M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, réformer le secteur de la formation professionnelle s’impose aujourd’hui comme une absolue nécessité.

Cette nécessité nous est imposée, tout d’abord, par les limites et les dysfonctionnements de ce secteur que de nombreux rapports ont soulignés, depuis plusieurs années déjà. Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous féliciter d’avoir eu le courage – personne ne l’a eu avant vous – de vous attaquer à un lobby très puissant : 27 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 40 000 organismes de formation, agréés ou non, plus de cent organismes collecteurs de fonds. Pour autant, tout n’est pas dit ! (Sourires.)

La nécessité de cette réforme a été confirmée par les auditions que nous avons menées avec mes collègues de la commission spéciale. Tous s’accordent aujourd’hui sur l’urgence à faire évoluer un secteur où 27 milliards d’euros sont dépensés chaque année dans des conditions trop peu transparentes, où la collecte des fonds de la formation professionnelle est effectuée par une centaine d’organismes différents et où certains organismes de formation font preuve d’un professionnalisme insuffisant.

La contractualisation, l’évaluation systématique, ainsi que la labellisation des organismes de formation apparaissent donc comme les piliers d’une réforme de la formation professionnelle ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

Cette réforme est indispensable, parce que depuis l’accord de 1970 – porté par Jacques Chaban-Delmas et Jacques Delors – et la loi.de 1971 qui a suivi, nous avons superposé des mesures, toutes plus spécifiques les unes que les autres, sans que personne s’en étonne, faisant ainsi perdre toute lisibilité globale à la politique de formation professionnelle.

Il est vrai, d’ailleurs, que, depuis 1945, l’état d’esprit qui prévaut dans ce pays pourrait se résumer ainsi : « ce qui est social est vertueux, et ne justifie donc pas le contrôle ». Malheureusement, l’histoire de la formation professionnelle, tout comme celle d’autres secteurs, nous a démontré que la gestion du social n’était pas toujours vertueuse.

Avant de poursuivre plus avant ma réflexion, je tiens particulièrement à souligner ici que toute réforme législative s’avérera insuffisante tant que notre système éducatif et professionnel restera cloisonné, tant que l’on continuera à entretenir la dictature du diplôme et à dévaloriser, à due concurrence, le savoir-faire non scolaire, tant que l’on ne cessera pas, en somme, d’opposer les études au travail.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. Si les études sont importantes, et si je reconnais que notre système scolaire est capable de produire des gens de grande qualité, même des « chevaux de race » (Sourires.), il n’en reste pas moins que cette hyper-sélectivité engendre des exclus, lesquels ont les plus grandes difficultés à s’insérer sur le marché du travail. Cette hyper-sélectivité ne valorise pas suffisamment les intelligences, dès lors que celles-ci ne s’inscrivent pas dans le cadre strictement scolaire ou universitaire ; elle entrave et décourage le développement d’intelligences qui se seraient bien plus épanouies dans un autre contexte.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Pierre Plancade. Ce constat, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, est accablant. Il est urgent que tous, quels que soient les résultats scolaires, puissent enfin réellement avoir leur chance. Il est donc urgent de briser ce système cloisonné pour le remplacer par un système qui sache reconnaître, valoriser et utiliser les compétences acquises par le travail.

Un véritable changement dans l’organisation du travail s’impose donc aujourd’hui : il faut sortir du taylorisme, de cette « logique de postes » et de cloisonnement qui cantonne l’homme à une fonction particulière, et lui permettre d’utiliser ses compétences pour évoluer dans et hors de l’entreprise, ce qui lui sera par ailleurs, à tous points de vue, extrêmement profitable. C’est une réelle révolution managériale qui est nécessaire.

La réforme qui se prépare aujourd’hui est importante, mais, de mon point de vue, elle ne peut être qu’une étape. Le projet de loi reste relativement technique et n’aborde pas suffisamment, en effet, cette question de la gestion des compétences acquises dans le cadre professionnel. Or cette innovation est plus que jamais indispensable. L’avenir de la formation professionnelle et, par-delà, l’épanouissement individuel au travail sont aujourd’hui en jeu. Ce sont ce contexte et ces enjeux que nous nous devons d’avoir à l’esprit lorsque nous discutons ce projet de loi.

Le présent texte, force est de le reconnaître, comporte des avancées intéressantes, mais il ne me paraît pas, pour autant, être à la hauteur des évolutions de notre société, ainsi que des mutations extrêmement profondes auxquelles doit faire face le monde des entreprises ; je pense d’ailleurs tant aux salariés qu’à l’encadrement et aux dirigeants. Mais peut-être ouvre-t-il une porte et prépare-t-il à ces changements.

S’agissant des incidents graves qui agitent le monde de l’entreprise et du mal-être exprimé, entre autres, par l’encadrement, je voudrais dire, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que je suis outré que le PDG d’une entreprise française puisse évoquer une « mode du suicide », avant de se perdre en excuses fumeuses.

M. Yvon Collin. C’est minable !

M. Jean-Pierre Plancade. Si cet homme avait un peu de dignité, il aurait démissionné, car ce n’est pas avec un tel état d’esprit que l’on peut continuer à gérer une entreprise.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. Ce manque d’humanité, ce manque de respect pour ses collaborateurs sont gravissimes !

M. Guy Fischer. Nous partageons ce point de vue !

M. Jean-Pierre Plancade. Je tenais à le dire, même si c’est un peu hors-sujet. Une formation managériale fait sûrement défaut à cet homme.

M. Yvon Collin. C’est sûr !

M. Jean-Pierre Plancade. Ces incidents, ce mal-être, la peur légitime des jeunes face à leur insertion dans le monde économique, l’amertume des seniors qui, de plus en plus tôt, ont l’impression de devenir inutiles sont autant de phénomènes qui me mettent mal à l’aise et me laissent penser que le système de formation professionnelle initiale et continue de notre pays et les modes d’organisation du travail et de management doivent être revisités de fond en comble. Une approche globale et cohérente, visant notamment à clarifier le rôle des différents acteurs, s’impose.

Il faut proposer une ambition claire à tout citoyen de notre pays. Nous devons lui donner les moyens de gérer son parcours professionnel, pour qu’il n’ait plus à le subir ; nous devons l’aider et l’accompagner, mais nous ne devons pas décider à sa place.

Monsieur le secrétaire d’État, se trouve-t-il vingt personnes dans ce pays capables d’expliquer comment fonctionne notre système de formation professionnelle et de le justifier ? Non ! Dès lors, comment voulez-vous que les salariés et les entreprises elles-mêmes s’y retrouvent ?

La formation professionnelle est devenue en France un système d’experts ; ces derniers, quelle que soit leur origine professionnelle, sont parfois plus au service des dispositifs que de la formation elle-même.

Plusieurs questions me viennent à l’esprit.

Comment la France peut-elle être à la fois le pays où la durée des études est la plus longue et celui où les jeunes ont le plus de mal à s’insérer dans le monde de travail et où leur taux de chômage est, de manière quasi-systématique, deux fois supérieur à celui de la population active ?

Comment expliquer que la France, qui est l’un des rares pays occidentaux à avoir une obligation légale de financer la formation professionnelle, ce qui, bien entendu, est formidable, ne se place qu’au milieu des pays de l’OCDE en termes de dépenses de formation par salarié ? C’est une vraie question !

M. Yvon Collin. Eh oui !

M. Jean-Pierre Plancade. C’est, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce que la France a créé l’obligation de payer sans créer pour autant l’obligation de former.

Par ailleurs, comment ne pas être perplexe face à un système qui, dans les faits, bénéficie principalement aux grandes entreprises et aux salariés les plus qualifiés, alors même que la lutte contre les inégalités constituait, dès 1971, l’un de ses objets ?

Comment, enfin, ne pas être interpellé par le paradoxe des salariés les moins qualifiés, qui ont peu d’appétence pour la formation professionnelle, alors même que leurs qualifications sont le meilleur gage de leur employabilité ?

La formation professionnelle a déjà fait l’objet de plusieurs rapports, notamment le rapport d’information de nos collègues Bernard Seillier et Jean-Claude Carle et le rapport de la Cour des comptes : tous pointent les limites d’un système devenu peu à peu complexe et inefficace ; on a même parlé de « dérive » de la formation professionnelle.

Au fur et à mesure des accords et des réformes, notre système de formation s’est complexifié et est devenu totalement incompréhensible, qu’il s’agisse de son contenu même ou de son organisation qui repose sur un enchevêtrement des dispositifs, des acteurs et des territoires. Vous rendez-vous compte, mes chers collègues ? Moins de vingt personnes, je l’ai dit tout à l’heure, sont capables d’expliquer et de justifier ce dispositif, alors même que nous voudrions que chaque chef d’entreprise et chaque salarié se saisissent des instruments mis à leur disposition pour construire une vraie stratégie d’entreprise visant à la fois la compétitivité de tous et, surtout, l’employabilité de chacun.

J’espère que la loi que nous examinons aujourd’hui marquera la fin d’une longue, d’une trop longue série de textes. Je souhaite que le prochain texte qui sera voté nous donne véritablement les moyens de préparer l’avenir et d’aider à construire un environnement professionnel adapté aux besoins du XXIe siècle.

Face aux mutations considérables auxquelles nos sociétés sont aujourd’hui confrontées, les adaptations que prévoit cette loi nous semblent quelque peu insuffisantes. Nous aurions plutôt voulu que l’on rende rapidement possibles des expérimentations d’entreprise, au cadre légalement fixé, qui bénéficieraient de l’accord des acteurs de l’entreprise et qui seraient évaluées régulièrement. Nous aurions également souhaité que cette recherche englobe l’évolution d’une personne sur une longue durée, de l’école à la retraite, en recherchant la cohérence de son parcours. Nous aurions aimé, enfin, que la défense des systèmes existants ne vienne pas empêcher les innovations et les expérimentations, qu’elle ne vienne pas décourager les volontaires.

Je sais que très nombreux sont les salariés du secteur privé et du secteur public qui, malgré leur bonne volonté, leurs idées et leur énergie, finissent, à force d’épuisement, par se décourager, alors qu’il existe ponctuellement des lieux au sein desquels les modes de management et d’organisation permettent à chacun de développer son potentiel, et ce bien mieux qu’une action de formation ne le ferait.

Nous observons aujourd’hui que le diplôme a peu à peu pris le pas sur le métier et que, dans notre pays, c’est plus le diplôme que l’expérience professionnelle qui a les faveurs des recruteurs. C’est là faire preuve d’une attitude exclusive, et prendre le risque de se priver ainsi de nombreux talents et de nombreuses compétences.

Les expérimentations d’entreprise dont je vous parle devraient permettre de sortir du cadre réglementaire actuel et nous aideraient peut-être à clarifier nos positions. Nous sentons bien, aujourd’hui, que les forces en présence nous empêchent souvent de réfléchir et d’innover en toute sérénité : le système éducatif a ses propres résistances, les partenaires sociaux leurs limites, et les pouvoirs publics, tant nationaux que territoriaux, sont pris dans le jeu contradictoire des lobbies.

Les chefs d’entreprise et les salariés, qui se sentent fréquemment démunis face à la complexité de ces questions, finissent souvent par reléguer le facteur humain au second rang, alors qu’il est l’un de nos principaux atouts pour le futur.

Avant de conclure, je voudrais vous proposer de rêver un peu, de rêver à un pays où chaque salarié aurait conscience de son potentiel et du capital humain qu’il représente, de la responsabilité qui lui incombe de le faire fructifier pour le bien-être de tous, un pays où chaque cadre, chaque chef de service, chaque directeur ou manager aurait conscience qu’il joue un rôle fondamental dans l’évolution des capacités de chacun, ce qui concerne autant le management que la formation, ...

M. Jean Desessard. Vous êtes un idéaliste !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Il en faut !

M. Yvon Collin. On en a besoin !

M. Jean-Pierre Plancade. ... un pays où l’on recentrerait l’école sur l’acquisition des fondamentaux et non sur la course à la professionnalisation – une course de toute façon perdue d’avance face à la rapidité d’évolution des entreprises et des métiers –, un pays où l’on mettrait en place, pour chaque personne, dès la sortie de l’école, un compte-épargne individuel de développement des compétences, tous les acteurs concernés – partenaires sociaux, régions, Pôle emploi et autres – étant là pour aider chacun à en tirer parti et à en négocier l’utilisation avec son employeur.

Je voudrais enfin rêver à un pays où chacun, où qu’il soit, se sente responsable et impliqué dans la performance de son pays, ce qui est le gage d’un modèle social et d’un niveau de vie auquel nous tenons tous. Une seule condition pour cela : une hausse rapide du niveau de compétence et de qualification de chacun, et la mobilisation de tous.

Le système actuel nous y prépare-t-il ? Vous l’avez compris, monsieur le secrétaire d’État, je n’en suis pas certain.

Nous devons dès maintenant réfléchir à la prochaine réforme, nous donner le temps d’élaborer des scénarii qui rompent avec le passé et qui préparent le monde de demain. Nous devons nous donner le temps d’inventer un système souple, adaptable, innovant et précurseur, un système qui n’hésite pas à responsabiliser la totalité des acteurs.

Un jeune qui rentre cette année à l’école primaire ne travaillera pas avant 2029. Que sera alors le monde professionnel ? Un jeune qui rentre dans le monde du travail aujourd’hui travaillera encore en 2050. Que vaudra alors son diplôme ? Qu’en sera-t-il, par conséquent, de son employabilité ?

Nous devons assumer nos responsabilités face à l’avenir, mais notre dispositif n’est plus à la hauteur des enjeux, je viens de l’expliquer. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je serai très attentif à l’évolution de ce texte devant le Sénat.

Certes, il comporte, je l’ai dit, de nombreuses avancées, mais il ne jette pas toutes les bases d’une grande réforme de la formation professionnelle, dont notre pays a besoin. Il ne traduit pas non plus concrètement, monsieur le secrétaire d’État, les ambitions affichées par le Gouvernement. Il ne permet pas, notamment, d’instaurer, par le biais du « droit individuel différé à la formation », un véritable continuum entre l’école et la formation professionnelle. Je considère qu’il s’agit là d’un oubli important.

Je n’oublie pas non plus, et je tiens à le rappeler ici, que lorsque j’ai moi-même interrogé, une à une, chacune des organisations professionnelles au cours des auditions de la commission spéciale en leur demandant si ce texte constituait une avancée, toutes m’ont répondu par l’affirmative, et ce même si de nombreuses réserves subsistaient.

C’est en ayant à l’esprit à la fois ces avancées, les positions des organisations professionnelles, les critiques que ce texte m’inspire et que le groupe du RDSE partage globalement, et au vu des discussions que nous aurons dans cet hémicycle, que mes collègues du groupe du RDSE et moi-même arrêterons notre position de vote.

Je ne saurais conclure sans féliciter la présidente de la commission spéciale, son rapporteur ainsi que les commissaires de tous bords, qui durant les auditions ont fait preuve d’une réelle conscience professionnelle et d’un vrai professionnalisme. Et même si nous ne partagions pas tous les mêmes idées, nous nous sommes tous accordés sur le même diagnostic. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui traite d’un sujet ô combien ! important : celui de la formation professionnelle.

Dans une société où le marché de l’emploi s’est considérablement transformé, où chaque individu doit changer plusieurs fois d’emploi et parfois de métier dans sa vie professionnelle, où la mobilité professionnelle se conjugue avec la flexibilité de l’emploi, la formation et la sécurisation du parcours professionnel doivent constituer pour le travailleur les moyens de faire face aux changements qui s’imposent à lui.

La formation constitue donc un élément décisif de notre société, de nos sociétés ; elle conditionne à la fois la qualité de l’emploi des salariés, leurs salaires, mais aussi la compétitivité des entreprises et le développement des économies. Elle participe donc à la dynamique de progrès et de justice sociale dans laquelle devrait s’inscrire notre société.

Nous sommes tous d’accord sur un point : notre système de formation est complexe, cloisonné, inégalitaire, car il favorise les plus qualifiés qui travaillent dans les grandes entreprises et pénalisent ceux qui travaillent dans les petites et très petites entreprises.

Les déficiences du système sont nombreuses.

Le système de formation initiale entraîne chaque année la sortie de quelque 150 000 jeunes sans diplôme, auxquels il convient d’ajouter les près de 80 000 jeunes qui ont engagé sans succès des études universitaires.

La question est simple : monsieur le secrétaire d'État, votre texte permet-il de régler ces problèmes ? Permet-il de réformer, à hauteur des enjeux, ce secteur stratégique dont la complexité et l’opacité actuelle nuisent gravement à son efficacité ?

La méthode utilisée par le Gouvernement pour ce projet de loi n’est pas acceptable. Ce texte nécessitait concertation, échanges, confrontations, dialogues avec tous les acteurs et partenaires.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Christiane Demontès. La procédure accélérée imposée sur ce projet de loi n’a pas permis de lever certaines ambiguïtés, de combler des manques qui subsistent aujourd’hui. Les conditions dans lesquelles nous avons travaillé n’ont pas été propices à une préparation digne des défis qui sont à relever dans ce secteur. Nous, sénateurs socialistes, comme d’autres, avons été très présents lors des nombreuses auditions auxquelles M. le rapporteur nous a conviés. Nous ressentons aujourd’hui un goût d’inachevé, car certains sujets n’ont pas été abordés dans ce projet de loi.

Ces contraintes ont été telles que le souhait émis par le rapporteur et la présidente de la commission spéciale de voir l’examen de ce texte reporté après la session extraordinaire était largement compréhensible. Malheureusement, ils n’ont pas été entendus. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de vous aider, madame la présidente de la commission spéciale !

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale. Tout à fait !

Mme Christiane Demontès. Le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis a été débattu à l’Assemblée nationale du 15 au 17 juillet dernier. Au regard des modifications apportées, il diffère du texte initial du Gouvernement. Il n’en demeure pas moins que son architecture reste identique. Il est construit autour de deux axes principaux : le premier transpose l’accord national interprofessionnel, l’ANI, du 7 janvier dernier, alors que le second a trait aux propositions gouvernementales.

L’accord national interprofessionnel a été signé par l’ensemble des partenaires sociaux – c’est une grande première – et il marque un tournant essentiel : pour la première fois, la formation des demandeurs d’emploi est réellement prise en compte.

Dans cet accord, plusieurs éléments positifs apparaissent, comme la portabilité du droit individuel à la formation, qui permet au salarié privé d’emploi de faire valoir ses droits acquis au titre du DIF pendant deux ans. Cette disposition participe de la sécurisation du parcours professionnel. Dès lors qu’un bon usage en est fait, le bilan d’étape professionnel peut être une mesure positive.

Je citerai également l’extension du contrat de professionnalisation aux bénéficiaires des minima sociaux et autres titulaires des contrats aidés. Nos concitoyens éloignés de l’emploi pourront, grâce à cette mesure, bénéficier de l’efficacité des formations en alternance.

Enfin, la limitation du nombre d’organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, peut aussi être considérée comme allant dans le bon sens, même si des réponses devront être apportées aux questions des critères de regroupements. Mais faisons confiance aux partenaires sociaux.

Malheureusement, et encore une fois, si le texte qui nous est présenté reprend les éléments très positifs de l’ANI, il « oublie » de transposer des éléments présents dans l’accord et aussi importants que « la formation initiale différée ». Il s’agit pourtant d’un élément fondamental pour qui prétend construire une société du savoir et de la connaissance.

Toutes les statistiques le montrent : ce sont les jeunes les moins qualifiés et non diplômés qui rencontrent les plus grandes difficultés au moment de leur insertion professionnelle. Ce ne sont pas la présidente et le rapporteur de la mission commune d'information sur les jeunes, présents dans cet hémicycle, qui me contrediront. De même, ces jeunes qui n’ont pas bénéficié d’un socle de connaissances suffisamment solide se retrouvent, à l’occasion d’une rupture professionnelle, plus souvent chômeurs de longue durée, voire allocataires de minima sociaux.

La « formation initiale différée », inscrite depuis plusieurs années dans les accords, n’a jamais été transposée dans la loi. La principale raison évoquée pour l’expliquer est le coût de la mesure. Mais nous interrogeons-nous sur le coût des 200 000 jeunes qui sortent chaque année sans diplôme du système de formation initiale, et ce malgré la loi d’orientation et de programmation pour l’école de 2004, qui reprenait les objectifs de celle de 1989 concernant la lutte contre les sorties du système scolaire sans diplôme ?

Au-delà de l’absence de « formation initiale différée » dans ce projet de loi, c’est aussi l’absence de formation professionnelle initiale qui est dommageable. Tout se passe comme si « la formation professionnelle tout au long de la vie » ne commençait qu’à l’issue du système éducatif, laissant de côté le problème de l’échec scolaire et l’incapacité de l’école française à permettre à tous ses élèves d’acquérir un socle de connaissances suffisant pour s’engager dans la vie professionnelle.

Certes, l’article 2 vise à relier et à articuler le socle commun des connaissances tel que le prévoit l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation avec les connaissances et les compétences favorisant l’évolution professionnelle, ainsi que le précise l’article L. 6111-1 du code du travail. Reste que cette disposition n’a qu’une valeur déclarative et aucune valeur prescriptive.

Rien non plus ou presque n’est prévu sur l’apprentissage, pourtant considéré comme une voie de formation efficace et dont la réglementation mériterait une simplification et une plus grande transparence. Nous présenterons d’ailleurs un amendement visant à une clarification des compétences et des financements.

Certaines modifications ont été apportées par la commission spéciale, en particulier par le rapporteur, concernant l’apprentissage ; certaines nous conviennent, d’autres non, et nous aurons l’occasion de le dire lorsque nous examinerons les différents articles.

Il n’y a rien non plus dans ce projet de loi sur la formation professionnelle initiale sous statut scolaire, qui concerne plus des deux tiers des jeunes formés chaque année. L’image dévalorisée de certains lycées professionnels n’incite guère nos jeunes à se construire une représentation positive de cette voie de formation. La création du bac professionnel en trois ans, c’est-à-dire une année de moins qu’actuellement, laissera sans doute sur le bord du chemin de nombreux jeunes, qui ont besoin de plus de temps pour apprendre.

Cette absence de lien entre formation initiale et formation continue, qui constituent à elles deux le concept de formation tout au long de la vie, est de notre point de vue tout à fait dommageable, car la continuité des parcours de formation constitue aussi un moyen de lutter contre l’échec scolaire.

Si la portabilité du DIF prévu dans l’ANI va dans le bon sens, et nous l’avons déjà dit, nous constatons qu’aucune disposition ne concerne la réforme du DIF et du CIF créés par la loi de 2003.

Pourtant, le constat dressé par la Cour des comptes est sans appel : « Le DIF et le CIF n’apportent qu’une contribution très incomplète à la correction des inégalités d’accès à la formation professionnelle continue et à la sécurisation des parcours professionnels en raison, notamment, de leur absence de complémentarité, d’un faible nombre de bénéficiaires et de leur absence de ciblage sur les publics les plus fragiles. » Sans doute quelques améliorations sont-elles apportées par la commission spéciale, mais je pense que nous n’allons pas au terme du processus.

Un autre manque important concerne l’orientation. Ce sujet est à peine effleuré dans l’intitulé du projet de loi et dans le titre Ier. Or les propositions du Livre vert de Martin Hirsch, issues de la mission « jeunes » sont beaucoup plus concrètes : elles visent à améliorer la cohérence dans l’organisation du système d’orientation en reprenant l’idée de mettre en place un « service public d’orientation territorialisée ». Mon collègue Claude Jeannerot reviendra plus longuement sur la question de l’orientation et sur celle du rattachement des psychologues de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, à Pôle emploi.

Je voudrais maintenant évoquer le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le FPSPP. Sur ce sujet aussi, les questions demeurent. En effet, le FPSPP, prévu par l’Accord national interprofessionnel, avait pour objectif initial de recentrer les actions de formation sur les demandeurs d’emploi et les salariés les moins qualifiés. Au premier abord, l’idée est donc intéressante.

Il aurait été logique de voir se mettre en place un système simple, visant à permettre un financement rapide d’une offre de formation en adéquation avec les besoins de qualification du marché du travail. Peine perdue, c’est une véritable « usine à gaz » que vous nous proposez d’instaurer. Cette architecture est si redoutable qu’il y a fort à parier que le degré d’efficacité en sera très lourdement affecté.

En outre, des interrogations subsistent sur les possibilités d’affectation d’une partie du prétendu pactole de la formation professionnelle, soit 900 millions d’euros. Certains craignent que l’objectif réel du Gouvernement ne soit de renflouer les caisses de l’État.