M. le président. La parole est à M. le président de la commission dans lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La CNDS a la possibilité de se procurer les enregistrements quand ils existent. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Franchement, madame la sénatrice, la suspicion permanente que vous jetez sur toute la hiérarchie policière est exagérée. Vous donnez l’impression qu’elle se refuse absolument à clarifier les faits quand il y a des incidents !

Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est la réalité !

M. Jean Desessard. C’est le corporatisme !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La CNDS peut obtenir les enregistrements !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Actuellement, nous sommes confrontés à cette réalité !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai qu’il vaut sans doute beaucoup mieux être masqué et tabasser les flics !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Et les deux personnes âgées à Argenteuil ?

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 22 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 4, première phrase

Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :

Cet enregistrement est placé sous scellés. Il est versé au dossier de la procédure.

II. - Alinéa 4, troisième phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. L’article 4 tend à permettre, lorsque les forces de l’ordre ont procédé à l’enregistrement audiovisuel de leurs interventions, le versement de ces enregistrements au dossier de la procédure selon, toutefois, une procédure dérogatoire au droit commun.

La généralisation de l’enregistrement audiovisuel des interventions de police et de gendarmerie est souhaitable. Ces enregistrements apportent des éléments de preuve qui peuvent être utiles pour établir les éléments à charge ou à décharge, ou rendre compte des circonstances d’une interpellation.

Il est paradoxal de permettre le recueil d’éléments de preuve tout en se privant de la possibilité de les utiliser. Ainsi, l’extraction de clichés à partir de ces enregistrements par les enquêteurs dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance pour versement à la procédure serait passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, puisque la consultation aurait lieu hors du cadre légal.

Il faudrait que ces enregistrements relèvent du régime de droit commun applicable aux pièces de procédure.

Enfin, il est pour le moins curieux de prévoir que les impossibilités techniques qui empêcheraient le visionnage des images constitueront une cause de nullité de la procédure. Cette disposition résulte d’une confusion entre règle de procédure et élément de preuve, le défaut de preuve ne conduisant, en droit français, qu’à la relaxe ou l’acquittement et, en aucun cas, à une nullité de procédure, sauf violation de règles procédurales dans le recueil de la preuve.

Nous allons vous proposer une série d’amendements pour rendre à ce dispositif toute son efficacité.

Il ne faut pas limiter le versement au dossier de la procédure de ces enregistrements aux seuls cas de contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention ou lorsqu’il peut être utile pour déterminer la participation aux faits reprochés d’une ou plusieurs personnes mises en cause ou poursuivies.

Notre premier amendement tend à prévoir que le versement de ces enregistrements au dossier de la procédure est de droit afin que l’ensemble des parties puissent y avoir accès. Dans le but d’éviter toute contestation, nous proposons que cet enregistrement soit placé sous scellés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Il ne paraît pas opportun de prévoir le versement systématique des enregistrements audiovisuels réalisés en intervention par les forces de l’ordre, et ce pour deux raisons essentielles. Premièrement, dans la grande majorité des cas, l’intervention ne donne pas lieu à contestation. Deuxièmement, un archivage systématique des données enregistrées risquerait de poser des problèmes, sinon budgétaires, du moins matériels, aux forces de police.

Pour apaiser votre inquiétude, je rappelle que l’article 4 adopté par notre commission, c’est-à-dire rectifié, prévoit un grand nombre d’hypothèses de versement de l’enregistrement à la procédure. Cela peut intervenir sur décision du procureur de la République, sur décision du juge d’instruction, sur décision de la juridiction de jugement et à la demande de toute personne mise en cause à l’occasion de l’intervention, c’est-à-dire soit du prévenu, soit de la partie civile.

L’article 4 me paraît apporter toutes les garanties suffisantes. C’est la raison pour laquelle j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je considère que cet amendement, notamment la mise systématique sous scellés des enregistrements, serait une erreur et qu’il risquerait d’être contre-productif. Il introduirait une lourdeur telle que les greffes pourraient même être dissuadés d’y recourir. Tel n’est pas l’objectif.

Le dispositif actuel présente toutes les garanties. M. le rapporteur en a fait état, je n’y reviendrai donc pas. Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut qu’être défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déclaré que la CNDS ne ferait pas partie du périmètre du Défenseur des droits. Je vous remercie d’avoir apporté cette précision intéressante au Sénat. À ma connaissance, aucun autre membre du Gouvernement n’a fait une telle déclaration. Il me paraît en effet souhaitable de maintenir la spécificité de la CNDS.

Lorsque nous avons débattu de la révision constitutionnelle, j’ai eu l’honneur de demander à cinq reprises à Mme Rachida Dati de bien vouloir nous dire quel serait le périmètre de la nouvelle institution du Défenseur des droits et je me suis heurté à un mutisme total.

Monsieur le président de la commission des lois, les parlementaires sont habilités à saisir la CNDS. Lorsque nous le faisons, du moins est-ce ainsi que je travaille, nous prenons beaucoup de précautions afin d’intervenir à bon escient. Il ne me paraît pas juste de voir a priori de la méfiance ou de la défiance à l’égard de la police dans le fait de solliciter la CNDS ou de souhaiter, par voie d’amendement, qu’elle dispose ou puisse disposer d’enregistrements.

Une telle suspicion ne rendrait pas compte du respect que nous avons pour la police de notre pays. (M. le président de la commission des lois s’exclame.)

Simplement, nous considérons que toute institution, quelle qu’elle soit, doit pouvoir être contrôlée, et la police nationale n’échappe pas à la règle. C’est en l’occurrence le rôle de la CNDS. Il n’y a donc pas lieu de nous faire un procès d’intention à cet égard.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais oui !

M. Jean-Pierre Sueur. En ce qui concerne l’amendement no 5, nous ne sommes pas du tout convaincus par les arguments tant de la commission que du Gouvernement.

En effet, l’alinéa 4 de l’article 4 s’applique dans le cadre prévu par l’alinéa 3 du même article, dont je me permets de vous rappeler les termes : « Si l’intervention a conduit à l’établissement d’une procédure judiciaire ou qu’elle intervient dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire, la réalisation de cet enregistrement est mentionnée dans un procès-verbal, versé au dossier de la procédure ».

L’alinéa 4 prévoit que, dans le cas d’une contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention, l’enregistrement est versé au dossier de la procédure.

Dès lors que l’alinéa 3 s’applique, nous considérons qu’il convient dans tous les cas que l’enregistrement soit versé au dossier de la procédure.

Le fait qu’il soit placé sous scellés constitue une garantie. Un versement systématique au dossier de la procédure est une garantie supplémentaire et majeure du respect du droit. De cette façon, toutes les parties peuvent y accéder, au même titre qu’elles ont accès à l’ensemble des pièces du dossier.

Nous n’avons pas demandé la suppression de cet article. Nous voulons l’améliorer et nous considérons que l’application du droit commun à ces enregistrements constitue une garantie très forte. Je ne vois pas à quel titre on pourrait s’y opposer.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur Sueur, en vous écoutant, j’ai pris conscience que mon intervention sur la CNDS avait été mal comprise. Peut-être ai-je commis un lapsus du fait de l’emploi d’une double négation. En tout état de cause, je constate que mon propos a été mal interprété.

Je tiens donc à dire clairement que la CNDS a bien vocation à être absorbée dans le périmètre du Défenseur des droits.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous nous décevez, c’était la bonne nouvelle de la soirée !

M. Charles Gautier. Nous avions compris l’inverse !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Merci de m’avoir permis d’apporter cette précision. J’avais dit que cet amendement n’était pas opportun, d’où sans doute la double négation.

Le projet de loi organique a déjà été examiné par le Conseil d’État. Je ne vous livre donc pas un scoop. Il devrait être prochainement examiné par le Parlement afin de déterminer les pouvoirs du Défenseur des droits.

Je suis désolé de vous décevoir, monsieur Sueur, mais, par honnêteté intellectuelle, je me devais d’apporter cette précision.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est dommage !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le secrétaire d’État, vous savez la part que le Sénat a prise dans l’élaboration des missions du Défenseur des droits.

Le texte qui a été déposé sur le bureau du Sénat prévoit la suppression de la CNDS, puisque la loi du 6 juin 2000 est abrogée, mais aussi celle du Médiateur, du Défenseur des enfants et de l’article L 221-5 du code de l’action sociale et des familles.

Je me permets toutefois de rappeler que c’est le Parlement qui fait la loi. Certaines institutions vont sans doute disparaître, mais d’autres pourraient subsister,…

M. Jean-Pierre Sueur. Nous allons en reparler !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … qui ne figurent pas sur la liste proposée par le Gouvernement. Cela pourrait arriver !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur Sueur, les citoyens pourront saisir directement le Défenseur des droits sans passer par l’intermédiaire d’un parlementaire, ce qui n’est pas de peu d’intérêt. En outre, les pouvoirs du Défenseur des droits seront plus importants que ceux d’autres institutions, y compris la CNDS.

C’est dans cet esprit que nous avions, nous, au Sénat, travaillé pour étendre les pouvoirs du Médiateur de la République. À l’origine, les citoyens devaient demander à un parlementaire de transmettre leur requête. Mais nous nous sommes aperçus qu’il était préférable d’instituer une saisine directe. Il en sera de même pour le Défenseur des droits.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 28 rectifié bis, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Alinéa 4, après la troisième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Le versement de l'enregistrement au dossier est également de droit, à la demande d'une partie, lorsque l'intervention ayant fait l'objet d'un enregistrement a donné lieu au dépôt d'une plainte et que cet enregistrement est susceptible, selon l'auteur de la plainte, d'apporter la preuve des faits qu'il allègue.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Comme l’a rappelé M. Sueur, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à avoir été saisis par des personnes victimes de violences policières. Je puis vous affirmer, monsieur Hyest, qu’il ne s’agit pas de fantasmes.

Je pourrais citer plusieurs exemples, pris en région parisienne, à Montreuil, au Blanc-Mesnil ou à Argenteuil, mais aussi en Franche-Comté, à Cannes et ailleurs. Des violences policières ont souvent, malheureusement, été à l’origine de situations dramatiques et nombres d’entre elles ont donné lieu à une saisine de la CNDS.

Sans entrer dans un débat de fond, je tiens néanmoins à attirer votre attention sur le phénomène, inquiétant, du classement sans suite des plaintes visant à mettre en cause de tels comportements.

La CNDS, qui travaille très souvent avec nous, a précisément été mise en place pour permettre une meilleure poursuite des manquements aux règles de déontologie de la sécurité. Elle apporte la garantie d’un certain contrôle, nécessaire dans toute République et dans toute démocratie.

Le dispositif qui nous est proposé aujourd’hui pourrait se révéler utile, voire important dans le cadre de ces procédures.

Toutefois, une analyse plus précise de la rédaction de l’article 4 montre que, en réalité, la production des enregistrements dans le cadre d’une plainte pour violence policière sera souvent impossible. Je connais des cas où, en effet, il n’a pas été possible de produire d’enregistrement.

Le versement de cet enregistrement au dossier est de droit lorsqu’il est demandé par la personne à qui il est reproché une infraction. Lorsque c’est un agent qui est soupçonné d’un manquement aux règles de déontologie, il suffit qu’il refuse le versement de l’enregistrement au dossier pour que la victime perde ainsi une chance d’établir la réalité des agissements allégués.

Une des graves lacunes de ce texte tient au caractère unilatéral du dispositif. L’égalité des armes commande qu’une pièce puisse être produite par l’une ou l’autre des parties, sans favoriser l’une par rapport à l’autre, qu’elle soit ou non dépositaire de l’autorité publique.

Si nous sommes soucieux de garantir la transparence dans la conduite des interventions de police, nous devons autoriser l’enregistrement et permettre qu’il soit produit dans le cadre d’une procédure, y compris quand elle est diligentée contre un agent des services de police. C’est à ce prix que la disposition remplira son office.

C’est la raison pour laquelle nous vous proposons que le versement de l’enregistrement soit également de droit lorsque l’intervention qui a donné lieu à l’enregistrement est suivie d’une plainte pour violence policière et que la victime estime, même contre l’avis de l’agent, que l’enregistrement est susceptible d’étayer ses dires.

En refusant cette possibilité, vous ôtez tout intérêt à l’article 4. Pis, vous immunisez certaines pratiques, au risque d’en permettre l’impunité, rare, heureusement, dans le champ de la protection pénale, mais réelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. L’article 4 prévoit qu’en cas de contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention l’enregistrement est versé au dossier de la procédure à la demande du procureur de la République, du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement.

La commission a néanmoins considéré qu’il n’était pas inutile de préciser que l’enregistrement est de droit versé au dossier lorsqu’il est susceptible de permettre à la personne qui porte plainte d’étayer les faits qu’elle avance.

Dans mon esprit, ce n’est pas la marque d’une défiance à l’égard de la police ou des enquêteurs. Si une personne dont la vitrine a été « caillassée » au cours d’une manifestation demande le versement de l’enregistrement au dossier de l’instruction, cela peut faciliter l’identification de l’auteur des faits.

À la demande de la commission, Mme Alima Boumediene-Thiery a accepté de clarifier les termes de son amendement. Dans sa rédaction actuelle, même si l’exposé des motifs demeure inacceptable, cet amendement peut éviter des interprétations inopportunes. La commission y est donc favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Pour une fois, le Gouvernement ne suivra pas l’avis de la commission, bien que je comprenne parfaitement les arguments de M. le rapporteur.

On ne peut pas, comme le fait le groupe socialiste au travers de nombreux amendements, et l’amendement n° 28 rectifié bis est de ceux-là, stigmatiser ainsi constamment le travail de la police, d’autant qu’en l’occurrence la garantie existe, et elle est assurée non seulement par le procureur de la République, mais aussi par le juge d’instruction et par la juridiction de jugement.

Le policier peut, s’il se sent mis en cause, demander le versement de l’enregistrement au dossier. Dès qu’il y a contestation, il y a plainte, et donc intervention d’un magistrat. Le versement de l’enregistrement au dossier est donc possible, avec la garantie d’un juge.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne peut qu’être défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.

M. Laurent Béteille. Les garanties que souhaitent les auteurs de l’amendement existent déjà. Cette disposition serait donc redondante. Par ailleurs, elle apparaît vexatoire. En tout état de cause, elle stigmatise la police.

Je ne voterai donc pas cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 28 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 6, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 4, quatrième phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, nous aurons l’occasion au cours de nos nuits d’insomnie de nous pencher sur vos doubles négations, fâcheuses en l’espèce, même si vous y avez trouvé une explication, au reste quelque peu confuse, pour justifier votre précédente déclaration.

Mais, monsieur le président de la commission, nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet en temps utile. Sachez d’ores et déjà que je ne suis pas favorable à l’absorption de la CNDS par le Défenseur des droits.

Que la saisine passe par le filtre des parlementaires me semble constituer plutôt une garantie. En effet, nous avons tous à cœur d’analyser de manière très approfondie les dossiers qui nous sont présentés avant de saisir la CNDS.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous accusez d’être des donneurs de leçons. Je vous prie de ne pas nous faire de procès d’intention. Vous avez vu dans nos amendements une stigmatisation de la police. Au nom du groupe socialiste, je récuse avec la dernière énergie cette accusation !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Regardez vos amendements !

M. Jean-Pierre Sueur. Je connais de nombreux fonctionnaires de police qui font preuve d’un grand dévouement et d’un remarquable professionnalisme. Nul ne peut nous faire dire le contraire !

Certes, il arrive, comme dans toutes, absolument toutes les professions, qu’il y ait des dérives, des bavures, des fautes. La CNDS existe justement pour les traiter. Les tribunaux ont également leur rôle à jouer. Mais on ne peut pas nous accuser de stigmatiser la police au prétexte que l’une de nos collègues a déposé un amendement permettant de donner un moyen d’agir supplémentaire à la CNDS, avec l’accord de M. le rapporteur.

Vous nous reprochez de donner des leçons, soit, mais il n’y a pas de raison de vous laisser insinuer, monsieur le secrétaire d’État, que nous stigmatisons et fustigeons les fonctionnaires de la police nationale, envers lesquels nous manifestons au contraire le plus grand respect. Je tiens à le dire hautement dans cette enceinte !

L’amendement n°6 est parfaitement cohérent, monsieur le président, avec l’amendement précédemment défendu par Charles Gautier. L'article 4 prévoit que les huit derniers alinéas de l'article 114 du code de procédure pénale ne sont pas applicables s'agissant des enregistrements. Ces alinéas prévoient qu'après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et des actes du dossier.

Nous proposons, par notre deuxième amendement, de supprimer cette restriction afin de faire rentrer ces enregistrements dans le droit commun. Cette logique est, à nos yeux, imparable sur le plan de l’équité et du droit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Les huit derniers alinéas de l’article 114 du code de procédure pénale sont relatifs aux copies des pièces de procédure qui peuvent être délivrées aux avocats des parties tout au long de l’instruction. Il ne paraît pas opportun de permettre que les enregistrements des interventions des forces de l’ordre puissent faire l’objet de copies susceptibles d’êtres diffusées.

L’article 4 prévoit d’ailleurs que la transmission d’un enregistrement réalisé dans de telles conditions est punissable d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. En revanche, et c’est là, me semble-t-il, que vous faites une confusion, l’enregistrement peut parfaitement être consulté selon les modalités fixées par le juge d’instruction, comme le sont toutes les pièces du dossier.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet le même avis que la commission

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 24, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Alinéa 4, dernière phrase

Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :

« Lorsqu'une partie demande la consultation de l'enregistrement, cette demande est formée par écrit dans les conditions mentionnées au dixième alinéa de l'article 81 et le juge d'instruction dispose d'un délai de 5 jours ouvrables à compter de la réception de la demande pour s'opposer à la consultation de l'enregistrement par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts, ou toute autre personne concourant à la procédure. Cette décision peut être déférée, dans les deux jours de sa notification, au président de la chambre d'instruction qui statue dans un délai de 5 jours ouvrables par une décision écrite et motivée, non susceptible de recours ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cet amendement concerne précisément la procédure prévue par l’article 4 pour le traitement de la demande de consultation de l'enregistrement formulée devant un juge d'instruction.

La procédure prévue est celle qui est mentionnée à l'article 82-1 du code de procédure pénale, selon laquelle les parties peuvent saisir le juge d'instruction afin que soit ordonnée la production, par l'une d'entre elles, d'une pièce utile à l'information.

D’un point de vue matériel, nous proposons une procédure semblable, à un détail près. En effet, l'article 82-1 du code de procédure pénale permet au juge d'instruction de s'opposer à cette demande, par décision motivée, dans un délai d'un mois. Mais rien n'est prévu en cas de refus !

Afin de prévenir les lenteurs inhérentes à de telles décisions, et surtout d’éviter l’absence de contrôle des refus, nous vous proposons une procédure différente de celle, rudimentaire, qui est prévue par l'article 82-1 du code de procédure pénale.

Le juge d'instruction, saisi d’une telle demande, ne pourrait ainsi refuser la consultation de l'enregistrement que dans un nombre de cas précis, notamment s’il existe des risques de pression à l'égard de la victime, des personnes mises en examen, de l'avocat, des témoins, ou des personnes participant à la procédure pénale.

Conformément au droit commun, l'ordonnance refusant la consultation devrait être spécialement motivée et être rendue dans un délai de cinq jours ouvrables. Le demandeur disposerait alors d’un délai de deux jours à partir de la notification de refus pour déférer cette décision au président de la chambre de l'instruction, qui devrait alors statuer dans les cinq jours.

Cette procédure est plus à même de respecter les droits de la défense que celle qui est prévue par l'article 4 de la proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois du Sénat. Elle instaure en effet des délais plus courts, des conditions plus strictes pour le refus d'une consultation, et, surtout, un droit d'appel contre la décision de refus du juge d'instruction.

Ce sont là des principes élémentaires dans un procès équitable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. J’avoue ne pas bien comprendre la difficulté procédurale que vous évoquez. En effet, votre amendement tente d’instaurer une procédure spéciale pour la consultation des enregistrements réalisés par les forces de l’ordre.

Cette solution serait source de complications inutiles, puisque l’article 82-1 du code de procédure pénale permet d’ores et déjà à une partie de demander au juge d’instruction la consultation de l’enregistrement. Si le juge n’entend ne pas faire droit à cette demande, il rend une ordonnance motivée qui peut être déférée devant le président de la chambre de l’instruction. Il est de plus possible, si le juge d’instruction ne statue pas dans un délai d’un mois, de saisir directement le président de la chambre de l’instruction.

L’amendement que vous proposez n’apporte rien et reprend une procédure existante.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis identique à celui de la commission.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 23, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Alinéa 4

I. - Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Lorsque la juridiction de jugement a été saisie, toute personne ayant la qualité de prévenu ou d'accusé est en droit d'obtenir la délivrance, à ses frais, le cas échéant par l'intermédiaire de son avocat, de la copie de l'enregistrement audiovisuel soumis à la juridiction de jugement devant laquelle elle est appelée à comparaître.

II. - En conséquence, à la première phrase

Remplacer les mots :

, du juge d'instruction ou de la juridiction de jugement

par les mots :

ou du juge d'instruction

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à introduire une distinction dans la procédure prévue pour la consultation des enregistrements.

En effet, l'article 4 ne fait pas de différence entre une consultation au stade de l'instruction et une consultation demandée devant la juridiction de jugement. Cette distinction se justifie pourtant pour plusieurs raisons. Ainsi, les principes du secret de l'enquête et de l'instruction ne sont pas applicables devant la juridiction de jugement. Cette distinction, élémentaire, conduit naturellement à considérer la procédure de consultation selon son état d'avancement.

Cette exigence est issue, rappelons-le, non seulement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, relative à l'article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais également de la position de la Cour de cassation.

Nous vous proposons donc de dissocier les fonctions de poursuite et de jugement, en conférant, devant la juridiction de jugement, un droit à obtenir une copie numérique de l'enregistrement, sans restriction autre que celle tirée de la volonté du prévenu ou de l'accusé.