Mme Christiane Demontès. Tout à fait, mais, quoi qu’il en soit, permettez-nous de douter de l’efficacité d’une telle disposition !

Quel sera l’effet de cette amende sur des entreprises qui dégagent des bénéfices énormes ?

Le sujet de l’emploi des seniors est lié explicitement à celui de la pénibilité, lequel avait conditionné l’adoption de la réforme de 2003. Six ans après, le constat est amer. Malgré de nombreuses séances de travail entre les partenaires sociaux, le dispositif de prise en compte n’a jamais vu le jour en raison de l’opposition du patronat à toute participation pour financer la compensation de la pénibilité.

Apporter une réponse à la question de la pénibilité s’inscrit dans une démarche de recherche de justice sociale. Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer au rapport de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, qui traite de la double peine des ouvriers.

Il y est observé qu’à trente-cinq ans les hommes cadres supérieurs ont une espérance de vie moyenne dépassant de six ans celle d’un ouvrier et que le différentiel est de deux ans pour les femmes.

En ce qui concerne « l’espérance de vie en santé », qui renvoie à une situation dénuée d’incapacité ou de handicap, il est noté que les cadres supérieurs âgés de trente-cinq ans vivront trente-quatre des quarante-sept années d’espérance de vie sans handicap ou incapacité de type 1, laquelle concerne les problèmes de vue, de mobilité, soit dix ans de plus qu’un ouvrier. Pour les femmes, l’écart est de huit années.

Malgré cette réalité, les acceptions concernant la pénibilité demeurent fragmentaires et ne renvoient à aucune disposition du code du travail.

Un emploi peut être considéré comme dangereux, même s’il n’est pas nécessairement pénible. C’est ce qui ressort du jugement prononcé par la cour d’appel de Paris le 9 juin 2004 aux termes duquel « le risque grave ne saurait être constitué par la seule pénibilité du travail ».

Le code du travail ne fait pas d’amalgame entre la pénibilité liée à l’exercice d’une fonction et les mauvaises conditions de travail, notion qui renvoie à une organisation et à un climat défectueux.

De fait, la prise en compte de la pénibilité reste posée. Or l’observation des dispositifs de départs anticipés, souvent instaurés en guise de traitement social du chômage, laisse apparaître que certains départs sont en lien avec cette prise en compte. Je pense, notamment, à la préretraite des travailleurs de l’amiante et à la cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés.

Force est de constater que le patronat, comme l’actuelle majorité, cherche à limiter le champ d’application de ce dispositif en voulant restreindre son périmètre aux seuls salariés ayant développé une maladie ou en rendant strictement individuelle l’accessibilité à la préretraite.

Si tel était le cas, nous ne serions plus dans une logique de compensation, mais dans une logique de réparation, ce qui est tout à fait différent ! Voilà ce qui est au cœur de l’échec des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité du travail.

À la logique de compensation prônée par les syndicats de salariés s’oppose celle de la réparation de l’usure.

Le MEDEF a proposé que, en fonction de facteurs de pénibilité préalablement déterminés, le salarié qui satisferait aux critères d’éligibilité pourrait, deux ans avant son départ en retraite, accéder à un mi-temps, le mi- temps non travaillé étant financé par la solidarité nationale.

Ainsi, les employeurs, même responsables, ne seraient pas mis à contribution. C’est le salarié qui financerait les conséquences de sa dégradation physique.

Nous sommes inquiets à la lecture du rapport du député Jean-Frédéric Poisson, qui reprend les positions du MEDEF. La philosophie de ce rapport, adopté par la majorité, transparaît très clairement lorsque le rapporteur affirme qu’il « n’est pas favorable à une mise en place de retraites anticipées ou cessations anticipées d’activité ou à une augmentation des droits à pension de retraite pour les travailleurs ayant été exposés à la pénibilité ».

Pire, il déclare : « S’il est indubitable que des différences réelles en matière d’espérance de vie sont constatées entre les ouvriers et les cadres, il demeure impossible de considérer que la seule cause de cet écart provient des conditions de travail. La santé est une réalité suffisamment personnelle pour que soient également évoquées des considérations qui touchent au mode de vie des personnes, et en particulier à la qualité de leur accès aux soins non moins qu’à leurs habitudes. » Cela laisse sans voix !

En conclusion, nous considérons que prendre ce rapport comme base de travail des futures négociations ne répondrait pas, selon nous, aux attentes des partenaires sociaux.

Des différences subsistent entre les organisations de salariés et d’employeurs, mais ces dernières se sont toutes accordées sur trois facteurs principaux de pénibilité : les contraintes physiques, l’environnement de travail agressif et les rythmes de travail. C’est sur cette base que nous devons travailler.

À nos yeux, les écarts d’espérance de vie entre nos concitoyens justifient d’accorder des avantages spécifiques aux salariés qui ont subi des conditions de travail pénibles.

Ces avantages ne doivent pas être uniquement pris en charge par la collectivité.

Les employeurs ne sauraient prétexter le coût du travail dans la compétition internationale pour s’exonérer de leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot.

M. Gérard Dériot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre collègue Alain Milon devait intervenir dans ce débat aujourd'hui. Mais ayant un empêchement, il m’a demandé de le suppléer, ce que je fais avec plaisir.

Sur l’initiative de la commission des affaires sociales, un débat thématique est organisé afin de mettre en perspective les futures réformes qui concernent directement les comptes sociaux.

L’occasion nous est donc donnée d’affirmer notre volonté de faire évoluer le système de retraites pour lequel les réformes sont plus que jamais nécessaires. Il y a obligation d’agir au vu des déficits de plus en plus exponentiels.

Pour l’ensemble des régimes obligatoires de base, M. le rapporteur, Dominique Leclerc, l’a noté dès la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, le déficit devrait être de 9,5 milliards d’euros en 2009, contre 7,2 milliards d’euros prévus initialement. Il atteindrait, à législation constante, près de 15,7 milliards d’euros en 2013. À cela, il faut ajouter le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, qui sera de 3 milliards d’euros en 2009.

Cette dégradation est importante, mais elle a des causes qui ne sont pas toujours maîtrisables.

Tout d’abord, la crise économique sans précédent que nous avons connue et que nous connaissons encore a provoqué la montée du chômage et la baisse des recettes fiscales.

Ainsi, la branche vieillesse est durement touchée par une forte baisse de ses rentrées de cotisations salariales et le Fonds de solidarité vieillesse, quant à lui, souffre d’une diminution de ses rentrées de CSG.

Cependant, nous devons reconnaître que, face à la crise, notre système de retraite par répartition a fait la preuve de sa solidité. En France, contrairement à certains pays de l’OCDE, les pensions de retraite n’ont pas diminué et l’épargne retraite n’a pas souffert de la crise boursière.

Par ailleurs, à ce déficit conjoncturel s’ajoute un déficit structurel qui va aller en s’aggravant avec la progression continue de la masse des pensions due aux facteurs démographiques et à l’augmentation de l’espérance de vie.

Il est donc essentiel d’apporter des réponses structurelles afin d’assurer la viabilité financière et sociale de notre système de retraites.

L’année dernière, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, nous avons voté des mesures fortes pour inciter nos compatriotes à travailler plus longtemps.

J’illustrerai mon propos en me fondant sur la récente étude de la caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV. Depuis son instauration en 2003, la surcote, qui bonifie la retraite des personnes qui décident de poursuivre leur carrière au-delà de l’âge limite et de la durée de cotisation, a montré ses premiers résultats. Ainsi, la CNAV a constaté, au premier trimestre de 2009, une augmentation de 12,5 % du nombre des nouveaux retraités bénéficiaires de ce bonus, contre 9 % en 2008, 7 % en 2007 et 5 % en 2005 et 2006. La revalorisation du taux de surcote, passé le 1er janvier 2009 de 3 % à 5% par année supplémentaire travaillée, n’est sans doute pas étrangère au succès du dispositif.

Par ailleurs, cette étude a montré la bonne connaissance du dispositif de cumul emploi-retraite par les personnes pouvant en bénéficier. L’objectif prioritaire de permettre à des travailleurs âgés d’arbitrer librement entre un départ à la retraite choisi et la poursuite d’une activité professionnelle doit être poursuivi.

Cela dit, d’autres sujets devront être abordés. Dans son discours du 22 juin 2009 devant le Congrès, le Président de la République a tracé les grandes lignes de la réforme qu’il souhaite pour notre système de retraite : « Il faudra que tout soit mis sur la table : l’âge de la retraite, la durée de cotisation et, bien sûr, la pénibilité. Toutes les options seront examinées. »

Nous partageons bien sûr ces ambitions : l’année 2010 doit nous donner l’occasion de remettre à plat notre système de retraite avec pour fil conducteur, d’une part, la solidarité intergénérationnelle, condition de la pérennité financière de notre système – car les générations futures ne sauraient être pénalisées par notre immobilisme – et, d’autre part, la simplification du système existant. En effet, la multiplication des régimes rend le système incompréhensible pour les Français et entretient la défiance de nos concitoyens à l’égard de notre système de retraite.

Une réforme en profondeur est donc nécessaire pour assurer la viabilité de notre système de retraite par répartition. À cette fin, elle doit s’accompagner d’un changement dans les comportements et les attitudes de tous les acteurs, afin de promouvoir et d’encourager l’allongement de la vie professionnelle.

Aucun sujet ne doit être tabou : par exemple, pourquoi ne pas réfléchir à la prolongation de l’activité professionnelle ? En effet, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans s’élève, en moyenne, à 48 % dans les pays de l’OCDE et seulement à 25 % en France. Or, du fait du vieillissement des populations, de moins en moins de personnes en âge de travailler devront supporter les retraites de personnes âgées de plus en plus nombreuses. Un document de l’OCDE sur la crise des systèmes de pension donne le ratio de dépendance des personnes âgées. Ce ratio, qui mesure le poids des plus de 65 ans par rapport à celui des personnes de 20 à 64 ans, passera de 22 % actuellement à 46 % en 2050.

Face à une telle évolution, il est essentiel de favoriser l’emploi du plus grand nombre de travailleurs et plus particulièrement des seniors. Les mesures prises, comme la suppression de la contribution due par les entreprises licenciant des travailleurs de plus de 50 ans, l’augmentation de la surcote, la mise en place du droit individuel à la formation, vont dans le bon sens.

Il est donc impératif de supprimer tout dispositif qui subventionne le retrait anticipé de la vie active, en premier lieu, les préretraites. Or, souvent, l’âge effectif de départ à la retraite demeure de deux à trois ans inférieur à l’âge légal : ce phénomène s’explique par le fait que d’autres dispositifs continuent d’encourager le retrait anticipé du marché du travail. Comme c’est le cas dans notre pays, les critères d’admissibilité aux allocations chômage sans recherche active d’emploi permettent aux chômeurs âgés de passer directement du chômage à la retraite.

Pour relever l’âge effectif moyen de cessation d’activité, il faudra également s’assurer que les travailleurs âgés aient de réelles perspectives d’emploi et que la qualité de ces emplois soit telle qu’ils puissent effectivement rester plus longtemps sur le marché du travail.

Un véritable changement de comportement s’impose donc de la part de tous les acteurs.

Les entreprises doivent comprendre que les travailleurs âgés représentent une réelle richesse ; elles doivent, notamment, éviter toute discrimination à leur égard, investir dans leur formation ainsi qu’aménager les horaires et les conditions de travail.

Les gouvernements doivent adapter les politiques de l’emploi. Plus particulièrement, les services publics de l’emploi doivent répondre aux besoins spécifiques des travailleurs âgés et favoriser leur insertion sur le marché du travail.

Enfin, nos concitoyens doivent se préparer à l’idée de travailler plus longtemps, ce qui n’empêche pas, bien évidemment, de prendre en compte la question de la pénibilité ni celle des carrières longues.

Il s’agit du respect de l’équité sociale, pas seulement entre actifs et retraités, mais également entre générations. Sans réforme, sans changements des comportements, nos enfants et nos petits-enfants seront pénalisés. Nous devons donc lancer ce débat et nous vous soutenons, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, dans votre volonté d’agir sur cette question fondamentale. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite » : un tel débat, penseront certains, est taillé sur mesure pour la Haute assemblée ! (Sourires.) Mais, sur ces sujets, la gravité s’impose évidemment.

En filigrane de l’intitulé du débat, sans qu’on veuille la nommer, presque par pudeur, la question des retraites se profile, chacun l’a bien compris !

La situation des régimes de retraites est extrêmement préoccupante : leur déficit s’est élevé à 8 milliards d’euros en 2009, il atteindra 11 milliards d’euros en 2010 et 13 milliards d’euros en 2012. Dès 2007, nous avons atteint le niveau que prévoyaient les projections du Conseil d’orientation des retraites, le COR, pour 2020 !

Évidemment, le retournement conjoncturel a puissamment pesé sur ces résultats. Mais, comme cela a été rappelé, en aucun cas le retour à une conjoncture économique favorable ne permettrait de rééquilibrer le solde financier de la branche, parce que le déséquilibre, avec la dégradation des rapports démographiques, est évidemment structurel.

En 1970, on recensait 3,80 actifs pour un retraité : ce chiffre est aujourd’hui tombé à 1,43. Cette dynamique défavorable a conduit à une dégradation continue des soldes financiers du système de retraites depuis cinq ans, au point qu’en 2008 la branche vieillesse a été la plus déficitaire des quatre, et ce en dépit des réformes déjà engagées. Cette situation était, hélas, prévisible.

En son temps, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait été présentée comme une réforme décisive. Loin de moi l’idée de minimiser l’importance de cette réforme courageuse et attendue : l’allongement de la durée de cotisation et l’alignement partiel de la fonction publique sur le régime général ont été effectivement des mesures clefs. Mais nous savions, dès cette époque, que ces mesures ne permettraient de couvrir que la moitié des besoins de financement. Il faut maintenant assurer le financement de l’autre moitié. Et, s’il faut agir, il importe également de le faire vite !

C’est pourquoi les membres du groupe de l’Union centriste ne peuvent que saluer le volontarisme politique dont le Président de la République fait preuve en avançant de deux ans par rapport au calendrier initialement prévu « la remise à plat » du dossier et en en faisant le « grand chantier de 2010 », le « marqueur » de sa volonté de réforme, pour reprendre l’expression consacrée.

Cette réforme annoncée est attendue. L’opinion est mûre pour l’accueillir. Les premiers intéressés, les travailleurs, ont pleinement conscience que le statu quo n’est plus une option et ils sont prêts à faire des efforts. Je ne m’étendrai pas sur le sondage publié par le Journal du dimanche, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais force est de constater que ses enseignements sont rassurants.

Pour réformer, fait sans précédent par rapport aux rendez-vous passés, nous pourrons donc nous appuyer sur un consensus quant à la nécessité d’une réforme. En revanche, le consensus s’arrête là : les modalités de cette réforme sont encore inconnues.

Aussi, le débat d’aujourd’hui est-il paradoxal : il est fondamental, mais intervient alors que seules des pistes très générales sont esquissées et que même le calendrier demeure un mystère. Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous en tenir à énoncer les principes et options que nous défendrons. Ils s’articuleront autour de trois axes : globalité, « systémicité » et équité.

Premièrement, nous souscrivons à l’approche globale du dossier dont l’esquisse est déjà donnée par l’intitulé du présent débat. La question de la pénibilité et celle de l’emploi des seniors pourraient être traitées séparément de celle de l’âge de la retraite. Cependant, une telle approche serait quelque peu artificielle. Il n’est qu’à voir par quelles mesures le Gouvernement a avancé en matière d’emploi des seniors pour constater à quel point les problématiques sont liées : augmentation du taux de la surcote, libéralisation totale du cumul emploi-retraite, suppression des « clauses-couperet » de mise à la retraite d’office ou extinction des préretraites.

Il faut jouer « gagnant-gagnant » entre la problématique de la retraite proprement dite et les problématiques connexes de la pénibilité et de l’emploi des seniors. La remise à plat du système de retraites doit nous donner l’occasion d’avancer dans le règlement du dossier de la pénibilité, sur lequel tout reste à faire, car les partenaires sociaux ont échoué, et dans le domaine de l’emploi des seniors, domaine dans lequel notre pays reste grandement à la traîne. Inversement, une telle approche globale permettra d’offrir des contreparties réelles aux nouveaux efforts qui seront consentis dans le cadre des retraites.

Deuxièmement, le groupe de l’Union centriste défendra une réforme systémique, et non seulement paramétrique.

En effet, la réforme à venir pourrait, comme toutes les précédentes, seulement jouer sur les quatre paramètres que sont le montant des cotisations, la durée de cotisation, le montant de la pension ou le recul de l’âge légal. J’en profite pour signaler que nous ne serions pas, a priori, favorables à une remise en cause de ce dernier paramètre : la retraite à 60 ans est un symbole fort auquel les Français restent très attachés. De plus, le gain escompté ne serait pas à la hauteur du symbole : passer à un âge légal de 62 ans ne comblerait que 10 % des besoins de financement. Enfin, poser la réforme en ces termes nous semble vraiment le meilleur moyen d’accentuer les crispations, tout en prenant le problème par « le petit bout de la lorgnette ».

En effet, nous sommes depuis toujours favorables à une réforme systémique, et non seulement paramétrique. À l’instar de notre collègue Dominique Leclerc, nous défendons depuis 2003 le remplacement de l’annuité par le point. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir que, depuis, l’idée a fait son chemin. Aussi attendons-nous avec impatience le rapport que le COR devrait rendre à la fin du mois de janvier sur les modalités du basculement vers un régime par points ou « comptes notionnels ». L’adoption de l’une de ces deux solutions nous semblerait à la mesure de l’enjeu. Nous vous interrogerons sur ce point tout à l’heure, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État.

Troisièmement, évidemment, cette réforme ne sera acceptable que si elle est équitable. Nous ne pouvons que saluer l’effort de solidarité déjà engagé, avec la revalorisation de 7 % du minimum vieillesse cette année, ainsi que la majoration de 11 % des petites pensions de réversion. Cet effort de solidarité doit être poursuivi à l’occasion de la réforme à venir. Telles sont les propositions de notre groupe. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité débattre aujourd’hui de la question des retraites, qui est au croisement de trois enjeux fondamentaux pour notre société : le vieillissement de la population – c’est une chance pour chacun d’entre nous, mais aussi un véritable défi pour la pérennité financière de nos régimes ; le travail bien sûr, notamment la question de l’emploi des seniors ; enfin la solidarité et la justice, qui ont justifié notre effort en faveur des retraités les plus modestes et devront trouver un prolongement dans une meilleure prise en compte de la pénibilité.

J’ai conscience de l’ampleur du sujet, de son urgence et de son importance aux yeux des Français. Ce débat n’est d’ailleurs pas franco-français : tous nos voisins européens sont confrontés à cette question ; il s’agit même d’un enjeu mondial, le vieillissement de la population étant une réalité que chaque société a désormais l’obligation d’accompagner.

J’ai parlé d’urgence car la question du financement des retraites concerne directement la génération qui vient d’entrer dans la vie active et qui verra, année après année, s’accroître le poids de la charge qui pèse sur elle. Nous avons, à l’égard de cette génération, une lourde responsabilité, à laquelle nous nous sommes peut-être trop souvent dérobés. Il nous faut à présent y faire face en agissant, certes sur le déficit annuel, mais également sur la capacité du système à tenir ses engagements à long terme.

Vous connaissez les chiffres du Conseil d’orientation des retraites. Ils ont été rappelés par les différents orateurs et, il y a encore un instant, M. Nicolas About les mentionnait. Nous comptons aujourd’hui 1,8 cotisant pour un retraité. Dans une dizaine d’années, nous passerons à 1,5 cotisant pour un retraité et, en 2050, à 1,2 cotisant pour un retraité. Or, dès aujourd’hui, avec un rapport de 1,8 cotisant pour un retraité, une retraite sur dix n’est pas financée.

C’est conscient de cette urgence que le Président de la République a souhaité que nous engagions cette réforme dès 2010. En qualité de ministre du travail, des relations sociales, de la solidarité et de la ville, je suis chargé de préparer ce rendez-vous capital. J’attache naturellement une grande importance à cette mission, ainsi qu’à la réflexion que nous pourrons conduire ensemble.

Je m’y engage avec deux objectifs : sauvegarder notre système par répartition, la crise ayant montré à la fois son caractère irremplaçable pour nos concitoyens et la nécessité d’agir pour assurer sa pérennité ; veiller à l’équité, ce qui nous conduira à aborder sans faux-semblants la question, si souvent écartée, de la fonction publique. Le Président de la République l’a dit en juin dernier devant le Congrès, toutes les questions seront mises sur la table.

Cela est d’autant plus nécessaire que le régime des fonctionnaires connaît lui aussi une situation financière délicate, situation masquée par le mécanisme d’équilibrage automatique du compte d’affectation spéciale « Pensions ». En effet, le taux de cotisation de l’État-employeur est fixé de façon à en équilibrer toujours le solde : il est passé de 44 % en 2000 à 62 % aujourd’hui, chiffres qu’il faut comparer aux 16 % environ que paient les employeurs privés. Cette augmentation enregistrée depuis l’année 2000 représente un déficit « furtif » de près de 10 milliards d’euros, soit autant que celui du régime général.

Si nous n’agissons pas, c’est donc l’ensemble des contribuables qui continueront de supporter la dérive financière du régime de retraite des fonctionnaires.

La réforme des retraites doit nécessairement être une réforme globale, car on ne pourra demander des efforts seulement à certains et toujours aux mêmes. En se saisissant de cet enjeu national, le Gouvernement veut se montrer à la hauteur des efforts que certaines majorités, avant celle-ci, ont eu le courage d’entreprendre. Je pense naturellement au travail mené par le gouvernement d’Édouard Balladur en 1993, mais aussi à la réforme courageuse que François Fillon a portée en 2003 et aux avancées décisives réalisées par mon prédécesseur Xavier Bertrand sur la question des régimes spéciaux. Tous ont cherché à concilier deux logiques qui sont, aujourd’hui encore, les mots d’ordre : la responsabilité et l’équité.

Je regrette d’ailleurs que le bon sens et le courage n’aient été par le passé que d’un seul côté. Il faut bien constater que sur un sujet qui devrait faire consensus, le bilan de l’actuelle opposition est inexistant.

J’ai parlé de bon sens, car personne n’échappera à cette évidence : si nous voulons sauvegarder le système des retraites par répartition, nous serons confrontés au choix de devoir allonger la durée de cotisation, diminuer le montant des pensions ou augmenter celui des cotisations.

Diminuer le montant des pensions – je le dis clairement, à l’instar de tous les orateurs – serait inacceptable. Quant à l’augmentation des cotisations, j’observe que nous avons déjà le niveau de cotisation le plus élevé d’Europe. Accroître la pression qui pèse sur les salariés serait le moyen le plus sûr de nuire à la compétitivité de notre économie, ainsi qu’au pouvoir d’achat des salariés.

Je le dis donc sans ambages : dans un pays dont l’espérance de vie s’accroît d’un trimestre chaque année, nous n’avons d’autre solution que de travailler plus longtemps.

Un principe fort a été posé lors de l’adoption de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, dite loi Fillon, celui d’un rapport de deux tiers pour un tiers entre la durée d’activité et la durée de retraite. C’est un équilibre sain qui peut guider notre réflexion.

Ce principe a déjà trouvé à s’appliquer avec le passage progressif à 41 annuités de cotisation à l’échéance de 2012.

Mais travailler plus longtemps, c’est aussi augmenter l’emploi des seniors. Les deux sujets sont bien liés, comme en témoigne, mesdames, messieurs les sénateurs, l’intitulé du débat que vous avez souhaité engager.

Je veux en finir avec cette exception française qui fait de nous le plus mauvais élève des pays européens en la matière, avec 39 % seulement de seniors en emploi, quand la moyenne de l’Union européenne est de 44,7 % et quand l’objectif fixé par la stratégie de Lisbonne était d’atteindre 50 % en 2010. Ce n’est pas seulement un véritable gâchis humain ; c’est aussi une charge absurde pour nos finances publiques.

Je veux donc mettre un terme à cette injustice, qui conduit à évincer des salariés en raison de leur âge, alors que l’espérance de vie à 60 ans est de 22 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes. Au lieu de chercher par tous les moyens à diminuer le temps consacré à la vie active, je voudrais que nous misions sur les valeurs qui sont les nôtres, en particulier sur l’idée d’un travail qui crée de la richesse collective grâce à la mobilisation de toutes les compétences, celles des plus jeunes comme celles des plus âgés.

C’est la raison pour laquelle je poursuis, avec Laurent Wauquiez, le secrétaire d’État chargé de l’emploi, la politique volontariste du Gouvernement pour augmenter l’emploi des seniors, politique qui a déjà fait ses preuves.

Ainsi, le taux de la surcote a été porté à 5 % pour les années accomplies au-delà de 60 ans et du taux plein. Au premier trimestre de 2009, le taux de recours à la surcote a atteint 12,5 %, soit une hausse de près de 50 % par rapport à l’année précédente.

Citons également la libéralisation totale du cumul emploi-retraite pour les salariés âgés de plus de 60 ans et bénéficiant du taux plein ou pour les salariés âgés de plus de 65 ans ; le report à 70 ans de l’âge limite des mises à la retraite d’office ; la suppression programmée de la dispense de recherche d’emploi, véritable trappe à inactivité pour les salariés les plus âgés, comme l’a signalé M. Dominique Leclerc.

Enfin, les entreprises de plus de 50 salariés sont tenues, à partir de cette année, d’être couvertes par un accord de branche ou d’entreprise relatif à l’emploi des seniors, faute de quoi une pénalité de 1 % de la masse salariale leur sera appliquée.

Cette obligation est entrée en vigueur et le succès de la démarche est d’ores et déjà au rendez-vous. Plus de 80 branches, représentant 12 millions de salariés, ont conclu ou sont sur le point de conclure un accord en faveur de l’emploi des seniors, alors que seules 4 branches avaient décliné le précédent accord national interprofessionnel relatif à l’emploi des seniors, datant du 9 mars 2006.

Plus important encore, le contenu de ces accords ne se borne pas à un respect formel des obligations posées par la loi, mais fait apparaître un certain nombre d’innovations, telles que l’augmentation de l’offre de formation dans les industries chimiques, la prévention de la pénibilité dans la grande distribution, le développement du tutorat dans la métallurgie ou la création d’un droit au temps partiel dans de nombreuses branches.

Pour travailler plus, il faut travailler mieux et travailler équitablement. C’est pourquoi, monsieur Fischer, il faut aussi poser, sans tabou, la question de la pénibilité.

Cette question doit être abordée avec précision et en distinguant deux éléments. S’agissant, d’une part, de ce qui relève de la prévention, c’est-à-dire de l’amélioration des conditions de travail, une action spécifique est menée par mon ministère, notamment dans le cadre du deuxième plan de santé au travail que je présenterai, vendredi matin, au Conseil d’orientation sur les conditions de travail. D’autre part, la question de la compensation suppose que l’on tienne compte de la pénibilité propre à certains secteurs particulièrement éprouvants. Il ne faut pas se tromper de combat.

Nos longues discussions avec les partenaires sociaux ont déjà permis des avancées sur cette question difficile et je suis déterminé à aller plus loin pour réfléchir, avec eux, aux meilleures réponses à apporter. Par ailleurs, comme l’a rappelé M. Gilbert Barbier, la cessation anticipée d’activité n’est pas nécessairement toujours la meilleure réponse possible.

Enfin, d’autres sujets seront évidemment abordés. Je pense notamment à la prise en charge de la dépendance, puisque, comme l’a souligné Mme la présidente de la commission, les questions du vieillissement et de la retraite sont liées.

Le Président de la République l’a dit lors de ses vœux du 31 décembre, le défi de la dépendance sera, dans les décennies à venir, l’un des problèmes les plus douloureux auxquels nos familles seront confrontées. Je salue à cet égard le travail très utile qui a déjà été réalisé par la mission d’information conjointe des commissions des affaires sociales et des finances de votre assemblée, conduite par les sénateurs Philippe Marini et Alain Vasselle.

L’objectif de la réforme que nous mettrons en œuvre sera de rendre effectif le principe du libre choix entre le maintien à domicile et le départ en maison de retraite, et nous devons, dans cette perspective, envisager toutes les réponses et toutes les pistes de financement possibles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat que nous avons sur ces sujets est au cœur de la réflexion sur l’avenir de notre démocratie sociale. Le Gouvernement ne négligera aucune piste afin de concilier la diversité des situations avec les impératifs de l’intérêt général. Naturellement, il sera aussi attentif à vos remarques et à vos propositions. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.