M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Dominati, rapporteur. Je serai un peu long car ces deux amendements ont donné lieu à un débat enrichissant en commission.

Ils étaient alors identiques, visant à imposer à la fois la consultation du FICP à chaque tirage et une vérification annuelle de la solvabilité de l’emprunteur bénéficiaire d’une ligne de crédit renouvelable.

Depuis notre examen en commission, Mme Dini a rectifié son amendement afin de ne prévoir que l’examen annuel de la solvabilité, et non plus la consultation du FICP à chaque tirage.

Cette rectification montre bien que le sujet est complexe et que, au-delà de la volonté, partagée par tous, de protéger le consommateur, il convient de s’interroger, d’une part, sur la faisabilité des mesures que nous proposons et, d’autre part, sur les contraintes que nous décidons d’imposer à la plupart des consommateurs pour protéger contre eux-mêmes un nombre très limité d’entre eux.

En premier lieu, la mise en œuvre concrète d’une consultation du FICP à chaque tirage ne serait pas opérationnelle eu égard aux volumes en jeu : environ quarante millions d’opérations – tirages financiers et achats – sont effectuées annuellement. En outre, un consommateur peut effectuer plusieurs tirages dans une même journée.

Par ailleurs, les coûts de consultation du FICP par la voie ascendante seraient considérablement accrus. Il conviendrait également de prévoir des investissements importants, puisqu’il serait nécessaire d’équiper d’un terminal d’interrogation du FICP chaque caisse des magasins dans lesquels on peut régler par crédit renouvelable. Bien entendu, tous ces coûts supplémentaires seraient reportés in fine sur les consommateurs par un renchérissement du crédit.

En outre, je vous laisse imaginer la situation aux caisses, où les files s’allongeront lorsque le temps d’attente augmentera en raison de cette consultation obligatoire, qui, je le rappelle, concernera tout le monde, y compris les clients qui ne connaissent pas d’incident, lesquels représentent 97 % des consommateurs. N’est-ce pas là une disposition démesurée pour apprécier un risque concernant 3 % de la clientèle ?

Enfin, je ne vois pas dans l’amendement n° 67 ce qu’il advient une fois que le FICP a été consulté. S’il révèle un incident de paiement – qui peut du reste porter sur bien autre chose que le crédit renouvelable concerné –, que se passera-t-il ? En l’état du droit, le magasin ne peut refuser le paiement par l’usage du crédit, puisqu’il y a eu contrat. Il faudrait que des dispositions législatives complémentaires viennent indiquer que, dans ce cas, le contrat est rompu. Mais peut-on rendre nul un contrat sous prétexte qu’un autre n’a pas été totalement respecté ? Ce serait une innovation majeure, et très lourde de conséquences, du droit des contrats.

Pour toutes ces raisons, il me semble matériellement impossible d’exiger une consultation du FICP à chaque tirage, et je remercie Mme Dini et ses collègues d’en avoir pris la mesure en rectifiant leur amendement.

En second lieu, j’en viens à la disposition proposée visant la vérification annuelle de la solvabilité. Tout d’abord, depuis le début de nos travaux, je suis attentif à ce que le souci légitime de protection des emprunteurs les plus faibles soit compatible avec celui de ne pas pénaliser les quelque neuf millions de détenteurs de crédit renouvelable qui ne rencontrent jamais de problème. Si la disposition était adoptée, ces derniers n’accueilleront probablement pas très bien la vérification annuelle de tous leurs comptes, et l’on peut craindre que la relation commerciale n’en pâtisse.

Je suis également perplexe sur les conséquences juridiques d’une telle mesure. Que devrait faire le prêteur s’il apparaissait que, un an après l’ouverture d’une ligne de crédit, la solvabilité de l’emprunteur s’est dégradée. Dans l’esprit des auteurs des amendements, devrait-il suspendre l’exécution du contrat de crédit unilatéralement ? Devrait-il revoir à la baisse le montant qu’il accordait au client ? Rien n’étant indiqué sur ces points dans ces deux amendements, si ces derniers étaient adoptés, la décision serait prise de manière unilatérale par l’organisme emprunteur.

En a-t-il le droit ? Les clauses de variation du montant du crédit sont généralement considérées comme abusives. Le décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 qualifie ainsi de clause « abusive » toute disposition contractuelle réservant au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à la durée, aux caractéristiques et au prix du bien et du service à rendre.

Très sincèrement, en l’état, cette seconde disposition n’est donc pas plus applicable que la première. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais proposé à la commission de s’y opposer. Après une longue discussion, je n’ai pas réussi à convaincre mes collègues, qui ont donné un avis favorable aux deux amendements.

En tout état de cause, je comprends les préoccupations qui motivent ces propositions. Il est évidemment paradoxal d’entourer la conclusion du contrat de crédit renouvelable d’un luxe de précautions relatives à la solvabilité, alors même que l’usage de ce crédit pourra intervenir beaucoup plus tard.

Je souhaiterais donc savoir si Mme la ministre peut nous indiquer des pistes, différentes de celles qui sont proposées par nos collègues, pour trouver une solution à ce problème, qui soit à la fois pertinente, efficiente et vise bien la cible qui nous préoccupe tous, sans pour autant peser sur l’ensemble des neuf millions d’emprunteurs actuels.

Je rappelle que la commission a émis un avis favorable sur les amendements nos 67 et 95 rectifié, mais, pour ma part, je maintiens ma position et j’émets, à titre personnel, un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. J’ai écouté très attentivement les arguments pragmatiques et éminemment juridiques développés par M. le rapporteur, et j’y souscris intégralement.

Les questions que vous soulevez, monsieur le rapporteur, sur le mode de modification ou de résiliation unilatérale d’un contrat simplement parce que l’emprunteur n’aurait pas fourni les éléments relatifs à sa solvabilité posent un vrai problème de fond, qui me paraît ne pouvoir être résolu que par le retrait des amendements nos 67 et 95 rectifié et l’adoption du texte en l’état.

En effet, il est irréaliste que, à la suite de l’opération révélant la non-fourniture des éléments relatifs à sa solvabilité, l’emprunteur se voie privé de la faculté de tirer sur un crédit renouvelable qu’il pense pouvoir continuer à utiliser.

Nous nous heurtons à un problème à la fois mécanique et d’ordre juridique, concernant non seulement l’information, mais aussi l’exécution du contrat et son mode de résiliation par cette voie, compte tenu surtout de la publication du décret sur les clauses abusives.

Néanmoins, sous le bénéfice des explications fournies par le rapporteur et que le Gouvernement reprend à son compte, je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, d’examiner ce problème de la solvabilité au fil de l’eau.

La solvabilité, examinée et « vérifiée » par le prêteur – pour utiliser votre terminologie – au moment de l’ouverture du crédit renouvelable, peut, en effet, évoluer au cours de l’existence de l’emprunteur, et notamment de sa vie professionnelle. Pour autant, il ne me semble pas souhaitable de procéder, comme le prévoient les amendements, à des vérifications annuelles et mécaniques entraînant des effets juridiques redoutables ou à des consultations mutatis mutandis du FICP à chaque tirage, peu efficaces et soulevant également des difficultés juridiques.

Nous pourrions examiner cette question de la solvabilité, je le répète, au fil de l’eau et, dans le cadre de la navette, puisque ce texte ne fait pas l’objet de la procédure accélérée, trouver des solutions permettant de protéger le consommateur emprunteur sans pour autant opérer de modification juridique du contrat conclu entre les parties.

Une telle disposition, si elle était mise en place, serait redoutable, car elle entraînerait un coût supplémentaire considérable pour le crédit à la consommation et, partant, un renchérissement probable des taux et le rationnement d’une partie des crédits.

Comme je l’ai dit au début de mon propos, je sollicite donc le retrait des amendements nos 67 et 95 rectifié.

M. le président. Madame Dini, l'amendement n° 95 rectifié est-il maintenu ?

Mme Muguette Dini. Nous avons sans doute péché par le souci excessif de protéger les consommateurs. Je reconnais toutes les difficultés juridiques que suscite notre amendement et je remercie Mme la ministre de bien vouloir approfondir cette question.

Je retire, bien entendu, cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 95 rectifié est retiré.

Madame Pasquet, qu’en est-il de l’amendement n° 67 ?

Mme Isabelle Pasquet. Je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 67.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 28 est présenté par Mmes Bricq et Chevé, MM. Sueur, Angels, Anziani, Collombat et Fauconnier, Mme Ghali, MM. Guérini, Hervé, Patriat, Raoul, Teulade, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 68 est présenté par Mmes Terrade et Pasquet, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Remplacer les E et F du II de cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - L'article L. 311-17 du même code est ainsi rétabli :

« Art. L. 311-17. - Aucun crédit renouvelable ne peut être associé à une carte ouvrant droit à des avantages commerciaux et promotionnels ou à une carte de paiement. »

La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l’amendement n° 28.

Mme Nicole Bricq. Il s’agit d’un amendement particulièrement important et, si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps l’amendement n° 25 rectifié qui porte sur le même sujet.

M. le président. L'amendement n° 25 rectifié, présenté par Mmes Bricq et Chevé, MM. Sueur, Angels, Anziani, Collombat et Fauconnier, Mme Ghali, MM. Guérini, Hervé, Patriat, Raoul, Teulade, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par le E du II de cet article pour l'article L. 311-17 du code de la consommation :

« Art. L. 311-17. - Les cartes dites de fidélité ainsi que tout support proposé ou distribué dans les surfaces de vente ayant pour but d'accorder un avantage commercial ou professionnel au consommateur en considération du volume de ses achats ne peuvent servir de carte de crédit ou de réserve d'argent. »

Veuillez poursuivre, madame Bricq.

Mme Nicole Bricq. Ces deux amendements visent à supprimer des liaisons dangereuses entre les cartes de fidélité et les cartes de crédit renouvelable.

Il existe en France plus de 30 millions de cartes dites privatives, plus connues sous le nom de cartes de fidélité, dont 20 millions sont actives. Selon le rapport de M. Dominati, « les achats à crédit effectués avec cette carte sont de l’ordre de 30 % ». La question est donc importante.

Pourtant, la commission n’a pas souhaité suivre le groupe socialiste sur ses amendements qui visent à interdire l’association d’un crédit revolving à une carte de fidélité. Nous ne comprenons pas pourquoi vous avez refusé ces dispositions.

Nombre de consommateurs, lorsqu’ils acceptent une carte de fidélité, ignorent que celle-ci leur ouvre droit à une réserve d’argent, c’est-à-dire à un crédit revolving, s’ils décident de l’activer.

Comme je l’avais annoncé dans la discussion générale, je vais étayer mon propos d’un cas d’espèce très récent. Un collaborateur, éclairé, de mon groupe s’est rendu la semaine dernière dans un magasin Conforama afin d’y acheter pour 1 800 euros de biens – canapé, réfrigérateur, etc. Il a demandé au vendeur une facilité de paiement et a proposé de payer au comptant dans un mois. Aucun problème, lui a-t-il été répondu, sans donner plus d’explications.

Quelques jours plus tard, notre collaborateur a reçu à son domicile une carte qui lui permet de disposer d’une réserve d’argent de 4 000 euros, la carte devant être renouvelée en juin 2014.

Je rappelle que le montant des achats de ce collaborateur s’élevait à seulement 1 800 euros. S’il utilise la carte, elle se transforme en crédit à un taux effectif global de 21,16 %, renouvelable tous les ans. S’il ne l’utilise pas, il perd ses points, qui lui permettent de bénéficier de chèques-cadeaux, par exemple.

Pour résumer, ce jeune homme, en demandant un délai d’un mois pour payer comptant, se retrouve avec un crédit revolving présenté sous la forme d’une carte de fidélité lui ouvrant droit à des avantages commerciaux. Comment peut-on qualifier une telle pratique commerciale ? Je me permets, pour ma part, de dire qu’il s’agit d’une arnaque !

Alors que 85 % des dossiers de surendettement comportent au moins un crédit revolving, comment peut-on accepter l’idée qu’un consommateur soit titulaire, malgré lui, d’un tel crédit via ces cartes de fidélité ?

Monsieur Marini, vous vous êtes interrogé en commission et vous avez argué du fait, même si vous avez admis que vous ne faisiez pas souvent les courses, que disposer dans son portefeuille d’une ou de plusieurs cartes ne réglait pas le fond du problème. Mais le problème, monsieur Marini, c’est qu’un consommateur qui souhaite seulement bénéficier d’un avantage commercial se retrouve malgré lui titulaire d’un crédit revolving, qu’il le veuille ou non.

C’est pourquoi, par ces deux amendements, nous demandons au Sénat de mettre fin à cette pratique. Les cartes de fidélité ne doivent plus pouvoir servir de carte de réserve d’argent ou de crédit. Là encore, c’est une demande qui fait l’unanimité parmi les associations de consommateurs.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour présenter l'amendement n° 68.

Mme Isabelle Pasquet. Cet amendement vise, concrètement, à éviter que ne perdure la confusion des genres.

Le temps passant, les pratiques commerciales, notamment dans la grande distribution, ont développé le recours aux techniques de fidélisation de la clientèle matérialisées par la diffusion de cartes diverses, qui sont à la fois des cartes de crédit et des moyens de paiement ou, parfois, de simples cartes de fidélité promotionnelles.

Ce mélange des genres a conduit nombre de particuliers à connaître des difficultés majeures de paiement pour un certain nombre de leurs achats, et il ne s’agit pas seulement de biens meubles devenant immeubles par destination, et à ne solliciter que l’organisme de crédit attaché à telle ou telle enseigne pour tout achat à tempérament.

En clair, les cartes de magasin, de fidélité, « privilège » ou je ne sais quoi encore, tendent, aujourd’hui, à faire jouer un crédit payant pour les achats courants et privent les particuliers de tout recours à un crédit affecté ou à un prêt personnel à plus faible taux pour tel ou tel achat plus important.

La carte de fidélité est donc parfois payée en retour par une forme de captation du détenteur.

La confusion des genres a été quelque peu mise en question par la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, dite « loi MURCEF », laquelle avait spécifié que les enseignes devaient clairement et lisiblement indiquer l’usage de telle ou telle carte et faire expressément figurer la mention « carte de crédit » sur celles qui correspondent à cette définition.

Le fait est que le caractère propre à chacune de ces cartes doit être plus encore précisé. Il faut également que les enseignes renoncent aux offres alléchantes comme celles de cette grande marque de vente de produits de beauté prétendument naturels qui offre régulièrement de la bagagerie fabriquée en Chine à sa clientèle, avant de lancer des cabinets d’affacturage à la poursuite des créances impayées.

La pratique du cadeau promotionnel, aussi ancienne que la découverte des techniques de marchandisation en France, est trompeuse. Sa raison d’être est d’attirer le chaland et de le livrer pieds et poings liés aux délices de l’endettement, fût-il pour une durée limitée.

L’illusion de l’argent facile dans les cadeaux-primes ne peut pas et ne doit pas être encouragée.

M. le président. L'amendement n° 12 rectifié bis, présenté par M. Revet, Mme Henneron, MM. Pointereau, Bécot, Vasselle, Lardeux, Bailly et Portelli, Mme Keller et M. Juilhard, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par le E du II de cet article pour l'article L. 311-17 du code de la consommation :

« Art. L. 311-17. - Aucun crédit ne peut être associé à une carte ouvrant droit à des avantages commerciaux et promotionnels. »

La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Cet amendement va dans le sens de tout ce qui a été indiqué et se justifie par son texte même.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Dominati, rapporteur. La commission est défavorable à ces quatre amendements car, d’une part, il n’est pas du tout certain que la mesure qu’ils visent à mettre en place soit réellement protectrice et, d’autre part, ils imposeraient aux consommateurs une gestion trop contraignante de l’ensemble de leurs cartes.

Tout d’abord, je rappelle que le projet de loi prévoit expressément que la fonction de paiement de la carte de fidélité par défaut sera dorénavant celle du paiement comptant, cash ou différé de fin de mois.

Cette disposition radicalement nouvelle résout un grand nombre de problèmes actuels nés de la confusion entretenue par ces cartes de fidélité. Elle interdit ce que nous dénonçons tous, à savoir un usage du crédit renouvelable à l’insu du consommateur. Dorénavant, celui-ci devra expressément indiquer qu’il souhaite payer à crédit. Vous avez donc en partie satisfaction pour le mécanisme protecteur que vous souhaitez mettre en œuvre.

Par ailleurs, cette simple obligation va entraîner, et c’est une conséquence très lourde, la suppression de 13 millions de cartes de fidélité ne fonctionnant qu’à crédit puisqu’elles n’ont pas l’option « paiement au comptant ». De plus, sur les 5 millions de cartes privatives ouvertes chaque année, environ 80 % n’enregistrent d’ores et déjà que des transactions par paiement au comptant ou en trois fois. En outre, l’encours de crédit renouvelable engendré par ces cartes est faible : il est de l’ordre de 4 milliards d’euros, soit 15 % de l’encours du renouvelable et 3 % de l’ensemble des crédits.

Avec la disposition prévue par le Gouvernement, saluée par les associations de consommateurs et approuvée par la commission, le problème que nous souhaitions résoudre est donc pris à bras-le-corps de manière efficace.

Aller au-delà par une dissociation physique des cartes poserait deux types de difficulté sans améliorer d’un iota la situation. Au contraire, celle-ci pourrait même s’avérer défavorable au consommateur.

D’abord, comment éviter les erreurs de carte au moment du paiement ? Il est tout à fait possible, en ayant deux cartes du même établissement, que le consommateur utilise la mauvaise carte et paie à crédit alors qu’il voulait payer comptant.

Par ailleurs, l’évolution contemporaine du commerce fait que nous avons tous plusieurs cartes dans nos portefeuilles. Pour ma part, je l’ai dit en commission, mon porte-cartes ne contient aucune carte de crédit renouvelable. Il compte pourtant une dizaine de cartes : passe Navigo, carte Vélib’...

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Une carte Vélib’ ! (Sourires.)

M. Philippe Dominati, rapporteur. Eh oui, je suis parisien, monsieur le président !

Et je ne parle pas de la carte vitale et des cartes d’accès à tel ou tel lieu.

Si l’on devait en outre démultiplier les cartes commerciales et de fidélité en deux, voire en trois exemplaires pour distinguer la fidélité, le paiement et le crédit, le nombre de cartes pourrait devenir ingérable.

Le principe selon lequel le paiement au comptant est le moyen de paiement automatique me semble offrir une grande sécurité.

Madame Bricq, je comprends tout à fait votre indignation au sujet de l’exemple concret que vous avez évoqué. Je ne vous cache pas que mon assistant parlementaire a vécu une situation à peu près similaire à celle de votre collaborateur après avoir contracté un crédit immobilier dans une banque. Au moment de la signature de son crédit immobilier, il lui a été demandé de souscrire un crédit renouvelable avec des arguments très pressants mais qui, en réalité, ne sont pas légitimes.

Cependant, le mécanisme que vous proposez n’est pas plus protecteur. En réalité, à partir du moment où on imposera la dissociation des cartes, un démarchage automatique sera opéré et une seconde carte du magasin avec une offre de crédit renouvelable sera envoyée systématiquement au consommateur. Votre collaborateur ne sera pas mieux protégé par ces amendements. De plus, il y aura un risque de confusion entre la carte de paiement comptant et celle de paiement à crédit.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à ces quatre amendements.

Nous souhaitons éviter la situation actuelle où, sous le prétexte d’une carte de fidélité qui fait plaisir parce que nous sommes tous contents d’accumuler des points ou de recevoir des cadeaux, nous entrons à l’insu de notre plein gré (Sourires) dans le crédit. Il s’agit d’une situation abusive : je vous donne une carte de fidélité et, subrepticement, je vous fourgue une carte de crédit !

Dans ce projet de loi, très utilement complété par la commission spéciale, nous proposons tout simplement d’inverser le système.

Dès lors qu’une carte de fidélité sera assortie d’un mode de paiement, ce paiement devra être obligatoirement au comptant.

En revanche, il pourra toujours y avoir des cartes de fidélité pures. Beaucoup de magasins fournissent d’ailleurs ce type de cartes, qui ne sont assorties d’aucun mode de paiement, ni au comptant ni à crédit.

M. Daniel Raoul. Ça fera une carte de plus à M. le rapporteur !

Mme Christine Lagarde, ministre. Non, ça ne fera pas une carte de plus, je vais vous expliquer pourquoi !

À partir du moment où la carte de fidélité est assortie d’un moyen de paiement, le moyen automatique, de plein droit, sera le paiement comptant.

Cette carte pourra également être assortie d’un paiement à crédit. Mais, si c’était le cas, le paiement de plein droit, celui qui interviendra de manière automatique à l’insu du consommateur emprunteur, sera le paiement au comptant. Pour que la fonction « crédit » puisse entrer en vigueur, il faudra que le consommateur donne expressément son consentement. Alors que le système marchait sur la tête, on le remet sur ses deux jambes, c'est-à-dire la fidélité et le paiement comptant.

Madame Bricq, dans l’exemple que vous donniez tout à l’heure, il faudrait que votre collaborateur consente expressément à la fonction « crédit » qui lui est proposée pour que le paiement puisse s’effectuer sous cette forme.

Pour ces raisons, il me semble que le mécanisme prévu par le projet de loi fonctionne mieux et rétablit l’équilibre dans la relation contractuelle.

La commission spéciale a conforté ce système en adoptant une disposition qui vise à soumettre les cartes bancaires auxquelles est associée une réserve de crédit renouvelable à la même obligation de paiement comptant par défaut. Ce dispositif est beaucoup plus solide, car la fonction obligatoire du paiement comptant permet d’éviter les contournements du texte.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je ne suis pas convaincue par les explications qui viennent d’être fournies. Dans le cas d’espèce que j’ai cité, il s’agissait précisément d’un paiement comptant, assorti d’une facilité de paiement. Le consommateur n’a pas demandé à bénéficier d’une carte de fidélité, il a souhaité payer un mois après au comptant. Or il se retrouve avec une carte de crédit sur laquelle est inscrite une somme représentant plus du double de son achat !

Votre dispositif ne réglera pas cette situation, qui est très répandue et là est la difficulté. Il faut donc séparer très nettement les deux formes de paiement, ce que ne fait pas le texte qui nous est proposé. C’est la raison pour laquelle je souhaite le maintien de cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre. Madame Bricq, si vous votez le projet de loi en l’état, une telle situation ne sera plus possible. La proposition faite à votre collaborateur serait une « arnaque »...

Mme Nicole Bricq. Ça l’est déjà !

Mme Christine Lagarde, ministre. ... et un contournement de la loi.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je comprends l’intérêt de cette mesure et j’y suis tout à fait favorable.

Mais le problème qui se pose est celui de l’expression de la volonté. Une fois que vous êtes arrivé à la caisse, lorsqu’on vous demande en combien d’échéances vous souhaitez régler votre achat, il est difficile de se prononcer, compte tenu de l’urgence de la situation, évoquée par M. le rapporteur, et notamment de l’affluence. Il se peut alors que la caissière propose au consommateur de payer de façon différée, par exemple en dix fois, sans préciser les conditions de ce paiement.

Une autre pratique consiste à refuser le paiement différé en plusieurs fois lorsque le solde disponible sur la carte ne permet pas le paiement comptant. Par exemple, s’il reste seulement 500 euros sur votre crédit revolving, vous ne pouvez pas dépenser 600 euros que vous rembourserez en deux échéances de 300 euros : la carte sera bloquée.

Je rejoins Mme Bricq sur ce point : le texte qui nous est proposé doit être quelque peu retravaillé. Je suis tout à fait prête à suivre la commission, mais une difficulté subsiste : lorsque l’offre de paiement différé est formulée lors du passage en caisse, la qualité du consentement peut être affectée et, par conséquent, le consommateur court un risque.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. S’agissant de cette disposition, nous devons nous efforcer d’être concrets. Il existe actuellement des cartes à usage mixte, qui sont à la fois des cartes de crédit et des cartes de paiement comptant, et dont les modes d’exploitation diffèrent.

Certains de nos collègues souhaitent dissocier complètement le paiement comptant, c’est-à-dire par carte bancaire à laquelle correspond une provision sur un compte bancaire, et le paiement par carte de crédit.

Le Gouvernement propose une rédaction de synthèse, qui prévoit la possibilité, et non l’obligation, de délivrer une carte unique ouvrant le choix entre plusieurs modes d’exploitation, mais dont l’usage automatique de base serait le paiement comptant. Dans ce cas, si le consommateur souhaite utiliser non pas la fonction « paiement comptant », mais la fonction « crédit », il lui sera nécessaire de taper un code secret, procédure qui lui permet d’exprimer clairement sa volonté.

Mme Christine Lagarde, ministre. Tout à fait !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Est-il vraiment préférable et plus responsabilisant pour le consommateur de disposer d’une carte unique ou d’en avoir deux ?

Le texte précise en effet que le consommateur disposera d’une carte unique de paiement comptant, sauf s’il décide de changer de mode d’exploitation en tapant un code secret.

Le fait de disposer d’une carte unique est-il plus dangereux que d’en avoir deux ou plus dans son portefeuille ? Après tout, choisir une carte parmi plusieurs est assez analogue au fait de taper un code ou d’exprimer la volonté d’acheter à crédit !

Quelle est véritablement la différence ? Dans un cas, vous choisissez celle de vos cartes qui met en œuvre un crédit, auquel est assorti un intérêt et qu’il faudra rembourser. Dans l’autre cas, vous disposez d’une carte unique et, pour mobiliser votre faculté de crédit, vous devez taper un code. Cela n’est-il pas extrêmement formel ? Les auteurs de ces amendements sont-ils absolument certains que la pluralité des cartes serait moins tentatrice qu’une carte unique dont la fonction automatique de base est le paiement comptant ? Nous devons nous poser cette question collectivement.

Je partage, à titre personnel, l’intention des auteurs des quatre amendements, mais je ne pense pas qu’ils en tirent la juste conséquence. Il me semble que l’équilibre proposé par le Gouvernement, et amélioré par le vote de plusieurs amendements intégrés au texte de la commission, constitue une formule aussi protectrice que possible pour le consommateur.