M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mme Bricq soulève un vrai problème, car c’est un fait que, compte tenu des taux d’intérêt historiquement faibles, il a été abusivement fait recours aux LBO et que les entreprises, souhaitant bénéficier au maximum de l’effet de levier qu’ils procurent, se sont endettées au-delà du raisonnable.

Afin de maîtriser cet emballement, monsieur le ministre, il conviendrait sans doute de revoir le régime fiscal du carried interest, car, bien souvent, ces opérations ont été réalisées par des filiales ou des sous-filiales de banque dans des conditions assez contestables.

Vous vous souvenez du régime fiscal introduit par la circulaire ministérielle du 28 mars 2002, que nous nous sommes efforcés de corriger voilà un an, avec votre concours bienveillant, monsieur le ministre. Depuis lors, votre collègue Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, a publié un décret qui, si perfectible soit-il, devrait calmer le jeu. Il faut être conscient que, dans ces opérations de LBO, interviennent des acteurs très déterminés, à savoir les gérants des fonds.

Aussi, nous devons être très vigilants à l’égard de ce type de mécanisme.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Personne ne conteste la nocivité de ce mécanisme qui, utilisé de manière excessive et dans un laps de temps très court, conduit au surendettement des entreprises.

M. le rapporteur général et M. le président de la commission reprochent à notre amendement d’être d’une portée trop générale. J’accepte cet argument, mais il devrait nous inciter à approfondir notre réflexion. C’est précisément l’intérêt du débat budgétaire.

Monsieur le président de la commission, puisque vous vous êtes beaucoup mobilisé sur cette question, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de bien mesurer les effets du décret du 16 octobre 2009 relatif au carried interest, d’examiner dans quel secteur cette pratique s’est révélée la plus nocive et d’envisager des solutions ?

Ce travail d’évaluation relève précisément de la commission des finances. Dans la mesure où le ministère du budget dispose évidemment de moyens d’investigation bien supérieurs à ceux dont disposent non seulement l’opposition, mais encore la commission des finances, il lui appartient de nous communiquer les chiffres et l’état qualitatif de ces pratiques.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame Bricq, je vous invite à retirer votre amendement.

Le décret de Mme Lagarde me semble bien inspiré, notamment par les acteurs du carried interest(Sourires.)

J’ai moi-même déposé un amendement, qui sera discuté ultérieurement, visant à mieux distinguer entre les opérations qui concernent les jeunes entreprises innovantes en phase de démarrage, dont il faut encourager le développement, avec tous les risques qu’il comporte – c’est au moins aussi important que le crédit d’impôt recherche –, et le LBO strictement financier, ou private equity, pratique qui doit manifestement être encadrée de manière beaucoup plus rigoureuse.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Madame Bricq, sachez que Mme Lagarde est tout à fait disposée à travailler sur ce sujet du rapport entre capital et poids de la dette.

Il s’agit de se montrer pragmatiques, sans diaboliser aucun système. Nous savons que la sous-capitalisation est un des handicaps des entreprises françaises. L’essentiel est que les entreprises puissent fonctionner. Le LBO ne devient une mauvaise chose que s’il y est recouru dans une mesure excessive ou en cas d’abus de droit.

M. Jean Desessard. Il faut créer un code de bonne conduite !

M. Éric Woerth, ministre. En tout état de cause, le Gouvernement est favorable à ce que l’on approfondisse la réflexion sur le rapport entre capitaux propres et dette.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. Si le ratio de 66 % prévu dans notre amendement pose problème, nous ne serions pas opposés à ce que la commission modifie notre rédaction pour clarifier les choses et bien faire apparaître que si la dette est de 60, les capitaux propres devront être de 40 au moins.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce dispositif est trop complexe pour qu’il soit envisageable de le modifier dans l’instant !

M. François Marc. Cela étant, il semble qu’un tel ajustement ne suffirait pas à modifier l’avis de la commission ni celui du Gouvernement ! Néanmoins, pour des raisons de principe, il nous paraît important de maintenir l’amendement, car l’effet de levier, qui a engendré des profits importants pour un certain nombre d’opérateurs, peut aussi jouer dans un sens négatif et contribuer alors à une désagrégation totale du système. Il nous semble donc important d’établir des garde-fous contre la spéculation dérégulée, car les LBO présentent un risque considérable pour l’avenir.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Pour ma part, je souhaite vraiment que cet amendement soit rejeté. Certes, la préoccupation exprimée par ses auteurs est parfaitement légitime et nous condamnons nous aussi les très nombreux excès qui ont été commis, mais il faut tenir compte de l’extrême diversité des situations économiques.

Les opérations de LBO, qui permettent la cession d’entreprises, sont une nécessité absolue pour la vitalité du tissu économique. Ce qui est choquant, c’est que certains incitent les autres à prendre des risques sans vouloir en courir eux-mêmes aucun. Cependant, c’est un problème qui se pose pour l’ensemble de l’économie : les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs.

Cet adage vaut notamment en matière de LBO, où il arrive que les acheteurs soient incités à s’endetter dans une mesure excessive. Néanmoins, on a le droit d’être intelligent, y compris dans une économie de marché ! Si l’on anticipe des résultats irréalistes, on en supporte les conséquences, conformément à l’esprit d’une économie libérale. Ce qui est anormal, c’est que la puissance publique vienne pallier les conséquences de défaillances de raisonnement souvent dues à une cupidité extrême ou à un suivisme aveugle.

En tout état de cause, l’amendement en question ne permettra pas de remédier à de tels comportements. C’est la raison pour laquelle je conseille à mon groupe de ne pas le voter. (M. Alain Gournac applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle André, pour explication de vote.

Mme Michèle André. Comme l’a indiqué M. Marc, nous maintenons cet amendement. J’ajoute que nous serons très attentifs à celui qui sera présenté par M. Arthuis. L’important est non pas de détruire un dispositif, mais de faire progresser la réflexion.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : nous allons continuer de travailler sur ce sujet très complexe, mais la commission des finances ne présentera pas d’amendement dans le cadre de l’examen du présent projet de loi de finances. Nous ne sommes pas encore en mesure de le faire.

Dans l’immédiat, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : recourir au levier de l’emprunt se révèle parfaitement utile et légitime dans nombre de situations économiques. Nous allons poursuivre la réflexion avec l’administration et les professionnels afin de pouvoir proposer, le moment venu, un dispositif équilibré et raisonnable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-300.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° I-303, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 206 du code général des impôts, il est inséré un article 206 bis ainsi rédigé :

« Art. 206 bis. - Il est établi une taxe additionnelle à l'impôt sur les sociétés pour l'année 2010. Son taux est fixé à 10 %. Sont redevables de cette taxe les établissements de crédit agréés par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement. ».

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Cet amendement vise à instituer, pour la seule année 2010, une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés, qui pèserait sur les établissements de crédit.

En effet, l’État ayant joué le rôle d’assureur de dernier ressort au cours de la crise bancaire de l’automne 2008, il est normal qu’il reçoive la contrepartie de cette couverture exceptionnelle apportée dans l’intérêt général.

L’État est intervenu pour soutenir les établissements bancaires et financiers à concurrence de 75 milliards d’euros de titres de dette émis par la Société de financement de l’économie française afin de prêter aux banques. Il s’agissait de pallier le manque de liquidités dû à la crise de confiance interbancaire que nous avons connue.

Par ailleurs, des opérations de renforcement de fonds propres à hauteur de 20 milliards d’euros ont été financées par le biais de la Société de prises de participation de l’État.

C’est ce soutien qui a permis aux banques de réaliser des bénéfices au titre de l’année 2009. Or, si les banques ne sont pas directement à l’origine de la crise financière, elles ont allègrement pris part à un système qui a favorisé, et qui favorise encore, la prise de risques excessifs. Elles n’ont pas totalement évité les actifs toxiques et les contribuables ont payé – et payent encore – au prix fort les conséquences de leurs pratiques aventureuses. La crise financière a provoqué une crise économique sans précédent, dont le coût est particulièrement élevé : 500 000 chômeurs supplémentaires en un an, un déficit public représentant 8,7 % du PIB, une dette publique atteignant 84 % du PIB en 2010 !

Les clauses contractuelles négociées à l’occasion de la souscription d’actions de préférence ont laissé à la seule initiative des emprunteurs le remboursement des prêts de l’État, en privant celui-ci de toute rémunération automatique –contrairement à ce qui se passe pour les titres subordonnés –, le versement d’une rémunération à l’État dépendant en effet de la décision des banques d’en accorder une, ou pas, à leurs actionnaires ordinaires.

Les banques ont donc, de ce fait, rétabli rapidement leur situation et font de nouveau d’importants bénéfices : la presse financière s’en est largement fait l’écho ces derniers jours. Elles disposent en effet d’une garantie totale d’intervention des pouvoirs publics et n’encourent par conséquent aucun risque de faillite : c’est l’assurance tous risques ! En outre, elles ont relevé leurs marges sur les crédits qu’elles accordent. Enfin, elles considèrent que les marchés sont revenus à une situation « normale » et qu’elles peuvent de nouveau avoir recours à certains mécanismes bien connus…

Notre proposition d’instituer une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés qui pèserait sur les établissements de crédit apparaît donc parfaitement raisonnable. Si nous avons prévu pour l’heure qu’elle devrait rester exceptionnelle et ne porter que sur l’exercice 2010, c’est pour ménager l’avenir, par définition incertain, de la situation financière des banques.

Cette taxe doit avoir le caractère d’une participation de l’État et, partant, du contribuable aux bénéfices retrouvés des établissements bancaires et financiers.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission n’est pas favorable à cet amendement, essentiellement parce que si l’on pénalise les banques en exerçant une pression sur leurs fonds propres, on réduira le volume des crédits qu’elles consentiront. Cela aura un effet malthusien sur l’économie, ce qui me semble contraire à l’objectif que vous visez, mes chers collègues.

M. Jean Desessard. Attendons la prochaine crise !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. L’intérêt de notre économie est que nos banques aient une structure financière saine et prospère.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

L’amendement n° I-303 vise à instituer, pour la seule année 2010, une taxe qui rapporterait entre 500 millions et 600 millions d’euros. Nous proposons, pour notre part, la création d’une taxe pérenne pour financer la nouvelle autorité de régulation des marchés. Son produit s’établira entre 100 millions et 150 millions d’euros par an.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. On ne peut opposer la contribution des banques au financement de la nouvelle autorité de régulation des marchés à la contrepartie que nous proposons d’instituer à l’aide qu’elles ont reçue de l’État, donc des contribuables. Ce n’est pas une question de montant, c’est une question de principe.

Je considère qu’il est de notre mission de parlementaires d’envoyer un signal clair à tous ceux, entreprises ou particuliers, qui éprouvent des difficultés à obtenir un crédit, alors que les banques ont bénéficié d’une aide de grande ampleur de l’État. Voilà pour le passé ; nous évoquerons l’avenir par le biais d’un amendement ultérieur.

Nous devons également adresser un message aux banques, qui ont pu bénéficier de liquidités abondantes grâce à l’action de la Banque centrale européenne, liquidités dont elles se sont servies pour reconstituer leurs marges. Une bulle pourrait en chasser une autre, alors même que l’emballement de la dette publique risque de provoquer une remontée des taux, donc une pression sur le crédit.

Si les banques doivent bien entendu contribuer au financement de la nouvelle autorité prudentielle, elles doivent aussi être conscientes du fait que le Parlement ne saurait laisser se reproduire des épisodes similaires à ceux que nous avons connus dans la période récente.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. Je suis en désaccord avec M. le rapporteur général de la commission des finances. Alors que c’est la puissance publique qui a consolidé et sécurisé le système bancaire, à qui vont les profits dégagés grâce à cette action, sinon aux actionnaires dans une très large mesure ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il faut nationaliser les banques. C’est une très bonne idée !

M. François Marc. Des fonds publics ont servi à soutenir des entreprises privées, mais lorsque ces dernières renouent avec les profits, l’État n’en bénéficie pas de façon automatique, car les actionnaires sont servis avant lui. Nous ne pouvons être favorables à un système où, alors que la puissance publique, c’est-à-dire le contribuable, apporte une garantie tous risques, ce sont les actionnaires qui bénéficient du retour des profits.

Cet amendement a une dimension symbolique. Alors que l’on a beaucoup parlé d’éthique ces derniers temps, il vise précisément à restaurer la crédibilité du système financier. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-303.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° I-301, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 209 du code général des impôts est complété par un IX ainsi rédigé :

« IX. Le montant de l'imposition due par l'entreprise au titre de la contribution économique territoriale visée à l'article 1447-0 du présent code n'est pas déductible des bases retenues pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu. »

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Cet amendement est étroitement lié aux dispositions relatives à la taxe professionnelle que nous avons examinées vendredi et samedi derniers. En effet, il vise à rendre non déductible, au titre de l’impôt sur les sociétés, la contribution économique territoriale qui sera désormais versée par les entreprises. Nous n’étions pas, pour notre part, favorables à ce dispositif, mais dès lors qu’il est inscrit dans le projet de loi de finances, nous essayons d’y apporter les ajustements qui nous paraissent indispensables.

Alors que le déficit public dépasse 8,5 % du PIB et que la dette publique avoisine les 90 % de ce dernier, il serait à nos yeux totalement irresponsable de proposer une réforme non financée, dont le coût sera proche de 5 milliards d’euros en régime de croisière. Un tel choix conduirait inévitablement à une hausse de la charge fiscale des ménages.

Nous proposons de prévoir au contraire une forme d’autofinancement d’une partie du coût de la réforme, consistant à rendre non déductible de l’impôt sur les sociétés la contribution économique territoriale. Cela permettrait de limiter à quelque 1,5 milliard d’euros le coût de la suppression de la taxe professionnelle et présenterait également l’avantage de faire reposer, pour l’essentiel, le financement sur les entreprises qui réalisent des bénéfices. Ainsi, les finances des entreprises en difficulté ne seraient pas obérées. Cette logique nous paraît tout à fait défendable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission considère que cet amendement n’est pas acceptable.

En effet, un principe général de notre droit fiscal veut que soient déductibles l’ensemble des charges qui se rapportent à l’exploitation de l’entreprise. Le nouvel impôt local, comme la taxe professionnelle, relève bien de cette catégorie. Il n’est pas possible de charcuter les charges à sa convenance pour aboutir à un système fiscal qui deviendrait incompréhensible.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur général, vous nous accusez de vouloir charcuter les charges des entreprises, mais je vous rétorquerai que nous avons assisté, trois jours durant, au désossage des collectivités locales, pour employer un autre terme de boucherie.

M. Jean Desessard. Ils ont évité de peu un étripage !

Mme Nicole Bricq. C’est aussi au nom des principes que nous maintenons cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-301.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° I-187, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa du I de l'article 219 du code général des impôts est complété par les mots : « et à 46 % sur les dividendes versés aux actionnaires ».

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. La France, on le sait, est un pays de bas salaires. Des études ont été menées à ce sujet, notamment par le Centre d’études des revenus et des coûts, le CERC, en 2002. Cet organisme a mis en évidence que la moitié des salariés du secteur privé gagnaient moins de 1 220 euros nets par mois – 1 360 euros pour les hommes et 1 054 euros pour les femmes –, que plus d’un tiers d’entre eux gagnaient moins que le SMIC et que plus de la moitié se trouvaient sous le seuil fatidique de 1,6 SMIC, en deçà duquel les employeurs ont droit à des allégements de cotisations. De là à dire que les employeurs maintiennent les salaires au plus bas pour bénéficier d’exonérations, il n’y a qu’un pas, que nous franchissons d’ailleurs… N’est-ce pas pour cette raison que la Cour des comptes définit les mécanismes d’exonération de cotisations sociales comme étant de véritables trappes à bas salaires ?

Notre pays n’est donc pas, soulignons-le pour tordre une fois encore le cou à certaines idées reçues, celui où le travail coûte le plus cher. Selon Eurostat, le coût du travail dans l’industrie était, en 2005, inférieur en France de 4 % par rapport au Royaume-Uni et de 2 % par rapport à la Belgique, et un peu plus élevé qu’aux Pays-Bas ou en Allemagne, à hauteur respectivement de 2 % et de 4 %.

La part des salaires dans la valeur ajoutée est en diminution. Ainsi, avant la récession de 1974-1975, elle était supérieure de cinq points à ce qu’elle est aujourd’hui, et l’écart atteint dix points par rapport au pic de 1982.

Il est, en revanche, une part de la valeur ajoutée qui ne cesse de croître : celle des dividendes.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Thierry Foucaud. Ils en représentent aujourd’hui environ 25 %, contre 5 % seulement en 1985. Cette explosion des dividendes est assise sur la faiblesse des salaires, mais les salariés sont en réalité deux fois perdants, puisqu’ils sont aussi victimes des politiques de délocalisation de l’emploi. Plus les dividendes versés aux actionnaires croissent, plus le réinvestissement, notamment dans les nouvelles technologies ou la réorientation industrielle, diminue. En effet, l’effort d’investissement ne représente plus aujourd’hui que 19 % de la valeur ajoutée, contre près de 24 % dans les années soixante.

Pour notre part, nous sommes convaincus que, plutôt que de geler les salaires, l’heure est venue de geler les dividendes à leur niveau actuel et de les transférer à un fonds de mutualisation destiné à d’autres usages, qui serait placé sous le contrôle des salariés.

Notre amendement, dont l’objet se limite à porter le taux d’imposition des dividendes à 46 %, s’inscrit dans cette logique de valorisation de l’emploi face à la spéculation. Si vous refusez, pour des raisons qui n’échappent à personne, d’augmenter les salaires et de reconnaître réellement le travail, alors vous devez taxer les dividendes en conséquence, c’est-à-dire davantage que le travail, afin d’inciter les entreprises à repenser leurs politiques salariale et d’investissement. Les millions versés aux actionnaires sont précisément des millions qui échappent à l’investissement, c’est-à-dire à l’entreprise, donc au maintien de l’emploi qualifié et adapté aux exigences nouvelles. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. le président. L'amendement n° I-302, présenté par M. Rebsamen, Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Après le troisième alinéa de l'article 219 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ... Le taux fixé au présent article est fixé à 31 % pour la fraction du bénéfice imposable mise en réserve ou incorporée au capital au sens de l'article 109, à l'exclusion des sommes visées au 6° de l'article 112. Il est fixé à 49 % pour la fraction du bénéfice imposable distribuée. »

II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Cet amendement a pour objet de moduler les taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’affectation du bénéfice réalisé.

La référence à des concepts bien ancrés dans le code général des impôts, depuis 1979, rend ces dispositions aisément applicables. Une telle distinction entre bénéfices réinvestis et bénéfices distribués est, au demeurant, pratiquée par certains de nos voisins de l’Union européenne.

Il s’agit d’un outil pertinent de politique fiscale pour orienter les choix des entreprises dans un sens plus favorable à l’économie productive et pour favoriser la redistribution des bénéfices sous forme non pas de dividendes aux actionnaires, mais d’investissements dans l’activité, donc au bénéfice des salariés et, partant, des consommateurs.

Il s’agit en fait de privilégier les entreprises qui participent à la relance et à la défense du pouvoir d’achat par rapport à celles qui, par leur politique d’optimisation des profits au bénéfice des actionnaires, ne contribuent pas à réduire le marasme économique actuel.

L’économie française connaît un problème récurrent de sous-capitalisation de ses PME, qui bride leur développement, mais la « distribution de capitaux » n’est pas forcément le moyen le plus efficace pour y remédier : si une telle stratégie – je pense notamment aux interventions d’OSEO et aux différentes actions menées en faveur du renforcement des fonds propres des PME – a permis de faire de la France le quatrième marché mondial pour les capitaux investis et les fonds empruntés, ainsi que le deuxième marché européen pour les LBO, elle n’a pas été suffisante pour entraîner une augmentation des fonds propres des sociétés productives nouvelles. Ce sont les cessions et les successions d’entreprise, plus que la création et le développement d’activités, qui ont bénéficié de cet afflux de capital-investissement. Une incitation fiscale au réinvestissement des bénéfices est peut-être une voie meilleure, moins spectaculaire, certes, mais plus régulière et plus constante.

Il faut donc modifier le système fiscal, car il incite les entreprises à la sous-capitalisation, les entrepreneurs ayant intérêt à ne pas réinvestir les bénéfices et à s’endetter afin de réduire l’assiette de leur impôt sur les sociétés. La redéfinition de l’impôt sur les sociétés doit être le moyen privilégié de répondre au manque de fonds propres.

C’est la raison pour laquelle nous proposons, avec cet amendement, une modalité de réforme. Il est tout à fait souhaitable de réorienter le système fiscal, en réduisant l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis. Ce serait un bon moyen de réduire le coût de constitution de fonds propres et d’éviter les effets pervers induits par l’ouverture d’un guichet de distribution de capitaux.

Il conviendrait également que le renforcement des fonds propres soit endogène, car ce sont les chefs d’entreprise qui sont le plus à même de décider du montant à affecter pour consolider leur entreprise et du moment opportun pour procéder à une telle opération.

En conclusion, je rappellerai que, depuis quelques années, la part des bénéfices redistribués aux actionnaires est en forte croissance. Il faut donner aujourd’hui une incitation forte pour que ces capitaux soient réinvestis dans l’entreprise et permettent une relance efficace, avec des créations d’emplois. (M. Jean Desessard applaudit.)