès pour des consommateurs peu expérimentés en matière de vin, ou encore, il convient de le souligner, les efforts remarquables réalisés par la filière pour rendre le produit plus attractif, que ce soit en termes de qualité, de prix ou de marketing.

Si ces éléments ne devaient, à eux seuls, emporter la conviction, la présentation des risques du coupage, qui figure dans notre rapport, enfonce le clou. Le vin rosé issu de coupage présente en effet d’importants inconvénients.

Tout d’abord, il existe un risque de standardisation. Quand on sait que l’introduction d’un volume infime – de l’ordre de 1 % ou 2 % – de vin rouge dans du vin blanc suffit à lui donner l’apparence d’un vin rosé, on imagine ce que certains auraient été tentés de faire : colorer des quantités industrielles de vin blanc de piètre qualité pour obtenir du « vin rosi ». La formidable palette de goûts et de couleurs des rosés traditionnels aurait alors été perdue au profit d’un produit interchangeable.

Le deuxième risque est l’édulcoration. L’absence, dans les rosés coupés, des molécules donnant au vin sa « rondeur » peut être compensée par une macération plus longue, source d’une certaine rugosité.

Enfin, le dernier risque que nous allons finalement éviter est la confusion pour le consommateur.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Absolument !

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Celui-ci aurait été amené à acheter un vin ayant l’aspect « chromatique » du rosé, selon l’expression employée par les spécialistes, mais absolument pas le goût. On imagine qu’il n’aurait pas été incité à en racheter.

Pour toutes ces raisons, il fallait nous opposer avec clarté et fermeté au projet de la Commission, et c’est ce que nous avons fait en étroite liaison avec le Gouvernement.

Nos arguments ont porté, puisque notre pays est parvenu, au finish – mais en montant au filet ! (Sourires.) –, à retourner suffisamment de partenaires potentiels pour s’assurer une minorité de blocage de 91 voix : l’Italie, la Roumanie, la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne et d’autres pays qui viennent d’adhérer à l’Union européenne nous ont soutenus.

Cette reconfiguration du rapport de force, alliée peut-être à la survenance des élections européennes,…

M. Roland Courteau. Cela se pourrait bien !

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Ne l’oublions pas, la décision est intervenue quelques jours après les élections européennes !

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Le lendemain !

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Cette reconfiguration, disais-je, a finalement entraîné le recul de la Commission, à la grande satisfaction de nos professionnels. Dès lors, les questions que je souhaitais poser au représentant du Gouvernement lors du présent débat ne sont plus d’actualité. Mais nous devons rester vigilants.

Une seule interrogation semble demeurer : l’Organisation mondiale du commerce, saisie pour avis, a-t-elle examiné le dossier ? En d’autres termes, risque-t-on de se voir reprocher l’interdiction du coupage non pas par les instances communautaires, mais par L’OMC pour entrave à la libre concurrence ? Vous nous rassureriez complètement, monsieur le secrétaire d’État, en nous apportant des éléments sur ce point. Mais ce qu’a fait un commissaire européen un nouveau commissaire peut le défaire…

M. Roland Courteau. Bien sûr !

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Ne faudrait-il pas, monsieur le président de la commission, inviter le directeur général de l’OMC, M. Lamy, à venir s’exprimer sur tous les points actuellement en discussion à l’OMC, notamment sur les produits nutritionnels ou sur le vin rosé ?

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est comme si c’était fait !

M. Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques. Nous devons être vigilants sur tous les fronts.

En conclusion, je me réjouis du retrait de ce projet inacceptable pour une filière de qualité comme l’est celle du vin rosé français, et je me félicite des effets positifs de nos travaux sur le dénouement de ce dossier, preuve, s’il en était besoin, que l’union du Parlement, de l’exécutif et des acteurs économiques nationaux, en France et à Bruxelles, permet d’obtenir satisfaction lorsque la cause est juste et défendue avec conviction, tel le mariage du fromage et du rosé ! (Applaudissements.)

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur César, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Michel Barnier, qui a été un acteur majeur dans ce dossier.

Le sujet du vin rosé a été, ces dernières semaines, au cœur de débats politiques et médiatiques passionnés. Et pour cause ! Dès que les discussions européennes portent sur des sujets aussi sensibles, qui touchent à notre patrimoine gustatif et œnologique, à notre culture, et aussi, disons-le, à un secteur économique important, il est naturel que les professionnels comme le grand public et, a fortiori, la représentation nationale, demandent une attention toute particulière des pouvoirs publics.

Au-delà de la sensibilité naturelle de la question, on peut aussi remarquer que certains auraient été heureux de faire du vin rosé le symbole d’une Europe éloignée, technocratique, sourde à nos préoccupations et à la défense des patrimoines nationaux.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Ce sujet montre, comme bien d’autres, que l’Europe, quand on le veut, n’est pas une machine froide sur laquelle nous n’avons pas d’emprise. L’Europe, ce n’est pas « eux », c’est « nous » ! Donc, l’enseignement de ce dossier, c’est que, pour obtenir des orientations et des décisions favorables, il faut peser et faire valoir notre point de vue, de manière déterminée et volontariste. L’initiative que vous avez prise, monsieur César, est tout à fait emblématique en la matière.

À l’occasion du vote indicatif préalable à la consultation de l’OMC, le 27 janvier 2009, la France avait fait part de ses vives réserves sur la levée de l’interdiction de coupage, tout en se prononçant favorablement sur le reste du texte, compte tenu des réponses positives apportées à ses autres demandes ; j’y reviendrai.

La France était initialement très isolée sur la question, puisque seule la Hongrie la soutenait. Elle a obtenu le report du vote des deux règlements en débat – pratiques œnologiques et règles d’étiquetages – à la fin du mois de juin et elle a mis à profit ce délai pour expliquer sa position aux autres États membres et rechercher des soutiens.

Michel Barnier a ainsi écrit à la commissaire le 11 février et le 13 mars 2009 et a porté à plusieurs reprises ce sujet mal connu à l’attention de ses homologues, à l’occasion des conseils des ministres de l’agriculture.

La Commission a indiqué qu’elle n’entendait pas modifier le règlement sur les pratiques œnologiques et a proposé, de manière alternative, de donner la possibilité aux États membres de distinguer le rosé « traditionnel » et le rosé de « coupage » sur l’étiquetage. La France s’est abstenue sur ce projet en rappelant sa ferme opposition à la levée de l’interdiction du coupage des vins rouges et blancs sans indication géographique. En effet, cette solution ne garantit pas un régime commun entre États membres et ne s’applique qu’aux vins de l’État membre qui le décide.

Les professionnels ont enfin insisté, à plusieurs reprises, sur le décalage entre l’appellation « rosé traditionnel » qui leur est proposée et l’image « moderne » qui lui est associée.

Devant la mobilisation des gouvernements, français puis italiens, et des professionnels, la Commission a indiqué, le 8 juin, qu’« il n’y aura pas de changement dans les règles de production du vin rosé ».

Sur la question des pratiques œnologiques relatives à l’élaboration du vin rosé, le Gouvernement a donc travaillé en liaison étroite avec la Commission, les professionnels et les autres États membres dès cet automne.

La décision de la Commission de renoncer au coupage des vins rosés montre que cette méthode de la concertation était la bonne. Elle constitue la victoire d’un certain modèle alimentaire, que nous avons évoqué au cours du débat précédent, respectant les droits des consommateurs, les savoir-faire des producteurs et les traditions qui nous sont chères. C’était un combat important et urgent, parce que le règlement actuel qui interdit le coupage prend fin le 1er août 2009.

Ceux qui ont dénoncé l’attitude ouverte de dialogue du Gouvernement avec la Commission et les autres États membres doivent comprendre que cette proposition s’inscrit par ailleurs dans une réforme plus large qui est celle de l’Organisation commune de marché vitivinicole, dont un enjeu majeur est de renforcer la compétitivité de toute la filière du vin. Ainsi, la Commission a proposé de lever plusieurs restrictions telles que la désalcoolisation ou l’utilisation de copeaux, attendues par la profession.

L’économie globale de cette réforme est bonne pour la profession. Elle est essentielle pour cette filière qui, dans un contexte de réduction de la consommation nationale, doit impérativement reconquérir des parts de marché à l’exportation.

S’agissant de la question spécifique de la levée de l’interdiction de mélange de vin rouge et de vin blanc sans indication géographique pour produire du vin rosé, Michel Barnier a entendu les producteurs, qui lui ont fait part, le 14 janvier 2009, de leur opposition à la proposition de la Commission, qui risquait de changer la donne.

Cette proposition était en effet de nature à remettre en cause l’équilibre économique de la filière des vins rosés français de qualité, qui a mené depuis de nombreuses années une politique d’amélioration de la qualité des produits dans le respect des modes de fabrication traditionnels.

Le Gouvernement est conscient à la fois des efforts réalisés et des enjeux économiques qui sont en cause dans ce dossier, puisque la France est, avec 29% de la production mondiale, le premier producteur mondial de vin rosé, lequel représente aujourd’hui près de 9 % de la consommation mondiale de vins.

En outre, mesdames, messieurs les sénateurs – en tant que secrétaire d’État à la consommation, cela revêt une importance particulière à mes yeux –, il était primordial qu’il n’y ait pas d’amalgame aux yeux du consommateur entre deux types de produits intrinsèquement différents.

Enfin, monsieur César, vous interrogez le Gouvernement à propos de l’OMC. Celle-ci a étudié le dossier, qui est aujourd’hui réexaminé par la Commission, et n’a pas formulé de remarques sur les pratiques de désalcoolisation et de coupage. Dans la mesure où cette interdiction de coupage, qui a été rétablie lundi dernier par la Commission, s’applique aux vins produits au sein des États membres de l’Union européenne et ne pose aucun obstacle au commerce avec les pays tiers, l’OMC n’a pas de motif de dénoncer cette pratique au titre de l’entrave à la libre concurrence.

C’est pourquoi la position défendue par le Gouvernement a, je le crois, répondu aux attentes que vous avez exprimées dans votre résolution. Il s’agit d’une victoire partagée entre le Parlement, les professionnels et le Gouvernement, après plusieurs mois de dialogue avec la Commission et les autres États membres. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Le bon sens et la raison, viennent, semble-t-il, de l’emporter, si j’en crois la récente décision de la Commission européenne de faire marche arrière en renonçant à son projet d’autoriser le mélange du vin blanc et du vin rouge pour obtenir du rosé. Renoncement définitif ou provisoire, telle est la question qui se pose encore…

J’avais soutenu la proposition de résolution de Gérard César et de Simon Sutour en commission des affaires économiques, et nos interventions, ajoutées à celles des représentants de la profession, ont contribué à corriger ce qui fut plus qu’une erreur : une faute !

La Commission européenne, avec l’aval des États membres, avait dit vouloir « libérer l’Europe de ses entraves œnologiques ». Voilà qui est grave pour le présent et l’avenir. C’est en effet ignorer que ce sont ces mêmes règles œnologiques, et l’interdiction de faire n’importe quoi, qui ont fait la renommée des produits de qualité comme les vins français.

J’y insiste : plutôt que d’aligner certaines de nos pratiques œnologiques sur celles des pays du nouveau monde, j’aurais préféré que l’Union européenne « mette le paquet » sur la promotion intracommunautaire et extracommunautaire de nos produits, sur la valorisation de l’authenticité de nos vins et leurs liens forts avec les terroirs. Si les États membres ne s’opposent pas à de telles prises de position ultra-libérales de la Commission, alors nous allons droit à un nivellement qualitatif par le bas.

Comment les États membres ont-ils pu laisser passer, dans un premier temps, une telle mesure ? Il s’agit d’une véritable hérésie, digne des pratiques d’alchimiste. Comment a-t-on pu accepter ce qui n’aurait été rien d’autre qu’une contrefaçon alimentaire ? Jusqu’où veut-on aller ?

Si l’affaire n’était pas aussi grave, on pourrait citer l’humoriste Pierre Dac, qui suggérait de greffer des rosiers sur les vignes pour produire du vin rosé. (Sourires.) Comment donc nos instances européennes ont-elles pu prendre une telle initiative sans aucune concertation avec la profession et sans mesurer ses conséquences économiques désastreuses pour les producteurs ?

Monsieur le secrétaire d’État, comment la France a-t-elle pu se laisser embarquer dans cette aventure, en janvier dernier, à Bruxelles, lors de la réunion du comité de réglementation ? Mme Fischer Boel, commissaire européen, a bien précisé que la France avait voté pour.

La France fera-t-elle preuve, à l’avenir, de davantage de vigilance ? En effet, ce qu’a fait un commissaire européen, un autre commissaire européen peut le refaire. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous vous en doutez, je m’apprêtais à interpeller le Gouvernement sur la question du coupage du vin blanc et du vin rouge pour fabriquer du vin rosé, qui était sur le point d’être autorisé par la Commission européenne. C’est donc avec une grande satisfaction que j’ai appris, lundi 8 juin, que celle-ci y renonçait.

Il est inutile d’insister sur le tollé que ce projet avait provoqué auprès des producteurs de vin rosé, des professionnels de la filière, des élus concernés et aussi de la population, qui le considéraient comme dangereux tant pour les professions viticoles que pour les valeurs de nos terroirs et notre identité. Selon un sondage IFOP publié dans Sud Ouest et Midi Libre, 87% des Français y étaient ainsi opposés.

Nous savons que c’est grâce à ces vins rosés, élaborés selon un mode de macération spécifique, que la France occupe la place de premier producteur mondial de vin rosé de qualité, cette production représentant dans notre pays 15 000 emplois directs et 70 0000 emplois indirects.

Grâce à une mobilisation sans faille et à l’implication admirable de Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche, le dialogue engagé depuis plusieurs mois avec Mariann Fischer Boel, commissaire européen en charge de l’agriculture et du développement rural, a porté ses fruits, et je m’en réjouis.

Le Sénat a également joué un rôle de premier ordre dans ce combat, avec la mobilisation des sénateurs concernés et l’adoption, par la commission des affaires économiques, d’une proposition de résolution européenne sur le sujet.

J’ajoute que les producteurs du Languedoc-Roussillon, qui avaient déployé, ces dernières années, des efforts constants en matière de qualité et de saveur de leur produit, notamment eu égard aux règles entourant les appellations contrôlées, sont particulièrement soulagés du maintien de l’interdiction du coupage. La levée de celle-ci aurait été vécue comme une profonde injustice.

La décision de la Commission européenne est donc une excellente nouvelle. Au lendemain des élections européennes, cela prouve aussi que l’Europe sait écouter et protéger le savoir-faire des vignerons. Je reprendrai à mon compte les propos du ministre de l’agriculture italien : « La tradition l’a emporté ! C’est cette Europe que nous voulons, celle qui est fondée sur le respect de l’identité, de la sécurité alimentaire et de la tradition ».

Cependant, la plus grande vigilance doit rester de mise. À cet égard, il me semble utile d’obtenir des précisions sur le maintien de l’interdiction du coupage. Monsieur le secrétaire d’État, dispose-t-on de garanties sur le caractère total et irrévocable de cette interdiction ?

Vous n’êtes pas sans savoir que la composition de la Commission sera modifiée à l’automne prochain. II est donc utile de connaître les raisons de fond qui ont motivé le revirement de la Commission européenne, que j’applaudis une nouvelle fois, ainsi que la perspicacité du Gouvernement et du Parlement français.

Comme mon collègue Gérard César, j’ajouterai, pour terminer, qu’il faut rester extrêmement vigilant sur la négociation du volet agricole de l’OMC. (Applaudissements.)