M. Daniel Raoul. Nous en reparlerons !

Pour ce qui concerne les délais de paiement, certes, je constate avec satisfaction que des progrès ont été réalisés, mais je dois souligner, dans le même temps, le nombre exorbitant de dérogations. Qu’adviendra-t-il à la fin du délai prévu par le législateur ? Le réveil risque d’être très douloureux – la hauteur de la marche à franchir est impressionnante –, alors que l’on aurait pu ou dû imposer une extinction progressive de la dérogation.

Pour ce qui est de l’urbanisme commercial, il faut trouver de toute urgence une solution afin que les élus de terrain puissent imposer dans les SCOT et dans les PLU un réel contrôle de l’offre commerciale, leur permettant d’organiser des pôles de proximité tenant compte, en particulier, de l’allongement de l’espérance de vie et des services qui doivent être offerts à nos concitoyens les plus âgés, lesquels peuvent être confrontés à des difficultés de déplacement. Dans les villes de plus de 20 000 habitants, les élus n’ont plus aucun contrôle sur les créations de commerce de moins de 1 000 mètres carrés, ceux-là mêmes qui déstructurent les quartiers.

Il faudrait sans doute revoir également le droit de préemption urbain, qui impose trop de contraintes aux municipalités. Au début de mon intervention, j’ai évoqué les restaurants exotiques que l’on voit fleurir dans la plupart de nos villes. Certes, ces commerces peuvent nous faire rêver d’horizons lointains, mais ils ne correspondent pas au maillage de proximité souhaité par nos concitoyens.

En cette période, comment ne pas évoquer les soldes flottants, qui, après expérimentation, sont rejetés à la fois par les consommateurs et par les commerçants indépendants ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Cela dépend !

M. Daniel Raoul. N’étant pas moi-même commerçant, je me contente de relayer les remarques qui me sont faites !

Entre les soldes flottants et les promotions, on ne sait plus le juste prix des choses ni à quel moment il faut acheter ! On peut également se demander comment les commerces sont approvisionnés pour pouvoir organiser ces soldes flottants.

Sur les quatre thèmes retenus par la commission, le bilan que je dresse est plus que mitigé, même si je reconnais que les délais de paiement représentent un point positif, en dépit de trop nombreuses dérogations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat, organisé sur l’initiative de nos collègues du groupe socialiste, est l’occasion pour notre assemblée de dresser un bilan de la LME et de formuler des propositions. Mes propos porteront essentiellement sur deux points : le statut de l’auto-entrepreneur et les délais de paiement.

La LME a suscité de grands espoirs : elle affichait l’ambition de « lever les contraintes qui empêchent certains secteurs de se développer, de créer des emplois et de faire baisser les prix », formule que je trouve magnifique tant il est vrai qu’on ne peut qu’applaudir à un tel programme ! On est néanmoins en droit de se demander si les résultats sont bien au rendez-vous.

Sur un plan intellectuel, le statut de l’auto-entrepreneur est remarquable.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Merci, monsieur le sénateur !

M. François Fortassin. D’aucuns ont même employé des termes d’une grande poésie, et vous savez que j’apprécie cet art : ils ont évoqué des « entreprises dormantes », ce qui est évidemment moins cru que de parler d’entreprises qui se sont « cassé la gueule »…

Mme Christiane Demontès. D’autant qu’elles n’ont en fait jamais décollé !

M. Daniel Raoul. Et qu’elles ne peuvent donc pas « se casser la gueule » ! (Sourires.)

M. François Fortassin. Dans notre pays, les diplômes et le savoir-faire sont reconnus. Or, en l’espèce, aucun savoir-faire n’est exigé. Seul suffit un certain appât du gain, accompagné, le cas échéant, de bonne volonté.

Dans le secteur du bâtiment, des consommateurs sont abandonnés à leur sort. Si la qualité des travaux réalisés par tel ou tel entrepreneur ne correspond pas à leurs attentes alors qu’ils ont payé la prestation, leur seul recours est de contacter un autre entrepreneur plus consciencieux et plus professionnel…

Donc, si, en théorie, la création du statut de l’auto-entrepreneur était incontestablement une très bonne idée,...

Mme Nicole Bricq. Non, elle était d’emblée effrayante !

M. François Fortassin. … elle a engendré des effets pervers, quand elle n’a pas eu des conséquences franchement catastrophiques.

Il en est de même des délais de paiement. Monsieur le secrétaire d’État, c’est faire preuve d’une certaine naïveté – une naïveté que j’admire, au demeurant (Sourires.) – que de croire que les acteurs jouent le jeu. Lorsqu’un grand distributeur ne paie pas un petit producteur ou un industriel dont la structure est modeste, ce fournisseur ne peut qu’attendre !

M. Yvon Collin. Il n’a pas le choix !

M. François Fortassin. S’il saisit les autorités de contrôle, il est systématiquement « déréférencé » et banni. Ne nous voilons pas la face : la grande distribution a des moyens de coercition très importants et peut même s’appuyer sur certaines solidarités – pas forcément dans le bon sens du terme – terriblement efficaces.

Le double étiquetage serait, nous dit-on, difficile à mettre en œuvre, mais il aurait au moins le mérite d’une certaine transparence en informant le consommateur sur le prix payé au producteur. D’aucuns me rétorqueront que ce double étiquetage, réalisable pour les mandarines ou le raisin, est impossible pour une boîte de cassoulet, car il est difficile de distinguer le prix de la saucisse, celui des haricots, celui du confit, etc. ; bien entendu, j’aurais également pu évoquer une boîte de choucroute ! (Sourires.) Mais, monsieur le secrétaire d’État, personne ne vous demande de mettre en place ce double étiquetage systématiquement : seulement lorsque cela est envisageable.

Par ailleurs, comment accepter qu’il soit impossible de connaître la date d’abattage des animaux dont la viande nous est vendue prétendument « fraîche » ? Lorsque notre collègue Gérard Bailly et moi-même avons établi un rapport sur l’élevage ovin, nous avons appris qu’on vendait pour de la viande fraîche celle d’animaux abattus trois mois auparavant ! Pour ma part, lorsque je laisse pendant trois semaines un morceau de rumsteck ou des côtes d’agneau dans mon réfrigérateur, ils n’ont pas un très bel aspect… La viande en question avait donc dû être traitée avec certains produits, mais nous n’avons pas réussi à en connaître la nature. Une telle situation est anormale.

En conclusion, monsieur le secrétaire d’État, je dirai que, malgré votre bonne volonté, la LME a sur l’économie l’efficacité d’un sinapisme sur une jambe de bois ! (Sourires et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, près de deux ans après le vote de la loi de modernisation de l’économie, je me réjouis que nous puissions en faire un premier bilan.

Afin de ne pas disperser mon propos, je ne le consacrerai qu’à deux points précis.

Le premier concerne les délais de paiement. Ramenés à quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours calendaires à compter de la date d’émission de la facture, ces délais sont globalement respectés. Nous ne pouvons que nous en féliciter et saluer le fait qu’une plus grande équité ait pu être ainsi imposée aux différents partenaires. Cependant, selon le rapport d’Élisabeth Lamure, 20 % de l’économie y dérogent au travers d’accords spécifiques permettant d’opérer une transition en douceur vers cette procédure.

Ces jours gagnés sur les délais de paiement moyens s’avèrent un atout pour le fonctionnement de l’ensemble des PME fournisseurs de la grande distribution. Sur ce point précis, la LME a atteint son but et il convient de le souligner clairement.

Il en va tout autrement pour les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Si les marges arrière ont été effectivement réduites, passant de 32 % à 11 % des prix entre 2008 et 2009, cette loi est loin d’avoir atteint son objectif à cet égard. Ces relations restent fortement déséquilibrées au profit des trois à quatre grandes enseignes qui monopolisent les échanges commerciaux nationaux.

Fournisseurs et distributeurs divergent quant à l’interprétation de la loi. Un certain nombre de conventions ont été contrôlées et toutes, je dis bien toutes, contenaient au moins une disposition significativement déséquilibrée, pour reprendre, là encore, les termes du rapport d’Élisabeth Lamure. Cela est inacceptable !

L’État n’est pas resté inactif face à une telle dérive puisque, par l’intermédiaire de la DGCCRF, il a assigné devant les tribunaux de commerce neuf enseignes. C’est une première ! Ces mêmes enseignes ont fait part bruyamment de leur incompréhension, imaginant sans doute que « les choses pouvaient continuer comme par le passé ». Eh bien, non ! Le législateur tout comme les fournisseurs ne peuvent être ainsi mis devant le fait accompli. Une loi est élaborée et votée pour être respectée.

Monsieur le secrétaire d’État, ma première série de questions concerne précisément le contentieux entre l’État et ces enseignes. Où en sommes-nous ? Quand peut-on imaginer obtenir, éventuellement par le biais des jugements des tribunaux de commerce saisis qui feront ainsi jurisprudence, une interprétation unique et non ambiguë de la LME ? Les effectifs de la DGCCRF sont-ils suffisants pour diligenter autant de contrôles nécessaires à une moralisation de ces rapports ?

Le second point, qui a été évoqué par plusieurs intervenants, a trait au partage de la valeur ajoutée, de l’amont à l’aval, de certaines filières agricoles.

L’année 2009, au travers de la filière laitière, a fait clairement apparaître un profond déséquilibre. Si l’on se reporte au document élaboré par Christiane Lambert, membre du Conseil économique social et environnemental, on ne peut qu’être choqué de constater que, au début de 2008, lorsque le lait était payé 0,32 euro le litre au producteur, la marge brute du distributeur s’élevait à 0,40 euro pour un lait de grande marque. Au passage, le transformateur, quant à lui, prélevait 0,18 euro. En Grande Bretagne, toujours en 2008, lorsque le litre de lait était payé 25,82 pence le litre, la marge brute du distributeur s’élevait à 13,16 pence…

Entre producteurs, transformateurs et distributeurs, le partage de la valeur ajoutée est fortement déséquilibré au profit de ces derniers.

Même si, au travers des négociations au sein du CNIEL, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, les producteurs de lait parviennent à trouver bon an, mal an des accords de prix, les transformateurs font régulièrement état des pressions exercées par la grande distribution pour fixer un prix du lait, qui, à certaines périodes, est en deçà du prix de revient du producteur. Là encore, c’est difficilement acceptable.

La filière laitière française est fragile. Soyons objectifs : elle devra faire l’objet d’une restructuration si elle veut rester compétitive, c’est-à-dire tout simplement, si elle veut rester sur les marchés.

Nos voisins allemands et ceux d’Europe du Nord ont conduit d’importantes réformes que, en France, nous avons toujours repoussées, car particulièrement délicates, en raison de notre politique d’aménagement du territoire, un territoire riche de sa diversité, mais également de sa complexité.

Si j’aborde cet aspect de la question ici, c’est pour souligner que nous connaîtrons, sur cette filière agricole comme sur d’autres, des périodes de forte volatilité des cours dans les années à venir, car nous sommes très clairement dans une internationalisation des marchés.

Dès lors que l’on est conscient de cette évolution des marchés, il convient de réagir et d’anticiper. Au-delà des observatoires des prix et des marges, qui sont autant d’outils d’analyse, mais d’analyse seulement, et sans revenir à un encadrement total des prix – pratique d’un autre âge –, il me semblerait judicieux, voire moral, que certaines fluctuations brutales puissent être encadrées.

Au-delà de certains seuils, les pouvoirs publics doivent pouvoir interpeller les partenaires concernés. En clair, l’État doit pouvoir clairement inviter ces mêmes partenaires à établir rapidement un dialogue sans pour autant « glisser » vers l’entente, qui serait, elle, illégale et contraire au traité de Rome. Ce dialogue permettra d’éviter tout mouvement de réaction, voire des dégradations et des manifestations violentes des producteurs, telles celles que nous avons récemment connues et que nous regrettons tous.

Cela étant, vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons que comprendre ces mêmes producteurs quand on constate qu’ils ne pourront survivre longtemps en vendant en dessous de leur prix de revient.

J’aimerais donc connaître votre analyse et entendre une réponse sur ces différents points précis, en particulier sur celui concernant le partage de la valeur ajoutée au sein des filières agricoles. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’axerai mon intervention sur l’auto-entrepreneur, qui est l’une des innovations marquantes de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

L’engouement pour ce nouveau statut est réel. Les chiffres que vous communiquez, monsieur le secrétaire d’État, de l’ordre de 300 000 nouveaux auto-entrepreneurs en 2009, le montrent bien.

Il est vrai que le statut de l’auto-entrepreneur offre de multiples avantages, au nombre desquels un régime micro-social simplifié. Ce régime consiste en un versement libératoire des cotisations sociales, calculé proportionnellement aux revenus d’activité effectivement encaissés. Pour les périodes sans revenus d’activité, aucune cotisation n’est due. Ce régime micro-social simplifié ouvre notamment droit à une couverture sociale en termes d’avantages maladie, maternité, vieillesse et invalidité-décès.

Les caisses de protection sociale, surtout les caisses de retraite, s’inquiètent et tirent la sonnette d’alarme.

La Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales, la CNAVPL, et la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, la CIPAV, se montrent préoccupées par les conséquences financières de ce régime. L’ouverture de droits sociaux à des actifs ayant des chiffres d’affaires très faibles pose en effet de sérieux problèmes.

Les déclarations effectuées auprès des deux caisses précitées pour le premier semestre de 2009 laissent présager un chiffre d’affaires annuel moyen de 2 000 euros. La majorité des auto-entrepreneurs qui y sont affiliés n’ont d’ailleurs pas déclaré de chiffre d’affaires du tout.

À la CIPAV, un adhérent qui réalise un chiffre d’affaires de 4 000 euros par an doit 550 euros de cotisations. Il en paie la moitié, l’autre moitié étant prise en charge par l’État.

La situation est la même pour un auto-entrepreneur commerçant. Ainsi, dans une circulaire en date du 9 avril 2009, la direction des retraites du régime social des indépendants prend l’exemple d’un commerçant auto-entrepreneur déclarant un chiffre d’affaires annuel de 20 000 euros. La retraite de base payée par l’assuré à hauteur de 606 euros, au lieu de 966 euros, est compensée par l’État à hauteur de la différence, soit 360 euros. Mais les droits sont validés sur la base de 966 euros. La retraite complémentaire est payée à hauteur de 237 euros, mais les points sont calculés sur la base de 377 euros.

Sur la base de 100 000 bénéficiaires en fin d’année, l’État devra compenser à la CIPAV près de 30 millions d’euros en 2009 et plus de 40 millions en 2010. C’est une échelle de chiffres que nous retrouvons dans le dernier rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale.

Ces évolutions posent la question du financement des régimes des professionnels indépendants ainsi liée à la capacité de l’État à faire face à ses obligations de compenser le manque à gagner en termes de cotisations.

Ces évolutions pèsent également sur la charge de compensation démographique qui pèsera sur la CNAVPL si les règles actuelles ne sont pas changées. L’afflux d’adhérents accroît la charge de compensation de la CNAVPL aux autres régimes de base de 1 700 euros pour chaque actif supplémentaire, montant sans commune mesure avec les cotisations des auto-entrepreneurs : 550 euros pour un chiffre d’affaires de 4 000 euros et 606 euros pour un chiffre d’affaires de 20 000 euros.

L’article 71 du PLFSS pour 2010 prévoit que la compensation assurée par l’État aux organismes de sécurité sociale concerne désormais les auto-entrepreneurs ayant un revenu inférieur à un seuil fixé par décret. Ce seuil doit être significatif. Or il n’a pas encore été indiqué, monsieur le secrétaire d’État.

Toutefois, il est important d’aller plus loin. Il faut que les droits ouverts aux auto-entrepreneurs soient proportionnels au montant de leurs cotisations. Cette solution n’est pas très pénalisante compte tenu du fait que, d’après les termes du rapport de notre collègue Élisabeth Lamure, on trouverait, parmi les auto-entrepreneurs, 33 % de salariés et 6 % de retraités. Ce sont donc près de 40 % des auto-entrepreneurs qui bénéficient déjà d’une couverture sociale et, de fait, trouvent dans leur auto-entreprise un complément de revenu. Ils n’ont donc pas absolument besoin de retraite supplémentaire.

Monsieur le secrétaire d’État, je sais que vous avez déjà été sensibilisé à ce problème. Je souhaite réellement que l’on trouve des dispositions qui restent intéressantes pour l’auto-entrepreneur, mais qui ne pénalisent pas les finances des caisses de protection sociale. (Applaudissements au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar des orateurs précédents, je vais intervenir sur le statut de l’auto-entrepreneur, premier article de la loi de modernisation de l’économie que nous évaluons aujourd’hui.

Face à une situation économique et sociale profondément dégradée et à un chômage qui oscille autour de 10 %, toute mesure créant de l’activité est une avancée. Elle le demeure si, et uniquement si elle ne génère pas des effets pervers, contraires à l’objectif déclaré. Or, ainsi que le rappelait notre collègue Nicole Bricq durant l’examen de la dernière loi des finances rectificative, « lorsque le statut d’auto-entrepreneur a été intégré à la loi de modernisation de l’économie, en 2008, le groupe socialiste s’est exprimé contre, pour des raisons générales, mais aussi au nom du risque de concurrence déloyale que ce régime suscite au regard de l’artisanat et du commerce ».

Aussi, après une année de mise en œuvre et conjointement à la tenue d’un comité d’évaluation convoqué par le M. le ministre du budget, il nous est apparu essentiel de dresser un bilan de la mise en application de l’un des articles phares de la loi de modernisation de l’économie.

Le statut d’auto-entrepreneur est porté tel un étendard par la majorité et le Gouvernement. Prototype de décision qui fait la fierté des thuriféraires du libéralisme économique, il devait permettre à nos concitoyens de découvrir la création d’entreprise sans entrave administrative. C’est dans cet esprit que, à l’occasion de l’examen de la dernière loi de finances rectificative, M. le ministre du budget déclarait : « Je veux dire au Sénat que le succès du régime de l’auto-entreprise est incontestable. »

Les données fournies par l’ACOSS au mois de novembre dernier, correspondant aux comptes d’auto-entrepreneurs créés auprès de l’URSSAF au 31 octobre 2009 et aux échéances acquittées au titre des trois premiers trimestres, nous permettent de dresser un portrait-robot de l’auto-entrepreneur : il s’agit d’un demandeur d’emploi âgé de quarante-quatre ans et qui facture peu.

Quantitativement, sur les 240 000 auto-entrepreneurs susceptibles d’acquitter des montants au titre de leur chiffre d’affaires réalisé au cours du troisième trimestre – soit les cotisants immatriculés avant le 1er avril – ou du deuxième et du troisième trimestre de 2009 – soit les cotisants immatriculés au deuxième trimestre –, 47 500 ont déclaré, selon le rapport de Mme Lamure, avoir réalisé un chiffre d’affaires, après 35 800 à l’échéance précédente, soit une fraction équivalente à un peu moins de 20 % du total de l’existant.

Le total des chiffres d’affaires des auto-entrepreneurs au cours des neufs premiers mois de 2009 a progressé, comme Mme Dini vient de le rappeler, pour atteindre 383 millions d’euros. Le chiffre d’affaires moyen par auto-entrepreneur ayant déclaré aux URSSAFF avoir réalisé un chiffre d’affaires s’élève à près de 4 000 euros par trimestre, soit un revenu mensuel de 1 330 euros, à peine supérieur au montant du RSA. Chapeau pour ceux qui ont une activité professionnelle !

Dès lors, comment qualifier de « réussite » un dispositif qui se caractérise par 68 % d’activités dormantes, ainsi que le met en exergue Élisabeth Lamure dans son rapport ? Comme elle, nous nous interrogeons quant aux chances de développement de plus des deux tiers des auto-entreprises créées avant le 30 juin qui n’avaient réalisé aucune opération quatre mois plus tard.

Nous nous interrogeons également sur la pertinence de l’extension de douze mois à trente-six mois de la durée pendant laquelle une auto-entreprise peut rester dormante, c’est-à-dire ne réaliser aucun chiffre d’affaires, sans être contrainte de renoncer au régime de l’auto-entreprise. N’y a-t-il pas là un véritable risque d’inciter à l’exercice d’activité illégale ? Pour notre part, nous le pensons.

Au-delà des statistiques, deux problèmes majeurs se posent.

Le premier, qui a déjà été évoqué, a trait à la concurrence déloyale instaurée sciemment par le Gouvernement. Il suffit de se rendre dans les régions et de lire la presse quotidienne régionale pour le constater : partout, les fédérations professionnelles d’artisans protestent contre la concurrence nouvelle qu’ils subissent de la part des auto-entrepreneurs.

Le rapport de notre collègue précise que le « Gouvernement a fait réaliser des simulations [....] qui ne feraient pas apparaître un avantage systématique au profit des auto-entrepreneurs ». Dans les faits, les présidents des Unions professionnelles artisanales territoriales ont déjà interpellé M. le secrétaire d’État au mois de juillet et, dernièrement, à l’occasion de l’assemblée générale de l’Assemblée permanente des chambres de métiers, l’APCM. Comment pourrait-il en être autrement face à une telle distorsion de concurrence ?

Très concrètement, c’est dans le secteur du bâtiment, qui rassemble 12 % du nombre total des auto-entrepreneurs, que le problème est le plus crucial. Un peu partout, des artisans à la retraite ou de simples bricoleurs proposent aux particuliers de refaire leur salle de bain ou de repeindre leur cuisine à des tarifs inespérés. En raison du niveau des cotisations sociales et des impôts, limités à 20 % pour un auto-entrepreneur, et des charges fixes, les devis des auto-entrepreneurs sont inférieurs de 20 % à 50 % à ceux des entreprises du secteur du bâtiment. Cette situation est identique, à des degrés divers, dans tous les secteurs du commerce et de l’artisanat, aussi bien dans les domaines de la coiffure, de la plomberie, les métiers liés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, que dans l’édition, comme le rappelait Daniel Raoul tout à l’heure.

J’en viens à une autre illustration des effets pervers qui se font jour, et que Mme le rapporteur a relevés : « Un certain nombre d’employeurs peuvent […] être incités à substituer des auto-entrepreneurs à des salariés ». La réalité démontre que tel est bien le cas. Ainsi, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, a observé que certaines entreprises ont tendance à fortement inciter leurs propres salariés à s’installer comme auto-entrepreneurs pour effectuer des tâches qu’ils réalisaient en tant que salariés de l’entreprise.

Mme Christiane Demontès. Dans le contexte de crise que nous connaissons, comment ne pas penser que ce type de sous-traitance est appelé à se multiplier dans tous les secteurs ?

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Christiane Demontès. Les conséquences directes sur l’emploi – de nombreux emplois sont perdus – sont indéniables. Pour le moment, nous ne disposons pas de données précises. Le comité d’évaluation sera sans doute en mesure de nous en fournir. Ces conséquences sont d’autant plus regrettables que le rapport de Mme Lamure révèle que seuls 17 % des auto-entrepreneurs auraient été prêts, le cas échéant, à lancer leur projet, même dans un autre cadre juridique.

Le second problème tient aux conséquences de ce dispositif s’agissant de notre régime de protection sociale – Mme Dini vient d’y faire allusion –, qui affiche un déficit prévisionnel de 30 milliards d’euros pour l’année 2010.

Ce statut au régime fiscal extrêmement favorable constitue une nouvelle source de moins-perçu pour les finances sociales. Si le chiffre d’affaires total de 1 milliard d’euros attendu par M. le secrétaire d’État chargé des petites et moyennes entreprises avait été atteint, le déficit de cotisations sociales se serait creusé de près de 300 millions d’euros. Il n’atteindra que le tiers de ce montant pour les raisons que nous avons déjà évoquées ; mais qu’en sera-t-il l’année prochaine et au-delà ?

Ne nous y trompons pas : ce statut participe bel et bien d’une philosophie économique et sociale qui, si elle n’est pas nouvelle, demeure extrêmement néfaste. L’objectif est de faire glisser du statut de demandeur d’emploi à celui d’auto-entrepreneur nombre de nos concitoyens. Par ce biais, les dépenses d’assurance chômage se trouveraient mécaniquement minorées. En revanche, le nombre de travailleurs pauvres, déjà très élevé puisqu’il s’élève à 3,7 millions, risque de connaître une nouvelle progression.

Mme Nicole Bricq. C’est clair !

Mme Christiane Demontès. Enfin, l’année 2010 sera marquée par une nouvelle réforme des retraites. Dans un contexte budgétaire très difficile, comment ne pas penser que les tenants de la politique économique actuelle ne présenteront pas le recours au statut d’auto-entrepreneur comme une solution pour nos concitoyens disposant de faibles pensions ?

Voilà un peu plus d’un an, nous avions formulé une série d’observations sur les risques liés à ce nouveau statut. Aujourd'hui, force est de constater que nos craintes étaient malheureusement fondées.

Surtout, et je terminerai sur ce point, l’auto-entrepreneuriat met dans une situation ô combien précaire ceux qui n’ont d’autre solution que de choisir ce statut pour ne pas rester sans emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. François Fortassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais à mon tour vous parler de l’auto-entrepreneur. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Le succès du régime de l’auto-entreprise est incontestable.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !