M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après ce que nous venons d’entendre, on peut se référer soit à Talleyrand, en disant comme lui que « tout ce qui est excessif est insignifiant » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG), soit à Alain, selon lequel « le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté ». Vous avez brossé un tableau si noir de la situation, mon cher collègue, qu’il ne peut s’agir de votre part que du souhait d’aligner un certain nombre de bons mots… (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Beaucoup a déjà été dit sur cette réforme, dont de nombreux orateurs ont rappelé les objectifs : adapter notre organisation territoriale aux réalités du temps, optimiser l’usage de l’argent public, mutualiser au mieux les moyens des collectivités. Réduire le nombre d’élus n’est pas l’alpha et l’oméga de la réforme ; ce qui importe, c’est la volonté de rassembler les collectivités, de mutualiser leurs moyens et de rationaliser l’organisation, pour être au plus près des attentes de la population et des élus.

Le texte soumis aujourd'hui au Sénat résulte d’une importante concertation entre le Gouvernement, les associations d’élus, les forces vives de la nation, le Parlement et tous ceux qui ont bien voulu s’engager dans la réflexion.

Bien sûr, l’objet principal du texte est la création du conseiller territorial, ce nouvel élu qui siégera à la fois à l’échelon départemental et à l’échelon régional.

Bien sûr, le texte, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, renforce la commune et l’intercommunalité. Il maintient pour cette cellule de base la clause de compétence générale, parce que les maires doivent avoir les moyens de conduire les politiques qu’il leur est demandé de mettre en œuvre.

Bien sûr, le texte contient des éléments nouveaux : la création des métropoles traduit la volonté de répondre au fait urbain, quarante ans après la création des communautés urbaines, décidée par le général de Gaulle. Ce fait urbain, par son poids économique et démographique, participe à l’équilibre de notre territoire national. La création de métropoles permettrait à un certain nombre de communautés urbaines de France de jouer dans la cour européenne, voire au-delà. Le projet de loi prévoit par ailleurs la mise en place de pôles métropolitains. À cet égard, j’ai entendu avec beaucoup d’intérêt M. Collombat les qualifier de « métropoles pour insuffisants démographiques »… Ceux des membres de son groupe qui soutiennent ce projet n’auront pas manqué d’apprécier !

Un double constat s’est imposé ces dernières années, au fil des différents rapports consacrés à l’organisation territoriale de la France : d’une part, cette dernière n’a pas suffisamment pris en compte la montée en puissance du fait urbain, qui réclame la mise en œuvre de politiques publiques très intégrées ; d’autre part, la compétition entre les grandes agglomérations, européennes ou internationales, n’a cessé de s’accentuer.

Il est donc aujourd’hui nécessaire de proposer un nouveau cadre de gouvernance, plus adapté que celui des actuelles communautés urbaines. La création du statut de métropole par les dispositions de l’article 5 du projet de loi répond à cet objectif.

Cette métropole sera un nouvel EPCI regroupant, sur la base du volontariat, plusieurs communes qui forment un ensemble de plus de 450 000 habitants, d’un seul tenant et sans enclaves. Elle sera constituée pour conduire un projet d’aménagement et de développement économique, écologique, éducatif et culturel de son territoire. Elle disposera à cet effet de compétences élargies en matière de développement économique, d’urbanisme, d’habitat, de transport et d’infrastructures, d’éducation, dont certaines par transfert des départements et des régions. Au-delà d’un socle obligatoire, elle pourra passer des conventions avec les autres collectivités territoriales et l’État pour exercer des compétences supplémentaires, nécessaires pour son développement et sa compétitivité. Les charges transférées par les communes sont compensées par le transfert à la métropole des principales recettes fiscales et de la DGF. De plus, l’évaluation des charges transférées est placée sous le contrôle d’une commission consultative.

Au-delà du statut de la métropole, qui ne concernera qu’un nombre limité de grandes agglomérations – cinq, peut-être six, au plus sept –, il est nécessaire de favoriser une coopération renforcée, à une plus large échelle, entre territoires urbains. C’est l’objet de l’article 7 du projet de loi, qui instaure les pôles métropolitains, présentés sous un jour si séduisant par M. Collombat… Ce dispositif est conçu comme un instrument souple, permettant la mise en œuvre d’une véritable politique d’aménagement du territoire.

Le pôle métropolitain est un établissement public constitué, sur une base volontaire, par des EPCI à fiscalité propre formant un ensemble de plus de 450 000 habitants, dont l’un des membres a une population supérieure à 200 000 habitants. Sa création, après accord entre les collectivités, est laissée à l’appréciation du préfet. Les pôles métropolitains obéissent au régime juridique des syndicats mixtes dits « fermés ».

Le travail de la commission des lois du Sénat a permis de préciser le champ d’intervention des pôles métropolitains en matière de développement économique, écologique, éducatif et universitaire, de promotion de l’innovation, d’aménagement de l’espace et de développement des infrastructures et des services de transport, ainsi que les modalités de représentation de leurs membres au sein de leur organe délibérant.

Il s’agit donc de développer un réseau de métropoles pour relever le défi de la mondialisation, dans un univers ouvert et compétitif, sans pour autant oublier les territoires ruraux, ainsi que la nécessité d’assurer un équilibre au sein de cette organisation générale, et même une grande cohérence, les uns ne pouvant pas vivre sans les autres. Par conséquent, il s’agit non pas d’opposer les territoires, mais de les rendre complémentaires.

La deuxième avancée considérable du présent projet de loi concerne la rationalisation de l’intercommunalité.

Historiquement, l’intercommunalité a constitué la réponse originale de la France à son émiettement communal à la suite de l’échec du mouvement de fusion des communes dans les années soixante-dix. Elle n’a cessé de se développer, particulièrement depuis la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Désormais, la majeure partie du territoire national est couverte par des structures intercommunales. Cela nous a permis, à nous élus, d’apprendre à travailler en commun, en dépassant le cadre, devenu souvent trop étroit, de la commune, afin de nous inscrire dans une perspective de solidarité territoriale. Nous avons tous en tête des exemples d’élus qui, d’abord réservés, ont finalement compris l’intérêt d’une telle démarche.

Il est maintenant essentiel de conforter l’acquis de l’intercommunalité en franchissant une nouvelle étape. En la matière, le Gouvernement se fixe donc trois objectifs : la couverture intercommunale intégrale du territoire français à l’horizon du début de l’année 2014, la rationalisation des périmètres des structures intercommunales à la même échéance et l’approfondissement de l’intercommunalité à travers la rénovation de son cadre juridique.

Les préfets seront chargés d’élaborer avant la fin de l’année 2011, au terme d’une large concertation avec l’ensemble des conseils municipaux des communes et des organes délibérants des EPCI et des syndicats concernés, un schéma départemental de coopération intercommunale, qui sera soumis à la commission départementale de la coopération intercommunale. S’ouvrira ensuite une période de deux années, 2012 et 2013, durant laquelle les préfets seront dotés de pouvoirs temporaires destinés à faciliter la déclinaison du schéma, qui devra être achevée au 1er janvier 2014.

Un tel travail d’élaboration et de déclinaison d’un schéma partagé avec les élus englobera évidemment le chantier de la rationalisation des multiples structures intercommunales – syndicats et EPCI –, dont les périmètres ou les compétences se chevauchent encore trop souvent.

Enfin, plusieurs mesures permanentes, distinctes du dispositif temporaire d’achèvement et de rationalisation de la carte intercommunale, permettront d’approfondir l’intercommunalité.

Le présent projet de loi a suscité beaucoup d’inquiétudes. Fallait-il supprimer tel ou tel échelon, le remplacer par un autre ? En tout cas, le Gouvernement semble ouvert à la discussion sur la question du mode d’élection des nouveaux conseillers territoriaux. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvions plus rester sans rien faire !

Certes, il aurait été possible d’aller plus loin et d’avoir encore plus d’ambition, notamment s’agissant des métropoles. Mais il est aussi un principe de réalité : il faut que les objectifs de ce texte puissent être largement partagés. Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui répond bien à cette exigence.

Oui, ce texte est fondamental pour moderniser l’organisation territoriale de notre pays ! Il a sans doute un caractère historique, et s’inscrit dans la droite ligne d’un processus engagé par François Mitterrand, poursuivi par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et porté par le Président Sarkozy. Il permettra de renforcer la décentralisation et les libertés locales en France : c'est la raison pour laquelle je le voterai. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Daniel Raoul. Quel scoop !

M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Yves Krattinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est-il véritablement à la hauteur des ambitions affichées ? Répondra-t-il aux attentes de nos concitoyens et des élus ? Au départ, les mots clés du vocabulaire gouvernemental et présidentiel étaient « simplification », « lisibilité », « économie », « réduction du millefeuille »… Or ces termes ne trouvent guère d’écho dans le texte qui nous est soumis. Il s’agissait de faire le ménage dans les compétences, de supprimer les doublons, de raccourcir les procédures : ces objectifs seront-ils atteints ?

Telles sont les questions que nous pouvons aujourd'hui légitimement nous poser.

Monsieur le ministre, essayons d’imaginer ce qu’aurait pu être un projet de loi un peu « gonflé », puisque celui-ci est en train de se dégonfler… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Comme on me l’a dit dans une réunion départementale : « Quand on veut faire le ménage, il faut commencer par le haut. » Or, dans l’escalier institutionnel, le haut, c’est l’État ! Commençons donc par lui.

Une telle réforme constituait une occasion formidable de supprimer enfin les interventions des services déconcentrés de l’État dans les compétences transférées aux collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) On ne peut pas continuer comme cela ! C’était d’ailleurs une proposition que nous avions formulée dans le cadre de la mission parlementaire, mais je n’y reviens pas. Cette décision aurait dû être prise en 1982 ou en 2004. Cela n’a pas été le cas, et beaucoup l’ont regretté. À la lecture du présent projet de loi, dont l’adoption ne permettra pas d’avancer, il apparaît que cela restera à faire.

Par ailleurs, nous attendions l’attribution d’une partie du pouvoir réglementaire aux régions et aux départements dans les domaines de compétence qui leur ont été transférés. Prenons l’exemple de l’accessibilité des transports aux personnes handicapées : les mêmes dispositions doivent-elles continuer à s’appliquer à l’intérieur du périphérique parisien et dans mon département, la Haute-Saône, peuplé de 230 000 habitants ? Je ne le crois pas. Il me semble nécessaire d’adapter la réglementation aux territoires, ce que vous refusez toujours de faire, au nom d’un principe centralisateur. Selon vous, la France n’a pas le droit d’évoluer, pourtant elle le voudrait ! C’est vous qui l’en empêchez ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Ce projet de loi représentait également une occasion de refonder les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales. Les parlementaires de la majorité ont beau faire preuve de beaucoup de talent – je le reconnais bien volontiers – lorsqu’ils essaient d’expliquer les nouveautés de la fiscalité locale aux élus locaux et aux citoyens, personne n’y comprend rien ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Yves Krattinger. Par conséquent, une clarification et une réécriture des principes régissant les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales s’imposent, mais le projet de loi est muet sur cette question fondamentale.

Nous attendons en outre de l’État qu’il assume clairement ses compétences en matière d’infrastructures. Depuis quelques années, comme on a pu le voir avec la réalisation du TGV-Est, les régions, les départements, les agglomérations sont mis à contribution pour financer les infrastructures de niveau national, qu’il s’agisse du rail ou de la route. Il en va de même en matière de haut débit ou de téléphonie. Au demeurant, monsieur le ministre, vous connaissez très bien ces sujets, pour avoir vous-même, en tant que responsable d’un exécutif local, abondé abondamment (Sourires) les financements de l’État… Les relations financières entre ce dernier et les collectivités territoriales n’auraient-elles pas dû être précisées dans la loi, à l’issue d’un dialogue avec les élus locaux ? Le texte ne prévoit rien sur ce point : l’État aura le droit de demander… Ce n’est pas là une règle républicaine ! Nous ne trouvons pas, dans le projet de loi, de réponse sur ce sujet.

Sur l’escalier institutionnel, quelques marches plus bas que l’État, on trouve les régions.

Les propos tenus tout à l’heure par M. Hortefeux m’ont vivement déçu. Comparées aux régions des autres grands pays européens, les nôtres apparaissent comme des naines, notamment en matière financière. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.) Et le Gouvernement souhaite qu’elles restent dans cette situation !

M. Michel Mercier, ministre. Ah bon ?

M. Yves Krattinger. Nos régions, et c’est là leur vraie spécificité, n’ont ni compétences ni budget ! C’est « rétréci de chez rétréci » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) La faiblesse de leurs capacités d’intervention et l’étroitesse de leur budget constituent aujourd'hui leurs principaux problèmes.

Les régions devraient être confortées dans leur mission stratégique, qui consiste à préparer l’avenir en renforçant la compétitivité des territoires, en les rendant plus accessibles et en formant les hommes. En d’autres termes, il faut tirer les régions vers le haut. Est-ce vraiment votre intention alors que vous entendez créer la confusion des compétences avec l’échelon départemental ? Nous n’en sommes absolument pas convaincus ! Alors que les régions devraient s’occuper de recherche, d’enseignement supérieur, d’innovation, d’aide aux entreprises et d’accompagnement économique, vous prévoyez qu’elles fassent doublon avec les départements dans le domaine social. Ce n’est pas raisonnable !

Nous devrions aussi attribuer de manière ferme et définitive aux régions la distribution des fonds européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Vous avez refusé de le faire en 2004, parce que la gauche avait gagné les élections régionales, et faute de savoir quels seront les résultats de celles de mars prochain, vous restez muets sur le sujet. Mais je parie que les choses changeront si vous gagnez ces élections…

Mme Dominique Voynet. Ce n’est pas à l’ordre du jour !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est un pari audacieux !

M. Dominique Braye. M. Sueur fantasme !

M. Yves Krattinger. Nous attendons que les régions disposent d’un véritable droit à l’expérimentation. Par exemple, il faudrait transférer à titre expérimental la compétence en matière d’emploi à deux ou trois régions. Un tel transfert paraît logique dans la mesure où les régions exercent déjà des compétences en matière de développement économique ou de formation professionnelle et technologique. Vous devriez ouvrir ce champ d’expérimentation.

Nous demandons aussi un élargissement du socle des compétences obligatoires des régions, en vue d’améliorer la lisibilité et l’efficacité de leur action. Nous proposons de renforcer leur rôle de chef de file en termes de développement économique et pour un certain nombre de compétences partagées. Nous appelons de nos vœux la création d’un guichet et d’un interlocuteur uniques pour l’instruction des dossiers. Il s’agit de supprimer non pas les financements, qui seront toujours nécessaires, mais les doublons en matière d’instruction. Or le premier à doublonner, c’est l’État !

En outre, nous devrions achever aujourd'hui le transfert des personnels techniciens, ouvriers et de services, les TOS, par celui des intendants des collèges et des lycées. Les collectivités territoriales fournissent les budgets et les agents, mais l’État continue de contrôler la chaîne hiérarchique. C’est incohérent ! Aucune entreprise privée ne tolérerait de telles bêtises !

En continuant à descendre l’escalier institutionnel, on trouve, au rez-de-chaussée, d’un côté les départements, de l’autre les régions. C’est l’échelon de la proximité.

Chacun s’accorde à reconnaître que le département est l’acteur des solidarités sociales. Nous pensons qu’il fallait conforter ce bloc en permettant aux départements d’élaborer des schémas prescriptifs dans le domaine médicosocial avec les agences régionales de santé, les ARS. Dans cette optique, nous estimons également qu’il serait cohérent de leur transférer le versement de l’allocation pour adulte handicapé et le financement des établissements et services d’aide par le travail. Mais vous le refusez…

Nous voulons par ailleurs que les départements soient confortés dans leur mission de fournir les conseils juridiques et techniques nécessaires aux collectivités infra-départementales, en particulier dans les zones rurales. Notre collègue Edmond Hervé l’a abondamment souligné. Nous étions tous d'accord sur ce point au sein de la mission. Mais aujourd’hui, tout cela a été oublié !

Nous avions également proposé, monsieur le ministre, un redécoupage des cantons, avec pour première préoccupation de réduire, dans chaque département, l’écart de population entre les plus petits et les plus grands d’entre eux. Ce redécoupage serait aussi l’occasion d’adapter le nombre de cantons en fonction de l’évolution démographique du département, ce nombre devant dans certains cas diminuer de façon sensible, dans d’autres augmenter.

Aucune de ces attentes n’a trouvé un écho dans vos propositions, les communes étant les seules collectivités considérées au travers du texte.

Les 36 000 communes que compte notre pays, nées de la Révolution, sont un symbole de liberté. Ce nombre pléthorique a donné lieu à un foisonnement de formes de coopération : syndicats intercommunaux à vocation unique, syndicats intercommunaux à vocation multiple, syndicats mixtes, syndicats d’agglomération nouvelle, communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines, pays. Vous aviez annoncé un grand ménage, et nous vous voyions déjà arriver avec votre balai ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Il s’agissait d’organiser, de simplifier et de clarifier cette coopération, mais le projet de loi, en dépit de louables efforts, ne fait qu’accroître la confusion : on crée les métropoles, les pôles métropolitains et les communes nouvelles, sans supprimer aucune des structures existantes… Peut-être eût-il été préférable, monsieur le ministre, de suivre certaines de nos recommandations.

Nous l’avons dit, et nous n’allons pas renier notre parole : nous sommes d’accord pour la création de sept ou huit métropoles destinées à émerger dans l’espace européen et à rivaliser avec Munich, Glasgow, Milan, Barcelone. Vous connaissez ce dossier par cœur, monsieur le ministre, vous qui vivez dans une de ces agglomérations. Nous attendions que la loi fixe les critères d’accès au statut de métropole et de délimitation du territoire métropolitain. Ces critères auraient pu être l’existence d’un aéroport international, de connexions TGV, d’un ensemble suffisant d’universités et d’écoles d’ingénieurs, de centres de recherche médicale et technologique, etc. Tout cela figure dans les conclusions de la commission présidée par M. Belot. Il aurait fallu en outre confier aux métropoles des compétences stratégiques, par exemple en matière d’enseignement supérieur et de recherche, mais vous vous y êtes refusé, préférant ratisser à leur profit, ou plutôt mettre à leur charge, des compétences de proximité de niveau communal ou départemental. Ce n’est pas en œuvrant dans ce registre qu’elles émergeront dans l’espace européen ! Je crains que vous ne vous soyez trompé de moyen pour atteindre un objectif qui était louable.

Plutôt que l’ajout de nouvelles structures, nous attendions une harmonisation et un statut unique de la coopération intercommunale. Nous attendions la fixation d’échéances plus rapprochées en ce qui concerne l’achèvement et la rationalisation de l’intercommunalité. Nous attendions une ambition forte en termes de réduction du nombre de syndicats intercommunaux, or vous osez à peine en parler. Nous attendions de nouveaux transferts de compétences aux communautés pour élargir le socle commun.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Yves Krattinger. La montagne accouche d’un élu hybride : le conseiller territorial. Son rôle est tellement mal compris sur le terrain, il est tellement critiqué, il sera tellement mal élu, il engendrera tellement de confusion et suscitera tant de jeux byzantins au sein des assemblées régionales que je ne m’acharnerai pas sur lui, monsieur le ministre : on lui « fera la peau » dans les territoires ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Nous sommes nombreux ici à partager cette opinion, y compris dans les rangs de la majorité, où certains tiennent un autre langage sur le terrain que dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. Dominique Braye. C’est faux, c’est scandaleux !

M. Yves Krattinger. Monsieur le ministre, je suis profondément déçu par l’absence de fond et de corps de votre projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir respecter les temps de parole impartis, faute de quoi certains orateurs inscrits, appartenant notamment au groupe socialiste, ne pourront pas s’exprimer. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Krattinger a dépassé de près de six minutes son temps de parole. Je me suis montré tolérant parce qu’il a été rapporteur de la mission présidée par M. Belot, mais cela ne va pas sans poser problème pour l’organisation de nos débats !

La parole est à M. Dominique Braye.

M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’abord féliciter le Gouvernement pour son courage d’engager une réforme dont je partage la philosophie et que je soutiendrai sans réserve, à condition qu’un certain nombre de points concernant nos communes et l’intercommunalité soient modifiés. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

Je tiens à saluer le travail de nos collègues Jean-Jacques Hyest, Jean-Patrick Courtois et Charles Guené, respectivement président de la commission des lois, rapporteur au fond et rapporteur pour avis du présent projet de loi. Je connais suffisamment leur sens de l’ouverture et de l’intérêt général pour être persuadé qu’ils accueilleront avec une très grande bienveillance les propositions constructives qui leur seront faites au cours de nos débats.

Le mouvement intercommunal, monsieur le ministre, dont je suis un praticien et un représentant en tant que secrétaire national de l’Assemblée des communautés de France, attendait depuis de nombreuses années des améliorations de son cadre législatif.

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

M. Dominique Braye. L’émergence d’un pôle commune-intercommunalité, l’amélioration de certaines règles de fonctionnement des communautés et l’achèvement de la carte intercommunale sont aujourd’hui une impérieuse nécessité, à laquelle répond le texte qui nous est soumis.

La remarquable progression du fait intercommunal qu’a connue notre pays au cours des deux dernières décennies a souvent été qualifiée, et ce matin encore par M. le ministre de l’intérieur, de « révolution silencieuse ».

Grâce à la loi Chevènement du 12 juillet 1999, notre pays s’est doté des moyens d’une rationalisation et d’une modernisation des intercommunalités existantes, ainsi que de puissantes incitations à la création de nouvelles communautés.

Le succès de ce mouvement est incontestable, puisque aujourd’hui plus de 93 % des communes et plus de 87 % de la population nationale vivent sous le régime de l’intercommunalité, au sein de 2 601 communautés, qu’elles soient des communautés de communes, des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines.

Si ce mouvement de regroupement intercommunal a rencontré un tel succès, c’est qu’il constitue un puissant outil d’optimisation du fonctionnement de nos communes, de développement de nos territoires et même, pour certaines communes, de survie.

Cette réussite, bâtie sur la libre adhésion et l’incitation, rencontre toutefois aujourd’hui ses limites, puisque, ici et là, subsistent des réticences et des résistances, souvent mal fondées, qui empêchent l’achèvement de la couverture intercommunale de notre pays, et donc l’émergence d’une meilleure gouvernance.

Le recours à la contrainte ne devant être que l’ultima ratio de notre République, le projet de loi qui nous est soumis entend laisser encore un certain temps à ces retardataires pour rejoindre le mouvement intercommunal.

Il convient donc d’achever dans un délai raisonnable la carte de l’intercommunalité, mais en conservant impérativement ce qui a fait son succès et sa force, c’est-à-dire le respect de toutes les communes dans leur identité et leur diversité,…

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Dominique Braye. … la capacité pour les élus de chaque commune de faire entendre leur voix et l’élaboration d’un projet commun sur un périmètre pertinent, celui du bassin de vie quotidienne.

Or le texte du projet de loi, tel qu’il nous est présenté, comporte certaines dispositions contraires à cet esprit, monsieur le ministre. Il nous faudra donc impérativement revenir sur celles-ci, les deux principales portant sur la date d’achèvement de la carte intercommunale et, surtout, sur le mode de répartition des sièges entre communes au sein des assemblées communautaires.

En ce qui concerne la date d’achèvement de la couverture intercommunale de notre pays, je considère que l’échéance proposée par le Gouvernement, à savoir le 31 décembre 2013, n’est pas la meilleure, en raison de sa trop grande proximité avec les élections municipales de 2014. Un délai d’à peine trois mois entre l’achèvement de la carte intercommunale et les élections municipales ne permettra pas aux élus, mais surtout aux habitants des communes concernées, de percevoir les apports bénéfiques de ce changement ou de voir leurs craintes apaisées. Monsieur le ministre, nous prendrions le risque de voir les renouvellements municipaux de 2014 se dérouler dans les pires conditions dans certaines communes, favorisant le recours à la démagogie et aux contre-vérités, aux dépens du débat de fond et de la raison. C’est pourquoi, en phase avec l’Association des maires de France, l’AMF, l’Assemblée des communautés de France et la mission Belot, il me paraît important d’avancer d’un an cette date, au 31 décembre 2012. Seuls Paris et ses trois départements limitrophes me semblent devoir bénéficier ultérieurement de dispositions particulières méritant un examen très attentif, que le moment n’est pas venu d’aborder aujourd'hui.

Il nous faudra, par voie de conséquence, avancer de six mois la date de la fin de l’élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale, ce qui permettra d’ailleurs une plus grande sérénité, liée à une échéance plus éloignée de la date des élections municipales.

J’en viens maintenant à ce qui me paraît être le point capital de la partie du texte concernant le couple commune-intercommunalité, à savoir les modes de répartition des sièges entre communes au sein des assemblées communautaires.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si ce point est à mes yeux tellement important, c’est qu’il y va de la vie, voire de la survie, de dizaines de milliers de petites et moyennes communes.

M. Dominique Braye. Vous comprendrez donc aisément que cette question conditionne mon approbation à ce projet de loi : en tant que sénateur, je suis un représentant des collectivités territoriales. Je tiens d’ailleurs à préciser, monsieur le ministre, que je ne m’exprime pas seulement à titre personnel, mais aussi au nom de l’Assemblée de communautés de France, qui regroupe 1 100 EPCI et plus de 35 millions d’habitants !

Le texte initial du Gouvernement était à cet égard insatisfaisant, et je salue la position de la commission des lois et de son rapporteur, Jean-Patrick Courtois, qui ne l’ont pratiquement pas modifié, souhaitant que le débat sur ce point essentiel soit tranché en séance publique.

Il en résulte donc que, sur le problème de la représentation des communes au sein des conseils communautaires, le texte sur lequel nous devrons débattre n’est pas plus le texte initial du Gouvernement que celui de la commission ; c’est celui qui sera présenté par deux de nos collègues, Gérard Collomb et Pierre Hérisson, au travers de deux amendements identiques.

Mes chers collègues, ces amendements sont techniques et compliqués. C’est pourquoi je les ai fait analyser. J’ai en outre demandé à l’Assemblée des communautés de France de procéder à des simulations sur de nombreuses intercommunalités. Ces amendements marquent incontestablement un progrès, mais le compte est loin d’y être : le risque est toujours présent de voir des dizaines de milliers de petites et moyennes communes mises sous la coupe de communes un peu plus peuplées.

La seule question, mes chers collègues, est de savoir ce que nous voulons.

Voulons-nous que, dans une intercommunalité de trente à quarante communes comportant une ville-centre, cette dernière puisse, en s’alliant à deux ou trois petites communes périphériques, imposer sa volonté à toutes les autres ?

Voulons-nous que, dans de très nombreuses intercommunalités, des communes de 200 et de 7 000 habitants aient la même représentation ?

La Haute Assemblée, chargée constitutionnellement de représenter toutes les collectivités locales, a-t-elle le droit de sacrifier ainsi des dizaines de milliers de petites et moyennes communes sur l’autel du seul critère de la démographie ?

La Haute Assemblée a-t-elle le droit d’opposer à ce point population et territoire, dont on a toujours dit, dans cet hémicycle, qu’ils étaient complémentaires et que nous devions les concilier ?

La Haute Assemblée pense-t-elle que nos compatriotes et leurs élus, si attachés à leurs communes, lui pardonneront de les sacrifier de la sorte ?

À ces cinq questions, mes chers collègues, je crois que nous pouvons tous répondre par la négative ! Or le danger que j’évoque n’est pas écarté par les amendements Collomb et Hérisson. C’est pourquoi, sans remettre en cause leur équilibre et leur économie, je présenterai des sous-amendements tendant à les améliorer.

Mes chers collègues, s’il paraît tout à fait anormal qu’au sein d’un conseil communautaire une commune ayant beaucoup plus d’habitants qu’une autre bénéficie de la même représentation, il est tout aussi anormal que le critère démographique devienne la seule clef de répartition des sièges.

L’intercommunalité n’est pas qu’une addition de populations – combien de fois l’avons-nous dit dans cette assemblée ! –, mais le regroupement de territoires communaux ayant chacun un long passé et une existence propre. Nous aurons le temps de nous en expliquer, monsieur le rapporteur.

Il nous faut donc impérativement trouver cet équilibre subtil entre territoire et population, et c’est certainement nous, sénateurs, qui sommes les mieux placés pour y parvenir. C’est d’ailleurs bien en raison de notre compétence et de notre connaissance des territoires que la Constitution a confié à notre assemblée la responsabilité d’examiner la première les projets de loi relatifs à l’organisation des collectivités territoriales.

Notre responsabilité, mes chers collègues, est lourde, et nous avons le devoir de ne pas voter des dispositions sans les avoir évaluées, même si elles paraissent complexes, comme c’est le cas aujourd’hui, je le reconnais bien volontiers.

S’il existe dans notre Haute Assemblée des adeptes du seul critère démographique, ceux-ci peuvent être pleinement satisfaits par d’autres articles du présent projet de loi, qui se réfèrent au principe « un homme, une voix », comme c’est le cas pour la création des communes nouvelles, monsieur le ministre. Mais attention : les communes nouvelles ne relèvent pas de l’intercommunalité ; au contraire, leur création signe la disparition de celle-ci.

Il nous faut donc être clairs dans la définition de nos objectifs : soit nous croyons, à l’instar de notre président Gérard Larcher, que le maire est, avec le Président de la République, le responsable public le plus plébiscité par les Français et que la commune est l’échelon institutionnel auquel nos compatriotes sont le plus attachés – combien de fois avons-nous dit, dans cet hémicycle, que la commune était à la démocratie ce que la cellule est au corps humain, et qu’elle devait être préservée coûte que coûte ! –, soit nous estimons, au contraire, que cet échelon est complètement dépassé.

Dans le premier cas, il ne saurait être question d’affaiblir nos communes, et encore moins de concentrer tout le pouvoir local entre les mains des élus des plus peuplées d’entre elles.

Dans le second cas, n’hésitons pas à faire disparaître toutes nos petites et moyennes communes, mais alors sans nous revendiquer comme des partisans de l’intercommunalité, qui s’inspire d’une philosophie exactement inverse !

Mes chers collègues, ne dévoyons pas l’esprit intercommunal. L’intercommunalité, ce n’est pas l’emprise d’une grosse commune sur des communes moins peuplées, c’est la recherche d’un consensus fort entre communes différentes mais complémentaires, en vue de la réalisation d’un projet de territoire ambitieux et audacieux ! Dans nos intercommunalités, ne reléguons pas les élus des petites et moyennes communes sur des strapontins, depuis lesquels ils regarderaient passer les trains sans pouvoir le moins du monde en changer la direction. C’est dans cet esprit que je défendrai un sous-amendement crucial, tendant à imposer, en cas d’échec de l’accord local pour la répartition des sièges communautaires, qu’un pourcentage maximal de 25 % des sièges puisse être redistribué aux petites et moyennes communes les moins bien pourvues, pour rééquilibrer leur représentation face aux communes les plus peuplées.

Permettez-moi enfin de regretter que la commission des lois ait supprimé un certain nombre de dispositions présentées par le Gouvernement, qui allégeaient et assouplissaient grandement le fonctionnement des communautés, leur conférant ainsi plus de dynamisme et d’efficacité. Nous aurons l’occasion d’en reparler au cours du débat.

Mes chers collègues, l’intercommunalité s’est toujours épanouie dans le dialogue, le débat et la conviction, en aucun cas dans l’obligation et la contrainte. Ne changeons pas ces règles qui ont fait le succès et la force de l’intercommunalité ! Laissons nos communes vivre une intercommunalité de liberté, de souplesse et de solidarité, ne bâtissons pas une intercommunalité de domination, de rigidité et de contrainte, sinon les petites et moyennes communes s’organiseront pour se défendre contre les plus grosses et nous provoquerons la paralysie de nos territoires ! (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. « Soit on réforme, soit on ne réforme pas ! »

M. Éric Doligé. C’est bien vrai…