M. Yannick Bodin. C’est pourtant dès cet âge qu’il faut inculquer des valeurs de respect de soi et d’autrui, en particulier de l’autre sexe, pour former des citoyens dignes de ce nom, qui ne traiteront pas leur épouse ou leur compagne comme un objet qu’ils possèdent, sur lequel ils auraient des droits d’autorité, de violence, allant parfois jusqu’à commettre des actes criminels.

Il est donc essentiel de consacrer du temps, dans la classe, et à tous les âges, au respect mutuel entre filles et garçons. Cela fait partie de l’enseignement des devoirs civiques, du respect de l’autre. Toute l’équipe éducative doit être concernée et donc sensibilisée au problème de l’égalité des sexes : les chefs d’établissement, les conseillers pédagogiques d’éducation, les infirmières, les psychologues et les professeurs. Tous sont conscients de leur mission.

On connaît l’histoire de ce petit garçon, en classe de maternelle, à qui sa maîtresse reprochait d’avoir tiré les cheveux d’une camarade. Quand elle lui a demandé pourquoi il avait agi ainsi, il a simplement répondu, du haut de ses quatre ans : « Parce que c’est une fille ! » Eh oui, tout commence à l’école maternelle !

Nous considérons qu’une sensibilisation, voire une formation sur ces questions spécifiques ne peut être transmise sans une bonne formation des maîtres.

Face à cette impérieuse nécessité, monsieur le secrétaire d'État, je suis inquiet. La réforme de la formation des maîtres, telle qu’elle semble être envisagée, permettra-t-elle d’aborder avec des formateurs spécialisés ces notions indispensables, alors que la professionnalisation des futurs enseignants est fondée uniquement sur les savoirs académiques ? Qui fera le travail ?

Pour assurer la formation mensuelle prévue à l’article 3, les enseignants doivent être accompagnés par les associations qui luttent depuis longtemps pour le respect des femmes. Ces associations sont très présentes et leur rôle est essentiel. Leur intervention devrait devenir systématique dans les établissements scolaires et les centres d’apprentis. À cette fin, les rectorats devraient, sur recommandation du ministère de l’éducation nationale, encourager plus efficacement la prise de contact entre ces associations et les établissements.

Cette mission pourrait aussi être confiée à des jeunes dans le cadre du service civique, dont la création vient d’être consacrée par le vote, à l’Assemblée nationale, de la proposition de loi relative au service civique, déjà adoptée par le Sénat à la quasi-unanimité le 27 octobre dernier.

L’article 4 de la proposition de loi pose, quant à lui, le principe de la formation de tous les acteurs sociaux, médicaux et judiciaires afin d’améliorer l’accueil, la protection et le suivi des victimes de violences conjugales. Cet article est absolument essentiel. C’est de cette manière que la lutte contre les violences conjugales a pu se développer et c’est aussi de cette façon que nous pourrons encore l’améliorer.

Des progrès ont été réalisés dans ce domaine. La sensibilisation des professions concernées s’est considérablement développée. Ainsi, dans les commissariats et les gendarmeries, on sait maintenant mieux prendre en compte la spécificité des violences conjugales.

M. Roland Courteau. Un peu mieux !

M. Yannick Bodin. C’est un progrès qu’il faut saluer !

Toutefois, ces évolutions positives ne doivent pas nous faire oublier que la bataille est loin d’être gagnée. L’accueil et la prise en charge par les services de police et de gendarmerie sont inégaux et peuvent encore être améliorés.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Yannick Bodin. Surtout, les acteurs sociaux et médicaux doivent être mieux sensibilisés pour accompagner les femmes victimes de violences.

J’ai la chance, dans mon département, que des associations de terrain très performantes et efficaces soient présentes, même si leur nombre reste malheureusement insuffisant. Elles nous rapportent en particulier l’inégalité des réponses de la justice aux violences faites aux femmes. D’une part, l’effort d’harmonisation et de compréhension doit être poursuivi entre ces associations et les magistrats dont l’appréhension de ces questions n’est pas toujours de même niveau. D’autre part, l’inscription de la sensibilisation aux violences faites aux femmes doit encore être renforcée dans la formation des futurs magistrats.

Je tiens ici à rendre hommage à ces associations, qui n’ont pas attendu le vote de la loi du 4 avril 2006 pour agir et qui réalisent un travail remarquable.

En conclusion, la lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée « Grande cause nationale 2010 » par le Premier ministre. Voilà une bonne initiative. Cela suffira-t-il ? Les grandes déclarations n’ont jamais permis de résoudre les problèmes.

La prévention contre les violences faites aux femmes, qui doit commencer dès l’école maternelle et primaire, ne peut se faire sans moyens. Dès lors, les mesures présentées dans cette proposition de loi doivent être accompagnées d’une augmentation suffisante des personnels – de l’éducation nationale notamment – en charge de ces questions.

Si nous voulons continuer la lutte, tous les personnels concernés doivent suivre une formation adaptée et voir leurs effectifs renforcés. Ainsi, nous ferons avancer le combat en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes ; nous saurons rendre le principe du respect mutuel intangible et faire reculer les violences faites aux femmes.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Yannick Bodin. Ce sera une belle avancée pour la cause des femmes et un nouveau pas de notre civilisation vers le progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants
Demande de renvoi à la commission (fin)

M. le président. Je suis saisi, par M. Pillet, au nom de la commission, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (n° 118, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Après ce débat très intéressant et consensuel, je n’insisterai pas sur les raisons qui motivent cette demande de renvoi à la commission.

Tout le monde aura compris que cette motion vise un double objectif.

En premier lieu, le renvoi à la commission me semble de nature à accélérer l’entrée en application du texte qui sera adopté.

Une proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes sera examinée par les députés le 25 février prochain et sera ensuite inscrite à l’ordre du jour du Sénat. Si nous votons aujourd’hui la proposition de loi de M. Courteau, cette proposition devra à son tour être examinée par l’Assemblée nationale. Ce faisant, nous perdrons du temps. Je ne suis par ailleurs pas persuadé que le règlement de notre assemblée prévoie ce genre de situation.

En second lieu, le renvoi à la commission me semble opportun, car il serait dommage que les sénateurs se privent de la réflexion des députés, et vice versa.

La proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale résulte des travaux d’une mission d’information ad hoc. Elle a été adoptée par la commission compétente hier et elle sera discutée en séance publique le 25 février prochain. Aussi, dans un souci de célérité et de qualité du travail législatif, nous avons tout intérêt à fusionner le plus rapidement possible les deux propositions de loi.

Je tiens à souligner la pertinence des initiatives prises par notre collègue Roland Courteau sur cette question, mais cela n’avait sans doute échappé à personne.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Nous aurions bien sûr préféré mener l’examen de ce texte à son terme, comme ce fut le cas en 2005 et en 2006, lorsque le Sénat a, le premier, montré la voie en se saisissant de la question des violences au sein du couple, par le biais de la proposition de loi du groupe socialiste et de celle du groupe CRC-SPG. Nous aurions souhaité qu’il en fût de même aujourd’hui, d’autant que nous avons déposé, en juin 2007, une proposition de loi qui n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée.

J’ai appris récemment qu’une proposition de loi ayant le même objet que la nôtre a été présentée à l’Assemblée nationale. Tant mieux ! Je me réjouis que nous ne soyons pas les seuls à vouloir franchir une étape supplémentaire dans la lutte contre les violences au sein des couples, qui constituent un véritable fléau.

Même s’il n’y a aucune raison de laisser la priorité à l'Assemblée nationale, l’essentiel est d’avancer. C’est pourquoi je me rallie à la position de la commission. Mais je le fais la mort dans l’âme ! J’attends désormais que le Sénat soit saisi de la proposition de loi qui aura été adoptée par l’Assemblée nationale, afin que nous puissions, comme le souhaite M. le rapporteur, travailler concomitamment sur les deux textes.

Peut-être y gagnerons-nous en efficacité et en rapidité, tout en évitant de froisser la susceptibilité de certains députés ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Faute d’une procédure adaptée, si le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi de M. Courteau et que l’Assemblée nationale discute le 25 février une autre proposition de loi, les deux textes pourraient ne jamais se rencontrer. Nous sommes donc dans l’obligation de choisir.

La première initiative revient au Sénat, avec la loi de 2006. M. Courteau a déposé une nouvelle proposition de loi en 2007. Elle n’a pas été inscrite à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, mais aucune demande en ce sens n’a été formulée. J’ajoute que la révision constitutionnelle n’avait pas eu lieu et que la procédure d’initiative parlementaire n’existait pas encore.

Monsieur Courteau, je vous garantis que le renvoi à la commission signifie que nous examinerons en même temps la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale et la vôtre. Ce cas de figure s’est déjà produit : différentes propositions de loi présentées sur un même sujet ont été examinées concomitamment. Ainsi, tous les éléments de votre texte qui ne seraient pas contenus dans la proposition de loi de l’Assemblée nationale feront bien entendu l’objet d’un examen sur le fond par la commission des lois.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce moment du débat, tout a été dit.

Je tiens à saluer à nouveau le travail effectué par M. Courteau sur ce texte, son implication constante depuis des années sur ce sujet. Il montre ainsi – et la qualité des interventions des différents orateurs le confirmerait s’il en était besoin – l’importance que la représentation nationale, Sénat et Assemblée nationale, accorde à ce sujet et l’engagement unanime de notre société.

Mes remerciements vont également au président de la commission des lois, M. Jean-Jacques-Hyest, et au rapporteur, M. François Pillet, qui ont contribué à ce travail de synthèse.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez persuadés que, fidèle à l’esprit qui a inspiré vos travaux, le Gouvernement se montrera exigeant afin que nous allions ensemble au bout de la démarche que vous avez engagée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

(La motion est adoptée.)

M. le président. En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.

Je constate que cette motion a été adoptée à l’unanimité des présents.

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants
 

5

 
Dossier législatif : proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire
Discussion générale (suite)

Protection temporaire

Rejet d'une proposition de résolution européenne

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire
Exception d'irrecevabilité (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par M. Louis Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 159, rapports nos 197 et 229).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Louis Mermaz, auteur de la proposition de résolution. (Mme Catherine Tasca applaudit.)

M. Louis Mermaz, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’expulsion d’Afghans par charters franco-britanniques, le 21 octobre et le 15 décembre 2009, nous a conduits à déposer la présente proposition de résolution.

Nous souhaitons voir déclencher, dans l’Union européenne, le recours à la protection temporaire en faveur de personnes qu’on ne peut ni ne doit reconduire dans leur pays d’origine, théâtre d’une guerre qui mettrait leur vie en danger.

La même initiative a été prise par notre groupe à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Par ailleurs, des élus des groupes de gauche ont signé au Parlement européen, sur l’initiative des Verts, une pétition allant dans le même sens.

Comme on le verra, si notre proposition concerne les Afghans entrés dans l’Union européenne et ceux qui sont parvenus jusqu’en France, ses objectifs sont plus larges.

La situation faite aux Afghans, comme à d’autres réfugiés, devrait trouver une solution dans le cadre européen, même dans cette Europe entrée aujourd’hui en crise.

En tout état de cause, le gouvernement français pourrait, sans plus attendre, se donner les moyens de répondre sur son sol à l’état de fait actuel. Nous sommes nombreux à déplorer son refus de rechercher une solution digne de nos valeurs tant à l’échelon de l’Europe que sur le plan national.

En quoi consiste le recours à la protection temporaire ?

Nous souhaitons, comme le prévoit une directive européenne de 2001, que le Gouvernement demande à la Commission de proposer au Conseil de décider, à la majorité qualifiée, qu’il est nécessaire d’octroyer la protection temporaire, c’est-à-dire une protection immédiate et collective – j’insiste sur ce dernier terme – aux Afghans en provenance d’Afghanistan et du Pakistan. L’Union européenne tendrait alors la main à des hommes, à des femmes, à des enfants réduits à l’exil dans des circonstances dramatiques. En effet, le traitement individuel des dossiers ne répond pas à l’urgence. Le recours à la protection temporaire permettrait de pallier les carences de certains États en matière d’asile, de faire prévaloir la solidarité d’un bout à l’autre de l’Union par le partage des charges.

La directive de 2001 sur la protection temporaire a été adoptée à la suite de la procédure ad hoc instituée pour répondre à l’afflux des Kosovars en 1999, mais elle n’a jamais été appliquée. Grâce à sa mise en œuvre, nous pourrions répondre à l’arrivée des Afghans et à celle d’autres réfugiés sur le territoire européen. Elle ouvrirait à ces réfugiés une période de protection qui pourrait, en cas de nécessité, atteindre trois ans. Elle leur permettrait de recevoir un titre de séjour, d’exercer une activité professionnelle, d’être hébergés, de disposer d’une aide sociale, de se faire soigner, d’accéder à l’éducation et à la formation, enfin, de bénéficier du regroupement familial, autrement dit d’être traités comme des êtres humains.

Or, à quoi assistons-nous, chez nous, en France ? Les Afghans, nous le savons, ont pour la plupart la volonté de se rendre coûte que coûte en Grande-Bretagne. Ils sont attirés dans ce pays dans une certaine mesure par la langue, parfois par des liens familiaux, mais aussi par la perspective, s’ils réussissent à traverser le Channel, d’échapper aux contrôles d’identité pratiqués sur le continent et de parvenir à trouver un travail.

Ainsi ces personnes tentent-elles l’aventure depuis les côtes françaises, en particulier depuis le Pas-de-Calais. Longtemps les migrants ont trouvé un hébergement dans le centre d’accueil de Sangatte. Ce centre avait été ouvert en septembre 1999 pour faire face à l’afflux de réfugiés, kosovars pour la plupart, qui souhaitaient rallier la Grande-Bretagne.

Géré par la Croix-Rouge, le centre de Sangatte, que j’ai visité en octobre 2000 et en mai 2001, a hébergé jusqu’à 1 500 personnes.

J’ai constaté que l’on s’efforçait d’y fournir le minimum indispensable aux réfugiés – repas, hygiène, sécurité et information. Sa fermeture, en décembre 2002, et son démontage, sous le prétexte fallacieux, si souvent entendu en d’autres occasions, de ne pas créer d’appel d’air, ont plongé des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dans des conditions de vie effroyables.

On a parlé de « jungle » ! mais qui en porte la responsabilité, sinon le Gouvernement ?

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Lequel ?

M. Louis Mermaz. La « jungle », qui a été fermée en septembre 2009, s’est en partie reconstituée. Désormais, les réfugiés errent dans une zone encore plus vaste.

Quelle réponse le Gouvernement propose-t-il pour remédier à cette situation ? Eh bien, il demande aux forces de police de détruire des abris de fortune, d’incendier des couvertures !

Avec l’entrée en vigueur du plan grand froid, le 15 décembre 2009, certains réfugiés avaient trouvé un abri, de dix-neuf heures à dix heures du matin – c’est-à-dire seulement pour la nuit ! – dans une salle réquisitionnée à cet effet. Ils couchaient à même le sol, sur des cartons ! Ce n’était vraiment pas le grand luxe !

Ce local a été fermé le 19 janvier, monsieur Haenel, du fait de la levée du plan. Le soir même, une association distribuait cent cinquante tentes aux migrants. Mais le lendemain, ordre était donné à la police d’encercler le campement et de démonter les tentes. Depuis, comme je viens de le dire, les pouvoirs publics font détruire systématiquement abris et campements.

Monsieur le ministre, que va-t-il se passer alors qu’une nouvelle vague de froid s’abat sur la région ? La responsabilité du Gouvernement est engagée.

Pour compléter ce tableau, je rappelle les menaces que le Gouvernement fait constamment peser, pour aide à l’immigration clandestine, sur les hommes et les femmes qui portent secours à ces malheureux. Que fait-il de l’obligation d’assistance à personne en danger ?

La commission des affaires européennes du Sénat, mieux inspirée que celle de l’Assemblée nationale, a transmis notre proposition de résolution à la commission des lois. La majorité sénatoriale a décidé, lors de l’examen du texte en commission, de proposer le rejet de notre proposition lors de la séance publique. Pour défendre cette conclusion, le rapporteur s’appuie sur l’article 88-4 de la Constitution…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ne vous en déplaise !

M. Louis Mermaz. Écoutez la suite, monsieur le président de la commission !

Selon cet article, des résolutions peuvent être adoptées sur les projets ou propositions d’actes des communautés européennes et de l’Union européenne, mais pas sur des directives déjà en vigueur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !

M. Louis Mermaz. L’argument serait imparable si la Haute Assemblée n’avait adopté, le 7 décembre 2009, juste avant la conférence de Copenhague sur le changement climatique, une proposition de résolution de notre collègue Mme Fabienne Keller portant sur une directive du 23 avril 2009, relative au stockage géologique du dioxyde de carbone.

Je tiens cette proposition à votre disposition, monsieur le président de la commission. (M. Louis Mermaz brandit un document.) Vous constaterez que, sur ce point, les deux propositions se ressemblent comme des jumelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Errare humanum est !

M. Louis Mermaz. Je n’ose imaginer qu’il y ait deux poids et deux mesures, selon les souhaits et les humeurs du Gouvernement, par ailleurs si soucieux de renforcer les pouvoirs du Parlement !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Louis Mermaz. À la page 10 de son rapport, M. Pierre Fauchon s’interroge sur l’opportunité d’une intervention du Parlement dans une procédure sollicitant la Commission européenne. Je le renvoie à nouveau au texte de la proposition de résolution de Mme Keller qui fait appel à la même procédure.

M. Richard Yung. Très bien !

M. Louis Mermaz. J’en viens maintenant à l’examen de la directive de 2001, qui est jusqu’à présent restée lettre morte. J’évoquerai d’abord les critères nécessaires à sa mise en œuvre : essentiellement, un afflux massif ou important de personnes déplacées et un dysfonctionnement de l’exercice du droit d’asile qui en découle.

En ce qui concerne le premier critère, il existe aujourd’hui, personne ne le contestera, un nombre considérable de réfugiés afghans, évalué dans le monde – essentiellement au Moyen-Orient – à 2,7 millions. Les chiffres publiés quant à l’arrivée de ces réfugiés en Europe sont très certainement inférieurs à la réalité, et par ailleurs très aléatoires.

Quoi qu’il en soit, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, les demandes d’accueil émanant d’Afghans ont augmenté officiellement de 57 % dans l’Union européenne au cours du seul premier semestre de 2009. On en compte aujourd’hui près de 9 000.

Mais il aura fallu que 123 Kurdes fussent abandonnés sur une plage en Corse, à Bonifacio, pour que le ministre se dise obligé de prévoir une législation spéciale pour faire face à ce qu’il appelle « une arrivée massive et inopinée de clandestins » ?

M. Richard Yung. Très bien !

M. Louis Mermaz. En ce qui concerne le second critère, c’est-à-dire l’importance de l’afflux de personnes déplacées, on ne connaît pas le nombre de réfugiés, fixés ou en simple transit, au sein de l’Union européenne. Dans ces circonstances, le règlement de Dublin II, adopté le 18 février 2003, est inopérant.

La Commission européenne a proposé de réformer ce règlement en décembre 2008, sans obtenir encore de décision du Conseil européen.

Les conditions imposées par la directive pour satisfaire le second critère, relatif à l’exercice du droit d’asile, sont également remplies.

L’accès au droit d’asile est aujourd’hui très largement perturbé. Le renvoi dans les pays situés aux frontières de l’Union européenne, essentiellement en Grèce – elle a reçu 20 000 demandes d’asile en 2008  – où les conditions d’accueil sont affreuses, mais aussi en Hongrie ou en Autriche, dispense la France d’instruire elle-même les demandes.

Finalement, ces demandes ne seront pas acceptées en Grèce, où moins de 1 % des personnes enregistrées à l’entrée par le système d’empreintes digitales EURODAC obtient l’asile, contre 36 % en France, mais pour des chiffres très faibles.

Notre groupe parlementaire a consacré plusieurs heures à l’audition de MM. Jacques Ribs et Pierre Henry, respectivement président et secrétaire général de l’association « France Terre d’Asile », de Mme Catherine Wihtol de Wenden, chercheur au CNRS, de M. Francisco Galindo Velez, représentant en France du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, et à celle de M. Gérard Sadik, membre de la commission « Asile » de la CIMADE. Tous nous ont confirmé et démontré le dysfonctionnement du droit d’asile en ce qui concerne les Afghans, mais pas seulement.

Je consacrerai une place à part à l’audition du représentant du HCR en France, puisque la commission des lois s’est contentée d’une note de la délégation, qui ne traite d’ailleurs pas vraiment du sujet qui nous occupe.

Les Afghans sont aujourd’hui pris dans une nasse. Ils ne réussissent pas à obtenir l’asile au titre de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Dès lors, l’alternative est la suivante.

Ou bien la France applique le règlement Dublin II, adopté en 2003, et les réfugiés afghans seront alors transférés en Grèce avec les conséquences que l’on connaît. Dans cette hypothèse, le gouvernement français pourrait-il rendre public le nombre de personnes transférées, le représentant du HCR, que nous avons interrogé, ne nous ayant pas donné de chiffres ?

Ou bien la France n’applique pas ce règlement, et les Afghans seront réduits à la clandestinité, condamnés à vivre dans l’errance et le dénuement le plus total.

Les chasser de leurs abris de fortune, les disperser jusqu’à Paris, Angers ou Nîmes en les privant du soutien des ONG ne résout rien. C’est pourquoi nous défendons cette proposition de résolution. Nous demandons au Gouvernement de saisir la Commission européenne qui, seule, a le pouvoir d’enclencher le processus de mise en œuvre de la directive de 2001.

Nous considérons en effet que le problème des réfugiés afghans, naguère concentrés dans le Calaisis, désormais présents à Paris et ailleurs, est de nature éminemment européenne, comme nous l’a fait observer à juste titre le représentant du HCR à Paris.

Rien n’empêche le Gouvernement, au nom du principe de souveraineté inscrit dans la Constitution, d’introduire une protection complémentaire pour les personnes qui sont dans une situation de transit, tant que le Conseil européen n’a pas révisé sa position, ce en quoi il serait bien inspiré !

Si nous nous projetons dans un avenir immédiat, nous demanderons aussi au gouvernement français et aux États de l’Union européenne d’agir de concert afin que le nouveau programme pluriannuel pour un espace de liberté, de sécurité et de justice, dit nouveau programme de Stockholm, adopté le 11 décembre 2009 par le Conseil européen, aboutisse à de nouvelles directives.

La Commission européenne y est favorable. Reste à convaincre les États, à commencer par le nôtre.

En conclusion, j’évoquerai l’amendement que nous avons déposé. La commission des lois s’est opposée à son examen…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Louis Mermaz. … en arguant de son irrecevabilité, puisqu’il était rattaché à la présente proposition de résolution, elle-même jugée irrecevable.

Nous demandons que, le moment venu – le plus tôt sera le mieux –, on substitue au dispositif de protection temporaire un régime d’asile européen commun.

Ce serait l’occasion de remplacer la notion vague et difficilement contrôlable d’ « afflux massif » ou « important » de réfugiés par celle d’ « afflux durable ».

Ce serait aussi l’occasion de revoir les procédures actuelles, lourdes et inopérantes. Cela permettrait en outre d’élargir le champ des personnes susceptibles de bénéficier d’une protection réelle. Je pense aux personnes qui fuient des zones dévastées par une catastrophe naturelle, comme c’est aujourd’hui le cas des Haïtiens, mais aussi aux victimes climatiques, souvent en proie au pillage de leurs richesses naturelles et frappées par le sous-équipement.

La France, aux meilleures heures de son histoire, a toujours affirmé pleinement sa vocation humaniste. Elle a revendiqué avec fierté son statut de terre d’asile. Ne rompons pas avec cette tradition !

M. Pillet conclut son rapport par un étalage de bons sentiments. Mais pourquoi ne saisit-il pas l’occasion que nous lui offrons de faire les pas qu’il convient dans la bonne direction ?

Nous demandons au Gouvernement de renoncer à la politique du chiffre et du refoulement, d’organiser enfin – s’il le peut et s’il le veut – un accueil conforme à l’idéal républicain. Il s’honorerait en prenant des initiatives à l’échelle de l’Union européenne, en palliant sans plus attendre les insuffisances de la législation européenne par une démarche souveraine.

À la façon dont un pays traite ses immigrés, on devine comment il traite ses propres citoyens. Il serait temps, pour les immigrés et pour l’ensemble des Français, de mettre fin à une politique aux tendances liberticides, hélas ! de plus en plus affirmées ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Louis Mermaz, en des termes qui n’étaient pas toujours empreints d’une grande gentillesse,…