M. Éric Woerth, ministre. Oui !

M. Georges Patient. Ces mesures sont nombreuses, puisque l’on en compte 137 étalées dans le temps ; mais elles souffrent d’un manque flagrant de chiffrage et de fléchage, et sont pour une bonne part inapplicables en l’état actuel de la législation nationale et des règlements communautaires.

Elles souffrent certainement d’impréparation et de précipitation. S’agirait-il d’un grand effet d’annonce en vue des prochaines échéances électorales, à savoir les consultations statutaires de janvier en Martinique et en Guyane et les élections régionales ?

Si tel était le cas, le mécontentement des ultramarins serait immense. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.

M. Jacques Muller. Madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, dans le cadre de la discussion générale portant sur l’examen du projet de loi de finances pour 2010, je me limiterai à commenter les deux innovations majeures de ce texte : la suppression de la taxe professionnelle et l’introduction de la « taxe carbone », deux réformes chères au Président de la République.

La suppression de la taxe professionnelle que le Gouvernement nous demande d’adopter pose un double problème, sur le fond comme sur la forme.

À l’instar de certains collègues de la majorité, je déplore l’absence de simulation et de procédures d’évaluation d’une réforme qui représente pourtant un véritable séisme pour les finances des collectivités territoriales.

Pour nombre d’entre elles, la taxe professionnelle constitue une ressource essentielle, bien identifiée, sur laquelle reposait le financement des services publics locaux auxquels nos administrés sont particulièrement attachés et qui confèrent, par ailleurs, un avantage comparatif reconnu pour les entreprises présentes sur les territoires de France.

Quand bien même le Gouvernement propose de mettre en place une nouvelle contribution économique territoriale, de créer une imposition forfaitaire des entreprises de réseaux, de la transférer aux collectivités, ainsi que d’autres taxes perçues aujourd’hui par l’État, et de créer un fonds national de compensation individuel des ressources, ne pas établir de simulations ni de procédures d’évaluation revient à faire un grand saut vers l’inconnu.

S’agit-il véritablement d’un saut vers l’inconnu ? Ce n’est pas si sûr !

Les élus locaux savent tous que le mouvement de transfert des compétences de l’État vers les collectivités sans le transfert de finances est engagé depuis de trop longues années. Hier, il s’agissait des routes nationales et de l’insertion sociale ; plus récemment, il s’est agi du service postal de proximité ; demain, seront concernés la suppression des classes maternelles au profit de jardins d’éveil gérés par les municipalités, les plans climats territoriaux et autres missions issues du Grenelle de l’environnement, sans parler du transfert des fonctions régaliennes de police aux maires… Et, chaque fois, sans les financements correspondants.

De fait, le contexte de désengagement de l’État et les conditions dans lesquelles le Gouvernement nous propose de voter la suppression de la taxe professionnelle continuent d’aggraver l’insécurité financière des collectivités locales, déjà prises entre le marteau et l’enclume.

Mais il y a pire. La suppression de la taxe professionnelle que le Gouvernement nous demande de voter précède la réforme des collectivités territoriales : c’est pour le moins incongru, mais cela traduit surtout la volonté présidentielle de continuer à passer en force sur tous les sujets, sous couvert de « réformer la France ».

De quelle réforme s’agit-il ? Sur le fond, personne n’est dupe !

À moins de croire à la quadrature du cercle, il n’est pas possible, comme l’affirme le Gouvernement dans une lettre adressée aux maires, de conforter le lien entre territoires et entreprises tout en réduisant simultanément de façon significative la charge pesant sur le tissu économique local, le tout sans mettre à contribution les ménages.

Lorsque le Gouvernement clame dans le même courrier que la reforme n’aura aucune incidence sur les impôts locaux supportés par les ménages, puisque l’État prendra intégralement à sa charge l’allègement de taxe sur les entreprises, il indique clairement que l’équilibre annoncé des finances locales après la suppression de la taxe professionnelle sera financé par le budget de l’État, auquel les ménages contribuent à travers les impôts et les taxes.

En clair, d’un point de vue macro-économique, la suppression de la taxe professionnelle, à supposer qu’elle soit neutre pour les collectivités locales, organise de manière occulte un transfert de richesse des ménages vers les entreprises, non pas vers les PME créatrices d’emplois non délocalisables, mais vers les grands groupes industriels, qui en seront les premiers bénéficiaires.

Madame la ministre, monsieur le ministre, vous avez dit « pouvoir d’achat » ?

Quant à la taxe « Sarko-carbone », puisque c’est bien ainsi qu’il faut l’appeler au regard des arbitrages effectués, elle s’annonce comme un désastre.

En effet, le Gouvernement prend le risque insensé – je pèse mes mots – de discréditer à jamais l’un des concepts-clés du développement soutenable : la fiscalité écologique.

Levier absolument indispensable, la fiscalité écologique doit permettre d’internaliser les coûts des dommages occasionnés au bien commun qu’est l’environnement et de financer les investissements nécessaires au passage à une société de sobriété énergétique.

La contribution « climat-énergie » issue de la concertation du Grenelle de l’environnement traduisait, au sens littéral et historique du terme, cette « ardente obligation ». Comme d’habitude, avec ce gouvernement, elle a été complètement galvaudée : manifestement les grands lobbies industriels et productivistes continuent de bénéficier d’une oreille très attentive !

Ainsi, la taxe « Sarko-carbone » est vouée à l’inefficacité sur le plan environnemental.

Tout d’abord, son niveau est beaucoup trop faible. En effet, alors que la commission de consensus présidée par l’ancien Premier ministre Michel Rocard estimait que l’effet « prix » ne pouvait jouer en dessous de 32 euros la tonne, le Président de la République impose 17 euros la tonne.

Autrement dit, le montant de cette taxe ne sera pas capable de faire évoluer le système productif ni les habitudes de consommation des ménages vers la sobriété requise en termes d’émission de gaz à effet de serre.

À titre de comparaison, je rappelle que le Danemark est aujourd’hui à 80 euros la tonne.

En dépit des rodomontades de son omni-président, la France, classée aujourd'hui vingt et unième sur les vingt-sept pays de l’Union européenne en matière de fiscalité environnementale, n’est pas prête de rattraper son retard !

Ensuite, cette taxe « sarko-carbone » n’est pas affectée prioritairement au financement des investissements nécessaires à la « décarbonation » de nos économies : relocalisation des productions, isolation des lieux de vie, réduction des transports routiers, production d’énergies renouvelables, etc. Ces objectifs prioritaires ne pourront jamais être atteints sans investir massivement !

La taxe « sarko-carbone », à cet égard hors-sujet, viserait-elle finalement d’autres objectifs non environnementaux, mais parfaitement inavouables ?

Les aberrations que révèlent les modalités d’application de cette nouvelle taxe le laissent à penser. En témoigne, en effet, la taxation préférentielle du transport routier à 64 % seulement pendant quatre ans, obtenue après l’allègement de la taxe à l’essieu et l’application a minima des directives européennes en termes de droits de péages et de droits régulateurs. Or, ce secteur économique est le premier émetteur de gaz à effet de serre !

En témoigne également la non-taxation de l’électricité, quels que soient ses modes de production : il s’agit d’une prime au nucléaire – une de plus ! – face aux énergies effectivement renouvelables. Pourtant l’énergie électrique doit être économisée, comme les autres formes d’énergie !

En témoigne encore la non-taxation des activités agricoles, alors que les systèmes de production intensifs sont fortement émetteurs de gaz à effets de serre.

En témoigne toujours la non-taxation des compagnies aériennes : le mode de transport le plus polluant au monde se voit ainsi scandaleusement privilégié !

En témoigne enfin la non-taxation des entreprises soumises aux marchés européens de quotas de carbone. Ajoutée à la suppression de la taxe professionnelle, cette mesure constitue un cadeau de plus – de 2 milliards d’euros par an pendant quatre ans – offert à des groupes industriels qui n’achèteront leurs quotas qu’en 2013 ! Quels seront les heureux bénéficiaires de cette ristourne ? Total, Arcelor-Mittal, EDF, Veolia, GDF-Suez, etc., c’est-à-dire des multinationales implantées dans des secteurs figurant parmi les plus forts émetteurs de gaz à effet de serre !

La colère gronde chez nos concitoyens. Elle est d’autant plus compréhensible que la prétendue « compensation » en faveur des ménages est aussi injuste qu’aberrante. Contrairement à nombre de nos voisins européens qui utilisent le critère des revenus – en France, le quotient familial serait le meilleur critère –, ce gouvernement, fidèle à lui-même, propose d’appliquer un critère territorial dont l’application est déjà sujette à controverses : en fin de compte, les ménages riches des villes seront favorisés, au détriment des ménages modestes des campagnes qui, le plus souvent, ne bénéficient pas de chauffage central collectif et, surtout, sont contraints d’utiliser leur voiture pour se déplacer... y compris pour trouver du travail ! En pleine crise économique, alors que le chômage continue de grimper et que nous allons au-devant de graves difficultés sociales, l’enjeu climatique devient un prétexte pour continuer d’aggraver les inégalités !

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est grave : la taxe « Sarko-carbone » fracasse littéralement la notion de « contribution climat-énergie », pourtant si nécessaire, sur l’autel des intérêts des privilégiés de notre pays. Très concrètement, elle fera « rouler » les petits pour les gros, les patrons de PME pour ceux du CAC 40, les familles modestes pour les plus riches. Au final, l’effet environnemental est garanti : il est nul ! Le président Sarkozy lui-même a déclaré : « Cette taxe carbone, c’est le minimum que l’on puisse faire ! » De fait, on ne pouvait pas imaginer pire !

Ce projet de loi de finances s’inscrit donc dans la droite ligne des précédents. La suppression de la taxe professionnelle, c’est précipiter les collectivités locales dans l’insécurité financière et ponctionner, une nouvelle fois, les ménages au profit des grands groupes industriels. La taxe « Sarko-carbone », c’est l’exacte traduction d’une démarche récurrente consistant à taxer les pauvres pour sauver les riches, mais sans sauver le climat !

L’addition de ces deux dispositifs contribuera à servir à tout prix les puissants, et plus particulièrement les courtisans du monarque du palais de l’Élysée, et ce à tout prix, même au prix de la lutte contre le changement climatique : le « Grenelle de l’environnement » est décidément jeté aux oubliettes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, comme il est d’usage dans cet exercice réalisé « à chaud », je vais revenir sur un certain nombre de sujets qui ont été évoqués – ils furent très nombreux – lors de cette discussion générale. Je pense que mon intervention et celle de Christine Lagarde se compléteront de façon à vous répondre de la manière la plus exhaustive possible.

La plupart de ceux d’entre vous qui se sont exprimés ont évidemment abordé, en premier lieu, la question des déficits et de la dette. Je n’ai pu écouter M. le rapporteur général ni M. le président de la commission, puisque j’ai dû quitter cet hémicycle pour assister à la remise du rapport de la commission chargée de réfléchir sur le grand emprunt. Mais nous nous étions réparti les rôles Christine Lagarde et moi, et elle a pu assister à la totalité de la discussion générale. Pour ma part, j’ai pris connaissance des interventions de M. le rapporteur général et de M. le président de la commission.

Comme l’ont dit plusieurs d’entre vous, la question de l’endettement n’est pas uniquement française. C’est une question mondiale : la dette augmente partout – elle partait de plus haut dans un certain nombre de cas –, mais elle augmente moins vite en France. L’endettement public et privé, nous l’avons dit à plusieurs reprises, est plus modéré dans notre pays que chez beaucoup de nos partenaires. Toutefois, il ne faut pas remplacer la bulle de l’endettement privé par celle de l’endettement public, mais tous les gouvernements le savent, Christine Lagarde peut en témoigner, car elle se rend souvent à l’étranger. Je tiens donc à rassurer Jean-Jacques Jégou, qui s’est exprimé sur cette question – mais je ne sais pas si j’y parviendrai !

La hausse des dépenses publiques, exprimée en pourcentages du PIB, est avant tout liée à un « effet dénominateur », c’est-à-dire à la chute du PIB et non à l’augmentation des dépenses. Lorsque nous disons que les dépenses publiques représentent 56 % du PIB en France – même si, historiquement, la dépense publique est chroniquement élevée dans notre pays –, l’augmentation de ce pourcentage s’explique bien par la chute du PIB, car les dépenses publiques, je le rappelle, se sont parfaitement bien tenues, qu’il s’agisse des dépenses de l’assurance maladie ou de celles de l’État.

M. le rapporteur général, comme d’ailleurs M. Jean-Pierre Fourcade ont parlé eux-aussi du poids de la dette. M. le rapporteur général a même évoqué « l’insoutenable légèreté de la dette », voulant ainsi dénoncer son insupportable alourdissement : telle est bien notre situation.

Cela étant, la composition de la dette – Jean-Pierre Fourcade s’y intéresse particulièrement – est restée à peu près conforme à ce qu’elle était : la part de la dette à court terme a un peu augmenté, comme c’est toujours le cas en période de crise, même si la tendance a été moins forte que précédemment, car nous utilisons évidemment notre potentiel ; parallèlement, la part des titres de très long terme a augmenté. La situation est restée parfaitement sous contrôle, comme le prouve le fait que, si le volume de la dette augmente évidemment, le volume des charges d’intérêts a plutôt tendance à diminuer. Cette situation nous permettra d’afficher, lors de la discussion de la loi de finances rectificative pour 2009, des résultats d’une bonne tenue : même si les dépenses augmentent, compte tenu de la crise, leur montant s’avère malgré tout inférieur de 2 milliards d’euros aux prévisions.

J’ai enregistré de nombreux soutiens – pas sur toutes les travées, évidemment – à notre stratégie de renforcement de la croissance et d’accentuation de la maîtrise de la dépense publique, illustrée, comme je l’ai dit, par la bonne tenue des dépenses en 2009. Je vous remercie donc Philippe Marini, Jean-Pierre Fourcade et Aymeri de Montesquiou pour ces encouragements, parce que j’imagine qu’il n’est pas si facile de les exprimer publiquement.

D’autres orateurs, comme Mme Bricq ou M. Angels, ont affiché une opinion différente, je le comprends. Mais si j’entends bien les critiques adressées à notre stratégie, je perçois assez peu de propositions vraiment constructives (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.),

Mme Nicole Bricq. Vous ne nous avez pas écoutés entièrement !

M. Éric Woerth, ministre. … sinon les inévitables et habituelles antiennes reprochant au Gouvernement de ne pas faire payer les riches (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. Nous avons dit qu’il fallait rééquilibrer les prélèvements !

M. Éric Woerth, ministre. … ou le taxant d’injustice. Comme si la France était uniquement composée de deux catégories : d’un côté, des riches qui étrangleraient le pays et, de l’autre, des pauvres qui souffriraient ! La société française est heureusement un peu plus complexe, si je m’en réfère, par exemple, au niveau de redistribution sociale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Bricq. Il n’est pire sourd que celui que ne veut pas entendre !

M. Éric Woerth, ministre. J’ai entendu M. Aymeri de Montesquiou nous dire que notre stratégie était résolument tournée vers l’avenir. Je l’espère ! En tout cas, nous lutterons contre les déficits en relançant la croissance – je le répète, mais, en politique, il faut beaucoup se répéter ! 

Au fond, la nécessité première consiste à sortir de la crise, car le poids du déficit est principalement dû à la crise ! Je ne conteste pas l’existence d’un déficit structurel, mais le poids du déficit supplémentaire, très important, est évidemment dû à la crise. La seule solution qui s’impose consiste donc à sortir en priorité de la crise : toute autre solution serait évidemment dangereuse.

Certains d’entre vous ont cité l’exemple de la Suède, qui a réussi à diminuer progressivement la part des dépenses publiques dans son PIB : les Suédois ont eu raison et nous nous inspirons de cet exemple. La révision générale des politiques publiques, si souvent décriée ou montrée en exemple, exercice qui ne laisse personne indifférent – j’en déduis qu’il s’agit donc d’une réforme de fond –, s’inspire directement des politiques engagées par un certain nombre de démocraties nordiques.

En ce qui concerne l’emprunt national, j’ai bien entendu et lu les propos du président de la commission des finances, Jean Arthuis. Ce matin, Alain Juppé et Michel Rocard ont présenté au Président de la République les conclusions de la commission chargée de réfléchir au grand emprunt national : celles-ci sont à la fois responsables et ambitieuses. Il est donc inutile de caricaturer aujourd’hui l’exercice du grand emprunt, que j’aurais plutôt tendance à appeler le « grand investissement ». Il s’agit en effet d’un plan d’investissement pour la France, alors que dans nos dépenses courantes nous investissons moins. Sur les dix ou quinze dernières années, la part de l’investissement ou la part de formation brute de capital fixe dans les dépenses de l’État s’est réduite. Nous avons donc besoin de cet accélérateur de compétitivité.

Du point de vue des finances publiques, nous ferons en sorte de limiter le coût de l’emprunt et de développer le retour sur investissement de cet emprunt. Nous vous présenterons un collectif budgétaire qui vous prouvera que nous agissons de manière tout à fait responsable.

Monsieur le président Arthuis, cette question préoccupe effectivement nos compatriotes et cet emprunt nous permet d’en poser publiquement les termes : comment la « bonne dette » peut-elle chasser la « mauvaise dette » ?

M. Aymeri de Montesquiou. Malheureusement, c’est souvent l’inverse qui se produit !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela veut dire que vous considérez les dépenses du budget comme mauvaises ! (Sourires.)

M. Éric Woerth, ministre. Pardonnez-moi cette présentation un peu caricaturale : il faudrait un peu de temps pour analyser la situation, je vous le concède. Mais, en l’occurrence, nous commençons un exercice qui peut s’avérer tout à fait vertueux. En guise de zakouski, si je puis dire, j’ai proposé de faire en sorte que les charges d’intérêt liées à ce grand emprunt soient gagées par une diminution de même ampleur des dépenses de fonctionnement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Recourez à la finance islamique, il n’y a pas d’intérêts !

M. Éric Woerth, ministre. Le respect de cette règle aura une incidence réduite sur le déficit, puisque le montant de l’emprunt n’est pas aussi énorme que l’on a bien voulu le dire.

J’y insiste donc, le grand emprunt nous oblige à nous interroger sur la place des investissements dans les dépenses publiques, ainsi que sur la nature et la recomposition de la dépense publique. Nous devrons également respecter une vraie logique patrimoniale, et nous le ferons : en effet, la commission Juppé-Rocard a montré que 60 % de ses propositions d’investissement donnent lieu à la constitution d’actifs.

Nombre d’intervenants se sont exprimés sur la fiscalité et les dépenses fiscales. Je tiens simplement à rappeler que notre gouvernement a bien fait baisser la fiscalité : depuis 2007, les impôts ont baissé de 16 milliards d’euros, dont 10 milliards au profit des ménages – pas seulement des plus riches, madame Bricq ! – et 6 milliards en faveur des entreprises. En soutenant les entreprises, nous soutenons aussi les ménages, car leurs intérêts sont les mêmes : les ménages travaillent dans des entreprises, lesquelles leur permettent de vivre, et réciproquement ! Ce cycle économique est tout à fait classique, et nous devons garantir son bon fonctionnement.

Certains d’entre vous accusent notre fiscalité d’être injuste et nous reprochent de ne pas combattre suffisamment les niches fiscales : je ne répéterai pas l’intégralité des critiques formulées par M. Vera, Mme Bricq et M. Angels. Pour ma part, je me rallierai plutôt à la position de Christian Gaudin ou du rapporteur général, Philippe Marini : nous devons mieux maîtriser les avantages fiscaux, en procédant à une évaluation de chacune de ces niches. Ce projet de loi de finances comporte de nombreuses mesures relatives aux niches fiscales : nous aurons de nombreuses discussions sur ce sujet, vous le verrez. Christine Lagarde vous l’a dit tout à l’heure, nous avons diligenté une très importante enquête afin d’évaluer les niches fiscales. Cette étude prend du temps, comme tout travail sérieux, mais nous pourrons mener des débats toujours mieux informés sur les 467 ou 469 niches que compte aujourd’hui notre législation fiscale.

Je tiens d’ailleurs à rappeler que les règles que vous avez votées dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, notamment celle du gage, sont respectées, contrairement à ce que croient certains parlementaires. Cette règle n’est certes pas respectée « en photographie », mais elle l’est « en vidéo », sur au moins deux ans.

Prenons le cas de la TVA sur la restauration, qui emporte, je crois, l’unanimité sur ces travées. Nous la « payons » en une fois, alors qu’une suppression de niche fiscale sur d’autres impôts, par exemple sur l’impôt sur le revenu, demandera une montée en puissance d’un, deux ou trois ans.

Par conséquent, nous vous présenterons également un bilan équilibré, à l’horizon de 2013, des décisions prises par le Parlement dans le cadre de la loi de finances pour 2009 en termes de niches fiscales.

Pour continuer sur notre politique de redistribution, j’évoquerai la fiscalité. Nous pouvons longuement débattre pour savoir si notre fiscalité est juste ou injuste… Tout ce que je sais, c’est que nous la faisons considérablement évoluer dans ce projet de budget, probablement comme jamais auparavant. Après les niches fiscales qui ont été plafonnées l’année dernière, je citerai, cette année, la réforme de la taxe professionnelle, l’imposition forfaitaire annuelle, la taxe carbone. Ces évolutions ne sont pas négligeables !

Toutefois, madame Bricq, je pense que nous ne devons pas apprécier la justice d’un système au travers de la seule fiscalité. Dans le cas de la France, il faut aussi prendre en compte l’ensemble de notre protection sociale, c'est-à-dire bien voir comment se forgent les transferts sociaux. Ainsi, le revenu de solidarité active, le RSA, correspond à une nouvelle politique de transfert, certes plus onéreuse, mais permettant d’inciter le bénéficiaire à reprendre un travail.

Sur les 20 % de personnes les plus modestes, l’accroissement de revenu après redistribution a atteint 47 % en 2008, contre 42 % en 2006. Par conséquent, il y a bien, en France, de plus en plus de justice sociale au travers de ces mécanismes de redistribution.

Le niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus aisées en France est estimé à environ 54 000 euros et passe à 43 000 euros après redistribution, ce qui signifie que 10 000 euros, soit pratiquement le quart des sommes gagnées, vont aller d’une manière ou d’une autre dans le système de redistribution.

Il ne faut jamais oublier cela et je pense, madame Bricq, que vous avez bien tort de regarder uniquement la fiscalité. Il faut prendre en compte l’ensemble : la fiscalité, les prélèvements et les redistributions.

S’agissant des collectivités locales, je partage l’analyse de M. de Legge sur l’autonomie fiscale, qui doit tout simplement être conciliée avec la péréquation. Bien sûr, l’autonomie fiscale est absolument nécessaire : ce point est même inscrit dans la Constitution et ne fait donc pas débat. Toutefois, l’autonomie fiscale peut prendre beaucoup de formes différentes. Dans certains pays, d’ailleurs, elle se traduit surtout par des dotations d’État, et ce malgré une autonomie politique très forte. Les deux aspects ne doivent donc pas être liés et les réformes fiscales qui ont été menées ménagent, bien évidemment, l’autonomie fiscale de nos collectivités.

Pour ce qui est du niveau des dotations, je conteste formellement les propos de certains sénateurs : non, les dotations ne baissent pas ; elles augmentent simplement moins vite qu’avant. Ce n’est pas tout à fait la même chose ! La diminution d’une augmentation n’est pas une régression !

Il est vrai que, l’année dernière, nous avions eu un débat un peu confus sur cette question des dotations et j’en étais responsable, ayant mélangé le Fonds de compensation pour la TVA et les dotations. J’ai entendu ce que les sénateurs, notamment, m’ont dit à voix assez forte et nous avons pris l’initiative d’isoler le FCTVA ; nous évitons ainsi tout procès d’intention quant à notre volonté supposée d’en faire une dotation interne. Ce FCTVA, nous l’assumons et le ferons progresser, cette année, de 6 %.

Par ailleurs, l’ensemble des autres dotations progresseront à un taux avoisinant la moitié de l’inflation. L’Assemblée nationale ayant modifié un peu le projet pour faire en sorte que la DGF augmente à hauteur de 0,9 %, la progression sera un peu moins forte pour le reste des dotations. Quoi qu’il en soit, l’enveloppe globale sera en croissance de 0,6 %.

Je vous rappelle tout de même, mesdames, messieurs les sénateurs, que les concours de l’État se sont accrus de 18 % depuis 2003, soit bien plus que les dépenses de l’État lui-même. Par ailleurs, celui-ci a vu ses recettes fiscales diminuer de 20 %, alors que ses dotations aux collectivités locales ont augmenté de 2 %. L’État joue donc bien un rôle d’« absorbeur de crise » au bénéfice des collectivités locales ; c’est normal, mais il faut aussi, de temps en temps, savoir le reconnaître !

Monsieur Baylet, vous avez évoqué l’APA. Je crois que, à un moment donné, les choses doivent être dites : le gouvernement Jospin n’a compensé qu’à hauteur d’un tiers cette prestation sociale, qui représente une dépense énorme pour les départements.

MM. Gérard Longuet et Alain Fouché. Tout à fait !