M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, je salue le choix du Gouvernement de soumettre au Parlement ce projet de loi de ratification moins de dix mois après la signature de la convention sur les armes à sous-munitions à Oslo, le 3 décembre 2008, qui marque une étape majeure dans la lutte contre la production et l’utilisation des armes conventionnelles et pour la protection des populations civiles.

Le tribut humain des armes à sous-munitions a été jugé, à juste titre, bien trop lourd au regard du droit international ; l’utilisation massive de ce type d’armes au Liban au cours de l’été 2006 a suscité une véritable prise de conscience. Leur emploi dans des zones habitées, conjugué à leur fort effet de dispersion, entraîne un pourcentage très élevé de victimes civiles – femmes et enfants notamment. Il fait subir aux populations civiles un risque humanitaire majeur sur le long terme, en raison du taux de dysfonctionnement important de ces armes, qui restent sur le terrain où elles ont atterri sans avoir explosé et constituent, parfois des années après la fin des conflits, une menace quotidienne intolérable.

Il devenait donc urgent d’élaborer un outil juridique international contraignant. Les textes existants – la convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques du 10 octobre 1980 et son protocole V – se sont révélés insuffisants, car ils ne prévoient aucune interdiction de production ou d’utilisation des armes à sous-munitions. Une telle interdiction globale, visant à l’élimination définitive de ce type d’armes, est dès lors apparue comme une étape indispensable à franchir.

La convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction constitue, de ce point de vue, un modèle d’instrument juridique international contraignant. Je veux d’ailleurs saluer, à cette tribune, le choix de Lionel Jospin, lors de son arrivée aux responsabilités, en 1997, d’inscrire notre pays dans cette dynamique internationale pour le désarmement, que la reprise des essais nucléaires en 1994 et en 1995 avait stoppée. En œuvrant pour la signature de la convention d’Ottawa et en faisant procéder à sa ratification le 8 juillet 1998, le gouvernement de la France avait relancé le processus de désarmement pour ces types d’armes. La convention d’Oslo poursuit cette œuvre.

Je ne reviendrai pas sur les différentes étapes ayant permis l’élaboration de la convention qui fait aujourd’hui l’objet de notre débat ; Mme le rapporteur en a retracé les grandes lignes. Je ne reviendrai pas davantage sur les avancées importantes qu’elle permet et qui ont été développées tant par M. le ministre que par Mme le rapporteur, sinon pour préciser que notre groupe, fidèle à ses engagements en matière de désarmement, y souscrit sans réserve et votera, bien entendu, ce projet de loi de ratification.

Je souhaite maintenant formuler deux regrets, puis évoquer les étapes à venir.

Mon premier regret tient à l’introduction dans la convention du principe d’interopérabilité, qui autorise les États parties à participer à des actions militaires conjointes avec des États qui utiliseraient des bombes à sous-munitions. Si son introduction est compréhensible du point de vue du réalisme politique et diplomatique – nombre de pays, dont les États-Unis, la Chine et la Russie, n’ayant pas signé cette convention –, cette disposition réduit de façon importante la portée juridique et pratique du texte.

Dès lors, monsieur le ministre, quelle lecture la France fera-t-elle de cette disposition ? Pouvez-vous assurer à la représentation nationale que, à défaut de s’interdire de s’engager dans une coopération et dans des opérations militaires avec des États non parties à la convention – en Afghanistan, par exemple, aux côtés des États-Unis –, la France n’acceptera pas de prendre part à des opérations militaires au cours desquelles seraient employées des armes à sous-munitions ? Interrogé sur cette même question lors de l’examen du projet de loi de ratification par l’Assemblée nationale, le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, M. Pierre Lellouche, n’a pas apporté les garanties attendues, se bornant à affirmer que la France, dans l’hypothèse d’opérations conjointes avec des pays non signataires de la convention, les encouragerait à ratifier au plus vite celle-ci. Si l’on doit comprendre que la France n’exclut pas de s’engager dans des opérations militaires au cours desquelles seraient employées des armes à sous-munitions, je ne suis pas certaine que cette prise de distance avec l’esprit de la convention sera de nature à inciter les États non signataires à devenir parties à celle-ci. J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez lever cette ambiguïté.

Mon second regret est que la convention ne fixe pas de seuil quantitatif pour le stock d’armes à sous-munitions pouvant être conservé ou acquis par les États aux fins légitimes de formation aux techniques de détection, d’enlèvement ou de destruction de ces armes. La convention se borne à indiquer que ce nombre doit être « limité ». À défaut d’un tel seuil, pouvez-vous, monsieur le ministre, donner à la représentation nationale des éléments chiffrés sur le stock que la France entend conserver ou acquérir ? Lors de la conférence de Dublin, notre pays avait annoncé qu’il conserverait 50 000 armes de ce type, au titre de l’article 3, alinéa 6, de la convention. Certaines organisations non gouvernementales jugent ce stock excessif. Que pouvez-vous leur rétorquer ?

Les réserves que je formule, vous l’aurez compris, mes chers collègues, visent non pas à minorer la portée d’un texte qui constitue un pas important vers l’objectif du désarmement, partagé sur toutes les travées de cet hémicycle, mais bien au contraire à garantir le respect de son esprit, pour lui assurer une réelle efficacité.

Pour l’avenir, nous devons mesurer le chemin qui reste à parcourir.

Le premier défi à relever est, bien entendu, celui de l’élargissement du champ des signataires de la convention. Rendre ce texte universel est l’objectif prioritaire. Très tôt, du fait de l’opposition de nombreux États à une interdiction globale de production et d’utilisation des armes à sous-munitions, il est apparu qu’il serait particulièrement difficile à atteindre. Je salue l’engagement personnel de notre rapporteur, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur ce point. Je suis certaine qu’elle sera persévérante !

Un groupe d’États a manifesté sa volonté de contourner ces oppositions qui bloquaient les discussions entamées sous l’égide de l’ONU, et a engagé une démarche propre pour l’interdiction des armes à sous-munitions. Cette action, lancée au mois de février 2007 à Oslo, sur l’initiative de la Norvège, s’est progressivement étoffée. Lors de la conférence de Dublin, elle rassemblait 111 États, parmi lesquels la France. Cela a permis d’élaborer le texte aujourd’hui soumis à ratification.

Il s’agit d’une avancée incontestable, car la convention d’Oslo constitue aujourd’hui l’instrument international de référence dans ce domaine. Cependant, sa portée se trouve limitée par le nombre important d’États non signataires. De ce point de vue, on constate une situation de blocage, qui ne doit pas perdurer.

Dans cette perspective, deux voies complémentaires doivent être explorées.

La première est, indiscutablement, celle qui est tracée par l’Union européenne.

Dans le cadre de son programme de développement, la Commission européenne a élaboré une stratégie européenne contre les mines antipersonnel pour la période 2008-2013. Cette stratégie se décline selon différentes priorités : assistance aux pays en voie de développement pour la mise en œuvre de la convention d’Ottawa, opérations de déminage sur le terrain – notamment au Cambodge, en Afghanistan, au Liban –, programme de développement pour répondre aux problèmes économiques et sociaux posés par les mines dans ces pays. L’aide combinée des États membres et de la Commission européenne dans ce domaine fait de l’Union le premier dispensateur au monde d’aide contre les mines antipersonnel.

Cette politique montre combien la coopération européenne en matière de désarmement est possible et utile. On peut dès lors regretter qu’une telle coopération n’existe pas dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui, et que ni le Conseil ni la Commission n’aient à ce jour élaboré une stratégie commune. En outre, nombre d’États membres doivent encore ratifier la convention d’Oslo.

La seconde voie est celle de la poursuite des discussions, sous l’égide des Nations unies, au sein de la conférence d’examen de la convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques, dite CCAC.

Il n’y a pas lieu, me semble-t-il, d’opposer la convention de 1980 et la convention d’Oslo. Il convient plutôt de rechercher une complémentarité et un approfondissement de ces instruments.

C’est dans cet esprit que s’est tenue, au mois d’août, au sein de la conférence d’examen de la CCAC, une réunion d’experts d’États parties à la convention d’Oslo et de pays non signataires. À Carthagène se tiendra, au mois de novembre prochain, une conférence de suivi et de révision de la convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel. Comment la France entend-elle se saisir de cette occasion pour relancer la dynamique de la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions, dont les problématiques et les enjeux sont analogues ?

Le second défi majeur est celui de la mise en œuvre de la convention par la France.

J’évoquais voilà quelques instants la question du stock des armes à sous-munitions, dont la convention prescrit la destruction dans un délai de huit ans, renouvelable une fois, avec la réserve précédemment évoquée. L’étude d’impact jointe au projet de loi évalue le coût de cette destruction entre 30 millions et 60 millions d’euros et précise que le ministère de la défense financera le démantèlement de ces munitions sur son budget. Au regard du coût annoncé, quelles assurances pouvez-nous nous donner quant au respect du délai imparti ? En outre, il a été souligné que la France ne dispose pas des capacités industrielles nécessaires pour opérer ce démantèlement. Le recours à nos partenaires européens, dans le cadre des actions communes européennes que j’évoquais à l’instant, est-il la solution de rechange privilégiée par le Gouvernement ?

Conformément aux obligations fixées par la convention, il apparaît essentiel, monsieur le ministre, que le Gouvernement s’engage également à présenter rapidement un projet de loi visant à inscrire l’interdiction de la production et de l’utilisation des armes à sous-munitions en droit pénal. La France doit être exemplaire en la matière afin de donner toute sa force à la convention.

Enfin, monsieur le ministre, à quelle hauteur la France entend-elle prendre part à la dépollution des restes d’armes à sous-munitions évoquée à l’article 6 de la convention ? Je pense, par exemple, à la situation du Cambodge, pays que je connais depuis de nombreuses années et dont la population vit quotidiennement des drames liés à la présence de mines antipersonnel et d’armes à sous-munitions, la moitié des victimes, tuées ou mutilées, étant des enfants. Le nombre d’armes à sous-munitions n’ayant pas explosé à l’impact y est évalué entre 2 millions et 6 millions. La France a déjà apporté son concours pour des opérations de dépollution et d’assistance aux populations civiles. Nous en sommes fiers.

Monsieur le ministre, les parlementaires resteront vigilants sur les conditions de mise en œuvre effective de la convention. Les membres de mon groupe voteront ce projet de loi de ratification. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, la convention sur l’interdiction des armes à sous-munitions que le Sénat est invité à ratifier aujourd’hui est à la fois très importante, historique et exemplaire à bien des égards.

Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, j’apprécie tout particulièrement que, pour souligner l’importance de cette convention, nous débattions solennellement en séance publique de son projet de loi de ratification et qu’il n’ait pas été recouru, comme c’est fréquemment le cas, hélas, au motif de la trop grande complexité technique et juridique de ce type de textes, à la procédure d’adoption simplifiée.

Importante et historique, cette convention l’est car elle marque une avancée décisive sur la voie du désarmement et dans le domaine du droit humanitaire international. Il s’agit du premier texte international interdisant formellement ce type d’armes.

Exemplaire, cette convention l’est aussi car elle illustre le rôle déterminant que peuvent jouer certaines ONG, comme la Croix Rouge et Handicap international, pour sensibiliser les opinions publiques et influencer les gouvernements et les institutions internationales. Alors que, dans cet hémicycle, certains de nos collègues éprouvent parfois des réticences, qui leur semblent légitimes, quant au rôle des ONG, voici un exemple probant de l’utilité de ces dernières.

Dans ce cas d’espèce, la conjonction entre la volonté politique de certains États, dont la France, et le volontarisme tenace des ONG et de la société civile a permis d’aboutir à un texte d’une grande portée.

Du strict point de vue humain, qui devrait d’ailleurs guider toute action politique, économique et sociale, il devenait urgent et nécessaire qu’un nombre significatif d’États montrent l’exemple en s’engageant à interdire la fabrication et l’utilisation de ce type d’armes. Quatre-vingt-dix-huit États l’ont fait à ce jour, mais beaucoup manquent encore à l’appel, et non des moindres : les États-Unis, la Russie, la Chine, mais aussi le Brésil, l’Inde, le Pakistan, Israël, la Turquie et nombre de ces pays qu’il est convenu d’appeler « émergents ». C’est dire tout le chemin qu’il nous reste à parcourir.

Cela étant, il faut bien mesurer que ce texte est l’aboutissement, certes inachevé, d’un long processus. Dès les années 2000, les ONG, les opinions publiques mais aussi les États furent de plus en plus nombreux à prendre conscience que ce type d’armes contrevenaient au droit international humanitaire, lequel se fonde principalement sur la distinction entre les populations civiles et les combattants.

En effet, alors que ces armes avaient été initialement conçues pour détruire des regroupements de blindés ou « saturer » des pistes d’atterrissage, elles furent peu à peu détournées de leur vocation et de plus en plus souvent utilisées contre des zones habitées suspectées d’abriter des combattants. À cet égard, tout le monde a évidemment en mémoire la guerre israélo-libanaise de 2006.

Ajoutons que 30 % environ des munitions n’explosant pas à l’impact, celles-ci deviennent des « résidus explosifs de guerre » qui, plusieurs mois et même plusieurs années après l’arrêt des combats, sont à l’origine d’accidents graves, voire mortels, touchant en premier lieu les enfants.

Les civils sont donc les premières victimes de ces armes. Plus largement, les conflits actuels tendent à frapper plus lourdement les civils que les combattants. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan, ainsi que, tout récemment, un rapport de l’ONU sur l’intervention israélienne dans la bande de Gaza, nous montrent que les guerres « propres » et les frappes « chirurgicales » n’existent pas. Ce que l’on appelle les « dommages collatéraux », ce sont les civils qui en font les frais !

Dans les années 2000, les bombes à sous-munitions n’étaient interdites par aucun instrument juridique contraignant, car elles n’entraient pas dans le champ d’application de la convention d’Ottawa de 1997 sur les mines antipersonnel. Elles faisaient l’objet d’un débat récurrent entre les représentants des États et ceux des ONG, pour lesquelles une mine devait être définie en fonction de ses effets, et non pas uniquement de sa conception.

Bien qu’il ait cessé d’utiliser des armes à sous-munitions depuis 1991 et qu’il n’en produise plus depuis 2002, notre pays s’est longtemps accommodé d’un statu quo international sur cette question. Il considérait, en effet, que les armes autres que les mines antipersonnel faisaient l’objet de négociations spécifiques dans le cadre de la convention de Genève sur certaines armes classiques et que cette dernière couvrait le large éventail des munitions non explosées et abandonnées.

Pour sortir de cet imbroglio juridique et diplomatique, et parce que ses membres étaient frappés par le drame de la guerre du Liban et n’acceptaient plus la lenteur des discussions, un petit groupe d’États, aiguillonné par des ONG, décida en 2006 de lancer une initiative parallèle. Baptisé « processus d’Oslo », ce cycle de négociations a abouti au texte que nous examinons aujourd’hui.

Je me félicite donc de ce que le Gouvernement ait changé d’attitude, et choisi de jouer peu à peu un rôle dynamique dans le processus d’Oslo. Je me réjouis, en particulier, qu’il ait montré concrètement l’exemple en annonçant, l’année dernière, le retrait de 90 % de nos stocks de bombes à sous-munitions.

Comme je l’ai indiqué d’emblée, la convention d’Oslo représente une avancée considérable du droit humanitaire international. Elle vise l’interdiction totale de la production, du stockage, du transfert, de la conservation et de l’utilisation de ces armes, mais elle a aussi pour objectif de renforcer la coopération internationale en vue d’aider les victimes civiles, en imposant aux États parties une obligation de nettoyage des zones polluées par les munitions non explosées. Enfin, elle prévoit également une obligation d’assistance aux victimes en matière de santé et de réinsertion sociale.

Toutefois, il faut être réaliste, et apprécier ce texte à sa juste valeur. Il reste en effet beaucoup à faire, puisque seulement 40 % des États producteurs et 20 % des pays utilisateurs ont adhéré à la convention d’Oslo.

Notre diplomatie – les parlementaires du groupe auquel j’appartiens la soutiendront de façon exigeante – devrait désormais œuvrer plus activement à prendre des initiatives fortes pour faire progresser les discussions, afin que l’ensemble de la communauté internationale puisse signer un tel texte.

Comme nous y invite l’ONG Handicap international, nous devrons également être vigilants sur la mise en œuvre des obligations d’assistance aux victimes incluses dans le traité d’Oslo, car l’expérience nous a montré que les engagements internationaux d’assistance précédemment pris en matière de mines antipersonnel étaient, il faut bien le dire, très peu respectés.

Enfin, je souhaite que le Gouvernement nous soumette rapidement un projet de loi visant à transposer dans notre droit pénal les dispositions de cette convention. À cet égard, monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur un éventuel calendrier ? Ce texte devrait, notamment, comprendre l’extension du champ de compétence de la commission pour l’élimination des mines antipersonnel aux armes à sous-munitions, ainsi que le groupe CRC-SPG l’avait demandé dès 2006, au travers d’une proposition de loi.

Pour notre groupe, et plus largement pour les communistes, la lutte pour le désarmement et le respect du droit humanitaire international est un combat de longue date, qui est constitutif de notre identité et de notre idéal d’émancipation humaine.

Le groupe CRC-SPG votera donc avec enthousiasme ce texte, car la convention sur les armes à sous-munitions constitue bien une avancée considérable – historique, n’ayons pas peur du mot ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. « Il est rare que se présente l’occasion de prévenir d’indicibles souffrances humaines. »

C’est ainsi que Jakob Kellenberger, le président du CICR, le Comité international de la Croix-Rouge, s’exprimait en février 2008, en exergue d’une année capitale pour le combat international contre les armes à sous-munitions, qui s’est conclue en décembre dernier par la signature de la convention d’Oslo, dont les conséquences humanitaires seront considérables.

Ce texte marque de manière emblématique une étape importante dans la lutte contre les atteintes à la dignité humaine. Il s’agit de la protection des populations civiles, devenues les principales victimes, pendant et surtout après les conflits.

Par le biais des médias, nous devenons les témoins impuissants et révoltés des dégâts qu’infligent aux populations civiles des moyens militaires dont nous ne pouvons maîtriser tous les effets. N’est-ce pas un paradoxe absurde et insupportable que les terrains où sont disséminées des sous-munitions soient souvent des zones de sécurité pour les militaires, tandis que les populations civiles y courent des dangers mortels ? Qui n’a souhaité la mise en place de nouvelles règles internationales au vu des opérations militaires menées dans la bande de Gaza en janvier dernier ? Il s’agit non pas de prendre une position politique en faveur d’un camp ou d’un autre, mais de protéger les civils, qui sont toujours les victimes les plus nombreuses de ces conflits.

La convention que l’on nous propose de ratifier interdit à ses signataires de fabriquer, de vendre et d’utiliser des armes à sous-munitions, qui ont la particularité de semer la mort et de causer des blessures terribles aux populations non combattantes, et ce pendant des dizaines d’années en raison de leur pérennité. Au Laos, par exemple, quarante ans après la guerre, ces armes font encore des victimes !

La très grande majorité d’entre nous, sinon le Sénat unanime, luttent depuis de nombreuses années contre l’utilisation des mines antipersonnel et des armes à sous-munitions et soutiennent des ONG telles que la Croix Rouge ou Handicap international dans leur combat contre l’une des dimensions les plus horribles, les plus cruelles et les plus injustes de la guerre.

À la fin des années quatre-vingt, ces armes avaient été mises au point afin de rendre plus efficace la lutte contre les unités blindées. Hormis quelques spécialistes, peu d’entre nous avaient imaginé le désastre humanitaire qu’elles provoqueraient. Il faut rappeler que les caractéristiques des armes à sous-munitions les rendent extrêmement dangereuses pour les civils, quel que soit leur mode de dispersion, et cela pour deux raisons essentielles : d’une part, du fait de l’importance de leur rayon d’action, qui couvre jusqu’à plus de 30 000 mètres carrés pour certains modèles ; d’autre part, en raison du risque d’explosion permanent, bien après leur dispersion.

Au cours de la guerre israélo-libanaise de l’été 2006 – je devrais plutôt parler d’invasion israélienne –, ces armes ont été massivement employées par l’armée d’Israël, provoquant des dommages dramatiques parmi les populations civiles. Les hommes, les femmes et surtout les enfants sont, encore aujourd’hui, victimes de sous-munitions non explosées et disséminées sur leurs lieux de vie.

Marqué par ce drame humanitaire, un petit groupe d’États, dont la France, a lancé un vaste débat international en vue de l’interdiction totale de ces matériels. Lors de la conférence diplomatique de Dublin de mai 2008, ce cycle de négociations a permis d’aboutir à un texte qui a recueilli, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, l’approbation de plus de quatre-vingt-dix pays et dont la signature officielle a eu lieu le 4 décembre dernier à Oslo.

À la même époque, notre pays retirait plus de 80 % de ses stocks d’armes à sous-munitions, ce dont nous pouvons nous féliciter.

Néanmoins, même si cette convention représente une avancée décisive dans les domaines du désarmement, de la dépollution, de la neutralisation de ces armes et de la prise en charge des populations civiles victimes de ce fléau, il n’en demeure pas moins que son efficacité risque d’être fort limitée.

En effet, des pays producteurs et utilisateurs d’armes à sous-munitions n’ont pas voulu participer au processus engagé. Comme cela a été dit, il s’agit notamment des États-Unis, de la Russie, d’Israël et de la Serbie, qui, soulignons-le, avaient déjà refusé de ratifier le traité d’Ottawa de 1997 concernant les mines antipersonnel. Aujourd’hui, cela a également été dit, seuls 40 % des États producteurs et 20 % des États utilisateurs ont adhéré à la convention ! Soulignons aussi que des États comme l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, la Géorgie ou le Soudan ont refusé d’y adhérer. Or ces pays sont des zones d’affrontements armés actuels ou potentiels !

Dès lors, il serait irréaliste d’affirmer que la convention d’Oslo deviendra rapidement une source du droit international, s’imposant ainsi à tous, y compris aux États non parties à la convention. Il faudra du temps pour qu’elle s’applique à ces derniers comme une coutume internationale ayant acquis force de droit par sa pratique étendue, représentative et uniforme. Il convient donc de rester vigilant, car le combat pour l’éradication de ces armes est loin d’être achevé.

Gardons toujours à l’esprit le principe formulé par la commission militaire internationale de Saint-Pétersbourg il y a déjà cent quarante ans, selon lequel « pour certaines armes, les nécessités de la guerre doivent s’arrêter devant les exigences de l’humanité ».

La France s’honorera en promouvant et en ratifiant cette convention. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous occupe cet après-midi est un texte – mes prédécesseurs à la tribune l’ont déjà dit – dont les conséquences sur la scène internationale sont majeures, tout d’abord, pour les populations civiles, victimes de ce type d’armes alors qu’elles connaissent ou ont connu la guerre, ensuite, pour notre pays et son engagement sur la scène internationale en faveur du désarmement et du respect du droit humanitaire.

Avant tout, je voudrais rendre hommage au travail de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je tiens à remercier notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam de son excellent rapport. Elle s’était déjà saisie de ce grave sujet depuis 2006, avec Jean-Pierre Plancade.

À ce titre, permettez-moi de me réjouir du chemin parcouru entre la remise d’un rapport d’information parlementaire et le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui. Je me réjouis également du fait que ce texte puisse être adopté – à l’unanimité, je l’espère –, moins d’un an après la signature du document initial par la France, à Oslo, le 3 décembre 2008.

Les armes à sous-munitions, initialement conçues pour détruire des concentrations de véhicules blindés, peuvent atteindre des cibles sur des surfaces étendues en utilisant moins de munitions que les explosifs classiques. Composées d’une munition dite « mère », ces bombes, qui sont des obus ou des roquettes, dispersent plusieurs munitions destinées à exploser à l’impact. Ce système d’armes a été largement utilisé et le demeure malheureusement encore dans de nombreux conflits dans le monde depuis la guerre du Vietnam.

La caractéristique même de ces armes étant leur large spectre de dissémination et leur utilisation n’étant pas limitée aux seules cibles militaires, elles sont à l’origine de drames humanitaires pendant les conflits. Cependant, c’est surtout leur taux de dysfonctionnement, bien trop élevé, plus élevé que celui des autres types d’armes, qui est en cause.

Les nombreuses sous-munitions demeurant au sol sans avoir explosé provoquent les mêmes dommages que les mines antipersonnel, qui continuent de mutiler les populations des années après la fin des conflits. Les bombes à sous-munitions entraînent des conséquences traumatiques excessives par rapport aux objectifs militaires fixés et sont donc aujourd’hui obsolètes. Il faut avoir le courage de le dire !

Par une multitude de rapports, l’UNICEF, Handicap International ou encore la Croix-Rouge n’ont eu de cesse d’alerter la communauté internationale sur les ravages, à long terme, des « restes explosifs » de ce système d’armes sur les populations et sur leurs territoires.

Comme vous l’avez tous rappelé à la tribune, mes chers collègues, le long processus diplomatique qui a mené à cette interdiction remonte à l’année 1983. Son origine se situe à l’entrée en vigueur de la convention sur certaines armes classiques, ou CCAC.

Si ce texte constitue une avancée majeure en faveur du désarmement, je tiens, au nom du groupe UMP, à rappeler que la ratification par la France de cette convention est aussi une preuve de cohérence et la concrétisation d’une politique engagée dès 1996, date à laquelle notre pays – M. le ministre l’a rappelé – a amorcé le retrait et la destruction des bombes lance-grenades BLG 66 Belouga de ses arsenaux.

Par ailleurs, mes chers collègues, je vous rappelle que, grâce à la loi de programmation militaire 2009-2014 que nous avons votée en juillet dernier et dont le rapporteur était le président de Rohan, les roquettes M-26, qui équipent les lance-roquettes multiples, seront supprimées et remplacées par des lance-roquettes unitaires. Il en va de même pour les obus à grenades de 155 millimètres.

La France parle et signe, mais elle agit, aussi.

En autorisant la ratification de cette convention, notre pays adresse un message aussi fort que symbolique aux autres puissances militaires. Nous démontrons qu’il est possible d’être une puissance militaire, de mener une réelle politique de défense et d’être en amont des négociations en faveur du désarmement international. C’est pourquoi le groupe UMP du Sénat votera ce projet de loi.

Si la France a joué, avec la Norvège, l’Irlande, l’Autriche et la Nouvelle-Zélande, un rôle moteur, il est capital que nous poursuivions – tout le monde l’a dit et vous êtes, monsieur le ministre, le premier engagé dans ce combat – une action diplomatique ferme, en premier lieu auprès de nos partenaires européens – je pense à la Grèce, à la Pologne et à la Roumanie –, mais aussi auprès de pays tels que la Russie, les États-Unis, le Pakistan, la Chine et d’autres qui continuent de produire, de stocker ou d’utiliser ce type d’armement.

Rappelons-nous que, lors de conflits, notamment lors de conflits asymétriques, l’objectif militaire est non plus de gagner militairement, mais de gagner la paix de sortie de guerre. Cela passe par la coopération en matière de déminage et par une assistance aux victimes de guerre, opérations auxquelles notre pays participe déjà depuis de nombreuses années. Il continuera bien sûr d’y participer en ratifiant cette convention, qui est un exemple pour l’ensemble du monde humanisé.

Je souhaite que nous puissions, les uns et les autres, autoriser cette ratification par un vote unanime. Cet accord général montrera, au-delà de cet hémicycle, au pays tout entier et, au-delà encore, au reste du monde qu’il est possible de rester une puissance majeure tout en se battant pour l’humanitaire. (Bravo ! et applaudissements.)