M. le président. La parole est à M. Marc Massion.

M. Marc Massion. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, ces dernières années, nous avons été contraints, bon gré mal gré, d’examiner des projets de loi de finances fondés sur des taux de croissance erronés qui, de surcroît, risquaient d’être détricotés par des collectifs parfois intempestifs.

Mais aujourd’hui, comment ne pas être stupéfait – et le mot n’est pas trop fort !– par le texte que vous nous présentez. Nicole Bricq l’a qualifié, à juste titre, de projet de budget « virtuel ».

En effet, après une année entière de récession économique, que penser de ce projet de budget pour 2010, agglomérat d’improvisations successives ? Comment ne pas s’inquiéter de tous ces chantiers ouverts un peu partout, sans cohérence d’ensemble ni certitude d’achèvement par un « hyperprésident » ?

De fait, dans l’impréparation la plus totale et sans concertation, le Président de la République annonce tour à tour la suppression de la taxe professionnelle au début de l’année, l’instauration de la taxe carbone et le choix d’un grand emprunt. Puis, il précise le montant de la taxe carbone en ignorant les rapports et avis d’experts sur le sujet pour, enfin, s’apprêter à arbitrer le montant du grand emprunt national !

Ce dernier doit d’ailleurs interroger les parlementaires que nous sommes sur le sens de notre débat budgétaire. Nous examinerons, dans quelques mois, voire dans quelques semaines, un collectif destiné à financer des dépenses d’investissement qui devraient tout naturellement figurer dans un projet de loi de finances digne de ce nom. Ce sera, autrement dit, un budget bis.

Le semblant de cacophonie qui règne actuellement dans la majorité parlementaire est chargé de donner corps, d’orchestrer – pour ne pas dire bricoler – ces annonces présidentielles dans la plus grande précipitation et la plus décevante docilité.

Plusieurs de mes amis reviendront dans leur intervention sur l’article 2 et l’article 5 du projet de budget qui font tant polémique, et à raison.

Pour ma part, je voudrais aborder deux points en particulier : la dérive des comptes publics et le maintien, que je qualifierai d’insensé, du bouclier fiscal.

Mois après mois, le déficit du budget de l’État ne cesse de se creuser. Au 30 septembre 2009, les recettes du budget général de l’État ont atteint 169,7 milliards d’euros, contre 221,6 milliards d’euros un an plus tôt. Les recettes fiscales nettes ont connu une « baisse marquée » de 47,9 milliards d’euros sur un an pour atteindre 156,8 milliards d’euros. Les dépenses totales de l’État ont, en revanche, augmenté, passant de 255,9 milliards d’euros au 30 septembre 2008 à 263,9 milliards d’euros au 30 septembre 2009.

En septembre 2009, la dette de l’État a ainsi atteint 125,8 milliards d’euros, contre 56,6 milliards d’euros à la même date en 2008 : elle a donc doublé en un an.

Les comptes publics sont à la dérive ! Ailleurs, et dans d’autres circonstances, on appelle cela « le vertige des profondeurs ».

Mes chers collègues, je vais vous demander de faire, pour un instant, un effort d’imagination. Imaginons qu’un gouvernement de gauche vienne devant vous avec un tel projet de budget, avec un tel projet de déficit.

Mme Marie-France Beaufils. Mais non ! Cela ne peut pas arriver !

M. François Marc. Oui, faites cet effort d’imagination !

M. Marc Massion. Monsieur le président de la commission des finances et monsieur le rapporteur général, vous seriez certainement des censeurs impitoyables, prompts à nous donner des leçons au nom même de cette rigueur que vous évoquiez ce matin !

La différence, c’est qu’avec un gouvernement de gauche vous resteriez opposants jusqu’à la fin du débat, alors que vous allez finalement voter ce projet de budget malgré toutes les réserves que vous avez évoquées ce matin.

M. François Marc. C’est la vérité !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. M’autorisez-vous à vous interrompre, mon cher collègue ?

M. Marc Massion. Certainement, monsieur le rapporteur général.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, avec l’autorisation de l’orateur.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je voulais simplement vous rappeler qu’il est certainement beaucoup plus facile, vis-à-vis de problèmes aussi complexes, d’être dans l’opposition que dans la majorité !

Mme Nicole Bricq. On compatit !

M. Roland du Luart. Il n’y a pas d’autre politique possible !

M. le président. Veuillez poursuivre monsieur Massion !

M. Marc Massion. Monsieur le rapporteur général, je vous ai connu dans l’opposition entre 1997 et 2002 : vous n’étiez pas tendre à l’endroit de budgets qui avaient pourtant une autre allure que celui-là !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. J’en ai bien profité ! (Sourires.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous avons un peu de nostalgie ! (Nouveaux sourires.)

M. Marc Massion. C’est la première fois qu’en temps de paix le déficit de l’État atteint la moitié des dépenses du budget général. En juin dernier, le Premier président de la Cour des comptes nous avait avertis qu’à ce niveau de déficit la dette publique deviendrait « incontrôlable ».

Mme Nicole Bricq. Elle l’est !

M. Marc Massion. Et que dire des remontrances répétées de la Commission européenne, gendarme budgétaire de l’Union européenne ? Elle nous a demandé, la semaine dernière, de ramener, d’ici à 2013, notre déficit public dans la limite de 3 % du PIB, faisant fi des réserves du Gouvernement qui demandait à bénéficier d’une année supplémentaire.

Les ministères des finances et du budget, embarrassés, expliquent ce dérapage incontrôlé par « le poids de la conjoncture économique sur l’évolution des recettes et, à hauteur de 29,9 milliards d’euros, par l’effet des mesures du plan de relance ».

Mais les orientations dangereuses de la politique fiscale du Gouvernement ont toute leur responsabilité dans l’aggravation du déficit public.

Mme Nicole Bricq. Bien sûr !

M. Marc Massion. Madame la ministre, monsieur le ministre, vous aimez comparer la France aux pays étrangers, notamment européens. Je ne suis pas certain que cette chamaillerie officielle entre nos pays de l’Union européenne donne une bonne image de l’Europe à l’extérieur, en particulier vis-à-vis des deux grands, que l’insuffisance du vieux continent va bientôt laisser face à face, je veux parler des États-Unis et de la Chine.

Mais, puisque vous voulez comparer, soit ! En 2009, malgré une récession deux fois plus forte que chez nous, due à son ouverture internationale, l’Allemagne affiche un déficit de 3,7 %, quand le nôtre dépasse les 8 %.

La France est, d’ailleurs, avec la Grèce, la seule nation européenne à ne pas avoir réduit son déficit public pendant le cycle de croissance qui a précédé la récession.

Dans ce contexte de dégradation des comptes publics, comment ne pas dénoncer le maintien irresponsable de cadeaux fiscaux en direction des plus riches ?

Ils représentent non seulement une confiscation de recettes, mais aussi une injustice flagrante condamnable.

Depuis 2002, la majorité n’a eu de cesse d’imaginer des cadeaux fiscaux, pour l’essentiel en faveur des plus fortunés de nos concitoyens : chaque année, 20 milliards d’euros sur 30 milliards sont fléchés pour les plus favorisés.

La combinaison du bouclier fiscal et des niches fiscales conduit à des injustices choquantes.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est exact !

M. Marc Massion. Ainsi, il a été calculé qu’un contribuable possédant 15 millions d’euros de patrimoine peut déclarer 1 000 euros de revenus, ce qui l’exonère totalement d’impôt sur le revenu.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ne critiquez pas l’exonération des œuvres d’art !

M. Marc Massion. Rappelons également que les sommes remboursées en 2008 par l’État au titre du bouclier fiscal s’élèvent à 458 millions d’euros.

Dans un contexte de crise économique, pourquoi continuer de dispenser les plus riches d’un effort de solidarité?

Certains annoncent que la crise est derrière nous. La crise financière peut-être, mais certainement pas la crise économique, sans parler de la crise sociale !

L’INSEE, la semaine derrière, énumérait les conséquences sociales de la crise : près de 400 000 emplois détruits depuis 2008, forte hausse du chômage de masse et ralentissement des salaires.

La France compte plus de 8 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Vous le savez, les associations caritatives n’arrivent plus à soulager toute la misère qui gagne du terrain mois après mois.

La justice fiscale consisterait à répartir la charge selon la capacité contributive de chacun et, donc, à supprimer le bouclier fiscal, qui limite l’impôt à 50 % des revenus d’un contribuable.

Dans la presse, on lit que le bouclier fiscal est « le marqueur idéologique du sarkozysme », mais le marqueur de quoi, au fond ? D’une politique rétrograde de classe qui ne dit pas son nom, qui surtaxe les plus défavorisés et met à l’abri les plus fortunés.

C’est l’emblème de l’aveuglement de la droite qui ne voit pas la colère des plus modestes monter et qui demande aux plus faibles de contribuer, proportionnellement, le plus : hausse du forfait hospitalier, déremboursement des médicaments, hausse des cotisations mutuelles, augmentation de la redevance audiovisuelle, fiscalisation au premier euro des indemnités de départ à la retraite volontaire, fiscalisation des indemnités d’accident du travail, diminution du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, de la portée du prêt à taux zéro, stagnation du smic et des salaires !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Les bons d’un côté, les méchants de l’autre ! Et, bien entendu, nous sommes les méchants et vous, les bons !

Mme Nicole Bricq. On n’est pas mal !

M. Marc Massion. On voit bien que vous cherchez à gratter les euros un peu partout ! Vous avez encore des marges de manœuvre.

L’autre jour, j’écoutais le président de la République énumérer les critères à remplir pour être français. J’ai compris que pour être français, quand on est chômeur, il faut chercher du travail. Mais il y aurait un autre critère à retenir : pour être français, il faut payer ses impôts en France ! Évidemment, cela touche les amis de M. Sarkozy !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cela touche aussi certains de vos amis ! Personne n’a le monopole !

M. Éric Woerth, ministre. On peut être français et ne pas payer ses impôts en France !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il y a certainement des délocalisés fiscaux de gauche ! On doit pouvoir en trouver !

M. Marc Massion. De son côté, Mme la ministre de l’économie, plaidant le maintien du dispositif, parle d’un « contrat de confiance passé entre la majorité et les Français » !

Mais, pour passer un contrat, madame la ministre, il faut être deux parties consentantes et le plus grand nombre des Français ne percevront aucun chèque de remboursement de trop-perçu de leurs impôts !

Le Gouvernement encourage une économie de rente, de spéculation, persiste et signe. Lors de l’examen de la partie recettes du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, il a rejeté l’amendement préconisant la sortie de la CSG et de la CRDS de l’assiette du bouclier.

Enfin, l’argument selon lequel le bouclier permettrait de lutter contre l’évasion fiscale est péremptoire. En effet, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, présenté début mars, révèle que l’évasion fiscale a des conséquences marginales, comparées au coût du bouclier fiscal. Ce dernier n’a-t-il pas coûté 250 millions d’euros en 2007 pour éviter une évasion fiscale qui s’élève à 17 millions d’euros ?

Le rapport précité établit donc très clairement que le coût du bouclier fiscal est complètement disproportionné par rapport aux pertes engendrées par l’évasion fiscale et la Cour des comptes le confirme !

Aussi, madame le ministre, monsieur le ministre, mes collègues du groupe socialiste et moi-même, pour toutes les raisons que je viens d’exposer devant vous, vous demandons solennellement d’abroger un dispositif inique et indéfendable au profit d’un budget qui réponde mieux aux exigences de nos compatriotes  (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont rappelé plusieurs de mes collègues, l’examen du budget est un acte politique, car son vote confirme l’adhésion à l’action du Gouvernement lors de l’année écoulée et aux orientations qu’il a définies pour le futur.

Si je tiens à exprimer à cette tribune notre adhésion à l’action du Gouvernement lors de cette année de crise, je souhaite également faire part d’un certain nombre de divergences qui, loin de participer à la cacophonie, concernent les moyens mis en place pour sortir de la crise et préparer l’avenir, tout en garantissant l’unité d’action du Gouvernement et de la majorité dont je fais partie.

Quel est l’état de la France à l’aube de cette année budgétaire ?

Notre pays, au cours de cette année, a tout d’abord retrouvé une dimension sur la scène internationale et participé à l’éclosion du nouvel organisme que constitue le G20. L’action menée par le Gouvernement à ce titre – et vous y avez pris votre part, madame, monsieur le ministre ! – a été bénéfique.

Quelle est la situation particulière de la France au sein du G20 ?

Première constatation : parmi ces vingt économies les plus importantes de la planète, la France est la nation dont les prélèvements obligatoires sont les plus élevés, en dépit de la baisse conjoncturelle liée au manque de recettes, une baisse qui s’est d’ailleurs produite dans tous les pays, de façon parfois plus marquée. Cette situation empêche le gouvernement en place, quel qu’il soit, de résoudre les problèmes budgétaires.

Deuxième constatation : La France est la nation où la dépense publique est la plus élevée, soit près de 50 % du PIB. Je rappelle, à titre de comparaison, que la dépense publique ne représente, en République populaire de Chine, que 30 % du PIB. C’est une réalité !

Troisième constatation : parmi toutes les nations du G20, notre pays connaît le taux d’emploi public le plus élevé, soit 22 % de la population active.

Quatrième constatation : c’est en France que la redistribution de la richesse est la plus forte.

L’économie française est la moins libérale de la planète. C’est, là encore, une réalité. J’entends parler, ici ou là, de libéralisme, voire d’ultralibéralisme ; c’est un leurre ! Notre économie est, au contraire, extrêmement dirigiste. Cela explique en partie l’amortissement de la crise. Vous parliez d’une baisse de moins de 2 % du PIB ; or notre PIB fait partie, pour moitié, de ce que les économistes appellent « l’économie protégée ».

M. le rapporteur général de la commission des finances a évoqué la séparation entre la sphère réelle de l’économie et la sphère financière. J’aurais tendance à dire que notre économie est séparée, en fait, entre la sphère protégée et la sphère réelle. Structurellement, le projet de budget qui nous est proposé ne répond pas tout à fait aux interrogations que pose cette définition de l’économie française.

Vous avez tenu bon sur un certain nombre de principes et vous êtes, pour cela, assurés du vif soutien d’une partie des Français qui, comme moi, pensent qu’il est essentiel de maintenir le cap sur les prélèvements obligatoires. Ce cap doit être orienté vers la baisse, c’est-à-dire le maintien du bouclier fiscal et de vos engagements concernant les baisses d’impôts. J’aurais préféré une baisse plus importante, mais je dois reconnaître que vous maintenez le cap dans des circonstances difficiles, en diminuant les effectifs de la fonction publique, en réformant la taxe professionnelle, en maintenant le bouclier fiscal et en assurant un pilotage maîtrisé de la consommation. Vous vous êtes en effet efforcée tout au long de l’année, madame la ministre, de piloter avec une grande finesse entre le maintien et la suppression de l’impôt forfaitaire sur les sociétés.

Nous avons eu deux succès, deux bonnes surprises.

Le premier succès est la réussite des mesures en faveur de la micro-entreprise et des auto-entrepreneurs : 500 000 demandes de création d’entreprises ont été déposées, ce qui prouve que les mesures libérales fonctionnent.

Le deuxième succès concerne le crédit d’impôt, ce qui prouve que les réflexes de libéralisme fonctionnent !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est certain ! Quand on distribue du fric, les gens sont contents !

M. Philippe Dominati. J’ai assisté à l’inauguration du centre technologique européen de Microsoft, à Paris. Or je me souviens qu’il y a deux ans nous étions en compétition pour la création de ce centre de recherche avec l’Angleterre et l’Allemagne. C’est grâce à la fiscalité avantageuse que vous avez proposée que nous avons été choisis par Microsoft et que 1 700 emplois ont été créés.

Le prix à payer pour la France, c’est un déficit budgétaire historique, dont on ne peut que souligner, à l’instar de nombreux orateurs, le caractère « hors norme ». La seule année 2009 représente pratiquement quatre années de déficit budgétaire, ce qui démontre que la sphère publique a bien du mal à anticiper les difficultés et qu’elle n’a pas la réactivité nécessaire à l’économie réelle.

L’an dernier, lors de l’examen du projet de budget, nous débattions du montant du déficit, que nous estimions, à 5 milliards d’euros près, entre 65 milliards et 74 milliards d’euros. Or, cette année, le déficit risque plutôt de se situer aux alentours de 130 milliards à 140 milliards d’euros. Nous ne connaissons pas exactement ce montant car, toutes les huit semaines, les chiffres annoncés étaient contredits par la sphère de l’économie réelle.

Le Président de la République a eu raison de dire, en annonçant le grand emprunt à Versailles, qu’il fallait rétablir la confiance. Vous êtes partagés entre le rétablissement de la confiance, qui est une nécessité, et l’économie réelle, qui répond aux lois du marché et du libéralisme.

Ce qui valait avant l’été ne vaut plus aujourd’hui. À cette époque, les banques empruntaient et vous leur apportiez votre caution. Elles ont toutes remboursé leur dette aujourd’hui, comme l’a rappelé M. le rapporteur général de la commission des finances. Voilà toute la différence entre la sphère protégée et la sphère de l’économie réelle !

Le dimensionnement du déficit budgétaire nous réserve peut-être une bonne surprise. Si la croissance revient plus vite que prévu, les 116 milliards d’euros ne seront pas atteints, et ce qui s’est produit cette année se produira peut-être en sens inverse... (M. Gérard Longuet opine.) Mais ce redressement sera dû à l’économie réelle, et non à la maîtrise prévisionnelle, trop imparfaite, du budget de l'État.

Dès lors que les recettes ne peuvent être actionnées...

Mme Nicole Bricq. Pourquoi ?

M. Philippe Dominati. M. le rapporteur général de la commission des finances nous a indiqué que, sur le plan technique, il fallait s’attendre à une baisse pérenne des recettes ; c’est évident !

Au moment où le déficit budgétaire est historique, le recours à l’emprunt est contestable. Le dimensionnement du grand emprunt a d’ailleurs posé des difficultés ; heureusement, vous y avez mis bon ordre !  Pour le membre de la majorité que je suis, 100 milliards d’euros pour le grand emprunt, c’est inimaginable ; ce dimensionnement était donc nécessaire.

Je ne suis pas favorable à ce grand emprunt et j’estime, compte tenu de la conjoncture, qu’il pourrait être reporté. Mais s’il faut y recourir, alors il est essentiel que l’argent public ainsi recueilli soit utilisé à bon escient.

Un dernier moyen a été évoqué par de nombreux orateurs : le dimensionnement et la maîtrise de la dépense publique. En réalité, personne ne peut y parvenir, et vous n’y parviendrez pas.

Mme Nicole Bricq. Évidemment !

M. Philippe Dominati. Certes, vous avez eu le mérite d’essayer d’arracher « au couteau » des économies sur les dépenses publiques. Mais il manque à ce projet de loi de finances une vision libérale, car il n’est nulle part question de revoir le périmètre de l’appareil d’État. C’est pourtant ce que font les pays dont l’économie a redémarré. Même la Chine a redimensionné le périmètre de son appareil d’État ! Or vous n’abordez pas cette question, qui est l’une des solutions du retour à l’équilibre budgétaire.

La méthode que vous proposez, c’est-à-dire la relance par l’investissement public, ne permettra pas de faire repartir la croissance dans la durée. Je suis convaincu, pour ma part, que la méthode keynésienne n’est ni moderne ni adaptée à l’économie française.

C’est en cela que ce projet de budget me gêne. En favorisant la sphère protégée par l’investissement public, vous pénalisez l’économie réelle, qui ne bénéficie nullement de cette masse financière. Quelles que soient les solutions proposées par certains de nos collègues, cette méthode est vouée à l’échec. La dépense de l’investissement ne permettra pas de retrouver une croissance forte.

Encore une fois, d’autres pays agissent différemment. En Allemagne, Angela Merkel a proposé, dans son programme, au lieu d’une dépense par l’investissement public, un allégement supplémentaire des prélèvements obligatoires. Pour prendre cette décision, il a fallu qu’elle soit débordée par le parti libéral, qui lui a imposé le dimensionnement suivant : 24 milliards d’euros de baisse supplémentaire des prélèvements obligatoires. Cette méthode permettra sans doute à l’Allemagne de retrouver la croissance. Les premiers indices sont d’ailleurs apparus cette semaine : la presse financière a indiqué que la reprise risquait d’être plus forte à l’extérieur de notre pays.

Lorsqu’on heurte un obstacle à la vitesse de 60 kilomètres à l’heure, les dégâts sont moins importants qu’à 120, mais l’on repart beaucoup moins vite. Pour l’amortissement de la crise, c’est un peu la même chose. Vous ne retrouverez la croissance qu’en changeant de cap. L’exemple allemand, le dimensionnement et le périmètre de l’appareil l’État sont autant de réalités dont il faut tenir compte.

Je souhaite, en conclusion, m’adresser à mes amis gaullistes. Le général de Gaulle, lors de l’avènement de la Vème République, a voulu, comme il le disait si bien, sortir la république du « chemin des catastrophes », qui était, à ses yeux, l’absence d’équilibre financier. Sa première priorité a donc été de rétablir celui-ci, car il n’y a pas d’État fort sans équilibre financier. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la mission « Outre-mer » suscitant, comme vous le savez, un intérêt relatif, pour ne pas dire restreint, il est bon que je dispose de ces quelques minutes, lors de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2010, pour vous sensibiliser sur les questions ultramarines.

L’effort financier de l’État pour les outre-mer, tel qu’il est présenté dans le document de politique transversale, le DPT, s’élèvera pour l’exercice 2010 à 17,1 milliards d’euros. Or, sur ce montant, seuls 2,1 milliards seront gérés par la mission « Outre-mer », ce qui signifie que plus de 80 % des crédits de l’État destinés aux outre-mer seront gérés en interne par d’autres ministères, plus précisément au travers de 88 programmes relevant de 27 missions. Cela entraîne une lisibilité moindre des politiques publiques destinées aux outre-mer, d’autant plus que ces ministères ne semblent en mesure ni d’identifier précisément les crédits ni de mettre en place une politique spécifique pour les outre-mer.

La récente mission sénatoriale en a fait l’amer constat dans son rapport de juillet 2009 intitulé « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir », et a proposé, à cet effet, que chaque ministère technique abrite un véritable « pôle outre-mer », qui serait le correspondant, au niveau technique, des services de l’administration centrale chargée des outre-mer.

Cette absence de définition précise des politiques publiques de l’État nuit également au travail des parlementaires, qui ne sont pas véritablement en mesure d’autoriser la mise en œuvre de la totalité des crédits des outre-mer. En effet, les crédits que l’État accorde aux outre-mer sont séparés en deux unités : la mission « Outre-mer », qui est une unité de vote, et les programmes, qui sont des unités de spécialité et de gestion. Cela met en évidence une dissociation contre-nature au regard de la logique de la loi organique relative aux lois de finances. En effet, la mission « Outre-mer » ne peut réellement devenir interministérielle qu’au prix d’une forte rationalisation des politiques de l’État. Si la récente nomination d’un ministre chargé de l’outre-mer, au lieu d’un secrétaire d’État, peut aller dans ce sens, son rattachement au ministère de l’intérieur, qui demeure, me laisse perplexe.

La mission sénatoriale a d’ailleurs été très ferme sur ce point, en considérant que seul le rattachement direct de cette administration auprès du Premier ministre lui permettrait d’assurer un rôle interministériel déterminant.

Elle a estimé que le rattachement actuel n’était pas adapté, expliquant que « culturellement, il est incontestable que la gestion des collectivités locales par la “place Beauvau” –  et plus particulièrement par la direction générale des collectivités locales (DGCL), gardienne du droit commun et peu encline à envisager des adaptations locales – et celle effectuée par la “rue Oudinot”, habituée à “ciseler” des statuts épousant les particularismes locaux, sont très différentes, voire difficilement conciliables ».

Et d’ajouter que la mission « Outre-mer », rattachée directement au Premier ministre, permettrait de préparer et de suivre plus efficacement la mise en œuvre des mesures décidées au sein du Conseil interministériel de l’outre-mer.

Il est vrai que, pour mettre en place dans les outre-mer le développement endogène sur lequel insiste le chef de l’État et qu’il présente comme l’unique sortie à la crise permanente consubstantielle aux outre-mer, il faut non seulement une nouvelle gouvernance locale plus adaptée aux réalités, ce que le chef de l’État semble appeler de tous ses vœux, mais également et surtout une administration d’État en mesure d’instaurer une réelle efficacité de ses services à l’égard des outre-mer.

Actuellement, pour se donner bonne conscience, on se contente de brandir les chiffres mettant en évidence le coût des outre-mer et, corrélativement, l’apport significatif de l’État. Mais quid des objectifs ? Quid des évaluations ? Quid des résultats ? La seule certitude est que nous nous trouvons face à un constat d’échec, un constat d’enlisement, qui se définit, notamment, par un retard de développement économique important et par un taux de chômage réel très supérieur à celui de la métropole : le niveau de chômage reste, dans les DOM, près de trois fois supérieur à la moyenne nationale, mais aussi à la moyenne des régions d’Europe.

C’est un chômage qui touche en premier lieu les jeunes puisque plus de 50 % d’entre eux sont au chômage.

Ce phénomène est d’autant plus alarmant que la population ultramarine est particulièrement jeune. Dans les DOM, les jeunes représentent 34 % de la population contre 25 % dans l’hexagone !

Ce constat d’enlisement se caractérise également par une hétérogénéité importante des résultats scolaires et par des perspectives d’insertion dans le monde professionnel extrêmement réduites.

Il se caractérise, enfin, par une aggravation des risques environnementaux, notamment en termes de pollution et de développement urbain.

Si l’on n’y prend garde, cette situation s’avérera vite apocalyptique, d’autant que les perspectives démographiques laissent penser que les défis de gestion publique iront croissant à court et à moyen termes.

En effet, la population française concernée, celle des outre-mer, représente plus de 2,7 millions d’habitants. Or, si la population française a progressé de 50 % entre la fin des années quarante et aujourd’hui, celle des outre-mer a plus que triplé.

Plus que d’annonces, nous avons besoin de mesures réelles qui trouvent leur assise dans les documents budgétaires et dont l’application ne sera pas entravée pour une raison quelconque, comme c’est le cas de la loi pour le développement économique de l’outre-mer, la LODEOM.

Ce texte, voté depuis mai dernier, avait pour mission de répondre à la crise qui secouait les outre-mer en prévoyant des moyens financiers supplémentaires. Les décrets d’application ne sont toujours pas publiés et les dispositions contenues dans la loi ne sont, par conséquent, toujours pas applicables.

Pour ces raisons, nous attendions des signes forts dans le projet de loi de finances pour 2010. Or nous n’y trouvons rien d’exceptionnel.

Les chiffres pour les outre-mer sont quasiment identiques et ne connaissent aucune variation notable, exception faite des compensations aux organismes de sécurité sociale qui consomment, tout de même, près de 60 % du budget de la mission « Outre-mer ».

Tout au contraire, certaines mesures du projet de loi de finances pour 2010 aggraveront les difficultés des collectivités d’outre-mer. Celles-ci, qui connaissent déjà une situation difficile en raison de la faiblesse de leurs ressources fiscales, vont subir de plein fouet la suppression de la taxe professionnelle.

Il avait déjà été souligné lors de la LODEOM que les importantes exonérations de fiscalité directe locale prévues par la loi réduiraient d’autant l’effet de levier fiscal que cet impôt constitue pour les collectivités locales.

En effet, les zones franches d’activités, les ZFA, mises en place par la LODEOM s’accompagnent d’exonérations substantielles de taxe professionnelle. Ces pertes de recettes seront compensées par l’État, mais sur la base des taux votés l’année précédant l’entrée en vigueur des exonérations.

Par conséquent, une hausse des taux de fiscalité locale se traduira par une moindre hausse des recettes. À terme, le risque est d’avoir à augmenter les taux des autres impôts locaux pour pallier le manque à gagner résultant de la compensation par l’État des exonérations fiscales.

Je tiens à rappeler que le montant de la taxe professionnelle recouvré dans les seuls DOM en 2007 s’est élevé à 518 millions d’euros.

L’application de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, sur les déchets, en dépit de nombreuses interventions pour que cette dernière soit différée et revue à la baisse portera, elle aussi, un grand coup aux finances des collectivités locales.

Le projet de loi de finances pour 2010 accroîtra également les difficultés quotidiennes des ultramarins en raison des conséquences négatives qu’il aura sur le maintien du pouvoir d’achat.

Je pense, notamment, à l’augmentation du prix de l’essence via, entre autres, l’institution de la taxe carbone.

Je pense également au report maintenu de l’application du revenu de solidarité active, le RSA, en 2011, et donc au maintien du revenu supplémentaire temporaire d’activité, le RSTA, dispositif moins favorable aux populations ultramarines et moins avantageux dans la grande majorité des cas que le RSA.

Je pense, enfin, cerise sur le gâteau, à l’imputation des sommes perçues au titre du RSTA sur le montant de la prime pour l’emploi, la PPE, prévue à l’article 11 du projet de loi de finances pour 2010 !

Imputer le RSTA, qui est un complément de revenu, sur la PPE pénaliserait encore d’avantage les salariés moins favorisés des outre-mer. Par ce biais, l’État récupérera 300 millions d’euros jusqu’ici versés aux employés ultramarins !

La dégradation du pouvoir d’achat est un sujet très sensible, voire brûlant, pour les populations ultramarines : avec des revenus inférieurs à ceux de la métropole de près de 10 % pour les emplois les moins qualifiés, qui sont également les plus nombreux, elles doivent faire face à des prix parfois jusqu’à 35 % plus élevés qu’en métropole pour des produits de première nécessité.

C'est pourquoi la question du pouvoir d’achat a été le détonateur et le catalyseur des revendications formulées lors des mouvements sociaux de cette année.

Les mesures annoncées récemment par le chef de l’État, à la suite du conseil interministériel de l’outre-mer, changeront-elles la donne ?