M. Jean-Pierre Plancade. Ça, c’est sûr !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce que je n’accepte plus, c’est qu’à un moment où le chômage des jeunes reste dans notre pays à un niveau très élevé, quand un jeune dispose d’une place dans un centre de formation et qu’une entreprise lui propose un contrat, ce contrat ne puisse pas être conclu à cause du statut du jeune, en raison d’un financement insuffisant ou parce que ce jeune ne relève pas d’un secteur prioritaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Comme vous l’avez réaffirmé voilà quelques jours, monsieur le secrétaire d’État, cela n’est plus acceptable.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. De même, je ne supporte plus que la situation de notre système public d’information, d’orientation et de formation conduise nombre de nos concitoyens à recourir à des organismes dont la devise est désormais : « satisfait ou remboursé ». Ce n’est pas acceptable.

Alors que s’engage notre débat, je souhaite que le Sénat prenne toute sa part dans cette modernisation et qu’il marque ce texte de son empreinte comme il sait le faire sur les sujets essentiels pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après un parcours qui a davantage ressemblé à un sprint qu’à marathon – moi qui suis peu sportive, je vous avoue que je n’ai pas toujours apprécié –, notre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Ce texte revêt une importance particulière au moins à deux égards.

D’abord, il a été précédé de nombreux travaux qui ont tous convergé pour montrer que le système de formation professionnelle était « à bout de souffle » ; vous voyez que nous sommes toujours dans la métaphore sportive… (Sourires.) Ce système est devenu terriblement complexe et désespérément injuste. Les sommes considérables qui sont consacrées à la formation ne vont pas à ceux qui en ont le plus besoin ; les deux orateurs précédents l’ont bien rappelé.

Parmi les travaux préalables, il y a eu au Sénat la mission qu’a excellemment conduite Jean-Claude Carle avec notre ancien collègue Bernard Seillier. Il y a également eu les rapports de la Cour des comptes, de l’Inspection générale des affaires sociales et du Conseil d’orientation pour l’emploi, qui ont tous conclu à la nécessité de réformer ce système, non pas dans un esprit de rafistolage, mais avec une véritable ambition.

L’importance de ce texte tient également au fait qu’il résulte d’un accord unanime des huit organisations représentatives d’employeurs et de salariés au niveau national. Un tel accord unanime repose forcément sur des compromis peut-être délicats et des équilibres sans doute imparfaits, mais il manifeste l’importance attachée par les partenaires sociaux à la négociation qu’ils ont menée sur la formation professionnelle.

Pour avoir été rapporteur du texte relatif à la modernisation du dialogue social, je trouve très positif que le Parlement s’appuie dans sa fonction de législateur sur cet accord des partenaires sociaux.

Pour autant, le législateur n’est pas dessaisi de ses compétences – les partenaires sociaux ont bien souligné qu’ils en étaient d'accord – par l’existence d’un accord interprofessionnel ; il conserve son droit d’amendement.

Le Sénat n’a disposé que de peu de temps pour examiner ce texte important, mais il l’a utilisé au mieux au sein de la commission spéciale créée à cette occasion. Je souhaite remercier tous les membres de la commission de l’excellente atmosphère qui a régné pendant nos travaux, y compris pendant les mois de juillet et d’août. Je salue tout particulièrement le rapporteur pour son engagement total dans ce travail, qui l’a conduit – il l’a rappelé – à multiplier les auditions en une période qui n’est pas favorable, mais qui nous ont permis, puisque nous assistions presque tous à ces auditions, d’entendre la quasi-totalité des acteurs de la formation professionnelle et ceux qui l’ont souhaité.

Le texte qui nous est soumis aborde un grand nombre de sujets : droit individuel à la formation, création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, mise en place de la préparation opérationnelle à l’emploi ou de la révision des conditions d’élaboration du plan régional de développement des formations professionnelles. Jean-Claude Carle ayant parfaitement résumé le contenu du projet de loi et les apports de la commission spéciale, j’aborderai pour ma part quelques questions spécifiques.

J’évoquerai d’abord brièvement l’apprentissage – M. le secrétaire d’État a rappelé l’intérêt que j’accorde à ce dossier – et les formations en alternance. Chacun le sait, ces formations sont un gage de réussite pour de très nombreux jeunes ; il faut continuer à les développer à tous les niveaux de qualification.

À mon sens, nous avons encore beaucoup à faire pour que l’apprentissage se développe partout, notamment dans le secteur public. Est-il normal, sur plus de cinq millions d’agents dans le secteur public, de dénombrer seulement 6 000 apprentis environ ? Ce chiffre est véritablement ridicule. Selon moi, le fait que les fonctionnaires soient recrutés par concours ne justifie pas que l’on interdise à des jeunes de se former par l’alternance dans une collectivité territoriale, une administration d’État ou même dans les assemblées parlementaires. Et j’espère que, grâce aux amendements apportés, le Sénat deviendra exemplaire en la matière.

Nous avons eu la chance d’entendre en commission spéciale M. Laurent Hénart, qui avait été chargé d’un rapport sur l’apprentissage dans la fonction publique. Il nous a détaillé tous les freins au développement de l’apprentissage dans le secteur public.

Certains sont d’ordre réglementaire. La loi de 1992, qui régit l’apprentissage dans le secteur public, est beaucoup plus contraignante que le code du travail.

Comme nous l’a indiqué Laurent Hénart, il conviendrait de rapprocher le plus possible les règles applicables au secteur public de celles qui prévalent dans le secteur privé. Ainsi, la suppression de l’agrément préfectoral, qui a été décidée par notre commission spéciale, est un premier pas. J’espère que cela constituera l’un des apports importants du Sénat dans cette réforme de la formation professionnelle. Mais il conviendra naturellement d’aller plus loin.

Laurent Hénart nous a également précisé que l’alternance dans le secteur public pouvait passer par les contrats « parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale ». Ces « contrats PACTE », qui peuvent déboucher sur un emploi, pourraient eux aussi être développés.

Je crois que tout le monde a intérêt à une telle expansion de l’apprentissage. Pour certains fonctionnaires, prendre en charge des apprentis pour assurer leur formation peut être un moyen de diversifier leurs tâches et de valoriser leur travail.

Naturellement, cela ne sera possible que si l’on trouve les financements adaptés. Comme – chacun le sait – il sera difficile de mettre à contribution les collectivités locales ou l’État, au moins dans la conjoncture présente, il faudra faire preuve d’imagination et la solution passera sans doute pour partie par une réforme de la taxe d’apprentissage, évoquée par Jean-Claude Carle tout à l’heure.

Un autre sujet important concerne les stages. Notre commission spéciale a décidé d’interdire des stages hors cursus pédagogique pour éviter les comportements de certaines entreprises qui prennent des jeunes en stage uniquement pour les faire travailler sur de vrais postes en facturant leurs prestations au prix fort aux clients tout en ne payant que très chichement les stagiaires. Ce type de situation n’est pas acceptable.

En revanche, je souhaite que cette mesure que nous allons adopter ne mette pas fin à tous les stages de découverte dans les entreprises, qui peuvent éveiller les jeunes à des réalités qu’ils ignorent. Le décret nous permettra de bien préciser les choses. Nous le suivrons, monsieur le secrétaire d'État, si vous le permettez.

Pour connaître le monde de l’entreprise, je dois dire qu’un stage véritablement utile pour un jeune est un stage qui nécessite que la personne accueillant ce dernier lui consacre beaucoup de temps. Le problème qui se pose aujourd’hui est que les entreprises reçoivent de plus en plus demandes de stage et qu’elles ne sont pas en mesure de répondre à toutes ces demandes. Vous le savez, dorénavant, la plupart des cursus intègrent des demandes de stages obligatoires.

Je dirai maintenant quelques mots sur la formation professionnelle et sur les entreprises. Vous le savez, mes chers collègues, notre système de formation repose sur son obligation légale de financement instituée il y a près de quarante ans, obligation que l’on résume en général en ces termes : « former ou payer ».

La situation a bien changé depuis l’instauration de cette obligation légale et aujourd’hui la plupart des entreprises sont très conscientes de l’importance de la formation continue pour leurs salariés, mais aussi pour le développement de l’entreprise et sa compétitivité. La formation des salariés est un investissement pour une entreprise.

Dans ce contexte, il aurait sans doute été possible d’aller plus loin dans la réforme qui nous est soumise en mettant plus l’accent sur la responsabilité que sur la contrainte.

Le système de formation tel que nous le connaissons aujourd’hui est essentiellement fait d’obligations assorties de sanctions alors qu’un système d’incitations serait sans doute plus efficace.

J’aurais souhaité que ce projet de loi simplifie davantage les mécanismes pour faciliter le travail de l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle. On peut s’interroger sur l’opportunité de certains articles qui rajoutent des entretiens individuels pour certaines catégories de salariés alors que plusieurs lois ont déjà créé de tels entretiens au sein des entreprises.

J’aurais également aimé que l’on aille un peu plus loin sur la multiplicité des organismes et que l’on se pose des questions sur l’efficacité des formations actuellement sur le marché et d’un certain nombre de formateurs. J’ai été, pour ceux d’entre vous qui ne le sauraient pas, responsables de formations pendant une dizaine d’années, et je sais de quoi je parle !

En revanche, beaucoup de dispositions vont tout à fait dans le sens de la simplification, en particulier la rationalisation du réseau de collecte des fonds avec la réduction très importante du nombre d’OPCA que devrait entraîner cette réforme.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette réforme de la formation professionnelle n’est sans doute pas, et je l’espère, la dernière, mais elle ouvre la voie à une véritable modernisation du système de formation dans notre pays.

La commission spéciale que j’ai l’honneur de présider a souhaité renforcer ce projet de loi et lui donner davantage de souffle pour qu’il puisse faire preuve de sa pleine efficacité et, surtout, pour répondre harmonieusement aux aspirations des salariés et aux besoins des entreprises. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.

M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent projet de loi ne constitue certes pas une révolution en matière de formation professionnelle, mais il apporte sans aucun doute des avancées réelles.

Il s’inscrit dans la droite ligne de la réforme vertueuse engagée en 2004. C’est une réforme plus que jamais nécessaire. Nous le savons toutes et tous, la reprise est encore très incertaine et la dégradation de la conjoncture économique ne cesse de faire monter le taux de chômage. La formation professionnelle doit donc devenir un véritable outil au service des politiques de l’emploi. C’est tout l’esprit de l’Accord national interprofessionnel, l’ANI, du 9 janvier 2009 auquel ce texte entend, pour partie, donner une base législative.

Mentionner l’ANI me permet, avant d’entrer dans le vif du sujet, de saluer les conditions d’élaboration du projet de loi qui nous est soumis. S’il est un domaine où le terme de démocratie sociale a un sens, c’est bien celui-ci. Aucune réforme de la formation professionnelle ne s’est faite sans que les partenaires sociaux en soient à l’origine. Celle-ci n’échappe pas à la règle.

Dans ces conditions, le Gouvernement a pleinement pu jouer son rôle d’accompagnateur.

La loi du 31 janvier 2007, qui impose à l’exécutif de saisir les partenaires sociaux préalablement à toute réforme en la matière, a bien été respectée, et nous nous en félicitons.

C’est maintenant au tour du législateur d’achever son œuvre de consolidation et de réaménagement.

Le législateur a pleinement pris la mesure de l’enjeu. Les chiffres rappelés par M. le secrétaire d'État sont éloquents : la formation professionnelle représente aujourd’hui 27 milliards d’euros dans notre pays. Arrivé à maturité, le seul DIF pourrait coûter 10 milliards d’euros.

Il s’agit de masses financières suffisamment significatives pour que la formation professionnelle tout au long de la vie puisse, théoriquement, jouer à plein son rôle de levier en faveur de l’emploi.

Or, tel n’est pas le cas parce que, malgré la réforme de 2004, le système souffre encore de graves insuffisances. Ces insuffisances, M. le rapporteur l’a rappelé, tiennent au caractère inégalitaire du système et à sa complexité.

Pour ce qui est du caractère inégalitaire du système de formation professionnelle, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les techniciens et les cadres continuent d’accéder deux fois plus à la formation que les ouvriers ; les salariés des très grandes entreprises y accèdent plus de quatre fois plus que ceux des petites ; enfin, l’accès à la formation professionnelle des demandeurs d’emploi stagne à un niveau bas, moins de 10 % d’entre eux en bénéficieraient.

Quant au problème de la complexité, il n’est un mystère pour personne. Comme bien souvent en France, le système s’est historiquement constitué autour d’une logique de moyens par empilement successif de dispositifs et de structures.

Le résultat est que si les bénéficiaires potentiels de la formation professionnelle sont nombreux, les organismes qui en assurent la gestion ne le sont pas moins. Quant aux organismes prestataires, leur nombre est tout simplement pléthorique. Ce sont autant de facteurs qui expliquent aujourd’hui que les entreprises et les salariés peuvent avoir bien du mal à se retrouver dans ce maquis.

Or le présent projet de loi répond très exactement à ces critiques.

Les mesures de retranscription de l’ANI dans la loi visent à rendre le système plus accessible aux publics qui en auront le plus besoin. C’est évidemment le cas des deux principales d’entre elles : la création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels et l’organisation de la portabilité du DIF.

Quant aux mesures purement législatives, elles vont dans le sens d’une simplification du système et tendent à le rendre plus transparent. Tel est l’objet des titres V, VI et VII du projet de loi, relatifs à la gestion des fonds de la formation professionnelle, à l’offre et aux organismes de formation, ainsi qu’à la coordination des politiques de formation professionnelle et à leur contrôle.

Nous ne pouvons, monsieur le secrétaire d'État, que souscrire aux grands axes de ce texte. Son architecture globale est cohérente et de nature à répondre à la situation de crise : le système permettra de mieux s’adapter à l’évolution des métiers et d’en changer.

Sur le plan de la philosophie de la politique de formation professionnelle, le projet de loi n’est pas anodin.

En effet, si, comme je l’ai précisé voilà un instant, il ne constitue pas lui-même une révolution, une fois articulé avec la réforme de 2004, ce texte emporte une triple rupture, salutaire, avec la manière dont la formation professionnelle était conçue jusqu’à présent.

Avec ce projet de loi, on passe, d’abord, d’une logique statistique de droits cloisonnés à une logique dynamique de droits portables et d’accompagnement personnalisé.

On passe, ensuite, d’une logique de statut – être salarié ou non – à une logique de besoin grâce au ciblage de publics prioritaires par le fonds de sécurisation.

On passe, enfin, d’une logique de moyens – le financement obligatoire et les OPCA – à une logique de résultats puisque l’objet affiché de réforme est de former annuellement 500 000 salariés peu qualifiés de plus qu’aujourd'hui et 200 000 demandeurs d’emploi.

D’une certaine manière, c’est la même révolution copernicienne que celle qui a été opérée en matière de financements publics avec la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Dorénavant, on peut espérer que l’individu et son parcours professionnel seront au cœur du système.

Pour que cela soit effectif, tous nos efforts doivent tendre vers l’intégration de toutes les phases de la formation et de la vie professionnelle en un parcours le plus cohérent possible.

Jusqu’à présent, la vie professionnelle d’un individu pouvait se présenter sous la forme d’une succession de ruptures : formation initiale, orientation, emploi, perte d’emploi ou changement d’emploi. Ce sont ces ruptures qu’il faut aplanir en décloisonnant le système, en sortant des logiques autarciques et corporatistes.

Le texte qui nous est soumis procède-t-il à une telle fluidification ? Dans une large mesure, la réponse est oui, surtout après les améliorations apportées par l’Assemblée nationale et par la commission spéciale du Sénat.

M. Jean Desessard. Avant, il n’était pas bon !

M. Daniel Dubois. Fluidifier, c’est, premièrement, mieux articuler la formation initiale et la formation professionnelle. Il s’agit d’une nécessité qui n’a échappé ni à la sagacité du Gouvernement ni à celle du rapporteur. Le compromis finalement adopté dans la rédaction de l’article 20 relatif au plan régional de développement des formations professionnelles, le PRDF, en est la concrétisation.

Désormais bâti sur le modèle du contrat de plan, le PRDF ainsi reconfiguré est de nature à permettre une articulation bien plus cohérente entre la formation initiale et la formation continue.

De plus, la rédaction issue des travaux de la commission spéciale préserve la logique des lois de décentralisation à laquelle notre Haute Assemblée est particulièrement attachée.

Enfin, l’article 2, tel que modifié par la commission spéciale, précise que la formation professionnelle s’appuie sur le socle commun de connaissances défini dans le cadre de la scolarité obligatoire.

Fluidifier, c’est, deuxièmement, aider les jeunes à s’insérer sur le marché du travail. Ainsi, nous ne pouvons que souscrire aux mesures du titre IV bis inséré dans le texte par nos collègues députés. Ces dernières s’inscrivent tout naturellement dans le cadre de la politique active menée en faveur de la jeunesse par Martin Hirsch.

Fluidifier, c’est, troisièmement, aplanir les transitions professionnelles.

Tel est bien l’objet de la création du fonds de sécurisation qui permettra de consacrer jusqu’à 13 % des sommes de la formation professionnelle aux publics prioritaires. Encore fallait-il que ces publics soient bien ciblés et identifiés, ce qu’a fait notre commission spéciale.

De même, nous attendons que nous soit proposée une solution de financement satisfaisante du fonds pour que sa création n’entraîne pas, mécaniquement, un assèchement de la professionnalisation.

Aplanissement des transitions professionnelles toujours, avec la préparation opérationnelle à l’emploi, mais surtout avec la portabilité du DIF. Là encore, je salue le travail de M. le rapporteur.

Pour que cette portabilité soit effective, il nous semblait fondamental qu’un salarié puisse faire valoir ses droits sans nécessairement requérir l’accord de son nouvel employeur.

Si le texte issu des travaux de la commission spéciale est adopté en l’état, ce sera possible pour les formations effectuées hors temps de travail. Nous avions nous-mêmes déposé un amendement en ce sens.

Mais ne peut-on pas aller plus loin ? Nous défendrons un amendement tendant à empêcher que la portabilité soit limitée dans le temps.

Pour justifier ces verrous posés à la portabilité intégrale du droit individuel à la formation, monsieur le secrétaire d’État, vous évoquez le coût du dispositif. Comme l’a relevé la Cour des comptes, à maturité de ce dernier, le coût s’élèvera à 10 milliards d’euros, somme évidemment colossale. Est-il possible d’évaluer la part de la portabilité au sein de cette masse financière ? Je l’ignore, mais peut-être le savez-vous, monsieur le secrétaire d’État, et votre réponse à cette question clé pourrait éclairer nos débats sur l’article 4.

Quatrièmement, fluidifier la formation professionnelle signifie sortir des logiques autarciques et corporatistes de ses structures : le projet de loi le fait en réformant, par exemple, le régime de l’agrément des organismes paritaires collecteurs agréés. La restructuration de ce paysage encore très morcelé ne pourra que s’avérer positive, notamment pour faciliter l’établissement de passerelles d’un secteur à l’autre, au bénéfice des salariés.

Enfin, cinquièmement, fluidifier consiste à mieux orienter pour mieux anticiper : l’intitulé du projet de loi pouvait, dès le départ, être interprété comme la marque d’un fort volontarisme politique en la matière. Pourtant, le volet relatif à l’orientation, dans la première version du texte, était décevant. Mais l’examen parlementaire, en particulier les travaux de notre Haute Assemblée, est parvenu à l’enrichir substantiellement, en harmonisant le code du travail et le code de l’éducation. C’est sur cette base que pourra se constituer un droit à l’orientation tout au long de la vie digne de ce nom, concrétisant la continuité naturelle du droit à l’éducation, afin que la séparation artificielle entre domaine scolaire et domaine professionnel soit effacée. Sur cette question, beaucoup reste encore à faire pour mettre en place des structures efficaces sans créer un nouveau mastodonte.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Tout à fait !

M. Daniel Dubois. Nous veillerons à la progression de ce dossier.

En conclusion, vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, le groupe de l’Union centriste considère que le présent projet de loi comporte des avancées significatives en matière de formation professionnelle ; il y est par conséquent très largement favorable.

Il me reste à féliciter la commission spéciale pour l’excellence de son travail et, en particulier, sa présidente, Catherine Procaccia, ainsi que notre rapporteur, Jean-Claude Carle. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David. (M. Jean Desessard applaudit.)

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi se donne pour objectif de rénover le dispositif de la formation professionnelle. Cet objectif est également le nôtre, non seulement parce que la formation professionnelle représente 27 milliards d’euros, mais également parce qu’elle s’adresse à l’ensemble des salariés, qu’ils soient en devenir, demandeurs d’emploi ou actifs.

Pourtant, votre texte, monsieur le secrétaire d’État, censé refléter l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 adopté à l’unanimité, ce qui lui confère une certaine crédibilité, est caractérisé à nos yeux par le manque d’ambition et de moyens, quand il ne porte pas atteinte au service public de la formation professionnelle.

Aussi me semble-t-il opportun de rappeler les conditions qui ont conduit à la conclusion de cet accord. Les partenaires sociaux, contraints à une négociation à marche forcée et sur la base d’une feuille de route imposée par le Gouvernement, ont été sommés de se mettre d’accord sur les réformes à réaliser pour faire de la formation professionnelle un élément central de la sécurisation des parcours professionnels pour les salariés et les demandeurs d’emploi.

En dépit du délai et des objectifs restreints, alors que la négociation sur la pénibilité au travail est toujours en cours après plusieurs années de discussions, je vous le rappelle, mes chers collègues, les partenaires sociaux ont su assumer leurs responsabilités et proposer des pistes pour la mise en place d’un système de formation au service des besoins de la société et de ses différents acteurs.

Toutefois, lors des auditions auxquelles le rapporteur nous a conviés, et de celles que nous avons par ailleurs menées avec mon groupe, les partenaires sociaux ont souligné que l’accord national interprofessionnel du 7 janvier représentait un compromis et que l’enjeu pour les parlementaires consistait à user de leur droit d’amendement pour aller plus loin et faire de la formation continue un véritable outil de promotion sociale. Le rapporteur lui-même a estimé que le législateur devait « s’appuyer sur l’accord, l’accompagner et l’amplifier » ; je dois reconnaître qu’il a concrétisé en partie ses propos, notamment sur le droit individuel à la formation, le plan régional de développement des formations professionnelles, ou encore le fonds de péréquation ; j’y reviendrai au cours du débat.

Aussi, avec la persistance de la crise et la complexité croissante du marché du travail, qui contraignent les individus à des parcours professionnels chaotiques, ce projet de loi aurait dû permettre une véritable sécurisation des parcours professionnels. Mais il n’en est rien, et plus qu’un rendez-vous manqué, monsieur le secrétaire d’État, votre texte représente, à certains égards, une régression par rapport à l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009.

Ainsi, vous faites purement et simplement disparaître l’un des points essentiels de cet accord : le droit, pour les salariés sortis du système scolaire sans diplôme, à la formation initiale différée prise en charge par l’État ; ce droit leur permettrait pourtant d’obtenir la reconnaissance de leur qualification en tant que parcours englobant formation initiale et continue, ainsi qu’expérience professionnelle et sociale.

Ensuite, ce texte permet à votre gouvernement de se désengager un peu plus de sa politique en faveur de l’emploi au travers de la mise en œuvre d’une gouvernance floue du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le fameux FPSPP. Comme si vous n’aviez aucune responsabilité dans la situation actuelle en ce qui concerne tant les inégalités d’accès à la formation, au détriment, notamment, des moins qualifiés, que l’immense besoin de formation nécessaire à l’élévation générale des niveaux de qualification ! Comme si votre politique de l’emploi n’avait pas consisté, ces dernières années, en des attaques répétées contre le service public de l’emploi et celui de l’éducation nationale avec les nombreuses suppressions de postes ! Vous ne proposez que de travailler plus, et si possible le dimanche.

Quant à la préparation opérationnelle à l’emploi, la POE, action de formation de 400 heures au maximum, payée par le fonds paritaire, elle est dévoyée dans votre projet de loi qui prévoit, comme seule issue, un contrat de professionnalisation, alors que l’accord national interprofessionnel prévoyait une embauche. Si le salarié peut parfois être bénéficiaire de cette POE, l’employeur, lui, sera gagnant à tous les coups : la préparation opérationnelle à l’emploi est payée par le fonds paritaire et le contrat de professionnalisation ouvre droit à l’exonération de cotisations sociales. D’autant que vous nous avez indiqué à l’instant, monsieur le secrétaire d’État, que la mise en œuvre du droit individuel à la formation pourra permettre la réalisation de cette préparation opérationnelle à l’emploi. Dès lors, il n’est plus question de portabilité du droit individuel à la formation s’il est utilisé pour la préparation opérationnelle à l’emploi.

Enfin, et alors que rien de tel n’est prévu dans l’accord national interprofessionnel du 7 janvier – sinon, vous le savez bien, cet accord n’aurait pas recueilli l’unanimité derrière laquelle vous vous retranchez –, vous poursuivez le démantèlement de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, en la vidant de ce qui fait sa spécificité et sa renommée : son service d’orientation.

Contrairement à Pôle emploi, dont la mission première est de mettre au plus vite nos concitoyennes et concitoyens au travail, l’AFPA forme les individus dans la perspective de trouver un emploi pérenne, choisi avec discernement. Et elle accomplit sa mission avec succès : 66 % des personnes qui entament un stage à l’AFPA sont des demandeurs d’emploi, pour la plupart très éloignés de l’emploi ; pourtant, 70 % des stagiaires trouvent un emploi dans les quatre à six mois qui suivent l’issue du stage.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, dénaturer l’AFPA et la conduire de facto à sa perte est un non-sens. À lui seul, l’article concerné nous conduira à voter contre votre texte, même s’il est vrai que l’accord national interprofessionnel et le projet de loi apportent des améliorations. D’autant qu’au regard des difficultés majeures que rencontre Pôle emploi, un an après la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, le transfert des personnels d’orientation de l’AFPA vers cet organisme sera extrêmement complexe.

En brisant ce qui a contribué au succès de l’AFPA et en faisant de cet organisme un prestataire de formation comme un autre, monsieur le secrétaire d’État, vous vous faites le défenseur de la formation « utilitariste », prônée par les organismes privés qui sont légion et ne visent qu’à faire du chiffre, au détriment du projet professionnel des individus et de leur insertion.

La formation professionnelle est ainsi reléguée au rang de marchandise et, en tant que telle, soumise à la concurrence : il n’est plus question de service public. Mais vous ne vous en cachez pas, puisque l’objet du projet de loi est clairement affiché dans l’exposé des motifs : la formation professionnelle doit « répondre […] aux attentes de l’économie et des personnes ».

Ce texte s’inscrit donc dans la droite ligne de la stratégie de Lisbonne : la formation professionnelle, tout comme l’école, doit servir d’abord à fournir au marché du travail une main-d’œuvre opérationnelle et, autant que faire se peut, coûter le moins cher possible à l’État.

Notre approche de la formation professionnelle est aux antipodes de la vôtre. La crise, la complexification du marché du travail, le constat persistant que la formation continue profite à celles et ceux qui sont les mieux formés, appellent des mesures urgentes et ambitieuses.

Pour pouvoir être un véritable outil de promotion sociale, aboutissant à des formations diplômantes et dans l’objectif d’une sécurisation des parcours professionnels, la formation continue doit pouvoir s’appuyer en premier lieu sur une formation initiale solide, que le socle commun de connaissances et de compétences « minimaliste » issu de la loi du 23 avril 2005 n’est pas à même de fournir. Mais ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin reviendra dans un instant sur l’absence de lien, dans ce projet de loi, entre formation continue et formation initiale.

La formation continue, afin d’être véritablement un droit, doit rester « un bien public », elle ne doit pas être laissée à la sphère privée et soumise aux aléas de la concurrence. C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche propose de créer une sécurité sociale d’emploi et de formation. Ainsi, dans le cadre d’un service public de sécurisation de l’emploi et de la formation, serait instaurée une couverture universelle par l’affiliation à ce service dès la fin de l’obligation scolaire, ce qui ouvrirait des droits à des revenus minima décents et à des formations continues progressivement relevées, accompagnées de bilans.

Cette proposition s’inscrit donc clairement dans la durée et non pas dans l’adaptation « au mieux » face aux aléas des évolutions subies par l’emploi. Car il est un autre reproche que nous pouvons vous adresser s’agissant de ce projet de loi : avoir attendu la « crise » pour tenter de répondre au besoin de rénovation de notre système de formation professionnelle.

Pour nous, il s’agit au contraire d’aider tout citoyen arrivant dans le monde du travail après sa scolarité à disposer de points d’appui permanents lui garantissant de construire son parcours de vie et d’emploi au moyen d’outils accessibles à tous.

Protection sociale, retraite, formation professionnelle, à laquelle doivent être consacrés au moins 10 % du temps travaillé : telles sont les propositions ambitieuses qui répondraient non seulement aux besoins et aux attentes de nos concitoyennes et concitoyens aujourd’hui, mais également aux enjeux à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)