M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon propos sera probablement moins pessimiste que celui de mon prédécesseur à cette tribune !

Je remercie notre collègue Nathalie Goulet d’avoir posé cette question orale qui nous donne l’occasion de débattre d’un sujet particulièrement important en cette période de crise économique, à savoir le financement de nos entreprises, en particulier de nos PME.

La création du Fonds d’investissement stratégique en 2008 procède de la volonté du Président de la République d’aider les entreprises françaises qui ont besoin de trouver des investisseurs stables pour financer leurs projets de développement.

Il s’agissait notamment de soutenir le développement de PME prometteuses qui ont souvent des difficultés à accéder à des financements, de sécuriser le capital d’entreprises stratégiques ou encore d’intervenir pour développer ou aider temporairement des entreprises à fort potentiel ou des projets industriels novateurs et audacieux, avant de s’en désengager à moyen terme lorsque les objectifs qui avaient été définis auront été atteints.

Afin d’accomplir le plus efficacement possible les missions qui lui ont été confiées, le FSI doit investir dans des projets rentables et qui engendrent des revenus, détenir une minorité du capital des entreprises dans lesquelles il investit, agir de préférence avec des partenaires privés et ne pas investir à long terme, afin de faire « tourner » son portefeuille de manière à disposer de liquidités pour agir rapidement.

Nul doute qu’en incitant à la création du FSI, le chef de l’État avait à l’esprit le rôle de plus en plus important que jouent dans l’économie mondiale les fonds souverains, notamment moyen-orientaux, chinois, russe ou norvégien.

En réalité, on a assigné au FSI non pas la stratégie offensive de ces fonds souverains, mais une stratégie plus défensive, ne serait-ce qu’à cause de la faiblesse de sa capitalisation originelle : 20 milliards d’euros, dont 14 milliards d’euros sous forme de participations déjà détenues par la CDC ainsi que par l’État dans de très grandes entreprises et 6 milliards d’euros de fonds nouveaux apportés à parité par l’État et par la CDC. La taille de ce fonds le situe donc seulement au vingtième rang mondial des fonds souverains.

Comme l’a précisé notre collègue Nathalie Goulet, le FSI est dirigé par une double structure : un conseil d’administration présidé par le directeur général de la CDC et un directeur général. Il comprend en outre un comité d’investissement et un comité d’orientation composé de représentants des entreprises, des organisations syndicales et de personnalités qualifiées, qui doit garantir la cohérence et les équilibres du fonds.

Premier sujet d’étonnement pour moi : comment se fait-il que le Parlement ne soit pas représenté au sein du comité d’investissement ou du comité d’orientation du FSI ? M. Fourcade nous a certes expliqué qu’une telle représentation ne lui paraissait pas souhaitable, mais je pense pour ma part qu’il serait tout de même préférable que le Parlement soit associé d’une manière ou d’une autre au fonctionnement du FSI, ne serait-ce que pour assurer une meilleure circulation de l’information.

Mon étonnement croît encore lorsque j’apprends, de la bouche du secrétaire général de Force ouvrière, que si les organisations syndicales sont bien représentées au sein du comité d’orientation, elles ne sont pas véritablement informées de ce qui se passe au sein du FSI. Et ce responsable syndical d’ajouter par ailleurs qu’il lui paraissait anormal que ce fonds soit venu en aide à une entreprise ardennaise qui, finalement, licencie une partie de son personnel. Cela étant, on peut aussi considérer, me semble-t-il, qu’une véritable restructuration peut aussi passer par là.

Quoi qu’il en soit, les malheureux parlementaires que nous sommes disposent de moins d’informations encore. Tout au plus apprenons-nous, en lisant la presse, que le FSI est venu en aide à certaines grandes entreprises, comme Valeo, Daher ou Heuliez, pour assurer le développement du véhicule électrique. Ces choix, il faut le reconnaître, sont néanmoins tout fait cohérents avec les politiques que nous définissons.

Dans le même temps, et malgré la mission confiée à France Investissement, de nombreuses PME souffrent sur l’ensemble du territoire, et sont victimes de la frilosité des banques. Le Président de la République et le Gouvernement l’ont bien compris : le FSI a lancé ce mois-ci, à leur demande et dans le cadre du plan d’aide aux PME, un programme FSI-PME doté, je crois, de 1,5 milliard d’euros.

Ces crédits sont certes destinés aux PME relevant de secteurs stratégiques, mais j’estime qu’ils devraient aussi permettre d’aider les entreprises du secteur agricole et agroalimentaire, qui en ont grand besoin en cette période difficile.

Ne l’oublions pas, la production agricole a également une importance stratégique à l’échelon mondial. Cela est tellement vrai que la Chine et l’Inde ont fait l’acquisition de plusieurs milliers d’hectares de terres cultivables en Afrique, afin d’y développer de nouvelles productions.

Nous avons la chance d’avoir un potentiel agricole et agroalimentaire parmi les plus importants au monde. Or ce secteur souffre terriblement, et la crise touche toutes les productions : le lait et les fruits et légumes, bien sûr, mais également l’élevage et les céréales.

Notre groupe a calculé qu’il faudrait mettre en place, pour la seule filière laitière, un plan de financement de 675 millions d’euros, et il a proposé que cette somme soit avancée par le FSI sous forme de prêts, selon le schéma qui a été utilisé pour le secteur bancaire, mais avec de faibles taux d’intérêt.

À l’instar de la majorité des élus de l’Union centriste, j’ose espérer que le Gouvernement sera sensible au désarroi et aux difficultés des hommes et des femmes qui dirigent les entreprises de notre pays. Nous espérons également que le Fonds stratégique d’investissement sera utilisé, à l’avenir, de façon optimale et servira à l’ensemble des activités économiques qui ont besoin de son aide.

Ce que vous mettez en place progressivement, monsieur le secrétaire d’État, améliore déjà notre politique d’investissement. Nous devons poursuivre ensemble les efforts et assurer une meilleure circulation des informations, afin qu’aucune entreprise ne soit laissée sur le bord du chemin. Je souhaite pour ma part que les élus, souvent sollicités lorsque des difficultés apparaissent dans les entreprises, puissent au moins relayer l’information et accompagner votre démarche. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à partir d’une réflexion sur l’organisation et la gouvernance du Fonds stratégique d’investissement, ainsi que sur ses choix d’investissement, notre collègue Nathalie Goulet s’interroge sur le rôle de la Caisse des dépôts et consignations et sur le contrôle qu’exerce le Parlement sur celle-ci. Étant, depuis la récente entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie, qui a notamment modifié la gouvernance de la CDC, représentante de l’opposition sénatoriale au sein de la commission de surveillance de cette dernière, c’est bien volontiers que je participe au présent débat.

Mme Goulet note avec raison que le FSI est né de la volonté du Président de la République. Dans ce langage qui n’appartient qu’à lui, celui-ci a exposé sa vision du Fonds : « Je veux que l’on arrête le processus de délocalisation. […] l’État est là, et naturellement, quand la situation sera meilleure, eh bien on revendra notre part, s’il le faut on prendra un bénéfice, tant mieux pour le contribuable. Cela, c’est la première vocation de ce fonds. »

Cette vision est-elle simplificatrice ? Peut-être. En tout cas, c’est une vision circonstancielle, qui conduit, si on la suit à la lettre, à faire du FSI un pompier dans la crise.

Le 20 avril dernier, la commission des finances a pris l’initiative d’auditionner Michel Bouvard, président de la commission de surveillance, Augustin de Romanet, directeur général de la CDC, et Gilles Michel, directeur général du FSI. Ce dernier a donné sa vision de la société qu’il dirige : « La mission du FSI est d’investir dans les entreprises françaises afin de renforcer la compétitivité de notre pays. À cet égard, le Fonds prend en compte la rentabilité de l’opération et le retour sur investissement, qui sont des conditions de la pérennité du FSI, et le projet économique de l’entreprise. »

Entre les deux conceptions que je viens d’exposer, il y a, on le voit bien, plus qu’une nuance, d’où certainement une ambiguïté amenant les élus à s’interroger légitimement, notamment sur les critères présidant aux choix d’investissement du FSI.

Ce qui intéresse au premier chef la commission de surveillance, ce n’est pas trahir un secret que de le dire, c’est le « S » du FSI : la stratégie. En effet, elle s’interroge régulièrement et avec constance sur la doctrine d’emploi commandant les choix stratégiques destinés à muscler notre appareil productif pendant la crise, et surtout en période de sortie de crise. Nous auditionnons régulièrement le directeur général et nous faisons un point, tous les quinze jours, sur l’avancement de la mission du FSI. Notre collègue député Michel Bouvard est, quant à lui, l’invité permanent du comité des investissements du FSI.

D’une manière générale, nous, parlementaires, devons poser la seule question qui vaille à l’exécutif, celle de l’existence d’une politique industrielle qui mobilise les choix économiques de la nation. Une société, fût-elle érigée à partir de fonds publics, peut-elle, doit-elle être à elle seule le lieu de définition d’une stratégie industrielle ? Pour sa part, le groupe socialiste répond : certainement pas !

Après l’éphémère Agence de l’innovation industrielle, l’A2I, voulue par le président Chirac, nous doutons de l’efficacité du Fonds stratégique d’investissement lancé par le président Sarkozy pour renforcer notre appareil productif, qui était déjà bien faible avant la crise : des diagnostics ont été établis et de multiples rapports publiés sur le sujet, notre pays manquant, comme l’a dit M. Fourcade, de grosses PME capables d’être offensives et bien placées sur les marchés mondiaux. Il faut prendre la crise pour ce qu’elle est : un bouleversement du monde. Après le coup d’arrêt de la crise financière, les nouvelles puissances industrielles, c’est-à-dire la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie, voient redémarrer leur production, alors que celle de l’Europe a simplement cessé de chuter, tandis que les investissements sont gelés. C’est l’Union européenne qui a besoin d’une politique industrielle de coopération entre les nations qui la composent, fondée sur l’innovation et l’écologie. Traduit-on cet impératif, en France, par le biais du FSI ? Lit-on cela dans la doctrine d’emploi de ce dernier ? Je ne le crois pas.

Les états généraux de l’industrie lancés par le Gouvernement suffiront-ils à guérir notre industrie malade depuis trop longtemps ? Le débat autour de l’affectation du produit de l’emprunt suffira-t-il à engager enfin notre pays dans la voie de l’avenir ? Ces questions sont ouvertes, et nous y reviendrons certainement lors de la discussion du projet de loi de finances, et surtout du projet de loi de finances rectificative pour 2010 que l’on nous annonce d’ores et déjà comme devant faire suite aux propositions de la commission présidée par MM. Rocard et Juppé, qualifiée de « savante » par notre collègue Jean-Pierre Fourcade.

En revanche, les parlementaires siégeant à la commission de surveillance ont toute légitimité pour contrôler non seulement les investissements du FSI, mais aussi, le moment venu, les choix de cessions éventuels des actifs qui lui ont été transférés par l’État et par la CDC, son actionnaire principal. Au regard de l’autonomie d’initiative et de décision du FSI dans la gestion de ces actifs, telle qu’elle a été revendiquée par sa direction générale, la marge est étroite.

La croissance du Fonds stratégique d’investissement est un défi que la CDC doit relever. Il lui faudra concilier sa présence au FSI avec le rôle d’investisseur de long terme que lui a conféré expressément la loi de modernisation de l’économie, la LME. Il est certain que, dans la période récente, la Caisse des dépôts et consignations a été sur tous les fronts. Faut-il rappeler qu’elle a joué son rôle d’actionnaire historique de Dexia, transféré des actifs et des liquidités au FSI, soutenu une intervention auprès des entreprises, assuré la gestion du fonds d’épargne après la banalisation du livret A, veillé au respect du niveau des ressources fixé par la LME, accru ses financements au logement social, contribué au plan université et assuré la trésorerie de l’ACOSS, sans oublier de verser son écot au budget de l’État, soit 900 millions d’euros au titre de 2009 ?

Dans le même temps, les sollicitations multiples auxquelles la CDC est soumise en cette période de crise ont mis en lumière la nécessité de redéfinir ses relations financières avec l’État. Ce travail est en cours, sur l’initiative de la commission de surveillance et de son président.

En outre, depuis l’entrée en vigueur de la LME, la commission bancaire, via la commission de surveillance, exerce son droit de regard sur les activités bancaires et financières, par conséquent sur les ratios de fonds propres et sur la capacité d’endettement. Un comité des investissements a été créé, qui vise toutes les cessions et acquisitions. Je rappelle par ailleurs que lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative portant plan de relance, le groupe socialiste a soutenu, avec le groupe de l’Union centriste, M. Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, quand il a voulu encadrer le décret en Conseil d’État relatif aux rémunérations variables que le Gouvernement devait prendre. Nous avons obtenu, malgré les fortes réticences du Gouvernement, que soient précisées les conditions dans lesquelles les actions gratuites, les stock-options, les bonus, les indemnités de départ cesseront d’être attribués, pendant la durée de la crise, aux dirigeants et mandataires sociaux de toute entreprise financièrement aidée par l’État, directement ou indirectement. Le Fonds stratégique d’investissement est concerné.

Pour que le contrôle du Parlement soit effectif, il suffit donc que les parlementaires se saisissent de leurs droits. Du reste, puisque la Caisse des dépôts et consignations est placée sous le contrôle du Parlement, il serait bienvenu que le Sénat, qui s’était beaucoup investi dans l’élaboration de la loi de modernisation de l’économie, procède à l’évaluation complète de l’application de cette dernière, y compris les modifications intervenues dans la gouvernance de la CDC. Le groupe socialiste, depuis l’été dernier, demande régulièrement en conférence des présidents l’inscription de cette évaluation à l’ordre du jour des semaines réservées au Parlement. J’invite les autres groupes politiques, notamment le groupe de l’Union centriste, à appuyer cette revendication. C’est ainsi, me semble-t-il, que nous pourrons exercer pleinement notre vigilance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’Union centriste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Trillard.

M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Mme Nathalie Goulet appelle notre attention sur l’importance du contrôle parlementaire de l’action du Fonds stratégique d’investissement, dont la création avait été décidée en 2008 par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, et qui est opérationnel depuis le début de cette année.

Doté aujourd’hui de 20 milliards d’euros, le FSI a investi directement, depuis sa création, 450 millions d’euros dans treize entreprises. Les perspectives d’investissement permettent d’envisager un doublement de ce chiffre d’ici à la fin de l’année.

Pour ce qui concerne le contrôle de la pertinence des choix stratégiques d’investissement, en fonds propres ou par le biais de prises de participations de l’État dans les entreprises au travers du FSI, j’estime que le Parlement doit encourager toute décision d’investir dans des entreprises stratégiques ou d’avenir. Toutefois, ces investissements ne doivent pas concerner seulement les technologies ou l’économie verte, mais porter sur tous les secteurs de pointe, ainsi que sur les transferts de technologies entre domaine militaire et domaine civil.

Le FSI doit ainsi se concentrer sur les investissements d’avenir hautement technologiques. Je sais que ce débat aura lieu lors de l’examen du collectif budgétaire relatif au grand emprunt, au mois de janvier 2010, mais la problématique reste la même : l’État doit concentrer ses dépenses et ses investissements dans ces domaines stratégiques ou à fort potentiel de croissance.

C’est la raison pour laquelle je me félicite de certains investissements réalisés par le FSI en 2009. Il a, par exemple, investi 160 millions d’euros dans l’entreprise Gemalto, leader mondial des technologies numériques stratégiques. Cet investissement a permis de sécuriser un important bloc d’actions – 8 % du total – mis en vente par le deuxième actionnaire, américain. Évoquons également les 2 millions d’euros investis par le FSI pour financer la croissance de Led To Lite, petite entreprise très innovante dans le domaine de l’éclairage à base de diodes électroluminescentes à haute luminosité.

Pour ce qui concerne les domaines des technologies militaires et civiles stratégiques, je me réjouis que le FSI ait investi plus de 65 millions d’euros dans l’entreprise Daher, qui fournit des équipements et des services pour l’aéronautique, le nucléaire et la défense, mais dont la structure capitalistique familiale limitait la capacité de développement et soulevait des problèmes de partenariat à Airbus et au groupe EADS. La société Daher a repris Socata à Airbus et vient de lancer la construction d’une nouvelle usine à Nantes pour la fabrication d’aérostructures de pointe. Je ne saurais y être insensible, en tant que sénateur de Loire-Atlantique… L’investissement du FSI dans la société Daher a permis de soutenir le programme d’investissements de l’entreprise et de financer l’implantation dans mon département d’une nouvelle usine qui produira des composants pour l’A350 et le futur A400M. L’usine sera réalisée en deux phases : la première, cet été, a abouti à la création de 400 postes, et la seconde, qui devrait intervenir à la mi-2010, débouchera sur la création de 1 000 postes au total.

Aujourd’hui, le FSI intervient directement dans le financement du secteur aéronautique par l’intermédiaire des fonds publics-privés Aerofund I et Aerofund II, qu’il abonde à hauteur de 20 % à 30% chacun.

Par ailleurs, le niveau d’investissement des entreprises dans la recherche et développement figure parmi les principaux critères d’investissement du FSI, quel que soit le secteur.

D’une manière plus générale, l’orientation stratégique du fonds doit reposer sur l’amélioration de la compétitivité et de la position concurrentielle de nos entreprises, afin de dynamiser l’emploi, la recherche et les exportations. À mes yeux, je n’ai pas peur de le dire, le critère essentiel doit être la rentabilité des capitaux investis, signe du succès. Le rendement du capital en France demeure en effet encore largement inférieur à la moyenne de nos concurrents ; il n’y a aucune raison de s’en glorifier. L’objectif d’un retour sur investissement de 10 % fixé par le président du FSI doit être tenu. Le rôle du Parlement est d’y veiller. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Mme Goulet d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de cette question, la gouvernance du FSI étant un sujet d’une importance déterminante pour la politique industrielle de la France, eu égard aux moyens considérables que ce fonds déploie.

Le FSI est en effet doté de 20 milliards d’euros de fonds propres, dont 14 milliards d’euros de participations. Les parlementaires doivent être étroitement associés au contrôle financier, en temps réel, mais surtout politique, de la destination de ces sommes.

La Caisse des dépôts et consignations a été créée en 1816, après l’épisode des Cent-Jours, avec l’exigence morale et éthique de « restaurer une confiance du citoyen dans le crédit d’État ». Cette exigence est d’une saisissante actualité ! Quand l’État intervient massivement pour soutenir Valeo, et qu’ensuite un dirigeant de cette entreprise déclenche un parachute doré, comment ne pas s’interroger ?

La confiance suppose que nos concitoyens puissent être certains que tout investissement public est transparent, efficace et, dans le cas d’espèce, stratégique. Or, je ne suis pas sûr que tous ces objectifs soient vraiment atteints.

Cet après-midi, des milliers de salariés manifesteront contre les licenciements dans l’industrie. Il est bon que notre ordre du jour nous permette de faire un point d’étape sur le fonctionnement du Fonds stratégique d’investissement.

Je suis un élu du pays de l’automobile, le siège de PSA se trouvant à Sochaux. Aujourd’hui, de nombreuses PME et TPE de ce secteur, souvent innovantes et ayant parfois beaucoup investi dans l’ingénierie, sont confrontées à de grandes difficultés financières. Mois après mois, elles se demandent si elles pourront honorer les salaires et « boucler » leurs comptes. Dans le même temps, de grands constructeurs persistent à confondre compétitivité et stratégie low cost. Il faudra que l’on parvienne un jour à comprendre que les stratégies low cost n’aboutissent qu’à freiner l’innovation. La recherche à tout prix de la baisse des standards sociaux, la délocalisation systématique ne sont pas des stratégies qui mènent à l’innovation.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Martial Bourquin. En externalisant au-delà de nos frontières certaines productions, les entreprises concernées manifestent qu’elles n’ont pas la volonté d’innover et de faire en sorte que l’Europe et la France puissent mettre en place une économie de la connaissance.

J’ai demandé que soit constituée une commission d’enquête parlementaire sur les aides et les prêts dédiés à la filière automobile. En effet, ma curiosité à cet égard n’est pas toujours satisfaite, et se trouve ravivée aujourd’hui du fait que le FSI a apporté 200 millions d’euros au Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, le FMEA, et va investir certainement plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires dans la création d’un fonds de soutien aux sous-traitants automobiles de deuxième rang. Or, à ce jour, monsieur le secrétaire d’État, nous ne connaissons toujours pas exactement les critères industriels et économiques d’éligibilité des entreprises au FMEA.

Cette situation n’est pas normale. Pourquoi une telle obscurité ? Pourquoi ne pas développer une stratégie complètement transparente ? Pourquoi un contrôle parlementaire régulier ne s’exercerait-il pas sur ces aides et sur leur attribution ? Le FSI a rendu publique une liste de huit entreprises aidées par le biais du FMEA, mais combien se sont heurtées à un refus, et pour quel motif ?

Certes, vous me répondrez, monsieur le secrétaire d'État, que le Parlement exerce un contrôle sur la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations, comme l’a rappelé Nicole Bricq tout à l'heure, mais j’estime que nous devrions être davantage associés aux actions menées en amont, sur le terrain.

Ainsi, le Gouvernement a mis en place dans les préfectures des cellules de veille qui, chaque semaine, examinent la situation des entreprises en difficulté. Je souhaiterais que les parlementaires, ainsi que les salariés et leurs représentants, puissent participer à cette démarche. Nous ne pouvons, dans cette enceinte, aborder les cas particuliers de milliers d’entreprises, mais nous pourrions prendre part, dans nos départements, aux travaux conduits dans les cellules de veille.

En tant que membre du groupe d’études sénatorial sur l’automobile, je n’ai jamais eu l’occasion de discuter des modalités des aides versées à ce secteur, ce qui est extrêmement regrettable. Quant aux collectivités territoriales, qui sont particulièrement engagées dans le soutien à l’économie, elles éprouvent les plus grandes difficultés à comprendre les rouages des décisions prises, notamment par le FSI. Celui-ci gagnerait en efficacité et en transparence s’il communiquait systématiquement avec ses partenaires.

En Europe du Nord, les salariés et leurs représentants sont systématiquement associés aux décisions. Monsieur le secrétaire d'État, ne serait-il pas plus simple que, en France aussi, ils puissent siéger dans les conseils d’administration et donner leur avis ? Nous en sommes encore loin aujourd'hui !

Que l’on ne se méprenne pas : nous ne demandons pas des postes de personnalités qualifiées, mais seulement la possibilité de faire valoir notre expérience de terrain et notre connaissance du tissu économique dans les bassins d’emploi dont nous sommes les élus.

De plus, les informations dont nous disposons nous conduisent à penser que le FSI sélectionne des dossiers selon des critères strictement économiques auxquels nous ne souscrivons pas toujours. Nous traversons une crise sans précédent : ce n’est pas parce que le système bancaire se porte un peu mieux et qu’il s’est refait une santé, souvent sur le dos de ses clients,…

M. René-Pierre Signé. Tout à fait !

M. Martial Bourquin. … et grâce à des aides d’État d’un montant impressionnant, que l’économie dans son ensemble s’est rétablie !

M. Martial Bourquin. Aujourd'hui, hormis dans quelques secteurs, nous pouvons nous attendre à une année 2010 extrêmement difficile. Il faudrait repenser le fonctionnement du FSI et du FMEA dans ce contexte.

Quel est, aujourd'hui, le principal problème des petites et moyennes entreprises ? C’est l’absence de liquidités, car ces sociétés manquent de fonds propres, même quand elles se sont modernisées. Nous devons donc mettre en place un filet de sécurité qui soit le plus serré possible, afin qu’aucune entreprise ne ferme en raison d’un manque de liquidités. Si nous laissons faire le marché, tel qu’il existe aujourd'hui, nous perdrons des PME innovantes et d’une qualité exceptionnelle, qui, parfois, se sont dotées de moyens d’ingénierie de haut niveau pour affronter la concurrence mondiale.

Les banques qui se trouvaient au bord de la faillite voilà un an ont retrouvé des marges de manœuvre confortables. Elles veulent à présent rembourser les aides qu’elles ont reçues, afin de pouvoir accorder de nouveau à certains de leurs cadres des bonus considérables !

Mme Nicole Bricq. En effet !

M. René-Pierre Signé. Et pour se libérer de la tutelle de l’État !

M. Martial Bourquin. Or, dans le même temps, le volume des crédits consentis aux entreprises et aux particuliers s’est réduit d’un quart en 2009. Monsieur le secrétaire d'État, cette situation n’est pas acceptable ! Vous ne pouvez pas la tolérer, car elle nuit à notre tissu économique ! S’en remettre au laisser-faire est inconcevable : nous devons réorienter en profondeur l’action du FSI, pour que ses investissements répondent à des critères pertinents, à savoir la création d’emplois, tout d’abord, la protection de l’environnement, l’aménagement du territoire, le maintien des filières et le développement de l’emploi industriel, l’innovation.

Nous avons approuvé l’attribution d’aides très importantes aux deux grands constructeurs automobiles nationaux. Or nous sentons que deux stratégies s’opposent : voilà quelques jours, nous apprenions que PSA relocalisait à Sochaux des centres d’ingénierie ; de son côté, Renault persévère dans une stratégie de délocalisation. Lors des états généraux de l’automobile, j’ai été surpris que Carlos Gohsn intervienne uniquement pour déplorer le coût de la main-d’œuvre en France… Ce qui compte aujourd'hui, ce qui devrait être notre priorité, c’est que notre économie soit compétitive et fondée sur la connaissance.

Le groupe Trèves a reçu 55 millions d’euros du FSI, or il a des projets de délocalisation en Afrique du Nord. Pour ma part, cela ne me dérange pas dans la mesure où il s’agit de conquérir des marchés dans cette région du monde. Ce qui me gêne davantage, ce qui me semble même insupportable, ce sont des investissements visant à mettre nos salariés en concurrence avec la main-d’œuvre d’autres pays et, à terme, à fermer des unités de production sur notre territoire ! (Mme Nathalie Goulet approuve.)

Nos compatriotes ne supportent plus de telles situations, auxquelles il faut remédier. Dans cette optique, le FSI devrait pouvoir verser des primes à la relocalisation et à l’innovation, afin d’inciter les entreprises à contribuer à la redynamisation de l’industrie française, plutôt que de licencier ou de réduire les standards sociaux en déplaçant leurs activités à quelques centaines de kilomètres de nos frontières.

Aujourd'hui, les élus, les salariés et, plus largement, nos compatriotes sont très attentifs aux politiques publiques. Quand celles-ci sont dotées, de surcroît, de moyens considérables, nous devons faire en sorte qu’elles soient lisibles, transparentes, et surtout que les fonds publics engagés servent à la mise en place d’une politique industrielle digne de notre pays.

Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais que vous nous apportiez des réponses précises, parce que le temps presse. Nous ne voudrions pas que l’année 2010 soit marquée par une nouvelle explosion du chômage, qui atteint déjà des niveaux insupportables. Nous devons conserver ces joyaux que sont nos PME et nos TPE, qui accomplissent des efforts considérables pour être à la hauteur des défis du monde économique actuel, mais qui, aujourd'hui, supportent un poids terrible, notamment à cause de cette absence de liquidités que j’évoquais tout à l'heure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet et M. Jean-Paul Virapoullé applaudissent également.)