Mme Raymonde Le Texier. Quel mauvais esprit…

Mme Christiane Demontès. Dans une telle hypothèse, ce fonds connaîtrait le même destin que son prédécesseur, le fonds unique de péréquation. Dès lors, la disposition prévue à l’article 9 peut, in fine, apparaître plus intéressée qu’intéressante.

J’interviendrai sur un dernier point : le plan régional de développement des formations professionnelles des jeunes et des adultes.

Le traitement que lui réserve le Gouvernement consacre un recul évident. Les lois successives de 1993, 2002 et 2004 avaient, peu à peu, permis l’essor d’un outil pertinent, tant au regard de sa dimension prévisionnelle concernant les formations initiales, celles qui étaient dispensées par l’AFPA et celles qui s’inscrivaient dans le secteur sanitaire et social, qu’au regard de son adéquation avec la réalité économique du territoire régional.

Les régions ont acquis un savoir-faire et une expertise incontestables, quelle que soit leur couleur politique. Or le Gouvernement entend revenir sur cet acquis majeur de la décentralisation. En l’occurrence, Il s’agit d’un retour en arrière sur la décentralisation de la formation professionnelle et particulièrement sur l’une des compétences importantes des conseils régionaux.

Cela est contestable à plus d’un titre. Premièrement, les partenaires sociaux, et ils nous l’ont dit, n’étaient pas demandeurs d’une telle réorientation. Deuxièmement, sur le terrain, l’ensemble des acteurs s’accordent pour dire que cette architecture décentralisée est adaptée, car la région constitue un territoire pertinent. Troisièmement, il y a fort à parier que cette nouvelle architecture rigidifiera et alourdira le système, alors que c’est bien tout le contraire qu’il faut faire.

Enfin, chacun le sait, à l’occasion de l’élaboration du PRDF, tous les acteurs se rencontrent, des accords sont passés, des conventions sont signées avec l’État par l’intermédiaire du préfet. Dès lors, pourquoi vouloir ajouter une, voire deux signatures, lesquelles prennent la forme d’une mise sous tutelle qui n’oserait dire son nom ? Nous constatons d’ailleurs avec satisfaction que l’amendement de M. le rapporteur permet d’améliorer quelque peu l’esprit et la lettre de l’article 20.

II n’en reste pas moins que la logique prédominante est celle d’une reprise en main par l’État, à laquelle nous nous opposons fermement.

En lieu et place d’une gouvernance déjà trop éclatée, il aurait été plus constructif de ne pas augmenter le nombre des acteurs. L’expérience nous a montré ce qu’il advient des co-gouvernances : soit elles dérivent vers une opacité encore plus grande, soit l’État reprend seul la main. Cette disposition tourne le dos à une multitude de rapports de la majorité, dont ceux de MM. Balladur et Lambert, lesquels proposaient de positionner la région comme pilote unique de la formation professionnelle.

Par ailleurs, cet article ignore un enjeu essentiel : la capacité collective de tous les acteurs de la formation à coordonner leurs actions après en avoir défini les objectifs.

En lieu et place d’une communication à outrance, vantant l’investissement de millions d’euros que vous n’avez pas et que vous ne cessez de transférer vers les collectivités territoriales, notamment régionales que vous dédaignez tant, il aurait été préférable de faire preuve de volontarisme et de doter notre pays d’un système de formation tout entier tourné vers l’innovation, le savoir et la connaissance. Les partenaires sociaux et les collectivités territoriales étaient prêts à y jouer tout leur rôle.

Ce texte est en définitive une occasion ratée. Le Président de la République l’avait annoncé, la réforme de la formation professionnelle devait être l’un des chantiers prioritaires du quinquennat. À la lecture de ce texte, nous constatons une fois encore qu’entre les discours et les actes, le fossé est immense, et que la montagne a accouché d’une souris. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Annie David ayant précédemment exposé la position de notre groupe sur ce projet de loi, je voudrais, quant à moi, exprimer le profond regret, d’ailleurs partagé par nombre des intervenants auditionnés, que ce projet de loi n’ait pas fait le lien entre formation initiale et formation continue. Dès lors, comment prétendre mettre en place un véritable droit à la formation tout au long de la vie ? Comment rendre cette formation efficace si, simultanément, n’est pas posée la question de son articulation avec une orientation et une formation dès le début du parcours ?

Vous me répondrez qu’il y avait l’ANI ! Le travail issu des négociations entre organisations syndicales et patronales, concrétisé par la signature de l’ANI en janvier dernier, est un acte important de compromis social que l’on doit évidemment prendre en compte. Mais il ne constitue par pour autant un horizon indépassable. Notre rôle de parlementaires est de l’enrichir.

Il aurait fallu élargir davantage nos auditions, réfléchir à la construction d’un système cohérent et complémentaire avec tous les acteurs de la formation initiale et continue.

Notre rapporteur a bien tenté de pallier cet écueil, mais par la seule voie du développement de l’apprentissage, sur lequel je reviendrai.

Trop peu d’occasions nous ont été offertes depuis deux ans de confronter nos conceptions respectives de la formation initiale, alors même que les réformes engagées à l’école et à l’université sont légions et ne font pas consensus.

Pourtant, un chiffre, au moins, aurait dû nous obliger à mener cette réflexion : 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification. Bien sûr, il ne s’agit pas de sombrer dans la seule visée utilitariste, donc de court terme, de la formation, qu’elle soit initiale ou continue.

L’article 1er de ce projet de loi, relatif à la définition même de la formation professionnelle tout au long de la vie, fixe l’objectif « de progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie ». C’est certes mieux que la version initiale du texte, mais cela manque d’ambition.

Nous proposons que cet article fasse mention des personnes sorties du système scolaire sans diplôme ni qualification professionnelle, celles-là même qui, tous les rapports le soulignent, sont les plus éloignées de la formation alors qu’elles en auraient le plus besoin.

C’est pourquoi nous croyons que l’idée d’un droit à la formation initiale différée avait toute sa place dans ce texte. L’ANI, dans son article 16, en avait d’ailleurs tracé une première ébauche à destination des salariés.

M. Guy Fischer. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pour nous, il s’agit non pas de renoncer à l’ambition du plus haut niveau de formation initiale pour tous, mais bien de créer l’opportunité d’une deuxième chance, que l’État se doit de garantir et où l’éducation nationale doit d’ailleurs prendre toute sa place. C’est le contraire du renoncement et du désengagement de l’État.

C’est la raison pour laquelle l’idée d’un droit à la formation initiale différée me paraît plus positive que l’extension des écoles de la deuxième chance.

La formation professionnelle doit en effet se concevoir sur la base d’une formation initiale solide et réussie, en lien avec le lycée et l’université, s’appuyant sur une éducation nationale à la hauteur des ambitions d’une grande nation.

À ce propos, je tiens à redire avec force que la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans est une erreur. Les expérimentations l’ont d’ailleurs montré : près de 50 % des lycéens concernés ne parvenaient pas jusqu’au diplôme et sortaient alors du système scolaire sans qualification.

Ainsi, loin de revaloriser cette filière qui scolarise tout de même un jeune sur trois, une telle décision, à laquelle s’opposent toujours les acteurs concernés, va tout au contraire l’appauvrir puisque c’est un mode de remédiation important qui se trouve ainsi compromis.

Le texte issu de la commission spéciale fait une large place à l’apprentissage. Si celui-ci constitue une voie réelle d’insertion pour des jeunes, comment ne pas voir qu’il demeure encore grandement l’apanage d’une orientation par l’échec ?

Car indissociablement de la formation se pose la question de l’orientation. Le projet de loi, dans sa version initiale, était terriblement muet sur le sujet. Les avancées adoptées par la commission spéciale méritent d’être soulignées.

Le droit pour toute personne à être « informée, conseillée et accompagnée en matière d’orientation professionnelle » est désormais inscrit au sein même du chapitre du code du travail consacré aux « objectifs et contenu de la formation professionnelle » : c’est un symbole fort ! Mais la loi doit aussi se donner les moyens de le concrétiser. Elle souffre, à cet égard, d’une nouvelle défaillance.

Nous défendrons de nouveau la création d’un grand service public de l’orientation tout au long de la vie.

Se posera, bien sûr, la question des conseillers d’orientation psychologues. Le Gouvernement organise, de fait, leur disparition. Le sentiment répandu de leur relative inutilité est, à mon sens, le fait de perceptions biaisées ; j’y reviendrai lors de nos débats.

Enfin, l’orientation doit devenir une préoccupation principale réelle et non plus simplement nominale du système éducatif, tant initial que continu. Sinon, comment sortir de la spirale destructrice de l’orientation par l’échec, qui ajoute aux inégalités sociales les inégalités scolaires ?

Cet objectif implique de s’inscrire dans une ambition émancipatrice qui implique le développement de l’autonomie des individus et l’élévation de leurs connaissances, c'est-à-dire un haut niveau de culture pour tous.

La formation initiale doit permettre de transmettre des outils intellectuels donnant la possibilité d’avoir prise sur le monde grâce à sa compréhension. À mon sens, c’est l’inverse du socle commun des compétences, socle minimaliste qui distingue le minimum pour tous et le supplément pour quelques-uns.

À titre d’exemple, les enseignements artistiques sont progressivement diminués ; je pense, notamment, au cas de l’enseignement professionnel où les heures ont été divisées par deux.

Quand à la formation continue, une étude de 2006 du Centre d’études et de recherches sur les qualifications, ou CEREQ, montre que, entre 1975 et 2005, deux fois plus de salariés ont bénéficié d’une formation payée par l’employeur. Mais, durant la même période, la durée moyenne des formations a été divisée par deux et on a observé une diminution de près de la moitié du pourcentage de ces formations donnant lieu à une reconnaissance par diplôme ou qualifications, donc ayant un impact sur le salaire.

C’est cette vision utilitariste de la formation, tant initiale que continue, qu’il faut stopper. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la formation professionnelle est un enjeu essentiel. Dans un monde ouvert aux échanges, la compétitivité d’un pays repose en grande partie sur la qualification de sa population.

L’enjeu économique se double d’un enjeu social. La formation professionnelle ne conditionne pas seulement aujourd’hui l’accès à l’emploi. Elle détermine pour chacun la possibilité de se maintenir dans celui-ci par l’adaptation de ses connaissances au rythme de l’évolution du progrès technique et de la recomposition des métiers. Elle s’affirme ainsi comme l’instrument majeur de la sécurisation des parcours professionnels.

Dans un discours prononcé après son élection, le Président de la République a déclaré son intention de revoir notre système de formation non seulement parce que la formation professionnelle est une « nécessité économique », mais également parce que « c’est le droit à la seconde chance, […] un modèle de société où, à tout moment, on peut remonter dans l’ascenseur social ».

La formation professionnelle doit, en effet, offrir une possibilité de promotion professionnelle et sociale à chaque salarié. Elle constitue une chance pour celui qui souhaite évoluer dans son emploi, et un atout pour celui qui doit en trouver un autre.

Car la vie professionnelle ne peut plus se résumer à une carrière linéaire, comme à l’époque où les bases du droit à la formation ont été posées. Personne ne peut être assuré qu’il passera toute sa vie dans la même entreprise, qu’il fera le même métier, ou que sa vie professionnelle se déroulera sans rupture. Il s’agit bien désormais d’un véritable parcours.

Or, alors que les enjeux sont considérables et que la France consacre chaque année 27 milliards d’euros à la formation professionnelle, notre système de formation n’a plus l’efficacité souhaitée.

J’ai participé, en 2007, à une mission d’information présidée par notre collègue Jean-Claude Carle. Le rapport publié par la suite, souvent cité depuis, a dénoncé « la grande complexité, les cloisonnements et les corporatismes » – les fameux trois C – de notre système de formation professionnelle. Son plus grave défaut est sans doute d’être fortement inégalitaire, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État. En effet, un ouvrier sur sept bénéficie d’une formation selon ses besoins, alors qu’un cadre sur deux aura l’opportunité de se former.

Quant aux salariés des PME et à leurs entreprises, ils financent la formation professionnelle sans en bénéficier. La probabilité de se former pour le salarié d’une entreprise de moins de 10 salariés est cinq fois moindre que celle du salarié d’une entreprise de plus de 500 salariés.

On sait par ailleurs que 75 % des demandes de formation des chômeurs n’aboutissent pas, alors même que la formation professionnelle est considérée, depuis près de trente ans, comme l’une des clés de la réinsertion dans l’emploi et comme l’un des meilleurs outils au service de la lutte contre le chômage.

Réformer la formation professionnelle, qui a une longue histoire, n’en est pas moins difficile, car le dispositif de formation est très complexe et fonctionne par compartiments.

La qualité du dialogue social engagé par l’État est un gage de réussite de la réforme. Je souhaite à cet égard souligner que l’accord conclu entre les partenaires sociaux le 7 janvier dernier a été adopté à l’unanimité. Cette réforme doit donc nous rassembler, au-delà des clivages politiques.

Comme nous l’a expliqué M. le secrétaire d’État, le projet de loi est sous-tendu par trois objectifs : assurer une plus grande justice du système, garantir l’emploi ou les conditions d’un retour à l’emploi, la transparence du dispositif, sa lisibilité et son évaluation.

Je me réjouis des principales orientations du projet de loi.

Tout d’abord, la création du fonds de sécurisation des parcours professionnels, qui aura vocation à financer la formation des demandeurs d’emploi, permettra la formation de 500 000 salariés peu qualifiés et de 200 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Ce fonds collectera 900 millions d’euros par an.

Ensuite, et c’est un autre point majeur, la réorientation de la formation professionnelle vers les petites et moyennes entreprises réduira les inégalités. En effet, les sommes que versent les entreprises de moins de cinquante salariés au titre de la formation seront « sanctuarisées ». Au total, chaque année, 1,2 milliard d’euros du plan de formation sera exclusivement consacré à la formation dans ces entreprises.

Enfin, je souhaite souligner l’importance de la réforme du statut des organismes collecteurs paritaires agréés, ou OPCA, dont il faut réduire le nombre et mieux contrôler l’action. La diminution du nombre des OPCA devrait permettre de simplifier la mécanique financière d’une complexité effarante qui régit actuellement la collecte des fonds et de réduire les dérives ainsi que les frais de gestion. Je rappelle que, chaque année, les frais de fonctionnement des OPCA représentent environ 9,9 % de la collecte, soit 600 millions d’euros.

Sur ce point, la commission spéciale a apporté plusieurs améliorations notables. Elle a ainsi instauré l’obligation de conclure une convention d’objectifs et de moyens entre chaque OPCA et l’État. La part prélevée pour les frais de gestion de l’OPCA sera conditionnée à un véritable exercice de programmation et d’évaluation des performances. Il s’agit de tenir compte de la situation particulière de chaque organisation et de garantir à chacune d’elle les moyens nécessaires à son fonctionnement, tout en maîtrisant mieux les dépenses.

Je ne reviens pas sur tout ce qui a déjà été dit, mais je veux souligner l’importance qu’il y avait à élargir le débat sur la question de l’orientation, sujet introduit dans le projet de loi par les députés.

L’idée de la mise en place d’un système de labellisation des organismes d’information et d’orientation est pertinente. La France compte en effet plus de 8 500 organismes d’orientation. Dans ces conditions, il est difficile, il faut l’avouer, de se retrouver dans ce labyrinthe.

La commission a souhaité modifié les dispositifs de labellisation. Les organismes devront offrir leurs services à « toute personne intéressée » et non pas seulement aux personnes s’engageant dans la vie active. Cette mesure permettra de viser les lycéens et les étudiants et de faire un lien entre formation initiale et formation continue.

Nous avons également pris en considération certaines mesures proposées par le Livre vert de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, présidée par Martin Hirsch. Ainsi, un amendement adopté en commission permettra de lancer l’expérimentation d’un livret de compétences. Dans les établissements d’enseignement volontaires, chaque élève disposera pendant trois ans d’un livret de compétences mentionnant ses connaissances, ses liens avec des activités associatives, sportives ou culturelles, ainsi que ses expériences de découverte du monde professionnel. Ce livret sera pris en compte au moment de l’orientation et il pourra suivre la personne dans la vie active.

J’ajoute que l’école devrait développer des liens plus étroits avec le monde de l’entreprise,…

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Tout à fait !

Mme Isabelle Debré. …afin d’apporter aux élèves un éclairage sur les multiples filières d’activité et sur leurs métiers. Mais il s’agit d’un autre débat...

Sur toutes ces questions et bien d’autres, je tiens à souligner la qualité du travail de notre rapporteur, qui maîtrise le sujet de très longue date.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Excellent rapporteur !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Merci !

Mme Isabelle Debré. Je pense que nous avons réussi à créer au sein de la commission, présidée avec une grande compétence par Catherine Procaccia, un espace de réflexion parlementaire qui a permis d’améliorer le projet de loi tout en respectant l’esprit de l’accord national interprofessionnel.

Je veux dire ma conviction que ce texte, que notre groupe votera avec enthousiasme, représente une étape importante vers plus de transparence, plus d’efficacité et surtout plus de justice. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre d’un texte annoncé de longue date et qui, selon le Président de la République, devait être l’un des plus importants de la législature.

La réforme de la formation professionnelle, chacun s’accorde à le dire, est nécessaire. Nous étions prêts, et nous le sommes toujours, à y travailler avec vous sur le plan tant national que local.

Il faut le reconnaître, le projet de loi comporte un certain nombre d’avancées, mais, globalement, il n’est pas à la hauteur des enjeux.

En transposant en matière législative l’accord national interprofessionnel du 9 janvier 2009, ce texte permet en effet deux avancées majeures.

La première tend à renforcer et à réaffirmer le droit individuel à la formation. À l’avenir, l’accès à la formation devrait de plus en plus prendre en compte la dimension des parcours individualisés, avec des droits et un suivi individuel. Ainsi, l’article 4 a pour objet de renforcer le dispositif qui anticipe le mieux cette évolution en facilitant sa « portabilité » en cas de rupture du contrat de travail. Grâce à une intervention des fonds mutualisés, un reliquat de droit non utilisé pourra être mobilisé non seulement pour la période de chômage, mais également dans les deux premières années suivant une nouvelle embauche. Tout cela est positif, et nous le soutenons.

La seconde avancée qui mérite d’être saluée concerne la création du fonds de sécurisation des parcours professionnels, qui figure dans l’accord du 7 janvier 2009. Ce fonds doit permettre aux demandeurs d’emploi d’acquérir une formation ou de se requalifier en dynamisant la période de chômage. Il met ainsi en œuvre une action préparatoire opérationnelle à l’emploi menant à un emploi identifié dans l’entreprise ou en fonction des besoins identifiés dans une branche professionnelle.

Telles sont les avancées ; nous pourrions probablement en citer d’autres.

Monsieur le secrétaire d’État, la volonté d’une telle réforme est unanimement partagée et les conditions sont cette fois-ci réunies pour qu’elle porte une grande ambition. Vous en conviendrez avec moi, chacun pressent, surtout dans le contexte actuel, que la formation peut devenir l’un des outils facilitant la sortie de crise. Pourtant, force est de reconnaître que le projet de loi qui nous est proposé ne constitue pas le grand rendez-vous attendu.

Véritable investissement, la formation aurait mérité d’être retenue parmi les grands chantiers du Gouvernement au titre de la lutte contre la crise. En effet, elle prépare utilement les compétences nécessaires pour demain, elle est créatrice de richesses et – est-il besoin de le démontrer ? – elle permet à l’ascenseur social de fonctionner à nouveau.

Or pour rendre cette ambition effective et productive, un certain nombre d’exigences auraient dû figurer dans ce texte ; elles ne sont pas présentes. J’en citerai trois.

La première était incontestablement de simplifier et de clarifier le système.

La deuxième exigence, qui devait être l’un des éléments centraux de la réforme, était de responsabiliser davantage les acteurs locaux et régionaux. En d’autres termes, pour réussir, il aurait fallu retrouver l’audace de la décentralisation.

La troisième exigence concerne le droit à l’orientation. Vous l’affirmez dans votre texte, mais ce droit sera inopérant, car aucune instrumentation n’est proposée.

Tout le monde en convient, la simplification aurait dû être l’un des objectifs prioritaires de cette réforme. Le système actuel – je n’apprends rien à personne ici – est le résultat de plus de trente années d’empilements de dispositifs répondant chacun à des objectifs spécifiques et faisant appel le plus souvent à des autorités différentes sur le plan tant du financement que de la planification ou de l’exécution.

La simplification des dispositifs n’est pas un aspect secondaire. C’est au contraire un enjeu majeur et, par certains aspects, décisif pour la réussite même de la formation. En auditionnant des dizaines d’observateurs et d’acteurs du système, nous avons constaté que ceux-ci n’en comprennent souvent eux-mêmes qu’une partie, celle qui les concerne.

Nous vous ferons, au cours de ce débat, quelques propositions de simplification. J’ai conscience qu’elles seront marginales et périphériques au regard du chantier considérable, mais nécessaire, qu’il conviendrait de conduire. Il faut le regretter, car cette question n’est pas secondaire. La lisibilité est en effet l’une des conditions essentielles de l’efficacité du système de formation. Or, monsieur le secrétaire d’État, j’y reviendrai dans ma conclusion, c’est la méthode proposée pour l’examen de ce projet de loi qui n’a pas permis la réalisation de cette exigence.

L’ancrage territorial n’est pas non plus au rendez-vous. Ma collègue Christiane Demontès ayant insisté sur ce point, je serai donc bref.

Ce texte marque une régression dans le domaine de la décentralisation. Il aurait fallu mieux garantir l’ancrage territorial des formations, alors que l’on assiste à une recentralisation, qui ne dit d’ailleurs pas complètement son nom. J’attendais de cette réforme qu’elle privilégie une complémentarité active – ce point est essentiel – entre les logiques de branches et les nécessités du territoire. Les présidents de région, c’est une évidence partagée par tous aujourd’hui, pourraient être les acteurs naturels de cette mise en synergie.

Enfin, il aurait été nécessaire d’offrir au public un véritable droit à l’orientation. Vous le savez, l’orientation est le préalable à une formation efficace. Ce droit, je le reconnais, vous l’affirmez dans votre texte, mais vous ne lui offrez aucune garantie d’effectivité. Ce n’est pas pour rien que Martin Hirsch propose, à juste raison, dans son Livre vert, la mise en place d’un réseau public d’orientation. Cette proposition avait toute sa place dans votre projet de loi.

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Claude Jeannerot. De plus, il aurait été cohérent de confier aux présidents de région le soin de mettre en réseau ce service d’orientation tout au long de la vie. Non seulement votre texte est muet sur ce point, mais, à défaut de pouvoir proposer une vision globale de l’orientation, monsieur le secrétaire d’État, vous décidez de transférer à Pôle emploi la plupart des psychologues de l’AFPA.

M. Claude Jeannerot. Quel sens prend ce transfert ? Vous nous avez répondu qu’il fallait distinguer, au nom des règles de la concurrence, la fonction d’orientation et la fonction de formation. En d’autres termes, il faut éviter qu’un même organisme puisse être juge et partie.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous le dis comme je le pense : l’argument ne me paraît pas très convaincant. Au nom d’un droit supposé et quelque peu flou, vous oubliez le rôle précis et décisif des psychologues du travail de l’AFPA. (M. Guy Fischer applaudit.) C’est précisément cette proximité avec l’appareil de formation qui permet à ces praticiens d’être particulièrement efficaces. Ils ne se contentent pas – et ce point est essentiel – d’orienter les publics vers les formations ; leur technicité et leur professionnalisme leur permettent surtout de garantir aux bénéficiaires de formations une chance effective de réussir leur parcours.

Il est essentiel, pour l’efficacité des formations, de pouvoir vérifier que les publics aient les profils et les capacités nécessaires. Cette démarche est tout aussi essentielle s’agissant des bénéficiaires d’une formation, pour qui, bien souvent, elle représente une deuxième chance. Enfin, vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d'État, c’est également nécessaire pour la bonne utilisation de l’argent public. À quoi servirait l’argent public si, au bout du compte, le succès pour l’intéressé n’était pas au rendez-vous ? D’autant que les résultats et les indicateurs de l’AFPA attestent de l’efficacité de ce service public. Alors, pourquoi le remettre en cause ?

Aujourd’hui, sept stagiaires sur dix accèdent à un emploi dans les six mois qui suivent leur formation. En outre, 81 % d’entre eux – et le rôle des psychologues du travail est essentiel dans ce domaine – valident leur formation en obtenant un titre professionnel qui est reconnu sur le marché du travail.